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Décisions

CA Lyon, ch. soc. a, 17 septembre 2025, n° 21/08982

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/08982

17 septembre 2025

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/08982 - N° Portalis DBVX-V-B7F-OAA5

Société KEOLIS [Localité 6]

C/

[P]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 25 Novembre 2021

RG : F 19/02882

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2025

APPELANTE :

Société KEOLIS [Localité 6]

RCS DE LYON N° 308 077 635

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Nazanine FARZAM de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Charlotte RODRIGUEZ, avocat au même barreau

INTIMÉ :

[N] [P]

né le 26 Novembre 1989 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Fatima TABOUZI, avocat au barreau de LYON

PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE

Syndicat CGT DES TCL

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Fatima TABOUZI, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mai 2025

Présidée par Catherine MAILHES, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Anne BRUNNER, conseillère

- Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 17 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [N] [P] (le salarié) a été engagé le 24 juin 2013 par la société Keolis [Localité 6] (la société) par contrat à durée indéterminée en qualité de conducteur receveur.

Les dispositions de la convention collective des transports publics urbains-réseaux de voyageurs sont applicables à la relation contractuelle.

La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment de la rupture des relations contractuelles

Le 1er juillet 2019, le salarié a été victime d'un accident du travail. Alors qu'il se trouvait au terminus Porte des Alpes de son bus d'affectation (le C17), il a chuté en descendant les marches du poste de conduite de son bus.

Le salarié a été placé en arrêt de travail.

Le 25 juillet 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 6 août 2019.

Le 9 août 2019, le salarié a été convoqué à son audition devant le conseil de discipline et à sa comparution devant le conseil de discipline.

Le 21 août 2019, le conseil de discipline a émis l'avis suivant : 3 voix en faveur d'un licenciement pour faute grave ; 3 voix en faveur d'une absence de sanction.

Par courrier recommandé du 27 août 2019, la société KEOLIS [Localité 6] notifiait à M. [P] son licenciement pour faute grave lui reprochant d'avoir cherché à aggraver ses lésions consécutives à l'accident du travail.

Le 13 novembre 2019, M. [P], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir dire nul son licenciement et voir la société Kéolis Lyon condamnée à lui verser :

une indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés afférente,

une indemnité de licenciement,

des dommages-intérêts en réparation du préjudice financier résultat de la perte du droit au maintien des salaires conformes à l'article 44 Section 3 de la convention collective

des dommages et intérêts pour licenciement nul outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Syndicat CGT des TCL est intervenu volontairement afin d'obtenir la réparation dans réparation de son préjudice résultant de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession ainsi qu'une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

La société Kéolis [Localité 6] a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 18 novembre 2019.

Le salarié a saisi le bureau de conciliation d'une demande de communication, par la société Keolis [Localité 6], du relevé de vidéosurveillance enregistré le 1er juillet 2019 au sein du bus de la ligne C17 qu'il conduisait le jour de l'accident.

Le 25 janvier 2021, la formation du bureau de conciliation et d'orientation s'est déclarée en partage de voix et a renvoyé devant le bureau de jugement présidé par le juge départiteur.

Devant le juge départiteur, le salarié a ajouté à ses demandes initiales, une demande de voir dire irrecevables les " rapport d'exploitation vidéo " et le " document de synthèse ", ainsi qu'une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'usage disproportionné de la vidéoprotection et de l'exécution déloyale de son contrat de travail.

La société Keolis [Localité 6] s'est opposée aux demandes du salarié et du syndicat CGT et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de ceux-ci et au versement de la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 25 novembre 2021, le juge départiteur, statuant seul, après avoir recueilli l'avis des conseillers présents a :

- écarté des débats la pièce n° 11 (rapport d'exploitation vidéo) produite par la société Keolis [Localité 6] ;

- dit que le licenciement de M. [P] est nul ;

- condamné la société Keolis [Localité 6] à verser à M. [P] les sommes de :

o 5 537,04 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 553,70 € au titre des congés payés afférents ;

o 4 381,20 € à titre d'indemnité de licenciement ;

o 17 000 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

o 1 500 € de dommages et intérêts pour usage disproportionné de la vidéoprotection et exécution déloyale de l'employeur ;

