Cass. com., 24 septembre 2025, n° 23-13.733
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Vinci énergies (SA), Vinci énergies France (SASU), Santerne Nord tertiaire (SAS), Vinci (SA)
Défendeur :
Vinci (SA), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'économie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteurs :
Mme Poillot-Peruzzetto, M. Le Masne de Chermont
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Duhamel, SCP Foussard et Froger, SCP Spinosi
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mars 2023, n° RG 21/06028), le 11 avril 2014, Lille métropole communauté urbaine, qui, jusque-là, utilisait pour la gestion technique de ses bâtiments, un logiciel fermé configuré et programmé par la société Neu automation (la société Neu), a lancé un appel d'offres pour le marché de la maintenance et de la transformation des installations de gestion technique de ses bâtiments. Cet appel d'offres autorisait le recours partiel à la sous-traitance.
3. La gestion technique des bâtiments désigne l'ensemble des services pourvoyant à la sécurité et à la disponibilité des installations techniques (équipements électriques, éclairage, chauffage, ventilation, climatisation, eau chaude, sanitaire, alarmes, contrôles d'accès, ascenseurs, etc.), au confort des occupants, à l'optimisation des coûts d'exploitation et, enfin, au suivi des consommations.
4. Cette gestion s'opère au moyen d'un système informatique lié à des automates programmables et communicants permettant de suivre et de piloter à distance les équipements techniques des bâtiments.
5. Il est recouru à deux types de logiciels de gestion technique des bâtiments, les logiciels dits « fermés » ou « propriétaires », développés spécifiquement par un constructeur et qui ne sont pas interopérables avec le matériel d'autres équipementiers, impliquant une configuration par programmation informatique, et les logiciels « ouverts », dont le protocole de communication est standard.
6. La société Neu et la société Santerne Nord tertiaire (la société Santerne) ont chacune soumissionné. L'offre de cette dernière comportait deux options, l'une prévoyant la désinstallation du logiciel fermé existant et l'utilisation d'un logiciel ouvert, l'autre un maintien du logiciel fermé avec le recours à un sous-traitant, lequel s'est avéré être la société Neu.
7. Soutenant que l'échange d'informations entre les sociétés Santerne et Neu intervenu lors de l'élaboration de l'offre de la société Santerne constituait une pratique anticoncurrentielle, le ministre chargé de l'économie (le ministre) a engagé, en application de l'article L. 464-9 du code de commerce, une procédure d'injonction et de transaction, que la société Santerne a refusée.
8. Par la décision n° 21-D-05 du 4 mars 2021 relative à des pratiques mises en uvre dans le secteur de la gestion technique des bâtiments de Lille métropole communauté urbaine, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), saisie par le ministre, a dit établi que la société Santerne, en tant qu'auteur, et les sociétés Vinci énergies France, Vinci énergies et Vinci, en tant que sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à des échanges d'informations confidentielles avec la société Neu en vue de la passation du marché de maintenance et de transformation des installations de gestion technique des bâtiments de Lille métropole communauté urbaine 2014-2018.
