CA Grenoble, ch. civ. B, 16 septembre 2025, n° 23/04115
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 23/04115 - N° Portalis DBVM-V-B7H-MBO7
C2
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
Me Emilie ORELLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE CIVILE SECTION B
ARRÊT DU MARDI 16 SEPTEMBRE 2025
Appel d'un jugement (N° R.G 20/00739) rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en date du 09 novembre 2023, suivant déclaration d'appel du 06 décembre 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. LES PAYSAGISTES FRANCAIS, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Me Fabien RAJON et Me Armel JUGLARD du Cabinet RAJON AVOCATS, avocats au barreau de LYON
INTIM ÉS :
M. [K] [O]
né le 06 Février 1966 à [Localité 5] (87)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Mme [H] [J] épouse [O]
née le 28 Juillet 1970 à [Localité 6] (93)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me Emilie ORELLE, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère faisant fonction de présidente
Mme Ludivine Chetail, conseillère,
M. Jean-Yves Pourret, conseiller,
DÉBATS
A l'audience publique du 03 Juin 2025, Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère, qui a fait son rapport, assistée de Claire Chevallet, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSE DU LITIGE
En 2016, les époux [O] ont pris attache avec la société Les paysagistes français aux fins de réaliser l'aménagement du sol de leur terrasse en granulats de marbre et résine à poser sur une chape de béton existante.
Un devis n°LPF2016-0008 a ainsi été réalisé par la société Les paysagistes français, lequel a été accepté par Madame [O], le 29 janvier 2016 pour un montant de travaux de 13 890 euros HT, soit 15 279 euros TTC.
Par une assignation du 23 juin 2020, Madame [O] a fait assigner la société Les paysagistes français devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en réparation de ses préjudices. Son époux est intervenu volontairement à l'instance.
Par une ordonnance en date du 20 juillet 2021, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer ainsi que la réalisation d'une expertise judiciaire.
Le rapport d'expertise définitif a été déposé le 10 octobre 2022.
Par jugement en date du 9 novembre 2023, le tribunal de Bourgoin-Jallieu a :
- Dit que la SARL Les paysagistes français a commis une faute dans l'exécution des travaux commandés par Monsieur et Madame [O] ;
- Condamné en réparation la SARL Les paysagistes français à payer à Monsieur et Madame [O] les sommes suivantes :
o 22 579 euros TTC au titre des travaux de reprise,
o 3 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
o 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les demandeurs de leur demande au titre du préjudice moral,
- Débouté les parties de toute autre demande,
- Rappelé l'exécution provisoire de droit,
- Condamné la SARL Les paysagistes français aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Par déclaration en date du 6 décembre 2023, la société Les paysagistes français a interjeté appel du jugement.
Dans ses conclusions notifiées le 28 février 2024, la société Les paysagistes français demande à la cour de :
Vu les dispositions du code civil,
Vu le rapport d'expertise de Madame [Z],
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
- infirmer la décision rendue le 9 novembre 2023 par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en ce qu'elle a condamné à la société Les paysagistes français à verser aux consorts [O] :
o 22.579 euros au titre des travaux de reprise ;
o 3.000 euros en réparation du préjudice de jouissance subi ;
o 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner une nouvelle expertise judiciaire et désigner un expert avec mission de :
- Convoquer les parties et se rendre au domicile des consorts [O] à [Localité 7],
- Entendre les parties au litige et se faire remettre tous documents et pièces qu'il estimera utile et notamment les devis, factures et autres documents contractuels,
- Relever et décrire s'il y a lieu l'ensemble des désordres et non conformités alléguées sur la terrasse et les abords de la piscine des époux [O] ;
- Dire s'il existe des désordres et non conformités affectant les prestations réalisées par la société Les paysagistes français ;
- Dire si ces désordres proviennent d'une erreur de conception, d'un vice du matériau, d'une erreur dans leur mise en 'uvre, d'une cause étrangère ou toute autre cause ;
- Dire si les désordres et/ou non conformités constatés compromettent les ouvrages réalisés dans leur solidité ou leur destination conformément aux dispositions de l'article 1792 du code civil,
- Décrire les éventuels manquements fautifs qui auraient été commis par la société Les paysagistes français ou toute autre société intervenante au chantier pour chaque non-conformité ou désordre,
- Déterminer toutes les causes extérieures ayant pu causer les éventuels désordres ou non conformités (défaut de fabrication, usure, mouvement du sol, conditions climatiques, impact des travaux de terrassement, intervention d'un tiers etc).
