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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 16 septembre 2025, n° 24/01391

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Domofinance (SA), Solaar industry (SARL)

Défendeur :

Domofinance (SA), Solaar industry (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fallenot

Conseillers :

Mme Beauvais, Mme des Robert

Avocats :

Me Gilbert-Carlier, Me Boulaire, Me Christian, Me Lusson, Me Deffrennes

TJ Laon, juge des contentieux de la prot…

5 février 2024

DECISION :

Le 6 décembre 2011, à l'occasion d'un démarchage à domicile, Mme [T] a fait l'acquisition auprès de la société Solaar industry d'une installation photovoltaïque, financée par un contrat de prêt de 16 000 euros au taux débiteur de 5,55 %, souscrit le 7 décembre 2011 auprès de la société Domofinance.

Le 14 mars 2012, la société Solar industry a été placée en liquidation judiciaire.

Courant mars 2018, Mme [T] a remboursé par anticipation le solde du crédit affecté qui lui avait été consenti par la société Domofinance.

Etant insatisfaite du rendement de l'installation, Mme [T] a fait assigner la société Domofinance et le mandataire ad hoc de la société Solaar industry devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Laon par actes des 18 et 25 juillet 2022, pour obtenir la nullité des contrats, la restitution des sommes versées et l'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement rendu le 5 février 2024, le tribunal judiciaire de Laon a :

- déclaré irrecevable comme prescrite l'action engagée par Mme [T] aux fins d'annulation du contrat de vente conclu avec la société Solaar industry le 6 décembre 2011 et aux fins d'annulation du contrat de crédit affecté conclu avec la société Domofinance le 7 décembre 2011 ;

- condamné Mme [T] à payer à la société Domofinance la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Mme [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [T] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 4 avril 2024, Mme [T] a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette décision.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 2 juillet 2024, Mme [T] demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris purement et simplement.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclarer ses demandes recevables et bien fondées ;

Prononcer la nullité du contrat de vente ;

Prononcer la nullité du contrat de prêt affecté ;

Condamner la société Domofinance à lui verser l'intégralité des sommes suivantes au titre des fautes commises :

- 16 000 euros correspondant au montant du capital emprunté, en raison de la privation de sa créance de restitution ;

- 8 395 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés à la société Domofinance en exécution du prêt souscrit ;

- 5 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens ;

En tout état de cause,

Prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels de la société Domofinance ;

Condamner la société Domofinance à lui rembourser l'ensemble des intérêts versés au titre de l'exécution normale du contrat de prêt jusqu'à parfait paiement et lui enjoindre de produire un nouveau tableau d'amortissement expurgé desdits intérêts ;

Débouter la société Domofinance et la société Solaar industry de l'intégralité de leurs prétentions plus amples ou contraires ;

Condamner la société Domofinance à supporter les entiers frais et dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées le 1er octobre 2024, la société Domofinance demande à la cour de :

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Déclarer Mme [T] irrecevable en ses prétentions, pour cause de prescription de son action ;

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses prétentions ;

A titre subsidiaire,

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes formulées et notamment de sa demande en remboursement des sommes d'ores et déjà versées dans le cadre de l'exécution du contrat de crédit affecté ;

A titre très subsidiaire, si par extraordinaire la cour d'appel estimait devoir réformer le jugement entrepris et prononcer l'annulation du contrat principal de vente entraînant l'annulation du contrat de crédit affecté,

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes et notamment de sa demande en remboursement des sommes d'ores et déjà versées dans le cadre de l'exécution du contrat de crédit affecté, à l'exception des seules sommes qui auraient pu être versées par Mme [T] entre les mains du prêteur au-delà du montant du capital prêté.

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible la cour d'appel devait considérer que la société Domofinance a commis une faute dans le déblocage de fonds,

Débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes et notamment de sa demande en remboursement des sommes d'ores et déjà versées dans le cadre de l'exécution du contrat de crédit affecté, à l'exception des seules sommes qui auraient pu être versées par Mme [T] entre les mains du prêteur au-delà du montant du capital prêté ;

A défaut, réduire à de bien plus justes proportions le préjudice subi par Mme [T] et dire et juger que Mme [T] devait à tout le moins restituer à la société Domofinance une fraction du capital prêté, fraction qui ne saurait être inférieure aux deux tiers ;

En tout état de cause,

Débouter Mme [T] de sa demande en paiement de dommages et intérêts complémentaires ;

Condamner Mme [T] à lui payer la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamner Mme [T] aux entiers frais et dépens y compris ceux d'appel dont distraction au profit de la SCP Lusson et Catillon.

