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Décisions

CA Poitiers, 1re ch., 16 septembre 2025, n° 23/02158

POITIERS

Arrêt

Autre

CA Poitiers n° 23/02158

16 septembre 2025

ARRET N°267

N° RG 23/02158 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G4J5

S.A.S. [9]

C/

[B]

S.A.R.L. [11]

Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

Le à

Le à

Le à

Copie gratuite délivrée

Le à

Le à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02158 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G4J5

Décision déférée à la Cour : jugement du 24 août 2023 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHE SUR YON.

APPELANTE :

S.A.S. [9]

[Adresse 12]

[Localité 3]

ayant pour avocat postulant Me Stéphanie PROVOST-CUIF de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Caroline PECHIER, avocat au barreau de LA CHARENTE

INTIMES :

Maître [O] [B]

Commissaire de justice [Adresse 1]

[Localité 4]

S.A.R.L. [11]

[Adresse 1]

[Localité 4]

ayant tous les deux pour avocat postulant Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET- BRIAND- PETILLION, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Thibaud HUC, avocat au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Mai 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller qui a fait son rapport

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SARL [9] a confié à la SARL [11] un mandat pour la résiliation de deux baux commerciaux, en sa qualité de preneur, par courriel du 16 mars 2021, en vue d'un effet fin septembre 2021.

Le congé a été délivré par Maître [B], commissaire de justice de l'étude [11], le 2 avril 2021, portant les effets de la résiliation du bail au 31 décembre 2021.

Par acte de commissaire de justice en date du 27 octobre 2022, la SARL [9] a donné assignation à la SARL [11] et à Maître [O] [B] devant le tribunal judiciaire de LA ROCHE SUR YON en responsabilité.

Par ses dernières écritures, la SARL [9] demandait au tribunal :

- de rejeter les demandes formées par les défendeurs

- de condamner solidairement et au bénéfice de l'exécution provisoire Maître [O] [B] et la SARL [11] à lui payer la somme de 8514 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2021, outre 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil et aux dépens.

En défense, la SARL [11] et Maître [O] [B] demandaient au tribunal de constater qu'ils sont offrants de la somme de 5108,40 euros et de débouter la SARL [9] de ses autres demandes.

Ils concluaient que le préjudice subi par la SARL [9] ne pouvait être réparé que sur le fondement de la perte de chance et proposaient de régler 60 % des sommes réclamées, soit 5108,40 euros.

Par jugement contradictoire en date du 24 août 2023, le tribunal judiciaire de LA ROCHE SUR YON a statué comme suit :

'Condamne solidairement la SARL [11] et Maître [O] [B] à payer la somme de 5108,40 euros à la SARL [9] ;

Condamne solidairement la SARL [11] et Maître [O] [B] aux dépens ;

Rejette le surplus des demandes ;

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit'.

Le premier juge a notamment retenu que :

- il n'est pas contesté que la SARL [9] a confié à la SARL [11] un mandat consistant en la délivrance d'un congé avec effet à la fin du mois de septembre 2021. Il n'est pas non plus discuté que l'acte a été délivré avec deux jours de retard, retardant de 6 mois la prise d'effet du congé.

- en l'absence de refus des termes du mandat par la SARL [11] en dépit de la tardiveté de la demande et dés aléas inhérents à toute signification d'acte, il convient de conclure, d'une part, que le mandat a été accepté, et d'autre part, qu'il n'a pas été correctement exécuté.

- il n'est pas démontré que la SARL [11] a informé son mandant de la délivrance du congé à autre date que celle demandée et des conséquences inhérentes à ce retard, en contrariété avec l'obligation de conseil dont est tenu le commissaire de justice.

- la SARL [11] a donc commis des manquements de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

La délivrance du congé tardif a eu pour effet de prolonger le contrat de bail commercial au-delà de la date souhaitée par la SARL [9].

- la délivrance d'un congé à une date donnée ne peut-être analysée en une éventualité favorable et son absence de réalisation est un dommage certain, elle ne répond donc pas au critère de la perte de chance.

