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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 16 septembre 2025, n° 24/11519

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/11519

16 septembre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025

(n° / 2025 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/11519 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJUYV

Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation du 2 mars 2023 (Pourvoi n° J21-17.825 - Arrêt n° 210 F-D) de l'arrêt du 8 avril 2021 de la chambre 9 du pôle 5 de la cour d'appel (RG 20/919) sur appel du jugement du 10 décembre 2019 du tribunal de commerce de Paris ( RG 2019017870)

APPELANT

Monsieur [R] [C], en qualité de gérant de la SARL BOWLINGSTAR,

Né le [Date naissance 4] 1952 à [Localité 10]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 5]

[Adresse 2]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

INTIMÉE

S.C.P. B.T.S.G.², prise en la personne de Maître [F] [S], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL BOWLINGSTAR,

Immatriculée au registre de commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 434 122 511,

Dont le siège social est situé [Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Olivier PECHENARD de la SELARL PBM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0899,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 905 et 1037-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 mai 2025, en audience publique, devant la cour, composée de:

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Constance LACHEZE, conseillère,

Monsieur François VARICHON, conseiller,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur François VARICHON dans le respect des conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur Serge ROQUES, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit du 21 mars 2025 et ses observations orales lors de l'audience.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE

La société à responsabilité limitée Bowlingstar a été créée en 2008 pour l'exercice d'une activité de conseils, assistance technique, services, secteur loisir et sport. Elle a été dirigée depuis l'origine par M. [C] en qualité de gérant.

Courant 2012, la société Bowlingstar a conclu avec la société EM2C un bail commercial en l'état futur d'achèvement portant sur des locaux situés à [Localité 9] (71) pour l'exploitation d'une activité de bowling et de patinoire.

Par ordonnance du 16 juin 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Châlon-sur-Saône, saisi par la société EM2C, a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail pour cause d'impayé locatif et a condamné la société Bowlingstar à payer au bailleur une provision de 218.836,83 euros à titre d'arriéré locatif. A la suite de cette décision, les lieux loués ont été restitués à la société EM2C.

C'est dans ce contexte que par acte du 18 avril 2016, la société EM2C a fait assigner la société Bowlingstar devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire en raison de l'existence d'une créance de loyers impayée de 398.302,89 euros.

Par jugement du 12 octobre 2016, le tribunal a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Bowlingstar, fixé la date de cessation des paiements au 25 juin 2015 correspondant à la date de signification au débiteur de l'ordonnance de référé précitée et désigné la société BTSG² en la personne de Maître [S] en qualité de mandataire judiciaire.

Statuant sur l'appel interjeté par M. [C], la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement par un arrêt du 9 février 2017.

Parallèlement à cette procédure, au mois d'août 2016, la société Bowlingstar, faisant valoir que la société EM2C l'avait empêchée par sa faute de développer ses activités de bowling et de patinoire, l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d'annulation du bail commercial pour cause de dol et de condamnation à l'indemniser de son préjudice. Cette action, reprise par la société BTSG² ès qualités après l'ouverture de la procédure collective de la société Bowlingstar, a finalement été radiée par le tribunal selon ordonnance du 7 septembre 2018.

Le 15 février 2019, la société BTSG² ès qualités a fait assigner M. [C] en responsabilité pour insuffisance d'actif devant le tribunal de commerce de Paris. Il était reproché au défendeur d'avoir commis les deux fautes de gestion suivantes:

- absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours;

- poursuite d'une activité déficitaire.

Par jugement du 10 décembre 2019 revêtu de l'exécution provisoire, le tribunal a jugé que les deux fautes de gestion reprochées à M. [C] étaient constituées et l'a condamné à payer à la société BTSG² ès qualités la somme de 119.633 euros correspondant au montant de la créance du bailleur née pendant la période suspecte outre la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

M. [C] a relevé appel de ce jugement selon déclaration du 31 décembre 2019 en intimant la société BTSG² ès qualités.

Par arrêt du 8 avril 2021, la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevables toutes les conclusions d'appel de M. [C] pour cause de défaut de mention de l'adresse de son domicile réel, et, déduisant de ce fait que l'appel n'était pas soutenu par l'intéressé, a confirmé le jugement entrepris.