S'étant vu signifier à domicile la déclaration d'appel par acte du 8 juillet 2024, M. [U], en qualité de mandataire de la société Solaar industry, n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2025.

MOTIFS

1. Sur la demande d'annulation du contrat de crédit

1.1. Sur la recevabilité

La société Domofinance argue que le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la signature par Mme [T] du bon de commande, soit le 6 décembre 2011, et que l'action en nullité du contrat principal de vente se prescrivait donc le 6 décembre 2016. Elle considère que le jugement dont appel mérite pleinement confirmation.

Mme [T] répond que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité suppose en premier lieu, pour être fixé, que le dommage allégué soit connu de la victime et se soit manifesté dans toute son ampleur. Or l'appréciation de la rentabilité d'une installation ou de biens d'équipement censés produire un gain ou une économie d'énergie sur de nombreuses années suppose nécessairement un peu de recul. Ses craintes ne se sont véritablement confirmées qu'après plusieurs années de production et après la lecture du rapport d'expertise qui lui a été remis le 13 décembre 2019, qui l'a conduite à saisir un avocat. Par ailleurs, le fait générateur de responsabilité consiste ici dans le fait, pour le banquier dispensateur de crédit, d'avoir commis une faute dans le déblocage des fonds en manquant à son devoir d'information et d'alerte au préjudice de l'emprunteuse. Mme [T] rappelle que la reproduction des dispositions du code de la consommation, même lisible, dans le bon de commande, ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat. Elle a donc légitimement ignoré les faits lui permettant d'agir, et notamment la faute commise par la banque, et ce n'est que lorsqu'elle a saisi un avocat que son attention a été attirée à cet égard.

Sur ce,

1.1.1. Sur la demande en nullité du contrat fondée sur le dol

Aux termes de l'article 1304 du code civil, en sa version issue de la loi 2007-308 du 5 mars 2007, dans tous les cas où l'action en nullité d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de dol, que du jour où ils ont été découverts.

En l'espèce, à supposer la rentabilité de l'installation entrée dans le champ contractuel, et à suivre l'argumentaire de l'appelante sur la promesse d'autofinancement qui lui a été faite, Mme [T] a nécessairement pu constater que les économies réalisées ne couvraient pas le montant des échéances du prêt souscrit dès la réception de sa première facture de régularisation de sa consommation d'électricité, qu'elle se garde de produire aux débats.

Les pièces versées aux débats mettant en évidence que la réception des travaux a été prononcée le 11 janvier 2012, il est certain, compte tenu de la périodicité des factures de régularisation, que Mme [T] a pu avoir connaissance du dol allégué au plus tard le 11 janvier 2013.

L'action ayant été engagée par actes des 18 et 25 juillet 2022, elle ne peut qu'être déclarée prescrite sur le fondement du dol.

1.1.2. Sur la demande en nullité du contrat fondée sur le non-respect du formalisme contractuel

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le point de départ du délai de prescription d'une action commence à courir à compter du moment où son auteur a pris connaissance des faits, ou a décelé les erreurs lui permettant de l'exercer.

Au regard de la date de conclusion du contrat, les textes applicables sont ceux issus de la loi n°93-949 du 26 juillet 1993.

Il est désormais jugé que la seule reproduction, même lisible, sur le bon de commande valant contrat, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat, en l'absence de circonstances, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance, dans les contrats souscrits antérieurement comme postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (Civ. 1re, 24 janvier 2024, n° 22-16.115).

En l'espèce, il n'est ni plaidé ni a fortiori démontré que Mme [T] a pu avoir une connaissance effective des vices susceptibles d'affecter le contrat avant d'avoir pris le conseil d'un avocat.

L'action en nullité du contrat, fondée sur l'irrespect du formalisme contractuel, doit donc être déclarée recevable.

La décision querellée est infirmée de ce chef.

1.2. Sur le bien-fondé

Mme [T] souligne que le bon de commande signé ne fait aucune mention :

- du nom du fournisseur ;

- de l'adresse du fournisseur ;

- de la date exacte de livraison ;

- de la désignation précise des caractéristiques des panneaux ;

- du nom du démarcheur.

