CA Bordeaux, 4e ch. com., 16 septembre 2025, n° 23/05054
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Prefiloc Capital (SAS)
Défendeur :
Mix (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Auffret de Peyrelongue, Me Descamps, Me Verbreugh, Me Seghir
EXPOSE DU LITIGE
1. La SAS Prefiloc Capital est spécialisée dans le financement et la location financière de. matériel destiné aux professionnels.
La SAS Mix [Localité 4] exploite une activité d'esthétique et de soins de beauté.
Le 16 juillet 2021, un contrat de location financière a été conclu entre la société Prefiloc Capital et la société Mix [Localité 4], ayant pour objet un matériel de caisse; fourni par la société Popina, moyennant le versement de 48 loyers de 69.60 euros TTC par mois.
Un procès-verbal de livraison et de conformité a été signé le 21 juillet 2021 par la société Mix [Localité 4].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2021, la société Mix [Localité 4] a notifié la rupture du contrat à la société Popina, en invoquant l'impossibilité d'utiliser le logiciel sans matériel adapté, et la carence de la société JDC qui n'était pas intervenue pour installer un sanner de QR Code.
Après mise en demeure restée infrutueuse, par courrier recommandé du 29 juin 2022, la société Prefiloc Capital a, par acte du 2 décembre 2022, fait assigner le preneur devant le tribunal de commerce de Bordeaux en restitution du matériel et paiement des sommes restant dues après résiliation du contrat.
2. Par jugement du 5 octobre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la société Prefiloc Capital SAS de l'intégralité de ses demandes,
- condamné la société Prefiloc Capital à payer à la société Mix [Localité 4] la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Prefiloc Capital aux dépens.
3. Par déclaration au greffe du 6 novembre 2023, la SAS Prefiloc Capital a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS Mix [Localité 4].
Par jugement du 13 novembre 2023, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Mix Evry, et a désigné la SELAFA MJA en qualité de mandataire, en la personne de Maître [N] [M].
La société Mix [Localité 4] a formé appel incident.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
4. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 27 mai 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Prefiloc Capital demande à la cour de :
Vu les articles 1103 & 1104 du code civil ;
Vu les conditions générales du contrat de location, et notamment les articles 10 & 11;
Vu la jurisprudence ;
Vu les pièces versées au débat.
- Infirmer la décision entreprise ;
En conséquence,
- Débouter la société Mix [Localité 4] de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner la société Mix [Localité 4] à payer à la société Prefiloc Capital la somme de 3215.52 euros, outre les intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, lesquels ne pourront être intérieurs à trois fois le taux d'intérêt légal ;
- juger que cette somme sera fixée au passif du redressement judiciaire de la société Mix [Localité 4],
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société Mix [Localité 4] à payer la somme de 2 000 euros à la société Prefiloc Capital à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la société Mix [Localité 4] à payer à la société Prefiloc Capital la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Mix [Localité 4] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrées conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
5. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 23 avril 2024 formant appel incident, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Mix [Localité 4] et la SELAFA MJA en la personne de Maitre [M] demandent à la cour de :
Vu les articles 1186, 1217, 1219, 1226, 1231-5 du code civil ;
Vu l'article L442-1 du code de commerce ;
Vu les articles L212-1 du code de la consommation ;
Vu la jurisprudence citée ;
Vu les pièces versées au débat;
- Dire la société Mix [Localité 4] recevable et bien fondée;
- Débouter la société Prefiloc Capital de toutes ses demandes, fins et prétentions;
- Infirmer le jugement du 5 octobre 2023 rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux
Statuant à nouveau:
A titre principal,
- Débouter la société Prefiloc Capital de toutes ses demandes, fins et prétentions.
- Constater le contrat de location financière conclu entre Mix [Localité 4] et Prefiloc Capital a été résilié par la société Mix [Localité 4] le 29 décembre 2021.