M. [C] a formé un pourvoi à l'encontre de cette décision.

Par arrêt du 2 mars 2023, la Cour de cassation a jugé qu'en se prononçant au visa des conclusions de M. [C] du 3 septembre 2020 qualifiées par elle de 'dernières' conclusions alors que l'intéressé avait déposé des conclusions postérieurement, le 17 février 2021, en produisant de nouvelles pièces, la cour d'appel avait violé les articles 455 et 954 alinéa 4 du code de procédure civile. En conséquence, la Cour a cassé l'arrêt du 8 avril 2021 en toutes ses dispositions et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

M. [C] a saisi la cour de renvoi par déclaration du 20 juin 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 7 avril 2025, M. [C] demande à la cour de:

'DECLARER recevable l'appel interjeté par Monsieur [R] [C].

REJETER la fin de non-recevoir soulevée par le liquidateur.

INFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit que Monsieur [R] [C] a commis des fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société ;

- condamné Monsieur [R] [C] à payer à la SCP BTSG, es-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL BOWLINGSTAR, la somme de 119.633 € ;

- condamné Monsieur [R] [C] à payer à la SCP BTSG, es-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL BOWLINGSTAR, la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté Monsieur [R] [C] de toutes ses demandes autres ou contraires;

- condamné Monsieur [R] [C] aux entiers dépens de l'instance, dont

ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 87,86 € TTC.

Et statuant à nouveau,

DECLARER Monsieur [R] [C] recevable et bien fondé en ses demandes;

CONSTATER que le liquidateur ne rapporte aucune faute de gestion imputable à Monsieur [R] [C] ayant contribué à créer et/ou aggraver l'insuffisance d'actif de la SARL BOWLINGSTAR.

PAR CONSEQUENT,

DEBOUTER le liquidateur de sa demande tendant à obtenir la condamnation de Monsieur [C] à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la SARL BOWLINGSTAR.

DEBOUTER le liquidateur de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

CONDAMNER le liquidateur à payer et porter à Monsieur [R] [C] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.'

Aux termes de ses dernières conclusions d'appel déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 octobre 2020, la société BTSG² ès qualités demande à la cour de:

'' DÉCLARER irrecevables les conclusions signifiées le 16 mars 2020 puis le 3 septembre 2020 par Monsieur [R] [C] pour défaut de mention de son domicile réel ;

' CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 10 décembre 2019 ;

Y ajoutant,

' CONDAMNER Monsieur [R] [C] à verser à la SCP B.T.S.G.², prise en la personne de Maître [F] [S], ès qualités, la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' CONDAMNER Monsieur [R] [C] aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.'

Aux termes de son avis notifié par le RPVA le 18 mars 2025, le ministère public invite la cour à confirmer le jugement.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 8 avril 2025.

SUR CE,

Sur la demande de la société BTSG² ès qualités aux fins de voir dire irrecevables les conclusions de M. [C] notifiées les 16 mars 2020 et 3 septembre 2020

A l'appui de sa fin de non-recevoir fondée sur les articles 960 et 961 du code de procédure civile, la société BTSG² ès qualités expose que les conclusions de M. [C] notifiées les 16 mars 2020 et 3 septembre 2020 sont irrecevables à défaut, pour le concluant, de mentionner son domicile réel; qu'en effet, ces écritures mentionnent successivement deux adresses distinctes situées [Adresse 1] et [Adresse 6] à [Localité 8], dont aucune ne correspond au domicile réel de l'appelant; que ce dernier ne peut soutenir que son domicile serait établi à cette dernière adresse alors que le commissaire de justice chargé de lui délivrer en ce lieu l'assignation devant le tribunal de commerce, le 15 février 2019, avait été contraint de dresser un procès-verbal de recherches infructueuses; qu'il apparaît que M. [C] dissimule son adresse véritable afin d'empêcher l'exécution du jugement.

M. [C] conteste toute volonté de dissimulation. Il explique que son domicile actuel est situé [Adresse 6] à [Localité 8]; que par le passé, il a bien habité à l'adresse du [Adresse 1] à [Localité 8] mentionnée dans ses premières conclusions, qui n'est donc pas fictive; que le jugement dont appel a interverti les deux adresses en mentionnant à tort que son domicile actuel était situé à cette dernière adresse; qu'il a désormais régularisé la procédure puisque ses conclusions n°2 puis n°3 prises devant la cour d'appel mentionnent bien l'adresse de son domicile actuel situé [Adresse 6] à Marseille.

Il résulte de la combinaison de l'article 960 et de l'article 961 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 que les conclusions d'appel ne sont pas recevables tant que l'adresse du domicile du concluant personne physique n'a pas été fournie. Cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ou, en l'absence de mise en état, jusqu'à l'ouverture des débats.

Il est de principe que si la charge de la preuve de la fictivité du domicile pèse sur celui qui invoque cette fin de non-recevoir, il appartient à celui qui prétend la régulariser de prouver que la nouvelle adresse indiquée constitue son domicile réel.

