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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 16 septembre 2025, n° 25/00597

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 25/00597

16 septembre 2025

PM/[Localité 5]

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° de rôle : N° RG 25/00597 - N° Portalis DBVG-V-B7J-E4TD

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 09 avril 2025 - RG N°2025000343 - TRIBUNAL DE COMMERCE DE BESANCON

Code affaire : 78F - Demande en nullité et/ou en mainlevée, en suspension ou en exécution d'une saisie mobilière

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

Philippe MAUREL et Cédric SAUNIER, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président, et Philippe MAUREL, conseiller, qui ont fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour à M. Cédric SAUNIER, conseiller.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

SAS AGES & VIE HABITAT agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice

Sise [Adresse 3]

Immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 493 481 204

Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Franck BOUVERESSE, avocat au barreau de BESANCON, avocat plaidant

ET :

INTIMÉS

Monsieur [I] [D]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 6], de nationalité française,

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Vincent BRAILLARD de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BESANCON

S.A.S. BUILD'ING

Sise [Adresse 2]

Immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le numéro 389 152 113

S.A.S. HTC DEVELOPPEMENT

Sise [Adresse 2]

Immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le numéro 917 586 836

Représentés par Me Benjamin LEVY, avocat au barreau de Besançon, avocat postulant

Représentés par Me Clémence LEMETAIS, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

S.A.S. CMA CONSTRUCTION prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Sise [Adresse 3]

Immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 879 228 344

S.A.S. CMA CONCEPTION prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Sise [Adresse 3]

Immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 879 405 942

S.A.S. CMA TRAVAUX SERVICES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Sise [Adresse 3]

Immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 953 618 634

S.A.S. [D] D'INGENIERIE ET BATIMENT prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Sise [Adresse 3]

Immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 843 483 561

Représentées par Me Vincent BRAILLARD de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BESANCON

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Build'ing est spécialisée dans la construction et la maintenance de bâtiments. Son capital est détenu à 100 % par une société holding, la SAS «HTC Développement» (ci-après dénommée société HTC). Celle-ci est constituée de trois associés parmi lesquels figure M. [I] [D]. Celui-ci est par ailleurs à la tête d'un groupe de sociétés, à savoir la SAS « CMA Conception », la SAS « CMA Travaux Services », la SAS « CMA Construction », ces trois sociétés étant détenues par une société holding la SAS « [D] Ingénierie et Bâtiments ». L'ensemble de ces sociétés ont un objet commun analogue à celui de la société Build'ing.

La SAS «Age & Vie Habitat» (ci-après dénommée société AVH) est quant à elle spécialisée dans la promotion, la construction et la commercialisation d'immeubles partagés à destination des personnes âgées. Cette société a été associée, en collaboration étroite, avec la société Build'ing pour la réalisation d'un programme immobilier de construction. Le projet visait essentiellement à la mise en place d'une convention de conception d'ouvrages immobiliers réalisés à prix maximum garantis (PMG). La société de promotion immobilière, la société Build'ing, se voyait dans ce cadre d'organisation, accorder une garantie de solidarité de la part des entreprises du groupes CMA.

Dans le cadre de cette entente, 170 contrats PMG ont été souscrits et 113 d'entre eux ont été mis à exécution. Toutefois l'accord réciproque de volonté a été mis à mal par la rupture de cette convention cadre à l'initiative de la société AVH, dans le courant du mois d'août 2024. Les sociétés Build'ing et HTC ont alors soupçonné M. [D] d'être à l'origine de cette résiliation anticipée dans le but de conserver à son unique profit les gains escomptés pour la réalisation du programme immobilier. Elles ont alors sollicité de la part du président du tribunal de commerce de Besançon l'autorisation de procéder à une saisie d'un ensemble de documents propres à établir la collusion entre les différents partenaires associés à l'opération de construction.

Par ordonnance de référé en date du 21 octobre 2024, le juge des référés consulaires a fait droit à la demande des sociétés requérantes et a autorisé en conséquence la saisie d'un certain nombre de biens, et commis pour y procéder la SCP Vétillard, commissaire de justice. Il était également prévu que les biens feraient l'objet d'un séquestre judiciaire et ne pourraient entrer en possession des entreprises saisissantes qu'après que l'officier ministériel procéde à une vérification de leur utilité au regard des intérêts de celle-ci et après qu'un professionnel spécialiste en informatique ait également opéré une sélection des documents de nature à sauvegarder les droits et intérêts des sociétés prétendument lésées par les agissements de leurs adversaires.

