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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 16 septembre 2025, n° 23/05052

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Prefiloc Capital (SAS)

Défendeur :

Mix (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

Me Auffret de Peyrelongue, Me Descamps, Me Verbreugh, Me Seghir

T. com. Bordeaux, du 5 oct. 2023, n° 202…

5 octobre 2023

EXPOSE DU LITIGE

1. La SAS Prefiloc Capital est spécialisée dans le financement et la location financière de. matériel destiné aux professionnels.

La SAS Mix [Localité 4] exploite une activité d'esthétique et de soins de beauté.

Le 16 juillet 2021, un contrat de location financière a été conclu entre la société Prefiloc Capital et la société Mix [Localité 4], ayant pour objet un matériel de caisse; fourni par la société Popina, moyennant le versement de 48 loyers de 69.60 euros TTC par mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2021, la société Mix [Localité 4] a notifié la rupture du contrat à la société Popina, en invoquant l'impossibilité d'utiliser le logiciel sans matériel adapté, et la carence de la société JDC qui n'était pas intervenue pour installer un sanner de QR Code.

Après mise en demeure restée infrutueuse, par courrier recommandé du 20 juillet 2022 la société Prefiloc a, par acte du 22 février 2023, fait assigner le preneur devant le tribunal de commerce de Bordeaux en restitution du matériel et paiement des sommes restant dues après résiliation du contrat.

2. Par jugement du 5 octobre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société Mix [Localité 4] SAS de sa demande de jonction,

- débouté la société Prefiloc Capital SAS de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société Prefiloc Capital à payer à la société Mix [Localité 4] la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Prefiloc Capital aux dépens.

3. Par déclaration au greffe du 6 novembre 2023, la SAS Prefiloc Capital a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS Mix [Localité 4].

La société Mix [Localité 4] a formé appel incident.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

4. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 27 mai 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Prefiloc Capital demande à la cour de :

Vu les articles 1103 & 1104 du code civil ;

Vu les conditions générales du contrat de location, et notamment les articles 10 & 11 ;

Vu la jurisprudence ;

Vu les pièces versées au débat.

- Infirmer la décision entreprise ;

En conséquence,

- Débouter la société Mix [Localité 4] de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner la société Mix [Localité 4] à payer à la société Prefiloc Capital la somme de 5 232,59 euros, outre les intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, lesquels ne pourront être intérieurs à trois fois le taux d'intérêt légal ;

- Condamner la société Mix [Localité 4] à restituer à la société Prefiloc Capital l'intégralité du matériel loué, dans un délai de 72 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard, et à défaut de la restitution du matériel dans un délai de 15 jours qui suit la signification, la condamner à en régler la valeur, soit 2 246,75 euros ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- Autoriser la société Prefiloc Capital à appréhender les matériels objets du contrat de location, en quelques lieux et quelques mains qu'ils se trouvent, au besoin avec le recours à la force publique.

- Condamner la société Mix [Localité 4] à payer la somme de 2 000 euros à la société Prefiloc Capital à titre de dommages et intérêts ;

- Condamner la société Mix [Localité 4] à payer à la société Prefiloc Capital la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Mix [Localité 4] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrées conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

5. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 23 avril 2024 formant appel incident, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Mix [Localité 4] demande à la cour de :

Vu les articles 1186, 1217, 1219, 1226, 1231-5 du code civil ;
Vu l'article L442-1 du code de commerce ;
Vu les articles L212-1 du code de la consommation ;
Vu la jurisprudence citée ;
Vu les pièces versées au débat;

- Dire la société Mix [Localité 4] recevable et bien fondée;
- Débouter la société Prefiloc Capital de toutes ses demandes, fins et prétentions;
- Infirmer le jugement du 5 octobre 2023 rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux

Statuant à nouveau:
A titre principal,

- Débouter la société Prefiloc Capital de toutes ses demandes, fins et prétentions.
- Constater le contrat de location financière conclu entre Mix [Localité 4] et Prefiloc Capital a été résilié par la société Mix [Localité 4] le 29 décembre 2021.