Elle précise que le bon de commande qu'elle a signé mentionne le fait que le délai de livraison s'effectuera dans un délai compris en entre janvier et février. Il apparaît donc qu'aucune précision n'est apportée concernant la date de livraison de l'installation ni ses modalités concrètes.

Par ailleurs, ce bon de commande ne mentionne pas l'ensemble des caractéristiques essentielles des biens tels que la marque, les dimensions, le poids, la surface occupée, le prix unitaire des biens, ainsi que la distinction entre le coût de la main d''uvre et le coût des biens objets du contrat, alors que s'agissant du prix unitaire des biens et services commandés, la mention d'un prix détaillé tant pour les produits vendus en plusieurs exemplaires, comme les panneaux photovoltaïques, que pour l'ensemble des prestations effectuées est une nécessité pour le client. Il en va de même pour la distinction entre le coût du matériel et le coût de la main-d''uvre, et cela d'autant plus que le taux de TVA est différent selon qu'il s'agisse des éléments matériels ou des prestations de main-d''uvre.

Ces irrégularités emportent la nullité du contrat principal et caractérisent la faute commise par la banque dans le déblocage des fonds, puisqu'elle a délivré les fonds sans s'être assurée de la régularité du bon de commande.

Mme [T] nie enfin avoir réitéré son consentement. Elle plaide qu'il s'agit de causes de nullité d'ordre public, lesquelles ne peuvent être couvertes.

La société Domofinance répond que les biens offerts et services proposés par la société Solaar industry sont expressément précisés dans le bon de commande soumis à l'acceptation de Mme [T], et ce au travers des différentes mentions figurant en première page. Les dispositions du code de la consommation n'imposent pas de faire figurer, à peine de nullité du contrat, « le prix unitaire » des panneaux, la marque, la surface ou le poids des panneaux, étant précisé qu'en l'espèce, la marque des panneaux photovoltaïques est expressément précisée. Par ailleurs, est expressément stipulé le délai de livraison suivant : « Janvier Février ». Le nom du technicien de la société Solaar industry est également indiqué.

Le prêteur ajoute qu'en cas de non-respect des dispositions de l'article L 121-23 du code de la consommation, la sanction est la nullité relative du contrat de vente. Tel que l'a relevé à juste titre le premier magistrat, le bon de commande régularisé le 6 décembre 2011 par Mme [T] comporte en caractères parfaitement lisibles les dispositions des anciens articles L.121-23 et L.121-24 du code de la consommation, de sorte que si un vice l'affectait au sens des dispositions précitées, Mme [T] pouvait en avoir pleinement conscience.

La société Domofinance considère également que plusieurs éléments traduisent l'exécution volontaire du contrat par Mme [T], à savoir l'absence de rétractation dans le délai légal, le remboursement du prêt, l'acceptation de la livraison et de l'installation des équipements commandés sans réserve, ou encore le caractère particulièrement tardif de la contestation.

Sur ce,

Aux termes de l''article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n°93-949 du 26 juillet 1993, en vigueur à la signature du contrat litigieux, une vente à domicile doit faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire doit être remis au client au moment de la conclusion de ce contrat et comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :

1° Noms du fournisseur et du démarcheur ;

2° Adresse du fournisseur ;

3° Adresse du lieu de conclusion du contrat ;

4° Désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés ;

5° Conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens, ou d'exécution de la prestation de services ;

6° Prix global à payer et modalités de paiement ; en cas de vente à tempérament ou de vente à crédit, les formes exigées par la réglementation sur la vente à crédit, ainsi que le taux nominal de l'intérêt et le taux effectif global de l'intérêt déterminé dans les conditions prévues à l'article L. 313-1 ;

7° Faculté de renonciation prévue à l'article [9] 121-25, ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté et, de façon apparente, le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26.

Aux termes de l'article 1338 du code civil, en sa version issue de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000, l'acte de confirmation ou ratification d'une obligation contre laquelle la loi admet l'action en nullité ou en rescision n'est valable que lorsqu'on y trouve la substance de cette obligation, la mention du motif de l'action en rescision, et l'intention de réparer le vice sur lequel cette action est fondée.