- Décrire les travaux de nature à remédier aux désordres et en chiffrer le coût,
- Apporter tout élément technique et de fait permettant à la juridiction d'apprécier les responsabilités et d'évaluer les préjudices ;
- Faire toutes observations utiles,
- Rédiger un pré rapport et laisser un délai aux parties au litige pour faire valoir leurs observations par voie de dire.
En cas de refus d'ordonner une nouvelle expertise judiciaire :
A titre principal,
- juger mal fondées les demandes des consorts [O] ;
- débouter les consorts [O] de l'intégralité de leurs demandes de condamnation formulées à l'encontre de la société Les paysagistes français ;
A titre subsidiaire,
Si la Cour d'appel de Grenoble devait par extraordinaire jugées bien fondées les demandes des consorts [O],
- réduire, si elle devait intervenir, à de plus justes proportions la condamnation de la société Les paysagistes français au titre des travaux de reprise à effectuer ;
- débouter les consorts [O] de leurs demandes de condamnation au titre du préjudice de jouissance, du préjudice moral, de l'article 700 et des dépens ;
En tout état de cause,
- condamner les consorts [O] à verser à la société Les paysagistes français, la somme de 2.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les consorts [O] aux entiers dépens de la procédure.
Au soutien de ses demandes, l'appelante fait état d'incohérences du rapport d'expertise judiciaire au motif que l'expert s'est fondé sur des données techniques erronées, qu'il a procédé à une analyse rétrospective des conditions météorologiques, qu'il a refusé de tenir compte d'autres facteurs possibles.
Elle estime que les demandes des consorts [O] sont disproportionnées et réfute notamment tout préjudice de jouissance et tout préjudice moral au vu des nombreuses démarches qu'elle a effectuées aux fins de remédier aux désordres allégués.
Elle sollicite en conséquence une mesure de contre-expertise.
Dans leurs conclusions notifiées le 21 mai 2024, les époux [O] demandent à la cour de :
Vu les articles 1231-1 et suivants du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de Bourgoin-Jallieu le 9 novembre 2023 en ce qu'il a :
- Dit que la SARL Les paysagistes français a commis une faute dans l'exécution des travaux commandés par Monsieur et Madame [O],
- Condamné en réparation la SARL Les paysagistes français à payer à Monsieur et Madame [O] les sommes suivantes :
o 22 579 euros TTC au titre des travaux de reprise,
o 3 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
o 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SARL Les paysagistes français aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire,
- réformer le jugement rendu en ce qu'il a débouté les époux [O] de leur demande formulée au titre du préjudice moral subi et statuant à nouveau,
- condamner la société Les paysagistes français à payer à Monsieur et Madame [O] la somme de 4000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi.
En tout état de cause,
- débouter la société Les paysagistes français de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions comme étant infondées et injustifiées.
- condamner la société Les paysagistes français à payer à Madame [O] la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel et ce y compris l'intégralité des frais d'expertise judiciaire.
Les époux [O] font valoir que l'expert judiciaire a bien procédé à une expertise technique et qu'il affirme uniquement que faute d'élément transmis, il ne peut procéder à une analyse technique « plus poussée '' puisqu'il ressort in fine des écritures de la SARL Les paysagistes français qu'elle est en totale incapacité de fournir la moindre documentation technique.
Ils en déduisent que la SARL Les paysagistes français a procédé à l'utilisation et à la pose de produits, dont elle ne peut justifier des caractéristiques techniques, ce qui laisse penser qu'elle n'a pas non plus procédé à une quelconque vérification quant à l'adaptation des produits utilisés aux travaux réalisés au sein de leur habitation, qu'elle a donc commis une faute.
Ils rappellent les désordres mis en exergue par l'expert judiciaire, qui a conclu à juste titre selon eux sur le lien entre lesdits désordres et le défaut de mise en oeuvre par la société appelante.
Ils font état de leurs différents préjudices tels que mentionnés par le jugement déféré.
La clôture a été prononcée le 6 mai 2025.
