CA Versailles, ch. com. 3-1, 17 septembre 2025, n° 22/04390
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
EK (SAS)
Défendeur :
EK (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Spitz, Me Sion, Hollier-Larousse & Associés
Exposé des faits
Mme [A] [W], connue sous le pseudonyme [D] [Z] dans le cadre de son activité de styliste, a créé une paire de lunettes caractérisée par une large monture couvrante, commercialisée depuis 1972 sous les références 5050 et 8080 selon l'épaisseur de la monture, sur laquelle elle revendiquait des droits d'auteur et a déposé un modèle français le 9 octobre 1998 sous le n°985810.
Par jugement du 21 mars 1995, le tribunal de commerce de Paris a ouvert à l'égard de Mme [W] une procédure de redressement judiciaire, convertie par jugement du 11 juillet 1995 en liquidation judiciaire. La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 28 décembre 1999.
La société EK [Localité 6] exerçant une activité principale déclarée d'achat et vente de tous produits relatifs à l'optique, exploite les marques portant sur le signe « [D] [Z] » objets d'une licence concédée par la société Global Licence Management à la société EK France, que la société EK [Localité 6] a absorbée le 19 octobre 2011.
Elle a en outre bénéficié pendant trois années d'une licence d'exploitation du modèle n° 985810 et de l''uvre de l'esprit qui en est l'objet accordée par Mme [W] le 15 avril 2015 et qui portait renouvellement du contrat de licence conclu le 16 décembre 2009 avec la société de droit néerlandais Rencorp BV à laquelle s'était substituée la société EK France, absorbée par la société EK [Localité 6].
Par ailleurs, un contrat de prestation de style a été conclu le 8 octobre 2015 entre Mme [W] et la société Global Licence Management, aux droits de laquelle vient la société EK [Localité 6], portant sur la création par Mme [W] de trois collections de vêtements de femme et accessoires de prêt-à-porter pour les saisons hiver 2016, été et hiver 2017.
Mme [W] est décédée le 17 février 2017.
Par testament olographe du 22 janvier 2017, enregistré au greffe du tribunal de grande instance de Paris le 13 avril 2017, elle avait institué Mme [R] [M], son avocate habituelle, légataire à titre particulier. Le legs a été délivré le 30 novembre 2017.
Le contrat de licence du 15 avril 2015, conclu pour une durée de 3 ans, étant arrivé à terme le 15 avril 2018 sans être renouvelé, la société EK [Localité 6] a disposé d'un délai de 120 jours pour écouler son stock.
Exposant avoir découvert que la société EK [Localité 6] exploitait sous les références 5051, 6480 et 5080 des paires de lunettes contrefaisant le modèle n°985810 et utilisait dans le cadre de son activité commerciale l'image de Mme [W] ainsi que ses créations sans autorisation, Mme [M] a, par acte d'huissier du 30 octobre 2019, fait assigner la société EK [Localité 6] en contrefaçon de droit d'auteur et de modèle et en réparation de l'atteinte à l'image et au droit moral de Mme [W].
La société EK [Localité 6] a soulevé l'irrecevabilité de Mme [M] à revendiquer les droits patrimoniaux et moraux de Mme [W] et sollicité l'annulation du contrat de licence, ainsi que la restitution des redevances. Elle a en outre reproché à Mme [M] une rupture brutale des relations commerciales établies et un dénigrement.
Par jugement du 9 juin 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré Mme [M] irrecevable en toutes ses demandes, a prononcé la nullité de l'avenant du 15 avril 2015 conclu entre la société EK Paris et Mme [W], aux droits de laquelle vient Mme [M] en sa qualité de légataire à titre particulier, l'a condamnée à payer à la société EK Paris la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice causé par ses actes de dénigrement et la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Le tribunal a par ailleurs rejeté les demandes reconventionnelles de la société EK [Localité 6] au titre des restitutions consécutives à la nullité, de la rupture brutale des relations commerciales établies et de la perte d'exploitation des modèles.