En conséquence,

- Juger que les loyers impayés dont la société Prefiloc Capital demande le recouvrement correspondent à des échéances où le contrat avait été résilié.
- Débouter la société Prefiloc Capital de sa demande de paiement des loyers mensuels impayés à hauteur de 626,40 euros.
- Constater que les conditions générales de location créent un déséquilibre significatif entre les partenaires commerciaux au détriment de la société Mix [Localité 4].

En conséquence,

- Prononcer la nullité de l'indemnité de résiliation ainsi que de la clause pénale de 10% figurant dans le contrat de location financière.
- Condamner la société Prefiloc Capital à indemniser la société Mix [Localité 4] à hauteur de 1000 euros pour ce déséquilibre significatif.

A titre subsidiaire, à défaut de nullité et d'engagement de responsabilité,

- Constater que l'indemnité de résiliation, en sus de la clause pénale de 10%, doit donc être considérée comme une clause pénale, susceptible en ce sens de réduction par le juge,

- Réduire la clause pénale du contrat de location à de justes proportions qui en l'espèce ne sauraient dépasser l'euro symbolique ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Prefiloc Capital au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner la société Prefiloc Capital aux entiers dépens

L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 juin 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION:

Moyens des parties:

6. Se fondant sur les articles 1186, 1217, 1219 et 1226 du code civil, la société Mix [Localité 4] soutient en premier lieu qu'en raison du défaut de livraison des scanners permettant la lecture de QR codes avec la solution logicielle QOODOS, elle a résilié le contrat la liant à la société Popina, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2021, qui emporte de ce fait caducité du contrat conclu avec Prefiloc Capital.

7. La société Prefiloc réplique que la société Mix [Localité 4] devait assumer l'entière responsabilité de son choix de matériel, qui a donné lieu à procès-verbal de réception de livraison sans réserve et de conformité (l'installation s'étant effectuée sans difficulté le 21 juillet 2021), de sorte qu'elle ne peut utilement arguer d'un défaut de conformité du matériel.

Réponse de la cour:

8. Selon les dispositions de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

9. Le contrat de location mentionne (de manière particulièrement peu précise) qu'il a pour objet 'Software', avec une prestation de maintenance.

La vente entre la société Popina et la société Prefiloc Capital a donné lieu à une facture de 2468.96 euros, qui porte sur 'Configuration caisse, Licence Qoodos' (permettant la mise en place par le commerçant locataire d'une programme de fidélité).

10. Il en résulte que le contrat avait donc pour objet un logiciel, et non du matériel d'emploi, tel que des scanners branchés aux caisses ('douchettes').

Il n'est pas démontré que ce type de matériel ait été indispensable à l'utilisation du logiciel, et le procès-verbal de livraison du matériel, conformité et bon fonctionnement a été signé sans aucune protestation ou réserve de la part de la société Mix [Localité 4], le 21 juillet 2021.

Les griefs formulés par la société Mix [Localité 4] par courriels ne sont pas confortés par des éléments objectifs probants, et leur caractère sérieux ne peut se déduire du silence conservé par le fournisseur.

11. Les pièces communiquées ne révèlent donc ni un défaut de délivrance conforme, ni un manquement grave de la société Popina à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat, justifiant sa résolution par voie de notification unilatérale.

Au surplus, la société Mix [Localité 4] n'a pas mis en cause la société Popina, de sorte qu'il est impossible de constater, au contradictoire de cette dernière, le bien-fondé d'une telle résolution unilatérale, ni de la prononcer.

12. Dès lors, le contrat de location avec la société Prefiloc Capital n'a pu se trouver atteint de caducité, par le seul effet de la notification de la lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2021.

Sur les demandes en paiement de la société Prefiloc:

Moyens des parties:

13. Se fondant sur l'article préliminaire du code de la consommation, sur les dispositions des articles L.212-1 et R.632-1 du code de la consommation, et sur celles de l'article L.442-6-I 2° du code de commerce, la société Mix [Localité 4] fait valoir que la clause relative à la résiliation du contrat d'adhésion créée des obligations injustifiées et non réciproques en réservant le droit de résiliation sans indemnité au seul loueur, de sorte qu'il existe un déséquilibre significatif entre les partenaires commerciaux, à son détriment.

Elle conclut donc à l'annulation de la clause de déchéance du terme, et de la clause pénale de 10%.