MOTIFS
Sur l'imputabilité des désordres :
La SARL Les paysagistes français conteste le rapport de l'expert judiciaire notamment sur deux points':
- l'analyse du produit qu'il a faite,
- les hypothèses qu'il a retenues s'agissant des conditions météorologiques,
A titre liminaire, il sera relevé que la matérialité des désordres ne fait pas l'objet de contestations.
Sur le premier point, la SARL Les paysagistes français estime que l'expert a extrapolé les caractéristiques du produit en se fondant sur un autre produit, dont les caractéristiques sont nécessairement différentes. Toutefois, dans son rapport d'expertise, l'expert énonce': «'sur la base des éléments techniques remis, je n'ai eu que la fiche technique du vernis d'imprégnation mis en 'uvre sur la résine, et la plaquette commerciale concernant le procédé utilisé.
Suite à mes recherches sur Internet, j'ai pu trouver une plaquette commerciale précisant que nous étions sur des revêtements décoratifs avec une combinaison de résine époxy et granulat'», l'expert précisant': «'je n'ai trouvé aucun avis technique concernant ce produit'».
Lors de la réunion, M.[F] pour la SARL a indiqué que le fournisseur de résine était venu mais qu'il ne savait plus chez qui il l'avait acheté.
Or, il convient de rappeler que l'expertise s'est déroulée le 9 mai 2022, sachant que les travaux litigieux ont eu lieu courant 2016, et il est pour le moins surprenant que M.[F] ne conserve dans sa comptabilité aucune trace de la facture qui a dû être établie à l'époque, sachant que les travaux n'ont pas eu lieu un très grand nombre d'années auparavant, ce qui aurait pu justifier l'absence de pièces. En outre, et sachant que la société a débuté son activité le 5 août 2014, et au regard de celle-ci, il est également surprenant que l'appelante ne soit pas en capacité de se rappeler, si elle n'avait plus de document pour quelque raison que ce soit, l'identité de ses fournisseurs habituels.
Au demeurant, l'expert avait bien suite à la réunion sollicité les documents nécessaires, à savoir le nom du fabricant de la résine, la fiche technique du produit, la facture d'achat, ainsi qu'en atteste son mail du 13 mai 2022 (page 68 du rapport), suivi d'une relance le 30 mai puis d'une seconde relance le 8 juin.
En conséquence, il ne saurait être reproché à l'expert d'avoir tenté dès mai 2022 de rechercher par d'autres voies les caractéristiques du produit utilisé.
S'agissant ensuite des conditions météorologiques, la SARL Les paysagistes français conteste le fait que l'expert ait retenu des moyennes entre les mois de mars et d'août 2016, au motif que le chantier n'a pas duré 6 mois. Toutefois, là aussi, il convient de constater que l'appelante est dans l'impossibilité de préciser les dates auxquelles elle est intervenue sur le site, ce qui est pour le moins surprenant car toute société doit nécessairement disposer d'un planning pour pouvoir organiser ses rendez-vous et différentes prestations. Les seuls éléments permettant d'avoir des indications sur la date de réalisation des travaux sont les dates des factures qui ne peuvent toutefois renseigner que sur la période, et non sur un jour précis.
En conséquence, il ne saurait là non plus être reproché à l'expert d'avoir établi son expertise au regard des seuls éléments dont il disposait. En l'espèce, l'expert a relevé qu'au regard des caractéristiques météorologiques de la période, globalement humide, le support ne pouvait pas sécher dans de bonnes conditions et a nécessairement enfermé de l'humidité, entraînant l'apparition de moisissures.
En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que l'entrepreneur est réputé maître de la règle de son art. Au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun, il est ainsi tenu d'une obligation de résultat (Cass. 3e'civ., 21'sept.'2022, n°'21-17984 ). Il ne peut se dégager de cette obligation de résultat que par la preuve de l'existence d'une cause étrangère, ce que la SARL Les paysagistes français ne fait pas. Elle ne démontre pas non plus une immixtion fautive du maître de l'ouvrage, le nettoyage au karcher allégué n'étant pas établi.
Enfin, il convient de noter que suite au dépôt de son pré-rapport, l'expert, ne recevant aucun dire du Conseil de l'appelante, a contacté le secrétariat de celui-ci qui a confirmé que les demandes avaient bien été reçues (page 7 du rapport).
La SARL Les paysagistes est donc mal fondée à critiquer un rapport d'expertise alors qu'elle n'a communiqué qu'une seule pièce et n'a jamais formulé de dires ou donné de précisions sur le déroulement des travaux qui auraient pu permettre d'affiner l'analyse.