En l'espèce, il se déduit de l'invocation d'une 'régularisation' par M. [C] que ce dernier admet que l'adresse du [Adresse 1] à [Localité 8] figurant dans ses conclusions du 16 mars 2020 ne correspondait pas à celle de son domicile lors de la remise au greffe de ces écritures.

Les conclusions ultérieurement remises au greffe par M. [C] les 3 septembre 2020 et 17 février 2021, de même que les conclusions ultérieurement notifiées par l'intéressé depuis la saisine de la cour de renvoi, mentionnent l'adresse du [Adresse 6] à [Localité 8]. Pour justifier de la réalité de ce domicile, M. [C] verse aux débats des correspondances adressées à son attention à cette dernière adresse en janvier et février 2021, ainsi qu'un extrait de casier judiciaire délivré le 20 février 2017, un relevé de compte bancaire du mois de janvier 2021 et son avis d'impôt sur le revenu de l'année 2018 établi le 10 juillet 2019 qui mentionnent également cette adresse. Au vu de ces éléments, dont la plupart sont postérieurs à l'acte du 15 février 2019 invoqué par le liquidateur, il convient de juger que M. [C] rapporte la preuve que l'adresse du [Adresse 6] à [Localité 8] est celle de son domicile réel.

La fin de non-recevoir ayant été régularisée avant le jour du prononcé de la clôture, la société BTSG² ès qualités sera déboutée de sa demande.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Sur l'insuffisance d'actif

La société BTSG² ès qualités expose que le passif définitif de la société Bowlingstar s'élève à la somme de 437.825,83 euros, constitué à 91 % de la créance du bailleur, et que l'actif recouvré s'élève à la somme de 10.000 euros de sorte que l'insuffisance d'actif est d'un montant de 427.825,83 euros.

Ces chiffres ne sont pas contestés par M. [C].

Sur les fautes de gestion alléguées

1) l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours

M. [C] soutient:

- que la société BTSG² ès qualités ne rapporte pas la preuve qu'il a volontairement omis de déclarer la cessation des paiements;

- qu'il s'agit en réalité d'une simple négligence de sa part, qui s'explique par les difficultés rencontrées avec la société EM2C.

La société BTSG² ès qualités objecte:

- que M. [C] a omis de déclarer la cessation des paiements de la société Bowlingstar dans le délai de 45 jours de l'article L. 640-4 du code de commerce, qui a commencé à courir le 25 juin 2015, date de la cessation des paiements retenue par le tribunal;

- qu'il ne pouvait pourtant ignorer qu'il n'avait pas réglé la somme conséquente due à la société EM2C, plaçant la société Bowlingstar en état de cessation des paiements, et que les locaux avaient été restitués au bailleur à la suite de l'ordonnance de référé du 16 juin 2015, ce qui empêchait toute perspective de poursuite de son exploitation; que son défaut de déclaration de la cessation des paiements ne constitue pas une simple négligence et ce d'autant qu'il ne pouvait ignorer son obligation déclarative pour avoir été le dirigeant d'autres sociétés ayant également fait l'objet de procédures collectives;

- qu'il a résulté de sa carence une aggravation du passif d'un montant de 119.633,96 euros, soit 28 % de l'insuffisance d'actif, correspondant au montant de la créance additionnelle du bailleur née après le 9 août 2015.

Le ministère public retient l'existence d'une faute de gestion pour le même motif.

Aux termes de l'article L. 640-4 du code de commerce, l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Le fait, pour le dirigeant, de méconnaître l'obligation précitée constitue une faute de gestion susceptible d'engager sa responsabilité.

En l'espèce, la date de cessation des paiements de la société Bowlingstar a été irrévocablement fixée au 25 juin 2015 par le jugement du 12 octobre 2016 et s'impose à la cour.

Il s'ensuit que M. [C], qui n'a pas sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation, aurait dû demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire avant le 10 août 2015. Or, il est constant qu'il n'a jamais effectué cette démarche puisque la procédure collective de la société Bowlingstar a été ouverte sur l'assignation d'un créancier, la société EM2C.

M. [C] était pourtant parfaitement informé de l'état de cessation des paiements de la société Bowlingstar résultant de son incapacité non contestée à s'acquitter de l'arriéré locatif de 218.863,83 euros au paiement duquel elle a été condamnée à titre provisionnel par l'ordonnance de référé du 16 juin 2015 signifiée le 25 juin suivant. Par ailleurs, M. [C], qui connaissait les règles des procédures collectives pour avoir été le dirigeant de dix-huit sociétés dont deux ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire ouverte avant celle concernant la société Bowlingstar selon les indications non contestées du mandataire liquidateur, n'ignorait pas son obligation de déclarer la cessation des paiements de l'entreprise. Son omission d'y procéder excède par conséquent la simple négligence et présente un caractère fautif.