- rappelé que l'employeur doit transmettre les documents de fin de contrat en application des dispositions des articles L.1234-19 et R.1234-9 du Code du Travail ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la société Keolis [Localité 6] à verser à M. [P] la somme de 1 600 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- débouté le Syndicat CGT des TCL de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- débouté la société Keolis [Localité 6] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- rappelé que les condamnations au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, du salaire et de l'indemnité conventionnelle de licenciement sont assortis de plein droit de l'exécution provisoire selon les dispositions de l'article R. 1454-28 du Code du Travail ;

- fixé pour l'application de ce texte la moyenne des salaires à la somme de 2 755,37 euros;

condamné la société Kéolis [Localité 6] aux dépens.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 20 décembre 2021, la société Kéolis [Localité 6] interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 26 novembre 2021.

L'objet de la demande du présent appel est : faire droit à toutes exceptions de procédure, annuler, sinon infirmer et à tout le moins réformer la décision déférée L'appel porte sur les chefs du jugement expressément critiqués ayant : - écarté des débats la pièce n° 11 (rapport d'exploitation vidéo) produite par la Société KEOLIS [Localité 6] - dit que le licenciement de Monsieur [P] est nul - condamné la Société KEOLIS [Localité 6] à verser à Monsieur [P] les sommes de : avec intérêts au taux légal à compter du 18 novembre 2019 date de réception de la convocation par l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation valant mise en demeure * 5 537,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 533,70 euros au titre des congés payés afférents * 4 381,20 euros à titre d'indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement - 17 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse - 1 500 euros de dommages et intérêts pour usage disproportionné de la vidéoprotection et exécution déloyale de l'employeur - rappelé que l'employeur doit transmettre les documents de fin de contrat en application des dispositions des articles L.1234-19 et R.1234-9 du code du travail - débouté la Société KEOLIS [Localité 6] du surplus de ses demandes - condamné la Société KEOLIS [Localité 6] à verser à Monsieur [P] la somme de 1 600 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile - débouté la Société KEOLIS [Localité 6] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile - fixé la moyenne des 3 derniers mois de salaire à la somme de 2 755,37 euros - condamné la Société KEOLIS [Localité 6] aux dépens.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 21 mars 2025, la société Keolis [Localité 6] demande à la cour de :

juger irrecevable l'intervention volontaire du Syndicat CGT des TCL en application des dispositions de l'article 554 du Code de procédure civile ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice financier résultant du droit au maintien de salaire conventionnel et du surplus de ses demandes ;

Infirmer le jugement en ce qu'il :

- a jugé irrecevable sa pièce n° 11 (" rapport d'exploitation vidéo ") ;

- a jugé que le licenciement pour faute grave de M. [P] était nul,

- l'a condamnée à verser à M. [P] les sommes suivantes :

o 5 537,04 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 552,70 € à titre de congés payés afférents ;

o 4 381,20 € à titre d'indemnité de licenciement ;

o 17 000 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- a jugé qu'elle aurait procédé à un " usage abusif et disproportionné de la vidéosurveillance " vis-à-vis de M. [P] ;

- l'a condamnée à verser à M. [P] la somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour usage disproportionné de la vidéoprotection et exécution déloyale du contrat ; -

- l'a déboutée du surplus de ses demandes ;

- l'a condamnée à verser à M. [P] la somme de 1 600 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 26 août 2024, M. [P], ayant fait appel incident, demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement et statuant à nouveau, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement pour faute grave notifié le 27 août 2019 est nul, jugé que la société KEOLIS [Localité 6] avait porté une atteinte excessive aux libertés individuelles en raison de l'usage disproportionné de la vidéoprotection et de l'exécution déloyale de son contrat de travail, condamné la SA KEOLIS [Localité 6] à lui verser les sommes de 537,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 553,70 euros de congés payés afférents, 4 381,20 euros à titre d'indemnité de licenciement, 1 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du code de procédure civile ;

- juger que les éléments de preuve communiqués par la société Keolis sont illicites et déloyaux;

- juger que la production des enregistrements audio issues du système de vidéoprotection n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur et proportionnée au but poursuivi ;

- juger irrecevable le " document de synthèse " communiqué en pièce n°11 par la société Keolis [Localité 6] ;

