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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 16 septembre 2025, n° 22/00894

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 22/00894

16 septembre 2025

NH/SL

N° Minute

[Immatriculation 2]/515

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 16 Septembre 2025

N° RG 22/00894 - N° Portalis DBVY-V-B7G-G7YR

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce de CHAMBERY en date du 20 Avril 2022

Appelante

S.A. GAN ASSURANCES, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SCP GUIDETTI BOZZARELLI LE MAT, avocats plaidants au barreau de GRENOBLE

Intimées

S.A.R.L. CREACOUSTIC, dont le siège social est situé [Adresse 4]

Représentée par la SELARL ALCYON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL INCEPTO AVOCATS - DROIT DE L'ENTREPRISE, avocats plaidants au barreau de LYON

S.A.S. SOCIETE DE TRAVAUX ALPINS - (STA), dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représentée par Me Christian ASSIER, avocat au barreau d'ALBERTVILLE

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Date de l'ordonnance de clôture : 23 Septembre 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 juin 2025

Date de mise à disposition : 16 septembre 2025

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Composition de la cour :

- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

Au mois de juin 2018, dans le cadre d'un projet de centrale de cogénération sur le site de l'usine Arkema à [Localité 5], la société Engie Cofely a confié à la société Creacoustic qui exerce une activité d'ingéniérie et bureau d'étude spécialisé acoustique, un marché de travaux comprenant la conception, la fabrication, le montage et la mise en service d'un ouvrage industriel correspondant au silencieux de cette centrale de cogénération, pour un montant total de 134.900 euros HT.

La société Creacoustic a sous-traité la fabrication de ce silencieux à la Société de Travaux Alpins (ci-après STA), spécialisée dans la fabrication d'ouvrages métalliques pour un montant de 60.000 euros HT. La société Creacoustic a déploré des défauts sur les pièces fournies par STA qui n'est pas intervenue en dépit des échanges entre les deux sociétés. Engie Cofely a refusé de réceptionner le silencieux puis a signalé de nouveaux désordres constitués par des fuites de gaz de combustion.

En raison des surcoûts qu'elle estime avoir supporté pour corriger les défauts de fabrication et satisfaire son client, la société Creacoustic a refusé de payer la dernière facture de la Société de Travaux Alpins.

Par acte d'huissier de justice du 25 février 2019, STA a assigné la société Creacoustic en paiement devant le tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saône.

Par jugement du 5 décembre 2019, le tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saône a condamné STA à payer à la société Creacoustic :

- des dommages et intérêts d'un montant de 9.140,82 euros, ce qui correspondait à la différence entre la dernière facture de la société de Travaux Alpins, soit 24.092,34 euros HT et le montant des coûts supportés par la société Creacoustic pour mettre l'ouvrage en conformité, soit 33 233, 16 euros HT,

- une somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens de l'instance.

La société STA a interjeté appel de ce jugement et par arrêt définitif en date du 29 juin 2023, la Cour d'appel de Lyon a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions critiquées, sauf en ce qu'il a écarté la facture FC000536 établie par STA pour un montant de 4.900 euros HT, condamné la SARL Créacoustic à verser à la SAS STA la somme de 28.910,81 euros, au titre du solde des travaux (facture n°FC000524), avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 décembre 2018 et débouté la SARL Créacoustic de sa demande de dommages et intérêts.

Par actes d'huissier des 31 mai et 2 juin 2021, la société Creacoustic a assigné la société STA et la société GAN Assurances devant le tribunal de commerce de Chambéry notamment aux fins d'engager la responsabilité décennale de la société STA et faire réparer son préjudice.