Dès lors que les désordres sont avérés et en l'absence d'une cause étrangère, il convient de retenir la responsabilité de la SARL les paysagistes français, le jugement sera confirmé.
Sur le préjudice des époux [O] :
Sur le préjudice matériel :
La SARL Les paysagistes français conteste la somme retenue de 22 579,48 euros TTC, au motif notamment que cette somme est beaucoup plus importante que le devis initial. Toutefois, c'est à juste titre que les époux [O] soutiennent que le coût est nécessairement supérieur, puisqu'il convient en outre de procéder à la dépose du produit litigieux, de re-préparer le support, ce qui a un coût. Par ailleurs, l'appelante ne saurait remettre en cause le fait que le devis ait été réactualisé, alors qu'il est de notoriété publique que compte tenu de l'actualité internationale, les prix des matières premières et par conséquent les tarifs dans le secteur du bâtiment ont connu une hausse.
Au demeurant, c'est à juste titre que le premier juge a souligné que l'appelante ne produisait aucun autre avis technique ou avis professionnel remettant en cause les prix énoncés par le devis, le jugement sera confirmé.
Sur les préjudices immatériels :
Le premier juge a caractérisé l'existence d'un préjudice de jouissance lié à l'inesthétisme des aménagements extérieurs, sachant qu'il peut en outre être retenu l'existence de traces de moisissures qui sont susceptibles de poser des problèmes d'hygiène. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué aux époux [O] la somme de 3000 euros à ce titre.
Les époux [O] sollicitent en outre des dommage-intérêts pour préjudice moral, mais ne caractérisent pas un tel préjudice distinct du préjudice de jouissance, déjà indemnisé, le simple fait de ne pas obtenir de réponse satisfaisante dans un délai raisonnable de la part de l'appelante étant insuffisant pour l'établir. Le jugement sera confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande.
La SARL Les paysagistes français qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne la SARL Les paysagistes français à verser aux époux [O] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la SARL Les paysagistes français aux dépens d'appel ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère de la chambre civile section B faisant fonction de présidente, et par la greffière Mme Claire Chevallet, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
C2
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
Me Emilie ORELLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE CIVILE SECTION B
ARRÊT DU MARDI 16 SEPTEMBRE 2025
Appel d'un jugement (N° R.G 20/00739) rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en date du 09 novembre 2023, suivant déclaration d'appel du 06 décembre 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. LES PAYSAGISTES FRANCAIS, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Me Fabien RAJON et Me Armel JUGLARD du Cabinet RAJON AVOCATS, avocats au barreau de LYON
INTIM ÉS :
M. [K] [O]
né le 06 Février 1966 à [Localité 5] (87)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Mme [H] [J] épouse [O]
née le 28 Juillet 1970 à [Localité 6] (93)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me Emilie ORELLE, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère faisant fonction de présidente
Mme Ludivine Chetail, conseillère,
M. Jean-Yves Pourret, conseiller,
DÉBATS
A l'audience publique du 03 Juin 2025, Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère, qui a fait son rapport, assistée de Claire Chevallet, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSE DU LITIGE
En 2016, les époux [O] ont pris attache avec la société Les paysagistes français aux fins de réaliser l'aménagement du sol de leur terrasse en granulats de marbre et résine à poser sur une chape de béton existante.
Un devis n°LPF2016-0008 a ainsi été réalisé par la société Les paysagistes français, lequel a été accepté par Madame [O], le 29 janvier 2016 pour un montant de travaux de 13 890 euros HT, soit 15 279 euros TTC.
Par une assignation du 23 juin 2020, Madame [O] a fait assigner la société Les paysagistes français devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en réparation de ses préjudices. Son époux est intervenu volontairement à l'instance.
Par une ordonnance en date du 20 juillet 2021, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer ainsi que la réalisation d'une expertise judiciaire.
Le rapport d'expertise définitif a été déposé le 10 octobre 2022.