A titre subsidiaire, elle entend voire réduire le montant de cette clause, selon elle manifestement excessive, sur le fondement de l'article 1231-5 du code civil.

14. La société Prefiloc Capital réplique que l'indemnité de résiliation a pour seul objet la réparation du préjudice qu'elle subit du fait de la fin anticipée du contrat.

Réponse de la cour:

15. La société Mix [Localité 4] est une personne morale commerçante par la forme (SARL) qui a conclu le contrat de location pour les besoins de son activité professionnelle, de sorte qu'elle ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées du code de la consommation au soutien de sa demande de nullité de clauses, selon elle abusives.

16. Selon les dispositions de l'article L.442-1-I 2°du code de commerce, 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de service, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

17. La société Mix [Localité 4] a fondé à tort sa demande en nullité de clauses sur les dispositions spécifiques de l'article L.442-1 du code de commerce, alors que celles-ci ne sont pas applicables aux contrats de location financière conclus par des sociétés de financement telles que la société Locam, qui, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du code monétaire au financier, ne sont pas soumises aux textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence (Cour de cassation, chambre commerciale 15 janvier 2020, n° 18-10.512 et Cour de cassation, chambre commerciale, 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.782).

La demande en nullité de clauses doit dès lors être rejetée, dès lors que les conditions d'application de l'article précité ne sont pas réunies.

18. Au vu des stipulations contractuelles, et de la mise en demeure du 28 juillet 2022 restée infructueuse après un délai de huit jours, ce qui a entraîné la déchéance du terme et la résiliation du contrat, la société Locam est bien fondée à solliciter paiement des sommes suivantes:

-échéances impayées: 626.40 euros (9 loyers de 69.60 euros)

- l'indemnité en réparation du préjudice subi, égal au montant des loyers restant à échoir à la date de résiliation: 30 x 208.80 = 2088 euros (article 11- Résiliation).

Cette indemnité, qui présente le caractère de clause pénale, n'apparaît pas manifestement excessive dès lors que l'interruption des paiements est intervenu à compter de mai 2022 alors que le contrat devait s'exécuter jusqu'au 10 juillet 2025, de sorte que le loueur a perdu la possibilité d'amortir le financement du logiciel de caisse.

En revanche, la clause pénale complémentaire de 10 % apparaît manifestement excessive au regard de l'indemnité précédemment allouée, elle doit être modérée en application de l'article 1231-5 et réduite à 100 euros.

Par ailleurs, la demande au titre de la valeur du matériel est injustifiée (pour un montant de 2246.75 euros) dès lors que le loueur réclame également la restitution de ce matériel (qui en l'espèce ne peut s'entendre que d'une désinstallation du logiciel).

19. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement, et, statuant à nouveau, de condamner la société Mix [Localité 4] à payer à la société Préfiloc Capital la somme de 2814.40 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 22 février 2023, date de l'assignation.

Les intérêts dus pour une année entière seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.

20. Il convient de condamner la société Mix [Localité 4] à restituer le logiciel, sous forme de désinstallation de la solution logicielle QOODOSdans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt. Les circonstances ne justifient pas à ce stade le prononcé d'une astreinte.

Sur les demandes accessoires :

21. La société appelante ne justifie pas que la société Mix [Localité 4] ait commis un abus dans le droit de défendre justice, de sorte que sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.

22. Échouant en ses prétentions au terme de l'instance, la société Mix [Localité 4] doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable d'allouer à la société Prefiloc une indemnité de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 5 octobre 2023,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Mix [Localité 4] à payer à la société Préfiloc Capital la somme de 2814.40 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 22 février 2023,

Dit que les intérêts dus pour une année entière seront capitalisés,

Condamne la société Mix [Localité 4] à restituer le logiciel à la société Prefiloc Capital, sous forme de désinstallation de la solution logicielle QOODOS dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt,

Rejette le surplus des demandes de la société Préfiloc Capital,

Déboute la société Mix [Localité 4] de toutes ses demandes,

y ajoutant,

Condamne la société Mix [Localité 4] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société Mix [Localité 4] à payer à la société Préfiloc Capital la somme de 1500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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