- la SAS [9] déplore le paiement de trois loyers supplémentaires au titre de son préjudice mais ce paiement ne saurait toutefois être considéré comme une conséquence directe du manquement à l'obligation de conseil

- le paiement de loyers supplémentaires n'est donc pas, in fine, constitutif d'un préjudice, s'agissant de la contrepartie de l'exécution d'un contrat prolongé

Il appartient à la demanderesse de démontrer que les circonstances ont fait de ce paiement un préjudice, tel que par exemple : l'absence de contrepartie réelle, du fait de l'absence d'occupation des locaux, ou le paiement d'un double loyer, ou les difficultés de trésorerie liées à cette charge supplémentaire.

- la SARL [9] demeure taisante sur la réalité de son préjudice.

- pour autant, le principe de ce préjudice est accepté par les défendeurs, qui proposent de le réparer à hauteur de 5108,40 euros. Cette somme sera donc retenue au titre de la réparation du préjudice subi par la SARL [9].

LA COUR

Vu l'appel en date du 22 septembre 2023 interjeté par la société SAS [9]

Vu l'article 954 du code de procédure civile

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 29/07/2024, la société SAS [9] a présenté les demandes suivantes :

'Vu les dispositions des articles 1231-1, 1990 et 1991 et suivants du code civil, Il est demandé à la cour d'appel de :

- INFIRMER le jugement rendu le 24 août 2023 par le tribunal de LA ROCHE SUR YON en ce qu'il a condamné solidairement la SARL [11] et Maître [B] à payer la somme de 5.108, 40 € à la société [9] ;

En conséquence et statuant à nouveau :

- REJETER l'ensemble des demandes, fins et prétentions formées par Maître [O] [B] et la SARL [11] ;

- CONDAMNER Maître [O] [B] et la SARL [11] solidairement à payer à la SARL [9] la somme de 8.514 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2021, en réparation de son préjudice suite aux manquements commis par commissaire de justice;

- CONDAMNER Maître [O] [B] et la SARL [11] solidairement à payer à la SARL [9] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONFIRMER le jugement rendu le 24 août 2023 par le tribunal de LA ROCHE SUR YON en ce qu'il a condamné solidairement la SARL [11] et Maître [B] aux entiers dépens ;

Et Y AJOUTANT :

- CONDAMNER Maître [O] [B] et la SARL [11] solidairement à payer à la SARL [9] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel'.

A l'appui de ses prétentions, la société SAS [9] soutient notamment que:

- le commissaire de justice est responsable des fautes qu'il commet et pécuniairement des conséquences dommageables de ses actes, soit envers son client, dont il est le mandataire ou légal ou désigné, soit encore envers les tiers, dans les termes du droit commun en vertu de l'article 1240 du code civil.

- il est responsable des fautes qu'il a pu commettre dans l'exécution de son mandat à l'égard de son client dans la mesure où celui-ci subit un préjudice par application des articles 1991 et 1992 du code civil.

Il est également responsable au cas d'inexécution, de retard dans l'exécution ou de mauvaise exécution de son mandat, au titre de l'article 1231-1 du code civil.

- en l'espèce, la société [9] considère que la société [11] et Maître [O] [B] ont commis une faute en ne respectant pas la volonté expresse de leur mandant qui était de faire délivrer le congé avant le 31 mars 2021 pour que celui-ci produise ses effets au 30 septembre 2021.

- outre cette faute manifeste, l'étude [11] et Maître [B] ont également manqué à leur devoir de conseil en n'informant pas la société [9] des conséquences d'une délivrance tardive du congé.

- la société [9] a, par un courriel du 16 mars 2021, saisi l'étude de commissaire de justice [11] afin que soit délivre à la SCI [10] un congé du bail commercial, et ce conformément aux dispositions de l'article L.145-9 du code de commerce, pour que celui-ci produise ses effets au 30 septembre 2021

- le 23 mars 2021, Maître [O] [B] a accusé réception de la page manquante du bail et a indiqué à la SARL [9] qu'il était donc en mesure de rédiger le congé.