Par jugement du 20 avril 2022, le tribunal de commerce de Chambéry a :

- Déclaré régulière, recevable et partiellement fondée à hauteur de 20.367,89 euros, la demande en principal de la société Creacoustic, sur le fondement de la garantie décennale, à l'encontre de la société de Travaux Alpins et de son assureur, la société GAN Assurances ;

- Condamné in solidum la société de Travaux Alpins et la société GAN Assurances à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Creacoustic :

- La somme de 20.367,89 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par la société Creacoustic par le fait de la société STA, dans le cadre de sa garantie décennale, pour les désordres visés ci-dessus, couverte par son assureur, la société GAN Assurances,

- La somme de 3.500 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les dépens,

- Condamné la société GAN Assurances à relever et garantir la Société de Travaux Alpins du montant des condamnations ci-dessus ;

- Déclaré irrecevables au titre de la chose jugée les demandes de la Société de Travaux Alpins se rapportant aux deux factures ci-dessus d'un montant de 28.910,81 euros et 5.880 euros,

- Rejeté toutes autres demandes.

Au visa principalement des motifs suivants :

Une expertise judiciaire ne permettrait pas d'apporter des éléments complémentaires différents de ceux déjà connus suite aux expertises et constatations amiables ;

Compte tenu de la nature et de l'importance des travaux réalisés par STA, les parties sont liées par un contrat de louage d'ouvrage et la garantie décennale de l'article 1792 du Code Civil trouve à s'appliquer et la société STA doit indemniser la société Créacoustic de son préjudice qui correspond aux dépenses externes et internes qu'elle a dû supporter pour réparer les fuites sur le silencieux ;

Les travaux réalisés par STA correspondent à ceux prévus au contrat d'assurance et la garantie de GAN Assurances doit donc s'appliquer ;

Les demandes en paiement des factures se heurtent à l'autorité de chose jugée attachée au jugement rendu par le tribunal de commerce de Villefranche sur Saône.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 19 mai 2020, la société GAN Assurances a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 19 décembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Gan Assurances sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :

- Lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte quant à l'instauration d'une mesure d'expertise telle que sollicité par la Société de Travaux Alpins ;

- Juger que les désordres affectant le silencieux ne peuvent constituer des désordres de nature décennale ;

- Réformer en conséquence la décision déférée ;

- Juger qu'en tout état de cause la société Creacoustic ne rapporte pas la preuve de son préjudice ;

- Débouter la société Creacoustic de l'intégralité de ces prétentions ;

- Juger en tout état de cause, que les garanties de la société GAN Assurances ne peuvent être mobilisées en l'espèce ;

- Réformer en conséquence la décision déférée ;

- Débouter la société Creacoustic de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre ;

- Débouter la Société de Travaux Alpins de sa demande en garantie dirigée à son encontre ;

- En conséquence, mettre le GAN hors de cause ;

- Condamner la société Creacoustic au paiement d'une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Creacoustic en tous les dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ses prétentions, la société GAN Assurances fait notamment valoir que :

Le tribunal a homologué un rapport d'expertise privé, justement critiqué, sans jugé utile de tenir compte de ces critiques, alors même qu'il n'entre pas dans le champ de sa compétence d'apprécier des arguments techniques ;

Cette expertise est insuffisante à apporter la preuve dont Créacoustic a la charge et elle doit donc être déboutée de ses demandes ;

Les désordres prétendus n'entrent pas dans le champ de la garantie responsabilité décennale des entreprises de construction et, en outre, la société STA a fabriqué dans ces ateliers le produit litigieux de sorte que sa prestation ne relève pas de la construction de l'ouvrage et ses garanties ne sont pas mobilisables.

Par dernières écritures du 10 novembre 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Creacoustic demande à la cour de :

Sur l'appel principal de la société GAN Assurances,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 20 avril 2022 en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés de Travaux Alpins et GAN Assurances à lui payer la somme de 20.367,89 euros sur le fondement de la responsabilité civile décennale de la société de Travaux Alpins, le cas échéant en substituant le fondement de la responsabilité civile de droit commun à celui de la responsabilité civile décennale ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 20 avril 2022 en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés de Travaux Alpins et GAN Assurances à lui payer la somme de 3.500 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 20 avril 2022 en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société de Travaux Alpins se rapportant à deux factures d'un montant de 28 910,81 euros et 5.880 euros ;