Il résulte des éléments comptables produits par la société BTSG² ès qualités que cette faute a contribué à l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 119.633 euros correspondant à l'arriéré locatif supplémentaire constitué pendant la période suspecte après l'expiration du délai légal de 45 jours, somme non contestée dans son quantum par l'appelant.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que M. [C] avait commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société à hauteur de ce montant.

2) sur la poursuite d'une activité déficitaire

M. [C] fait valoir:

- que la poursuite de l'exploitation déficitaire de la société Bowlingstar ne peut lui être reprochée car elle s'explique par le fait qu'il avait l'espoir de rétablir la situation de l'entreprise; que le fonds de commerce n'avait été ouvert au public qu'en 2013 de sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir poursuivi l'activité à la suite de l'exercice déficitaire 2014; qu'il n'y a en effet rien de fautif à poursuivre une activité qui ne peut être immédiatement bénéficiaire;

- qu'il doit être tenu compte du fait que la société Bowlingstar a conclu un bail avec la société EM2C en considération des promesses que lui avait faites cette dernière de l'implantation de nombreux équipements et commerces à proximité des lieux loués, qui devaient drainer une importante clientèle pour son activité de bowling; que ces informations étaient toutefois mensongères puisque les équipements promis n'ont pas été créés, ce qui est à l'origine des difficultés de la société Bowlingstar;

- que la procédure judiciaire pour dol que la société Bowlingstar avait engagée contre la société EM2C n'a pas été reprise après radiation par le liquidateur, qui l'a injustement 'sabordée' (sic) alors qu'elle aurait permis, en cas d'allocation des dommages et intérêts demandés, d'augmenter l'actif de la société;

- qu'en outre, la société BTSG² ès qualités ne démontre pas qu'il a poursuivi l'activité déficitaire dans son intérêt personnel; qu'il n'a en effet retiré aucun bénéfice personnel de la poursuite de l'exploitation de la société Bowlingstar;

- qu'il s'agit en réalité d'une simple négligence de sa part, qui s'explique par les difficultés rencontrées avec la société EM2C.

La société BTSG² ès qualités objecte:

- qu'il ressort des documents comptables que la société Bowlingstar était déficitaire depuis 2014 et que son activité n'a jamais été rentable; que bien que ses capitaux propres soient devenus inférieurs à la moitié du capital social à compter de 2014, M. [C] a omis d'interroger les associés sur la poursuite de l'activité ainsi que l'article L. 223-42 du code de commerce lui en faisait pourtant l'obligation; qu'en outre, le compte bancaire de la société était débiteur depuis le mois de mai 2016; que M. [C], qui dirige plusieurs autres entreprises, ne pouvait ignorer cette situation; qu'il n'a toutefois ni résilié le bail, ni demandé l'ouverture d'une procédure collective, préférant poursuivre une activité déficitaire durant plusieurs exercices; que le fait qu'il n'en ait retiré aucun bénéfice personnel n'est pas nature à l'exonérer de sa responsabilité;

- que M. [C] lui reproche injustement d'avoir mis un terme à la procédure judiciaire engagée à l'encontre de la société EM2C alors qu'il revient à l'ancien conseil de la société Bowlingstar d'avoir choisi d'abandonner cette procédure; qu'en tout état de cause, M. [C], qui n'a jamais apporté d'éléments factuels à l'appui de son allégation de dol commis par le bailleur, disposait de la faculté d'exercer son droit propre de dirigeant s'il estimait que cette action pouvait conduire à l'anéantissement du passif constitué par la société Bowlingstar.

Le ministère public retient l'existence d'une faute de gestion pour le même motif.

La poursuite d'une activité déficitaire sans perspective raisonnable de redressement constitue une faute de gestion du dirigeant.

En l'espèce, il ressort des éléments comptables communiqués par la société BTSG² ès qualités et non contestés par M. [C] que la société Bowlingstar, qui n'a commencé à exploiter son activité qu'en 2013, a réalisé au cours de ce premier exercice un résultat net comptable de 30 euros, puis de - 2.469 euros en 2014 et de - 3.285 euros en 2015. Ainsi, l'exploitation de l'entreprise était déficitaire depuis 2014 lorsque la société EM2C l'a fait assigner le 18 avril 2016 en ouverture de procédure collective. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'à compter de 2014, les capitaux propres de la société Bowlingstar (13 euros) étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social (1.000 euros). La société était donc confrontée depuis 2014 à de très sérieuses difficultés économiques et financières.

