CA Bordeaux, 1re ch. civ., 16 septembre 2025, n° 24/05500
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 16 SEPTEMBRE 2025
N° de rôle : N° RG 24/05500 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OCHV
S.A.S. E. [N] [P] & CO
c/
INSTITUT [11]
S.A.R.L. CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE
Société STRATEGINVEST
Nature de la décision : AU FOND
SUR RENVOI DE CASSATION
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 04 décembre 2024 (N° 740 F-D) par la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 06 juin 2023 (RG 22/02442) par la 1ère chambre civile de la cour d'appel de BORDEAUX en suite d'une décision rendue par le Directeur de l'Institut [11] le 20 avril 2022, suivant déclaration de saisine du 17 décembre 2024.
DEMANDERESSE :
S.A.S. E. [N] [P] & CO, société par actions simplifiée inscrite au RCS d'[Localité 6] sous le numéro 775 563 323, exerçant sous l'enseigne '[Adresse 10]' dont le siège social est situé au [Adresse 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Frédéric CUIF de la SELARL LX BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Annette SION, avocate au barreau de PARIS
DEFENDERESSES :
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE,
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Madame [Z] [B], juriste, munie d'un pouvoir spécial
S.A.R.L. CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE, Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Thierry LAMPE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTERVENANTE :
Société STRATEGINVEST
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Thierry LAMPE, avocat au barreau de BORDEAUX
EN PRESENCE DE :
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception
représenté par Madame [Z] [B], juriste, munie d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 juin 2025 en audience publique, en double rapporteux devant Madame Paule POIREL, Présidente, chargée du rapport, et Madame Isabelle DELAQUYS, conseiller, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour composée de :
Paule POIREL, Présidente
Bénédicte LAMARQUE, Conseiller
Isabelle DELAQUYS, Conseiller
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
Ministère Public :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 10 juin 2025.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1. Le 17 mai 2021, la sas E. [N] [P] & Co a formé une demande en nullité contre la marque verbale INSTITUT CENTAURE, n°19/4561533 déposée le 20 juin 2019 par la sarl Consulting gestion privée ingénierie (CGPI) et publiée au BOPI n°2020-12 du 20 mars 2020.
2. La société [N] [P] & Co est une société créée en 1925 produit les [Localité 8] de la maison [N] [P] fondée en 1724 par M. [N] [P]. Elle détient à ce titre les marques françaises suivantes :
- la marque verbale 'CENTAURE' n° 1297702 déposée le 19 février 1985 puis renouvelée, pour désigner en classe 33 les produits ' [Localité 8], eaux-de-vie, spiritueux divers';
- la marque figurative ' ' n° 1424010, déposée le 21 août 1987 puis renouvelée pour désigner en classe 33 les mêmes produits.
3. La demande en nullité référencée NL 21-0108 est formée à l'encontre de la totalité des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, à savoir :
" Classe 35: Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale; travaux de bureau ; diffusion de matériels publicitaire assurantiel, bancaire, financière et commercial (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; service d'abonnement à des journaux assurantiels, bancaires, financiers commerciaux (pour des tiers); mise à disposition d'informations assurantielles, bancaires, financières et commerciales; mise à disposition d'informations assurantielles, bancaires, financières et commerciales à partir de bases de données en ligne notamment par voie électronique, notamment communication mondiale (Internet) ou à accès privé (Intranet) ; publicités assurantielles, bancaires, financières et commerciales en ligne sur un réseau informatique, location de temps publicitaire sur tout moyen de communication en matière assurantielle, bancaire et financière; publication de textes publicitaires assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux; location d'espaces publicitaires assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux; diffusion d'annonces publicitaires assurantielles, bancaires, financières et commerciales; services d'intermédiation commerciale (conciergerie) assurantielle, bancaire et financière.
Classe 36 : Assurances; assurances emprunteurs; assurances de prêt; affaires assurantielles; prestations de conseils assurantiels et d'intermédiation d'assurance ou réassurance; services bancaires ; services bancaires en ligne ; prestation de consultations (assurances, banques et finances) ; investissement de capitaux ; estimations financières (assurances, banques et finances).
Classe 41 : Enseignement et formations assurantiels, bancaires, financières et réglementaires; organisation et conférences, colloques, congrès et ateliers assurantiels, bancaires, financiers et réglementaires ; rédaction de matériels pédagogiques pour des tiers tels que supports de formation, tableaux de suivis, questionnaires; services d'informations éducatives; conseils en formation en entreprise; publication de textes et de livres; éditions, revues et livres; publication électronique de livres, de supports de formation et de périodiques en ligne.
Classe 42: Développement et création (conception) de programmes informatiques logiciels, réseaux informatiques, bases de données, systèmes d'exploitation) d'aide aux conseils assurantiels, bancaires et réglementaires; conseils, entretiens et services dans le domaine des systèmes informatiques (logiciels); analyse de systèmes informatiques ; conseils professionnels dans le domaine de la sécurité informatique assurantielle, bancaire et réglementaire ; élaboration (conception) ; installation ; maintenance, mise à jour ou location de logiciels dans les domaines de la gestion de portefeuilles assurantiels, bancaires et financiers ; services de consultation concernant la mise en oeuvre de systèmes de sécurité pour données informatisées ; études de projets techniques.
Classe 45 : Services juridiques ; conseils et consultations juridiques assurantielles, bancaires, financières et réglementaires ; services de revues juridiques et réglementaire de contrats assurantiels, contrats bancaires et contrats financiers.
4. Par décision en date du 20 avril 2022, enregistrée sous le numéro NL21-0108, le Directeur général de l'Institut [12] (INPI) a rejeté la demande en nullité de la marque 19/4561533 et mis à la charge de la société E. [N] [P] & Co une somme de 550 euros au titre des frais exposés.
5. Par déclaration électronique en date du 19 mai 2022, la société E. [N] [P] & Co a formé un recours contre cette décision.
6. Par arrêt en date du 6 juin 2023, enregistré sous le numéro RG 22/02442, la cour d'appel de Bordeaux a :
- rejeté le recours formé par la sas E. [N] [P] & Co contre la décision du directeur de l'INPI du 20 avril 2022,
- condamné la sas E. [N] [P] à payer à la sarl Consulting gestion privée ingénierie la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens,
- dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception par le greffe aux parties à l'instance et au directeur général de L'INPI.
7. La société E. [N] & Co s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.
8. Par arrêt du 4 décembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejette le recours formé par la société E. [N] [P] & Co contre la décision du directeur de l'INPI du 20 avril 2022 en ce qu'elle rejetait la demande en nullité fondée sur le dépôt de mauvaise foi de la marque 'CENTAURE INVESTISSEMENTS', l'arrêt rendu le 6 juin 2023 entre les parties par la cour d'appel de Bordeaux,
- remis sauf sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.
Pour statuer ainsi, la cour de cassation a, au visa des dispositions :
- de l'article 15 ,I, alinéa 1er de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 selon lequel, sauf dérogations énumérées en ses 1° et 2°, les dispositions de l'ordonnance précitées entrent en vigueur à la date du décret pris pour son application au plus tard le 15 décembre 2019,
- des articles L 716-2,II, 1° et L 711-3, I, 2° du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction issue de cette ordonnance selon lesquels le titulaire d'un marque antérieure renommée peut agir en nullité contre une marque postérieure lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits sous services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et que son usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice;
dit qu'en l'absence de dispositions transitoires dérogatoires prévues à l'article 15 de l'ordonnance du 13 novembre 2019, ces dispositions sont applicables à la demande en nullité de marque enregistrée, introduite devant le Dr de l'Inpi postérieurement au 11 décembre 2019, date d'entrée en vigueur de la dite ordonnance.
Elle a relevé que pour écarter la demande en nullité de la marque 'Institut Centaure' enregistrée le 20 mars 2020, fondée sur l'atteinte aux marques renommées antérieures 'Centaure', l'arrêt, après avoir écarté toute similitude entre les produits et services concernés, retient que la société [N] [P] ne peut fonder sa demande en nullité de la marque sur les dispositions du code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, dans la mesure où la marque contestée a été déposée le 20 juin 2019, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, de sorte que le régime de nullité applicable au recours est soumis aux dispositions des articles L 711-4 et L 714-3 du code de la propriété intellectuelle, dans leur version applicable au jour du dépôt, de sorte qu'en statuant ainsi alors les articles L 716-II, 1° et L 711-3, I, 2° du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019 étaient applicables à la demande en nullité de la marque litigieuse formée le 17 mai 2021 par la société [N] [P], la cour d'appel a violé les textes susvisés.
7. Par déclaration électronique en date du 17 décembre 2024, après renvoi de cassation, la sas E. [N] [P] & Co a saisi la cour d'appel de Bordeaux afin de voir réformer la décision du Directeur de l'INPI qui a décidé que la demande en nullité NL21-0108 concernant la marque 19/4561533 est rejetée et que la somme de 550 euros devait être mise à la charge de la société E. [N] [P] & Co au titre des frais exposés.
8. La sas E. [N] [P] & Co, par conclusions N° 2 notifiées par RPVA le 30 mai 2025, déposées par erreur sous le numéro RG 24/05503 et notifiées au dirceteur de l'INPI par LRAR du 2 juin 2025, demande à la cour d'appel de Bordeaux statuant comme cour de renvoi, de :
Confirmer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en ce qu'elle a déclaré la société E. [N] [P] & Co recevable et bien fondée en son recours,
Confirmer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en ce qu'elle a jugé renommées les marques 'CENTAURE' n°1299702 et n°14244010 de la société E. [N] [P] & Co,
Réformer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en date du 20 avril 2022 ayant rejeté la demande en nullité de la marque 'INSTITUT CENTAURE' n°4561533 et ayant mis à la charge de la société E. [N] [P] & Co la somme de 550 euros au titre des frais exposés,
En conséquence,
- juger que la marque 'INSTITUT CENTAURE' n°4561533 porte atteinte aux marques renommées antérieures 'Centaure' n°1299702 et n°1424010 et qu'il existe un risque de confusion entre les signes en présence,
- annuler la marque 'INSTITUT CENTAURE' n°4561533" portant atteinte aux droits antérieurs de la société E. [N] [P] & Co sur ses marques 'Centaure' n°1299702 et n°1424010,
- ordonner la notification de l'arrêt à intervenir au directeur général de l'INPI,
- condamner la société Consulting Gestion Privée Ingenierie à verser à la société E. [N] [P] & Co la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Consulting Gestion Privée Ingenierie aux entiers dépens.