Sur l'appel incident de la société de Travaux Alpins,

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise judiciaire, au motif qu'une telle mesure n'est pas de nature à apporter des éléments complémentaires différents de ceux déjà connus et présents dans le dossier, la juridiction étant suffisamment éclairée ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société de Travaux Alpins avait engagé sa responsabilité à son égard, le cas échéant en substituant le fondement de la responsabilité civile de droit commun à celui de la responsabilité civile décennale retenue en première instance ;

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société de Travaux Alpins de sa demande tendant à la faire condamner à lui payer une somme principale de 34.790,81 euros, cette demande ayant déjà été rejetée par un jugement rendu dans le cadre d'une instance distincte ;

Sur son propre appel incident,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 20 avril 2022 en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société de Travaux Alpins à lui verser une somme de 10.421,03 euros au titre du renforcement de l'étanchéité du silencieux ;

Et, statuant à nouveau,

- Juger que, à la suite de la fuite du silencieux survenue au mois de novembre 2009, elle a engagé une somme de 10.421,03 euros HT pour renforcer l'étanchéité du silencieux et prévenir tout nouveau désordre susceptible d'engendrer l'arrêt complet de la centrale de production de vapeur surchauffée sur le site industriel de la société Arkema ;

- Juger que cette dépense de 10.421,03 euros HT correspond à un préjudice dont elle est recevable et fondée à réclamer réparation, puisqu'il s'agit d'une conséquence directe de la fuite signalée au mois de novembre 2019, causée par les manquements de la société de Travaux Alpins ;

En conséquence,

- Condamner in solidum la société de Travaux Alpins et la société GAN Assurances à lui payer la somme complémentaire de 10.421,03 euros, en réparation de son préjudice ;

En toute hypothèse,

- Condamner la société GAN Assurances, à lui payer une somme supplémentaire de 4.500 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société de Travaux Alpins à lui payer une somme supplémentaire de 4.500 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société GAN Assurances et la société de Travaux Alpins in solidum aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Creacoustic fait notamment valoir que :

Le silencieux de la centrale de cogénération dont elle a confié la fabrication à STA constitue un ouvrage industriel, ou à tout le moins un élément d'équipement d'un ouvrage industriel, incorporé de manière indiscutable et non dissociable, à la centrale elle-même et soumis aux dispositions de l'article 1792 du code civil ;

Subsidiairement, la commande qu'elle a passée à la société STA s'analyse en un contrat d'entreprise qui impose à la société STA une obligation de livrer un ouvrage exempt de vice alors que tel n'a pas été le cas, un mauvais serrage lors du montage du silencieux étant à l'origine de la fuite ;

Dans les deux cas, la garantie de la société GAN Assurances doit s'appliquer, peu important le lieu de réalisation de l'ouvrage ;

Les rapports des experts mandatés par les assureurs des parties ont clairement mis en évidence l'origine des fuites ainsi que la responsabilité de la société de Travaux Alpins, et il n'est nul besoin d'une expertise-judiciaire pour éclairer la cour étant observé que la reprise du désordre est intervenue, de sorte que l'expert qui serait désigné ne pourrait procéder à aucune vérification ;

La demande en paiement formée par STA à son encontre a déjà été tranchée par le tribunal de commerce de Villefranche sur Saône et ne peut être soumise à nouvceau à une juridiction ;

Afin de prévenir toute nouvelle fuite, et de préserver son image de marque, elle a engagé une somme de 10.421,03 euros HT pour renforcer l'étanchéité du silencieux, cette dépense est une conséquence directe et immédiate de la fuite survenue au mois de novembre 2009, imputable à STA qui doit donc également l'indemniser des dépenses engagées, sans que puisse lui être opposé l'accord de prise en charge qu'elle avait donné dans le cadre d'un accord amiable global, qui n'a finalement pas été accepté par la Société de Travaux Alpins et son assureur.