Néanmoins, et alors qu'il devait délivrer le congé pour qu'il produise ses effets au 30 septembre 2021, celui-ci ne sera délivré que le 2 avril 2021.

- la délivrance tardive du congé de la part du commissaire de justice est caractérisée, de sorte qu'elle est de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle.

- la société [11] et Maître [O] [B] ont également manqué à leur obligation de conseil.

Le commissaire de justice doit veiller à l'efficacité de l'acte qu'il instrumente, ou à tout le moins, de conseiller son mandat sur l'efficacité ou l'utilité de l'acte qu'il est chargé d'accomplir. Il n'a ni renseigné ni conseillé utilement la société [9].

- si le congé avait été délivré conformément aux instructions de la société [9] afin qu'il prenne effet au 30 septembre 2021, il est certain que cette dernière n'aurait pas eu à s'acquitter des loyers des mois d'octobre 2021, novembre 2021 et décembre 2021.

- le préjudice de la société est certain, et il ne consiste pas en une simple perte de chance.

- il y a lieu de condamner solidairement Maître [O] [B] et son étude de commissaire de justice, la société [11], à payer à la SARL [9] la somme de 8.515,00 € assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 2021.

- le dommage réparable doit être direct, actuel et certain, ce qui est le cas.

Le préjudice éventuel, bien que futur, est réparable, à la différence d'un préjudice éventuel et aléatoire. Il est la prolongation certaine et directe d'un état de chose actuel et est susceptible d'estimation immédiate.

Il diffère de la perte de chance qui ne peut dépendre que d'un événement futur et incertain et consiste en la disparition d'une espérance future dont il est impossible de savoir si elle se serait réalisée.

- il est certain et incontestable qu'en l'absence de faute, la société [9] n'aurait pas eu à payer les loyers des mois des mois d'octobre, novembre et décembre 2021. Son préjudice est constitué par le fait qu'elle a dû s'acquitter de ces loyers.

- si par extraordinaire la cour venait à retenir un préjudice de perte de chance, celui-ci sera fixé à 99%, car rien ne faisait obstacle à la délivrance du congé au plus tard le 31 mars 2021.

- les intimés ne peuvent pas sérieusement faire grief à la société [9] de les avoir contactés tardivement. L'étude aurait dû soit refuser le mandat soit alerter la société [9] sur le fait que sa saisine était trop tardive pour que l'acte soit délivré au plus tard le 31 mars 2021, et l'informer des conséquences. En outre, le mandat date du 16 mars 2021 pour un acte à délivrer le 31 en suivant.

- les intimés ne peuvent pas opposer à la société [9] une prétendue impossibilité de délivrer le congé au motif qu'ils n'auraient pas été informés d'un changement de siège social de la SCI [10], dès lors qu'il appartenait à l'étude et à Me [B] d'effectuer toutes les vérifications nécessaires, notamment en consultant l'extrait K-Bis de la société, et les factures reçues de la SCI [10] pour le paiement des mois d'octobre, novembre et décembre 2021 qui font toujours référence à l'adresse du [Adresse 2] à [Localité 8].

- dans une telle hypothèse, il appartient à commissaire de justice de délivrer l'acte selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.

- la délivrance du congé n'a jamais été conditionnée à une quelconque décision de l'autorité de la concurrence et cette opération de rachat est hors sujet et n'a aucune incidence sur la présente procédure.

- le mandat était très clair et n'était assorti d'aucune condition suspensive mais n'a tout simplement pas été respecté.

- la société [9] et le groupe [5] sont deux structures et personnes morales différentes, et la société [9] a produit aux débats les justificatifs de paiement des loyers d'octobre, novembre et décembre 2021.

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 10/04/2025, la société SARL [11] et Maître [O] [B] ont présenté les demandes suivantes :

'Vu l'article 1992 du Code civil, Vu l'article 1240 du code civil,

A titre principal :

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué des dommages et intérêts à la société [9] et condamné la société [11] et Me [B] à lui payer 5.108,40 € ainsi que les entiers dépens.