Le tribunal a considéré que la clôture pour insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de Mme [W] faisait présumer, par l'effet de la loi du 25 janvier 1985, la cession par le liquidateur de tous ses actifs valorisables, hormis son droit moral d'auteur, et que Mme [M], avocate habituelle de Mme [W] et seule à pouvoir détenir les pièces aptes à éclairer la juridiction, ne communiquait aucun élément relatif à la nature des actifs cédés dans le cadre de la procédure collective, ne permettant ainsi pas de renverser la présomption. Il en a conclu que faute d'être titulaire des droits sur le modèle n°985810 et des droits patrimoniaux d'auteur sur l''uvre correspondante, Mme [W] n'avait pu les léguer à Mme [M], qui était dès lors dépourvue de qualité et d'intérêt à agir, sauf en ses demandes relatives à l'atteinte à son droit moral d'auteur.
S'agissant des demandes au titre de la réparation des atteintes portées à l'image, au droit moral de Mme [D] [Z], ainsi qu'aux droits patrimoniaux sur les 'uvres indûment reproduites et représentées sur le site commercial de la société EK Paris, le tribunal, après avoir rappelé l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon, a estimé que Mme [M] confondait le droit moral d'auteur de Mme [W] et ses droits de la personnalité qui se sont éteints avec son décès, qu'elle était confuse quant à la nature des préjudices dont elle poursuivait l'indemnisation et qu'elle n'en justifiait pas le quantum en formulant une demande globale et forfaitaire.
Pour annuler l'avenant du 15 avril 2015 au contrat de licence, le tribunal a jugé qu'il était dépourvu de cause et d'objet puisque Mme [W] avait cédé ses droits d'auteur et ses droits sur le modèle litigieux pendant la procédure de liquidation judiciaire et conclu l'avenant en connaissance d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris du 26 mars 2014 ayant jugé que Mme [W] ne justifiait pas avoir conservé ses droits patrimoniaux à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire, décision dont l'existence avait été dissimulée à la société EK Paris. Il a en revanche débouté cette dernière de sa demande au titre du remboursement des redevances payées, après avoir constaté qu'elle avait pu exploiter les droits concédés en exécution du contrat et qu'il n'était pas possible de déterminer les restitutions réciproques en l'état des pièces produites.
Le tribunal n'a pas retenu l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies du seul fait du non-renouvellement du contrat qui ne comprenait pas de clause de reconduction tacite, ni le caractère fautif de l'interdiction de vendre que lui a adressée Mme [M] qui, selon les premiers juges, ne peut découler de la seule perte antérieure des droits de propriété intellectuelle.
En revanche, le tribunal a estimé que le courrier adressé par le conseil de Mme [M] le 24 juillet 2020 à un opticien dont la société EK Paris est le fournisseur, caractérisait un acte de dénigrement, dès lors qu'il fait expressément référence à un acte de contrefaçon de nature à discréditer la société EK Paris dans ses relations avec son partenaire commercial, alors que Mme [M] avait connaissance de la perte de ses droits.
Enfin, le tribunal a rejeté la demande au titre de la procédure abusive, estimant que la société EK Paris ne démontrait ni le principe, ni la mesure du préjudice invoqué.
Par déclaration du 30 juin 2022 et déclaration rectificative du 4 juillet 2022, visant à régulariser l'erreur matérielle tenant au défaut d'indication du nom de l'intimée, Mme [M] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 août 2022, les instances ont été jointes.
Par conclusions n°4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 29 novembre 2023, Mme [M] demande à la cour de :
- la recevoir en ses demandes, les dire bien fondées et y faisant droit ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a : reconnu qu'elle a bien été instituée légataire à titre particulier des droits patrimoniaux ainsi que du droit d'exercer le droit moral de la créatrice sur la création en débat, ainsi que sur ses autres droits de propriété intellectuelle, reconnu que son action en réparation de l'atteinte au droit moral d'auteur est recevable, reconnu que la société EK Paris s'est substituée aux société EK France et Rencorp BV ' préalablement condamnées pour les mêmes faits par arrêt du 23/09/2009 ' pièce n°34) et se trouve ainsi obligée par les stipulations du protocole d'accord conclu par ces dernières avec la créatrice et notamment par l'article 5 dudit protocole aux termes duquel l'intimée renonce à toute contestation sur la validité des modèles y compris à l'occasion de procédures ultérieures concernant lesdits modèles 8080 et 5050 objet des droits d'auteur revendiqués, reconnu que l'originalité du modèle de lunettes revendiqué est « acquise » et que l'explicitation des caractéristiques originales de l''uvre en débat est livrée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 novembre 2010 (pièce n°49) à laquelle l'intimée accepte de s'en tenir ; rejeté les demandes reconventionnelles indemnitaires contradictoires de l'intimée au titre des restitutions consécutives à la prétendue nullité du contrat de licence exécuté entre les parties et dans le même temps de la réparation de la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies du fait du non renouvellement de ce contrat à son profit ;
- infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau ;
Sur l'atteinte aux droits patrimoniaux concernant le modèle de lunettes litigieux :
- dire et juger que la motivation du jugement selon laquelle elle ne serait pas titulaire des droits patrimoniaux de l'auteur censés avoir été cédés lors de la liquidation de la créatrice et ce en l'absence de revendication du prétendu cessionnaire desdits droits dont l'existence est alléguée sans être démontrée par la personne poursuivie en contrefaçon et en mettant à sa charge la preuve négative de l'absence de cession, le jugement entrepris a violé l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence de la Cour de cassation rendue sur son fondement ;
- dire qu'en la jugeant irrecevable à agir sur le fondement du modèle déposé, la décision dont appel viole l'article L.511-9 du livre V du code de la propriété intellectuelle ;
- dire et juger que la société EK [Localité 6] s'est sciemment rendue coupable de contrefaçon de droit d'auteur et de modèle déposé à son préjudice en exploitant, sous notamment les références commerciales 5080, 6480 et 6482 et 6490 dont elle détient la propriété artistique et dont la licence n'a pas été renouvelée au profit de l'intimée ;
En conséquence sur le fondement des articles L.331-1-3 et L.521-7 du code de la propriété intellectuelle :
- condamner la société EK [Localité 6] à lui verser la somme minimum de 520.650 euros, composée de : 300.000 euros au titre des atteintes aux droits patrimoniaux, montant à parfaire en considération de la durée de l'exploitation de plus de six années au jour du prononcé de l'arrêt par la cour de céans ; 220.650 euros à titre de réparation du préjudice résultant de la perte de perspective de réédition par l'appelante du modèle dont elle est propriétaire pour les six années échues de contrefaçon depuis la terminaison du contrat de licence ;
Sur l'atteinte aux droits moraux concernant le modèle de lunettes litigieux (droit à la paternité et atteinte au respect des 'uvres) :
Sur le fondement des articles L.121-1, L.331-1-3 et L.521-7 du code de la propriété intellectuelle:
- dire et juger que la société EK [Localité 6] a porté une atteinte grave au droit moral à la paternité de la créatrice [D] [Z] dont l'appelante est la gardienne en exploitant quatre références constituant la copie servile du modèle 5050 iconique créé, porté par [D] [Z] et indissociablement attaché à sa personne et en utilisant au mépris d'interdictions expresses et formelles le pseudonyme d'auteur de la créatrice sciemment présenté sur le site commercial de l'intimée comme étant à l'origine de la création des produits proposés à la vente sur ce site ;
- dire et juger que la société EK [Localité 6] a porté une atteinte grave au droit moral à la paternité de l'appelante en reproduisant sur son site commercial l'image du modèle original de lunettes revendiqué en lien avec les contrefaçons de celui-ci vers lesquelles le public est orienté ;
En conséquence, sur le fondement de l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle :
- condamner en conséquence la société EK [Localité 6] au paiement de la somme de 200.000 euros de dommages et intérêts au titre de la réparation de ces atteintes portées aux droits moraux dont elle est la gardienne, somme déjà augmentée par rapport à celle de 150.000 euros demandée aux premiers juges en considération de la 4ème référence contrefaisante découverte et de l'année continue supplémentaire des atteintes et encore à parfaire en considération de l'ampleur et de la durée de l'exploitation contrefaisante au jour du prononcé de l'arrêt par la cour de céans ;
- faire interdiction à la société EK [Localité 6] d'effectuer toute publicité, toute annonce, toute offre de vente et toute vente de paires de lunettes identiques ou similaire au modèle revendiqué et notamment cesser toute commercialisation desdits modèles incriminés et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 2.000 euros par infraction constatée, chaque infraction étant constituée par la fabrication, la détention, la présentation à la presse et à la vente d'une seule paire de lunettes à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- ordonner à la société EK [Localité 6] de détruire l'intégralité des modèles restant en sa possession sous le contrôle d'un huissier de justice et à ses frais dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard ;
Sur l'atteinte aux droits patrimoniaux concernant le slogan :
