CA Versailles, ch. civ. 1-1, 16 septembre 2025, n° 23/00282
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56B
Chambre civile 1-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/00282 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VT7K
AFFAIRE :
S.C.E.A. [Adresse 5] (anciennement EARL FERME DE LA CROIX)
C/
S.A.R.L. AEV, prise en la personne de son gérant, M. [G] [Z], représentant légal
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2022 par le Tribunal judiciaire de PONTOISE
N° RG : 21/03842
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- Me SKANDER
- Me DEBRAY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.C.E.A. [Adresse 5] (anciennement EARL FERME DE LA CROIX)
N° SIRET : 434 681 409
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Sami SKANDER de la SELASU SELASU CABINET D'AVOCAT SKANDER, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 202
APPELANTE
****************
S.A.R.L. AEV, prise en la personne de son gérant, M. [G] [Z], représentant légal
N° SIRET : 434 456 661
[Adresse 4]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 23025
Me Denis GUERARD, avocat au barreau de BEAUVAIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pascale CARIOU, Conseillère, faisant fonction de Présidente
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Madame Florence PERRET, Présidente de chambre,
Greffier, lors des débats : Madame Rosanna VALETTE,
FAITS ET PROCEDURE,
Le 6 avril 2017, la SARL AEV et l'EARL [Adresse 5], représentée par M. [D] [S], ont conclu un contrat de prestations de services de travaux agricoles de la part de la SARL AEV pour le compte de l'EARL [Adresse 5], devenue la SCEA Ferme de la Croix.
Le contrat a été conclu pour une durée de 8 ans, renouvelable par tacite reconduction. Le prix fixé entre les parties était le suivant :
- travaux (main d'oeuvre et GNR compris) : 350 euros HT/ha,
* battage de céréales (sauf pois) : 90 euros HT/ha,
* maïs : 110 euros/ha,
* prestation de chargement : 10 euros/ha.
Par acte sous seing privé du 11 novembre 2019, les sociétés AEV et [Adresse 5] ont régularisé un avenant audit contrat, l'article 7 étant modifié pour prévoir un règlement sur 12 mois, sauf pour la prestation de moisson, facturée après récolte. L'acte stipulait également que les sommes non réglées à l'échéance porteront intérêts et que M. [D] [S] se portait caution solidaire des sommes dues au titre du contrat.
Par un avenant du 10 février 2020, les parties ont prévu des consignes de sécurité complémentaires relatives aux interventions sur le chantier.
Par acte d'huissier de justice du 17 février 2021, la société AEV a fait délivrer à l'EARL [Adresse 5] une sommation de payer la somme de 58 153,37 euros correspondant à 8 factures impayées.
À la suite de cette sommation, l'EARL Ferme de la Croix a réglé la somme de 40 851,32 euros au titre de 6 factures.
Par acte d'huissier de justice remis à l'étude le 7 juillet 2021, la SARL AEV a fait assigner l'EARL [Adresse 5] devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins, notamment, de la voir condamner au paiement des sommes dues (68 139,03 euros) et de voir prononcer la résolution du contrat de prestations de services les liant.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 7 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 21 337,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2021,
- condamné l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL AEV les intérêts au taux légal sur la somme de 67 782, 64 euros à compter du 17 février 2021,
- prononcé la résolution judiciaire du contrat de prestations agricoles conclu entre la SARL AEV et l'EARL [Adresse 5] ainsi que les deux avenants subséquents,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 133 380 euros au titre de l'indemnité de rupture,
- condamné l'EARL [Adresse 5] aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration reçue le 12 janvier 2023, la SCEA [Adresse 5] (anciennement l'EARL Ferme de la Croix) a interjeté appel de la décision.
Par dernières conclusions notifiées au greffe le 21 juillet 2023, la SCEA [Adresse 5], appelante, demande à la cour de :
Vu les articles 74, 112, 114, 654, 680, 693 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles 1103, 1104 du code civil,
Vu les articles L 442-1 du code de commerce,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées au débat,
- réformer le jugement rendu par tribunal judiciaire de Pontoise le 7 octobre 2022 en raison d'irrégularités de procédure dans la signification de l'assignation qui n'a pas permis que le jugement soit contradictoire,
In limine litis :
- prononcer la nullité pour vice de forme de la signification de l'assignation du 7 juillet 2021,
- prononcer la nullité pour vice de forme de la signification du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 7 octobre 2022,
- débouter la SARL AEV de ses demandes, fins et conclusions,
en conséquence,
- réformer le jugement en ce qu'il a :
- condamné l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL AEV la somme de 21 337,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2021,
- condamné l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL AEV les intérêts au taux légal sur la somme de 67 782, 64 euros à compter du 17 février 2021,
- prononcé la résolution judiciaire du contrat de prestations agricoles conclu entre la SARL AEV et l'EARL [Adresse 5] ainsi que les deux avenants subséquents,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 133 380 euros au titre de l'indemnité de rupture,
- condamné l'EARL [Adresse 5] aux dépens,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
à titre principal,
- constater la créance d'un montant de 21 337,80 euros a été payée par elle à la SARL AEV,
- constater la créance d'un montant de 67 782,64 euros a été payée par elle à la SARL AEV,
- déouber la SARL AEV de l'ensemble de ses demandes de paiements,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
à titre reconventionnel,
- prononcer la résolution judiciaire du contrat de prestation agricole conclu entre elle et la SARL AEV, ainsi que les deux avenants subséquents aux torts exclusifs de la SARL AEV,
et en conséquence,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 133 380,00 euros au titre de l'indemnité de rupture, augmentée d'un montant de 31 515,75 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier subi,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 7 274,04 euros au titre du remboursement des sommes injustement perçues suite à la variation de l'indice IPAMPA,
- constater qu'elle a changé de dénomination et de siège social, et que la nouvelle dénomination est [Adresse 10], dont le siège social est [Adresse 3] à [Localité 7] (77),
- rappeler que l'exécution provisoire est de droit.
Par dernières conclusions notifiées au greffe le 25 août 2023, la SARL AEV, prise en la personne de son gérant, M. [G] [Z], représentant légal, intimée, demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1103, 1104, 1217 et 1220 du code civil,
- la recevoir en ses présentes écritures et la déclarant bien fondée,
- déclarer irrecevable la société [Adresse 5] en sa demande de nullité de l'assignation introductive d'instance et de la signification du jugement entrepris en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 7 octobre 2022,
- débouter la société Ferme de la Croix de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- condamner la société [Adresse 5] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ferme de la Croix à supporter les entiers dépens de la présente instance.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 12 mars 2025.