9. La société Consulting gestion privée ingénierie et la société Strateginvest, par dernières conclusions n° 2 notifiées par RPVA en date du 16 mai 2025, portant intervention volontaire de la société Strateginvest, déposées par erreur sous le numéro de RG 24/05503 et notifiées à l'INPI par LRAR du 16 mai 2025, demandent à la cour d'appel de renvoi de :
- juger recevable et fondée l'intervention volontaire de la société Strateginvest,
- statuer ce que de droit sur la recevabilité du recours de la sas E. [N] [P] & Co,
Confirmer la décision du 20 avril 2022 prise par le directeur général de l'INPI en ce que la demande en nullité concernant la marque n°19/4561533 a été rejetée et en ce que la somme de 550 euros a été mise à la charge de la société E. [N] [P] au titre des frais exposés,
Infirmer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en ce qu'elle a jugé renommées les marques 'Centaure' n°1299702 et n°1424010 de la société E. [N] [P] & Co,
- débouter la sas E. [N] [P] & Co de toutes autres demandes, fins ou conclusions,
- condamner la sas E. [N] [P] à verser à la société Strateginvest la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
10. Le directeur général de l'INPI a déposé des observations aux termes desquelles il conclut que c'est sans encourir la critique qu'il a été décidé que la marque contestée INSTITUT CENTAURE, n'était pas susceptible de porter atteinte à la renommée des marques françaises antérieures, verbale ' CENTAURE' n° 1 299 702 et figurative
n° 1 424 010, y compris sur le fondement des dispositions de l'article L 711-3, I du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019.
11. Le 10 juin 2025, le parquet général a déclaré s'en rapporter à la décision de la cour
12. L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 17 juin 2025.
13. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 3 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'intervention volontaire de la société Strateginvest :
14. Il convient d'accueillir l'intervention volontaire à la présente instance de la société Strateginvest qui y a intérêt comme venant désormais aux droits de la sarl Consulting Gestion Privée Ingenierie sur la marque verbale INSTITUT CENTAURE n°4561533 aux termes d'un acte sous seing privé du 18 juin 2024 dont l'enregistrement a été publié au BOPI du 2 mai 2025, ainsi qu'il sera dit au dispositif.
Sur la portée de la cassation :
15. Les parties s'accordent pour considérer que la demande de nullité de la marque litigieuse pour avoir été déposée de mauvaise foi n'est plus soumise à la cour de renvoi comme ayant été définitivement tranchée par l'arrêt de cassation, le litige porté devant la cour ne portant plus que sur le bien fondé de l'action en nullité introduite par la société E.[N] [P], en ce qu'elle est titulaire des marques antérieures CENTAURE, verbale et figurative, contre la société Consulting Gestion Privée Ingenierie, devenue Strateginvest, en ce qu'elle a déposé la marque INSTITUT CENTAURE portant atteinte à la renommée de ses marques antérieures, obligeant la cour à trancher la question de la renommée des dites marques, de l'identité ou de la similarité des signes en litige et de l'usage fait de la marque postérieure sans juste motif, tirant indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures ou leur portant préjudice.
Sur le doit applicable :
16. Le Directeur général de L'INPI a dit que la validité de la marque contestée devait être appréciée au regard du droit en vigueur au jour du dépôt de la marque litigieuse, soit des articles L 711-4, L 714-3 et L 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans leur version issue de la loi 92-597 du 1er juillet 1992 en vigueur au jour du dépôt de la marque.
17. L'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Bordeaux a été cassé sur ce point au visa des dispositions transitoires de l'ordonnance du 13 novembre 2019.
18. La société E.[N] [P], observe qu'elle avait justement fondé son action sur les dispositions de l'article L 711-3, I du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019 et demande à la cour de renvoi de statuer
sur ce fondement.
19. La sarl CGPI conclut également sur le fondement de l'article L 711-3, I du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019.
Sur ce :
20. Selon l'article 15-I alinéa 1 de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :
I. - A l'exception de son article 12, les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur à la date d'entrée en vigueur du décret pris pour son application et au plus tard le 15 décembre 2019.
Par dérogation à l'alinéa précédent, entrent en vigueur à compter du 1er avril 2020 :
1° Les dispositions des articles L. 716-1, L. 716-1-1, L. 716-5 et L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle ;
2° Lorsqu'elles sont relatives à la mise en place devant l'Institut national de la propriété industrielle d'une procédure administrative permettant de demander la nullité ou la déchéance d'une marque, les dispositions des articles L. 411-1, L. 411-4, L. 411-5, L. 714-3 et L. 714-4 du même code, dans leur rédaction résultant de la présente ordonnance.
II. - Les juridictions qui au 1er avril 2020 sont saisies d'un litige en application des articles L. 716-2 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction résultant de la présente ordonnance, restent compétentes pour en connaître.
21. Il en ressort que, sauf dérogation prévue aux 1° et 2°, les dispositions de l'ordonnance du 13 novembre 2019 entrent en vigueur à la date d'entrée en vigueur du décret pris pour son application et au plus tard le 15 décembre 2019.
22. En l'espèce, la demande fondée sur les dispositions des articles L 716-2,II,1° et L 711-3-I- 2° n'entrant pas dans la liste des exceptions au principe visées au I - 1° et 2° de l'article 15, les dispositions du I- , telles que ressortant de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, sont applicables à la présente demande en nullité de marque introduite devant le Directeur général de l'INPI postérieurement au 11 décembre 2019, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance, et ce quelle que soit la date de la demande d'enregistrement de la marque litigieuse.
23. Selon les dispositions de l'article L 711-3-I, 1° et 2° du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019:
I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :
1° Une marque antérieure :
a) Lorsqu'elle est identique à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée ;
b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ;
2° Une marque antérieure enregistrée ou une demande de marque sous réserve de son enregistrement ultérieur, jouissant d'une renommée en France ou, dans le cas d'une marque de l'Union européenne, d'une renommée dans l'Union, lorsque la marque postérieure est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et lorsque l'usage de cette marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice ;
24. Selon l'article L 716-2-II,1° du code de la propriété intellectuelle, II.-Sont introduites devant l'Institut national de la propriété industrielle et devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire les demandes en nullité de marques sur le fondement de l'article L. 711-3, par les seuls titulaires de droits antérieurs, notamment :
1° Le titulaire d'une marque antérieure mentionnée aux 1° et 2° du I de l'article L. 711-3;
25. Il ressort de ces dispositions que le titulaire d'une marque antérieure renommée peut agir en nullité contre une marque postérieure lorsque cette dernière est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour laquelle la marque antérieure est enregistrée ou demandée et que son usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu'il leur porterait préjudice.
26. Les services pour lesquels la marque litigieuse a été déposée en classe 35, 36, 41, 42, 45 ne présentant aucune identité ou similitude avec les produits pour lesquels les marques antérieures CENTAURE, verbales et figuratives, ont été déposées, la nullité de la marque INSTITUT CENTAURE ne peut être poursuivie que sur le fondement du 2° de l'article L 711-3- I, visant l'hypothèse de l'atteinte à une marque antérieure renommée de sorte que le succès de l'action de la société E.[N] [P] & Co suppose que soit préalablement établi le caractère de renommée des marques antérieures.
27. Enfin, un débat est instauré par la société E.[N] [P] quant à la possibilité pour la cour de faire application de l'article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, lequel fondement a été écarté par l'INPI comme n'instaurant pas une action en nullité de marque.
28. De manière contradictoire, la société E.[N] [P] &Co convient finalement (ses conclusions page 10) que sa demande en nullité est formée contre la marque verbale INSTITUT CENTAURE sur le fondement de l'article L 711-3, I, 2° du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019, pour finalement viser dans ses développements sur l'atteinte à la marque de renommée, les dispositions de l'article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle.
29. Cependant ces dernières dispositions, en ce qu'elles prévoient qu'est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque jouissant d'une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice, sont étrangères à la présente procédure en nullité de marque telle qu'elle ressort de la compétence de l'INPI et par conséquent du présent recours, en ce qu'elles visent à sanctionner l'usage d'un signe quand seul le premier vise à sanctionner l'usage d'une marque identique ou similaire.
30. C'est donc bien sur le fondement des dispositions de l'article L 711-3, I, 2°, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, que sera tranché le présent litige.
31. Il convient en conséquence de s'interroger d'abord sur la renommée des marques antérieures CENTAURE, verbale et figurative, avant de se déterminer sur une éventuelle atteinte à leur renommée.
1° ) Sur la renommée des marques antérieures :
32. Le directeur de l'INPI a retenu dans la décision soumise à la cour d'appel de renvoi la renommée des marques antérieures de la société E.[N] [P] & Co, entreprise figurant parmi les premiers vendeurs de cognac au monde et faisant usage de l'emblème du centaure depuis 1870, de sorte que les deux marques antérieures jouissaient d'une renommée à la date du dépôt de la marque litigieuse par la société CGI, en association avec la marque [N] [P], comme étant connue d'une partie significative du public concerné par les produits et services qu'elle désigne au regard des éléments pertinents de la cause, et ce n'est que sur l'étude du lien opéré par le public entre les signes en présence que la demande en nullité de la marque a été rejetée alors que 'les produits couverts par la marque antérieure sont si différents de services de la marque contestée'.