La saisie des documents est intervenue le 6 novembre 2024 et a été régulièrement signifiée aux parties saisies, à savoir la société AVH, les sociétés composant le groupe CMA de même qu'à M. [D].

Par actes de commissaire de justice séparés en date du 19 décembre 2024, M. [D] et les sociétés du groupe à la destinée duquel il préside ont fait assigner leurs adversaires devant le président du tribunal de commerce statuant en référé à l'effet d'obtenir la rétractation de l'ordonnance précédemment rendue.

Par acte de commissaire de justice en date du 20 décembre 2024, la société AVH a également assigné en référé les sociétés Build'ing et HTC en mainlevée de la mesure de séquestre.

Par deux ordonnances en date du 9 avril 2024, le juge des référés commerciaux a débouté l'ensemble des requérants des fins de leur contestation. Il a également fait droit aux prétentions des sociétés saisissantes visant à voir prononcer la levée de la mesure de séquestre et l'attribution corrélative à leur profit des biens saisis conformément aux prescriptions de l'article R. 153-1 du code de commerce (Ordonnance 2025/000343).

Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a essentiellement retenu que :

' En vertu de l'article réglementaire invoqué par les parties saisissantes, les parties saisies étaient tenues de saisir le juge des référés dans le délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance sur requête à défaut de quoi la mesure de séquestre pouvait être levée et l'ensemble des objets saisis remis au requérant.

' Contrairement aux allégations des contestants, il n'était pas tenu de constater la concomitance d'une instance en rétractation et d'une autre procédure en levée de la mesure de séquestre, l'une et l'autre introduites devant lui, pour éviter de donner son plein effet à la mesure de saisie et à l'attribution corrélative de l'ensemble des documents entrant dans le périmètre de celle-ci.

Suivant déclaration d'appel en date du 18 avril 2025, formalisée par voie électronique, la société AVH a interjeté appel de l'ordonnance rendue le 9 avril 2025 (2025/000343) l'ayant déboutée de ses prétentions.

Suivant ordonnance sur requête en date du 28 avril 2025 la première présidente de la cour d'appel de céans a autorisé la société appelante à assigner à jour fixe l'ensemble des parties concernées par le litige.

Suivant acte de commissaire de justice en date du 14 mai 2025, la société AVH a fait assigner les différents protagonistes de l'affaire selon la procédure à jour fixe.

* * *

Dans le dernier état de ses écritures en date du 4 juin 2025 , la société AVH a exposé ses prétentions dans les termes suivants :

' Infirmer l'ordonnance n° 2025 ' 000 343 en date du 9 avril 2025 des chefs suivants :

' Déboutons Monsieur [I] [D] ainsi que les sociétés «[D] d'Ingénierie et Bâtiment», «CMA Constructions», «CMA Conception», «CMA Travaux Services» et la société concluante de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

' Constatons que le délai d'un mois prescrit par l'article R 153-1 du code de commerce pour assigner en rétractation de l'ordonnance du 21 octobre 2024, a expiré le 6 décembre 2024 sans qu'aucune action aux fins de rétractation de ladite ordonnance n'ait été engagée.

' Jugeons que la société Build'lng et « HTC Développement » sont recevables et bien fondées en leur demande tendant à la levée du séquestre des éléments saisis en exécution de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Besançon en date du 21 octobre 2024.

' Ordonnons la mainlevée du séquestre concernant toute copie des éléments, documents et courriers saisis dans le cadre des opérations de constats qui se sont déroulés en exécution de l'ordonnance du 21 octobre 2024.

' Ordonnons à Me [R] [W] et [O] [T] de la SCP [W]-Aldin- Girardot- [T] de remettre aux sociétés Build'ing et « HTC Développement » la copie de tous documents et courriers ainsi recueillis et séquestrés.

Statuant à nouveau :

' Débouter la société Build'ing et la société «HTC Développement» de l'intégralité de leur demande et les renvoyer à se conformer à l'ordonnance du 21 octobre 2024 en procédant à la saisine du président du tribunal de commerce en référé dans les termes qui ont été strictement fixés aux fins d'examen, en présence du commissaire de justice, des éléments saisis et pour qu'il soit statué sur leur communication.