Par message RPVA en date du 25 août 2025, les parties ont invitées à faire connaître, par note en délibéré, leurs observations sur la compétence de la présente cour pour statuer sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce avant le 4 septembre 2025.
Dans une réponse adressée le 25 août 2025, le conseil de la société AEV a réitéré son moyen selon lequel les moyens non développés en première instance sont irrecevables et a ajouté qu'aux termes des articles L. 442-4 III et D. 442-3 du code de commerce, la cour d'appel de Paris dispose d'une compétence exclusive pour statuer sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-1 du même code.
Par message RPVA notifié le 2 septembre 2025, le conseil de la société [Adresse 5] indique que s'agissant d'un appel formé à l'encontre d'un jugement du tribunal judiciaire de Pontoise, la cour d'appel de Versailles est compétente, soulignant que celle-ci a été saisie à de multiples reprises dans ce dossier, notamment en référé devant le premier président. Il demande à la cour de se déclarer compétente.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Moyens et arguments des parties
In limine litis, la société Ferme de la Croix soulève la nullité de la signification de l'assignation introductive d'instance en ce qu'elle a été faite à [Localité 11], sans qu'aucun mandataire social n'en soit destinataire, l'huissier n'ayant pas recherché le domicile de ce dernier.
Elle demande également le prononcé de la nullité de la signification du jugement de première instance pour vice de forme, en ce qu'elle mentionne la possibilité de saisir une juridiction d'appel erronée.
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle s'est acquittée des sommes de 21 337,80 euros et de 67 782,64 euros, de sorte qu'il n'y a plus lieu à condamnation.
Sur la résolution judiciaire du contrat de prestations agricoles, elle soutient qu'il convient de la prononcer aux torts exclusifs de la société AEV car si elle a eu quelques retards de paiement dus à des décalages de trésorerie, elle a toujours réglé ses factures, tandis que l'intimée a eu des retards dans les semis de colza, pris des décisions sur le blé Filon sans la consulter et rompu unilatéralement le contrat par son abandon de chantier en 2021.
Elle sollicite que la somme de 133 380 euros au titre de l'indemnité de rupture (article 9 du contrat) lui soit attribuée, faisant valoir que sa cocontractante s'est retirée du contrat sans la prévenir.
Sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce, elle invoque une rupture brutale des relations commerciales, faisant valoir qu'elle n'a pas été prévenue à temps de la rupture du contrat pour semer les cultures de colza. Elle sollicite la condamnation de la société AEV à lui verser la somme de 31 515,75 euros à ce titre.
Elle argue ensuite de sa bonne foi, rétorquant aux conclusions adverses que l'arrêté de péril imminent n'a pas empêché la société AEV de disposer librement de sa cour, que l'eau a toujours été fournie et que le portail électrique a toujours fonctionné.
Elle sollicite en outre la condamnation de la société AEV à lui rembourser la somme de 7 274,04 euros suite à un calcul erroné de la modification des prix relatifs à la variation de l'indice IPAMPA, ainsi qu'il résulte de son courrier du 11 novembre 2019.
La société AEV intimée soulève l'irrecevabilité du moyen tiré de la nullité de l'assignation non développé en première instance sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
Subsidiairement, elle soutient que l'assignation introductive d'instance a été délivrée à l'adresse du siège social de la société [Adresse 5] et est donc valable ; que la demande de nullité de la signification du jugement n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions de l'appelante, outre que celle-ci a régulièrement interjeté appel et ne justifie d'aucun grief.
Elle sollicite ensuite la confirmation du jugement s'agissant des condamnations prononcées à l'encontre de la société Ferme de la Croix, les sommes étant dues au jour où elles ont été demandées.
Elle demande également la confirmation du jugement qui a prononcé la résolution du contrat aux torts de la société [Adresse 5], relatant à cet égard les retards de paiement réitérés ainsi qu'un manquement de son ancienne contractante aux conditions élémentaires de sécurité, la cour et l'exploitation de l'intimée ayant fait notamment l'objet de deux arrêtés de péril.
Elle ajoute que M. [S] a mis en vente l'exploitation sans l'informée, en particulier sur les conditions de reprise de son contrat.
Elle conteste les dires de l'appelante au soutien de sa demande de résolution du contrat à ses torts, exposant les difficultés qu'elle a rencontrées avec M. [S].
Elle demande la confirmation du jugement qui a retenu que son préjudice lié à la rupture du contrat aux torts de la société Ferme de la Croix pouvait être évalué selon les recommandations du cabinet Agriexperts, et conteste la demande formulée à ce titre par l'appelante, faisant valoir que sa décision de suspendre l'exécution du contrat était totalement fondée au regard des nombreux manquements et de la passivité de la société [Adresse 5] dans l'exécution du contrat. Elle demande le rejet de la demande adverse d'indemnité de rupture.
En tout état de cause, elle indique qu'elle a proposé de faire les travaux en temps et en heure, à condition d'être payée de sa facture du 22 août 2021, ce qui a été refusé clairement par la société Ferme de la Croix.
Appréciation de la cour
Observations liminaires
A titre liminaire il convient de donner acte à l'appelante qu'elle a changé de dénomination et de siège social, et que la nouvelle dénomination est la société civile d'exploitation agricole (SCEA) [Adresse 5], dont le siège social est [Adresse 3] à [Adresse 8] (77).
Par ailleurs, la cour rappelle qu'elle n'a à statuer sur les demandes des parties tendant à la voir « constater » lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
Sur les demandes de nullité
Sur la demande de nullité de l'assignation introductive d'instance
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu' à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La demande de l'appelante de voir déclarer l'assignation introductive d'instance nulle, tendant à faire écarter les prétentions adverses, est dès lors recevable en application de ce texte.
L'article 654 du code de procédure civile pose comme principe que la signification doit être faite à personne et s'agissant d'une personne morale, à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet.
Le premier alinéa de l'article 656 prévoit que « Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. (...) »
L'article 690 du code de procédure civile dispose par ailleurs que :
« La notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement.
