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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 16 septembre 2025, n° 21/03377

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 21/03377

16 septembre 2025

AFFAIRE : N° RG 21/03377 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-G4OC

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 6]

du 23 Septembre 2021 - RG n° 21/00411

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025

APPELANTS :

Monsieur [C] [H]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Madame [D] [W]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentés et assistés de Me Arnaud LABRUSSE, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉE :

La S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me Etienne HELLOT, avocat au barreau de CAEN

DÉBATS : A l'audience publique du 24 avril 2025, sans opposition du ou des avocats, Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme COLLET

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme BARTHE-NARI, Présidente de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 16 Septembre 2025 par prorogation du délibéré initialement fixé au 08 Juillet 2025 et signé par Mme BARTHE-NARI, présidente, et Mme FLEURY, greffière

* * *

FAITS ET PROCEDURE

M. [C] [H] et Mme [D] [W] ont chargé la SARL Sébastopol Rénovation de réaliser des travaux de rénovation d'un immeuble d'habitation sis à [Localité 5].

Ces travaux devaient être livrés le 24 décembre 2011, mais ont été suspendus le 22 décembre 2011.

Considérant que les travaux n'étaient pas terminés mais également qu'ils étaient affectés de nombreuses malfaçons, les consorts [E] ont fait établir un procès-verbal de constat d'huissier le 28 juin 2022.

Ils ont ensuite fait assigner la société Sébastopol devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Coutances aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

Par ordonnance du 30 août 2012, le juge des référés du tribunal de grande instance de Coutances a fait droit à la demande des consorts [E] et a désigné M. [N] en qualité d'expert.

L'expert a déposé son rapport le 31 décembre 2013.

Sur la base de ce rapport, M. [H] et Mme [W] ont saisi le juge des référés d'une demande de provision à valoir sur le montant des travaux de réfection.

Par ordonnance du 20 février 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Coutances a condamné la SARL Sébastopol Rénovation à leur payer une indemnité provisionnelle de 39 918,74 euros à valoir sur les travaux de reprise, la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral et la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision du 7 avril 2015, la cour d'appel de Caen a réformé cette ordonnance déboutant M. [H] et Mme [W] des sommes réclamées au titre des provisions et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 21 mars 2016, M. [H] et Mme [W] ont fait assigner la société Sébastopol Rénovation devant le tribunal de grande instance de Coutances aux fins de la voir condamnée, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à leur payer la somme de 40 934 euros TTC au titre du décompte entre les parties, la somme de 250 euros par mois à partir du 24 décembre 2011 jusqu'à parfait paiement, la somme de 3 000 euros au titre du préjudice d'occupation pendant la période de réalisation des travaux et la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Par conclusions récapitulatives, M. [H] et Mme [W] ont sollicité que la SA AXA France IARD, assureur de la SARL Sébastopol Rénovation, soit condamnée solidairement avec cette dernière au paiement des mêmes sommes.

La SARL Sébastopol Rénovation a appelé à la cause la SA AXA France IARD aux fins de garantie.

La SA AXA France IARD a contesté devoir mobiliser sa garantie.

Par jugement du 19 novembre 2020, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, le tribunal judiciaire de Coutances a :

condamné solidairement M. [H] et Mme [W] à payer à la société Sébastopol Rénovation la somme de 7 579,70 euros au titre du paiement du solde des travaux,

condamné la société Sébastopol Rénovation à payer à M. [H] et Mme [W], unis d'intérêts, la somme de :

40 934 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres,

1 800 euros au titre du préjudice de jouissance,

soit la somme de 42 734 euros,

ordonné la compensation des sommes réciproquement dues par les parties,

déclaré la société Sébastopol Rénovation irrecevable en ses demandes à l'encontre de la compagnie AXA France IARD,

débouté la société Sébastopol Rénovation de ses demandes à l'encontre de la compagnie AXA France IARD,

condamné la société Sébastopol Rénovation à payer la somme de :

4 500 euros à M. [H] et Mme [W], unis d'intérêts,

1 500 euros à la compagnie AXA France IARD,

en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Sébastopol Rénovation aux dépens, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire,

rejeté toutes autres demandes.

Par acte du 13 mars 2021, M. [H] et Mme [W] ont formé une requête en omission de statuer, considérant que le tribunal n'avait pas statué sur leurs demandes à l'encontre de la compagnie AXA France IARD.