- condamner la SA Keolis [Localité 6] à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- condamner la société Keolis [Localité 6] à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier résultant de la perte du droit au maintien des salaires conforme à l'article 44 Section 3 de la Convention Collective des Transports Publics Urbains de Voyageurs ;

- condamner la société Keolis [Localité 6] à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice résultant de l'atteinte excessive à ses libertés individuelles résultant de l'usage disproportionné et excessif de la vidéoprotection et de l'exécution déloyale de son contrat de travail ;

- condamner la société Keolis [Localité 6] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La clôture des débats a été ordonnée le 10 avril 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la pièce n°11 de la société Keolis [Localité 6] :

Pour solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il a jugé irrecevable sa pièce n°11 (rapport d'exploitation vidéo), la société fait valoir que :

- conformément aux articles L. 252-3 et L. 252-5 du code de la sécurité intérieure, elle est tenue, de supprimer, au-delà d'un délai d'un mois, les images de vidéosurveillance collectées ;

- ces images ont fait l'objet d'une retranscription écrite (rapport d'exploitation vidéo du 9 juillet 2019) par une personne habilitée et ont été visionnées par M. [P] le 24 juillet 2019;

- le rapport d'exploitation vidéo a été rédigé le 9 juillet 2019 par M. [T], superviseur PC sécurité, personne habilitée par arrêté préfectoral et agent assermenté, qui a la possibilité d'accéder et visualiser les images enregistrées ;

- le rapport d'exploitation vidéo est objectif, sa force probante incontestable et les heures retranscrites démontrent qu'il est exhaustif ;

- le salarié a bien été informé de la présence de caméras dans le bus et de leur finalité;

- selon la charte d'éthique Vidéoprotection, le système de vidéoprotection :

o a pour finalité de contribuer à la prévention des accidents, des atteintes aux personnes et aux biens, ainsi qu'à la gestion des incidents et des crises et n'a pas pour finalité d'organiser la surveillance des salariés ;

o " à titre complémentaire " (c'est-à-dire, à titre de fonction " incidente "), la vidéoprotection pourra être utilisée dans le cadre de procédures internes de l'entreprise, telles que l'analyse des accidents du travail, cette finalité ayant été validée par le Préfet du Rhône;

- cette charte a été annexée au règlement intérieur, le conseil de prud'hommes et l'Inspection du Travail ayant été avisés par courrier du 24 octobre 2018, de la modification de la charte portant sur le déploiement du son et le CSE ayant été préalablement consulté;

- la finalité de la vidéoprotection est d'assurer la protection des personnes et des biens et non de surveiller ou contrôler l'activité des salariés ;

- il n'y a pas de débat sur la matérialité des faits que le salarié a reconnu dans le document de synthèse qu'il a rempli le 15 juillet 2019, dans la demande d'autorisation d'accès à la vidéo et lors de l'entretien préalable du 6 août 2019 ;

- le premier juge a appliqué le régime de la vidéosurveillance alors qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'elle a mis en place un système de vidéoprotection, or les règles applicables à la vidéoprotection ne sont pas les mêmes ;

- c'est l'appel radio qui a permis l'enregistrement de la communication avec le PC Sécurité et non le son des caméras ;

- les caméras ne sont pas braquées sur le poste de conduite et filment essentiellement les entrées et sorties du bus ;

- le rapport de vidéoprotection n'est pas un fichier nominatif ;

- la pièce n°11 constitue l'élément essentiel permettant de démontrer la faute grave du salarié et est indispensable à l'exercice de son droit à la preuve ;

- seul le compte-rendu des images vidéo permet de prendre la mesure de l'exact comportement adopté par le salarié le 1er juillet 2019 ;

- la production de cette pièce ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie personnelle de M. [P].