' Condamner in solidum les sociétés Build'ing et «HTC Développement» à payer à la société concluante la somme de 5000 euros en compensation des frais irrépétibles exposés en première instance et la même somme relativement à l'instance d'appel.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir les moyens et arguments suivants :

' Les dispositions de l'article R. 153-1 du code de commerce sont inapplicables à la cause dans la mesure où il ne concerne que les cas de figure dans lesquels le juge des référés commerciaux a, de son propre mouvement, ordonné la mise sous séquestre judiciaire des biens saisis. Dans cette hypothèse, le délai d'un mois courant à compter de la signification de l'ordonnance l'habilite, lorsqu'aucune demande de rétractation n'a été présentée dans cet intervalle, à prononcer la levée de la mesure de séquestre et ordonner la remise des documents saisis au requérant. Or en l'espèce, la demande de séquestre émane des parties saisissantes ce dont il se déduit que le délai d'un mois prévu par le texte précité n'a pas vocation à s'appliquer.

' Lorsque le juge du provisoire est saisi de deux requêtes concomitantes en rétractation d'ordonnance instaurant la mesure de séquestre, d'une part et de mainlevée de cette mesure, d'autre part, il ne peut, sans excès de pouvoir, statuer sur les actions introduites devant lui sans qu'une jonction n'ait été préalablement ordonnée. Or, en l'occurrence, le juge des référés était bien saisi des deux types de demande mais n'a fait aucune diligence pour ordonner la jonction des deux instances séparées si bien qu'en application de la règle jurisprudentielle sus- rappelée l'excès de pouvoir du premier juge est ainsi caractérisé.

* * *

M. [D] et l'ensemble des sociétés qu'il dirige au sein du groupe CMA a, par des conclusions récapitulatives en date du 6 juin 2025 , présenté une défense commune avec celle de la société appelante.

* * *

En réponse, les sociétés Build'ing et «HTC Développement» ont, au terme de leurs dernières conclusions en date du 3 juin 2025, sollicité la confirmation pure et simple de l'ordonnance attaquée (RG 202 5000 343). Elles sollicitent, à titre reconventionnel, la condamnation in solidum de leurs adversaires à leur payer une somme de 10'000 euros au titre de leurs frais non taxables, outre les entiers dépens.

Elles font à cet égard valoir que :

' C'est à juste titre que le premier juge a fait application des dispositions de l'article R. 153-1 du code de commerce qui prévoit qu'à défaut de demande de rétractation dans le délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance portant autorisation de mise sous séquestre, le juge des référés commerciaux en ordonne la mainlevée, laquelle opère distraction au seul profit des parties saisissantes. La simple lecture du texte réglementaire, étayé en cela par la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation, montre que le dispositif est applicable à l'ensemble des mesures de saisie et placements sous séquestre des biens concernés, abstraction faite de savoir si cette dernière mesure a été prononcée d'office par le juge des référés ou à la requête de la partie saisissante.

' C'est encore à bon droit que dans son ordonnance attaquée, le juge a estimé que pour ne pas encourir les griefs de déni de justice il était tenu de statuer sur la demande reconventionnelle des parties saisissantes aux fins de se voir attribuer l'ensemble des objets entrant dans le périmètre de la mesure de séquestre.

' Le délai d'un mois prévu par l'article précité a partie liée avec le souci de sauvegarder l'impératif de confidentialité et du secret des affaires, or les parties adverses n'ont à aucun moment invoqué la nécessité de les préserver de ce risque.

* * *

L'affaire a été évoquée à l'audience tenue en cette cour le 10 juin 2025 au cours de laquelle les parties, par la voix de leurs conseils respectifs, ont oralement réitéré la teneur de leurs écritures.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour voir infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés commerciaux, la société appelante, appuyée en cela par les sociétés du groupes CMA parties intimées, invoquent deux moyens : l'inapplicabilités au cas d'espèce des dispositions de l'article R. 153-1 du code de commerce, d'une part, et l'excès de pouvoir commis par la juridiction consulaire statuant en référé qui, saisie de deux instances connexes, l'une en rétractation d'ordonnance portant autorisation de séquestre et l'autre visant à la levée de cette mesure, ne pouvait, sans que celles-ci ne soient préalablement jointes, statuer séparément sur les demandes qui lui étaient présentées, d'autre part. Il y a donc lieu d'examiner, dans cet ordre de présentation, le bien-fondé des griefs ainsi émis.

* * *

L'article R.153-1 du code de commerce est rédigé dans les termes suivants :

'Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.

Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.'