A défaut d'un tel lieu, elle l'est en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir. »
Enfin, l'article 43 du même code dispose que « le lieu où demeure le défendeur s'entend (...) S'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie ».
Il découle de ces textes qu'une signification est valable dès lors qu'elle a été faite ou tentée au siège social de la personne morale défenderesse tel qu'il apparaît au registre du commerce et des sociétés.
Au cas présent, dès lors qu'il est avéré que l'assignation introductive d'instance a été délivrée le 16 juillet 2021 par acte remis à étude d'huissier à l'adresse du siège social figurant à cette date sur l'extrait Kbis de la société Ferme de la Croix, la signification est valable, peu important à cet égard que l'huissier de justice n'ait pas recherché le domicile du représentant légal de la société, une telle diligence n'étant pas exigée de lui dans ce cas.
Ce moyen de nullité sera rejeté.
Sur la demande de nullité de la signification du jugement dont appel
L'article 680 du code de procédure civile dispose que l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.
Ainsi que le fait valoir la société AEV, si la signification du jugement critiqué faite le 12 décembre 2022 comporte une mention erronée quant à la juridiction d'appel compétente, une seconde signification corrigée a été délivrée le 18 janvier 2023 à l'appelante, laquelle avait en outre déclaré interjeter appel le 12 janvier 2023, de sorte qu'elle ne justifie en tout état de cause d'aucun grief.
Ce moyen de nullité sera également rejeté.
Sur la demande en paiement des factures
L'article 1103 du code civil prévoit que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Les parties s'accordent sur le fait que la somme de 67 782,64 euros était due et qu'elle par ailleurs été réglée par virements effectués par la société [Adresse 5] entre les 15 et 18 septembre 2021. Le tribunal n'a d'ailleurs pas condamné la société Ferme de la Croix à payer le principal de cette créance.
S'agissant de la somme de 21 337,80 euros, il est constant qu'elle a été acquittée par la société [Adresse 5] selon virement du 22 novembre 2022, postérieurement à la première instance, de sorte que le jugement rendu le 7 octobre 2022 ne peut qu'être infirmé sur ce point.
Par ailleurs, les deux premiers alinéas de l'article 1231-6 disposent que :
« Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. »
En application de ces dispositions, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Ferme de la Croix à verser à la société AEV les intérêts légaux courus sur la somme de 67 782,64 euros à compter du 17 février 2021, date de la sommation de payer, jusqu'à la date du complet règlement.
En revanche, à défaut pour la société AEV de justifier d'une mise en demeure de payer la facture correspondant à la somme 21 337,80 euros, laquelle ne figurait pas dans l'assignation introductive, par voie d'infirmation du jugement attaqué il sera dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, soit du 7 octobre 2022, jusqu'au 22 novembre 2022, date de son règlement.
Sur la résolution judiciaire du contrat
Aux termes de l'article 1104 du code civil les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Aux termes de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut notamment refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, provoquer la résolution du contrat, demander réparation des conséquences de l'inexécution, étant précisé que les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées et des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.
L'article 1219 du même code précise qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
L'article 1224 prévoit quant à lui que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
L'inexécution doit revêtir, en fonction des circonstances de l'espèce, un caractère de gravité suffisant pour justifier que le cocontractant s'affranchisse lui-même de ses propres obligations et puisse provoquer la résolution du contrat, appelée résiliation si le contrat est à exécution successive comme au cas présent.
En l'espèce, la société AEV se prévaut de manquements graves de la société [Adresse 5] à ses obligations contractuelles et sollicite la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Ferme de la Croix.
De son côté, l'appelante invoque des manquements commis par l'intimée, faisant valoir qu'elle a eu des retards de trésorerie, mais a toujours réglé ses factures, tandis que la société AEV a eu des retards dans les semis de colza, a pris des décisions sur le blé Filon sans la consulter et a rompu unilatéralement le contrat par abandon de chantier en 2021.
Selon les stipulations contractuelles en date du 6 avril 2017, modifiées par avenants des 11 novembre 2019 et 10 février 2020, la société AEV était tenue en substance de réaliser des travaux agricoles consistant en la préparation du sol à la récolte pour les cultures de blé, colza, escourgeon, orge et maïs, tandis que la société [Adresse 5] devait payer mensuellement le prix des travaux, à l'exception de la prestation concernant les moissons, facturée après la récolte.
Or il ressort des pièces versées aux débats par la société AEV qu'elle a subi des retards de paiement de ses factures dès la fin de l'année 2018 comme cela est attesté par :
- la lettre du 18 mars 2019 par laquelle elle met en demeure sa cocontractante de régler les factures impayées du 30 novembre 2018 au 28 février 2019 pour un montant total de 36 552 euros,
- la lettre de relance du 7 juillet 2019 pour le paiement des échéances dues au 5 juillet 2019 à hauteur de 62 635,19 euros,
- la lettre de relance pour des factures dues au 10 janvier 2021 pour un montant de 49 324,15 euros, dans laquelle elle sollicite en outre un échange avec sa cocontractante pour obtenir les informations nécessaires pour la future compagne,
- la lettre de relance concernant les factures impayées au 7 février 2021 pour un montant de 57 796,98 euros,
- la sommation de payer la somme de 58 153,37 euros en date du 17 février 2021.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 juin 2021, dont l'appelante reconnaît qu'elle ne l'a pas réclamée et qui conserve donc toute son effectivité malgré les réserves qu'elle émet quant à son contenu, la société AEV lui rappelait qu'elle restait débitrice de la somme de 67 782,64 euros au titre des factures de décembre 2020 à mai 2021, réitérait sa demande de « rendez-vous de mise au point avant moisson », soulignait ses inquiétudes quant à la mise en vente de l'exploitation agricole et sollicitait des éclaircissements quant à la reprise ou pas du contrat par l'acquéreur.
Cette ultime mise en demeure était suivie de l'assignation introductive d'instance, valablement délivrée le 16 juillet 2021 à la société [Adresse 5] comme il a été ci-dessus jugé, aux termes de laquelle la société AEV sollicitait outre le paiement de sa créance, le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de prestation de services de travaux agricoles en date du 6 avril 2017 aux torts exclusifs de la société [Adresse 5].