Par jugement rectificatif du 23 septembre 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Coutances a :

constaté l'omission de statuer sur la demande de garantie sollicitée par M. [H] et Mme [W] à l'encontre de la SA AXA France IARD,

débouté M. [H] et Mme [W] de leurs demandes,

condamné M. [H] et Mme [W] à payer à la société AXA France IARD la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [H] et Mme [W] aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

dit que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute du jugement et les expéditions qui en seront délivrées.

Par déclaration du 16 décembre 2021, M. [H] et Mme [W] ont formé appel de ce jugement rectificatif.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 14 novembre 2024, M. [H] et Mme [W] demandent à la cour de :

réformer le jugement rectificatif du 23 septembre 2021 en ce qu'il :

* les a déboutés de leurs demandes,

* les a condamnés à payer à la société AXA France IARD la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* les a condamnés aux dépens,

condamner la société AXA France IARD à payer solidairement avec la SARL Sébastopol Rénovation les condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière par le jugement du 19 novembre 2020, à savoir les sommes de :

40 934 euros TTC au titre des travaux de reprise des désordres,

1 800 euros au titre du préjudice de jouissance,

4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les entiers dépens de procédure,

condamner encore la SA AXA France IARD à leur payer unis d'intérêts une indemnité de 2 500 euros s'agissant de la procédure de première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et une indemnité complémentaire de 2 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions au titre de la procédure d'appel, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de procédure de première instance et d'appel,

rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société AXA France IARD.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 19 novembre 2024, la SA AXA France IARD demande à la cour de :

recevant en leur appel M. [H] et Mme [W], les en déclarer mal fondés,

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] et Mme [W] de l'ensemble de leurs demandes à son égard,

débouter M. [H] et Mme [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions en raison de :

l'inopposabilité du rapport d'expertise de M. [N],

l'absence de réception,

l'absence de désordres de nature décennale,

la prescription des demandes,

l'absence de possibilité de mobilisation de la responsabilité civile dite du 'chef d'entreprise',

l'absence de mobilisation de la garantie au titre du dommage immatériel,

l'absence de possibilité de mobilisation du contrat d'assurance pour l'indemnisation des troubles de jouissance au demeurant non prouvés,

Subsidiairement,

déclarer opposables les franchises facultatives,

condamner M. [H] et Mme [W] in solidum au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 4 décembre 2024.

Initialement fixée à l'audience collégiale du 19 décembre 2024 devant la cour autrement composée, l'affaire a été mise en délibéré au 11 mars 2025. A cette date, à la suite du départ en retraite du président de la chambre, les débats ont été rouverts par mention au dossier et l'affaire de nouveau fixée à l'audience du 24 avril 2025 tenue par le magistrat rapporteur. A l'issue de cette audience le délibéré a été fixé au 8 juillet 2025 et prorogé au 16 septembre 2025.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire il convient de constater que, aux termes de leurs dernières conclusions, M. [H] et Mme [W] ne sollicitent plus l'infirmation des dispositions du jugement ayant constaté l'omission de statuer.

En application de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour n'est donc plus saisie de cette demande sur laquelle il n'y aura pas lieu de statuer.

Sur la mobilisation de la garantie de l'assureur :

M. [H] et Mme [W] forment appel du jugement déféré en ce qu'il a rejeté leur demande de condamnation de la SA AXA France IARD à payer solidairement avec la société Sébastopol Rénovation l'ensemble des indemnisations allouées par le jugement du 19 novembre 2020.

Pour débouter M. [H] et Mme [W] de leurs demandes, le tribunal judiciaire a retenu tout d'abord que les maîtres d'ouvrage ne pouvaient invoquer l'action directe en garantie contre l'assureur de responsabilité décennale du constructeur dès lors que la garantie due par AXA à son assurée à été rejetée par le tribunal du fait de la prescription de l'action en garantie de la société Sébastopol Rénovation et faute d'opposabilité de l'expertise à l'assureur.

Le tribunal a également relevé que M. [H] et Mme [W] ne démontraient pas que la responsabilité de la SARL Sébastopol Rénovation relevait de la garantie décennale, et donc pouvait être couverte par la garantie de la SA AXA France.

Le tribunal a aussi souligné qu'il n'était justifié d'aucune réception, et que nombres des désordres listés par l'expert judiciaire étaient apparents ou réservés, ce qui faisait obstacle à la mobilisation de la garantie décennale.