9. Les 7 et 14 avril 2021, les société Santerne, Vinci énergies France et Vinci énergies ainsi que Vinci ont formé des recours contre cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa neuvième branche, et sur le troisième moyen du pourvoi n° C 23-13.733 et les moyens du pourvoi n° M 23-14.293
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, du pourvoi n° C 23-13.733
Enoncé du moyen
11. Les sociétés Santerne, Vinci énergies France et Vinci énergies font grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation de la décision n° 21-D-05 de l'Autorité et, en conséquence, de rejeter la demande de réformation de cette dernière en ce qu'elle retient la responsabilité de la société Santerne en tant qu'auteure, dit que les sociétés Vinci énergies France, Vinci énergies et Vinci, en tant que sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à des échanges d'informations confidentielles avec la société Neu en vue de la passation du marché de maintenance et de transformation des installations de gestion technique des bâtiments de Lille métropole communauté urbaine 2014-2018, et prononce des sanctions pécuniaires solidairement contre elles, alors :
« 1°/ que l'article L. 464-9 du code de commerce confère au ministre, et par dérogation à l'article L. 462-5 du même code, un véritable pouvoir de sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles, mais que celui-ci reste strictement encadré ; qu'en cas de refus de la transaction, cette procédure ministérielle se poursuit devant l'Autorité ; que si la saisine in rem de l'article L. 462-5 du code de commerce confère à l'Autorité une liberté totale non seulement pour apprécier et qualifier les faits de l'espèce, mais aussi pour déterminer les personnes auxquelles l'infraction peut être imputée, l'article L. 464-9 du même code soumet l'Autorité aux mêmes limites que celles qui s'imposent au ministre ; qu'ainsi, le régime de la saisine de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 464-9 du code de commerce diffère sensiblement de celui appliqué lorsque la saisine de l'Autorité a lieu en application des dispositions de l'article L. 462-5 du même code ; qu'en considérant au contraire qu'il n'y avait [OU n'y a] pas lieu de distinguer, pour déterminer les pouvoirs de l'Autorité, selon qu'elle a été saisie sur le fondement de l'article L. 462-5 ou en application de l'article L. 464-9 du code de commerce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°/ que l'article L. 464-9 du code de commerce confère au ministre, et par dérogation à l'article L. 462-5 du même code, un véritable pouvoir de sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles, tout en encadrant strictement ce pouvoir ; qu'en cas de refus de la transaction, cette procédure ministérielle se poursuit obligatoirement devant l'Autorité ; qu'ainsi, le régime de la saisine de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 464-9 du code de commerce diffère sensiblement de celui appliqué lorsque la saisine de l'Autorité a lieu en application des dispositions de l'article L. 462-5 du même code ; qu'en affirmant au contraire que, qu'elle soit saisie en application de l'article L. 464-9 ou sur le fondement de l'article L. 462-5, I, du code de commerce, l'Autorité n'est pas liée par les analyses ou qualifications envisagées au cours de la phase administrative antérieure pour identifier les auteurs de la pratique, dans le mesure où elle instruit l'objet de sa saisine en toute indépendance et qu'elle est saisie in rem, ce qui lui permettrait d'imputer pour la première fois l'infraction aux sociétés mères de la société seule mise en cause par le ministre, quand le pouvoir de transiger reconnu au ministre n'est pas comparable à la phase administrative d'enquête préalable à la saisine traditionnelle de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 462-5 du code de commerce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°/ que l'article L. 464-9 du code de commerce confère au ministre, et par dérogation à l'article L. 462-5 du même code, un véritable pouvoir de sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles, tout en encadrant strictement ce pouvoir ; qu'en cas de refus de la transaction, cette procédure ministérielle se poursuit devant l'Autorité ; que, lorsqu'elle est saisie par le ministre à la suite d'un refus de transaction, l'Autorité ne saurait avoir plus de pouvoir que le ministre ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 464-9 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
12. Selon l'article L. 464-9 du code de commerce, le ministre peut notamment enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques visées à l'article L. 420-1 du même code et leur proposer de transiger lorsque ces pratiques dont elles sont les auteurs ne concernent pas des faits relevant des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et sous réserve que le chiffre d'affaires que chacune d'entre elles a réalisé en France lors du dernier exercice clos ne dépasse pas 50 millions d'euros et que leurs chiffres d'affaires cumulés ne dépassent pas 200 millions d'euros. L'exécution dans les délais impartis des obligations résultant de l'injonction et de l'acceptation de la transaction éteint toute action devant l'Autorité pour les mêmes faits. En cas de refus de transiger, le ministre saisit l'Autorité de la concurrence.
13. Même si l'injonction et la proposition de transaction sont adressées à une ou plusieurs personnes morales identifiées par le ministre, l'acceptation et l'exécution par ces dernières des obligations qui en découlent éteignent toute action pour les mêmes faits, interdisant donc à l'Autorité de poursuivre, pour ces faits, des personnes morales à qui le ministre n'aurait pas reproché d'y avoir participé.
14. Il en résulte qu'en cas de refus de transiger, l'Autorité est saisie des faits, objet de la procédure de transaction, sans être tenue par les qualifications proposées par le ministre ni par son choix d'imputer la pratique en cause à certaines personnes morales seulement.
15. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur ce moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches
Enoncé du moyen
16. Les sociétés Santerne, Vinci énergies France et Vinci énergies font le même grief à l'arrêt, alors :
« 4°/ que la notion d'entreprise au sens du droit de la concurrence, sur laquelle repose la pratique européenne, est appréciée de manière analogue en droit interne et en droit de l'Union ; que la cohérence du droit de la concurrence impose d'appliquer cette notion autonome et unitaire d'entreprise non seulement lorsque sont mis en uvre les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, mais aussi lorsque la poursuite repose sur le seul droit national ; qu'en affirmant au contraire que les sociétés du groupe Vinci ne sont pas fondées à invoquer une méconnaissance du droit de l'Union européenne, dans la mesure où l'article L. 464-9 du code de commerce est une disposition procédurale sans incidence sur le champ d'application matériel des règles de concurrence de l'Union européenne alors même qu'il renvoie expressément à la notion d'entreprise pour déterminer le champ de compétence du ministre, la cour d'appel a violé l'article L. 464-9 du code de commerce ;
5°/ que la notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l'Union européenne ; qu'en considérant que la méconnaissance de la notion d'entreprise issue du droit de la concurrence de l'Union européenne ne peut être invoquée à l'occasion de la mise en uvre de l'article L. 464-9 du code de commerce, dans la mesure où il s'agit d'une disposition procédurale qui détermine le champ de compétence du ministre en matière de pratiques anticoncurrentielles ne relevant pas du droit de la concurrence de l'Union européenne et qui n'a pas d'incidence sur le champ d'application matériel de ce droit, tout en constatant que la notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de l'Union de la concurrence et que l'interprétation qu'en donnent les juridictions européennes s'impose à l'autorité nationale de concurrence, la cour d'appel a violé l'article L. 464-9 du code de commerce ;
6°/ que la notion d'entreprise au sens du droit de la concurrence sur laquelle repose la pratique européenne est appréciée de manière analogue en droit interne et en droit de l'Union ; que l'article L. 464-9 du code de commerce permet au ministre d'enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles dont elles sont les auteurs "lorsque ces pratiques ne concernent pas des faits relevant des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et sous réserve que le chiffre d'affaires que chacune d'entre elles a réalisé en France lors du dernier exercice clos ne dépasse pas 50 millions d'euros et que leurs chiffres d'affaires cumulés ne dépassent pas 200 millions d'euros" et de proposer à ces entreprises de transiger dans les mêmes conditions ; qu'ainsi, la prise en compte par le ministre de la notion d'entreprise est une condition de sa compétence et de la mise en uvre de son pouvoir de sanction ; que, dès lors, en affirmant que la notion d'entreprise, qui autorise l'imputation des pratiques anticoncurrentielles d'une filiale à sa société mère et permet d'engager la responsabilité de la seconde au titre de faits matériellement commis par la première, constitue une faculté, non une obligation, qu'il est vain de prétendre que la notion d'entreprise employée à l'article L. 464-9 précité, reprise à l'article R. 464-9-3 du même code, imposerait au ministre de mettre en cause les sociétés mères des filiales non autonomes impliquées dans les pratiques et qu'ainsi, le ministre aurait excédé sa compétence au regard des chiffres d'affaires réalisés par l'ensemble de ces sociétés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
7°/ que, en droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement et désigne donc une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales ; que c'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre d'une pratique anticoncurrentielle, si bien qu'au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques ; que l'article L. 464-9 du code de commerce permet au ministre d'enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles dont elles sont les auteurs "lorsque ces pratiques ne concernent pas des faits relevant des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et sous réserve que le chiffre d'affaires que chacune d'entre elles a réalisé en France lors du dernier exercice clos ne dépasse pas 50 millions d'euros et que leurs chiffres d'affaires cumulés ne dépassent pas 200 millions d'euros" et de proposer à ces entreprises de transiger dans les mêmes conditions ; qu'ainsi, la prise en compte par le ministre de l'entreprise est une condition de la mise en uvre de son pouvoir de sanction ; qu'en décidant que le ministre n'avait pas excédé sa compétence au regard des chiffres d'affaires réalisés par l'ensemble de ces sociétés, tout en imputant la pratique à toutes les sociétés mères du groupe, ce dont il résultait que la société Santerne n'était donc pas autonome et que la procédure de transaction ministérielle et les actes subséquents, étaient nécessairement irréguliers dans la mesure où le seuil de chiffre d'affaires devait être calculé en prenant en compte l'ensemble des sociétés auxquelles l'infraction a finalement été imputée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 464-9 du code de commerce ;