33. La société CGI, sans contester la renommée de la marque [N] [P], observe au contraire que le terme centaure ou le logo du centaure revendiqués par la société appelante ne jouissent d'aucune renommée propre en dehors de leur association avec la marque de renommée [N] [P], de sorte que seule cette dernière ou la Maison [N] [P] jouissant d'une renommée en France sont en droit de bénéficier de la protection attachée à une telle marque en dehors du principe de spécialité, le centaure n'ayant jamais que valeur accessoire ou décorative, sans existence autonome.
34. La société E.[N] [P] & Co conclut au contraire à la confirmation de la décision entreprise de ce chef faisant valoir avec l'INPI que la grande renommée de la marque [N] [P], n'est nullement exclusive de la renommée des marques CENTAURE, qu'elles soient exploitées seules ou en association avec la marque [N] [P], alors qu'elles sont connues depuis 1930 des amateurs ou professionnels de spiritueux et notamment du [Localité 8].
Sur ce :
35. Pour pouvoir prétendre à la protection des marques antérieures CENTAURE, verbale et figurative, au titre de l'atteinte à une marque renommée, la société E.[N] [P] doit établir que les marques CENTAURE sont connues d'une partie significative du public concerné par les produits ou services qu'elle désigne, étant admis que le niveau de renommée est déterminé au regard de l'ensemble des éléments pertinents de la cause que constituent la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage ainsi que l'importance des investissements réalisés pour la promotion de la marque.
36. En l'espèce, la renommée de la marque [N] [P] n'est nullement remise en cause, ni même la renommée des marques CENTAURE 'en association avec la marque [N] [P]', ainsi que l'a retenu l'INPI, qu'il s'agisse de la marque verbale ou du logo, la sarl CGPI ne remettant en cause que la renommée intrinsèque des marques CENTAURE pour leur contester le droit à une protection propre.
37. La présente action, dirigée contre la société CGPI en nullité de sa marque INSTITUT CENTAURE comme portant atteinte à une marque renommée, oblige la société E.[N] [P] à établir la renommée intrinsèque des dites marques pour désigner des spiritueux et notamment des cognacs.
38. Il résulte des pièces versées aux débats que les marques CENTAURE avaient, à la date du dépôt de la marque INSTITUT CENTAURE, le 20 juin 2019, acquis une renommée propre auprès du public pertinent, c'est-à-dire le public français, amateurs de spiritueux, liqueurs et plus particulièrement du cognac, professionnel ou non.
39. Ainsi, les nombreux éléments retenus par le Directeur de l'INPI et mis en avant par la société E. [N] [P], permettent incontestablement de retenir que non seulement les marques antérieures CENTAURE ont acquis une renommée en association avec la marque [N] [P] & Co mais également, comme ressortant notamment de très nombreuses coupures de presse parues entre 1991 et ce jour, que les marques antérieures 'CENTAURE', que ce soit la marque verbale ou le logo, déposées par la société [N] [P] étaient, dès avant le dépôt de la marque litigieuse, étaient devenues à ce point indissociables de cette dernière que si la marque E. [N] [P] est associée aux marques CENTAURE, ces dernières ont acquis seules un fort pouvoir évocateur renvoyant à la société E.[N] [P], leur renommée respective bénéficiant l'une à l'autre.
40. Ainsi est il établi que la maison [N] [P] est couramment désignée comme 'la Maison au Centaure', 'la marque au Centaure', sans association nécessaire à la marque [N] [P].
41. En effet, si dans de nombreuses coupures de presses les deux marques sont associées, il apparaît que la marque CENTAURE est également devenue un moyen de communication et qu'elle est alors seule suffisamment évocatrice du cognac et de la maison [N] [P] comme il résulte notamment d'un article paru dans le quotidien 'La journée viticole' du 29 juin 2001rappelant que le centaure était l'emblème et porte parole de la marque, un article paru dans le journal Sud-Ouest le 7 juillet 2003 mais également le Figaro magazine du 13 septembre 2003 faisant la promotion du lancement d'une collection de cognacs millésimés dénommée 'Collection du Centaure' ou un article des Echos paru en août 2000 évoquant 'la vieille marque au Centaure' de même que des articles parus dans la Charente Libre le 3 janvier 2004 ou le 2 avril 2005, le paysan Vigneron en mai 2005, Sud-ouest de mai 2010, les Echos du 14 août 2010, Planet vins & spiritueux d'octobre 2011 où la marque [N] [P] est qualifiée' marque au Centaure', un article paru dans cuisine & vins du mois de décembre/janvier 2007, titré 'la belle histoire du cognac' où il est rappelé que le centaure, emblème de la maison E.[N] [P], est l'un des premiers logos de l'histoire.
42. Il est également produit plusieurs articles parus en 2023/2024 pour les 300 ans de la maison E. [N] [P] ou 2024/2025, rappelant que le centaure est le logo de la maison depuis 1870.
43. Il en ressort que les marques en litige étaient également très largement connues en tant que telles du public concerné évoquant le cognac et la maison E.[N] [P] et qu'il ne peut être prétendu que seule la société E.[N] [P] avait acquis une renommée dont bénéficiait les marques CENTAURE, la société E.[N] [P] bénéficiant elle-même de la renommée propre acquise au fil du temps par les marques CENTAURE auxquelles elle se trouvait associée par effet de miroir.
44. La société E. [N] [P] justifie également qu'en 2006, soit antérieurement au dépôt de la marque litigieuse, la société [N] [P] représentait 24 % des parts du marché français dans le secteur du VSOP et a continué d'augmenter pour atteindre 30,5 % en 2011 et un chiffre d'affaires de 735,5 millions, ce qui permet de donner une idée de l'importance du rayonnement en France de la marque [N] [P], donnant également la mesure de la notoriété du Centaure qui lui est étroitement associé.
45. Il est encore produit de nombreuses photographies de publicités géantes de bouteilles de [Localité 8] de la marque E. [N] [P], implantées dans toute la ville de [Localité 8], et présentant au premier plan le logo du centaure tout aussi présent que la marque [N] [P].
46. Par ailleurs, il est établi que les cognacs commercialisés par la société E.[N] [P], ont emporté diverses récompenses sous les marques antérieures comme notamment en 2011, deux récompenses pour sa bouteille 'Centaure de diamant', plusieurs récompenses entre 1982 et 2010, pour des bouteilles ' [Localité 8] masters 2010 by the spirits business' ou le 'flexo star 1991" ou pour une caisse de cognac sur laquelle est apposée la marque figurative antérieure.
47. Il est encore attesté par des professionnels notamment du BNIC la forte renommée de la marque 'Centaure', verbale ou figurative, sur le territoire français, la maison [N] [P] étant devenue 'la Maison au Centaure' certains cognacs n'étant commercialisés que sous la marque 'Centaure' ou 'Centaure de diamant'.
48. De même, une importante part de la communication digitale, signalétique, avec la presse (Centaure de l'environnement- avril 2018) ou le monde du cinéma ( bouteille 'le Centaure de [Localité 7]'), inclut l'emblème du centaure sans nécessaire association à la marque [N] [P], et, classée parmi les 12 meilleurs sites à visiter au monde, la maison [N] [P], inclut en son sein une célèbre '[Adresse 9]' exposant une collection des emblèmes de la maison.
49. Enfin, la société E.[N] [P], produit plusieurs modèles de marques verbales 'CENTAURE' ou figuratives ayant évolué au fil du temps et représentant un centaure ainsi qu'une liste de prix obtenus exclusivement sous les marques antérieures depuis 1830 jusqu'en 1962, attestant l'ancienneté de l'exploitation des marques antérieures.
50. De l'ensemble il ressort que dans le monde des eaux-de-vie, des spiritueux et du cognac en particulier, les marques antérieures 'CENTAURE', à ce point associées dans le temps à la marque [N] [P], sont devenues un élément fort de sa communication tel qu'elles ont finalement acquis une forte renommée intrinsèque auprès du public pertinent, qui connaît le [Localité 8] aussi bien sous la marque [N] [P] que sous les marques antérieures seules, qu'il s'agisse de la marque verbale ou le logo CENTAURE qui est devenu son emblème, si bien que si la marque [N] [P] est associée aux marques CENTAURE, ces mêmes marques renvoient également à la maison [N] [P] et que, loin d'être seulement 'accessoires' ou purement 'décoratives', elles jouissaient au jour du dépôt de la marque INSTITUT CENTAURE d'une renommée propre, de très longue date, leur conférant le droit à la protection qui y est attachée.
2°) Sur l'atteinte à la renommée :
51. Il y a atteinte à la marque de renommée, en présence d'une identité ou similitude entre les signes en présence, lorsque le public concerné par les produits ou services couverts par la marque est naturellement enclin à établir un lien ou une association entre cette marque et le signe opposé causant à son titulaire un préjudice par la dilution de la distinctivité de la marque de renommée ou le ternissement de celle-ci ou profitant indûment au déposant de la marque litigieuse.
52. Il en va ainsi lorsque la perception d'un signe évoque le souvenir de l'autre dans l'esprit du consommateur.
53. La renommée des marques antérieures ayant été ci-avant retenue, la société E.[N] [P] doit, pour prospérer en son action en nullité de la marque INSTITUT CENTAURE, établir une identité ou similitude entre les signes en présence, l'existence d'un lien entre les marques en conflit et le préjudice résultant pour le titulaire de la marque antérieure de l'usage fait de la distinctivité de la marque ou du profit réalisé par le titulaire de la marque contestée.
* la similitude entre les signes :
54. La société [N] [P] conteste la décision du directeur général de l'iNPI qui si elle a retenu une similitude entre la marque INSTITUT CENTAURE et la marque verbale CENTAURE n'a retenu qu'une faible similitude avec la marque antérieure figurative, la similitude n'étant que conceptuelle.
55. Les sociétés intimées demandent la confirmation de la décision de ce chef.
Sur ce :
56. La similitude entre les signes en présence est une condition de l'atteinte à la marque de renommée.
57. Or, en l'espèce, à défaut d'être strictement identique, la marque verbale INSTITUT CENTAURE, présente une forte similitude avec la marque verbale Centaure.
