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Décisions

Cass. crim., 24 septembre 2025, n° 25-80.120

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

Mme Chafaï

Avocat général :

M. Micolet

Avocats :

SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Spinosi

Paris, 2e sect., du 19 déc. 2024

19 décembre 2024

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une enquête préliminaire a été diligentée des chefs, notamment, de fraude fiscale, à l'encontre de M. [M] [L].

3. M. [L] est soupçonné de détenir indirectement, en sa qualité de bénéficiaire effectif de droits immobiliers logés dans différentes sociétés, un patrimoine immobilier qu'il a omis de déclarer à l'administration fiscale, le montant de l'impôt éludé au titre de l'impôt sur la fortune immobilière s'établissant à 94 460 440 euros.

4. Les investigations ont mis en évidence que la société de droit luxembourgeois [12] (la société [12]) détient la totalité du capital de la société holding de droit danois [7] (la société [7]), laquelle détient elle-même vingt-deux sociétés de droit danois et six sociétés de droit français, dont la société de droit français [2] (la société [2]), par l'intermédiaire de trois sociétés de droit luxembourgeois. Ces sociétés de droit danois ou français sont propriétaires de nombreux biens immobiliers, situés en partie à [Localité 11].

5. Détenues initialement par M. [L], les parts de la société [12] ont été transférées en 2005 à un trust dénommé [13], situé à [Localité 9], puis cédées en 2006 par dation dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie à la société de droit luxembourgeois [5], venant aux droits de la société [4]. Le souscripteur et le bénéficiaire de l'assurance-vie seraient le trust, tandis que la personne assurée serait M. [L].

6. Le 2 mars 2023, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie entre les mains d'un notaire de la somme de 94 460 440 euros, produit de la vente par la société [2] d'un ensemble immobilier situé
[Adresse 3] au prix de 1 032 000 000 euros.

7. Une information a été ouverte le 8 mars 2023. M. [L] a été mis en examen le même jour des chefs de fraude fiscale, omission d'écritures comptables, fraude fiscale aggravée et blanchiment aggravé.

8. M. [L] et la société [2] ont relevé appel de l'ordonnance de saisie de créance.

Examen de la recevabilité du pourvoi n° 24/01415 formé par la société [2]

9. Seul est recevable le pourvoi n° 24/01432, formé par un avocat au barreau des Hauts-de-Seine porteur d'un pouvoir spécial.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, les quatrième, cinquième et sixième moyens, proposés pour M. [L], le troisième moyen, pris en sa seconde branche, le quatrième moyen, pris en sa seconde branche, et le sixième moyen, pris en sa seconde branche, proposés pour la société [2]

10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen proposé pour M. [L] et le premier moyen proposé pour la société [2]

Enoncé des moyens

11. Le premier moyen, proposé pour M. [L], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale de la somme de 94 460 440 euros détenue par M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à [Localité 11], tiers débiteur de la société « [2] » dans le cadre de la vente de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3], alors « qu'en application des articles 706-153 et D. 43-5 du code de procédure pénale, la compétence du président de la chambre pour statuer seul sur l'appel de l'ordonnance de saisie de biens ou droits incorporels est le principe et la compétence de la chambre de l'instruction l'exception ; que la chambre de l'instruction n'est compétente pour se prononcer sur l'appel de l'ordonnance de saisie de biens ou droits incorporels qu'autant que l'auteur du recours l'a sollicité ou que le président l'a décidé au regard de la complexité du dossier ; que cette demande ou cette décision doit être expressément constaté dans l'arrêt de la chambre de l'instruction ; qu'en statuant ainsi alors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure que les appelants ou le président de la chambre de l'instruction l'aient sollicité, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-153 et D. 43-5 du code de procédure pénale. »

12. Le premier moyen, proposé pour la société [2], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu par la chambre de l'instruction, alors « que le président de la chambre de l'instruction est compétent pour statuer seul sur l'appel de l'ordonnance de saisie de biens ou droits incorporels, sauf si l'auteur du recours a précisé qu'il entendait saisir la chambre de l'instruction dans sa formation collégiale ou si le président décide, au regard de la complexité du dossier, d'en renvoyer l'examen à la chambre dans sa composition collégiale ; qu'en se prononçant sur les appels interjetés contre l'ordonnance de saisie pénale d'une créance, lorsque ni les appelants, ni le président de la chambre n'avaient sollicité que l'affaire soit examinée dans sa formation collégiale, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 706-153, D. 43-5 et 592 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Les moyens sont réunis.