De même, au titre de la garantie « chef d'entreprise » invoquée par les maîtres d'ouvrage, le tribunal a constaté une clause d'exclusion de garantie des travaux de reprise des malfaçons affectant les travaux réalisés par l'assuré, de sorte que la garantie d'AXA ne pouvait être mobilisée de ce chef.

M. [H] et Mme [W] font valoir tout d'abord que le délai de prescription biennale opposable à l'assuré ne l'est pas aux tiers, de sorte que leur action directe à l'égard de l'assureur demeure parfaitement recevable, dans la mesure où elle a été introduite dans le délai de forclusion de la garantie décennale.

Ils soutiennent également qu'il est indifférent que la société AXA n'ait pas été appelée aux opérations d'expertise dès lors qu'elle a pu discuter contradictoirement des conclusions du rapport à l'occasion du débat au fond.

Au surplus, M. [H] et Mme [W] affirment que la société AXA a été invitée à participer aux opérations d'expertise mais qu'elle n'a pas donné suite à cette proposition.

En réponse à l'argumentation de la SA AXA France IARD, M. [H] et Mme [W] contestent la prescription qui leur est opposée par l'assureur et font valoir que leur action directe contre l'assureur est encadrée par les mêmes délais de prescription que son action contre le responsable, de sorte que leur action en garantie dirigée contre l'assureur est parfaitement recevable.

Par ailleurs, M. [H] et Mme [W] rappellent que l'essentiel des malfaçons relevées par l'expert n'avaient pas fait l'objet de réserves de leur part, et que seules trois malfaçons avaient été réservées par eux. De ce fait, ils considèrent que les désordres de nature décennale engagent la responsabilité de la société Sébastopol et entrent dans la garantie de la société AXA.

Ils indiquent également que, malgré l'inachèvement des travaux, ils ont pris possession de la maison d'habitation objet des travaux, de sorte qu'il doit être considéré qu'il y a eu réception et que la garantie décennale du constructeur peut être mise en jeu.

En tout état de cause, M. [H] et Mme [W] invoquent la garantie de la SA AXA au titre de la responsabilité civile du chef d'entreprise avant ou après réception de travaux pour les dommages causés aux tiers.

Ils affirment que les clauses d'exclusion invoquées par la société AXA ne leur sont pas opposables, à défaut pour l'assureur de justifier que l'assurée a accepté les conditions générales du contrat contenant ces clauses.

De plus, ils soutiennent que la garantie de la SA AXA était applicable à la date à laquelle ils ont adressé leurs premières réclamations à la société Sébastopol Rénovation, et que de ce fait la résiliation du contrat d'assurance intervenue postérieurement est sans effet.

M. [H] et Mme [W] estiment aussi que la SA AXA ne peut valablement dénier sa garantie au titre de leur préjudice de jouissance, préjudice immatériel.

Ils entendent également obtenir la garantie de la SA AXA au titre des dommages causés aux existants par le constructeur.

En réplique, la SA AXA France IARD sollicite la confirmation du jugement.

Elle oppose tout d'abord l'inopposabilité du rapport d'expertise à son égard, dès lors qu'elle n'a pas participé aux opérations d'expertise et n'a pu de ce fait faire des observations sur la nature des désordres revendiqués.

Ensuite, la SA AXA conteste que la garantie décennale puisse être mise en 'uvre au titre des désordres retenus par l'expert judiciaire.

Elle relève que les consorts [S] se fondent exclusivement sur le rapport d'expertise qui lui est inopposable pour faire la preuve du caractère décennal des désordres.

De plus, la SA AXA fait valoir qu'aucune réception des travaux n'est intervenue, et réfute que les maîtres d'ouvrage puissent se prévaloir d'une réception tacite alors que les courriers adressés à la société Sébastopol Rénovation au cours de l'année 2012 font état des nombreux griefs de M. [H] et Mme [W] quant à la qualité des travaux réalisés.

Elle relève que dans le corps de l'assignation au fond délivrée à la société Sébastopol Rénovation, les maîtres d'ouvrage n'ont jamais invoqué une quelconque réception des travaux, se plaignant au contraire de leur non achèvement.

En outre, la SA AXA conteste que les désordres retenus par l'expert judiciaire puissent relever de la garantie décennale, aucun ne présentant un degré de gravité suffisant, de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, et certains ayant fait l'objet de réserves de la part de M. [H] et Mme [W].