- dire et juger que la société EK [Localité 6] a porté atteinte au droit moral de la créatrice en reproduisant et en représentant sur son site commercial le slogan « J'aime l'idée que des femmes à travers le monde portent un peu de moi et que je fasse partie de leurs souvenirs, de leurs univers », lequel slogan protégé par le droit d'auteur au profit de la créatrice est historiquement associé à la divulgation de ses collections de vêtements ;
En conséquence,
- condamner la société EK [Localité 6] à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l'atteinte aux droits patrimoniaux sur le slogan ;
Sur l'utilisation à titre commercial de l'image de la célèbre créatrice Mme [Z] en violation de la volonté exprimée par cette dernière :
- condamner la société EK [Localité 6] à lui verser la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts au titre de l'utilisation commerciale de la valeur économique de l'image de la célèbre créatrice Mme [Z] en violation de la volonté exprimée par cette dernière à l'article 2 du contrat de licence exécuté entre les parties ;
- interdire à la société EK [Localité 6] de faire usage, de reproduire et de représenter les citations, créations, le nom patronymique d'auteur et l'image de Mme [D] [Z] en lien avec l'exploitation de la marque éponyme sous astreinte de deux mille euros par infraction constatée à compter de la date de l'arrêt à intervenir ;
Sur le défaut d'exécution du contrat de licence par la Société EK [Localité 6] :
- condamner la société EK [Localité 6] à lui verser la somme de 43.350 euros à titre de réparation des préjudices causés à la concédante du fait de ses manquements graves durant l'exécution du contrat de licence à ses obligations d'information comptable, à ses obligations de paiement des minima garantis aux dates contractuellement convenues, au non-respect de ses obligations de fin de contrat et aux redevances manifestement éludées durant les trois années de la licence ;
En toute hypothèse :
- débouter la société EK [Localité 6] de ses demandes,
- condamner l'intimée à verser la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'intimée aux entiers dépens de la présente instance, et ce y compris les frais de saisies-contrefaçon, dont distraction au profit de la Selarl Realex IP/IT, avocat à la cour, qui pourra en recouvrer directement le montant conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 décembre 2023, la société EK [Localité 6] demande à la cour de :
- juger Mme [M] irrecevable en sa demande formée pour la première fois en appel, d'atteinte au slogan et concernant le caractère contrefaisant des lunettes 6490 ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a : déclaré irrecevable l'intégralité des demandes présentées par Mme [M], prononcé la nullité de l'avenant du 15 avril 2015 conclu entre elle et [A] [W] aux droits de laquelle vient Mme [M] en sa qualité de légataire à titre particulier, condamné Mme [M] à lui payer la somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes reconventionnelles au titre des restitutions consécutives à la nullité de l'avenant du 15 avril 2015 et fixé à 5.000 euros le montant des dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice subi du fait des actes de dénigrement ;
En conséquence,
- dire et juger Mme [M] irrecevable à revendiquer des droits au titre des droits patrimoniaux d'auteur, du droit moral, du modèle n°985810, du droit à l'image et du droit au nom de Mme [W] dite [D] [Z] et du contrat de licence, la débouter de toutes ses demandes ;
- annuler le contrat de licence conclu entre Mme [W] et la société EK [Localité 6] pour défaut d'objet ;
- condamner Mme [M] à lui payer la somme de 24.000 euros en restitution des redevances indument perçues au titre du contrat de licence annulé ;
- condamner Mme [M] à lui verser la somme de 147.100 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la perte d'exploitation des modèles ;
subsidiairement,
- condamner Mme [M] à lui verser la somme de 36.775 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de relations commerciales établies ;
- condamner Mme [M] à lui verser la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du dénigrement ;
- condamner Mme [M] pour procédure abusive à lui verser la somme de 10.000 euros ;
- débouter Mme [M] de ses demandes ;
Y ajoutant,
- condamner Mme [M] à lui verser la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mai 2024.
Par avis aux parties pendant le délibéré, la cour a soulevé d'office l'application au litige des règles propres aux procédures collectives applicables en l'espèce, soit celles issues de la loi n°85-98 du 25 janvier 1985 et de la loi n°94-475 du 10 juin 1994 et invité les parties à communiquer par voie de note en délibéré leurs observations sur l'application et les effets des règles relatives au dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire sur la disposition et l'administration de ses biens à la titularité des droits en cause au titre desquels Mme [M] formule des demandes indemnitaires et des conséquences du jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif sur le sort des biens du débiteur pendant et à l'issue des opérations de liquidation.