A défaut d'acte de confirmation ou ratification, il suffit que l'obligation soit exécutée volontairement après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée.

La confirmation, ratification, ou exécution volontaire dans les formes et à l'époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre cet acte, sans préjudice néanmoins du droit des tiers.

En l'espèce, le bon de commande produit aux débats porte notamment sur l'installation de 12 panneaux photovoltaïques monocristallins 1950 WC certifiés NF, avec kit d'intégration au bâti, onduleur, coffret de protection, disjoncteur, parafoudre, forfait d'installation de l'ensemble et mise en service, démarches administratives (mairie, région, EDF, ERDF), assurances RC et PE. Il indique, à titre de date de livraison : « janvier février ».

L'article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, précédemment rappelé, impose que soit indiqué, à peine de nullité, de manière lisible et compréhensible, le nom et l'adresse du fournisseur, la nature et les caractéristiques des biens offerts ou des services proposés ainsi que le délai de livraison des biens, ou d'exécution de la prestation de services.

Contrairement aux allégations de Mme [T], ce texte n'exige pas la mention des dimensions, du poids, de la surface occupée, de la distinction entre le coût de la main d''uvre et le coût des biens objets du contrat, ainsi que du prix unitaire de chaque élément constitutif du bien offert. En revanche, il impose de préciser leur marque, qui constitue bien une caractéristique essentielle. Or au cas d'espèce, la marque des panneaux et de l'onduleur n'est pas précisée. En outre, la mention d'un délai de livraison en « janvier-février » est insuffisante, dès lors qu'il n'est pas distingué entre le délai des opérations matérielles de livraison des biens, celui de leur installation et celui d'exécution des autres prestations, notamment administratives, auxquelles le vendeur s'est engagé. Un tel délai global ne permet en effet pas à l'acquéreur de déterminer de manière suffisamment précise quand le vendeur aura exécuté ses différentes obligations. Enfin, seul le nom du démarcheur est indiqué.

Il s'ensuit que le contrat principal encourt la nullité pour irrespect des dispositions précitées du code de la consommation.

S'agissant d'une nullité relative, contrairement à ce que plaide Mme [T], sa confirmation est possible dans les conditions prévues par l'article 1338 ancien du code civil. L'exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation.

Cependant, aucune des mentions du bon de commande versé aux débats n'était susceptible de révéler à l'acquéreur les vices l'affectant. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune autre pièce produite aux débats que Mme [T] a eu conscience de ceux-ci au moment de la souscription du contrat ou de son exécution. Il sera à nouveau rappelé que la reproduction des dispositions du code de la consommation, même lisible, dans le bon de commande, ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat. Il s'ensuit que la confirmation de l'acte entaché de nullité n'est pas caractérisée.

Le contrat doit être annulé.

2. Sur les conséquences pour le prêteur

Mme [T] plaide que l'annulation du contrat principal conclu avec la société Solaar industry emporte annulation de plein droit du contrat accessoire de crédit conclu avec la société Domofinance.

Elle soutient que l'établissement prêteur a commis des fautes à son égard, dans la mesure où il a libéré la totalité des fonds alors qu'à la simple lecture du contrat principal, il aurait dû constater que sa validité était douteuse au regard des dispositions protectrices du code de la consommation relatives au démarchage à domicile ou à la vente hors établissement. Elle observe également que le prêteur, qui intègre dans son réseau des professionnels à qui il délivre des formulaires de contrat de prêt dont il profite par ailleurs largement, doit vérifier le sérieux de ces entreprises.

Elle ajoute que la fiche de réception des travaux ne mentionne pas le détail des travaux effectués, de sorte qu'il est impossible d'affirmer que le déblocage des fonds a été effectué après vérification de l'exécution complète de la prestation. Elle n'est pas entièrement remplie. Elle est essentiellement constituée de mentions pré-imprimées et n'offre pas d'emplacement pour émettre des réserves.

Mme [T] fait encore valoir que si elle avait été informée des irrégularités affectant le bon de commande, il n'est pas certain qu'elle aurait consenti à conclure le contrat de vente et, par conséquent, le contrat de prêt. Elle ajoute qu'elle subit un préjudice dû au défaut de rendement de l'installation. Elle plaide encore que compte tenu de la déconfiture du vendeur, elle ne pourra pas recouvrer le prix de vente malgré le jeu des restitutions consécutif aux nullités.