58. En effet, ainsi que pertinemment retenu par l'INPI, dans la marque INSTITUT CENTAURE, pour désigner les services en classes 35, 36, 41, 42 et 45, seul le terme CENTAURE est distinctif, le terme INSTITUT étant purement descriptif et, contrairement à ce que soutient la société Strateginvest, n'a aucune originalité pour désigner une entreprise de service, de sorte que tant verbalement que visuellement ou intellectuellement, la référence dominante est dans les deux marques qui s'opposent celle du centaure et qu' il en ressort même une impression d'ensemble permettant de conclure à leur grande similarité.
59. En cela, elle présente, contrairement à ce qu'a retenu l'INPI, également de fortes similitudes avec la marque figurative représentant le centaure, car si la marque antérieure est purement figurative et ne se prononce pas de sorte que ne sera pas examinée sa perception phonétique de manière autonome, elle représente visuellement un centaure et fait une référence intellectuelle unique au terme de la mythologie grecque désignant une créature hybride à buste d'homme et corps de cheval.
60. Or, le public concerné par les marques antérieures, qui est un public moyen à grand public, est bien en capacité d'associer le logo au terme 'centaure'.
61. Au contraire, l'intimée peine à convaincre la cour que le public concerné serait en mesure de distinguer entre les différentes représentations du centaure tant dans leur tradition iconographique qu'intellectuelle alors qu'en outre doit être retenue l'impression d'ensemble laissée par les signes plutôt que leurs dissemblances.
62. La marque verbale litigieuse, en ce que son unique terme distinctif est également le terme CENTAURE, contient la même référence tant phonétique que visuelle ou intellectuelle à ce terme de la mythologie grecque qui dans les deux marques retient toute l'attention d'un public lequel, dans le cas des services proposés par la marque litigieuse, est un public de culture moyenne à élevée. En effet, dans les deux marques, la référence au centaure, qu'il s'agisse du terme ou de l'image par laquelle il est généralement représenté, apparaît univoque et peu susceptible d'interprétations ou de divergences de représentations, de sorte que l'impression globale est en faveur d'une grande similarité entre les signes en présence, la marque INSTITUT CENTAURE, d'une part, et les marques CENTAURE antérieures, tant verbale que figurative, d'autre part.
* le lien entre les marques :
63. Il est reproché à l'INPI d'avoir, pour écarter l'existence d'un lien suffisant entre les marques en litige dans l'esprit du public pertinent, retenu uniquement la grande dissemblance entre les produits et services visés de telle sorte que ce public qui, s'agissant des services visés par la marque seconde est un public spécialisé, ne sera pas enclin à établir un lien et, ce faisant, de n'avoir tenu aucun compte des conditions d'usage du signe similaire dont le rayonnement est limité à la région de [Localité 8].
Sur ce :
64. Ce qui est ici susceptible de porter préjudice pour le titulaire des marques antérieures renommées ou un bénéfice pour la marque litigieuse, c'est le lien que le public concerné par la marque renommée est amené à établir entre les signes même s'il ne les confond pas. Ce lien est apprécié en regard des éléments pertinents de la cause dont participent à la fois le degré de similitude entre les signes et entre les produits et services visés par la marque, l'intensité de la renommée antérieure et son degré de distinctivité intrinsèque ou acquis par l'usage, de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public.
65. La seule renommée d'une marque ne permet pas de présumer l'existence d'un risque de confusion du seul fait de l'existence d'un risque d'association, lequel doit être démontré.
66. Par ailleurs, le fait que les publics soient amenés à se chevaucher est un élément à prendre en considération pour apprécier la possibilité d'un tel lien dans l'esprit du public. En effet en présence de publics qui s'excluent, au regard des services visés, l'existence d'un lien sera peu probable, mais en raison de la forte renommée de la marque antérieure,
sa connaissance peut s'étendre au delà du public qu'elle vise.
67. Or, les marques antérieures CENTAURE bénéficient d'une très forte renommée dans le monde des spiritueux et du cognac dans toute la France mais également dans la région de [Localité 8], dans ce cas auprès d'un plus vaste public en raison du fort rayonnement de la marque sur la ville de [Localité 8] et sa région d'autant plus qu'elles sont particulièrement distinctives pour désigner les produits concernés par la marque.
68. De même, le terme CENTAURE est particulièrement distinctif pour désigner les différents services, publicité, gestion commerciale, assurances, banque, enseignement et formation, développement et création de programmes informatiques couverts par la marque litigieuse, alors que la société CGPI, comme Strateginvest, est une société de services implantée à [Localité 8], ne contestant pas utilement être destinée à une clientèle locale proposant sous la marque INSTITUT CENTAURE de nombreux services plus ou moins spécialisés à des professionnels comme à des particuliers et couvrant un éventail de besoins de la vie de tous les jours tels les crédits, les assurances ou l'informatique.
69. Si les produits et services en cause sont en l'espèce radicalement différents, il ne peut cependant être retenu qu'ils s'excluent puisqu'étant de registres différents mais pas antinomiques.
70. Par ailleurs, la diversité des services proposés par la marque aux professionnels comme aux particuliers est telle qu'elle vise nécessairement un éventail important de la population de [Localité 8] et pas nécessairement un public très spécialisé (crédits, assurances....) contrairement à ce qu'a retenu l'INPI, de sorte que la clientèle de la marque litigieuse peut être amenée à se chevaucher avec celle des marques antérieures, amateurs de spiritueux et cognac, et que le signe en litige est de nature à attirer fortement l'attention du public cognaçais concerné par la marque litigieuse lequel, sans toutefois les confondre, sera naturellement amené à opérer un lien avec les marques antérieures, nonobstant la dissemblance entre les produits et service concernés.
71. La marque INSTITUT CENTAURE est ainsi susceptible de porter atteinte à la renommée des marques antérieures de sorte qu'il convient de rechercher l'existence d'un usage sans juste motif de la marque INSTITUT CENTAURE qui tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qui lui porterait préjudice.
* Sur l'existence d'un profit indu pour la société CGPI ou Strateginvest ou d'un préjudice pour la société E. [N] [P] :
72. La société E. [N] [P] tire argument de la grande renommée des marques antérieures, de l'implantation de la marque litigieuse sur la région de [Localité 8] et de la référence constante faite par les intimées notamment sur leur site au monde du cognac avec une représentation sans autorisation du chai historique [N] [P] et des références aux marques et '[N] [P]' pour en déduire d'une part, une dilution ou un ternissement de l'image de sa marque mais également au profit des intimées un profit indu, ces sociétés tirant profit de l'image haut de gamme de la marque litigieuse.
73. Les intimées font au contraire valoir que le profit indu ou le préjudice ne sauraient uniquement résulter de la renommée de la marque antérieure et doit au contraire être établi, notamment par la démonstration d'une modification du comportement des consommateurs.
Sur ce :
74. Se prévalant de l'atteinte portée à sa renommée par dilution ou ternissement de son image, il appartient à la société E.[N] [P] de rapporter la preuve d'une modification ou d'un risque de modification du comportement des consommateurs à son égard, ou d'un impact négatif engendré par le lien entre les marques ce dont elle s'abstient, son affirmation de ce chef n'étant étayée par aucun élément, alors même que cette atteinte à la renommée ne saurait résulter de la seule renommée de la marque antérieure.
75. En revanche, il est établi par les pièces versées aux débats que la société CGPI aux droits de laquelle vient la société Strateginvest a, au coeur du berceau du [Localité 8], déposé pas moins de trois marques incluant le terme CENTAURE ou le logo , marque de renommée participant de la renommée de la maison [N] [P], l'une des plus grandes et plus anciennes maison de [Localité 8], alors même qu'elle n'indique pas en quoi le centaure constituait un signe utile à son activité ; qu'elle a de même inscrit une grande partie de sa communication digitale autour du centaure mais également du [Localité 8] et de la maison [N] [P] dont les chais sont reproduits sur son site internet.
76. Le dépôt des marques litigieuses s'inscrit en conséquence pleinement dans une démarche parasitaire ayant consisté pour les intimées à se placer dans le sillage des marques renommées 'CENTAURE' et de la société [N] [P], en profitant de leur très grande renommée et des investissements publicitaires effectués pour leur promotion, ce qui suffit à caractériser un profit indu et une atteinte effective aux marques renommées 'CENTAURE' et .
77. Il convient en conséquence d' annuler la marque INSTITUT CENTAURE pour atteinte aux marques renommées 'CENTAURE' et de la société E.[N] [P], par infirmation de la décision entreprise.
78. Par voie de conséquence, la décision du directeur de l'INPI est également infirmée en ce qu'elle a mis à la charge de la société E. [N] [P] une somme de 550 euros au titre des frais exposés.
79. Au vu de l'issue du présent recours, les sociétés CGPI et Strateginvest seront tenues in solidum à payer à la société E.[N] [P] une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la cour statuant sans dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Strateginvest.
Infirme la décision du Directeur général de l'INPI NL 21-0108.
Statuant à nouveau des chefs réformés :
Dit que les marques, verbale 'CENTAURE' n° 1297702 déposée le 19 février 1985 puis renouvelée, pour désigner en classe 33 les produits ' [Localité 8], eaux-de-vie, spiritueux divers' et figurative ' ' n° 1424010, déposée le 21 août 1987, puis renouvelée pour désigner en classe 33 les mêmes produits sont des marques de renommée.
Prononce l'annulation de la marque verbale INSTITUT CENTAURE n°19/4561533 déposée le 20 juin 2019 par la sarl Consulting gestion privée ingénierie (CGPI) et publiée au BOPI n°2020-12 du 20 mars 2020.
Condamne in solidum la sarl Consulting gestion privée ingénierie (CGPI) et la société Strateginvest à payer à la société E.[N] [P] une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statue sans dépens.
Dit que le présent arrêt est notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception par le greffe aux parties et au directeur général de l'INPI.
