Cass. crim., 24 septembre 2025, n° 24-82.624
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Piazza
Avocat général :
M. Micolet
Avocats :
SCP Waquet, SCP Farge, SCP Hazan, SCP Féliers
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le parquet européen a été saisi d'une enquête portant sur des faits d'escroquerie à la TVA, fausse déclaration de valeur en douane, en bande organisée, et blanchiment, pour un préjudice fiscal de l'Etat belge estimé à la somme de 303 346 695 euros pour les années 2019 à 2023, mettant en cause le groupe hongkongais [2] [5], importateur sur le marché européen de divers produits en provenance de Chine et de Hongkong.
3. Le 7 août 2023, le procureur européen délégué en Belgique a pris une décision de délégation à son homologue français de mesures d'enquête portant notamment sur l'identification des comptes et des mouvements bancaires des dix-neuf sociétés du groupe situées en France.
4. Sur autorisation du procureur européen délégué français du 23 août 2023, l'officier de douane judiciaire de l'administration fiscale a procédé à la saisie pour un montant de 1 664 555 euros du compte [XXXXXXXXXX01], dont est titulaire dans les livres de la [4] de [Localité 6] (93), la société [2] [3] appartenant au groupe susvisé.
5. Le juge d'instruction de Namur a pris le 24 août 2023 une ordonnance de saisie-arrêt conservatoire et a établi un certificat de gel qu'il a transmis au procureur européen délégué belge en charge de l'enquête, lequel a, le même jour, établi une délégation à son homologue français aux fins de saisie.
6. Par ordonnance du 29 août 2023, le juge des libertés et de la détention de Paris a ordonné le maintien de la saisie.
7. Le 6 septembre 2023, la société [2] [3] a relevé appel de cette ordonnance qui lui a été notifiée le 30 août 2023.
Examen de la recevabilité du pourvoi
8. La déclaration de pourvoi a été faite au nom de la demanderesse par un avocat au barreau des Hauts-de-Seine, dont le pouvoir spécial exigé par l'article 576 du code de procédure pénale est signé par M. [Z] [N], personne qui apparaît dans la procédure comme étant le représentant légal de la personne morale.
9. Le pourvoi est dès lors recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
10. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné le maintien de la saisie des sommes, à hauteur de la somme de 1 664 555 euros, figurant sur le compte dont était titulaire la société [2] [3] sous le numéro [XXXXXXXXXX01] à la [4], alors « que, le procureur européen délégué assistant ne peut ordonner une des mesures visées à l'article 30 du règlement 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen que sur délégation préalable du procureur européen délégué en charge de l'affaire, contenant tous les éléments nécessaires pour lui permettre d'exécuter la mesure et fixant le délai d'exécution de celle-ci ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a constaté que la saisie effectuée sur les comptes détenus en France par la société [2] [3] avait été ordonnée par le procureur européen délégué assistant en France le 23 août 2024 et réalisée le même jour (arrêt, p. 9, § 4 à 6) puis que, « par décision du 24 août 2023, Mme Vanderputten, [procureur européen délégué en charge de l'affaire] a pris une décision déléguant à Mme Popescu-Boulin [procureur européen délégué assistant en France] une mesure de saisie de ces comptes » (arrêt, p. 9, § 7) ; en jugeant, pour refuser d'ordonner la mainlevée de cette saisie, que « lorsque Mme Vanderputten demande par un courriel à Mme Popescu-Boulin que des précautions soient prises dès le matin du 23 août 2023 afin d'éviter que des fonds s'évaporent, il était légitime que cette dernière sollicite le SEJF pour procéder à la saisie » (arrêt, p. 9, ult. §), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que Mme Popescu-Boulin, procureur européen délégué assistant, avait ordonné la saisie des comptes litigieux avant même d'avoir reçu délégation à cette fin du procureur européen délégué belge en charge de l'affaire, sur la base d'une simple instruction informelle du procureur européen délégué en charge de l'affaire adressée le matin même, de sorte que l'exécution de cette saisie en France était irrégulière, a violé les articles 30 et 31 du Règlement (UE) 2017/1939 du conseil du 12 octobre 2017, ensemble les articles 131-21 du code pénal et 706-154 du code de procédure pénale ; la cassation pourra intervenir sans renvoi. »
Réponse de la Cour
12. Pour dire régulière la saisie ordonnée le 23 août 2023 par le procureur européen délégué français et confirmer son maintien par le juge des libertés et de la détention, l'arrêt attaqué énonce notamment que le juge d'instruction belge a informé ce magistrat le 22 août 2023 qu'il lui adresserait une demande de gel des avoirs le lendemain par l'intermédiaire du procureur européen délégué belge en charge de l'enquête et que, le 23 août 2023 à 9 heures 49, ce dernier magistrat a informé son homologue français que des instructions de gel du compte et une ordonnance de saisie seraient matérialisées par le juge dans la journée, toutes précautions devant d'ores et déjà être prises pour éviter que les fonds ne disparaissent.
13. Les juges précisent que, le même jour, le juge d'instruction a demandé au procureur européen belge en charge de l'enquête de s'adresser à son homologue français pour qu'il requière les institutions bancaires concernées afin qu'elles ne se dessaisissent pas des valeurs durant cinq jours.