8°/ que lorsque les conditions de l'article L. 464-9 du code de commerce sont réunies, le ministre ne décide d'exercer son pouvoir de sanction qu'après en avoir informé le rapporteur général de l'Autorité et à condition que ce dernier refuse de proposer au collège de l'Autorité de se saisir d'office dans les conditions de l'article L. 462-5 ; qu'en retenant, pour considérer que l'Autorité pouvait mettre en cause pour la première fois les sociétés mères des sociétés ayant refusé une transaction, que dans la mesure où elle est informée préalablement de la procédure en cours conformément à l'article D. 450-3 du code de commerce et peut décider de se saisir des faits, la possibilité offerte au ministre de transiger avec la seule filiale d'un groupe de taille nationale voire mondiale, ne prive pas l'Autorité de toute action, bien que le ministre n'a proposé de transiger qu'à la suite du refus exprès du rapporteur général d'envisager une saisine d'office de l'Autorité, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
17. Le fait que le ministre enjoigne à une personne morale qui fait partie d'une entreprise ayant réalisé en France, lors du dernier exercice clos, un chiffre d'affaires dépassant 50 millions d'euros, de mettre un terme à ses pratiques anticoncurrentielles et lui propose de transiger, n'est pas de nature à entraîner l'irrégularité de la saisine de l'Autorité en cas de refus de cette personne morale de transiger ou d'inexécution par elle des obligations qu'elle a souscrites.
18. En effet, lorsque, faisant application de l'article L. 464-9 du code de commerce, le ministre enjoint à des entreprises de mettre un terme aux pratiques visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 du même code et leur propose de transiger, il s'engage dans une procédure dont il sait qu'elle aboutira à la saisine de l'Autorité en cas de refus de transiger ou d'inexécution des obligations souscrites. Dès lors, le recours à cette procédure est l'expression du pouvoir du ministre de saisir l'Autorité des mêmes pratiques, qu'il tient de l'article L. 462-5, I, du code de commerce et qui n'est pas subordonné à une tentative de transaction préalable.
19. Le moyen, qui postule le contraire en ses sixième et septième branches et qui est inopérant en ses quatrième, cinquième et huitième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° C 23-13.733
Enoncé du moyen
20. Les sociétés Santerne, Vinci énergies France et Vinci énergies font grief à l'arrêt de rejeter la demande de réformation de la décision déférée en ce qu'elle retient la responsabilité de la société Santerne en tant qu'auteur, dit que les sociétés Vinci énergies France, Vinci énergies et Vinci, en tant que sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à des échanges d'informations confidentielles avec la société Neu en vue de la passation du marché de maintenance et de transformation des installations de gestion technique des bâtiments de Lille métropole communauté urbaine 2014-2018, et prononce des sanctions pécuniaires solidairement contre elles, alors :
« 1°/ que, sauf interdiction expresse prévue dans le règlement de la consultation, les candidatures multiples soumises par une même entreprise à un appel d'offres à titre individuel et en tant que membres d'un groupement ou de sous-traitant sont licites ; que la participation d'une même entreprise à plusieurs offres en qualité soit de candidat, soit de sous-traitant, n'est pas en soi anticoncurrentielle et ne l'est que si, de façon prouvée, cela porte atteinte à la concurrence ; que la formation de groupement ou la possibilité d'une sous-traitance est d'autant plus justifiée lorsqu'elle répond à un impératif de complémentarité technique ; qu'en affirmant que l'Autorité a exactement relevé que, "lorsque des entreprises ont échangé des informations confidentielles entre elles" pour répondre à un appel d' offres dans le cadre d'un projet de contrat de sous-traitance, celles-ci ne peuvent plus soumissionner individuellement par la suite à ce même appel d'offres, dans la mesure où leurs offres ne sont pas indépendantes et la concurrence [en est] faussée, ou encore que l'échange d'informations confidentielles intervenu dans le cadre d'une offre avec sous-traitance entre entreprises concurrentes ne leur permet plus d'élaborer une offre de manière indépendante et, par voie de conséquence, de soumettre une candidature individuelle au même appel d'offres dans des conditions conformes aux règles de concurrence, qu'une telle exigence ne porte atteinte ni au principe de libre accès à la commande publique ni au principe de proportionnalité garanti par le droit européen et que l'obligation d'élaborer des offres de manière indépendante ne permet pas l'échange d'informations sensibles sur une partie de l'offre financière et le mémoire technique d'un concurrent, quand ces échanges sont indispensables en cas de sous-traitance et que l'envoi par le sous-traitant de son offre financière et de son mémoire technique rend de facto l'offre de la société bénéficiaire de cette sous-traitance dépendante de celle de son sous-traitant, la cour d'appel, qui a, en réalité, exclu par principe, toute possibilité pour une entreprise de déposer des candidatures multiples lorsqu'un échange d'informations a eu lieu avec un concurrent en vue d'une sous-traitance, a violé l'article L. 420-1 du code de commerce, ensemble les articles 112 et suivants de l'ancien code de marchés publics, devenus les articles L. 2193-3 et L. 2193-4 du code de la commande publique ;
