CA Caen, 1re ch. civ., 16 septembre 2025, n° 22/00058
CAEN
Arrêt
Autre
AFFAIRE : N° RG 22/00058 -
N° Portalis DBVC-V-B7G-G45M
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6] du 13 Décembre 2021
RG n° 20/00289
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025
APPELANTE :
La Compagnie MUTUELLES DU MANS ASSURANCES ès qualités d'assureur de la SAS TRAGIN
[Adresse 1]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Jérôme MARAIS, avocat au barreau de CAEN
INTIMÉE :
La S.A.S. TRAGIN
N° SIRET : 404 572 091
[Adresse 7]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Alain OLIVIER, avocat au barreau de CAEN
DÉBATS : A l'audience publique du 03 avril 2025, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAUBIER, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme BARTHE-NARI, Présidente de chambre,
Mme DELAUBIER, Conseillère,
Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 16 Septembre 2025 par prorogation du délibéré initialement fixé au 1er Juillet 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, présidente, et Mme FLEURY, greffière
* * *
EXPOSE DU LITIGE
En 2004, la Société Civile Immobilière (SCI) du Pré aux Coeurs a fait procéder à des travaux de construction d'une piscine et d'un pool house sur un ensemble immobilier lui appartenant sis à Saint-Hymer dans le Calvados, sous la maîtrise d'oeuvre de la société à responsabilité limitée (SARL) Atelier d'Architecture [K] [E], assurée auprès de la Mutuelle des Architectes Français (la MAF).
La survenance d'infiltrations d'eau boueuse dans la piscine a conduit à l'engagement d'une procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance de Lisieux, laquelle a abouti, après expertise confiée à M. [S] [D], à un arrêt de la cour d'appel de Caen rendu le 26 novembre 2013 condamnant l'architecte et les entreprises intervenues sur le chantier à reprendre les désordres.
La société Atelier d'Architecture [K] [E] s'est vue confier la maîtrise d'oeuvre de ces travaux de réfection.
Sont intervenues dans le cadre de ces nouveaux travaux :
- la société Nouvel Environnement Habitat (la société NEH), assurée auprès de la [Adresse 4] (la société Groupama), chargée de réaliser une étanchéité devant servir de support à la pose de faïence,
- la société par actions simplifiée (SAS) Tragin, assurée auprès de la société mutuelle d'assurances Mutuelle du Mans Assurances (la société MMA), chargée de poser la faïence.
La réception de ces travaux est intervenue le 9 février 2015.
La société du Pré aux Coeurs a déploré que de nombreux petits carreaux de pâte de verre se désolidarisaient du support.
A défaut de règlement amiable, la société du Pré aux Coeurs a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lisieux qui, par ordonnance du 29 mars 2018, a ordonné une nouvelle expertise judiciaire au contradictoire de la société Atelier d'Architecture [K] [E] et de son assureur la MAF, de la société Tragin et de son assureur la société MMA et de la société Nouvel Environnement et de son assureur la société Groupama et a désigné M. [I] [V] en qualité d'expert.
Les opérations ont été étendues à plusieurs reprises.
L'expert a déposé son rapport le 17 octobre 2019 et deux rapports complémentaires les 2 et 23 janvier 2020.
Sur la base de ces rapports, par actes des 12 mars 2020, 11 et 12 mai 2020, la société du Pré aux Coeurs a fait assigner en ouverture de rapport et en indemnisation de ses préjudices, la société Atelier d'Architecture [K] [E], son assureur la MAF, la société Tragin et son assureur MMA, et la société NEH et son assureur la société Groupama.