Par jugement en date du 9 novembre 2023, le tribunal de Bourgoin-Jallieu a :
- Dit que la SARL Les paysagistes français a commis une faute dans l'exécution des travaux commandés par Monsieur et Madame [O] ;
- Condamné en réparation la SARL Les paysagistes français à payer à Monsieur et Madame [O] les sommes suivantes :
o 22 579 euros TTC au titre des travaux de reprise,
o 3 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
o 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les demandeurs de leur demande au titre du préjudice moral,
- Débouté les parties de toute autre demande,
- Rappelé l'exécution provisoire de droit,
- Condamné la SARL Les paysagistes français aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.
Par déclaration en date du 6 décembre 2023, la société Les paysagistes français a interjeté appel du jugement.
Dans ses conclusions notifiées le 28 février 2024, la société Les paysagistes français demande à la cour de :
Vu les dispositions du code civil,
Vu le rapport d'expertise de Madame [Z],
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
- infirmer la décision rendue le 9 novembre 2023 par le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu en ce qu'elle a condamné à la société Les paysagistes français à verser aux consorts [O] :
o 22.579 euros au titre des travaux de reprise ;
o 3.000 euros en réparation du préjudice de jouissance subi ;
o 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner une nouvelle expertise judiciaire et désigner un expert avec mission de :
- Convoquer les parties et se rendre au domicile des consorts [O] à [Localité 7],
- Entendre les parties au litige et se faire remettre tous documents et pièces qu'il estimera utile et notamment les devis, factures et autres documents contractuels,
- Relever et décrire s'il y a lieu l'ensemble des désordres et non conformités alléguées sur la terrasse et les abords de la piscine des époux [O] ;
- Dire s'il existe des désordres et non conformités affectant les prestations réalisées par la société Les paysagistes français ;
- Dire si ces désordres proviennent d'une erreur de conception, d'un vice du matériau, d'une erreur dans leur mise en 'uvre, d'une cause étrangère ou toute autre cause ;
- Dire si les désordres et/ou non conformités constatés compromettent les ouvrages réalisés dans leur solidité ou leur destination conformément aux dispositions de l'article 1792 du code civil,
- Décrire les éventuels manquements fautifs qui auraient été commis par la société Les paysagistes français ou toute autre société intervenante au chantier pour chaque non-conformité ou désordre,
- Déterminer toutes les causes extérieures ayant pu causer les éventuels désordres ou non conformités (défaut de fabrication, usure, mouvement du sol, conditions climatiques, impact des travaux de terrassement, intervention d'un tiers etc).
- Décrire les travaux de nature à remédier aux désordres et en chiffrer le coût,
- Apporter tout élément technique et de fait permettant à la juridiction d'apprécier les responsabilités et d'évaluer les préjudices ;
- Faire toutes observations utiles,
- Rédiger un pré rapport et laisser un délai aux parties au litige pour faire valoir leurs observations par voie de dire.
En cas de refus d'ordonner une nouvelle expertise judiciaire :
A titre principal,
- juger mal fondées les demandes des consorts [O] ;
- débouter les consorts [O] de l'intégralité de leurs demandes de condamnation formulées à l'encontre de la société Les paysagistes français ;
A titre subsidiaire,
Si la Cour d'appel de Grenoble devait par extraordinaire jugées bien fondées les demandes des consorts [O],
- réduire, si elle devait intervenir, à de plus justes proportions la condamnation de la société Les paysagistes français au titre des travaux de reprise à effectuer ;
- débouter les consorts [O] de leurs demandes de condamnation au titre du préjudice de jouissance, du préjudice moral, de l'article 700 et des dépens ;
En tout état de cause,
- condamner les consorts [O] à verser à la société Les paysagistes français, la somme de 2.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les consorts [O] aux entiers dépens de la procédure.
Au soutien de ses demandes, l'appelante fait état d'incohérences du rapport d'expertise judiciaire au motif que l'expert s'est fondé sur des données techniques erronées, qu'il a procédé à une analyse rétrospective des conditions météorologiques, qu'il a refusé de tenir compte d'autres facteurs possibles.
Elle estime que les demandes des consorts [O] sont disproportionnées et réfute notamment tout préjudice de jouissance et tout préjudice moral au vu des nombreuses démarches qu'elle a effectuées aux fins de remédier aux désordres allégués.
Elle sollicite en conséquence une mesure de contre-expertise.