Le salarié objecte que :

- la société Kéolis [Localité 6] s'appuie sur un rapport d'exploitation vidéo " rédigé le 2 décembre 2020 censé retranscrire la matérialité des faits survenus le 1er juillet 2019 ;

- cette preuve est illicite car la société ne disposait du droit de capter le son et d'utiliser les enregistrements dans un cadre disciplinaire ;

- l'autorisation préfectorale " d'installation d'un système de vidéoprotection " dans les bus du réseau de transports urbain assimilés à des lieux ouverts au public ne fait aucune référence aux microphones ou à la captation du son ;

- la société a donc fondé le licenciement sur des écoutes captées illégalement ;

- le rapport vidéo porte atteinte aux prescriptions de l'arrêté préfectorale qui interdit expressément la création de fichiers nominatifs ;

- la société n'a pas respecté l'article L. 1222-4 du code du travail en ne l'informant pas personnellement de l'utilisation de la vidéoprotection afin d'instruire les accidents du travail et contrôler son activité ;

- la société a communiqué deux chartes éthiques concernant l'utilisation de la vidéoprotection, l'une rédigée le 20 décembre 2007 et l'autre rédigée le 28 aout 2018 introduisant la possibilité d'utiliser à titre complémentaire la vidéoprotection à l'appui du pouvoir disciplinaire et de l'instruction des dossiers d'accident du travail mais elle ne justifie pas avoir introduit les chartes en respectant l'ensemble des conditions relatives à la modification du règlement intérieur et notamment la consultation du CSE ;

- cette preuve est également déloyale puisque le 11 septembre 2018, les élus du CSE ont été informés et consultés par la direction de la société sur un " projet de déploiement du son dans la vidéo protection " dont l'objectif était le " renforcement de la sécurité de notre personnel : caractérisation des atteintes verbales (ex menaces de mort) dans le cadre des procédures judiciaires -et le phasage avec l'état de l'art en matière de vidéoprotection ";

- l'objet de l'audio protection a ainsi été détourné ;

- les images de vidéoprotection ne pouvaient être extraites que pour transmission au parquet s'agissant des faits ayant une nature pénale ;

- le but poursuivi par la société Keolis [Localité 6] lorsqu'elle a extrait les images et le son du système d'exploitation vidéo était de réduire son taux de cotisation accident du travail et n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur ni proportionnée au but poursuivi.

***

Selon l'article L. 1222-4 du code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.

Selon l'article L. 2312-38 du code du travail, le comité social et économique est informé, préalablement à leur utilisation, sur les méthodes ou techniques d'aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de celles-ci.

Il est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l'entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci.

Le comité est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en 'uvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés.

Selon l'article 5 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données ou RGPD), les données à caractère personnel doivent être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée, être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités et être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.

Selon l'article 6 § 1 du même texte, un traitement de données à caractère personnel n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :

a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ;

b) le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ;

c) le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ;

d) le traitement est nécessaire à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d'une autre personne physique ;

e) le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement

f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.

Selon les articles 13 et 14 du RGPD, le responsable du traitement de données personnelles doit délivrer aux personnes concernées des informations relatives notamment aux finalités du dispositif de contrôle, à leur droit d'accès et de rectification, aux coordonnées du délégué à la protection des données.

Il en résulte que l'utilisation de constats réalisés à partir de la captation et du visionnage des images issues du système de vidéoprotection de la société Keolis constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 4 du RGPD, de sorte que l'employeur est tenu au respect des obligations instituées par les dispositions des articles 5, 6, 13 et 14 du RGPD.

Il est précisé que la pièce n°11 dont il est demandé qu'elle soit écartée des débats, " rapport d'exploitation vidéo ", dressé le 9 juillet 2019 par M. [T], superviseur PC Sécurité, est un descriptif des enregistrements vidéo entrecoupés de la relation des propos échangés à l'occasion de la communication radio que le salarié a eu avec le PC sécurité. Il est indiqué sur la page de garde que la caméra exploitée est la " caméra n°1 + son ". Le descriptif débute à l'arrivée du bus au terminus alors qu'il n'y a aucun client dans le véhicule, se poursuit par l'accident du travail et ses suites, s'achève à la prise en charge du salarié par deux sapeurs-pompiers.