La société EK [Localité 6] a déposé une note en délibéré le 12 juin 2025 par RPVA.
Mme [M] a déposé une note en délibéré le 13 juin 2025 par RPVA.
MOTIFS
I - Sur les fins de non-recevoir
- Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par la société EK [Localité 6] au titre du défaut de qualité à agir de Mme [M]
Mme [M] soutient que la société EK [Localité 6], venant aux droits des sociétés EK France et Rencorp BV, n'est pas recevable à contester sa qualité à agir au motif qu'aux termes de l'article 4 du protocole d'accord transactionnel du 16 décembre 2009, elle s'est contractuellement engagée à ne contester ni l'originalité du modèle, ni la titularité des droits de Mme [U] sur ce modèle dans le cadre de procédures postérieures.
La société EK [Localité 6] répond que sa fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [M] est recevable puisque la contestation porte non pas sur la validité des droits, mais sur leur titularité.
Sur ce,
Mme [M] demande à la cour de « confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu que la société EK [Localité 6] s'est substituée aux société EK France et Rencorp BV ' préalablement condamnées pour les mêmes faits par arrêt du 23/09/2009 ' pièce n°34) et se trouve ainsi obligée par les stipulations du protocole d'accord conclu par ces dernières avec la créatrice et notamment par l'article 5 dudit protocole aux termes duquel l'intimée renonce à toute contestation sur la validité des modèles y compris à l'occasion de procédures ultérieures concernant lesdits modèles 8080 et 5050 objet des droits d'auteur revendiqués ».
Or, aucun chef de dispositif du jugement déféré ne statue sur une telle reconnaissance.
En outre, Mme [M] ne soulève aucune fin de non-recevoir tirée de l'application du protocole d'accord transactionnel du 16 décembre 2009 dans le dispositif de ses conclusions d'appel.
La cour n'est donc pas saisie d'une fin de non-recevoir fondée sur ledit protocole transactionnel.
Cela dit, aux termes de l'article 4 du protocole d'accord signé le 16 décembre 2009 entre Mme [W] et les sociétés EK France et Rencorp BV, aux droits desquelles vient la société EK [Localité 6], « la société Rencorp BV renonce à toute contestation sur la validité des modèles y compris à l'occasion de procédures ultérieures concernant lesdits modèles [8080 et 5050, déclinaisons du modèle n°985810, objet des droits d'auteur revendiqués], [A] [W] garantissant « qu'elle détient tous les droits attachés aux modèles lesquels n'ont fait l'objet d'aucune cession ou licence d'exploitation ni d'un quelconque gage ou nantissement ».
En application de ces stipulations, la renonciation à contestation pesant sur la société EK [Localité 6] porte sur la seule validité du modèle, c'est-à-dire son caractère nouveau, son originalité, ou encore sa licéité, et non sur la titularité des droits de Mme [W].
- Sur l'irrecevabilité des demandes relatives aux droits patrimoniaux
Sur la titularité des droits patrimoniaux d'auteur et des droits patrimoniaux sur le modèle
Mme [M] conteste l'irrecevabilité retenue par le tribunal s'agissant de ses droits patrimoniaux d'auteur et de ses droits sur le modèle en litige, au motif que la créatrice elle-même n'en aurait plus été titulaire à l'issue de sa liquidation en 1999, alors que la décision de clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif du 28 décembre 1999 ne mentionne l'établissement d'aucun acte de cession et que la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif a mis fin au dessaisissement de Mme [W] qui a recouvré ses droits sur les biens non réalisés. Elle soutient que l'exigence des premiers juges qu'elle apporte la preuve négative de l'absence de cession, par des pièces qu'elle a vainement tenté de recueillir auprès de protagonistes qui ne les ont pas conservées, constitue un inversement de la charge de la preuve et viole la présomption de titularité des droits consacrée à l'article L.113-1 du code de propriété intellectuelle.
Elle souligne l'absence de revendication émanant de tiers, alors que le modèle de lunettes était exploité notoirement et publiquement et de façon continue et sans équivoque depuis 1972.