Par jugement du 13 décembre 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Lisieux a :
- déclaré la société Atelier d'Architecture [K] [E], la société Tragin et la société Nouvel Environnement Habitat (NEH) responsables des désordres affectant la piscine ;
- dit que le préjudice de la société du Pré aux Coeurs occasionné par les désordres relatifs à la piscine s'élève à la somme de 129.845,52 euros TTC (108.204,60 euros HT) outre 350 euros TTC ;
- rejeté la demande de la société du Pré aux Coeurs au titre du préjudice de jouissance ;
- condamné la MAF et la [Adresse 4] à garantir chacun leur assuré ;
- condamné la société MMA à garantir son assuré, sans pouvoir opposer de franchise, des condamnations prononcées au titre des dommages matériels et consécutifs, à l'exception des dommages immatériels ;
- condamné in solidum la société Atelier d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer la somme de 129.845,22 euros TTC outre 350 euros TTC à la société du Pré aux Coeurs au titre de la réparation des désordres relatifs à la piscine ;
- dit que dans les rapports entre co-obligés, le partage de responsabilité s'effectuera de la manière suivante :
* société Atelier d'Architecture [K] [E] : 10 %
* société Tragin : 45 %
* société NEH : 45 %
- condamné dans leur recours entre eux, les constructeurs déclarés responsables et leur assureur respectif, à se garantir des condamnations prononcées à leur encontre à proportion de leur part de responsabilité ci-dessus- indiquée ;
- dit que les sommes précitées seront actualisées en fonction de l'évolution de l'indice BT 01 depuis le 17 octobre 2019 jusqu'à la date du jugement ;
- dit que les sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter du jugement ;
- condamné in solidum la société d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer les dépens, comprenant les frais d'expertise de M. [V] ;
- rejeté la demande de la société MMA contre la société Tragin au titre de la franchise ;
- condamné in solidum la société d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer à la société du Pré aux Coeurs la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes formées au titre des frais irrépétibles ;
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties ;
- dit que la charge finale des dépens et celle de l'indemnité accordée à la société Pré aux Coeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile, seront réparties au prorata des responsabilités retenues ci-dessus;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 12 janvier 2022, la société MMA a formé appel de ce jugement t uniquement en ce qu'il a rejeté sa demande formée à l'encontre de la société Tragin au titre de la franchise.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er avril 2022, la compagnie d'assurance Mutuelles du Mans Assurances demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lisieux en ce qu'il a rejeté sa demande contre la société Tragin au titre de la franchise ;
Statuant à nouveau,
- juger qu'elle est fondée à opposer le montant de sa franchise contractuelle à son assurée, la société Tragin ;
En conséquence,
- condamner la société Tragin à lui payer le montant de la franchise applicable à hauteur de 20%, conformément au terme contractuel entre les parties ;
- condamner la société Tragin à verser la somme de1. 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Tragin aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 juin 2022, la société Tragin demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce que la société Mma a été condamnée à la relever et la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre tant en principal, frais, intérêts et accessoires ;
- condamner la société MMA à lui payer la somme de 2. 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mars 2025.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
- Sur l'opposabilité de la franchise contractuelle à la société Tragin :
Pour rejeter la demande de la société MMA formée à l'encontre de son assurée, la société Tragin, 'au titre de la franchise', le tribunal a relevé que celle-ci, non fondée en droit, les seuls visas des articles 1792 et suivants et l'article 1240 du code civil étant sans lien avec la dite demande, ne pouvait, en tout état de cause, 'être considérée comme rattachée par un lien suffisant' au litige.
La société MMA fait valoir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'appliquer les dispositions contractuelles la liant avec son assurée, la société Tragin, alors qu'en application de l'article A.243-1 du code des assurances, si la franchise n'est pas opposable au bénéficiaire des indemnités accordées en application de l'article 1792 du code civil, elle le reste à l'égard de l'assuré, rappelant les dispositions de l'annexe I de l'article A243-1 du même code et celles de l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil.
Elle entend ainsi justifier par la production des conditions générales et particulières du contrat d'assurance souscrit par la société Tragin être fondée à opposer sa franchise contractuelle restant à la charge de l'assurée à hauteur de 20% avec un minimum de 1.443 euros et un maximum de 20.233 euros.