Dans leurs conclusions notifiées le 21 mai 2024, les époux [O] demandent à la cour de :
Vu les articles 1231-1 et suivants du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de Bourgoin-Jallieu le 9 novembre 2023 en ce qu'il a :
- Dit que la SARL Les paysagistes français a commis une faute dans l'exécution des travaux commandés par Monsieur et Madame [O],
- Condamné en réparation la SARL Les paysagistes français à payer à Monsieur et Madame [O] les sommes suivantes :
o 22 579 euros TTC au titre des travaux de reprise,
o 3 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
o 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SARL Les paysagistes français aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire,
- réformer le jugement rendu en ce qu'il a débouté les époux [O] de leur demande formulée au titre du préjudice moral subi et statuant à nouveau,
- condamner la société Les paysagistes français à payer à Monsieur et Madame [O] la somme de 4000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi.
En tout état de cause,
- débouter la société Les paysagistes français de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions comme étant infondées et injustifiées.
- condamner la société Les paysagistes français à payer à Madame [O] la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel et ce y compris l'intégralité des frais d'expertise judiciaire.
Les époux [O] font valoir que l'expert judiciaire a bien procédé à une expertise technique et qu'il affirme uniquement que faute d'élément transmis, il ne peut procéder à une analyse technique « plus poussée '' puisqu'il ressort in fine des écritures de la SARL Les paysagistes français qu'elle est en totale incapacité de fournir la moindre documentation technique.
Ils en déduisent que la SARL Les paysagistes français a procédé à l'utilisation et à la pose de produits, dont elle ne peut justifier des caractéristiques techniques, ce qui laisse penser qu'elle n'a pas non plus procédé à une quelconque vérification quant à l'adaptation des produits utilisés aux travaux réalisés au sein de leur habitation, qu'elle a donc commis une faute.
Ils rappellent les désordres mis en exergue par l'expert judiciaire, qui a conclu à juste titre selon eux sur le lien entre lesdits désordres et le défaut de mise en oeuvre par la société appelante.
Ils font état de leurs différents préjudices tels que mentionnés par le jugement déféré.
La clôture a été prononcée le 6 mai 2025.
MOTIFS
Sur l'imputabilité des désordres :
La SARL Les paysagistes français conteste le rapport de l'expert judiciaire notamment sur deux points':
- l'analyse du produit qu'il a faite,
- les hypothèses qu'il a retenues s'agissant des conditions météorologiques,
A titre liminaire, il sera relevé que la matérialité des désordres ne fait pas l'objet de contestations.
Sur le premier point, la SARL Les paysagistes français estime que l'expert a extrapolé les caractéristiques du produit en se fondant sur un autre produit, dont les caractéristiques sont nécessairement différentes. Toutefois, dans son rapport d'expertise, l'expert énonce': «'sur la base des éléments techniques remis, je n'ai eu que la fiche technique du vernis d'imprégnation mis en 'uvre sur la résine, et la plaquette commerciale concernant le procédé utilisé.
Suite à mes recherches sur Internet, j'ai pu trouver une plaquette commerciale précisant que nous étions sur des revêtements décoratifs avec une combinaison de résine époxy et granulat'», l'expert précisant': «'je n'ai trouvé aucun avis technique concernant ce produit'».
Lors de la réunion, M.[F] pour la SARL a indiqué que le fournisseur de résine était venu mais qu'il ne savait plus chez qui il l'avait acheté.
Or, il convient de rappeler que l'expertise s'est déroulée le 9 mai 2022, sachant que les travaux litigieux ont eu lieu courant 2016, et il est pour le moins surprenant que M.[F] ne conserve dans sa comptabilité aucune trace de la facture qui a dû être établie à l'époque, sachant que les travaux n'ont pas eu lieu un très grand nombre d'années auparavant, ce qui aurait pu justifier l'absence de pièces. En outre, et sachant que la société a débuté son activité le 5 août 2014, et au regard de celle-ci, il est également surprenant que l'appelante ne soit pas en capacité de se rappeler, si elle n'avait plus de document pour quelque raison que ce soit, l'identité de ses fournisseurs habituels.
Au demeurant, l'expert avait bien suite à la réunion sollicité les documents nécessaires, à savoir le nom du fabricant de la résine, la fiche technique du produit, la facture d'achat, ainsi qu'en atteste son mail du 13 mai 2022 (page 68 du rapport), suivi d'une relance le 30 mai puis d'une seconde relance le 8 juin.
