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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 16 septembre 2025, n° 22/07269

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

S21Y (SELARL)

Défendeur :

Cofidis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jobard

Conseiller :

M. Pothier

Président :

Mme Picot-Postic

Avocats :

Me Le Berre Boivin, Me Jan, Me Riallot-Lenglart

TJ Rennes, du 24 mars 2023, n° 22/00423

24 mars 2023

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant bon de commande du 22 décembre 2020, M. [T] [J] et Mme [U] [P], son épouse, ont conclu, après démarchage, avec la société Maison rénovée exerçant sous la dénomination commerciale Centre expert de l'énergie un contrat de fourniture et d'installation d'une pompe à chaleur pour un coût de 19 600 euros. Les travaux ont été financés par la souscription d'un prêt auprès de la société Cofidis (la banque).

Suivant acte d'huissier du 17 février 2022, les époux [J] ont assigné la société [Adresse 6] et la banque devant le tribunal judiciaire de Quimper.

Suivant jugement du 15 novembre 2022, le tribunal a :

- Débouté les époux [J] de leurs demandes.

- Condamné solidairement les époux [J] à payer à la banque la somme de 22 434,16 euros outre les intérêts au taux de 3,66 % l'an sur la somme de 20 866,16 euros et au taux légal sur le surplus à compter du 21 février 2022.

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné solidairement des époux [J] aux dépens.

Suivant jugement du 30 novembre 2022, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Maison rénovée et désigné la société S21Y en qualité de liquidateur.

Suivant déclaration du 15 décembre 2022, les époux [J] ont interjeté appel.

Suivant conclusions du 9 juin 2023, la banque a interjeté appel incident.

Suivant acte d'huissier du 14 juin 2023, la banque a assigné la société S21Y en intervention forcée.

En leurs dernières conclusions du 14 mars 2023, les époux [J] demandent à la cour de :

Vu les articles 1130, 1131, 1137, 1112-1 et 1240 et suivants du code civil,

Vu les articles L. 221-5 et suivants du code de la consommation,

- Infirmer le jugement déféré.

Statuant à nouveau,

- Déclarer nuls les contrats de vente et de crédit.

- Fixer à la somme de 19 600 euros leur créance au titre de la restitution du montant nominal du prêt au passif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 6].

- Fixer à la somme de 5 000 euros leur créance au titre du préjudice lié au dol subi.

- Condamner la banque à les garantir du parfait paiement par la société Maison rénovée de la somme de 19 600 euros représentant le montant nominal du prêt.

- Débouter la banque de ses demandes.

- Condamner tout succombant à leur payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner tout succombant aux dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

- Rejeter toute autre demande.

En ses dernières conclusion du 9 juin 2023, la banque demande à la cour de :

Vu les articles 1181 et suivants, 1217 et 1224 et suivants du code civil,

Vu les articles L. 111-1, L. 221-5, L. 221-9 et L. 312-55 du code de la consommation,

- Confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

- Condamner les époux [J] solidairement entre eux et in solidum avec la société [Adresse 6] à lui payer la somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance.

À titre subsidiaire, en cas d'annulation des contrats,

- Condamner solidairement les époux [J] à lui payer la somme de 19 600 euros au titre de la restitution du capital prêté.

À titre infiniment subsidiaire, en cas de faute retenue, et dans l'hypothèse où elle serait privée de sa créance de restitution,

- Condamner la société Maison rénovée représentée par son mandataire liquidateur à lui payer la somme de 19 600 euros au titre de la restitution du capital prêté.

- La condamner à lui payer la somme de 5 170,26 euros à titre de dommages intérêts correspondant aux intérêts contractuels.

- La condamner à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

- Juger que ces condamnations seront fixées au passif de la procédure collective.

En tout état de cause,

- Débouter les époux [J] de leurs demandes.

- Les condamner solidairement et in solidum avec la société [Adresse 6] à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais d'appel.

- Les condamner dans les mêmes conditions aux dépens de la procédure d'appel.