M. [C] ne pouvait en ignorer l'existence puisqu'un simple suivi de l'activité et des comptes de l'entreprise lui permettait de constater l'insuffisance du chiffre d'affaire au regard des charges, notamment locatives, de l'entreprise, et, partant, le caractère déficitaire de l'exploitation.

M. [C] ne peut se retrancher, pour exonérer sa responsabilité, derrière le fait que la zone dans laquelle se trouvaient les lieux loués n'a pas connu le développement économique qui lui avait été annoncé. En effet, il lui appartenait, après avoir constaté que la société Bowlingstar ne pourrait compter sur l'achalandage escompté et qu'elle ne réaliserait pas de ce fait les résultats inscrits dans son budget prévisionnel, de prendre des mesures de restructuration pour remédier aux pertes de l'entreprise ou de solliciter l'ouverture d'une procédure collective. Il est en effet attendu une certaine clairvoyance de la part du chef d'entreprise, a fortiori lorsque celui-ci, comme en l'espèce, est fort d'une expérience certaine pour avoir dirigé dix-huit sociétés.

Or, loin de restructurer son entreprise ou de mettre un terme à son activité, M. [C] a préféré poursuivre une exploitation déficitaire dont les perspectives de redressement étaient pourtant d'autant plus chimériques que la société Bowlingstar a restitué son local à la société EM2C à la fin de l'année 2015 selon les indications non contestées du liquidateur et qu'elle ne disposait plus d'aucune trésorerie puisque son compte bancaire était débiteur depuis le mois de mai 2016 au vu des relevés de banque versés aux débats.

Le fait que les difficultés de la société Bowlingstar résultent, selon M. [C], d'un dol, au demeurant non caractérisé en l'état, est indifférent, cette circonstance étant simplement de nature à justifier le cas échéant une action en responsabilité contre l'auteur du dol mais non à le dispenser de son obligation, en tant que dirigeant, de tirer les conclusions utiles du caractère obéré de l'exploitation.

En outre, il n'y a pas lieu pour la cour de spéculer sur les chances de prospérer de l'action judiciaire engagée par la société Bowlingstar contre la société EM2C en raison de l'existence alléguée d'un dol commis par le bailleur, et ce d'autant que cette procédure a été radiée par le tribunal et non rétablie pour des motifs qu'il n'appartient pas à la cour d'apprécier dans le cadre de la présente instance dont l'objet n'est pas d'examiner l'éventuelle responsabilité du liquidateur mais de déterminer si le dirigeant a commis des fautes de gestion ayant conduit à l'insuffisance d'actif.

Par ailleurs, M. [C] est mal fondé à soutenir que le liquidateur ne rapporterait pas la preuve de la recherche d'un intérêt personnel dans la poursuite de l'activité déficitaire de la société Bowlingstar. En effet, une telle démonstration n'est pas requise dans le cadre l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Le fait pour M. [C] d'avoir sciemment poursuivi une activité déficitaire depuis l'exercice 2014 excède la simple négligence et constitue une faute de gestion, laquelle a contribué à l'insuffisance d'actif de la société Bowlingstar en permettant la constitution de nouvelles dettes à l'égard du bailleur.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que M. [C] avait commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société à hauteur de la somme de 119.633 euros correspondant à l'arriéré locatif supplémentaire constitué pendant la période suspecte.

Sur le montant de la contribution mise à la charge de M. [C]

La société BTSG² ès qualités sollicite la condamnation de M. [C] à lui payer la somme précitée de 119.633 euros.

Les fautes de gestion commises par M. [C] témoignent d'une importante carence dans l'exercice des ses fonctions de dirigeant, qu'il y a lieu de sanctionner.

Au regard de la gravité de ces fautes et de l'importance de l'insuffisance d'actif constituée par la société Bowlingstar, la cour fixera la contribution de M. [C] à la somme de 119.633 euros. Le jugement sera donc confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de l'instance d'appel seront supportés par M. [C] et seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. M. [C] sera par conséquent débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

L'équité commande de condamner M. [C] à payer à la société BTSG² ès qualités la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Déboute la société BTSG² ès qualités de sa demande aux fins voir dire irrecevables les conclusions de M. [C] notifiées les 16 mars 2020 et 3 septembre 2020,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. [C] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Condamne M. [C] à payer à la société BTSG² ès qualités la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [C] aux dépens de l'instance d'appel, dont distraction au profit de Maître Pechenard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

Présidente

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