14. L'arrêt a été rendu par la chambre de l'instruction dans sa composition collégiale, sans qu'il résulte des pièces du dossier que les parties en aient fait la demande ou que cet examen procède d'une décision de son président prise au regard de la complexité du dossier.

15. Dès lors que l'article 706-153, alinéa 2, du code de procédure pénale donne compétence au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel formé contre une décision de saisie pénale, et que la loi n'a pas elle-même fixé de critère de répartition entre ces deux juridictions, le non-respect des dispositions de l'article D. 43-5 du même code relatives aux modalités selon lesquelles la chambre de l'instruction peut être saisie, qui ne constituent pas des mesures d'application de la loi, ne peut être sanctionné.

16. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le deuxième moyen proposé pour la société [2]

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale d'une créance de 94 460 440 euros qu'elle détenait sur M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à Paris 8e, alors « que la chambre de l'instruction statuant sur le recours d'un tiers appelant d'une ordonnance de saisie doit énoncer que ce dernier a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste et, le cas échéant, aux pièces précisément identifiées sur lesquelles elle se fonde pour justifier la mesure dans ses motifs décisoires, ainsi qu'identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat du tiers appelant ; qu'en se prononçant sans que les mentions de l'arrêt ne permettent de s'assurer que la société [2] a eu accès aux réquisitions aux fins de saisie, ainsi qu'à la cote D174 et aux documents visés par elle, sur lesquelles la juridiction s'est précisément fondée dans ses motifs décisoires, la chambre de l'instruction a méconnu les articles préliminaire, 706-153 et 591 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 706-153 du code de procédure pénale :

18. Il résulte du second de ces textes que l'appelant d'une ordonnance de saisie spéciale de biens ou droits incorporels peut prétendre, dans le cadre de son recours, à la mise à disposition des pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste, consistant en l'ordonnance attaquée et, le cas échéant, la requête du ministère public.

19. Il résulte du premier que la chambre de l'instruction saisie d'un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, qui, pour justifier d'une telle mesure, s'appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure, est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante.

20. Il se déduit de ce qui précède que, lorsqu'elle statue sur le recours du tiers appelant sur la saisie de biens ou droits incorporels, la chambre de l'instruction ne peut satisfaire aux exigences relatives à l'accès du demandeur aux pièces du dossier par la seule mention, conforme aux dispositions de l'article 197, alinéa 3, du code de procédure pénale, selon laquelle le procureur général a déposé le dossier et ses réquisitions écrites au greffe de la chambre de l'instruction pour être tenus à la disposition des avocats des parties.

21. Les mentions de l'arrêt doivent en conséquence énoncer que le tiers appelant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste et, le cas échéant, aux pièces précisément identifiées sur lesquelles la chambre de l'instruction se fonde pour justifier la mesure dans ses motifs décisoires, ainsi qu'identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, auquel l'article 194, alinéa 1er, du code de procédure pénale confie la mise en état de l'affaire, chacune des pièces mises à la disposition de l'avocat du tiers appelant.

22. Pour confirmer la saisie pénale d'une créance de somme d'argent, l'arrêt attaqué mentionne que le dossier comprenant le réquisitoire écrit de la procureure générale en date du 26 mars 2024 a été déposé au greffe de la chambre de l'instruction et tenu à la disposition des parties.

23. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.

24. D'une part, s'il n'est pas contesté que la demanderesse a reçu notification de l'ordonnance de saisie du juge des libertés et de la détention, il ne ressort pas des mentions de l'arrêt que la requête du ministère public aux fins de saisie a été mise à la disposition de l'appelante et de son avocat.

25. D'autre part, la chambre de l'instruction ne s'est pas assurée que l'appelante a été destinataire d'une copie de la cote D174, pièce sur laquelle elle se fonde pour confirmer la mesure de saisie contestée.

26. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [L]

Enoncé du moyen

27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale de la somme de 94 460 440 euros détenue par M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à [Localité 11], tiers débiteur de la société « [2] » dans le cadre de la vente de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3], alors :

« 1°/ que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; qu'en vertu de ce principe, la chambre de l'instruction, statuant sur appel d'une ordonnance de saisie, ne peut modifier d'office le fondement de celle-ci sans avoir invité au préalable les parties à en débattre ; que, par ordonnance du 2 mars 2023, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie en valeur de la somme de 94 460 440 euros sur le fondement de l'article 131-21, alinéa 9 du code pénal, qui permet la confiscation du produit de l'infraction ; que la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance entreprise mais a retenu que « la saisie est fondée sur l'alinéa 6 de l'article 131-21 du code pénal et non au titre du produit de l'infraction » (arrêt, p. 10) ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a modifié le fondement de la saisie sans inviter les parties à en débattre, a méconnu des articles 706-141 et suivants du code de procédure pénale, ensemble l'article préliminaire du code de procédure pénale et l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale :

28. Selon ces textes, la chambre de l'instruction, statuant sur appel d'une ordonnance de saisie, ne peut modifier d'office le fondement de celle-ci sans avoir invité au préalable les parties à en débattre.

29. Pour confirmer l'ordonnance de saisie de créance de somme d'argent, l'arrêt, après avoir énoncé qu'au titre des infractions de fraude fiscale et de blanchiment, la peine complémentaire de confiscation est encourue, retient que la saisie est fondée sur l'alinéa 6 de l'article 131-21 du code pénal et non au titre du produit de l'infraction, M. [L] encourant la confiscation de son patrimoine, comprenant les biens dont il a la libre disposition et donc les biens de la société [2].

30. L'ordonnance entreprise précise, quant à elle, que la créance constituée par le prix net de la vente de l'ensemble immobilier encourt la confiscation en valeur, conformément à l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal, à hauteur de 96 460 440 euros, qui constitue le produit de l'infraction de fraude fiscale aggravée reprochée à M. [L].

31. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction qui, sous couvert d'une substitution de motifs, a en réalité, sans débat contradictoire préalable, modifié le fondement de la saisie effectuée, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

32. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.

Et sur le troisième moyen proposé pour M. [L], le quatrième moyen, pris en sa première branche, et le cinquième moyen, proposés pour la société [2]

Enoncé des moyens

33. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale de la somme de 94 460 440 euros détenue par M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à [Localité 11], tiers débiteur de la société « [2] » dans le cadre de la vente de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3], alors « que les saisies de patrimoine ne peuvent porter que sur des biens dont le mis en examen est propriétaire ou a la libre disposition ; que lorsque le bien est la propriété d'une société, la libre disposition suppose un pouvoir de direction de droit ou de fait de cette société ; que lorsque cette société est logée dans un trust dont il est constaté que la personne mise en cause en serait le bénéficiaire, il appartient au juge d'analyser le fonctionnement et les effets concrets de ce trust pour déterminer si en cette qualité de bénéficiaire la personne mise en cause dispose de manière concrète d'un pouvoir de direction sur cette entité du trust et par suite sur les biens dont elle est le propriétaire ; qu'en se bornant à constater, pour caractériser la libre disposition de la somme saisie, que monsieur [L] serait le « bénéficiaire économique final des entités détenues au travers de la société [12] » (arrêt, p. 9), cependant que, à la supposer établie, la qualité de bénéficiaire économique final d'un trust ne peut établir par elle-même un pouvoir concret de direction sur les entités de ce dernier, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les articles 131-21 alinéa 6 du code pénal, 706-153 et 593 du code de procédure pénale. »

34. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale d'une créance de 94 460 440 euros qu'elle détenait sur M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à Paris 8e, alors :

« 1°/ que, d'une part, en déduisant que M. [L] avait la libre disposition des biens de la société [2] du seul fait qu'il serait le bénéficiaire économique final, par le biais d'un trust, de différentes entités détenues au travers d'une société (arrêt, p. 9, § 2), sans rechercher, comme l'y invitait pourtant la société exposante, si, indépendamment de cette qualité de bénéficiaire effectif du trust, M. [L] exerçait concrètement des prérogatives révélatrices de l'exercice du droit de propriété sur les biens de la société [2], la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 alinéa 6 du Code pénal, 706-153 et 593 du Code de procédure pénale. »

35. Le cinquième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale d'une créance de 94 460 440 euros qu'elle détenait sur M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à Paris 8e, alors :