Le présent arrêt a été signé par Bénédicte LAMARQUE, conseiller, en remplacement de Paule POIREL, Présidente légitimement empêchée, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 16 SEPTEMBRE 2025
N° de rôle : N° RG 24/05500 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OCHV
S.A.S. E. [N] [P] & CO
c/
INSTITUT [11]
S.A.R.L. CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE
Société STRATEGINVEST
Nature de la décision : AU FOND
SUR RENVOI DE CASSATION
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 04 décembre 2024 (N° 740 F-D) par la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 06 juin 2023 (RG 22/02442) par la 1ère chambre civile de la cour d'appel de BORDEAUX en suite d'une décision rendue par le Directeur de l'Institut [11] le 20 avril 2022, suivant déclaration de saisine du 17 décembre 2024.
DEMANDERESSE :
S.A.S. E. [N] [P] & CO, société par actions simplifiée inscrite au RCS d'[Localité 6] sous le numéro 775 563 323, exerçant sous l'enseigne '[Adresse 10]' dont le siège social est situé au [Adresse 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Frédéric CUIF de la SELARL LX BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Annette SION, avocate au barreau de PARIS
DEFENDERESSES :
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE,
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Madame [Z] [B], juriste, munie d'un pouvoir spécial
S.A.R.L. CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE, Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Thierry LAMPE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTERVENANTE :
Société STRATEGINVEST
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistée de Me Thierry LAMPE, avocat au barreau de BORDEAUX
EN PRESENCE DE :
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception
représenté par Madame [Z] [B], juriste, munie d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 juin 2025 en audience publique, en double rapporteux devant Madame Paule POIREL, Présidente, chargée du rapport, et Madame Isabelle DELAQUYS, conseiller, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour composée de :
Paule POIREL, Présidente
Bénédicte LAMARQUE, Conseiller
Isabelle DELAQUYS, Conseiller
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.
Ministère Public :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 10 juin 2025.
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1. Le 17 mai 2021, la sas E. [N] [P] & Co a formé une demande en nullité contre la marque verbale INSTITUT CENTAURE, n°19/4561533 déposée le 20 juin 2019 par la sarl Consulting gestion privée ingénierie (CGPI) et publiée au BOPI n°2020-12 du 20 mars 2020.
2. La société [N] [P] & Co est une société créée en 1925 produit les [Localité 8] de la maison [N] [P] fondée en 1724 par M. [N] [P]. Elle détient à ce titre les marques françaises suivantes :
- la marque verbale 'CENTAURE' n° 1297702 déposée le 19 février 1985 puis renouvelée, pour désigner en classe 33 les produits ' [Localité 8], eaux-de-vie, spiritueux divers';
- la marque figurative ' ' n° 1424010, déposée le 21 août 1987 puis renouvelée pour désigner en classe 33 les mêmes produits.
3. La demande en nullité référencée NL 21-0108 est formée à l'encontre de la totalité des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, à savoir :
" Classe 35: Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale; travaux de bureau ; diffusion de matériels publicitaire assurantiel, bancaire, financière et commercial (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; service d'abonnement à des journaux assurantiels, bancaires, financiers commerciaux (pour des tiers); mise à disposition d'informations assurantielles, bancaires, financières et commerciales; mise à disposition d'informations assurantielles, bancaires, financières et commerciales à partir de bases de données en ligne notamment par voie électronique, notamment communication mondiale (Internet) ou à accès privé (Intranet) ; publicités assurantielles, bancaires, financières et commerciales en ligne sur un réseau informatique, location de temps publicitaire sur tout moyen de communication en matière assurantielle, bancaire et financière; publication de textes publicitaires assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux; location d'espaces publicitaires assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux; diffusion d'annonces publicitaires assurantielles, bancaires, financières et commerciales; services d'intermédiation commerciale (conciergerie) assurantielle, bancaire et financière.
Classe 36 : Assurances; assurances emprunteurs; assurances de prêt; affaires assurantielles; prestations de conseils assurantiels et d'intermédiation d'assurance ou réassurance; services bancaires ; services bancaires en ligne ; prestation de consultations (assurances, banques et finances) ; investissement de capitaux ; estimations financières (assurances, banques et finances).
Classe 41 : Enseignement et formations assurantiels, bancaires, financières et réglementaires; organisation et conférences, colloques, congrès et ateliers assurantiels, bancaires, financiers et réglementaires ; rédaction de matériels pédagogiques pour des tiers tels que supports de formation, tableaux de suivis, questionnaires; services d'informations éducatives; conseils en formation en entreprise; publication de textes et de livres; éditions, revues et livres; publication électronique de livres, de supports de formation et de périodiques en ligne.
Classe 42: Développement et création (conception) de programmes informatiques logiciels, réseaux informatiques, bases de données, systèmes d'exploitation) d'aide aux conseils assurantiels, bancaires et réglementaires; conseils, entretiens et services dans le domaine des systèmes informatiques (logiciels); analyse de systèmes informatiques ; conseils professionnels dans le domaine de la sécurité informatique assurantielle, bancaire et réglementaire ; élaboration (conception) ; installation ; maintenance, mise à jour ou location de logiciels dans les domaines de la gestion de portefeuilles assurantiels, bancaires et financiers ; services de consultation concernant la mise en oeuvre de systèmes de sécurité pour données informatisées ; études de projets techniques.
Classe 45 : Services juridiques ; conseils et consultations juridiques assurantielles, bancaires, financières et réglementaires ; services de revues juridiques et réglementaire de contrats assurantiels, contrats bancaires et contrats financiers.
4. Par décision en date du 20 avril 2022, enregistrée sous le numéro NL21-0108, le Directeur général de l'Institut [12] (INPI) a rejeté la demande en nullité de la marque 19/4561533 et mis à la charge de la société E. [N] [P] & Co une somme de 550 euros au titre des frais exposés.
5. Par déclaration électronique en date du 19 mai 2022, la société E. [N] [P] & Co a formé un recours contre cette décision.
6. Par arrêt en date du 6 juin 2023, enregistré sous le numéro RG 22/02442, la cour d'appel de Bordeaux a :
- rejeté le recours formé par la sas E. [N] [P] & Co contre la décision du directeur de l'INPI du 20 avril 2022,
- condamné la sas E. [N] [P] à payer à la sarl Consulting gestion privée ingénierie la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens,
- dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception par le greffe aux parties à l'instance et au directeur général de L'INPI.
7. La société E. [N] & Co s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.
8. Par arrêt du 4 décembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejette le recours formé par la société E. [N] [P] & Co contre la décision du directeur de l'INPI du 20 avril 2022 en ce qu'elle rejetait la demande en nullité fondée sur le dépôt de mauvaise foi de la marque 'CENTAURE INVESTISSEMENTS', l'arrêt rendu le 6 juin 2023 entre les parties par la cour d'appel de Bordeaux,
- remis sauf sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.
Pour statuer ainsi, la cour de cassation a, au visa des dispositions :
- de l'article 15 ,I, alinéa 1er de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 selon lequel, sauf dérogations énumérées en ses 1° et 2°, les dispositions de l'ordonnance précitées entrent en vigueur à la date du décret pris pour son application au plus tard le 15 décembre 2019,
- des articles L 716-2,II, 1° et L 711-3, I, 2° du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction issue de cette ordonnance selon lesquels le titulaire d'un marque antérieure renommée peut agir en nullité contre une marque postérieure lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits sous services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et que son usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice;
dit qu'en l'absence de dispositions transitoires dérogatoires prévues à l'article 15 de l'ordonnance du 13 novembre 2019, ces dispositions sont applicables à la demande en nullité de marque enregistrée, introduite devant le Dr de l'Inpi postérieurement au 11 décembre 2019, date d'entrée en vigueur de la dite ordonnance.
Elle a relevé que pour écarter la demande en nullité de la marque 'Institut Centaure' enregistrée le 20 mars 2020, fondée sur l'atteinte aux marques renommées antérieures 'Centaure', l'arrêt, après avoir écarté toute similitude entre les produits et services concernés, retient que la société [N] [P] ne peut fonder sa demande en nullité de la marque sur les dispositions du code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, dans la mesure où la marque contestée a été déposée le 20 juin 2019, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, de sorte que le régime de nullité applicable au recours est soumis aux dispositions des articles L 711-4 et L 714-3 du code de la propriété intellectuelle, dans leur version applicable au jour du dépôt, de sorte qu'en statuant ainsi alors les articles L 716-II, 1° et L 711-3, I, 2° du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019 étaient applicables à la demande en nullité de la marque litigieuse formée le 17 mai 2021 par la société [N] [P], la cour d'appel a violé les textes susvisés.
7. Par déclaration électronique en date du 17 décembre 2024, après renvoi de cassation, la sas E. [N] [P] & Co a saisi la cour d'appel de Bordeaux afin de voir réformer la décision du Directeur de l'INPI qui a décidé que la demande en nullité NL21-0108 concernant la marque 19/4561533 est rejetée et que la somme de 550 euros devait être mise à la charge de la société E. [N] [P] & Co au titre des frais exposés.
8. La sas E. [N] [P] & Co, par conclusions N° 2 notifiées par RPVA le 30 mai 2025, déposées par erreur sous le numéro RG 24/05503 et notifiées au dirceteur de l'INPI par LRAR du 2 juin 2025, demande à la cour d'appel de Bordeaux statuant comme cour de renvoi, de :
Confirmer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en ce qu'elle a déclaré la société E. [N] [P] & Co recevable et bien fondée en son recours,
Confirmer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en ce qu'elle a jugé renommées les marques 'CENTAURE' n°1299702 et n°14244010 de la société E. [N] [P] & Co,
Réformer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en date du 20 avril 2022 ayant rejeté la demande en nullité de la marque 'INSTITUT CENTAURE' n°4561533 et ayant mis à la charge de la société E. [N] [P] & Co la somme de 550 euros au titre des frais exposés,
En conséquence,
- juger que la marque 'INSTITUT CENTAURE' n°4561533 porte atteinte aux marques renommées antérieures 'Centaure' n°1299702 et n°1424010 et qu'il existe un risque de confusion entre les signes en présence,
- annuler la marque 'INSTITUT CENTAURE' n°4561533" portant atteinte aux droits antérieurs de la société E. [N] [P] & Co sur ses marques 'Centaure' n°1299702 et n°1424010,
- ordonner la notification de l'arrêt à intervenir au directeur général de l'INPI,
- condamner la société Consulting Gestion Privée Ingenierie à verser à la société E. [N] [P] & Co la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Consulting Gestion Privée Ingenierie aux entiers dépens.