La SA AXA réfute pareillement que les maîtres d'ouvrage puissent invoquer sa garantie au titre des dommages intermédiaires dans la mesure où le contrat d'assurance a été résilié par la société Sébastopol Rénovation le 1er janvier 2013, et que celle-ci n'a fait aucune déclaration de sinistre.

La SA AXA soutient donc que le recours des consorts [S] est prescrit.

Enfin, la SA AXA se prévaut d'une exclusion de garantie portant sur les dommages causés par les travaux réalisés par l'assuré, et conteste que les appelants puissent invoquer des dommages causés aux existants.

Elle relève aussi que le rapport d'expertise est imprécis et ne permet pas de calculer le coût de ces prétendus désordres.

A titre subsidiaire, la SA AXA conteste l'existence d'un trouble de jouissance indemnisable et entend opposer la franchise contractuelle au titre de la garantie facultative.

Sur la réception de l'ouvrage :

L'article 1792-6 dispose que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

La garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception.

Pour autant, l'article 1792-6 n'exclut pas la possibilité d'une réception tacite.

Pour caractériser une réception tacite, les juges doivent alors rechercher si la prise de possession manifeste une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage.

A ce titre, la prise de possession de l'ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves, et valent donc présomption de réception tacite.

Pour déterminer si une réception tacite est intervenue, il convient de s'interroger sur l'existence d'éléments, outre la prise de possession des lieux, qui permettraient de caractériser une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage, avec ou sans réserves.

Les juges qui retiennent une réception tacite doivent en préciser la date.

Les premiers juges n'ont pas précisé en l'espèce le fondement juridique de la responsabilité de la SARL Sébastopol Rénovation retenu, et ne se sont pas prononcés sur l'existence d'une réception des travaux.

L'expert judiciaire, M. [N], a quant à lui considéré qu'aucune réception n'était intervenue.

Il convient de préciser tout d'abord que l'habitation qui a fait l'objet des travaux réalisés par la SARL Sébastopol Rénovation constitue pour M. [H] et Mme [W] une résidence secondaire.

Il est indiqué par les maîtres de l'ouvrage qu'ils ont pris possession de l'habitation à la fin du mois de décembre 2011 (un emménagement réalisé le 28 décembre 2011 selon leurs dires). Ils en justifient par le congé délivré pour cette date pour la maison de vacances qu'ils louaient jusqu'alors.

A la suite de cette entrée dans les lieux, il n'est pas contesté que M. [H] et Mme [W] ne sont revenus occuper les lieux qu'en février 2012.

Dans ce laps de temps, ils indiquent avoir fait part à la SARL Sébastopol Rénovation de leur mécontentement quant à l'inachèvement des travaux commandés.

M. [H] a établi le 21 février 2012 un document qu'il intitule « recette » (vraisemblablement voulant dire réception), dans lequel il pointe en réalité l'ensemble des prestations qui n'ont pas été achevées.

Ce document n'est pas signé par les parties, et il n'est pas même démontré qu'il ait été établi contradictoirement à l'égard de la SARL Sébastopol Rénovation.

En tout état de cause, le contenu de ce document ne peut être assimilé à une réception avec réserves.

Par ailleurs, dès le 6 mars 2012, les maîtres de l'ouvrage ont adressé à la SARL Sébastopol Rénovation un courrier de mise en demeure lui enjoignant de terminer ses prestations et dénonçant les non achèvements et malfaçons à reprendre ainsi que les désordres apparus.

Postérieurement à cette mise en demeure, des échanges de courriers officiels ont eu lieu entre les conseils des parties, faisant ressortir les désaccords de ces dernières quant aux règlements effectués.

Puis le 28 juin 2012 M. [H] et Mme [W] ont fait établir un procès-verbal de constat d'huissier visant à matérialiser leurs réclamations.

Ils ont ensuite presque immédiatement saisi le juge des référés d'une demande d'expertise.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que, s'il peut être considéré que les maîtres de l'ouvrage ont pris possession des lieux en décembre 2011 (avec la réserve qu'il s'agissait d'une occupation occasionnelle), ils n'ont pas manifesté alors une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage, même avec des réserves, puisqu'au contraire ils ont sommé à plusieurs reprises la SARL Sébastopol Rénovation d'achever son intervention, montrant ainsi qu'ils considéraient que l'ouvrage n'était pas en état d'être réceptionné.

Dès lors, il doit être retenu qu'aucune réception des travaux n'est intervenue s'agissant de l'ouvrage réalisé par la SARL Sébastopol Rénovation.