En conséquence,
- Juger que les loyers impayés dont la société Prefiloc Capital demande le recouvrement correspondent à des échéances où le contrat avait été résilié.
- Débouter la société Prefiloc Capital de sa demande de paiement des loyers mensuels impayés à hauteur de 626,40 euros.
- Constater que les conditions générales de location créent un déséquilibre significatif entre les partenaires commerciaux au détriment de la société Mix [Localité 4].
En conséquence,
- Prononcer la nullité de l'indemnité de résiliation ainsi que de la clause pénale de 10% figurant dans le contrat de location financière.
- Condamner la société Prefiloc Capital à indemniser la société Mix [Localité 4] à hauteur de 1000 euros pour ce déséquilibre significatif.
A titre subsidiaire, à défaut de nullité et d'engagement de responsabilité,
- Constater que l'indemnité de résiliation, en sus de la clause pénale de 10%, doit donc être considérée comme une clause pénale, susceptible en ce sens de réduction par le juge,
- Réduire la clause pénale du contrat de location à de justes proportions qui en l'espèce ne sauraient dépasser l'euro symbolique ;
En tout état de cause,
- Condamner la société Prefiloc Capital au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner la société Prefiloc Capital aux entiers dépens
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 juin 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DECISION:
Moyens des parties:
6. Se fondant sur les articles 1186, 1217, 1219 et 1226 du code civil, la société Mix [Localité 4] soutient en premier lieu qu'en raison du défaut de livraison des scanners permettant la lecture de QR codes avec la solution logicielle QOODOS, elle a résilié le contrat la liant à la société Popina, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2021, qui emporte de ce fait caducité du contrat conclu avec Prefiloc Capital, du fait de l'interdépendance des contrats.
7. La société Prefiloc réplique que la société Mix [Localité 4] devait assumer l'entière responsabilité de son choix de matériel, qui a donné lieu à procès-verbal de réception de livraison sans réserve et de conformité (l'installation s'étant effectuée sans difficulté le 21 juillet 2021), de sorte qu'elle ne peut utilement arguer d'un défaut de conformité du matériel.
Réponse de la cour:
8. Selon les dispositions de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
9. Le contrat de location mentionne (de manière particulièrement peu précise) qu'il a pour objet 'Software', avec une prestation de maintenance.
La vente entre la société Popina et la société Prefiloc Capital a donné lieu à une facture de 2468.96 euros, qui porte sur 'Configuration caisse, Licence Qoodos' (permettant la mise en place par le commerçant locataire d'une programme de fidélité).
10. Il en résulte que le contrat avait donc pour objet un logiciel, et non du matériel d'emploi, tel que des scanners branchés aux caisses ('douchettes').
Il n'est pas démontré que ce type de matériel ait été indispensable à l'utilisation du logiciel, et le procès-verbal de livraison du matériel, conformité et bon fonctionnement a été signé sans aucune protestation ou réserve de la part de la société Mix [Localité 4], le 21 juillet 2021.
Les griefs formulés par la société Mix [Localité 4] par courriels ne sont pas confortés par des éléments objectifs probants, et leur caractère sérieux ne peut se déduire du silence conservé par le fournisseur.
11. Les pièces communiquées ne révèlent donc ni un défaut de délivrance conforme, ni un manquement grave de la société Popina à ses obligations dans le cadre de l'exécution du contrat, justifiant sa résolution par voie de notification unilatérale.
Au surplus, la société Mix [Localité 4] n'a pas mis en cause la société Popina, de sorte qu'il est impossible de constater, au contradictoire de cette dernière, le bien-fondé d'une telle résolution unilatérale, ni de la prononcer.
12. Dès lors, le contrat de location avec la société Prefiloc Capital n'a pu se trouver atteint de caducité, par le seul effet de la notification de la lettre recommandée avec accusé de réception du 29 décembre 2021.