9. La société Consulting gestion privée ingénierie et la société Strateginvest, par dernières conclusions n° 2 notifiées par RPVA en date du 16 mai 2025, portant intervention volontaire de la société Strateginvest, déposées par erreur sous le numéro de RG 24/05503 et notifiées à l'INPI par LRAR du 16 mai 2025, demandent à la cour d'appel de renvoi de :
- juger recevable et fondée l'intervention volontaire de la société Strateginvest,
- statuer ce que de droit sur la recevabilité du recours de la sas E. [N] [P] & Co,
Confirmer la décision du 20 avril 2022 prise par le directeur général de l'INPI en ce que la demande en nullité concernant la marque n°19/4561533 a été rejetée et en ce que la somme de 550 euros a été mise à la charge de la société E. [N] [P] au titre des frais exposés,
Infirmer la décision rendue par le directeur général de l'INPI en ce qu'elle a jugé renommées les marques 'Centaure' n°1299702 et n°1424010 de la société E. [N] [P] & Co,
- débouter la sas E. [N] [P] & Co de toutes autres demandes, fins ou conclusions,
- condamner la sas E. [N] [P] à verser à la société Strateginvest la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
10. Le directeur général de l'INPI a déposé des observations aux termes desquelles il conclut que c'est sans encourir la critique qu'il a été décidé que la marque contestée INSTITUT CENTAURE, n'était pas susceptible de porter atteinte à la renommée des marques françaises antérieures, verbale ' CENTAURE' n° 1 299 702 et figurative
n° 1 424 010, y compris sur le fondement des dispositions de l'article L 711-3, I du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019.
11. Le 10 juin 2025, le parquet général a déclaré s'en rapporter à la décision de la cour
12. L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 17 juin 2025.
13. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 3 juin 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'intervention volontaire de la société Strateginvest :
14. Il convient d'accueillir l'intervention volontaire à la présente instance de la société Strateginvest qui y a intérêt comme venant désormais aux droits de la sarl Consulting Gestion Privée Ingenierie sur la marque verbale INSTITUT CENTAURE n°4561533 aux termes d'un acte sous seing privé du 18 juin 2024 dont l'enregistrement a été publié au BOPI du 2 mai 2025, ainsi qu'il sera dit au dispositif.
Sur la portée de la cassation :
15. Les parties s'accordent pour considérer que la demande de nullité de la marque litigieuse pour avoir été déposée de mauvaise foi n'est plus soumise à la cour de renvoi comme ayant été définitivement tranchée par l'arrêt de cassation, le litige porté devant la cour ne portant plus que sur le bien fondé de l'action en nullité introduite par la société E.[N] [P], en ce qu'elle est titulaire des marques antérieures CENTAURE, verbale et figurative, contre la société Consulting Gestion Privée Ingenierie, devenue Strateginvest, en ce qu'elle a déposé la marque INSTITUT CENTAURE portant atteinte à la renommée de ses marques antérieures, obligeant la cour à trancher la question de la renommée des dites marques, de l'identité ou de la similarité des signes en litige et de l'usage fait de la marque postérieure sans juste motif, tirant indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée des marques antérieures ou leur portant préjudice.
Sur le doit applicable :
16. Le Directeur général de L'INPI a dit que la validité de la marque contestée devait être appréciée au regard du droit en vigueur au jour du dépôt de la marque litigieuse, soit des articles L 711-4, L 714-3 et L 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans leur version issue de la loi 92-597 du 1er juillet 1992 en vigueur au jour du dépôt de la marque.
17. L'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Bordeaux a été cassé sur ce point au visa des dispositions transitoires de l'ordonnance du 13 novembre 2019.
18. La société E.[N] [P], observe qu'elle avait justement fondé son action sur les dispositions de l'article L 711-3, I du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019 et demande à la cour de renvoi de statuer
sur ce fondement.
19. La sarl CGPI conclut également sur le fondement de l'article L 711-3, I du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019.
Sur ce :
20. Selon l'article 15-I alinéa 1 de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :
I. - A l'exception de son article 12, les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur à la date d'entrée en vigueur du décret pris pour son application et au plus tard le 15 décembre 2019.
Par dérogation à l'alinéa précédent, entrent en vigueur à compter du 1er avril 2020 :
1° Les dispositions des articles L. 716-1, L. 716-1-1, L. 716-5 et L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle ;
2° Lorsqu'elles sont relatives à la mise en place devant l'Institut national de la propriété industrielle d'une procédure administrative permettant de demander la nullité ou la déchéance d'une marque, les dispositions des articles L. 411-1, L. 411-4, L. 411-5, L. 714-3 et L. 714-4 du même code, dans leur rédaction résultant de la présente ordonnance.
II. - Les juridictions qui au 1er avril 2020 sont saisies d'un litige en application des articles L. 716-2 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction résultant de la présente ordonnance, restent compétentes pour en connaître.
21. Il en ressort que, sauf dérogation prévue aux 1° et 2°, les dispositions de l'ordonnance du 13 novembre 2019 entrent en vigueur à la date d'entrée en vigueur du décret pris pour son application et au plus tard le 15 décembre 2019.
22. En l'espèce, la demande fondée sur les dispositions des articles L 716-2,II,1° et L 711-3-I- 2° n'entrant pas dans la liste des exceptions au principe visées au I - 1° et 2° de l'article 15, les dispositions du I- , telles que ressortant de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, sont applicables à la présente demande en nullité de marque introduite devant le Directeur général de l'INPI postérieurement au 11 décembre 2019, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance, et ce quelle que soit la date de la demande d'enregistrement de la marque litigieuse.
23. Selon les dispositions de l'article L 711-3-I, 1° et 2° du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019:
I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :
1° Une marque antérieure :
a) Lorsqu'elle est identique à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée ;
b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ;
2° Une marque antérieure enregistrée ou une demande de marque sous réserve de son enregistrement ultérieur, jouissant d'une renommée en France ou, dans le cas d'une marque de l'Union européenne, d'une renommée dans l'Union, lorsque la marque postérieure est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée ou demandée et lorsque l'usage de cette marque postérieure sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu'il leur porterait préjudice ;
24. Selon l'article L 716-2-II,1° du code de la propriété intellectuelle, II.-Sont introduites devant l'Institut national de la propriété industrielle et devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire les demandes en nullité de marques sur le fondement de l'article L. 711-3, par les seuls titulaires de droits antérieurs, notamment :
1° Le titulaire d'une marque antérieure mentionnée aux 1° et 2° du I de l'article L. 711-3;
25. Il ressort de ces dispositions que le titulaire d'une marque antérieure renommée peut agir en nullité contre une marque postérieure lorsque cette dernière est identique ou similaire à la marque antérieure, que les produits ou les services qu'elle désigne soient ou non identiques ou similaires à ceux pour laquelle la marque antérieure est enregistrée ou demandée et que son usage sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu'il leur porterait préjudice.
26. Les services pour lesquels la marque litigieuse a été déposée en classe 35, 36, 41, 42, 45 ne présentant aucune identité ou similitude avec les produits pour lesquels les marques antérieures CENTAURE, verbales et figuratives, ont été déposées, la nullité de la marque INSTITUT CENTAURE ne peut être poursuivie que sur le fondement du 2° de l'article L 711-3- I, visant l'hypothèse de l'atteinte à une marque antérieure renommée de sorte que le succès de l'action de la société E.[N] [P] & Co suppose que soit préalablement établi le caractère de renommée des marques antérieures.
27. Enfin, un débat est instauré par la société E.[N] [P] quant à la possibilité pour la cour de faire application de l'article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, lequel fondement a été écarté par l'INPI comme n'instaurant pas une action en nullité de marque.
28. De manière contradictoire, la société E.[N] [P] &Co convient finalement (ses conclusions page 10) que sa demande en nullité est formée contre la marque verbale INSTITUT CENTAURE sur le fondement de l'article L 711-3, I, 2° du code de la propriété intellectuelle, dans sa version résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2019, pour finalement viser dans ses développements sur l'atteinte à la marque de renommée, les dispositions de l'article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle.
29. Cependant ces dernières dispositions, en ce qu'elles prévoient qu'est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe identique ou similaire à la marque jouissant d'une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice, sont étrangères à la présente procédure en nullité de marque telle qu'elle ressort de la compétence de l'INPI et par conséquent du présent recours, en ce qu'elles visent à sanctionner l'usage d'un signe quand seul le premier vise à sanctionner l'usage d'une marque identique ou similaire.
30. C'est donc bien sur le fondement des dispositions de l'article L 711-3, I, 2°, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2019, que sera tranché le présent litige.
31. Il convient en conséquence de s'interroger d'abord sur la renommée des marques antérieures CENTAURE, verbale et figurative, avant de se déterminer sur une éventuelle atteinte à leur renommée.
1° ) Sur la renommée des marques antérieures :
32. Le directeur de l'INPI a retenu dans la décision soumise à la cour d'appel de renvoi la renommée des marques antérieures de la société E.[N] [P] & Co, entreprise figurant parmi les premiers vendeurs de cognac au monde et faisant usage de l'emblème du centaure depuis 1870, de sorte que les deux marques antérieures jouissaient d'une renommée à la date du dépôt de la marque litigieuse par la société CGI, en association avec la marque [N] [P], comme étant connue d'une partie significative du public concerné par les produits et services qu'elle désigne au regard des éléments pertinents de la cause, et ce n'est que sur l'étude du lien opéré par le public entre les signes en présence que la demande en nullité de la marque a été rejetée alors que 'les produits couverts par la marque antérieure sont si différents de services de la marque contestée'.