L'absence de réception des travaux fait obstacle à la mise en jeu de la responsabilité décennale du constructeur, de sorte que M. [H] et Mme [W] ne sont pas fondés à rechercher la garantie de la SA AXA France IARD en sa qualité d'assureur garantie décennale.

Leurs demandes indemnitaires présentées sur ce fondement seront par conséquent rejetées.

Néanmoins, à titre subsidiaire, les maîtres de l'ouvrage fondent leur action en garantie dirigée contre la SA AXA France IARD sur la garantie dite « Chef d'entreprise », couvrant la responsabilité civile de l'entreprise pour les dommages causés aux tiers.

Il convient donc d'examiner ce fondement.

Sur la prescription de l'action en garantie engagée contre la SA AXA :

En application de l'article L114-1 du Code des assurances, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance.

Quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

Aux termes de l'article L124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

Le délai pour agir dont dispose la victime contre l'assureur du responsable est distinct du délai biennal de l'article L.114-1 précité, régissant les seules actions dérivant du contrat d'assurance.

L'action de la victime contre l'assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, est une action autonome qui se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et ne peut être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.

Il en résulte que l'irrecevabilité de l'action en garantie exercée par l'assuré contre l'assureur n'a pas, en soi, pour effet d'entraîner l'irrecevabilité de l'action directe exercée par le tiers lésé.

Il convient de rappeler que le recours de l'assuré contre son assureur est enfermé dans un délai d'action biennal, dont le point de départ est déterminé par l'événement qui y donne naissance. En cas de sinistre, il s'agit du jour où les intéressés en ont eu connaissance. Quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, il s'agit du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

Il résulte ainsi de l'article 2224 du code civil et de l'article L.124-3 du code des assurances que l'action directe du tiers lésé à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, c'est-à-dire à compter du jour où la victime avait eu connaissance de l'identité de l'auteur des faits et de celle de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

Il est constant que M. [H] et Mme [W] ont adressé à la SARL Sébastopol Rénovation une mise en demeure du 6 mars 2012 par laquelle ils listaient l'ensemble des malfaçons et désordres qu'ils avaient pu relever dans l'exécution des travaux commandés.

Il est de même établi qu'ils ont engagé une action en référé expertise à la suite de ces réclamations et qu'une ordonnance prononçant la mesure d'instruction a été rendue le 30 août 2012.

Aucune déclaration de sinistre n'a été établie par la SARL Sébastopol Rénovation auprès de son assureur, ni à la réception de la mise en demeure, ni à l'ouverture des mesures d'expertise.

Ce n'est que le 29 juin 2016 que la SARL Sébastopol Rénovation a assigné en intervention forcée son assureur, la SA AXA France IARD, ce qui a conduit les premiers juges à déclarer l'action en garantie de la SARL Sébastopol Rénovation à l'encontre de son assureur prescrite.

La SA AXA France IARD n'était plus soumise au recours de son assuré au moment de l'action introduite sur le fond par les consorts [S].

M. [H] et Mme [W] n'ont quant à eux engagé aucune action à l'encontre de la SA AXA France IARD avant que cette dernière ne soit assignée en intervention forcée par son assurée en juin 2016.

Ce n'est qu'au terme de leurs dernières conclusions récapitulatives dans l'instance au fond qu'ils ont formulé des demandes de condamnation contre l'assureur du constructeur.

Ces conclusions ne sont pas communiquées à la cour, qui ne peut dès lors en déterminer la date exacte. Il ne peut qu'être relevé que l'ordonnance de clôture en première instance a été rendue le 23 janvier 2020, ce qui implique que ces conclusions aient été établies avant cette date.

L'action en responsabilité contractuelle de droit commun poursuivie par les maîtres de l'ouvrage se prescrit par cinq ans.

Son point de départ peut être fixé au 6 mars 2012, date de la mise en demeure par laquelle M. [H] et Mme [W] ont pu appréhender l'existence de leur dommage, de sorte que cette action se prescrivait au 6 mars 2017.

En l'état, l'assureur qui invoque la prescription ne rapporte pas la preuve que les conclusions par lesquelles les consorts [S] ont formulé des demandes à son encontre auraient été établies postérieurement à cette date, alors que la SA AXA France IARD était déjà appelée à l'instance au fond.

Par conséquent, la prescription invoquée sera rejetée.