Elle en conclut que la société Domofinance doit être privée de sa créance de restitution qui résulterait normalement de l'effet rétroactif attaché à la nullité du contrat de prêt. Elle demande en outre à être dédommagée des frais bancaires engagés (intérêts, assurance, frais), soit la somme de 8 395,04 euros, et indemnisée de son préjudice moral, notamment lié au fait de la prise de conscience d'avoir été dupée par le vendeur et de s'être engagée dans un système qui la contraint sur de nombreuses années.

Elle indique qu'en tout état de cause, les manquements de la banque doivent la priver de son droit aux intérêts contractuels. Elle soutient à cet égard qu'en finançant des installations dont elle ne pouvait ignorer le caractère ruineux, la société Domofinance a nécessairement manqué à son obligation de conseil et à son devoir de mise en garde quant à l'opportunité économique du projet. Elle considère que son endettement a été organisée par les deux sociétés et rappelle que le prêteur aurait dû vérifier la solvabilité de l'emprunteur, ce qu'il ne démontre pas.

La société Domofinance répond que la nullité du contrat de crédit affecté consécutive à la nullité du contrat constatant la vente qu'il finançait emporte de plein droit l'obligation pour l'emprunteur de rembourser au prêteur le capital prêté. Elle nie avoir commis la moindre faute à l'égard de Mme [T]. Elle souligne qu'elle a versé les fonds au vendeur au vu de l'autorisation expresse donnée par Mme [T], qui a accepté sans réserve l'installation. Elle ajoute que le contrat de crédit consenti ne met à la charge du prêteur aucune obligation de contrôle de conformité des prestations effectuées, et que l'emprunteur a bien signé une fiche de réception des travaux. Elle affirme que Mme [T] ne saurait mettre à sa charge une prétendue obligation de s'assurer de la régularité du contrat principal de vente, car aucun texte du code de la consommation n'impose au prêteur de vérifier la régularité du bon de commande signé entre le futur emprunteur et la société venderesse.

Elle argue encore que Mme [T] est totalement infondée à prétendre que l'établissement financier prêteur serait tenu d'une obligation d'information et de conseil sur l'opération financée.

Sur le fond, elle rappelle qu'il appartient à l'emprunteur se prévalant du devoir de mise en garde de prouver qu'il se trouvait confronté à un risque d'endettement excessif lors de la demande de crédit, preuve que Mme [T] ne rapporte pas. Les déclarations qu'elle a effectuées au moment où elle a sollicité le crédit litigieux démontrent au contraire qu'elle n'était nullement exposée, par la souscription de ce crédit, à un risque d'endettement excessif. L'établissement prêteur ne saurait être tenu pour responsable des informations erronées que le futur emprunteur lui aurait délibérément données.

Elle fait valoir que Mme [T] ne démontre pas la réalité des préjudices allégués et de leur lien de causalité direct avec la faute qu'elle tente de mettre à sa charge. De plus, de jurisprudence constante, le préjudice subi du fait de la perte de chance de ne pas contracter ne peut être égal au montant de la créance de la banque. Les panneaux photovoltaïques livrés et installés ne présentent aucun défaut technique susceptible de les rendre impropres à leur destination. Mme [T] perçoit donc chaque année des revenus énergétiques directement liés à l'installation litigieuse.

Sur ce,

A titre préliminaire, il est observé que la société Domofinance n'a pas tiré de conséquence juridique, dans le dispositif de ses conclusions, qui seul saisit la cour, de son argumentaire selon lequel toute action en responsabilité pour manquement à son devoir de conseil et à son obligation de mise en garde est prescrite puisque le crédit litigieux a été souscrit par Mme [T] le 7 décembre 2011 et que sa responsabilité n'a été engagée pour la première fois qu'au travers des conclusions d'appel notifiées le 2 juillet 2024. Il n'y sera donc pas répondu.

Aux termes de l'article L. 311-32 du code de la consommation en sa version issue de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010, en cas de contestation sur l'exécution du contrat principal, le tribunal pourra, jusqu'à la solution du litige, suspendre l'exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.

Les dispositions de l'alinéa précédent ne seront applicables que si le prêteur est intervenu à l'instance ou s'il a été mis en cause par le vendeur ou l'emprunteur

Il s'ensuit qu'en raison de la nullité du contrat principal de vente et de l'interdépendance des deux contrats, le contrat de prêt conclu avec la société Domofinance doit également être annulé.