Interprétant ces dispositions réglementaires, le premier juge a estimé que dans la mesure où le deuxième alinéa du texte sus- reproduit ne faisait aucune référence au prononcé d'office par le juge des référés d'une mesure de séquestre, aucune restriction ne pouvait affecter son application. Il en a déduit que les deux alinéas de cet article pouvaient être lus et interprétés indépendamment l'un de l'autre. Dès lors le délai d'un mois prévu au deuxième alinéa était d'application générale quelles que soient les conditions dans lesquelles la mise sous séquestre des biens saisis avait été ordonnée.

La cour n'avalisera cependant pas cette analyse. En effet, trois modes d'interprétation convergent pour restreindre le champ de prévision de cet article au seul cas de figure dans lequel le juge du provisoire a ordonné, de sa propre initiative, la mesure de séquestre des documents objet de la saisie.

Sur le terrain de l'éxégèse, le sens des dispositions sus-évoquées est bien celui dont se recommandent les parties défenderesses à la mesure de saisie et de séquestre. En effet, et ainsi qu'elles le font observer à bon escient, le deuxième alinéa renvoie expressément au premier pour en expliciter les conditions de mise en 'uvre procédurale. Il s'en déduit nécessairement que ces dispositions doivent être regardées comme fixant les conditions d'application de la règle posée à l'alinéa précédent et en constitue donc, dans cette optique, le rouage subordonné. De ce point de vue, elles ne peuvent être considérées que comme exposant les différents critères au respect desquels est subordonnée la validité de la mesure de séquestre prononcée d'office. Il en résulte, de la même manière, que le délai d'un mois qui suit la signification de l'ordonnance sur requête est consubstantiel à la procédure au cours de laquelle le juge s'est prononcé d'office sans que ce délai puisse être découplé des circonstances qu'il vise et être étendu aux hypothèses dans lesquelles la demande de séquestre émane de tiers intéressés, de la partie saisie elle-même ou du saisissant.

Une interprétation téléologique, c'est à dire qui privilégie l'objectif assigné par l'auteur au texte réglementaire, ne peut que conforter l'analyse précédente. En effet, un dispositif de protection supplémentaire est accordé à la partie saisie si le juge ordonne d'office une mesure de séquestre pour permettre la mise en 'uvre des mesures tendant à sauvegarder les intérêts de l'opérateur qui en est l'objet. Celles-ci sont explicitées aux articles R.153 -2 à 8 du code précité et visent à faire bénéficier la partie saisie détentrice des documents dont la communication est recherchée du dispositif protecteur lorsque d'emblée le saisissant n'en a pas prévu lui-même la mise en oeuvre.

En effet, lorsque la demande de mise sous séquestre est formulée par l'une des parties celle-ci peut toujours exiger qu'il soit satisfait aux impératifs de sauvegarde la confidentialité au moyen de techniques propres à le remplir de ses droits détenus de ce chef. Le procès étant la chose les parties, il leur incombe, soit par voie d'action, soit par voie d'exception d'assurer le respect des impératifs légaux et réglementaires destinés à garantir une protection efficiente des droits de propriété détenus sur les biens saisis et qui participent d'une chaîne de valeur dont la sauvegarde et la pérennité sont conditionnées par un impératif de confidentialité. Ce mécanisme protecteur, mis en place en amont de la procédure d'appréhension proprement dite est évincé si le juge l'ordonne d'office. C'est cette asymétrie que tend à corriger l'octroi d'un délai d'un mois à l'effet de permettre à la partie saisie de contester le bien-fondé de la mesure où de mettre en 'uvre les modalités spécifiques propres à sauvegarder ses droits.

Cette soupape de sécurité est d'autant plus de mise qu'elle participe de l'efficacité du droit à la confidentialité telle que formalisée par la loi 2018-6 670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires qui, transposant la directive 2016/943 du Parlement Européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicite, et dans les décrets d'application, en droit interne, ont donné lieu à l'édiction de l'article R. 153-1 précité. Ce dispositif normatif instaure un ordre public de protection qui doit profiter à toute partie susceptible d'en tirer avantage quelle que soient les circonstances dans lesquelles s'est produite la mesure d'exécution forcée.