La société EK Paris répond que les droits de Mme [W] ont été cédés dans le cadre de sa faillite personnelle dès 1999, indiquant qu'un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 27 septembre 2012, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 mars 2014, a déclaré Mme [W] irrecevable sur le fondement du droit d'auteur et sur celui de la responsabilité délictuelle, faute de démontrer détenir des droits sur ces lunettes, depuis qu'elle a été déclarée en liquidation judiciaire à titre personnel le 11 juillet 1995. Elle soutient qu'en application de l'article 167 de la loi n°85-98 du 25 janvier 1985, le prononcé de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire dont Mme [W] a fait l'objet pour insuffisance d'actifs induit que tous les actifs réalisables ont été réalisés, en ce compris ses droits d'auteur patrimoniaux.
Elle précise que ni la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 26 mars 2014, ni le jugement dont appel n'attendaient la preuve de l'absence de cession des droits de Mme [W], la cession résultant du jugement de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, mais qu'il appartenait en revanche à Mme [M] d'apporter la preuve de la conservation de ses droits d'auteur malgré la liquidation personnelle de Mme [W] qui avait eu pour conséquence la cession de tous ses actifs ; que l'ignorance de l'identité du cessionnaire ne suffit pas à établir que Mme [M] en serait la titulaire, aucune décision n'ayant été rendue reconnaissant des droits de propriété intellectuelle à Mme [W] depuis le jugement du 27 septembre 2012, cette absence de droits expliquant au contraire la raison pour laquelle ils ont été exclus de la succession pour être légués à Mme [M].
La société EK [Localité 6] conteste avoir eu connaissance de l'arrêt du 26 mars 2014 au moment de renouveler la licence, et soutient ne l'avoir découvert qu'en cours de procédure de première instance, révélant ainsi que non seulement Mme [W] lui avait donné une licence le 15 avril 2015 sur des droits qu'elle savait ne pas détenir, mais que Mme [M], sa légataire mais aussi son avocate en charge de la procédure ayant abouti à l'arrêt du 26 mars 2014, avait engagé une action en contrefaçon à son encontre, en se prévalant de droits dont elle savait ne pas être titulaire.
Sur ce,
Selon l'article 32 du code de procédure civile « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ».
Par ailleurs, l'article 152 alinéa 1 de la loi n°85-98 du 25 janvier 1985, dans sa version modifiée par la loi n°94-475 du 10 juin 1994, dispose que : « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ».
Enfin, l'article 167 de la même loi énonce que : « A tout moment, le tribunal peut prononcer, même d'office, le débiteur entendu ou dûment appelé et sur rapport du juge-commissaire, la clôture de la liquidation judiciaire :
- lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers ;
- lorsque la poursuite des opérations de liquidation judiciaire est rendue impossible en raison de l'insuffisance de l'actif ».
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 juillet 1995, Mme [W] a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.
A compter de ce jugement, Mme [W] a été dessaisie au profit du liquidateur judiciaire de ses droits d'administration et de disposition sur ses biens, en ce compris ses droits patrimoniaux d'auteur sur les lunettes en cause et les droits patrimoniaux de propriété industrielle issus du dépôt du modèle n°985810 au cours de la procédure de liquidation judiciaire, le 9 octobre 1998.
Par jugement du 28 décembre 1999, le tribunal a prononcé d'office la clôture pour insuffisance d'actif des opérations de liquidation en application de l'article 167 de la loi n°85-98 du 25 janvier 1985, après avoir constaté que la poursuite des opérations de liquidation était rendue impossible en raison de l'insuffisance de l'actif disponible.
Ce jugement a mis fin à la mission du liquidateur judiciaire et au dessaisissement de Mme [W] qui a recouvré ses droits d'administration et de disposition de ses biens.
Il n'est pas démontré que les droits patrimoniaux d'auteur de Mme [W] sur les lunettes en cause et les droits patrimoniaux de propriété industrielle issus du dépôt du modèle n°985810 ont été réalisés par le liquidateur au cours des opérations de liquidation judiciaire et le jugement de clôture pour insuffisance d'actif n'a pas nécessairement emporté cession de ces droits, laquelle ne peut résulter que d'une décision judiciaire de cession prononcée au cours de la procédure de liquidation judiciaire, dont l'existence n'est pas établie par la société EK [Localité 6].