Ainsi, si les autres griefs élevés par la société AEV concernant l'état de la cour et des bâtiments de l'exploitation agricole ainsi que l'absence de fourniture d'électricité et d'eau ne sauraient être caractérisés de manquements de la part de la société [Adresse 5] puisque hormis des photographies des lieux versés aux débats, aucun autre élément ne vient corroborer qu'une gêne ait pu exister à cet égard dans la réalisation de ses travaux par l'intimée, en revanche, les retards réguliers dans le paiement des factures de la part de la société Ferme de la Croix, ainsi que son absence de réponse aux sollicitations concernant la campagne 2021 et l'avenir de l'exploitation, justifient l'exception d'inexécution invoquée par l'intimée à compter de l'acte introductif d'instance, ainsi que la résiliation du contrat du fait des manquements répétés de l'appelante, en particulier à son obligation principale de paiement des factures mensuellement.
De son côté, hormis une réponse explicative notamment quant aux retards dans les paiements adressée par la société [Adresse 5] à sa cocontractante le 11 novembre 2019, l'appelante ne produit à l'appui des reproches élevés contre la société AEV que des éléments postérieurs à l'assignation en justice.
En effet, ce n'est que par courriels en date des 4 et 28 octobre 2021 que l'appelante s'est inquiétée de l'inexécution de ses prestations de travaux agricoles de la part de la société AEV, soit à un moment où celle-ci justifiait ainsi qu'il a été vu d'une exception d'inexécution, de sorte qu'aucun manquement ne saurait valablement être imputé à la société AEV au cours de cette période.
Il sera par ailleurs observé que la situation était connue de l'appelante puisqu'elle a signé dès le 20 octobre 2021 un contrat de prestations de services de travaux agricoles avec une autre entreprise.
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal judiciaire de Pontoise a prononcé la résolution (plus exactement la résiliation) judiciaire du contrat conclu entre les parties et le jugement attaqué sera confirmé de ce chef, sauf à préciser explicitement qu'elle est prononcée aux torts exclusifs de la société [Adresse 5].
Sur la demande de réparation
Si l'article 9 du contrat litigieux prévoit le versement d'une indemnité de 30 % du montant hors taxe du devis accepté sur les 8 années, il vise toutefois l'hypothèse d'une résiliation unilatérale du contrat par l'une des parties et n'a donc pas vocation à s'appliquer en l'espèce s'agissant d'une résiliation judiciaire prononcée aux torts exclusifs d'une partie.
Toutefois, ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, l'article 1217 du code civil prévoit que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les articles 1231-2 et 1231-3 du même code énoncent en outre que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et que seul est réparable le dommage qui était prévu ou prévisible lors de la conclusion du contrat.
Aucune faute n'ayant été retenue au préjudice de la société Ferme de la Croix, celle-ci sera déboutée de ses demandes au titre de l'indemnité de rupture du contrat et de la réparation du préjudice subi, étant surabondamment observé que la présente cour n'est pas compétente pour statuer sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce, l'article D. 442-3 du code de commerce prévoyant la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris en cette matière.
La société AEV qui voit ses demandes prospérer verse quant à elle aux débats une attestation établie le 16 mars 2022 par un conseiller d'entreprise agricole du cabinet d'expertise comptable ACC Expertises qui explicite clairement le manque à gagner généré par la rupture du contrat, alors que l'intimée s'était endettée pour pouvoir réaliser les travaux de culture de la société [Adresse 5] pendant la durée contractuelle de 8 ans, que le chiffre d'affaires généré par le contrat représentait environ 63 % du chiffre d'affaires annuel de la société AEV (soit 111 150 euros HT), que la rupture du contrat remet en cause sa pérennité dans un contexte d'activité très concurrentielle ne lui ayant permis de dégager qu'un résultat net d'exploitation négatif.
En conclusion, le conseiller d'entreprise agricole estime que le manque à gagner pour la société AEV sur les 4 années qui restaient à effectuer du contrat s'élève à la somme de 318 896 euros, en déduit la somme de 175 000 euros représentant le prix envisagé de la revente du matériel, pour chiffrer un préjudice total au montant de 143 896 euros.
Dans ces conditions, et ainsi que le demande l'intimée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [Adresse 5] à payer la somme de 133 380 euros à la société AEV, sauf à préciser qu'il s'agit de dommages et intérêts et non d'une indemnité contractuelle de rupture.
Sur la demande de remboursement formulée par la société [Adresse 5]
L'article 1353 du code civil dispose en son 1er alinéa que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
S'il résulte en effet de la lettre en date du 11 novembre 2019 envoyée par la société Ferme de la Croix à la société AEV qu'y était évoquée une erreur de calcul concernant l'indice IPAMPA, ce seul élément, dans lequel l'appelante indique en outre qu'elle imputera le trop-perçu sur la prochaine facturation, est insuffisant à démontrer l'existence du trop-perçu allégué.
La demande de la société [Adresse 5] à ce titre sera rejetée.
Sur les demandes accessoires :
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société Ferme de la Croix ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société AEV la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Donne acte à l'appelante de ce que sa nouvelle dénomination sociale la société civile d'exploitation agricole [Adresse 5] et que son siège social se situe [Adresse 3] à [Localité 9] (77),
Déclare recevable la demande aux fins de nullité de l'assignation introductive d'instance formulée par la société Ferme de la Croix,
Rejette les nullités soulevées par la société [Adresse 5],
Constate que la somme de 21 337,80 euros a été réglée par la société Ferme de la Croix à la société AEV le 22 novembre 2022 et en conséquence,
Infirme le jugement du 7 octobre 2022 en ce qu'il a condamné la société [Adresse 5] à payer cette somme à la société AEV,
Confirme le jugement du 7 octobre 2022 pour le surplus, sauf à dire que les intérêts au taux légal ont courus sur la somme de 21 337,80 euros à compter du 7 octobre 2022 jusqu'au 22 novembre 2022, et sauf à préciser que la condamnation de la société [Adresse 5] à payer à la société AEV correspondant à des dommages et intérêts,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que la société [Adresse 5] supportera les dépens d'appel,
Condamne la société Ferme de la Croix à verser à la société AEV la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marina IGELMAN, pour Madame Pascale CARIOU, Conseillère faisant fonction de Présidente, empêchée et par Madame VALETTE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, La Conseillère,
DE
VERSAILLES
Code nac : 56B
Chambre civile 1-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/00282 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VT7K
AFFAIRE :
S.C.E.A. [Adresse 5] (anciennement EARL FERME DE LA CROIX)
C/
S.A.R.L. AEV, prise en la personne de son gérant, M. [G] [Z], représentant légal
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2022 par le Tribunal judiciaire de PONTOISE
N° RG : 21/03842
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- Me SKANDER
- Me DEBRAY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.C.E.A. [Adresse 5] (anciennement EARL FERME DE LA CROIX)
N° SIRET : 434 681 409
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Sami SKANDER de la SELASU SELASU CABINET D'AVOCAT SKANDER, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 202
APPELANTE
****************
S.A.R.L. AEV, prise en la personne de son gérant, M. [G] [Z], représentant légal
N° SIRET : 434 456 661
[Adresse 4]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 23025
Me Denis GUERARD, avocat au barreau de BEAUVAIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marina IGELMAN, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pascale CARIOU, Conseillère, faisant fonction de Présidente
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Madame Florence PERRET, Présidente de chambre,
Greffier, lors des débats : Madame Rosanna VALETTE,
FAITS ET PROCEDURE,
Le 6 avril 2017, la SARL AEV et l'EARL [Adresse 5], représentée par M. [D] [S], ont conclu un contrat de prestations de services de travaux agricoles de la part de la SARL AEV pour le compte de l'EARL [Adresse 5], devenue la SCEA Ferme de la Croix.