La société S21Y n'a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Au soutien de leur appel, les époux [J] font valoir qu'ils ont été victimes de man'uvres dolosives de la part de la société [Adresse 6]. Ils expliquent que le commercial qui les a approchés leur a indiqué qu'ils pourraient bénéficier d'une prime couvrant quasiment le coût de l'installation sans qu'ils n'aient à effectuer aucune démarche. Ils ajoutent que le 21 décembre 2020, le commercial leur a communiqué une lettre de la société « vos démarches éco énergy » évaluant le montant des aides à la somme de 18 921,75 euros. Ils indiquent que cette information a été déterminante de leur consentement.

La banque objecte qu'il n'est pas démontré que le vendeur avait un lien avec la société « vos démarches éco énergy » auteur de la lettre dont se prévalent les acheteurs. Elle ajoute que le vendeur n'avait pas mandat d'accomplir pour les acheteurs les démarches administratives et que l'encart relatif aux aides financières ne précisait aucune somme ni aucun engagement de sa part. Elle ajoute également que les conditions générales de vente indiquaient que le vendeur ne pourrait être tenu pour responsable de l'absence d'attribution des aides financières.

Comme relevé par les premiers juges, il n'est démontré par aucun élément de preuve produit aux débats que le vendeur aurait indiqué aux consommateurs qu'ils pourraient bénéficier de primes couvrant quasiment le coût de l'installation. Aucun lien ne peut être formellement établi entre la lettre du 21 décembre 2020 attribuée à la société « vos démarches éco énergy », lettre dénuée de tout formalisme et n'offrant aucune garantie de sérieux ou de vraisemblance, et la société Maison rénovée. Le bon de commande ne fait mention d'aucun prime auxquels les consommateurs auraient pu prétendre. La preuve de man'uvres dolosives du vendeur précédant la vente ayant pu tromper le consentement de consommateurs normalement vigilants n'est pas suffisamment rapportée.

Les époux [J] font valoir par ailleurs la nullité du bon de commande en ce qu'ils n'auraient pas été informés de leur droit de rétractation, que les modalités et délais de livraison n'auraient pas été précisés pas plus que le mode de financement.

La banque soutient que le bon de commande est régulier. Elle fait valoir que les consommateurs ont confirmé le contrat et renoncé ainsi à se prévaloir de son éventuelle irrégularité.

L'article L. 221-5 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable, dispose que préalablement à la conclusion d'un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu'il contient sont fixées par décret en Conseil d'État.

Les époux [J] bénéficiaient, conformément aux articles L. 221-18 et L. 221-1 du code de la consommation, le contrat ayant pour objet à la fois la fourniture de prestation de services et la livraison de biens et se trouvant ainsi assimilé à un contrat de vente, d'un délai de quatorze jours pour exercer leur droit de rétractation à compter du jour de la réception des biens.

Le formulaire de rétractation comporte une mention erronée en ce qu'il indique que le client a la faculté de renoncer à son contrat d'installation dans un délai de quatorze jours à partir de la signature du contrat de prestation de service. Le consommateur qui n'a pas été informé sur son droit de rétractation avant et lors de la conclusion d'un contrat hors établissement peut en demander l'annulation conformément aux articles L. 221-9 et L. 242-1.

L'article L. 111-1 précise qu'avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel lui communique notamment, de manière lisible et compréhensible, en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service.

Le bon de commande mentionne que la date limite de livraison du bien et d'exécution de la prestation de service est de trois mois maximum à compter de la date de signature du bon de commande. Cette mention est insuffisante pour répondre aux exigences précitées dès lors qu'il n'est pas distingué entre le délai des opérations matérielles de livraison et d'installation du bien. Un tel délai global ne permet pas à l'acquéreur de déterminer de manière suffisamment précise quand le vendeur aura exécuté ses différentes obligations. A cet égard, le bon de commande est irrégulier.

Aucun acte ne révèle que, postérieurement à la conclusion du contrat, les époux [J] ont eu connaissance de la violation du formalisme imposé par le code de la consommation. L'absence d'opposition à la livraison du matériel et à la réalisation des travaux ne suffisent pas à caractériser qu'ils ont, en pleine connaissance de l'irrégularité du bon de commande, entendu renoncer à la nullité du contrat et qu'ils ont manifesté une volonté non équivoque de couvrir les irrégularités du document.