Sur la mise en jeu de la garantie responsabilité civile « chef d'entreprise » :

Il résulte de l'article L112-6 du code des assurances que l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire.

Il s'en déduit que l'assureur peut opposer au tiers lésé tant les clauses d'exclusion de garantie et que les franchises prévues au contrat.

En premier lieu, il convient de noter que la SARL Sébastopol Rénovation a souscrit auprès de la SA AXA France IARD, à effet du 1er septembre 2009, une assurance « BTPlus », contrat résilié à compter du 1er janvier 2013.

La SA AXA verse aux débats les conditions particulières du contrat signées par l'assurée ainsi que les conditions générales, référence 951939, auxquelles renvoient les conditions particulières de la police d'assurance.

A ce titre, les clauses d'exclusion invoquées par l'assureur sont pleinement opposables au tiers lésé, dès lors que l'assurée les a elle-même acceptées par le jeu du renvoi aux conditions générales du contrat.

Par ailleurs, l'article 3.2 du contrat (p 22/57) prévoit que la garantie responsabilité civile du chef d'entreprise avant ou après réception est « déclenchée par la réclamation conformément aux dispositions de l'article L124-5 du code des assurances, et s'applique dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou l'assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent de 10 ans à sa date de résiliation ou d'expiration, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre ».

Il est indéniable que la réclamation portée par M. [H] et Mme [W] auprès de la SARL Sébastopol Rénovation a été formulée avant la date de résiliation de la police d'assurance souscrite auprès de la SA AXA, et que la garantie était en cours à cette date.

Selon les termes des conditions particulières du contrat, la police souscrite couvrait (p 2/11) « les activités « travaux » réalisées dans le domaine du bâtiment suivant la nomenclature FFSA du 1er septembre 2007 et des travaux publics », une liste des travaux garantis et des travaux exclus étant établie dans les conditions particulières du contrat.

Au regard des stipulations des conditions générales du contrat, les garanties accordées par la SA AXA France IARD couvraient :

les dommages en cours de chantier,

la responsabilité pour dommages de nature décennale,

la responsabilité civile, après réception, connexes à celles pour dommages de nature décennale,

la responsabilité civile du chef d'entreprise avant ou après réception des travaux.

Au titre de cette dernière garantie, plus particulièrement invoquée par M. [H] et Mme [W] au soutien de leurs demandes indemnitaires, il est indiqué à l'article 2.17.1 (p 11 et 12/57) que par la garantie de base « l'assureur s'engage à prendre en charge les conséquences pécuniaires de la responsabilité incombant à l'assuré à raison des préjudices causés aux tiers, ne consistant pas en dommages construction, dommages matériels intermédiaires, dommages matériels ou immatériels visés aux articles 2.8, 2.9, 2.10, 2.12, 2.13, 2.14 et 2.15 qui précèdent [soit les dommages de nature décennale ou les dommages connexes à la garantie décennale], par son propre fait ou par le fait notamment de :

ses travaux de construction,

ses préposés,

'

ses travaux réalisés dans le cadre des activités garanties, mais ne relevant pas de travaux de construction, par extension à l'objet du contrat.

Sont notamment couverts par cette garantie :

les dommages corporels, matériels ou immatériels'

'

les dommages immatériels consécutifs à des dommages corporels ou matériels garantis par ce contrat,

les dommages immatériels non consécutifs ».

L'article 2.18 du contrat établit la liste des exclusions applicables à la garantie de l'article 2.17, parmi lesquelles :

2.18.15 les dommages affectant les travaux de l'assuré, réalisés en propre ou donnés en sous-traitance,

2.18.17 les dommages résultant du coût des réparations, remplacements et/ou réalisations de travaux nécessaires pour remédier à des désordres, malfaçons, non conformités ou insuffisances, et aux conséquences de ceux-ci, ayant fait l'objet, avant ou lors de la réception, de réserves de la part du contrôleur technique, d'un maître d''uvre, d'un entrepreneur ou du maître d'ouvrage, ainsi que tous préjudices en résultant.

Le rapport d'expertise déposé par M. [N] fait la liste des désordres affectant les travaux réalisés par la SARL Sébastopol Rénovation.

Pour l'essentiel, les travaux réalisés par cette entreprise sont affectés de malfaçons et de non-conformités, de sorte que les travaux préconisés par l'expert consistent en la reprise de ces prestations.