Sur les demandes en paiement de la société Prefiloc:
Moyens des parties:
13. Se fondant sur l'article préliminaire du code de la consommation, sur les dispositions des articles L.212-1 et R.632-1 du code de la consommation, et sur celles de l'article L.442-6-I 2° du code de commerce, la société Mix [Localité 4] fait valoir que la clause relative à la résiliation du contrat d'adhésion créée des obligations injustifiées et non réciproques en réservant le droit de résiliation sans indemnité au seul loueur, de sorte qu'il existe un déséquilibre significatif entre les partenaires commerciaux, à son détriment.
Elle conclut donc à l'annulation de la clause de déchéance du terme, et de la clause pénale de 10%.
A titre subsidiaire, elle entend voire réduire le montant de cette clause, selon elle manifestement excessive, sur le fondement de l'article 1231-5 du code civil.
14. La société Prefiloc Capital réplique que l'indemnité de résiliation a poiur seul objet la réparation du préjudice qu'elle subit du fait de la fin anticipée du contrat.
Réponse de la cour:
15. La société Mix [Localité 4] est une personne morale commerçante par la forme (SARL) qui a conclu le contrat de location pour les besoins de son activité professionnelle, de sorte qu'elle ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées du code de la consommation au soutien de sa demande de nullité de clauses, selon elle abusives.
16. Selon les dispositions de l'article L.442-1-I 2°du code de commerce, 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de service, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
17. La société Mix [Localité 4] a fondé à tort sa demande en nullité de clauses sur les dispositions spécifiques de l'article L.442-1 du code de commerce, alors que celles-ci ne sont pas applicables aux contrats de location financière conclus par des sociétés de financement telles que la société Préfiloc Capital qui, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du code monétaire au financier, ne sont pas soumises aux textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence (Cour de cassation, chambre commerciale 15 janvier 2020, n° 18-10.512 et Cour de cassation, chambre commerciale, 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.782).
La demande en nullité de clauses doit dès lors être rejetée, dès lors que les conditions d'application de l'article précité ne sont pas réunies.
18. Au vu des stipulations contractuelles, et de la mise en demeure du 29 juin 2022 invoquant les termes de la clause de résiliation, restée infructueuse après un délai de huit jours, ce qui a entraîné la déchéance du terme et la résiliation du contrat, la société Locam est bien fondée à faire fixer sa créance comme suit :
-échéances impayées: 487.20 euros
- l'indemnité en réparation du préjudice subi, égal au montant des loyers restant à échoir à la date de résiliation: 35x69.60 = 2088 euros (article 11- Résiliation).
Cette indemnité, qui présente le caractère de clause pénale, n'apparaît pas manifestement excessive dès lors que l'interruption des paiements est intervenue dès les premières échances du contrat, qui aurait dû s'exécuter jusqu'au 10 juillet 2025, de sorte que le loueur a perdu la possibilité d'amortir le financement du logiciel de caisse.
En revanche, la clause pénale complémentaire de 10 % apparaît manifestement excessive au regard de l'indemnité précédemment allouée, elle doit être modérée en application de l'article 1231-5 et réduite à 100 euros.
19. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement, et, statuant à nouveau, de fixer à la somme de 2675.20 euros la créance de la société Prefiloc Capital au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Mix [Localité 4].
En application des dispositions de l'article L.622-28 du code de commerce, la demande tendant à la capitalisation des intérêts par année enière doit être rejetée.
Sur les demandes accessoires :
20. La société appelante ne justifie pas que la société Mix [Localité 4] ait commis un abus dans le droit de défendre justice, de sorte que sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.
21. Il convient d'ordonner l'emploi des dépens en frais prévilégiés de redressement judiciaire.
Il est équitable de rejeter les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:
Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 5 octobre 2023,
Statuant à nouveau,
Fixe la créance de la société Prefiloc Capital au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Mix [Localité 4] à la somme de 2675.20 euros,
Rejette les autres demandes de la société Prefiloc Capital,
Déboute la société Mix [Localité 4] de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel,en frais privilégiés de procédure collective,
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.