Il convient aussi d'insister sur le fait que l'autorité titulaire du pouvoir réglementaire, en prévoyant l'obligation de faire précéder la remise des objets saisis d'un intervalle de latence d'un mois n'a fait qu'officialiser une pratique antérieure dans le souci, pour le juge du provisoire, d'assurer à la partie saisie un régime protecteur identique à celui dont il aurait pu bénéficier si jamais la demande de séquestre avait été formulée par l'une des parties ou par un tiers, laquelle était assortie le plus souvent d'un mécanisme régulateur destiné à assurer l'effectivité des droits du saisissant en conciliation avec ceux de son adversaire.

Dans cette perspective, le délai d'un mois prévu à l'article réglementaire précité a un domaine d'application localisé au cas de figure dans lequel le séquestre est ordonné d'office par le juge des référés. Dès lors, et contrairement aux assertions du premier juge, ce délai n'a aucune vocation à être universellement appliqué.

Enfin, et contrairement à ce qui est soutenu par les parties saisissantes, la jurisprudence de la Cour de cassation n'est aucunement de nature à étayer leur position. Ainsi, l'arrêt dont ils se prévalent (Cass. Com 14 mai 2025 n° 22- 23 897) ne consacre nullement la thèse selon laquelle l'article R. 153-1 serait d'application générale, abstraction faite des conditions dans lesquelles la mesure de séquestre a été instaurée. Ainsi, cet arrêt rappelle la teneur intégrale de cet article, qui vise expressément l'hypothèse où le juge des référés a, de son propre mouvement, ordonné la mesure de séquestre. De surcroît, l'arrêt d'appel ayant fait l'objet du pourvoi en fait également le rappel.

* * *

La partie appelante fait grief au premier juge d'avoir commis un excès de pouvoir en statuant sur la demande des parties saisissantes alors même qu'avait été enrôlées deux instances, l'une en rétractation et l'autre en levée de séquestre, lesquelles devaient être traitées simultanément à la faveur d'une jonction des procédures. Elle se recommande en cela d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2024 (2° Civ. N° 21- 23 968) dont l'attendu principal est libéllé dans les termes suivants :

'Lorsque deux instances ont été engagées devant le même juge des référés, l'une en levée de séquestre provisoire, l'autre en rétractation de l'ordonnance sur requête, le juge ne peut ni statuer sur la levée de séquestre, ni même se prononcer sur la levée du séquestre si aucune jonction n'a été ordonnée.'

Deux séries de motifs inspirent cette jurisprudence. La première est sous-tendue par la nécessité d'éviter une contrariété de décision. En effet, dans la mesure où les deux instances se rattachent à une même procédure, celles-ci sont nécessairement connexes et interdépendantes. Dès lors, si l'une fait l'objet d'un traitement contentieux dans l'ignorance du sort réservé à l'autre, toujours pendante devant la même juridiction, le risque existe d'une discordance dans les solutions retenues. Pour éviter toute incohérence à ce niveau, et toute efflorescence contentieuse, les demandes, hétérogènes dans leur forme comme dans leur fondement juridique, doivent néanmoins faire l'objet d'un examen concomitant.

En outre, l'impératif souligné par la haute juridiction est également corrélé au respect du dispositif normatif propre à la nécessité de confidentialité des affaires. En effet, le risque de contrariété de décision expose également la partie saisie à se voir priver du dispositif protecteur de ses intérêts afférents à la confidentialité et au secret des affaires. La logique qui sous-tend les mécanismes légaux et réglementaires visant à sécuriser les opérations de saisie est de ne pas préjudicier aux intérêts de la partie contre qui elle est diligentée. Dans cette perspective, si le sort de l'ordonnance instaurant la mesure de séquestre provisoire n'est pas tranché par le juge des requêtes, l'instance introduite en vue de sa mainlevée risquerait d'être réduite à néant et serait par là-même de nature à fragiliser les avantages dont a pu bénéficier la partie saisie pour la sauvegarde de ses intérêts. La nécessité d'une jonction doit donc être appréhendée au travers du prisme de l'impératif de confidentialité déjà évoqué.

Pour refuser de se plier à cette solution prétorienne, le premier juge a invoqué la nécessité de se mettre à l'abri de tout risque de déni de justice. Il convient néanmoins de signalerque la reddition de deux décisions inconciliables entre elles répond à la définition du déni de justice (Cass. Assemblée Plénière 29 novembre 1996 Bull. AP n° 8).