14. Ils ajoutent qu'ensuite de l'établissement, le 24 août 2023, d'une part, par le juge d'instruction, d'un certificat de gel et d'une ordonnance de saisie-arrêt conservatoire des sommes inscrites au crédit du compte bancaire litigieux, d'autre part, par le procureur européen délégué belge en charge de l'enquête, de la délégation de la mesure à son homologue français, ce magistrat a saisi le juge des libertés et de la détention d'une requête aux fins de maintien de la saisie, à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 29 août 2023.
15. Ils relèvent que la décision de gel est une notion autonome du droit de l'Union qui correspond dans l'ordre juridique interne à une décision de saisie pénale et qui, en application de l'article 695-9-1 du code de procédure pénale, est soumise aux mêmes règles et entraîne les mêmes effets juridiques que celle-ci.
16. Ils concluent qu'il se déduit des instructions données par le procureur européen délégué belge en charge de l'enquête de prévenir la disparition des fonds à son homologue français que celui-ci était légitime à solliciter leur saisie par les services fiscaux et que l'ordonnance de maintien de saisie rendue par le juge des libertés et de la détention après que le juge d'instruction et le procureur européen délégué belge en charge de l'enquête eurent formalisé leurs demandes est régulière.
17. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, un ordre de saisie, qui ne requiert aucun formalisme, a été donné par le procureur européen délégué français à l'officier de police à la demande du procureur européen délégué et du juge d'instruction belges en charge de l'enquête.
19. En deuxième lieu, l'article 706-154 du code de procédure pénale portant sur la saisie d'un compte bancaire dispose qu'elle est autorisée par tout moyen par le procureur de la République.
20. Enfin, en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le maintien de la saisie des sommes, à hauteur de la somme de 1 664 555 euros, figurant sur le compte dont était titulaire la société [2] [3] sous le numéro [XXXXXXXXXX01] à la [4], alors :
« 1°/ d'une part, que, si dans le cadre d'une enquête transfrontalière, le contrôle effectué au sein de l'État membre du procureur européen délégué assistant ne peut porter que sur les éléments relatifs à l'exécution de cette mesure, c'est à la condition que le droit de l'État du procureur européen délégué chargé de l'affaire permette à l'intéressé de contester, dans le cadre d'un recours juridictionnel effectif, les éléments relatifs à la justification et à l'adoption de cette mesure ; que faute de la faculté d'exercer, en pratique, un tel recours juridictionnel effectif dans cet État, la personne visée par la mesure doit pouvoir contester devant le juge de l'État membre d'exécution, les éléments relatifs à sa justification et à son adoption ; qu'en l'espèce, la société [2] [3] faisait valoir qu'afin que lui soit garanti un recours juridictionnel effectif, le juge français était tenu de se prononcer sur le fond de la saisie dont les sociétés du groupe [2] faisaient l'objet, « dès lors qu'elles n'ont pas accès au dossier pénal belge et que les décisions prises par le juge d'instruction Gilson ou le procureur européen délégué belge ne leur sont ni notifiées ni simplement communiquées » (mémoire devant la chambre de l'instruction, p. 12) ; en se bornant à retenir « l'absence de compétence pour statuer au fond, sur le bien fondé de la saisie » (arrêt, p. 10), sans s'assurer que la société [2] [3] avait été, en pratique, en mesure de contester, devant les juridictions belges, le bien-fondé de la saisie, la chambre de l'instruction a violé les articles 31 et 32 du règlement 2017/1939 du 12 octobre 2017, ensemble les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, préliminaire du code de procédure pénale, 6, § 1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et premier du premier protocole additionnel à cette convention ;
2°/ d'autre part, que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en ne répondant pas au moyen tiré de ce que plusieurs pièces sur lesquelles les juges s'étaient fondés pour contrôler l'exécution de la mesure et ordonner son maintien n'avaient pas été communiquées à la société [2] [3] (voir mémoire devant la chambre de l'instruction, p. 10 et s.), la chambre de l'instruction a privé sa décision de motifs et violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Pour dire régulière et confirmer encore la saisie ordonnée par le procureur européen délégué français ainsi que son maintien par le juge des libertés et de la détention, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'article 31. 2 du Règlement (UE) 2017/1939 mettant en oeuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen dispose que, si le procureur européen délégué chargé de l'affaire peut déléguer toutes les mesures, leur justification et leur adoption sont régies par le droit de l'Etat membre de ce magistrat.
24. Les juges précisent que l'office de la chambre de l'instruction est circonscrit dès lors que le procureur européen délégué français a agi sur délégation du procureur européen délégué belge qui est saisi de l'enquête.
25. Les juges ajoutent que la saisie est intervenue au vu des pièces figurant au dossier de la chambre de l'instruction analysées dans l'arrêt, dossier mis à la disposition des parties.
26. Ils en déduisent qu'en l'absence de compétence pour statuer au fond sur le bien-fondé de la saisie, qui est intervenue au vu des dites pièces, la procédure est régulière.
27. En statuant ainsi, et dès lors que, d'une part, le contrôle des conditions de fond de la saisie relève des juridictions belges en charge de l'enquête, d'autre part, les mentions de l'arrêt mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le tiers appelant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
28. Ainsi, le moyen doit être écarté.
29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;