Par dernières écritures du 17 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société de Travaux Alpins demande à la cour de :

- Voir dire et juger une mesure d'expertise et voir désigner tel expert qu'il plaira avec mission habituelle en pareil cas et notamment de vérifier la conformité des pièces qu'elle a fabriquées aux plans et cotes remises par la société Creacoustic, et déterminer les responsabilités encourues ;

- Voir débouter en l'état la société Creacoustic de l'ensemble de ses prétentions principales et incidentes ;

- Voir dire et juger qu'elle est garantie par la société GAN Assurances, au titre des garanties décennales et contractuelles ;

- Voir condamner la société Creacoustic au paiement du solde de ses factures pour un montant en principal de 34.790,81 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 janvier 2018 ;

En toutes hypothèses,

- Voir condamner la société Creacoustic au paiement de la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société STA fait notamment valoir que :

Il existe des appréciations différentes entre les experts missionnés, tant sur les désordres que sur les responsabilités des différents intervenants, justifiant pleinement la demande d'expertise judiciaire ;

Elle justifie avoir réalisé les travaux commandés selon les plans fournis qu'elle a scrupuleusement respectés et est donc légitime à réclamer le paiement de ses factures ;

Les travaux entrent dans le champ des activités garanties par le contrat d'assurance, au titre de sa responsabilité décennale et le GAN est donc tenu de la garantir ;

L'absence de règlement de la facture du solde des travaux par la société Créacoustic lui interdit d'invoquer la responsabilité de STA et il convient de rejeter la demande relative au préjudice correspondant aux travaux supplémentaires en l'absence de preuve de la nécessité de réaliser lesdits travaux.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance du 23 septembre 2024 a clôturé l'instruction de la procédure et l'affaire a été évoquée à l'audience du 24 juin 2025.

Motifs de la décision

I - Sur l'origine et l'imputabilité des désordres et la demande d'expertise

Il résulte d'une jurisprudence constante qu'un rapport d'expertise non contradictoire constitue une preuve admissible dès lors qu'il a été produit aux débats et soumis à un débat contradictoire et qu'il est corroboré par d'autres éléments de preuve. Ainsi le juge peut se fonder sur un rapport d'expertise non contradictoire lorsqu'il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties et que la décision ne se fonde pas exclusivement sur cette expertise (ex Cass Ch. mixte, 28 septembre 2012, pourvoi n 11-18710, Cass Civ. 3ème 16 février 2022, pourvoi n 20-22778, Cass Civ. 3ème , 5 mars 2020, n 19-13509, Cass Civ. 1ère, 14 juin 2023, pourvoi n° 21-24.996).

En l'espèce l'existence même de fuite de gaz d'échappement au niveau d'un raccord entre deux tronçons du silencieux fabriqué par STA, n'est pas contestée. Cette fuite a été signalée par Engie Cofely à Créacoustic le 18 novembre 2019 par courriel, confirmé par courrier le 20 novembre 2019, soit très rapidement après la mise en service de la turbine en situation de production, intervenue début novembre 2019. Créacoustic en a avisé STA le 22 novembre 2019 par un courrier auquel était jointes des photographies faisant apparaître la fuite.

L'assureur de la société Créacoustic a mandaté le cabinet d'expertise GM Consultant pour déterminer la cause de la fuite et les solutions réparatoires. L'expert a organisé trois réunions d'expertise les 12 décembre 2019, 31 janvier 2020 et 11 mars 2020, toutes en présence d'un représentant de la société STA et les deux dernières en présence de l'expert de Saretec, mandaté par le GAN assureur de STA et qui a lui-même établi un rapport versé aux débats par la société STA.