« 1°/ que, d'une part, l'absence de bonne foi du tiers propriétaire résulte de la circonstance qu'il sait ne pas être le propriétaire économique réel des biens saisis ; qu'en retenant pour écarter la bonne foi de la société [2] qu'elle serait « l'instrument de l'infraction de fraude fiscale et de blanchiment » (arrêt, p. 9, § 5), sans s'assurer qu'elle savait qu'elle n'avait pas la libre disposition de ses biens, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 du Code pénal, 706-153 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ que, d'autre part et en tout état de cause, en retenant pour écarter la bonne foi de la société [2] que sa domiciliation en France n'avait pas d'autre explication que d' « éluder le prélèvement de l'article 244 bis A du CGI » (arrêt, p. 10 § 1), lorsque la saisie avait initialement été prononcée afin de garantir le prononcé d'une éventuelle peine de confiscation en répression du délit fraude fiscale résultant, non pas du non-paiement du prélèvement dû au titre de l'article 244 bis A du Code général des impôts, mais du non-paiement, par [M] [L], de certaines sommes dues au titre de l'IFI, la chambre de l'instruction qui a apprécié le caractère confiscable de la créance de 94 460 440 € en considération de faits différents de ceux en vertu desquels la saisie avait initialement été ordonnée par le JLD, sans avoir préalablement invité la société [2] à en débattre, a méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense garantis par les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du Code de procédure pénale, ensemble l'article 591 du même Code. »

Réponse de la Cour

36. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 131-21 du code pénal, 706-153 et 593 du code de procédure pénale :

37. Il se déduit des deux premiers de ces textes qu'un bien ou droit incorporel susceptible de faire l'objet d'une confiscation de patrimoine peut être saisi s'il appartient à la personne mise en cause ou si elle en a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

38. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

39. Pour confirmer la saisie, l'arrêt énonce, en premier lieu, que la société [7] est intégralement détenue par la société [12], société de droit luxembourgeois dont l'associé unique était M. [L], qu'en 2005 le capital social de la société a été augmenté et les nouvelles parts intégralement souscrites par M. [L], puis cédées le jour même au trust familial [13] ([Localité 9]), et qu'en 2006, le trust a cédé l'intégralité de ses parts à la société de droit luxembourgeois [4].

40. Les juges observent que M. [L] est décrit dans plusieurs documents saisis par l'administration fiscale française, rédigés en italien, comme l'ayant droit final des droits immobiliers logés dans les sociétés interposées, qu'ainsi, un document de présentation de la structure et des activités du groupe précise qu'[4] détient le capital de la société [12] via une assurance-vie au nom/bénéfice de M. [L], dont le bénéficiaire final est un trust familial de [Localité 9], et qu'un second document indique que [13] possède le capital de toutes les sociétés du groupe.

41. Les juges ajoutent que le libellé des polices d'assurance-vie ferait apparaître que le souscripteur et le bénéficiaire des polices est le trust et la personne assurée M. [L], et que la rédaction des polices d'assurance contredirait l'intention initiale des contrats, à savoir qu'en cas de rachat partiel ou total, les fonds reviendraient à M. [L], et non au trust.

42. Les juges remarquent que dans le cadre du contrôle sur pièces diligenté, selon une réponse à assistance administrative de l'administration luxembourgeoise, le souscripteur du contrat d'assurance-vie est représenté par son trustee, [6], société de droit néo-zélandais constituée en 2010, le contrat ayant été souscrit par [10] ([Localité 9]) trustee du [6], avec comme assuré M. [L].

43. Les juges concluent que dès lors que M. [L] est le bénéficiaire effectif du trust, lui-même bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et étant le seul assuré, il est le bénéficiaire économique final des entités détenues au travers de la société [12], et qu'il a donc la libre disposition des sommes objet de la présente saisie.

44. Les juges retiennent, en second lieu, qu'il existe des indices de commission de l'infraction à l'encontre de la société [2] puisque cette société est l'instrument de l'infraction de fraude fiscale et de blanchiment et qu'elle ne peut donc pas être considérée comme de bonne foi.

45. Les juges relèvent qu'en effet, cette société était immatriculée au RCS de Paris depuis 2008 en tant que société de droit étranger, son siège étant situé au Danemark, qu'elle a été radiée du RCS le 20 septembre 2022 et ré-immatriculée le 28 février 2023 avec comme date de création le 19 janvier 2022, que dès lors, en se prévalant de disposer de son siège social en France au moyen de la fourniture d'un contrat de domiciliation, elle a indiqué dans l'acte de vente ne pas se soumettre au prélèvement de l'article 244 bis A du code général des impôts sur la plus-value réalisée lors de la vente.

46. Les juges indiquent que la plus-value s'élevait à environ 656 212 391 euros, induisant un impôt de 164 053 098 euros.

47. Ils ajoutent que la société ne disposant d'aucune substance au [Adresse 1], aucune autre raison qu'éluder le prélèvement de l'article 244 bis A du code général des impôts ne permettait d'expliquer ce changement du siège.