Le contrat a été conclu pour une durée de 8 ans, renouvelable par tacite reconduction. Le prix fixé entre les parties était le suivant :
- travaux (main d'oeuvre et GNR compris) : 350 euros HT/ha,
* battage de céréales (sauf pois) : 90 euros HT/ha,
* maïs : 110 euros/ha,
* prestation de chargement : 10 euros/ha.
Par acte sous seing privé du 11 novembre 2019, les sociétés AEV et [Adresse 5] ont régularisé un avenant audit contrat, l'article 7 étant modifié pour prévoir un règlement sur 12 mois, sauf pour la prestation de moisson, facturée après récolte. L'acte stipulait également que les sommes non réglées à l'échéance porteront intérêts et que M. [D] [S] se portait caution solidaire des sommes dues au titre du contrat.
Par un avenant du 10 février 2020, les parties ont prévu des consignes de sécurité complémentaires relatives aux interventions sur le chantier.
Par acte d'huissier de justice du 17 février 2021, la société AEV a fait délivrer à l'EARL [Adresse 5] une sommation de payer la somme de 58 153,37 euros correspondant à 8 factures impayées.
À la suite de cette sommation, l'EARL Ferme de la Croix a réglé la somme de 40 851,32 euros au titre de 6 factures.
Par acte d'huissier de justice remis à l'étude le 7 juillet 2021, la SARL AEV a fait assigner l'EARL [Adresse 5] devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins, notamment, de la voir condamner au paiement des sommes dues (68 139,03 euros) et de voir prononcer la résolution du contrat de prestations de services les liant.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 7 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise a :
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 21 337,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2021,
- condamné l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL AEV les intérêts au taux légal sur la somme de 67 782, 64 euros à compter du 17 février 2021,
- prononcé la résolution judiciaire du contrat de prestations agricoles conclu entre la SARL AEV et l'EARL [Adresse 5] ainsi que les deux avenants subséquents,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 133 380 euros au titre de l'indemnité de rupture,
- condamné l'EARL [Adresse 5] aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration reçue le 12 janvier 2023, la SCEA [Adresse 5] (anciennement l'EARL Ferme de la Croix) a interjeté appel de la décision.
Par dernières conclusions notifiées au greffe le 21 juillet 2023, la SCEA [Adresse 5], appelante, demande à la cour de :
Vu les articles 74, 112, 114, 654, 680, 693 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles 1103, 1104 du code civil,
Vu les articles L 442-1 du code de commerce,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées au débat,
- réformer le jugement rendu par tribunal judiciaire de Pontoise le 7 octobre 2022 en raison d'irrégularités de procédure dans la signification de l'assignation qui n'a pas permis que le jugement soit contradictoire,
In limine litis :
- prononcer la nullité pour vice de forme de la signification de l'assignation du 7 juillet 2021,
- prononcer la nullité pour vice de forme de la signification du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 7 octobre 2022,
- débouter la SARL AEV de ses demandes, fins et conclusions,
en conséquence,
- réformer le jugement en ce qu'il a :
- condamné l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL AEV la somme de 21 337,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2021,
- condamné l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL AEV les intérêts au taux légal sur la somme de 67 782, 64 euros à compter du 17 février 2021,
- prononcé la résolution judiciaire du contrat de prestations agricoles conclu entre la SARL AEV et l'EARL [Adresse 5] ainsi que les deux avenants subséquents,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 133 380 euros au titre de l'indemnité de rupture,
- condamné l'EARL [Adresse 5] aux dépens,
- condamné l'EARL Ferme de la Croix à payer à la SARL AEV la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
à titre principal,
- constater la créance d'un montant de 21 337,80 euros a été payée par elle à la SARL AEV,
- constater la créance d'un montant de 67 782,64 euros a été payée par elle à la SARL AEV,
- déouber la SARL AEV de l'ensemble de ses demandes de paiements,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
à titre reconventionnel,
- prononcer la résolution judiciaire du contrat de prestation agricole conclu entre elle et la SARL AEV, ainsi que les deux avenants subséquents aux torts exclusifs de la SARL AEV,
et en conséquence,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 133 380,00 euros au titre de l'indemnité de rupture, augmentée d'un montant de 31 515,75 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier subi,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- condamner la SARL AEV à lui payer la somme de 7 274,04 euros au titre du remboursement des sommes injustement perçues suite à la variation de l'indice IPAMPA,
- constater qu'elle a changé de dénomination et de siège social, et que la nouvelle dénomination est [Adresse 10], dont le siège social est [Adresse 3] à [Localité 7] (77),
- rappeler que l'exécution provisoire est de droit.