L'expert GM Consultant a pris des photographies après ouverture du calorifique au niveau de la fuite, qui font apparaître que la tresse céramique ayant permis de réaliser l'étanchéité, est rompue et a en partie disparu au niveau de la fuite et que, au droit ce cette fuite, il existe un écart important entre les surfaces d'appui devant comprimer le joint. Parallèlement, aucune détérioration de la conduite elle-même n'était à déplorer. Lors des deuxième et troisième réunions d'expertise, l'expert constatait que le colmatage réalisé le 12 décembre à l'aide d'un mastic réfractaire au niveau du joint, avait rempli son office. L'expert relève encore que la société PBI fabricant de la tresse céramique utilisée par STA mais fournie par Créacoustic, a confirmé que ce type de joint, résistant jusqu'à 800° alors que la température maximum du système est de 560°, était adapté au besoin et couramment utilisée, bien qu'il existe des joints plus performants, la maîtrise de l'écrasement restant un paramètre essentiel, 'trop d'écrasement entraîne une dégradation de la tresse et un écrasement insuffisant occasionne une micro-fuite puis une dégradation de la tresse'. L'expert GM Consultant retient que, compte tenu de ces éléments et du fait que le phénomène ne se soit pas généralisé à l'ensemble des raccords traités avec le même rouleau de tresse céramique, la cause du désordre ne réside pas dans la tresse elle-même mais est un défaut ponctuel de mise en oeuvre du joint par la société STA, le serrage ayant été soit trop important, soit insuffisant, dans la zone de fuite.

Le rapport d'expertise établi par Saretec confirme que selon PBI, 'la sortie du joint est la conséquence d'un problème de serrage' et indique, en se fondant sur les mêmes constatations que son confrère, que 'la problématique technique repose sur différents éléments : un type de tresse installée (indiqué par PBI comme non idéal) fourni par Créacoustic, un mode de pose de la tresse, un respect du taux de serrage du joint, un délai de plusieurs mois entre la livraison du silencieux (septembre 2018) et une mise en service en novembre 2019.'

Cet expert relève que les plans et la fabrication du silencieux sont sous l'autorité de Créacoustic et que celle-ci ne peut pas reprocher tardivement à STA la réalisation d'un cône d'entrée démontable.

L'expertise Saretec retient au titre des causes possibles des fuites, le non respect du taux de serrage du joint, ce qui correspond aux conclusions du rapport GM Consultant et rejoint le constat objectif selon lequel il existe un écart entre les surfaces d'appui, l'expert Saretec évoquant 'un boulon de serrage, au droit de la zone de fuite, dont la tête n'appuie pas sur la bride'. S'agissant du type de tresse installée, les rapports sont convergents pour retenir qu'il n'est pas l'idéal mais, ainsi que le relève l'expert GM Consultant, cette tresse est conçue pour résister à des températures supérieures à celles rencontrées sur l'installation et son utilisation a été validée par le fabricant au cours des opérations d'expertise. Il apparaît en outre que cette même tresse a été utilisée en d'autres endroits qui n'ont été affectés d'aucun désordre, les fuites étant limitées à un seul joint, ce qui démontre la pertinence du matériau utilisé. L'expert Saretec, retient encore au titre des causes possibles, le mode de pose de la tresse qu'il différencie du taux de serrage ; le mode de pose relève de la société STA à laquelle la tresse a été confiée mais qui a procédé à sa mise en oeuvre.

Seul le délai entre la livraison et la mise en service est invoqué par l'expert Saretec en divergence du rapport de GM Consultant, qui ne l'évoque au demeurant nullement. L'expert Saretec n'explique cependant pas en quoi ce délai pourrait avoir une incidence sur le désordre et notamment sur les autres causes qu'il cite alors qu'il est acquis que la société STA a procédé à la livraison d'un bloc, que les éléments de serrage se trouvent à l'intérieur du silencieux fabriqué par STA, sous la protection calorifique, et sont donc sinon inacessibles, à tout le moins très peu accessibles et qu'enfin, si la mise en production de la centrale de cogénération est intervenue en novembre 2019, le silencieux a été installé très en amont afin qu'il puisse être procédé aux essais et était à tout le moins en place dès le 10 octobre 2018, date à laquelle la société Créacoustic faisait part des difficultés liées à la forme du coude ainsi que le relève la Cour d'appel de Lyon dans son arrêt du 29 juin 2023 et que le font apparaître les courriels versés aux débats. Dès lors aucun délai ne peut être invoqué comme une possible cause du désordre affectant le joint litigieux.