2°/ que, sauf interdiction expresse prévue dans le règlement de la consultation, les candidatures multiples soumises par une même entreprise à un appel d'offres à titre individuel et en tant que membres d'un groupement ou de sous-traitant sont licites ; que la participation d'une même entreprise à plusieurs offres en qualité soit de candidat, soit de sous-traitant, n'est pas en soi anticoncurrentielle et ne l'est que si, de façon prouvée, cela porte atteinte à la concurrence ; qu'en affirmant au contraire qu'il importait peu que cette sous-traitance ait eu un impact limité sur le choix de l'attributaire, ou encore que l'échange n'ait pas conduit à une coordination des offres ou à l'élaboration d'offre de couverture, la cour d'appel a violé l'article L. 420-1 du code de commerce ;
3°/ que, sauf interdiction expresse prévue dans le règlement de la consultation, les candidatures multiples soumises par une même entreprise à un appel d'offres à titre individuel et en tant que membres d'un groupement ou de sous-traitant sont licites ; que la participation d'une même entreprise à plusieurs offres en qualité soit de candidat, soit de sous-traitant, n'est pas en soi anticoncurrentielle et ne l'est que si, de façon prouvée, cela porte atteinte à la concurrence ; qu'en affirmant qu'il importait peu que la communication se soit limitée à certains éléments seulement et que la société Neu n'ait pas eu connaissance des chiffrages envisagés par la société Santerne ou des éléments techniques prévus dans son offre, quand l'échange d'information avait été limité à ce qui était strictement nécessaire pour envisager une sous-traitance d'activité dictée par des contraintes techniques existantes que seule Neu connaissait, la cour d'appel a violé l'article L. 420-1 du code de commerce ;
4°/ que la sous-traitance n'est pas en soi anticoncurrentielle et ne le devient que si elle s'accompagne d'agissements destinés à tromper l'acheteur public sur la réalité de la concurrence entre les entreprises ; qu'afin de ne pas tromper l'acheteur public sur la réalité de la concurrence entre les soumissionnaires, il suffit que celui-ci ait été informé qu'une sous-traitance conduisant nécessairement à des échanges d'informations a été envisagée ; qu'en affirmant que le dépôt de deux candidatures séparées et d'une en sous-traitance avait nécessairement faussé la concurrence et trompé le maître d'ouvrage, que l'information de celui-ci sur la sous-traitance envisagée ne peut être regardée comme explicite et non ambiguë lors du dépôt de l'offre, tout en constatant que si la société Santerne n'avait pas déposé de formulaire DC4, qui ne s'imposait pas à ce stade, elle avait néanmoins informé le pouvoir adjudicateur d'une sous-traitance dans le cadre de la première solution alternative, dite solution Schneider", qui lui avait été soumise, et qu'elle avait à plusieurs reprises mentionné la société Neu dans le mémoire technique associé à cette solution, ce dont il résultait que cette offre ne pouvait pas avoir pour objet de tromper l'acheteur public sur la réalité de la concurrence, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 420-1 du code de commerce ;
5°/ que, en affirmant que le caractère nécessaire de la sous-traitance pour répondre à l'appel d'offres n'était pas établi, après avoir constaté que les deux solutions alternatives proposées par la société Santerne répondaient au cahier des charges, que l'une de ces solutions reposait sur une connaissance fine de l'existant – et donc de la sous-traitance d'activité de la société informatique Neu – et que le choix de la solution technique retenue – amélioration du système fermé existant ou migration vers un système ouvert – dépendait du seul pouvoir adjudicataire, ce dont il résultait que la solution préconisée avec sous-traitance nécessaire du candidat sortant n'était pas illicite, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 420-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
21. Selon l'article L. 420-1 du code de commerce, sont prohibées les pratiques concertées qui ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
22. La notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. En effet, certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (CJUE, arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C-179/16, point 78).