La société Tragin sollicite au contraire la confirmation du jugement entrepris en ce que, nonobstant les dispositions désormais visées par la société MMA pour fonder ses demandes et dont l'omission a conduit le juge a rejeté sa demande, elle ne justifie pas d'un paiement au tiers lésé, soit la société du Pré aux Coeurs à qui la franchise n'est pas opposable, de sorte que l'assureur n'est toujours pas en droit d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 20.233 euros au titre de sa franchise contractuelle.
Sur ce,
A titre liminaire, il sera rappelé que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Il résulte des dernières conclusions reprises dans l'exposé du litige du jugement entrepris et produites par la société Tragin, que la société MMA avait demandé en première instance de :
- laisser à la charge de la société Tragin le montant de la franchise contractuelle ;
- condamner en tant que de besoin la société Tragin au paiement de celle-ci.
Les demandes formées par l'assureur de voir juger qu'il est fondé à opposer le montant de sa franchise contractuelle à son assurée, la société Tragin, et de condamner cette dernière à lui payer le montant de la franchise applicable à hauteur de 20%, conformément au terme contractuel entre les parties, ne constituent pas des demandes nouvelles, nonobstant le fondement juridique précisé par la société MMA à l'appui de celles-ci.
En application de l'annexe I de l'article A.243-1 du code des assurances, l'assuré conserve une partie de la charge du sinistre, selon des modalités fixées aux conditions particulières. Il s'interdit de contracter une assurance pour la portion du risque correspondante. Cette franchise n'est pas opposable aux bénéficiaires des indemnités.
Il est constant que l'inopposabilité de la franchise contractuelle au tiers lésé, prévue par l'annexe I de l'article A. 243-1 du code des assurances, ne joue que pour l'assurance obligatoire de la responsabilité décennale qu'encourt le constructeur sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.
L'article 1134 du code civil dont les dispositions ont été reprises depuis le 1er octobre 2016 à l'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
La société MMA produit les conditions particulières et générales du contrat d'assurance 'DEFI' n°107059580 souscrit auprès d'elle par la société Tragin, lequel prévoit, pour la responsabilité civile décennale obligatoire, une franchise de 20% du coût des réparations de l'ouvrage avec un montant minimum de franchise par sinistre de 1.339 euros et maximum de 18.771 euros pour la responsabilité civile décennale obligatoire (page 1 du tableau des garanties auxquelles renvoient les conditions particulières (p4/4) et l'article 13 'Franchise' en page 15 des annexes des conditions générales n°248).
L'opposabilité des conditions générales du contrat et ses annexes n'est pas discutée par la société Tragin.
L'article 13 'Franchise' précité précise les modalités de calcul de la franchise et de la revalorisation de son montant selon la valeur de l'indice définie par l'article 18 des conditions générales en vigueur à la date de déclaration du sinistre.
Les dispositions du jugement ayant déclaré la société Tragin, avec la société Atelier d'Architecture [K] [E], et la société Nouvel Environnement Habitat (NEH) responsables des désordres de nature décennale affectant la piscine et condamné in solidum la société Atelier d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer la somme de 129.845,22 euros TTC outre 350 euros TTC à la société du Pré aux Coeurs au titre de la réparation des désordres relatifs à la piscine, sont définitives.
A la lumière des motifs du jugement déféré, il apparaît que le tribunal a entendu 'condamner la société MMA à garantir son assuré, sans pouvoir opposer [à la société du Pré aux Coeurs, tiers lésé] de franchise, des condamnations prononcées au titre des dommages matériels et consécutifs, à l'exception des dommages immatériels', dès lors qu'il rappelait que la franchise prévue au contrat n'était pas opposable aux bénéficiaires des indemnités sauf pour les dommages immatériels non couverts par la garantie, étant observé que la société MMA n'a pas relevé appel de ces dispositions qui ne font l'objet d'aucune critique.