En conséquence

Débouter la société [9] de l'ensemble de ses prétentions et demandes

Condamner la société [9] à payer à la société [11] et Me [B] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

Infirmer le jugement rendu le 24 août 2023 par le tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon en ce qu'il a reconnu que s'il existait un préjudice il ne pouvait pas être réparé sur le fondement de la perte de chance

En conséquence :

Déclarer que le préjudice subi par la société [9] ne peut s'analyser qu'en une perte de chance

Limiter le montant de cette perte de chance à une somme symbolique, voire minime

A titre infiniment subsidiaire :

Déclarer que le préjudice subi par la société [9] ne peut s'analyser qu'en une perte de chance et que cette dernière ne peut être supérieure à 60 % des loyers réglés soit 5.108,40 €

A défaut,

Confirmer le jugement du 24 août 2023 rendu par le tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon en toutes ses dispositions

En tout état de cause :

Débouter la société [9] de ses autres prétentions et demandes et notamment celles formulées au titre des frais de procédure de première instance et d'appel

Condamner la société [9] à payer à la société [11] et Me [B] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de leurs prétentions, la société SARL [11] et Maître [O] [B] soutiennent notamment que :

- il n'y a désormais aucune raison pour que les intimés ne s'appuient pas sur le raisonnement des premiers juges pour solliciter, à titre principal, l'infirmation de décision en ce qu'elle a alloué une indemnité à la société [9] et à titre subsidiaire, la confirmation de la décision.

- en juin 2020, l'Autorité de la concurrence avait exceptionnellement accordé au groupe [5] une dérogation lui permettant de procéder à la réalisation de l'opération de concentration sans attendre la décision finale.

L'autorisation définitive de rachat des magasins n'a été donnée par l'Autorité de la concurrence que le 24 mars 2021, soit postérieurement au mandat donné à l'étude.

- en l'espèce, les baux ayant été tacitement prolongés, le preneur était libre de donner congé aux bailleurs, au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil.

Pour que les congés prennent effet au 30 septembre 2021, terme d'un trimestre civil, il fallait donc qu'ils soient délivrés au plus tard le 31 mars 2021.

Le congé afférent au magasin [6] a été régulièrement délivré le 31 mars 2021.

Les derniers éléments permettant la rédaction du congé afférent au magasin [7] n'ont été adressés au commissaire de justice que le 23 mars 2021.

- il était par ailleurs précisé à l'étude que la SCI [10], bailleresse, avait son siège [Adresse 2] à [Localité 8].

Or le 31 mars 2021, lorsque l'étude s'est déplacée sur site, elle a découvert que le bailleur n'y avait plus son siège et n'a finalement pu délivrer l'acte au domicile personnel du gérant que le 2 avril 2021.

La formalité de transfert de siège social décidée aux termes d'une AGE du 15 mars 2021 n'a en effet été publiée au greffe que le 19 novembre 2021, soit bien postérieurement à l'intervention de l'étude. Me [B] ne pouvait donc avoir connaissance de ce transfert en consultant Infogreffe. Il ne devait pas établir de procès-verbal de recherches infructueuses à l'ancien siège alors qu'il pouvait valablement délivrer l'acte au domicile personnel du gérant, ce qu'il a fait.

- à titre principal, le préjudice du preneur ne peut être réparé que sur le fondement de la perte de chance, contrairement à ce que le tribunal a jugé.

- l'opération de transfert était en toutes hypothèses soumise à un aléa significatif puisque l'autorité de la concurrence n'a autorisé l'opération de rachat des magasins [13] que le 24 mars 2021, soit postérieurement au mandat donné.

En agissant en amont de cette décision, l'appelante a donc accepté l'aléa financier et le risque lié à l'échec de l'opération.

- elle a accepté un second aléa en saisissant tardivement l'étude qui, si elle avait eu en sa possession l'ensemble des éléments plus tôt, aurait pu, après la déconvenue de la découverte du changement de siège social de la SCI, délivrer le congé avant la date butoir.