33. La société CGI, sans contester la renommée de la marque [N] [P], observe au contraire que le terme centaure ou le logo du centaure revendiqués par la société appelante ne jouissent d'aucune renommée propre en dehors de leur association avec la marque de renommée [N] [P], de sorte que seule cette dernière ou la Maison [N] [P] jouissant d'une renommée en France sont en droit de bénéficier de la protection attachée à une telle marque en dehors du principe de spécialité, le centaure n'ayant jamais que valeur accessoire ou décorative, sans existence autonome.
34. La société E.[N] [P] & Co conclut au contraire à la confirmation de la décision entreprise de ce chef faisant valoir avec l'INPI que la grande renommée de la marque [N] [P], n'est nullement exclusive de la renommée des marques CENTAURE, qu'elles soient exploitées seules ou en association avec la marque [N] [P], alors qu'elles sont connues depuis 1930 des amateurs ou professionnels de spiritueux et notamment du [Localité 8].
Sur ce :
35. Pour pouvoir prétendre à la protection des marques antérieures CENTAURE, verbale et figurative, au titre de l'atteinte à une marque renommée, la société E.[N] [P] doit établir que les marques CENTAURE sont connues d'une partie significative du public concerné par les produits ou services qu'elle désigne, étant admis que le niveau de renommée est déterminé au regard de l'ensemble des éléments pertinents de la cause que constituent la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage ainsi que l'importance des investissements réalisés pour la promotion de la marque.
36. En l'espèce, la renommée de la marque [N] [P] n'est nullement remise en cause, ni même la renommée des marques CENTAURE 'en association avec la marque [N] [P]', ainsi que l'a retenu l'INPI, qu'il s'agisse de la marque verbale ou du logo, la sarl CGPI ne remettant en cause que la renommée intrinsèque des marques CENTAURE pour leur contester le droit à une protection propre.
37. La présente action, dirigée contre la société CGPI en nullité de sa marque INSTITUT CENTAURE comme portant atteinte à une marque renommée, oblige la société E.[N] [P] à établir la renommée intrinsèque des dites marques pour désigner des spiritueux et notamment des cognacs.
38. Il résulte des pièces versées aux débats que les marques CENTAURE avaient, à la date du dépôt de la marque INSTITUT CENTAURE, le 20 juin 2019, acquis une renommée propre auprès du public pertinent, c'est-à-dire le public français, amateurs de spiritueux, liqueurs et plus particulièrement du cognac, professionnel ou non.
39. Ainsi, les nombreux éléments retenus par le Directeur de l'INPI et mis en avant par la société E. [N] [P], permettent incontestablement de retenir que non seulement les marques antérieures CENTAURE ont acquis une renommée en association avec la marque [N] [P] & Co mais également, comme ressortant notamment de très nombreuses coupures de presse parues entre 1991 et ce jour, que les marques antérieures 'CENTAURE', que ce soit la marque verbale ou le logo, déposées par la société [N] [P] étaient, dès avant le dépôt de la marque litigieuse, étaient devenues à ce point indissociables de cette dernière que si la marque E. [N] [P] est associée aux marques CENTAURE, ces dernières ont acquis seules un fort pouvoir évocateur renvoyant à la société E.[N] [P], leur renommée respective bénéficiant l'une à l'autre.
40. Ainsi est il établi que la maison [N] [P] est couramment désignée comme 'la Maison au Centaure', 'la marque au Centaure', sans association nécessaire à la marque [N] [P].
41. En effet, si dans de nombreuses coupures de presses les deux marques sont associées, il apparaît que la marque CENTAURE est également devenue un moyen de communication et qu'elle est alors seule suffisamment évocatrice du cognac et de la maison [N] [P] comme il résulte notamment d'un article paru dans le quotidien 'La journée viticole' du 29 juin 2001rappelant que le centaure était l'emblème et porte parole de la marque, un article paru dans le journal Sud-Ouest le 7 juillet 2003 mais également le Figaro magazine du 13 septembre 2003 faisant la promotion du lancement d'une collection de cognacs millésimés dénommée 'Collection du Centaure' ou un article des Echos paru en août 2000 évoquant 'la vieille marque au Centaure' de même que des articles parus dans la Charente Libre le 3 janvier 2004 ou le 2 avril 2005, le paysan Vigneron en mai 2005, Sud-ouest de mai 2010, les Echos du 14 août 2010, Planet vins & spiritueux d'octobre 2011 où la marque [N] [P] est qualifiée' marque au Centaure', un article paru dans cuisine & vins du mois de décembre/janvier 2007, titré 'la belle histoire du cognac' où il est rappelé que le centaure, emblème de la maison E.[N] [P], est l'un des premiers logos de l'histoire.
42. Il est également produit plusieurs articles parus en 2023/2024 pour les 300 ans de la maison E. [N] [P] ou 2024/2025, rappelant que le centaure est le logo de la maison depuis 1870.
43. Il en ressort que les marques en litige étaient également très largement connues en tant que telles du public concerné évoquant le cognac et la maison E.[N] [P] et qu'il ne peut être prétendu que seule la société E.[N] [P] avait acquis une renommée dont bénéficiait les marques CENTAURE, la société E.[N] [P] bénéficiant elle-même de la renommée propre acquise au fil du temps par les marques CENTAURE auxquelles elle se trouvait associée par effet de miroir.
44. La société E. [N] [P] justifie également qu'en 2006, soit antérieurement au dépôt de la marque litigieuse, la société [N] [P] représentait 24 % des parts du marché français dans le secteur du VSOP et a continué d'augmenter pour atteindre 30,5 % en 2011 et un chiffre d'affaires de 735,5 millions, ce qui permet de donner une idée de l'importance du rayonnement en France de la marque [N] [P], donnant également la mesure de la notoriété du Centaure qui lui est étroitement associé.
45. Il est encore produit de nombreuses photographies de publicités géantes de bouteilles de [Localité 8] de la marque E. [N] [P], implantées dans toute la ville de [Localité 8], et présentant au premier plan le logo du centaure tout aussi présent que la marque [N] [P].
46. Par ailleurs, il est établi que les cognacs commercialisés par la société E.[N] [P], ont emporté diverses récompenses sous les marques antérieures comme notamment en 2011, deux récompenses pour sa bouteille 'Centaure de diamant', plusieurs récompenses entre 1982 et 2010, pour des bouteilles ' [Localité 8] masters 2010 by the spirits business' ou le 'flexo star 1991" ou pour une caisse de cognac sur laquelle est apposée la marque figurative antérieure.
47. Il est encore attesté par des professionnels notamment du BNIC la forte renommée de la marque 'Centaure', verbale ou figurative, sur le territoire français, la maison [N] [P] étant devenue 'la Maison au Centaure' certains cognacs n'étant commercialisés que sous la marque 'Centaure' ou 'Centaure de diamant'.
48. De même, une importante part de la communication digitale, signalétique, avec la presse (Centaure de l'environnement- avril 2018) ou le monde du cinéma ( bouteille 'le Centaure de [Localité 7]'), inclut l'emblème du centaure sans nécessaire association à la marque [N] [P], et, classée parmi les 12 meilleurs sites à visiter au monde, la maison [N] [P], inclut en son sein une célèbre '[Adresse 9]' exposant une collection des emblèmes de la maison.
49. Enfin, la société E.[N] [P], produit plusieurs modèles de marques verbales 'CENTAURE' ou figuratives ayant évolué au fil du temps et représentant un centaure ainsi qu'une liste de prix obtenus exclusivement sous les marques antérieures depuis 1830 jusqu'en 1962, attestant l'ancienneté de l'exploitation des marques antérieures.
50. De l'ensemble il ressort que dans le monde des eaux-de-vie, des spiritueux et du cognac en particulier, les marques antérieures 'CENTAURE', à ce point associées dans le temps à la marque [N] [P], sont devenues un élément fort de sa communication tel qu'elles ont finalement acquis une forte renommée intrinsèque auprès du public pertinent, qui connaît le [Localité 8] aussi bien sous la marque [N] [P] que sous les marques antérieures seules, qu'il s'agisse de la marque verbale ou le logo CENTAURE qui est devenu son emblème, si bien que si la marque [N] [P] est associée aux marques CENTAURE, ces mêmes marques renvoient également à la maison [N] [P] et que, loin d'être seulement 'accessoires' ou purement 'décoratives', elles jouissaient au jour du dépôt de la marque INSTITUT CENTAURE d'une renommée propre, de très longue date, leur conférant le droit à la protection qui y est attachée.
2°) Sur l'atteinte à la renommée :
51. Il y a atteinte à la marque de renommée, en présence d'une identité ou similitude entre les signes en présence, lorsque le public concerné par les produits ou services couverts par la marque est naturellement enclin à établir un lien ou une association entre cette marque et le signe opposé causant à son titulaire un préjudice par la dilution de la distinctivité de la marque de renommée ou le ternissement de celle-ci ou profitant indûment au déposant de la marque litigieuse.
52. Il en va ainsi lorsque la perception d'un signe évoque le souvenir de l'autre dans l'esprit du consommateur.
53. La renommée des marques antérieures ayant été ci-avant retenue, la société E.[N] [P] doit, pour prospérer en son action en nullité de la marque INSTITUT CENTAURE, établir une identité ou similitude entre les signes en présence, l'existence d'un lien entre les marques en conflit et le préjudice résultant pour le titulaire de la marque antérieure de l'usage fait de la distinctivité de la marque ou du profit réalisé par le titulaire de la marque contestée.
* la similitude entre les signes :
54. La société [N] [P] conteste la décision du directeur général de l'iNPI qui si elle a retenu une similitude entre la marque INSTITUT CENTAURE et la marque verbale CENTAURE n'a retenu qu'une faible similitude avec la marque antérieure figurative, la similitude n'étant que conceptuelle.
55. Les sociétés intimées demandent la confirmation de la décision de ce chef.
Sur ce :
56. La similitude entre les signes en présence est une condition de l'atteinte à la marque de renommée.
57. Or, en l'espèce, à défaut d'être strictement identique, la marque verbale INSTITUT CENTAURE, présente une forte similitude avec la marque verbale Centaure.