En l'occurrence, il y a lieu de rappeler les différentes étapes qui, en l'espèce présente, ont émaillé la procédure de saisie et de séquestre. L'ordonnance d'autorisation a été rendue le 21 octobre 2024. Le 9 janvier 2025 les sociétés Build'ing et « HTC Développement » ont fait assigner leurs adversaires devant le juge des référés commerciaux en vue d'obtenir la levée de la mesure de séquestre et, dans le même temps, la remise des objets saisis. Avant même que ne soit délivré cet acte introductif d'instance, les parties intéressées par la saisie avaient, par acte de commissaire de justice en date du 19 décembre 2024 saisi le même juge pour obtenir la rétractation de l'ordonnance portant autorisation de saisie et de mise sous séquestre (procédure initiée par M. [D] et les sociétés de son groupe), et, subséquemment, par assignation en date du 20 décembre 2024, à la requête de la société AVH, le président du tribunal de commerce a été saisi aux fins de voir prononcer la mainlevée de la mesure de séquestre. Le juge des référés dans l'ordonnance attaquée n'a statué que sur la levée de la mesure de séquestre et la remise des objets saisis aux requérants, en s'abstenant de prononcer la jonction des procédures à l'effet de pouvoir statuer dans une ordonnance unique sur l'ensemble des différends auxquels a donné lieu l'ordonnance initiale.

Il suit de la que le moyen tiré de l'excès de pouvoir commis par le premier juge doit être admis. L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en toutes ses dispositions et les sociétés appelantes déboutées de l'ensemble des moyens, fins et prétentions dirigées contre leurs adversaires.

La mesure de séquestre poursuit donc ses effets après l'infirmation de l'ordonnance entreprise puisque le présent arrêté demeure sans incidence sur la validité de l'ordonnance du 21 octobre 2024 qui produit donc toujours ses effets sans nécessité pour la cour d'inviter expressément les parties à suivre le protocole défini pour la remise des documents. Celle-ci prévoit qu'il incombe à la partie la plus diligente de saisir de nouveau le juge des référés pour qu'il soit statué sur le sort à réserver aux différents documents compris dans le périmètre de la saisie et objet du séquestre provisoire.

Il s'en déduit que la cour ne peut statuer dans le cadre de l'instance présente sur la valeur probatoire des biens séquestrés. Dès lors, si les parties saisissantes ont pu prendre connaissance après remise des documents, ou de certains d'entre eux, il appartiendra à la juridiction saisie au fond d'apprécier la portée probatoire de ces documents au regard des circonstances qui ont présidé à leur obtention. En effet, l'illicéité des moyens par lesquels une partie a pu se procurer un moyen de preuve ne rend pas celle-ci, ipso-facto, irrecevable dans le cadre d'un débat judiciaire. Ainsi, le droit à la preuve dont bénéficie toute partie dont les intérêts ont été lésés par les agissements d'un tiers peut justifier une entorse au principe de loyauté de la preuve en l'absence de tout autre moyen d'assurer par ce biais la défense de ses intérêts (Cass. Assemblée Plénière 22 décembre 2023 n° 20-20 648).

Il n'y a donc pas lieu, au cas présent, de prononcer la disqualification de toute portée probatoire aux objets saisis et remis aux instigateurs de la saisie, une telle prérogative étant dévolue au juge du fond.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société AVH les frais exposés par elle cadre de la présente instance et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 1500 euros. Il sera alloué à M. [D] et à l'ensemble des sociétés du groupe qu'il préside, ensemble, une somme d'un montant équivalent sur le même fondement.

Les sociétés appelantes supporteront les dépens de première instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et après en délibéré conformément à la loi :

- Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Besançon statuant en référé en date du 9 avril 2025 (N° 2025/000 343).

Statuant à nouveau :

' Déboute la SAS Build'Ing et la SAS «HTC Développement» de l'ensemble des moyens, fins et prétentions dirigées contre la SAS «Ages & Vie Habitat», la SAS «CMA Construction , la SAS «CMA Conception», la SAS «CMA Travaux Services», la SASU «[D] d'Ingénierie et Bâtiments» et M. [I] [D].

' Condamne in solidum la SAS Build'Ing et SAS «HTC Développement» à payer à la SAS «Ages & Vie Habitat» la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamne in solidum la SAS Build'ing et la SAS «HTC Développement» à payer à la SAS «CMA Construction», la SAS « CMA Travaux Services», la SAS «CMA Conception», la SASU «[D] d'Ingénierie et Bâtiments» et M. [I] [D], ensemble, la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamne in solidum la SAS Build'ing et la SAS «HTC Développement» aux dépens de première instance et d'appel.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

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