23. Afin de déterminer, dans un cas donné, si un accord, une décision d'association d'entreprises ou une pratique concertée présente, par sa nature même, un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour pouvoir être considéré comme ayant pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser celle-ci, il est nécessaire d'examiner, premièrement, la teneur de l'accord, de la décision ou de la pratique en cause, deuxièmement, le contexte économique et juridique dans lequel ils s'insèrent et, troisièmement, les buts qu'ils visent à atteindre (CJUE, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C-333/21, point 165).
24. Tout d'abord, l'examen de la teneur de l'accord, de la décision d'association d'entreprises ou de la pratique concertée en cause suppose d'en examiner les différents aspects afin de déterminer si la concertation en cause présente des caractéristiques permettant de la rattacher à une forme de coordination entre entreprises qui doit être considérée, par sa nature même, comme nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, ce qui est notamment le cas si toute coordination présentant de telles caractéristiques est, en raison précisément de ces dernières, propre à aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause (CJUE, arrêt du 29 juillet 2024, Banco BPN/BIC Português e.a., C-298/22, point 45).
25. Ensuite, s'agissant du contexte économique et juridique dans lequel s'inscrit le comportement en cause, il y a lieu de tenir compte de la nature des biens ou des services affectés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (CJUE, arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C-179/16, point 80).
26. Enfin, en ce qui concerne les buts poursuivis par le comportement en cause, il y a lieu de déterminer les buts objectifs que ce comportement vise à atteindre à l'égard de la concurrence. En revanche, la circonstance que les entreprises impliquées ont agi sans avoir l'intention subjective d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence et le fait qu'elles ont poursuivi certains objectifs légitimes ne sont pas déterminants aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 1, TFUE (CJUE, arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C-333/21, point 167).
27. En ce qui concerne l'échange d'informations entre concurrents, les critères de coordination et de coopération constitutifs d'une pratique concertée doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du Traité instituant la Communauté européenne, devenu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché intérieur (CJUE, arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, point 32, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C-286/13 P, point 119).
28. Cette exigence d'autonomie s'oppose à toute prise de contact direct ou indirect entre opérateurs économiques de nature soit à influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à tenir soi-même sur ce marché ou que l'on envisage d'adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (CJUE, arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, point 33, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C-286/13 P, point 120).
29. Ainsi, l'échange d'informations entre concurrents est susceptible d'être contraire aux règles de la concurrence lorsqu'il atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (CJUE, arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, point 35, et du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C-286/13 P, point 121).
30. Cependant, pour la passation des marchés publics, participe d'une concurrence effective la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d'offres (voir, en ce sens, CJUE, arrêts du 19 mai 2009, Assitur, C-538/07, point 26, et du 8 février 2018, Lloyd's of London, C-144/17, point 34).
31. Le recours à la sous-traitance, qui est susceptible de favoriser l'accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, contribue à la poursuite de cet objectif (CJUE, arrêt du 26 septembre 2019, Vitali, C-63/18, point 27).
32. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'enfreint le principe de proportionnalité, en ce qu'elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir des comportements collusoires, une présomption irréfragable selon laquelle l'éventuelle sous-traitance par l'adjudicataire, après l'attribution du marché, à un autre participant au même appel d'offres, résulterait d'une collusion entre les deux entreprises concernées, sans laisser à celles-ci la possibilité de démontrer le contraire (arrêt du 22 octobre 2015, Impresa Edilux et SICEF, C-425/14, points 36 à 39).
33. Elle juge également que n'est pas compatible avec ce principe une règle nationale d'exclusion automatique de la participation à un marché public en cas d'offres simultanées et concurrentes déposées par un groupement stable et par une ou plusieurs des entreprises qui en font partie, car elle repose sur une présomption irréfragable d'interférence réciproque, même lorsque le groupement en question n'est pas intervenu à la procédure pour le compte et dans l'intérêt desdites entreprises, sans que la possibilité ait été laissée tant au groupement qu'aux entreprises concernées de prouver que leurs offres ont été formulées d'une manière pleinement indépendante et que, par conséquent, un risque d'influence sur la concurrence entre les soumissionnaires n'existe pas (CJUE, arrêt du 23 décembre 2009, Serrantoni et Consorzio stabile edili, C-376/08, points 38 et 39).
34. L'arrêt retient que la faculté pour une entreprise de proposer une offre en coopération avec une autre, afin de s'adjoindre des compétences dont elle ne dispose pas en interne, n'est pas illicite en soi et peut avoir des effets pro-concurrentiels si elle permet à ces entreprises de concourir alors qu'elles n'auraient pas été capables de le faire isolément ou si elle leur permet de le faire sur la base d'une offre plus compétitive ou de meilleure qualité. Il ajoute qu'une telle coopération ne peut, pour autant, s'affranchir du respect des règles de concurrence et ne doit pas fausser le libre jeu de la concurrence qui doit s'exercer sur le marché pertinent, chaque offre déposée devant être élaborée en toute indépendance.
35. Il constate qu'à la suite de l'appel d'offres lancé le 11 avril 2014, les échanges intervenus entre la société Neu et la société Santerne ont permis à cette dernière d'avoir accès aux éléments afférents à l'offre financière de la société Neu et au mémoire technique qu'elle a élaborés pour répondre à cet appel d'offres : 47 % de l'offre financière de la société Neu, hors partie forfaitaire relative à la migration du logiciel, et 24 % de son offre financière totale, outre une part significative du mémoire technique. Il relève que ces échanges sont intervenus avant que les sociétés Neu et Santerne procèdent, chacune à titre individuel, au dépôt de leur offre intervenu le 28 mai 2014 et retient que les éléments ainsi transmis par la société Neu ont servi à l'élaboration de l'offre de la société Santerne.
36. Il relève encore que l'usage du logo de la société Neu dans le mémoire technique de la société Santerne, dans le cadre d'une projection tournée vers l'avenir, induit une référence ambiguë au recours éventuel à la sous-traitance de la société Neu pour les postes relevant de sa spécialité dans l'hypothèse du choix par l'adjudicateur d'une solution recourant à un logiciel fermé. Il ajoute qu'au regard des éléments transmis, l'information du maître de l'ouvrage ne peut être regardée comme explicite et non ambiguë.
37. L'arrêt en déduit que le dépôt de deux dossiers de candidature séparés par la société Santerne et la société Neu, incluant en apparence des offres indépendantes, a nécessairement faussé la concurrence et trompé le maître d'ouvrage sur l'intensité de celle qui s'est exercée lors de l'appel d'offres.
38. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations dont il résulte que les informations échangées allaient au-delà de celles nécessaires à la négociation de la sous-traitance, la cour d'appel a pu retenir que la pratique incriminée constituait une restriction de concurrence par objet.
39. Inopérant en sa cinquième branche, qui critique des motifs surabondants, le moyen n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Santerne Nord tertiaire, Vinci énergies France, Vinci énergies et Vinci aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Santerne Nord tertiaire, Vinci énergies France, Vinci énergies et Vinci et les condamne, in solidum, à payer au président de l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'économie la somme globale de 10 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-quatre septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et