58. En effet, ainsi que pertinemment retenu par l'INPI, dans la marque INSTITUT CENTAURE, pour désigner les services en classes 35, 36, 41, 42 et 45, seul le terme CENTAURE est distinctif, le terme INSTITUT étant purement descriptif et, contrairement à ce que soutient la société Strateginvest, n'a aucune originalité pour désigner une entreprise de service, de sorte que tant verbalement que visuellement ou intellectuellement, la référence dominante est dans les deux marques qui s'opposent celle du centaure et qu' il en ressort même une impression d'ensemble permettant de conclure à leur grande similarité.
59. En cela, elle présente, contrairement à ce qu'a retenu l'INPI, également de fortes similitudes avec la marque figurative représentant le centaure, car si la marque antérieure est purement figurative et ne se prononce pas de sorte que ne sera pas examinée sa perception phonétique de manière autonome, elle représente visuellement un centaure et fait une référence intellectuelle unique au terme de la mythologie grecque désignant une créature hybride à buste d'homme et corps de cheval.
60. Or, le public concerné par les marques antérieures, qui est un public moyen à grand public, est bien en capacité d'associer le logo au terme 'centaure'.
61. Au contraire, l'intimée peine à convaincre la cour que le public concerné serait en mesure de distinguer entre les différentes représentations du centaure tant dans leur tradition iconographique qu'intellectuelle alors qu'en outre doit être retenue l'impression d'ensemble laissée par les signes plutôt que leurs dissemblances.
62. La marque verbale litigieuse, en ce que son unique terme distinctif est également le terme CENTAURE, contient la même référence tant phonétique que visuelle ou intellectuelle à ce terme de la mythologie grecque qui dans les deux marques retient toute l'attention d'un public lequel, dans le cas des services proposés par la marque litigieuse, est un public de culture moyenne à élevée. En effet, dans les deux marques, la référence au centaure, qu'il s'agisse du terme ou de l'image par laquelle il est généralement représenté, apparaît univoque et peu susceptible d'interprétations ou de divergences de représentations, de sorte que l'impression globale est en faveur d'une grande similarité entre les signes en présence, la marque INSTITUT CENTAURE, d'une part, et les marques CENTAURE antérieures, tant verbale que figurative, d'autre part.
* le lien entre les marques :
63. Il est reproché à l'INPI d'avoir, pour écarter l'existence d'un lien suffisant entre les marques en litige dans l'esprit du public pertinent, retenu uniquement la grande dissemblance entre les produits et services visés de telle sorte que ce public qui, s'agissant des services visés par la marque seconde est un public spécialisé, ne sera pas enclin à établir un lien et, ce faisant, de n'avoir tenu aucun compte des conditions d'usage du signe similaire dont le rayonnement est limité à la région de [Localité 8].
Sur ce :
64. Ce qui est ici susceptible de porter préjudice pour le titulaire des marques antérieures renommées ou un bénéfice pour la marque litigieuse, c'est le lien que le public concerné par la marque renommée est amené à établir entre les signes même s'il ne les confond pas. Ce lien est apprécié en regard des éléments pertinents de la cause dont participent à la fois le degré de similitude entre les signes et entre les produits et services visés par la marque, l'intensité de la renommée antérieure et son degré de distinctivité intrinsèque ou acquis par l'usage, de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public.
65. La seule renommée d'une marque ne permet pas de présumer l'existence d'un risque de confusion du seul fait de l'existence d'un risque d'association, lequel doit être démontré.
66. Par ailleurs, le fait que les publics soient amenés à se chevaucher est un élément à prendre en considération pour apprécier la possibilité d'un tel lien dans l'esprit du public. En effet en présence de publics qui s'excluent, au regard des services visés, l'existence d'un lien sera peu probable, mais en raison de la forte renommée de la marque antérieure,
sa connaissance peut s'étendre au delà du public qu'elle vise.
67. Or, les marques antérieures CENTAURE bénéficient d'une très forte renommée dans le monde des spiritueux et du cognac dans toute la France mais également dans la région de [Localité 8], dans ce cas auprès d'un plus vaste public en raison du fort rayonnement de la marque sur la ville de [Localité 8] et sa région d'autant plus qu'elles sont particulièrement distinctives pour désigner les produits concernés par la marque.
68. De même, le terme CENTAURE est particulièrement distinctif pour désigner les différents services, publicité, gestion commerciale, assurances, banque, enseignement et formation, développement et création de programmes informatiques couverts par la marque litigieuse, alors que la société CGPI, comme Strateginvest, est une société de services implantée à [Localité 8], ne contestant pas utilement être destinée à une clientèle locale proposant sous la marque INSTITUT CENTAURE de nombreux services plus ou moins spécialisés à des professionnels comme à des particuliers et couvrant un éventail de besoins de la vie de tous les jours tels les crédits, les assurances ou l'informatique.
69. Si les produits et services en cause sont en l'espèce radicalement différents, il ne peut cependant être retenu qu'ils s'excluent puisqu'étant de registres différents mais pas antinomiques.
70. Par ailleurs, la diversité des services proposés par la marque aux professionnels comme aux particuliers est telle qu'elle vise nécessairement un éventail important de la population de [Localité 8] et pas nécessairement un public très spécialisé (crédits, assurances....) contrairement à ce qu'a retenu l'INPI, de sorte que la clientèle de la marque litigieuse peut être amenée à se chevaucher avec celle des marques antérieures, amateurs de spiritueux et cognac, et que le signe en litige est de nature à attirer fortement l'attention du public cognaçais concerné par la marque litigieuse lequel, sans toutefois les confondre, sera naturellement amené à opérer un lien avec les marques antérieures, nonobstant la dissemblance entre les produits et service concernés.
71. La marque INSTITUT CENTAURE est ainsi susceptible de porter atteinte à la renommée des marques antérieures de sorte qu'il convient de rechercher l'existence d'un usage sans juste motif de la marque INSTITUT CENTAURE qui tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qui lui porterait préjudice.
* Sur l'existence d'un profit indu pour la société CGPI ou Strateginvest ou d'un préjudice pour la société E. [N] [P] :
72. La société E. [N] [P] tire argument de la grande renommée des marques antérieures, de l'implantation de la marque litigieuse sur la région de [Localité 8] et de la référence constante faite par les intimées notamment sur leur site au monde du cognac avec une représentation sans autorisation du chai historique [N] [P] et des références aux marques et '[N] [P]' pour en déduire d'une part, une dilution ou un ternissement de l'image de sa marque mais également au profit des intimées un profit indu, ces sociétés tirant profit de l'image haut de gamme de la marque litigieuse.
73. Les intimées font au contraire valoir que le profit indu ou le préjudice ne sauraient uniquement résulter de la renommée de la marque antérieure et doit au contraire être établi, notamment par la démonstration d'une modification du comportement des consommateurs.
Sur ce :
74. Se prévalant de l'atteinte portée à sa renommée par dilution ou ternissement de son image, il appartient à la société E.[N] [P] de rapporter la preuve d'une modification ou d'un risque de modification du comportement des consommateurs à son égard, ou d'un impact négatif engendré par le lien entre les marques ce dont elle s'abstient, son affirmation de ce chef n'étant étayée par aucun élément, alors même que cette atteinte à la renommée ne saurait résulter de la seule renommée de la marque antérieure.
75. En revanche, il est établi par les pièces versées aux débats que la société CGPI aux droits de laquelle vient la société Strateginvest a, au coeur du berceau du [Localité 8], déposé pas moins de trois marques incluant le terme CENTAURE ou le logo , marque de renommée participant de la renommée de la maison [N] [P], l'une des plus grandes et plus anciennes maison de [Localité 8], alors même qu'elle n'indique pas en quoi le centaure constituait un signe utile à son activité ; qu'elle a de même inscrit une grande partie de sa communication digitale autour du centaure mais également du [Localité 8] et de la maison [N] [P] dont les chais sont reproduits sur son site internet.
76. Le dépôt des marques litigieuses s'inscrit en conséquence pleinement dans une démarche parasitaire ayant consisté pour les intimées à se placer dans le sillage des marques renommées 'CENTAURE' et de la société [N] [P], en profitant de leur très grande renommée et des investissements publicitaires effectués pour leur promotion, ce qui suffit à caractériser un profit indu et une atteinte effective aux marques renommées 'CENTAURE' et .
77. Il convient en conséquence d' annuler la marque INSTITUT CENTAURE pour atteinte aux marques renommées 'CENTAURE' et de la société E.[N] [P], par infirmation de la décision entreprise.
78. Par voie de conséquence, la décision du directeur de l'INPI est également infirmée en ce qu'elle a mis à la charge de la société E. [N] [P] une somme de 550 euros au titre des frais exposés.
79. Au vu de l'issue du présent recours, les sociétés CGPI et Strateginvest seront tenues in solidum à payer à la société E.[N] [P] une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la cour statuant sans dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Strateginvest.
Infirme la décision du Directeur général de l'INPI NL 21-0108.
Statuant à nouveau des chefs réformés :
Dit que les marques, verbale 'CENTAURE' n° 1297702 déposée le 19 février 1985 puis renouvelée, pour désigner en classe 33 les produits ' [Localité 8], eaux-de-vie, spiritueux divers' et figurative ' ' n° 1424010, déposée le 21 août 1987, puis renouvelée pour désigner en classe 33 les mêmes produits sont des marques de renommée.
Prononce l'annulation de la marque verbale INSTITUT CENTAURE n°19/4561533 déposée le 20 juin 2019 par la sarl Consulting gestion privée ingénierie (CGPI) et publiée au BOPI n°2020-12 du 20 mars 2020.
Condamne in solidum la sarl Consulting gestion privée ingénierie (CGPI) et la société Strateginvest à payer à la société E.[N] [P] une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statue sans dépens.
Dit que le présent arrêt est notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception par le greffe aux parties et au directeur général de l'INPI.
Le présent arrêt a été signé par Bénédicte LAMARQUE, conseiller, en remplacement de Paule POIREL, Présidente légitimement empêchée, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,