Le seul point de divergence étant écarté, il convient de constater que les deux expertises versées aux débats ainsi que les photographies produites et les échanges entre les parties, convergent pour établir, sans qu'il y ait lieu à expertise judiciaire, que les fuites déplorées résultent d'un défaut de serrage au droit de la zone de fuite, imputable à STA.

II - Sur la demande de réparation formée par la société Créacoustic contre STA

L'article 1710 du code civil définit le contrat de louage d'ouvrage comme le contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles.

L'article 1779 précise que parmi les trois types de louage d'ouvrage, figure 'Celui des architectes, entrepreneurs d'ouvrages et techniciens par suite d'études, devis ou marchés.'

En application des dispositions combinées des articles 1792 et 1792-3, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. La présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.

Il est admis depuis un arrêt du 5 février 1985 (3ème Civ., 5 février 1985, pourvoi n 83-16.675), qui a retenu la qualification de louage d'ouvrage aux motifs que les barres métalliques commandées devaient répondre à des dimensions spécifiques de longueur et de calibre et être formées d'assemblages avec une multiplicité de composants telle que le fournisseur n'aurait pas pu les stocker à l'avance, de sorte que celui-ci avait « effectué un travail spécifique en vertu d'indications particulières rendant impossible de substituer au produit commandé un autre équivalent », que le critère de l'exécution d'un travail spécifique pour les besoins particuliers d'un client, permet de caractériser un contrat d'entreprise et de le distinguer d'un simple contrat de vente. (Cass Civ. 1ère, 9 septembre 2020, pourvoi n 18-25.913- Cass Civ 1ère, 18 novembre 2009, pourvoi n 08-19.355).

Il ne peut être sérieusement contesté que la réalisation d'un silencieux et des gaines de fumée acheminant les gaz d'échappement de la turbine vers l'ensemble chaudière d'une centrale de production énergétique, constitue un ouvrage au sens des dispositions précitées. La société STA a par ailleurs, dans ce cadre, été sollicitée pour fabriquer le silencieux (+coude+pieds) selon des plans précis élaborés par la société Créacoustic. Elle est dès lors liée à cette dernière par un contrat de louage et non un contrat de vente et l'élément qu'elle a ainsi créé et livré d'un bloc et qui a été installé par Créacoustic sur le système d'exploitation des fumées, constitue un élément d'équipement de l'ouvrage.

Selon une jurisprudence qui n'a été remise en cause que s'agissant des éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant qui ne constituent pas eux-mêmes un ouvrage, les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. (Civ. 3e, 15 juin 2017, no 16-19.640, 14 sept. 2017, no 16-17.323, 7 mars 2019, no 18-11.741, 26 oct. 2017, no 16-18.120, 26 nov. 2020, no 19-17.824).

En l'espèce, il peut être constaté que contrairement aux affirmations non étayées de la société GAN Assurances, le silencieux dont l'installation a nécessité le recours à des moyens lourds de type palan, qui est incorporé à l'ouvrage comme le font apparaître les photographies de l'expert, n'est pas dissociable de l'ouvrage qui ne peut fonctionner sans la présence de cet élément, l'expert relevant que 'la dépose/repose du silencieux pour refaire le joint litigieux n'était pas envisageable'. Il est en outre acquis que le dysfonctionnement de cet élément a rendu l'ouvrage impropre à sa destination, la fuite générant un risque sécuritaire contraignant à la mise à l'arrêt de la centrale.

Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le désordre présentait un caractère décennal engageant la responsabilité de la société STA sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil.

La société Créacoustic a procédé aux travaux de reprise provisoire par apposition de mastic réfractaire puis aux travaux préconisés par l'expert GM Consultant et non critiqués par l'expert Saretec. Les éléments chiffrés pris en compte par les experts sont les mêmes et permettent de retenir que les travaux réparatoires ont généré un préjudice de 20.367,89 euros dont 3525 euros au titre du coût en personnel dont le temps a été consacré aux opérations nécessitées par les désordres. Le jugement qui a condamné la société STA à payer cette somme à Créacoustic doit être confirmé.