- il n'est en effet pas impossible que des franchises de loyer aient été consenties et l'appelante serait alors mal fondée à solliciter la double indemnisation de son préjudice.

- le préjudice invoqué par la société [9] n'est donc aucunement certain et son opération était soumise à de nombreux aléas que l'étude ne saurait supporter en totalité.

- il ne peut y avoir réparation intégrale du préjudice invoqué au vu du contexte spécifique dans lequel la société [9] a mandaté l'huissier pour délivrer congé.

- à titre subsidiaire, sur la perte de chance subie par la société [9] et la confirmation de la décision, le montant de la perte de chance ne peut être supérieur à 60 %. Si la société [9] a obtenu ce montant, c'est uniquement grâce aux défendeurs qui avaient proposé que l'indemnité soit plafonnée à hauteur de 60 % de la somme réclamée et étaient offrants de cette somme.

Si aucune proposition n'avait été formulée, le tribunal aurait pu tout aussi bien, en l'absence de tout préjudice justifié, la débouter intégralement de ses demandes.

L'ensemble des éléments de ce dossier milite pour que, si une indemnité a été allouée, elle soit symbolique, voire minime, et à défaut, le préjudice subi par la société [9] soit fixé au maximum à 60 % des sommes réclamées, soit 5.108,40€.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 11/02/2025.

À l'audience, la cour a invité les parties à faire par voie de note contradictoire en délibéré toutes observations sur la recevabilité de l'appel incident par lequel les intimés sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les a condamnés à indemniser la société [9] et sollicite le rejet de ses demandes, alors qu'ils offraient en première instance de l'indemniser par la somme de 5108,40 euros.

Aucune observation n'a été transmise.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de l'appel incident de la société [11] et de Me [B] :

En première instance, la société [11] et Me [B] admettaient le principe de leur obligation de réparer le préjudice causé à la société [9] par la faute que celle-ci invoquait, demandant au tribunal de leur donner acte qu'ils offraient de l'indemniser par la somme de 5108,40 euros et de dire cette offre satisfactoire.

Le tribunal les a condamnés au paiement de cette somme.

Ils ne succombent pas en cette condamnation, conforme à ce qu'ils sollicitaient, et ne sont pas recevables à former devant la cour appel incident pour lui demander de débouter désormais purement et simplement l'appelante de sa demande d'indemnisation.

Sur le fond du litige :

L'article 1134 ancien du code civil dispose que :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Le principe de ces dispositions est repris désormais aux articles 1103 du code civil : ' les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits,' et 1104 du code civil 'les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi'.

L'engagement de la responsabilité contractuelle trouve son fondement dans l'article 1231-1 du code civil (1147 ancien) qui dispose que 'le débiteur est condamné, s'il y a lieu, à paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure'.

L'article 1991 du code civil dispose que 'le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution'.

En l'espèce, la société [9] a saisi par un courriel du 16 mars 2021, l'étude de commissaire de justice [11] afin que soit délivre à la SCI [10] un congé du bail commercial souscrit précédemment et ce conformément aux dispositions de l'article L.145-9 du Code de commerce, pour que celui-ci produise ses effets au 30 septembre 2021 : 'nous souhaitons nous retirer pour la fin du mois de septembre'.

Il n'était fait état d'aucune condition suspensive dans le cadre de l'exécution de cette décision, cela même si l'autorité de la concurrence n'a autorisé l'opération de rachat des magasins [13] que le 24 mars 2021, cette circonstance étant sans relation effective avec la décision de congé.

Le 23 mars 2021, Maître [O] [B] a accusé réception de la page manquante du bail et a indiqué à la SARL [9] qu'il était donc en mesure de rédiger le congé, acceptant ainsi son mandat sans faire état de réserve quant à la tardiveté éventuelle de sa saisine et ses conséquences.

L'article L.145-9 du code de commerce dispose que : 'A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil'.

Or, alors qu'il devait délivrer le congé pour qu'il produise ses effets au 30 septembre 2021, celui-ci ne sera délivré que le 2 avril 2021.