Dès lors, au regard des condamnations définitives prononcées à l'encontre de la société Tragin et son assureur ainsi rappelées, et en application des dispositions légales précitées et des stipulations contractuelles sus-visées, la société MMA est fondée à opposer à son assurée, la société Tragin, la franchise contractuelle dans les conditions définies aux conditions particulières et générales telles que rappelées.
En revanche, il y a lieu de relever que la demande de condamnation, non chiffrée, est insuffisamment déterminée, et la cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour déterminer précisément le montant de la franchise dont la société Tragin est redevable. Aucune information n'est fournie quant aux sommes que l'assureur a payées et correspondant au montant de la franchise non opposable à la société du Pré aux Coeurs mais applicable dans les rapports contractuels avec son assurée, étant observé au surplus, que le jugement déféré est aussi définitif s'agissant de la condamnation, dans leurs recours entre eux, des constructeurs déclarés responsables dont la société Tragin et leur assureur respectif, à se garantir des condamnations prononcées à leur encontre à proportion de leur part de responsabilité.
Par suite, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société MMA 'au titre de la franchise', et la cour dira que la société MMA est fondée à opposer à son assurée la franchise contractuelle prévue au contrat d'assurance Defi n°107059580, le surplus de ses demandes étant toutefois rejeté.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Succombant en appel, même partiellement, la société MMA sera aussi condamnée aux dépens d'appel.
En revanche, l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de la société Mutuelles du Mans Assurances contre la société Tragin au titre de la franchise ;
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
Dit la société Mutuelles du Mans Assurances est fondée à opposer à son assurée, la société Tragin, la franchise contractuelle prévue au contrat d'assurance Defi n°107059580 conclu entre elles ;
Rejette le surplus des demandes des parties en ce compris les demandes formées, en ce compris de celles formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Mutuelles du Mans Assurances aux dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
E. FLEURY Hélène BARTHE-NARI
N° Portalis DBVC-V-B7G-G45M
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6] du 13 Décembre 2021
RG n° 20/00289
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025
APPELANTE :
La Compagnie MUTUELLES DU MANS ASSURANCES ès qualités d'assureur de la SAS TRAGIN
[Adresse 1]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Jérôme MARAIS, avocat au barreau de CAEN
INTIMÉE :
La S.A.S. TRAGIN
N° SIRET : 404 572 091
[Adresse 7]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Alain OLIVIER, avocat au barreau de CAEN
DÉBATS : A l'audience publique du 03 avril 2025, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAUBIER, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme BARTHE-NARI, Présidente de chambre,
Mme DELAUBIER, Conseillère,
Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 16 Septembre 2025 par prorogation du délibéré initialement fixé au 1er Juillet 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, présidente, et Mme FLEURY, greffière
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EXPOSE DU LITIGE
En 2004, la Société Civile Immobilière (SCI) du Pré aux Coeurs a fait procéder à des travaux de construction d'une piscine et d'un pool house sur un ensemble immobilier lui appartenant sis à Saint-Hymer dans le Calvados, sous la maîtrise d'oeuvre de la société à responsabilité limitée (SARL) Atelier d'Architecture [K] [E], assurée auprès de la Mutuelle des Architectes Français (la MAF).
La survenance d'infiltrations d'eau boueuse dans la piscine a conduit à l'engagement d'une procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance de Lisieux, laquelle a abouti, après expertise confiée à M. [S] [D], à un arrêt de la cour d'appel de Caen rendu le 26 novembre 2013 condamnant l'architecte et les entreprises intervenues sur le chantier à reprendre les désordres.
La société Atelier d'Architecture [K] [E] s'est vue confier la maîtrise d'oeuvre de ces travaux de réfection.