48. Ils concluent que la société [2], qui est une des sociétés du schéma d'interposition dans les faits de blanchiment de fraude fiscale aggravé, ne saurait être considérée comme un propriétaire de bonne foi et elle est susceptible d'être redevable de ce prélèvement et donc de la somme de 164 053 098 euros.

49. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a insuffisamment justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

50. D'une part, il ne peut être déduit de la seule affirmation que M. [L] est le bénéficiaire effectif du trust, même combinée au constat qu'il est la personne assurée dans le cadre du contrat d'assurance-vie dont le trust est bénéficiaire, qu'il a la libre disposition des actifs mis en trust, dès lors que la notion de bénéficiaire effectif au sens que lui confère l'article 1649 AB du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020, ne désigne pas uniquement les personnes physiques exerçant un contrôle effectif sur le trust, mais inclut toutes personnes physiques ayant la qualité d'administrateur, de constituant, de bénéficiaire et, le cas échéant, de protecteur du trust.
51. Il appartient au juge, pour établir la libre disposition par M. [L] du bien dont le produit de la vente fait l'objet de la saisie critiquée, de démontrer que celui-ci est le propriétaire économique du trust dans lequel le bien est indirectement placé, en ce que le trust n'en est que le propriétaire juridique apparent, interposé pour dissimuler la réalité de la propriété détenue ou exercée par l'intéressé, par des éléments qui peuvent être, notamment, tirés de l'analyse du fonctionnement concret du trust concerné.

52. Le juge peut également établir que M. [L] est le propriétaire économique du bien en ce que la société [2] n'en est que le propriétaire juridique apparent, interposée pour dissimuler la réalité de la propriété détenue ou exercée par l'intéressé, notamment, par des éléments relatifs à la détention ou à l'exercice de prérogatives de gestion ou de disposition sur ledit bien.

53. D'autre part, les motifs par lesquels la chambre de l'instruction établit le caractère fictif de la société [2] et son rôle d'interposition sont impropres à établir son absence de bonne foi, dès lors qu'ils se rapportent à des faits de fraude fiscale et de blanchiment distincts et en l'absence de démonstration de ce qu'ils sont susceptibles d'être étendus aux faits pour lesquels M. [L] est mis en examen.

54. La cassation est par conséquent encore encourue.

Et sur le sixième moyen, pris en sa première branche, proposé pour la société [2]

Enoncé du moyen

55. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale d'une créance de 94 460 440 euros qu'elle détenait sur M. [V] [T], notaire au sein de l'étude [8] à Paris 8e, alors :

« 1°/ que, d'une part, en retenant que « [la saisie] n'est pas davantage disproportionnée au regard de la société appelante » (arrêt, p. 10, § 5), sans prendre en considération, comme l'y invitait pourtant la société [2] dans son mémoire, les deux autres saisies ordonnées le même jour et pratiquées sur des créances lui appartenant, afin d'apprécier la proportionnalité de l'atteinte portée à son droit de propriété, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 du Code pénal, 706-153 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier protocole additionnel à la Convention. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

56. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

57. Pour confirmer la saisie, l'arrêt énonce, notamment, que la mesure n'est pas disproportionnée au regard de la situation financière de la société appelante qui invoque ses éventuelles dettes ou charges mais sans en justifier alors qu'elle est l'instrument de la fraude et du blanchiment dans ce montage complexe du schéma de fraude orchestré aux fins d'éluder l'impôt, pour des montants considérables, les faits étant réitérés dans le temps, et ajoute que les faits sont graves en ce qu'ils sont commis au détriment des finances publiques.

58. En se déterminant ainsi, sans répondre au mémoire de la demanderesse, qui faisait valoir que, pour apprécier la proportionnalité de l'atteinte portée par la mesure à son droit de propriété, les juges devaient prendre en considération au titre de sa situation personnelle les saisies prescrites dans une procédure distincte, sur ce même produit de la cession de l'immeuble, à hauteur de 164 053 000 euros et 202 909 958,60 euros, la chambre de l'instruction a insuffisamment justifié sa décision.

59. Ainsi, la cassation est aussi encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation, pris en sa première branche, proposé pour la société [2], la Cour :

Sur le pourvoi n° 24/01415 formé par la société [2] :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi n° 24/01432 formé par Société [2] et sur le pourvoi formé par M. [L] :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 19 décembre 2024, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

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