La société Keolis verse aux débats :

- l'arrêté préfectoral du 25 septembre 2018 autorisant le fonctionnement du système de vidéoprotection pour le réseau de bus : l'objectif : les finalités du système de vidéoprotection est la sécurité des personnes, la prévention Incendie/Accidents, la prévention des atteintes aux biens, la prévention d'actes terroristes ;

- l'ordre du jour du CSE pour la réunion du 11 septembre 2018, l'un des points abordés étant " information/consultation sur le projet de déploiement du son dans la vidéo protection";

- le projet de déploiement du son dans la vidéoprotection : l'objectif annoncé est le renforcement de la sécurité du personnel et la caractérisation des atteintes verbales par exemple les menaces de mort ;

- la charte d'éthique Vidéoprotection datée du 2 avril 2012, qui mentionne en préambule que la vidéoprotection répond à un souci de prévention de l'insécurité et doit contribuer à la prévention des accidents, des atteintes aux personnes et aux biens, ainsi qu'à la gestion des incidents et des crises ;

- la charte d'éthique Vidéoprotection datée du 28 août 2018, qui mentionne en préambule que " la vidéoprotection pourra être utilisée dans le cadre des procédures internes de l'entreprise, dès lors que les règles en matière de droit du travail sont respectées (ex : incident et accident d'exploitation, analyse d'accidents du travail, droit disciplinaire, etc). ".

L'attestation de Mme [F], responsable développement RH, en date du 21 mai 2021, selon laquelle " En tant que Responsable Pôle Développement Ressources Humaines, dont fait notamment partie le service Recrutement de l'entreprise KEOLIS [Localité 6], je confirme que l'ensemble des documents remis à l'embauche est également disponible à tout moment par tout salarié de l'entreprise sur l'intranet KEONOO. L'ensemble des accords d'entreprise, règlements et chartes y sont disponibles ", est insuffisante à établir que M. [P] a eu connaissance de la charte du 28 août 2018 et des finalités du traitement des données à caractère personnel, dans le but d'analyse des accidents du travail.

Le pictogramme apposé dans les bus ne renseigne pas non plus sur la finalité d'analyse d'accidents du travail.

La société Keolis n'établit donc pas avoir informé le salarié de la finalité de l'utilisation de la vidéoprotection. La pièce n°11, établie à partir des images et du son de la vidéoprotection est une preuve illicite.

Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, l'employeur reproche au salarié un comportement postérieur à l'accident du travail dont il a été victime alors qu'il se trouvait seul dans son bus.

La charge de la preuve de la faute grave pesant sur l'employeur, le rapport d'exploitation vidéo est indispensable au droit à la preuve de la société Keolis. Dans la mesure où la captation en question ne concerne que l'accident du travail et ses suites immédiates jusqu'à ce que le salarié soit pris en charge par les secours, l'atteinte est proportionnée au but poursuivi.

En conséquence, nonobstant son illicéité, il n'y a pas lieu d'écarter des débats la pièce n°11 de la société Keolis et la cour infirme le jugement de ce chef.

Sur la cause du licenciement :

La société Keolis [Localité 6] fait valoir que :

- le 1er juillet 2019, le salarié a chuté en descendant les marches du bus puis a contacté le PC Sécurité et a indiqué qu'il n'arrivait presque plus à marcher ni à se relever correctement et qu'une intervention sur place était nécessaire ;

- le salarié a ensuite adopté un comportement incompréhensible puisqu'après avoir relevé sa chemise, il s'est assis au pied de son siège et s'est frotté, à 4 reprises, le dos contre la marche du poste de conduite, en se tenant en équilibre sur ses bras, a pris en photo son dos, avec son téléphone puis s'est frotté le dos avec un briquet ;

- en agissant ainsi, le salarié a tenté d'amplifier ses lésions, voire d'en créer de nouvelles, afin d'être certain d'être positionné en accident du travail et se livrer à ce nouvelles activités professionnelles avec son frère ;

- le salarié avait un autre projet professionnel en cours et s'était entretenu avec le service formation pour bénéficier d'un CPF afin de passer le permis poids lourds ;

- cette tentative d'aggraver ses lésions aurait pu lui causer préjudice puisque le nombre et la gravité des accidents du travail a un impact sur son taux de cotisations AT/MP ;

- en outre, le salarié aurait pu augmenter son taux d'IPP et une absence prolongée aurait ou avoir des conséquences organisationnelles internes.