Sont intervenues dans le cadre de ces nouveaux travaux :
- la société Nouvel Environnement Habitat (la société NEH), assurée auprès de la [Adresse 4] (la société Groupama), chargée de réaliser une étanchéité devant servir de support à la pose de faïence,
- la société par actions simplifiée (SAS) Tragin, assurée auprès de la société mutuelle d'assurances Mutuelle du Mans Assurances (la société MMA), chargée de poser la faïence.
La réception de ces travaux est intervenue le 9 février 2015.
La société du Pré aux Coeurs a déploré que de nombreux petits carreaux de pâte de verre se désolidarisaient du support.
A défaut de règlement amiable, la société du Pré aux Coeurs a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lisieux qui, par ordonnance du 29 mars 2018, a ordonné une nouvelle expertise judiciaire au contradictoire de la société Atelier d'Architecture [K] [E] et de son assureur la MAF, de la société Tragin et de son assureur la société MMA et de la société Nouvel Environnement et de son assureur la société Groupama et a désigné M. [I] [V] en qualité d'expert.
Les opérations ont été étendues à plusieurs reprises.
L'expert a déposé son rapport le 17 octobre 2019 et deux rapports complémentaires les 2 et 23 janvier 2020.
Sur la base de ces rapports, par actes des 12 mars 2020, 11 et 12 mai 2020, la société du Pré aux Coeurs a fait assigner en ouverture de rapport et en indemnisation de ses préjudices, la société Atelier d'Architecture [K] [E], son assureur la MAF, la société Tragin et son assureur MMA, et la société NEH et son assureur la société Groupama.
Par jugement du 13 décembre 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Lisieux a :
- déclaré la société Atelier d'Architecture [K] [E], la société Tragin et la société Nouvel Environnement Habitat (NEH) responsables des désordres affectant la piscine ;
- dit que le préjudice de la société du Pré aux Coeurs occasionné par les désordres relatifs à la piscine s'élève à la somme de 129.845,52 euros TTC (108.204,60 euros HT) outre 350 euros TTC ;
- rejeté la demande de la société du Pré aux Coeurs au titre du préjudice de jouissance ;
- condamné la MAF et la [Adresse 4] à garantir chacun leur assuré ;
- condamné la société MMA à garantir son assuré, sans pouvoir opposer de franchise, des condamnations prononcées au titre des dommages matériels et consécutifs, à l'exception des dommages immatériels ;
- condamné in solidum la société Atelier d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer la somme de 129.845,22 euros TTC outre 350 euros TTC à la société du Pré aux Coeurs au titre de la réparation des désordres relatifs à la piscine ;
- dit que dans les rapports entre co-obligés, le partage de responsabilité s'effectuera de la manière suivante :
* société Atelier d'Architecture [K] [E] : 10 %
* société Tragin : 45 %
* société NEH : 45 %
- condamné dans leur recours entre eux, les constructeurs déclarés responsables et leur assureur respectif, à se garantir des condamnations prononcées à leur encontre à proportion de leur part de responsabilité ci-dessus- indiquée ;
- dit que les sommes précitées seront actualisées en fonction de l'évolution de l'indice BT 01 depuis le 17 octobre 2019 jusqu'à la date du jugement ;
- dit que les sommes précitées porteront intérêt au taux légal à compter du jugement ;
- condamné in solidum la société d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer les dépens, comprenant les frais d'expertise de M. [V] ;
- rejeté la demande de la société MMA contre la société Tragin au titre de la franchise ;
- condamné in solidum la société d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer à la société du Pré aux Coeurs la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes formées au titre des frais irrépétibles ;
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties ;
- dit que la charge finale des dépens et celle de l'indemnité accordée à la société Pré aux Coeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile, seront réparties au prorata des responsabilités retenues ci-dessus;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 12 janvier 2022, la société MMA a formé appel de ce jugement t uniquement en ce qu'il a rejeté sa demande formée à l'encontre de la société Tragin au titre de la franchise.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er avril 2022, la compagnie d'assurance Mutuelles du Mans Assurances demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lisieux en ce qu'il a rejeté sa demande contre la société Tragin au titre de la franchise ;
Statuant à nouveau,
- juger qu'elle est fondée à opposer le montant de sa franchise contractuelle à son assurée, la société Tragin ;
En conséquence,
- condamner la société Tragin à lui payer le montant de la franchise applicable à hauteur de 20%, conformément au terme contractuel entre les parties ;
- condamner la société Tragin à verser la somme de1. 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Tragin aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 juin 2022, la société Tragin demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce que la société Mma a été condamnée à la relever et la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre tant en principal, frais, intérêts et accessoires ;
- condamner la société MMA à lui payer la somme de 2. 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mars 2025.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
- Sur l'opposabilité de la franchise contractuelle à la société Tragin :
Pour rejeter la demande de la société MMA formée à l'encontre de son assurée, la société Tragin, 'au titre de la franchise', le tribunal a relevé que celle-ci, non fondée en droit, les seuls visas des articles 1792 et suivants et l'article 1240 du code civil étant sans lien avec la dite demande, ne pouvait, en tout état de cause, 'être considérée comme rattachée par un lien suffisant' au litige.