Le commissaire de justice ne justifie pas de son refus d'accepter ce mandat ni du fait d'avoir alerté la société [9] de ce que sa saisine était trop tardive pour que l'acte soit délivré au plus tard le 31 mars 2021.

Alors qu'il lui appartenait de prendre toutes dispositions utiles à l'accomplissement de son mandat, il ne peut arguer d'une impossibilité de délivrer le congé au motif qu'il n'aurait pas été informé d'un changement de siège social de la SCI [10].

Le fait que l'assemblée générale extraordinaire de la SCI [10] ait décidé le 15 mars 2021 de transférer son siège social ne saurait influer alors que ce transfert n'a été rendu opposable aux tiers que le 1er décembre 2021, et que l'acte destiné à une personne morale de droit privé peut être délivré en un autre lieu que celui de son établissement, à condition qu'il soit remis entre les mains de la personne ayant qualité pour la représenter.

Il y a lieu de relever qu'en l'espèce, le congé a été effectivement délivré à l'adresse personnelle du gérant de la société bailleresse, mais seulement le 2 avril 2021.

Il ressort de ces éléments que la société [11] et Maître [O] [B] ont commis une faute dans l'exécution de leur mandat en ne respectant pas leur obligation de délivrer le congé au plus tard le 31 mars 2021 pour que celui-ci produise ses effets au 30 septembre 2021.

En conséquence, le congé délivré le 2 avril 2021 ne pouvait pas produire ses effets au 30 septembre 2021 mais uniquement au 31 décembre 2021 et la délivrance tardive du congé de la part du commissaire de justice est de nature à engager leur responsabilité civile professionnelle.

La conséquence certaine du défaut de délivrance du congé avant le 1er avril 2021 est certes que la société [9] s'est trouvée maintenue pour six mois dans les liens du contrat de bail commercial qu'elle voulait rompre, selon ses explications pour aller s'établir dans un autre local commercial.

Mais il n'en résulte pas pour autant que son paiement des loyers au bailleur pendant ces six mois constitue pour elle un préjudice, alors que ce paiement a trouvé sa contrepartie dans sa jouissance des locaux dans lesquels elle exploitait son activité de négoce d'habillement.

Malgré la motivation du jugement dont elle a relevé appel, la société [9] n'articule pas davantage devant la cour de préjudice effectif à l'appui de sa demande.

Elle ne prouve ni ne prétend qu'elle avait déjà acquis ou loué un autre local pour y déménager, et qu'en raison de la faute du commissaire de justice, elle aurait été contrainte de payer deux loyers dont l'un pour un local non exploité, ou les échéances de remboursement d'un prêt en plus de ce loyer ; ou qu'elle aurait en raison du retard d'un semestre dans son déménagement des lieux subi un préjudice commercial ; ou perdu une chance de louer ou d'acheter un autre local faute de pouvoir supporter une double charge financière ; ou manqué un meilleur achalandage en déménageant plus tôt, ou avant une saison plus propice aux affaires.

Elle ne se réfère à aucune autre circonstance que celle d'avoir payé un loyer pendant les six mois où le bail commercial s'est poursuivi, et durant lesquels elle ne prétend pas avoir quitté les lieux et cessé d'y exploiter son activité.

Il échet dans ces conditions de confirmer purement et simplement le jugement déféré, qui prenant acte de l'offre indemnitaire du commissaire de justice, l'a déclarée satisfactoire, et dont les chefs de décision afférents aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile sont également pertinents et adaptés.

Sur les dépens :

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'

Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge de la société SAS [9] .

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est équitable de dire que chaque partie conservera la charge de ses propores frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, le surplus des demandes étant écarté.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

DÉCLARE irrecevable l'appel incident par lequel la société [11] et Me [B] demandent à la cour d'infirmer leur condamnation au paiement de la somme de 5108,40 euros et sollicitent désormais le rejet pur et simple de la demande d'indemnisation formulée par la société [9]

CONFIRME le jugement entrepris.

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.

DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

CONDAMNE la société SAS [9] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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