Le salarié objecte que :

- le rapport communiqué par la société Keolis [Localité 6] ne retrace pas fidèlement les faits, a été rédigé à charge par l'employeur et est non contradictoire ;

- il a bien été victime d'un accident du travail, a été conduit au service des urgences de l'Hôpital [7] à [Localité 8] où il a été examiné par un médecin qui a délivré le certificat médical initial daté du jour de l'accident au 1er juillet 2019 qui mentionne " Constatations détaillées (siège, nature des lésions ou de la maladie professionnelle, séquelles fonctionnelles) : Contusion lombaire " ;

- le 6 juillet 2019, son médecin traitant lui a prescrit des séances de massage et de rééducation du rachis lombosacré par un kinésithérapeute ;

- ce même médecin atteste qu'il " présente, depuis le 1er juillet 2019, une lombosciatalgie gauche tronquée qui nécessite des séances de kinésithérapie et des antalgiques par voie orale. Il n'a jamais été constaté physiquement des traces d'hématomes ou de plaies pouvant être secondaires à un frottement quelconque. "

***

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en 'uvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :

" Monsieur,

Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave, qui ont motivé votre comparution devant le Conseil de discipline le 21 août 2019 et qui avaient justifié la convocation à un entretien préalable le 6 août 2019.

Le 1er juillet 2019, vous étiez au terminus Porte des Alpes sur la C17. Vous avez déclaré être tombé en quittant votre poste de conduite aux alentours de 14h56, ce qui vous aurait provoqué des douleurs au niveau du dos.

Si vous avez en effet chuté comme l'indique le rapport d'exploitation vidéo, vous avez adopté par la suite un comportement de nature à aggraver ou provoquer des lésions au niveau de votre dos.

En effet, les images du relevé vidéo relèvent que vous avez frotté votre dos à plusieurs reprises contre la marche du poste de conduite après avoir chuté puis que vous avez frotté votre dos avec un objet.

Force est de constater que vous vous frottez le dos en "vous tenant en équilibre sur ses bras", comme le démontre le rapport d'exploitation vidéo alors que vous veniez d'indiquer juste avant au PCS que vous n'arriviez presque pas à marcher et à vous relever correctement.

L'endroit même où vous vous êtes frotté le dos nécessite de votre part des mouvements compliqués qui ne sont pas en adéquation avec la douleur décrite.

En effet, vous avez dû vous accroupir à plusieurs reprises sur la marche en contre bas du poste de conduite, sollicitant de manière inconsidérée votre dos alors même que vous prétendiez "avoir le dos bloqué".

De plus, il apparait que vous avez réalisé cette opération à quatre reprises, alternant les positions debout et accroupies, en relevant votre t-shirt lorsque vous vous êtes frotté le dos contre les marches cherchant ainsi vraisemblablement à vous créer des lésions et marques afin de justifier votre déclaration d'accident du travail.

Nous vous rappelons que votre relation contractuelle avec l'entreprise Keolis [Localité 6] vous impose de faire preuve de loyauté et d'honnêteté dans l'exécution de votre relation de travail.

En cas de non-respect de cette obligation de loyauté, vous commettez une faute susceptible d'être sanctionnée.

De plus, l'article 19 du règlement intérieur stipule que "Tout manquement à la discipline ou à l'une quelconque des dispositions du règlement intérieur et plus généralement tout agissement du salarié considéré comme fautif pourra en fonction de la nature de la faute et/ou de sa répétition faire l'objet de l'une ou l'autre des sanctions classées ci-après par ordre d'importance par l'article 49 de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs (')"

Enfin, dans le cadre de l'accomplissement de vos fonctions, vous vous êtes engagé contractuellement à "observer les dispositions réglementant les conditions de travail applicables à l'ensemble des salariés de l'entreprise ainsi que les règles générales concernant la discipline et la sécurité au travail telles qu'elles figurant dans le règlement intérieur de l'entreprise, des conventions et accords collectifs et des notes de service en vigueur"

Vous avez donc adopté un comportement fautif dans le cadre de l'accomplissement de votre contrat.

Votre conduite inacceptable revêt le caractère d'une faute grave et les explications recueillies auprès de vous au cours de la procédure disciplinaire ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés.

Par conséquence, nous sommes dans l'obligation de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, sans indemnité de préavis ni de licenciement, qui prend effet immédiatement dès envoi de la présente ".