La société MMA fait valoir que c'est à tort que le tribunal a refusé d'appliquer les dispositions contractuelles la liant avec son assurée, la société Tragin, alors qu'en application de l'article A.243-1 du code des assurances, si la franchise n'est pas opposable au bénéficiaire des indemnités accordées en application de l'article 1792 du code civil, elle le reste à l'égard de l'assuré, rappelant les dispositions de l'annexe I de l'article A243-1 du même code et celles de l'article 1134 ancien devenu 1103 du code civil.
Elle entend ainsi justifier par la production des conditions générales et particulières du contrat d'assurance souscrit par la société Tragin être fondée à opposer sa franchise contractuelle restant à la charge de l'assurée à hauteur de 20% avec un minimum de 1.443 euros et un maximum de 20.233 euros.
La société Tragin sollicite au contraire la confirmation du jugement entrepris en ce que, nonobstant les dispositions désormais visées par la société MMA pour fonder ses demandes et dont l'omission a conduit le juge a rejeté sa demande, elle ne justifie pas d'un paiement au tiers lésé, soit la société du Pré aux Coeurs à qui la franchise n'est pas opposable, de sorte que l'assureur n'est toujours pas en droit d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 20.233 euros au titre de sa franchise contractuelle.
Sur ce,
A titre liminaire, il sera rappelé que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Il résulte des dernières conclusions reprises dans l'exposé du litige du jugement entrepris et produites par la société Tragin, que la société MMA avait demandé en première instance de :
- laisser à la charge de la société Tragin le montant de la franchise contractuelle ;
- condamner en tant que de besoin la société Tragin au paiement de celle-ci.
Les demandes formées par l'assureur de voir juger qu'il est fondé à opposer le montant de sa franchise contractuelle à son assurée, la société Tragin, et de condamner cette dernière à lui payer le montant de la franchise applicable à hauteur de 20%, conformément au terme contractuel entre les parties, ne constituent pas des demandes nouvelles, nonobstant le fondement juridique précisé par la société MMA à l'appui de celles-ci.
En application de l'annexe I de l'article A.243-1 du code des assurances, l'assuré conserve une partie de la charge du sinistre, selon des modalités fixées aux conditions particulières. Il s'interdit de contracter une assurance pour la portion du risque correspondante. Cette franchise n'est pas opposable aux bénéficiaires des indemnités.
Il est constant que l'inopposabilité de la franchise contractuelle au tiers lésé, prévue par l'annexe I de l'article A. 243-1 du code des assurances, ne joue que pour l'assurance obligatoire de la responsabilité décennale qu'encourt le constructeur sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.