En conséquence, il ne saurait être reproché à l'expert d'avoir tenté dès mai 2022 de rechercher par d'autres voies les caractéristiques du produit utilisé.
S'agissant ensuite des conditions météorologiques, la SARL Les paysagistes français conteste le fait que l'expert ait retenu des moyennes entre les mois de mars et d'août 2016, au motif que le chantier n'a pas duré 6 mois. Toutefois, là aussi, il convient de constater que l'appelante est dans l'impossibilité de préciser les dates auxquelles elle est intervenue sur le site, ce qui est pour le moins surprenant car toute société doit nécessairement disposer d'un planning pour pouvoir organiser ses rendez-vous et différentes prestations. Les seuls éléments permettant d'avoir des indications sur la date de réalisation des travaux sont les dates des factures qui ne peuvent toutefois renseigner que sur la période, et non sur un jour précis.
En conséquence, il ne saurait là non plus être reproché à l'expert d'avoir établi son expertise au regard des seuls éléments dont il disposait. En l'espèce, l'expert a relevé qu'au regard des caractéristiques météorologiques de la période, globalement humide, le support ne pouvait pas sécher dans de bonnes conditions et a nécessairement enfermé de l'humidité, entraînant l'apparition de moisissures.
En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que l'entrepreneur est réputé maître de la règle de son art. Au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun, il est ainsi tenu d'une obligation de résultat (Cass. 3e'civ., 21'sept.'2022, n°'21-17984 ). Il ne peut se dégager de cette obligation de résultat que par la preuve de l'existence d'une cause étrangère, ce que la SARL Les paysagistes français ne fait pas. Elle ne démontre pas non plus une immixtion fautive du maître de l'ouvrage, le nettoyage au karcher allégué n'étant pas établi.
Enfin, il convient de noter que suite au dépôt de son pré-rapport, l'expert, ne recevant aucun dire du Conseil de l'appelante, a contacté le secrétariat de celui-ci qui a confirmé que les demandes avaient bien été reçues (page 7 du rapport).
La SARL Les paysagistes est donc mal fondée à critiquer un rapport d'expertise alors qu'elle n'a communiqué qu'une seule pièce et n'a jamais formulé de dires ou donné de précisions sur le déroulement des travaux qui auraient pu permettre d'affiner l'analyse.
Dès lors que les désordres sont avérés et en l'absence d'une cause étrangère, il convient de retenir la responsabilité de la SARL les paysagistes français, le jugement sera confirmé.
Sur le préjudice des époux [O] :
Sur le préjudice matériel :
La SARL Les paysagistes français conteste la somme retenue de 22 579,48 euros TTC, au motif notamment que cette somme est beaucoup plus importante que le devis initial. Toutefois, c'est à juste titre que les époux [O] soutiennent que le coût est nécessairement supérieur, puisqu'il convient en outre de procéder à la dépose du produit litigieux, de re-préparer le support, ce qui a un coût. Par ailleurs, l'appelante ne saurait remettre en cause le fait que le devis ait été réactualisé, alors qu'il est de notoriété publique que compte tenu de l'actualité internationale, les prix des matières premières et par conséquent les tarifs dans le secteur du bâtiment ont connu une hausse.
Au demeurant, c'est à juste titre que le premier juge a souligné que l'appelante ne produisait aucun autre avis technique ou avis professionnel remettant en cause les prix énoncés par le devis, le jugement sera confirmé.
Sur les préjudices immatériels :
Le premier juge a caractérisé l'existence d'un préjudice de jouissance lié à l'inesthétisme des aménagements extérieurs, sachant qu'il peut en outre être retenu l'existence de traces de moisissures qui sont susceptibles de poser des problèmes d'hygiène. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué aux époux [O] la somme de 3000 euros à ce titre.
Les époux [O] sollicitent en outre des dommage-intérêts pour préjudice moral, mais ne caractérisent pas un tel préjudice distinct du préjudice de jouissance, déjà indemnisé, le simple fait de ne pas obtenir de réponse satisfaisante dans un délai raisonnable de la part de l'appelante étant insuffisant pour l'établir. Le jugement sera confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande.
La SARL Les paysagistes français qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne la SARL Les paysagistes français à verser aux époux [O] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la SARL Les paysagistes français aux dépens d'appel ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère de la chambre civile section B faisant fonction de présidente, et par la greffière Mme Claire Chevallet, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,