Il s'agit donc là de dommages résultant directement du coût des réparations ou travaux nécessaires à remédier aux désordres causés par des travaux réalisés par l'assuré lui-même, lesquels sont l'objet de la clause d'exclusion mentionnée à l'article 2.18 précité.

Les maîtres de l'ouvrage soutiennent toutefois que partie des dommages ont été causés à l'existant, et ne peuvent donc être qualifiés de dommages résultant des travaux réalisés en propre par l'assuré.

Ils citent à ce titre la dégradation des murs et sols de la chambre des parents, la rupture d'étanchéité du toit terrasse, la mise en panne de la chaudière, la déformation de la vidange PVC dans la cuisine, la modification de la canalisation en cuivre pour le gaz, la dégradation du portail extérieur et la dégradation de la mise à la terre de l'installation électrique.

Néanmoins, il s'avère que l'ensemble de ces dommages ont été causés à l'occasion des travaux confiés à la SARL Sébastopol Rénovation, qui devait procéder à la rénovation des revêtements extérieurs, poser un nouveau portail, rénover les terrasses extérieures en posant des balustrades, déposer partiellement les installations de plomberie, de gaz et d'électricité, reprendre l'installation électrique, rénover les revêtements de sol et réaliser les peintures des murs et plafonds du rez-de-chaussée.

Les dommages matériels dont les consorts [S] sollicitent l'indemnisation sont donc bien visés par l'exclusion de garantie stipulée au contrat puisqu'ils résultent directement des travaux commandés à la SARL Sébastopol Rénovation.

En revanche, s'agissant des dommages immatériels reconnus par le tribunal judiciaire, à savoir le préjudice de jouissance, la SA AXA ne peut opposer aucune clause d'exclusion à l'action en garantie des maîtres de l'ouvrage, dans la mesure où l'article 2.17.1 prévoit expressément la garantie des dommages immatériels non consécutifs, lesquels sont définis au contrat comme étant « tout dommage immatériel qui est la conséquence d'un dommage corporel ou matériel non garanti ».

En outre, la contestation de la SA AXA sur la preuve de la réalité du dommage est inopérante alors que ce préjudice a été reconnu par le jugement du 19 novembre 2020, dont il n'a pas été fait appel.

La SA AXA France IARD doit donc sa garantie au titre de l'indemnisation de ces dommages, la franchise contractuelle de 1 000 euros étant toutefois opposable aux victimes.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré et de faire partiellement droit aux demandes de M. [H] et Mme [W].

La SA AXA France IARD est condamnée à payer in solidum avec la SARL Sébastopol Rénovation les condamnations suivantes prononcées par jugement du 19 novembre 2020, à savoir :

1 800 euros au titre du préjudice de jouissance, sous réserve de la franchise applicable,

4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

les entiers dépens de la procédure de première instance.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré étant infirmé au principal, il le sera également en ses dispositions portant sur les frais irrépétibles et les dépens.

L'équité justifie que la SA AXA France IARD, qui succombe à l'instance, supporte les frais irrépétibles exposés par la partie adverse.

Une somme de 4 000 euros est allouée à M. [H] et Mme [W], unis d'intérêts, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Au surplus, la SA AXA France IARD est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement rectificatif prononcé le 23 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Coutances, sauf en ce qu'il a constaté l'omission de statuer sur la demande de garantie sollicitée par M. [H] et Mme [W] à l'encontre de la SA AXA France IARD,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et réparant l'omission de statuer,

Complète le jugement rendu le 19 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Coutances comme suit :

Rejette les demandes de M. [C] [H] et de Mme [D] [W] dirigées contre la SA AXA France IARD fondées sur la garantie en responsabilité décennale,

Rejette la prescription soulevée par la SA AXA France IARD s'agissant de l'action en garantie fondée sur la responsabilité civile du chef d'entreprise,

Condamne la SA AXA France IARD à payer in solidum avec la SARL Sébastopol Rénovation les sommes suivantes :

1 800 euros au titre du préjudice de jouissance,

4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

les entiers dépens de la procédure de première instance.

Dit que la SA AXA France IARD est fondée à opposer aux tiers lésés la franchise contractuelle,

Condamne la SA AXA France IARD à payer à M. [C] [H] et de Mme [D] [W] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Condamne la SA AXA France IARD aux dépens de première instance et d'appel,

Dit que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute du jugement et les expéditions qui en seront délivrées.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

E. FLEURY Hélène BARTHE-NARI

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