L'article 1134 du code civil dont les dispositions ont été reprises depuis le 1er octobre 2016 à l'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
La société MMA produit les conditions particulières et générales du contrat d'assurance 'DEFI' n°107059580 souscrit auprès d'elle par la société Tragin, lequel prévoit, pour la responsabilité civile décennale obligatoire, une franchise de 20% du coût des réparations de l'ouvrage avec un montant minimum de franchise par sinistre de 1.339 euros et maximum de 18.771 euros pour la responsabilité civile décennale obligatoire (page 1 du tableau des garanties auxquelles renvoient les conditions particulières (p4/4) et l'article 13 'Franchise' en page 15 des annexes des conditions générales n°248).
L'opposabilité des conditions générales du contrat et ses annexes n'est pas discutée par la société Tragin.
L'article 13 'Franchise' précité précise les modalités de calcul de la franchise et de la revalorisation de son montant selon la valeur de l'indice définie par l'article 18 des conditions générales en vigueur à la date de déclaration du sinistre.
Les dispositions du jugement ayant déclaré la société Tragin, avec la société Atelier d'Architecture [K] [E], et la société Nouvel Environnement Habitat (NEH) responsables des désordres de nature décennale affectant la piscine et condamné in solidum la société Atelier d'Architecture [K] [E], la MAF, la société Tragin, la société MMA, la société NEH et la société [Adresse 5] à payer la somme de 129.845,22 euros TTC outre 350 euros TTC à la société du Pré aux Coeurs au titre de la réparation des désordres relatifs à la piscine, sont définitives.
A la lumière des motifs du jugement déféré, il apparaît que le tribunal a entendu 'condamner la société MMA à garantir son assuré, sans pouvoir opposer [à la société du Pré aux Coeurs, tiers lésé] de franchise, des condamnations prononcées au titre des dommages matériels et consécutifs, à l'exception des dommages immatériels', dès lors qu'il rappelait que la franchise prévue au contrat n'était pas opposable aux bénéficiaires des indemnités sauf pour les dommages immatériels non couverts par la garantie, étant observé que la société MMA n'a pas relevé appel de ces dispositions qui ne font l'objet d'aucune critique.
Dès lors, au regard des condamnations définitives prononcées à l'encontre de la société Tragin et son assureur ainsi rappelées, et en application des dispositions légales précitées et des stipulations contractuelles sus-visées, la société MMA est fondée à opposer à son assurée, la société Tragin, la franchise contractuelle dans les conditions définies aux conditions particulières et générales telles que rappelées.
En revanche, il y a lieu de relever que la demande de condamnation, non chiffrée, est insuffisamment déterminée, et la cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour déterminer précisément le montant de la franchise dont la société Tragin est redevable. Aucune information n'est fournie quant aux sommes que l'assureur a payées et correspondant au montant de la franchise non opposable à la société du Pré aux Coeurs mais applicable dans les rapports contractuels avec son assurée, étant observé au surplus, que le jugement déféré est aussi définitif s'agissant de la condamnation, dans leurs recours entre eux, des constructeurs déclarés responsables dont la société Tragin et leur assureur respectif, à se garantir des condamnations prononcées à leur encontre à proportion de leur part de responsabilité.
Par suite, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société MMA 'au titre de la franchise', et la cour dira que la société MMA est fondée à opposer à son assurée la franchise contractuelle prévue au contrat d'assurance Defi n°107059580, le surplus de ses demandes étant toutefois rejeté.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Succombant en appel, même partiellement, la société MMA sera aussi condamnée aux dépens d'appel.
En revanche, l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de la société Mutuelles du Mans Assurances contre la société Tragin au titre de la franchise ;
Statuant à nouveau du seul chef infirmé et y ajoutant,
Dit la société Mutuelles du Mans Assurances est fondée à opposer à son assurée, la société Tragin, la franchise contractuelle prévue au contrat d'assurance Defi n°107059580 conclu entre elles ;
Rejette le surplus des demandes des parties en ce compris les demandes formées, en ce compris de celles formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Mutuelles du Mans Assurances aux dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
E. FLEURY Hélène BARTHE-NARI