Il convient donc pour les causes de nullité sus-évoquées, écartant le moyen de nullité tiré de l'absence d'information sur les modalités de financement du contrat, puisque ces informations ont été portées à la connaissance des consommateurs dans l'offre de prêt qui leur a remise à l'occasion du démarchage, écartant le moyen tiré de la confirmation du contrat irrégulier invoqué par la banque, de prononcer la nullité du contrat de vente.

Les époux [J] sont fondés à solliciter la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société [Adresse 6] de la somme de 19 600 euros au titre de la restitution du prix de vente.

L'existence d'un dol ayant été écarté, faute d'être suffisamment caractérisée, les époux [J] ne sont pas fondés à solliciter l'allocation de dommages et intérêts à ce titre.

Aux termes de l'article L. 312-55 du code de la consommation, le contrat de prêt affecté est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Il n'est pas contesté que le contrat de prêt est accessoire à une vente ou à une prestation de services. En raison de l'interdépendance des contrats, l'annulation du contrat principal emporte annulation de plein droit du contrat accessoire de prêt conclu avec la banque.

La nullité du prêt a pour conséquence de remettre les parties dans leur situation antérieure. La banque soutient qu'elle n'a commis aucune faute de nature à la priver de sa créance de restitution.

Les époux [J] soutiennent que la banque a commis une faute la privant de sa créance de restitution en finançant une opération irrégulière. Ils prétendent que la sanction est la nullité du crédit affecté sans possibilité pour la banque de réclamer le remboursement du prêt.

Il est de principe que le prêteur commet une faute lorsqu'il libère la totalité des fonds alors qu'à la simple lecture du contrat de vente, il aurait dû constater que sa validité était douteuse au regard des dispositions protectrices du code de la consommation relatives au démarchage à domicile. Or, il a été précédemment relevé que le bon de commande comporte des irrégularités formelles apparentes qui auraient dû conduire la banque, professionnelle des opérations de crédit, à ne pas libérer les fonds entre les mains du vendeur avant d'avoir à tout le moins vérifié auprès des consommateurs qu'ils entendaient confirmer l'acte irrégulier. En versant les fonds entre les mains du vendeur, sans procéder à des vérifications complémentaires sur la régularité formelle de ce bon de commande, elle a commis une faute de nature à la priver du droit d'obtenir le remboursement du capital prêté.

La banque objecte que la dispense de remboursement du capital prêté est subordonnée à la démonstration par l'emprunteur de l'existence d'un préjudice en lien causal avec la faute du prêteur. Les époux [J] ne caractérisent aucunement un préjudice en lien causal avec la faute du prêteur. Ils restent tenus à la restitution du capital prêté sans pouvoir rechercher la garantie de la banque à cet égard. Les époux [J] ne précisent d'ailleurs pas sur quel fondement légal une garantie leur serait due.

Le jugement déféré sera infirmé.

Il n'est pas inéquitable d'allouer aux époux [J] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel, somme fixée au passif de la société Maison rénovée.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile par ailleurs.

Les dépens de première instance et d'appel, laissés à la charge de la société [Adresse 6] qui succombe à titre principal, seront fixés à son passif.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement rendu le 15 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Quimper.

Statuant à nouveau,

Prononce l'annulation du contrat conclu entre M. [T] [J] et Mme [U] [P], son épouse, d'une part, et la société Maison rénovée, d'autre part.

Prononce l'annulation du contrat conclu entre M. [T] [J] et Mme [U] [P], son épouse, d'une part, et la société Cofidis, d'autre part.

Fixe la créance de M. [T] [J] et Mme [U] [P], son épouse, au passif de la société [Adresse 6] à la somme de 19 600 euros au titre de la restitution du prix de vente et à la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne solidairement M. [T] [J] et Mme [U] [P], son épouse, à payer à la société Cofidis la somme de 19 600 euros au titre de la restitution du capital prêté.

Fixe au passif de la société [Adresse 6] les dépens de première instance et d'appel.

Accorde le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Rejette les autres demandes.

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