S'il ressort de la pièce n°11 que le salarié s'est effectivement frotté le dos à quatre reprises, après l'accident du travail dont la société ne conteste pas la matérialité, il n'est nullement établi que cette attitude est de nature à aggraver ou provoquer des lésions.

La cour observe que le salarié, qui a été conduit au service des urgences de l'hôpital [7], a été placé en arrêt de travail du 1er au 6 juillet pour " contusion lombaire " puis que cet arrêt de travail a été prolongé par le médecin traitant pour des motifs de " lombo-sciatique droite tronquée ", de lombalgie, de lombo-sciatique gauche, de lombalgie basse et de lombosciatalgie gauche.

Il s'est vu prescrire, le 1er juillet 2019 un antalgique associant du paracétamol et de l'opium et le 6 juillet des séances de massages et de rééducation du rachis lombo-sacré.

Enfin, le salarié verse aux débats un certificat de son médecin traitant en date du 13 septembre 2019, attestant qu'il " présente, depuis le 1er juillet 2019, une lombosciatalgie gauche tronquée qui nécessite des séances de kinésithérapie et des antalgiques par voie orale. Il n'a jamais été constaté physiquement des traces d'hématome ou de plaie pouvant être secondaire à un frottement quelconque. ".

En conséquence, les faits reprochés ne sont pas matériellement établis et la faute grave n'est pas démontrée.

Le licenciement étant intervenu pendant une période de suspension du contrat de travail en raison de l'accident du travail du 1er juillet 2019, la cour confirme le jugement en ce qu'il a dit nul le licenciement.

Sur les conséquences de la rupture :

Sur l'indemnité de licenciement

La société fait valoir que le salarié ne justifie pas du montant de sa demande et fixe le salaire de référence à 2 758,52 euros, sans s'en expliquer.

Elle estime que la moyenne des trois derniers mois de salaire doit être fixée à la somme de 2 263,06 euros, en proratisant la prime annuelle et le montant de l'indemnité de licenciement à la somme de 3 394 ,59 euros.

Le salarié répond que l'indemnité de licenciement doit être fixée à 4 381,20 euros.

***

Conformément à l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 24 septembre 2017, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

Conformément à l'article R. 1234-1 du code du travail, cette indemnité ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l'entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines. En cas d'année incomplète, l'indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets.

Conformément à l'article R. 1234-2 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Selon l'article R. 1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié:

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Lorsque le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie, le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité légal ou conventionnelle de licenciement est selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail.

En l'espèce, la moyenne des trois derniers mois de salaire avant le 1er juillet 2019, ressort à 2 503,39 euros, en tenant compte de la proratisation de la prime de vacances.

Le salarié justifie d'une ancienneté de 6 ans et 4 mois, préavis inclus.

L'indemnité de licenciement ressort à 3 963,70 euros, somme au paiement de laquelle il convient de condamner la société Keolis [Localité 6], le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

La société fait valoir que le salaire de référence est erroné.

Le salarié répond que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 2 758,52 euros.

***

Selon l'article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.

Aux termes de l'article L. 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L. 1235-2.

Selon l'article L. 1234-8, alinéa 2, du code de travail, la période de suspension du contrat de travail n'entre pas en compte pour la détermination de la durée de l'ancienneté.

Le licenciement étant nul, il y a lieu de condamner la société Keolis [Localité 6] au paiement d'une indemnité de préavis de 5 006,77 euros outre la somme de 500,68 euros pour congés payés afférents, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul :

La société fait valoir que le salarié ne justifie pas de son préjudice.

Le salarié répond que la somme allouée en première instance est insuffisante.

***

Aux termes de l'article L. 1235-3-1 dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

[']

6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, la cour estime que le préjudice résultant de la rupture a été justement évalué par le premier juge. Le jugement est confirmé.