Par dernières conclusions notifiées au greffe le 25 août 2023, la SARL AEV, prise en la personne de son gérant, M. [G] [Z], représentant légal, intimée, demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1103, 1104, 1217 et 1220 du code civil,
- la recevoir en ses présentes écritures et la déclarant bien fondée,
- déclarer irrecevable la société [Adresse 5] en sa demande de nullité de l'assignation introductive d'instance et de la signification du jugement entrepris en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise le 7 octobre 2022,
- débouter la société Ferme de la Croix de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- condamner la société [Adresse 5] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ferme de la Croix à supporter les entiers dépens de la présente instance.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 12 mars 2025.
Par message RPVA en date du 25 août 2025, les parties ont invitées à faire connaître, par note en délibéré, leurs observations sur la compétence de la présente cour pour statuer sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce avant le 4 septembre 2025.
Dans une réponse adressée le 25 août 2025, le conseil de la société AEV a réitéré son moyen selon lequel les moyens non développés en première instance sont irrecevables et a ajouté qu'aux termes des articles L. 442-4 III et D. 442-3 du code de commerce, la cour d'appel de Paris dispose d'une compétence exclusive pour statuer sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-1 du même code.
Par message RPVA notifié le 2 septembre 2025, le conseil de la société [Adresse 5] indique que s'agissant d'un appel formé à l'encontre d'un jugement du tribunal judiciaire de Pontoise, la cour d'appel de Versailles est compétente, soulignant que celle-ci a été saisie à de multiples reprises dans ce dossier, notamment en référé devant le premier président. Il demande à la cour de se déclarer compétente.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Moyens et arguments des parties
In limine litis, la société Ferme de la Croix soulève la nullité de la signification de l'assignation introductive d'instance en ce qu'elle a été faite à [Localité 11], sans qu'aucun mandataire social n'en soit destinataire, l'huissier n'ayant pas recherché le domicile de ce dernier.
Elle demande également le prononcé de la nullité de la signification du jugement de première instance pour vice de forme, en ce qu'elle mentionne la possibilité de saisir une juridiction d'appel erronée.
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle s'est acquittée des sommes de 21 337,80 euros et de 67 782,64 euros, de sorte qu'il n'y a plus lieu à condamnation.
Sur la résolution judiciaire du contrat de prestations agricoles, elle soutient qu'il convient de la prononcer aux torts exclusifs de la société AEV car si elle a eu quelques retards de paiement dus à des décalages de trésorerie, elle a toujours réglé ses factures, tandis que l'intimée a eu des retards dans les semis de colza, pris des décisions sur le blé Filon sans la consulter et rompu unilatéralement le contrat par son abandon de chantier en 2021.
Elle sollicite que la somme de 133 380 euros au titre de l'indemnité de rupture (article 9 du contrat) lui soit attribuée, faisant valoir que sa cocontractante s'est retirée du contrat sans la prévenir.
Sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce, elle invoque une rupture brutale des relations commerciales, faisant valoir qu'elle n'a pas été prévenue à temps de la rupture du contrat pour semer les cultures de colza. Elle sollicite la condamnation de la société AEV à lui verser la somme de 31 515,75 euros à ce titre.
Elle argue ensuite de sa bonne foi, rétorquant aux conclusions adverses que l'arrêté de péril imminent n'a pas empêché la société AEV de disposer librement de sa cour, que l'eau a toujours été fournie et que le portail électrique a toujours fonctionné.
Elle sollicite en outre la condamnation de la société AEV à lui rembourser la somme de 7 274,04 euros suite à un calcul erroné de la modification des prix relatifs à la variation de l'indice IPAMPA, ainsi qu'il résulte de son courrier du 11 novembre 2019.
La société AEV intimée soulève l'irrecevabilité du moyen tiré de la nullité de l'assignation non développé en première instance sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
Subsidiairement, elle soutient que l'assignation introductive d'instance a été délivrée à l'adresse du siège social de la société [Adresse 5] et est donc valable ; que la demande de nullité de la signification du jugement n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions de l'appelante, outre que celle-ci a régulièrement interjeté appel et ne justifie d'aucun grief.
Elle sollicite ensuite la confirmation du jugement s'agissant des condamnations prononcées à l'encontre de la société Ferme de la Croix, les sommes étant dues au jour où elles ont été demandées.
Elle demande également la confirmation du jugement qui a prononcé la résolution du contrat aux torts de la société [Adresse 5], relatant à cet égard les retards de paiement réitérés ainsi qu'un manquement de son ancienne contractante aux conditions élémentaires de sécurité, la cour et l'exploitation de l'intimée ayant fait notamment l'objet de deux arrêtés de péril.
Elle ajoute que M. [S] a mis en vente l'exploitation sans l'informée, en particulier sur les conditions de reprise de son contrat.
Elle conteste les dires de l'appelante au soutien de sa demande de résolution du contrat à ses torts, exposant les difficultés qu'elle a rencontrées avec M. [S].
Elle demande la confirmation du jugement qui a retenu que son préjudice lié à la rupture du contrat aux torts de la société Ferme de la Croix pouvait être évalué selon les recommandations du cabinet Agriexperts, et conteste la demande formulée à ce titre par l'appelante, faisant valoir que sa décision de suspendre l'exécution du contrat était totalement fondée au regard des nombreux manquements et de la passivité de la société [Adresse 5] dans l'exécution du contrat. Elle demande le rejet de la demande adverse d'indemnité de rupture.
En tout état de cause, elle indique qu'elle a proposé de faire les travaux en temps et en heure, à condition d'être payée de sa facture du 22 août 2021, ce qui a été refusé clairement par la société Ferme de la Croix.
Appréciation de la cour
Observations liminaires
A titre liminaire il convient de donner acte à l'appelante qu'elle a changé de dénomination et de siège social, et que la nouvelle dénomination est la société civile d'exploitation agricole (SCEA) [Adresse 5], dont le siège social est [Adresse 3] à [Adresse 8] (77).
Par ailleurs, la cour rappelle qu'elle n'a à statuer sur les demandes des parties tendant à la voir « constater » lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
Sur les demandes de nullité
Sur la demande de nullité de l'assignation introductive d'instance
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu' à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
La demande de l'appelante de voir déclarer l'assignation introductive d'instance nulle, tendant à faire écarter les prétentions adverses, est dès lors recevable en application de ce texte.
L'article 654 du code de procédure civile pose comme principe que la signification doit être faite à personne et s'agissant d'une personne morale, à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet.
Le premier alinéa de l'article 656 prévoit que « Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. (...) »
L'article 690 du code de procédure civile dispose par ailleurs que :
« La notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement.