Avant le 1er octobre 2016, les conséquences de l'annulation d'un contrat résultaient de la jurisprudence. Les principes ainsi dégagés ont été codifiés par l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 aux articles 1178 et 1352 à 1352-9 du code civil, dont il résulte que le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé et que les prestations exécutées donnent lieu à restitution.

L'annulation ou la résolution du contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat de vente ou prestation de service qu'il finance, emporte pour l'emprunteur l'obligation de restituer au prêteur le capital prêté.

Par ailleurs, il résulte de l'article L. 311-31 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'en cas d'annulation d'un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente qu'il finance, la faute du prêteur qui a versé les fonds sans s'être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution (Civ. 1re, 10 juillet 2024, n° 23-12.122 ; Civ. 1re, 9 mai 2019, n°18-14.988 ; Civ. 1re, 3 mai 2018, n°17-13.308), peut être privé de tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l'emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute.

En l'espèce, la fiche de réception des travaux signée par l'emprunteur, aux termes de laquelle Mme [T] déclare que l'installation (livraison et pose) était terminée et correspondait au bon de commande, était suffisamment précise pour permettre au prêteur de s'assurer de l'exécution du contrat principal. L'appelante ne peut pas davantage se prévaloir d'un manquement de la banque à son obligation de conseil et de mise en garde concernant la rentabilité économique de l'installation, alors qu'aucun des éléments versés aux débats n'établit qu'elle était entrée dans le champ contractuel. C'est enfin de manière purement péremptoire qu'elle soutient que son endettement a été organisé par la banque, alors qu'elle a librement accepté l'offre de crédit proposée, dont il ne résulte, au regard de la fiche de renseignement remplie par l'emprunteuse, aucun risque d'endettement excessif.

En revanche, il est patent que le prêteur a délivré les fonds sans s'être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal, et que l'emprunteuse subit un préjudice consistant à ne pas pouvoir obtenir, auprès d'un vendeur ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire, la restitution du prix de vente d'un matériel dont elle n'est plus propriétaire du fait de l'annulation du contrat de vente, et ce en lien de causalité avec la faute de la banque tel qu'elle a été retenue (Civ. 1re, 10 juillet 2024, n° 22-24.754).

Il convient en conséquence de condamner la banque à restituer à l'emprunteuse l'ensemble des sommes versées en exécution du contrat de crédit affecté, soit 16 000 euros correspondant au montant du capital emprunté, en raison de la privation de sa créance de restitution, et 8 395 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés à la société Domofinance en exécution du prêt souscrit, somme non contestée en son montant par cette dernière.

Mme [T] sera en revanche déboutée de sa demande au titre de son préjudice moral, dès lors qu'elle ne démontre aucunement avoir été dupée.

4. Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 et 699 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Domofinance aux dépens d'appel et de première instance, la SCP Lusson et Catillon étant déboutée de sa demande de recouvrement direct. La décision entreprise sera réformée en ce sens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Domofinance sera par ailleurs condamnée à payer à Mme [T] la somme indiquée au dispositif du présent arrêt et débouté de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles, la décision querellée étant infirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, après débats publics, par arrêt par défaut, en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 5 février 2024 par le tribunal judiciaire de Laon en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare l'action en nullité irrecevable sur le fondement du dol ;

Déclare l'action en nullité recevable sur le fondement de l'irrégularité formelle du contrat ;

Statuant à nouveau,

Prononce l'annulation du contrat de vente conclu le 6 décembre 2011 entre Mme [N] [T] et la société Solaar industry ;

Prononce l'annulation du contrat de crédit affecté conclu le 7 décembre 2011 entre Mme [N] [T] et la société Domofinance ;

Condamne la société Domofinance à rembourser à Mme [N] [T] la somme de 16 000 euros correspondant au montant du capital emprunté, en raison de la privation de sa créance de restitution, et celle de 8 395 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés en exécution du contrat de crédit affecté annulé ;

Déboute Mme [N] [T] de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral ;

Condamne la société Domofinance aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute la SCP Lusson et Catillon de sa demande de recouvrement direct ;

Condamne la société Domofinance à payer à Mme [N] [T] la somme de 1000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Déboute la société Domofinance de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles.

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