Sur la demande en dommages-intérêts pour usage abusif de la vidéoprotection et exécution déloyale du contrat de travail :

La société fait valoir que :

- selon la Charte d'éthique Vidéoprotection, si la finalité principale est la protection des personnes et des biens, la finalité complémentaire est l'analyse des accidents du travail, notamment ;

- elle a sollicité le préfet du Rhône afin de déterminer si des enregistrements issus du système de vidéoprotection pouvaient être utilisés afin d'instruire les accidents du travail et le préfet lui a répondu que c'était possible ;

- elle n'a donc pas détourné la finalité de la vidéoprotection ;

- elle a fait réaliser l'analyse d'impact relative à la protection des données, conformément à l'article 35 du RGPD et en a communiqué le résultat au CSE ;

- c'est en raison de l'absence de toute explication sérieuse donnée par M. [P] quant aux circonstances de son accident et la nature de ses lésions qu'elle a fait le choix de visionner les images vidéo ;

- elle pouvait transmettre à la caisse le compte rendu factuel qui ne contient pas d'information nominative aux termes duquel l'on peut identifier le salarié concerné n'est pas une donnée à caractère personnel.

Le salarié, qui forme appel incident sur le montant des dommages-intérêts alloués à ce titre, objecte que :

- contrairement, à ce qu'elle soutient, la société ne dispose d'aucune autorisation préfectorale lui permettant d'utiliser la vidéoprotection pour analyser l'accident du travail survenu le 1er juillet 2019 ;

- aucune raison objective ne justifiait que la société procède à l'extraction des images de vidéoprotection le 9 juillet 2019, soit neuf jours après la survenance de l'accident, alors qu'aucune réserve n'avait été rédigée sur la déclaration d'accident du travail établie dès le 2 juillet 2019 ;

- en outre, la société a communiqué illégalement les données collectées par son système de vidéosurveillance à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône dans la mesure où un organisme de sécurité sociale n'est pas habilité à recevoir les fichiers nominatifs extraits du système de vidéoprotection ;

- la production d'éléments portant atteinte à sa vie privée n'était pas indispensable au droit à la preuve ni proportionnée au but poursuivi ;

- la société Keolis a porté atteinte à sa dignité en remettant en cause le fait accidentel et les conséquences sur la santé.

***

Selon l'article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.

La seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation.

Il est constant que la société Keolis a procédé au visionnage de la vidéo surveillance et a ainsi porté atteinte à la vie privée du salarié.

Le premier juge a fait une exacte appréciation du préjudice en condamnant la société Keolis [Localité 6] au paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts.

La cour confirme le jugement.

Sur la demande en dommages-intérêts pour perte du droit au maintien des salaires :

Le salarié fait valoir que :

- s'il n'avait pas été licencié il aurait bénéficié du maintien intégral de sa rémunération en vertu de l'article 44 de la Section 3 de la Convention Collective des Transports Publics Urbains de Voyageurs pendant toute la période d'indemnisation de son accident du travail par la caisse primaire d'assurance maladie ;

- il ne perçoit que les indemnités journalières de la caisse primaire d'assurance maladie et subi un préjudice car il a perdu une chance d'obtenir le maintien intégral de sa rémunération.

La société objecte que :

- le salarié ne démontre pas son préjudice.

***

Selon l'article 44 de la convention collective nationale des transports publics urbains de voyageurs " indépendamment des dispositions légales, les agents victimes d'un accident du travail, survenu dans les établissements ou autres lieux du travail, reçoivent le complément de leur solde pendant leur incapacité de travail jusqu'au moment de la consolidation. ['] ".

En cause d'appel, le salarié ne justifie pas de son préjudice

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de ce chef de demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens seront confirmées.

La société Keolis [Localité 6], partie qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

Confirme le jugement en ce qu'il a dit le licenciement nul, a fixé à 17 000 euros le montant de l'indemnité pour licenciement nul, a débouté le salarié de sa demande en dommages-intérêts pour perte du droit au maintien des salaires et fait droit à la demande en dommages-intérêts pour usage de la vidéoprotection ;

L'Infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société Keolis [Localité 6] à payer à M. [P] :

- à titre d'indemnité de licenciement la somme de 3 963,70 euros ;

- à titre d'indemnité de préavis, la somme de 5 006,77 euros outre la somme de 500,68 euros pour congés payés afférents ;

Rappelle que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;

Dit que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la société Keolis de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes le 18 novembre 2019 ;

Y ajoutant,

Condamne la société Keolis [Localité 6] aux dépens de l'appel ;

Condamne la société Keolis [Localité 6] à verser à M. [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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