A défaut d'un tel lieu, elle l'est en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir. »
Enfin, l'article 43 du même code dispose que « le lieu où demeure le défendeur s'entend (...) S'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie ».
Il découle de ces textes qu'une signification est valable dès lors qu'elle a été faite ou tentée au siège social de la personne morale défenderesse tel qu'il apparaît au registre du commerce et des sociétés.
Au cas présent, dès lors qu'il est avéré que l'assignation introductive d'instance a été délivrée le 16 juillet 2021 par acte remis à étude d'huissier à l'adresse du siège social figurant à cette date sur l'extrait Kbis de la société Ferme de la Croix, la signification est valable, peu important à cet égard que l'huissier de justice n'ait pas recherché le domicile du représentant légal de la société, une telle diligence n'étant pas exigée de lui dans ce cas.
Ce moyen de nullité sera rejeté.
Sur la demande de nullité de la signification du jugement dont appel
L'article 680 du code de procédure civile dispose que l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.
Ainsi que le fait valoir la société AEV, si la signification du jugement critiqué faite le 12 décembre 2022 comporte une mention erronée quant à la juridiction d'appel compétente, une seconde signification corrigée a été délivrée le 18 janvier 2023 à l'appelante, laquelle avait en outre déclaré interjeter appel le 12 janvier 2023, de sorte qu'elle ne justifie en tout état de cause d'aucun grief.
Ce moyen de nullité sera également rejeté.
Sur la demande en paiement des factures
L'article 1103 du code civil prévoit que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Les parties s'accordent sur le fait que la somme de 67 782,64 euros était due et qu'elle par ailleurs été réglée par virements effectués par la société [Adresse 5] entre les 15 et 18 septembre 2021. Le tribunal n'a d'ailleurs pas condamné la société Ferme de la Croix à payer le principal de cette créance.
S'agissant de la somme de 21 337,80 euros, il est constant qu'elle a été acquittée par la société [Adresse 5] selon virement du 22 novembre 2022, postérieurement à la première instance, de sorte que le jugement rendu le 7 octobre 2022 ne peut qu'être infirmé sur ce point.
Par ailleurs, les deux premiers alinéas de l'article 1231-6 disposent que :
« Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.
Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. »
En application de ces dispositions, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Ferme de la Croix à verser à la société AEV les intérêts légaux courus sur la somme de 67 782,64 euros à compter du 17 février 2021, date de la sommation de payer, jusqu'à la date du complet règlement.
En revanche, à défaut pour la société AEV de justifier d'une mise en demeure de payer la facture correspondant à la somme 21 337,80 euros, laquelle ne figurait pas dans l'assignation introductive, par voie d'infirmation du jugement attaqué il sera dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, soit du 7 octobre 2022, jusqu'au 22 novembre 2022, date de son règlement.
Sur la résolution judiciaire du contrat
Aux termes de l'article 1104 du code civil les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Aux termes de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut notamment refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, provoquer la résolution du contrat, demander réparation des conséquences de l'inexécution, étant précisé que les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées et des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.
L'article 1219 du même code précise qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
L'article 1224 prévoit quant à lui que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
L'inexécution doit revêtir, en fonction des circonstances de l'espèce, un caractère de gravité suffisant pour justifier que le cocontractant s'affranchisse lui-même de ses propres obligations et puisse provoquer la résolution du contrat, appelée résiliation si le contrat est à exécution successive comme au cas présent.
En l'espèce, la société AEV se prévaut de manquements graves de la société [Adresse 5] à ses obligations contractuelles et sollicite la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Ferme de la Croix.
De son côté, l'appelante invoque des manquements commis par l'intimée, faisant valoir qu'elle a eu des retards de trésorerie, mais a toujours réglé ses factures, tandis que la société AEV a eu des retards dans les semis de colza, a pris des décisions sur le blé Filon sans la consulter et a rompu unilatéralement le contrat par abandon de chantier en 2021.
Selon les stipulations contractuelles en date du 6 avril 2017, modifiées par avenants des 11 novembre 2019 et 10 février 2020, la société AEV était tenue en substance de réaliser des travaux agricoles consistant en la préparation du sol à la récolte pour les cultures de blé, colza, escourgeon, orge et maïs, tandis que la société [Adresse 5] devait payer mensuellement le prix des travaux, à l'exception de la prestation concernant les moissons, facturée après la récolte.
Or il ressort des pièces versées aux débats par la société AEV qu'elle a subi des retards de paiement de ses factures dès la fin de l'année 2018 comme cela est attesté par :
- la lettre du 18 mars 2019 par laquelle elle met en demeure sa cocontractante de régler les factures impayées du 30 novembre 2018 au 28 février 2019 pour un montant total de 36 552 euros,
- la lettre de relance du 7 juillet 2019 pour le paiement des échéances dues au 5 juillet 2019 à hauteur de 62 635,19 euros,
- la lettre de relance pour des factures dues au 10 janvier 2021 pour un montant de 49 324,15 euros, dans laquelle elle sollicite en outre un échange avec sa cocontractante pour obtenir les informations nécessaires pour la future compagne,
- la lettre de relance concernant les factures impayées au 7 février 2021 pour un montant de 57 796,98 euros,
- la sommation de payer la somme de 58 153,37 euros en date du 17 février 2021.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 juin 2021, dont l'appelante reconnaît qu'elle ne l'a pas réclamée et qui conserve donc toute son effectivité malgré les réserves qu'elle émet quant à son contenu, la société AEV lui rappelait qu'elle restait débitrice de la somme de 67 782,64 euros au titre des factures de décembre 2020 à mai 2021, réitérait sa demande de « rendez-vous de mise au point avant moisson », soulignait ses inquiétudes quant à la mise en vente de l'exploitation agricole et sollicitait des éclaircissements quant à la reprise ou pas du contrat par l'acquéreur.
Cette ultime mise en demeure était suivie de l'assignation introductive d'instance, valablement délivrée le 16 juillet 2021 à la société [Adresse 5] comme il a été ci-dessus jugé, aux termes de laquelle la société AEV sollicitait outre le paiement de sa créance, le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de prestation de services de travaux agricoles en date du 6 avril 2017 aux torts exclusifs de la société [Adresse 5].