S'agissant des frais que l'expert GM Consultant décrit comme 'imputable à Créacoustic', ils correspondent aux travaux réalisés par cette dernière sur l'ouvrage, à titre préventif. Il apparaît cependant que ni au moment de l'expertise, ni depuis au regard de l'absence de mention en ce sens dans les écritures de Créacoustic, le silencieux n'a été l'objet d'autres désordres qui auraient rendu ces travaux nécessaires. Ainsi, si la société Créacoustic a pu estimer que pour sécuriser l'ouvrage et conservé la qualité de sa relation avec Engie, il était préférable de sécuriser le silencieux en procédant aux dits travaux, elle ne peut en imputer le coût à STA en l'absence de démonstration de leur nécessité du fait des manquements de cette dernière. La société Créacoustic sera donc déboutée de sa demande complémentaire.

III - Sur la garantie de la société GAN Assurances

Il est acquis qu'à la date des travaux, la société STA était au bénéfice d'une police d'assurance responsabilité décennale des entreprises de construction, souscrite auprès de GAN Assurances.

Les activités déclarées et couvertes par la garantie comportent la réalisation de structures métalliques et réalisation de métallerie à partir de câbles, tôles et profilés de tôle en tous métaux ou matériaux de synthèse, de sorte que les travaux objet du présent litige se trouvent bien concernés par la garantie souscrite.

Aucune cause contractuelle de limitation du périmètre de la garantie ou d'exclusion de garantie, s'agissant du contrat responsabilité civile décennale, n'est valablement invoquée et la société GAN Assurances sera en conséquence condamnée in solidum avec son assurée, au paiement des sommes mises à la charge de cette dernière qu'elle doit par ailleurs relever et garantir.

IV - Sur la demande en paiement de factures formée par la société STA

La société STA sollicite le règlement des factures FC000524 émise le 13 septembre 2018 et FC000536 émise le 20 septembre 2018, en exécution du contrat la liant à Créacoustic.

En application de l'article 122 du Code de procédure civile, les demandes qui se heurtent notamment à l'autorité de chose jugée, sont irrecevables.

En l'espèce, la société STA a formé devant le tribunal de commerce de Villefranche sur Saône, une demande de condamnation de la société Créacoustic à lui payer les sommes dues au titre des deux factures précitées. La Cour d'appel de Lyon, saisie de la décision rendu par ce tribunal le 5 décembre 2019, aux termes d'un arrêt du 29 juin 2023, a confirmé le jugement en ce qu'il a écarté la facture FC000536 et, l'infirmant pour le surplus, a condamné la société Créacoustic à payer à STA la somme de 28.910,81 euros outre intérêts, au titre de la facture FC000524.

La demande présentée devant la cour d'appel de céans, alors que les factures en cause ont déjà donné lieu à une décision définitive, se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à cette décision et doit être rejetée ainsi que l'a retenu le tribunal.

V - Sur les mesures accessoires

Les dispositions du jugement querellé seront confirmées en ce qu'elles ont statué sur les dépens et les frais irrépétibles exposés en première instance.

A hauteur de cour, la société GAN Assurances, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens ; elle versera à la société Créacoustic la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La société STA et la société GAN Assurances seront déboutées de leurs propres demandes de ces chefs.

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement déféré (tribunal de commerce Chambéry n°2021F00205) en toutes ses dispositions,

Ajoutant,

Condamne la société GAN Assurances aux dépens,

Condamne la société GAN Assurances à payer à la société Créacoustic la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Déboute la société GAN Assurances et la société STA - Société de Travaux Alpins, de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 16 septembre 2025

à

la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES

la SELARL ALCYON

Me Christian ASSIER

Copie exécutoire délivrée le 16 septembre 2025

à

la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES

la SELARL ALCYON

Me Christian ASSIER

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