Ainsi, si les autres griefs élevés par la société AEV concernant l'état de la cour et des bâtiments de l'exploitation agricole ainsi que l'absence de fourniture d'électricité et d'eau ne sauraient être caractérisés de manquements de la part de la société [Adresse 5] puisque hormis des photographies des lieux versés aux débats, aucun autre élément ne vient corroborer qu'une gêne ait pu exister à cet égard dans la réalisation de ses travaux par l'intimée, en revanche, les retards réguliers dans le paiement des factures de la part de la société Ferme de la Croix, ainsi que son absence de réponse aux sollicitations concernant la campagne 2021 et l'avenir de l'exploitation, justifient l'exception d'inexécution invoquée par l'intimée à compter de l'acte introductif d'instance, ainsi que la résiliation du contrat du fait des manquements répétés de l'appelante, en particulier à son obligation principale de paiement des factures mensuellement.
De son côté, hormis une réponse explicative notamment quant aux retards dans les paiements adressée par la société [Adresse 5] à sa cocontractante le 11 novembre 2019, l'appelante ne produit à l'appui des reproches élevés contre la société AEV que des éléments postérieurs à l'assignation en justice.
En effet, ce n'est que par courriels en date des 4 et 28 octobre 2021 que l'appelante s'est inquiétée de l'inexécution de ses prestations de travaux agricoles de la part de la société AEV, soit à un moment où celle-ci justifiait ainsi qu'il a été vu d'une exception d'inexécution, de sorte qu'aucun manquement ne saurait valablement être imputé à la société AEV au cours de cette période.
Il sera par ailleurs observé que la situation était connue de l'appelante puisqu'elle a signé dès le 20 octobre 2021 un contrat de prestations de services de travaux agricoles avec une autre entreprise.
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal judiciaire de Pontoise a prononcé la résolution (plus exactement la résiliation) judiciaire du contrat conclu entre les parties et le jugement attaqué sera confirmé de ce chef, sauf à préciser explicitement qu'elle est prononcée aux torts exclusifs de la société [Adresse 5].
Sur la demande de réparation
Si l'article 9 du contrat litigieux prévoit le versement d'une indemnité de 30 % du montant hors taxe du devis accepté sur les 8 années, il vise toutefois l'hypothèse d'une résiliation unilatérale du contrat par l'une des parties et n'a donc pas vocation à s'appliquer en l'espèce s'agissant d'une résiliation judiciaire prononcée aux torts exclusifs d'une partie.
Toutefois, ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, l'article 1217 du code civil prévoit que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les articles 1231-2 et 1231-3 du même code énoncent en outre que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et que seul est réparable le dommage qui était prévu ou prévisible lors de la conclusion du contrat.
Aucune faute n'ayant été retenue au préjudice de la société Ferme de la Croix, celle-ci sera déboutée de ses demandes au titre de l'indemnité de rupture du contrat et de la réparation du préjudice subi, étant surabondamment observé que la présente cour n'est pas compétente pour statuer sur le fondement de l'article L. 442-1 du code de commerce, l'article D. 442-3 du code de commerce prévoyant la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris en cette matière.
La société AEV qui voit ses demandes prospérer verse quant à elle aux débats une attestation établie le 16 mars 2022 par un conseiller d'entreprise agricole du cabinet d'expertise comptable ACC Expertises qui explicite clairement le manque à gagner généré par la rupture du contrat, alors que l'intimée s'était endettée pour pouvoir réaliser les travaux de culture de la société [Adresse 5] pendant la durée contractuelle de 8 ans, que le chiffre d'affaires généré par le contrat représentait environ 63 % du chiffre d'affaires annuel de la société AEV (soit 111 150 euros HT), que la rupture du contrat remet en cause sa pérennité dans un contexte d'activité très concurrentielle ne lui ayant permis de dégager qu'un résultat net d'exploitation négatif.
En conclusion, le conseiller d'entreprise agricole estime que le manque à gagner pour la société AEV sur les 4 années qui restaient à effectuer du contrat s'élève à la somme de 318 896 euros, en déduit la somme de 175 000 euros représentant le prix envisagé de la revente du matériel, pour chiffrer un préjudice total au montant de 143 896 euros.
Dans ces conditions, et ainsi que le demande l'intimée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [Adresse 5] à payer la somme de 133 380 euros à la société AEV, sauf à préciser qu'il s'agit de dommages et intérêts et non d'une indemnité contractuelle de rupture.
Sur la demande de remboursement formulée par la société [Adresse 5]
L'article 1353 du code civil dispose en son 1er alinéa que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
S'il résulte en effet de la lettre en date du 11 novembre 2019 envoyée par la société Ferme de la Croix à la société AEV qu'y était évoquée une erreur de calcul concernant l'indice IPAMPA, ce seul élément, dans lequel l'appelante indique en outre qu'elle imputera le trop-perçu sur la prochaine facturation, est insuffisant à démontrer l'existence du trop-perçu allégué.
La demande de la société [Adresse 5] à ce titre sera rejetée.
Sur les demandes accessoires :
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société Ferme de la Croix ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société AEV la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Donne acte à l'appelante de ce que sa nouvelle dénomination sociale la société civile d'exploitation agricole [Adresse 5] et que son siège social se situe [Adresse 3] à [Localité 9] (77),
Déclare recevable la demande aux fins de nullité de l'assignation introductive d'instance formulée par la société Ferme de la Croix,
Rejette les nullités soulevées par la société [Adresse 5],
Constate que la somme de 21 337,80 euros a été réglée par la société Ferme de la Croix à la société AEV le 22 novembre 2022 et en conséquence,
Infirme le jugement du 7 octobre 2022 en ce qu'il a condamné la société [Adresse 5] à payer cette somme à la société AEV,
Confirme le jugement du 7 octobre 2022 pour le surplus, sauf à dire que les intérêts au taux légal ont courus sur la somme de 21 337,80 euros à compter du 7 octobre 2022 jusqu'au 22 novembre 2022, et sauf à préciser que la condamnation de la société [Adresse 5] à payer à la société AEV correspondant à des dommages et intérêts,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que la société [Adresse 5] supportera les dépens d'appel,
Condamne la société Ferme de la Croix à verser à la société AEV la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marina IGELMAN, pour Madame Pascale CARIOU, Conseillère faisant fonction de Présidente, empêchée et par Madame VALETTE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, La Conseillère,