Ni la loi n°85-98 du 25 janvier 1985, ni la loi n°94-475 du 10 juin 1994 n'instituent de présomption de cession des biens du débiteur en cas de clôture des opérations de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, étant de surcroît rappelé qu'en l'espèce, la clôture des opérations de liquidation dont Mme [W] a fait l'objet a été prononcée non pas parce que l'actif réalisé n'avait pas permis d'apurer le passif, mais en raison de l'impossibilité de poursuivre les opérations de liquidation du fait de l'insuffisance de l'actif disponible. Il est en effet rappelé que la dette de Mme [W] à l'égard de la société BNP au titre de son engagement de caution au bénéfice de ses deux sociétés EKI et Remek s'élevait à la somme de 17 millions de francs, soit plus de 2,5 millions d'euros.
Dès lors que la société EK [Localité 6] n'établit pas que les droits patrimoniaux d'auteur de Mme [W] sur les lunettes en cause et les droits patrimoniaux de propriété industrielle tirés du dépôt du modèle n°985810 ont été cédés au cours de la procédure de liquidation judiciaire, Mme [W] a recouvré à compter du jugement de clôture pour insuffisance d'actif du 28 décembre 1999 ses droits d'administration et de disposition sur les droits précités, qu'elle a donc valablement pu léguer à Mme [M].
L'absence de recours de formé par Mme [W] à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 27 septembre 2012 et de l'arrêt de la cour d'appel de Paris le 26 mars 2014 est inopérante, ce jugement et cet arrêt n'ayant aucune autorité de chose jugée au profit de la société EK Paris qui n'était pas partie aux instances ayant abouti à ces décisions.
Par infirmation du jugement, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [M] doit par conséquent être rejetée.
Sur l'absence de droits sur le modèle n°985810
La société EK [Localité 6] soulève l'irrecevabilité de l'action de Mme [M] en raison de l'inopposabilité du modèle n°985810 au motif que la transmission de propriété au profit de Mme [M] a été enregistrée à l'INPI le 15 février 2021, l'intérêt à agir s'appréciant à la date de l'assignation. Elle ajoute qu'en tout état de cause le modèle avait été déposé frauduleusement par Mme [W] puisqu'elle était, à la date du dépôt le 9 octobre 1998, en liquidation judiciaire et dès lors, en application de l'article L.622-9 ancien du code de commerce alors en vigueur, dessaisie de ses droits d'administration et de disposition sur ses biens.
La société EK [Localité 6] ajoute que ce dépôt effectué en fraude des droits du cessionnaire, ne peut lui être opposé, peu important que l'identité du cessionnaire lui soit inconnue et que la fraude n'ait pas été commise à son préjudice.
Mme [M] répond avoir régularisé la formalité de changement de titulaire des droits sur le modèle le 15 février 2021 et considère que l'irrégularité n'a causé aucun grief à la société EK [Localité 6] qui connaissait ses droits sur le modèle à la date de l'assignation.
Elle conteste le caractère frauduleux du dépôt du modèle par Mme [Z] au cours de la liquidation judiciaire, alors qu'il s'agissait du renouvellement d'un modèle préalablement déposé avant la procédure collective de 1995 et sans que ce titre de propriété ne soit revendiqué par le moindre créancier.
Sur ce,
Sur l'irrecevabilité tirée de l'absence d'enregistrement de la transmission des droits sur le modèle au jour de l'assignation
L'article 126 du code de procédure civile dispose que : « Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance ».
Si la délivrance du legs, portant notamment sur les droits de propriété industrielle issus du modèle en cause, a été régularisée par acte authentique du 30 novembre 2017, la transmission de ces droits n'a été enregistrée auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), de l'accord des parties, qu'à compter du 15 février 2021.
L'article L.511-9 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la protection du dessin ou modèle conférée par les dispositions du [livre V] s'acquiert par l'enregistrement », lequel produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande en application de l'article L.513-1 du code précité.
En application de ces dispositions, les droits attachés au dépôt ne sont opposables aux tiers qu'à compter de cette publication, ce qui signifie que seuls les actes d'exploitation non autorisés postérieurs à cette publication sont susceptibles d'être qualifiés de contrefaisants sur le fondement du livre V du code de la propriété intellectuelle.
En application de l'article 126 précité, l'enregistrement par Mme [M] de la transmission à son profit des droits dont Mme [W] était titulaire sur le modèle en cause le 15 février 2021 a permis de régulariser la fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à agir. Toutefois, seuls les actes d'exploitation du modèle non autorisés postérieurement au 15 février 2021, date à partir de laquelle ses droits sur le modèle ont été opposables à la société EK [Localité 6], pourront le cas échéant être qualifiés de contrefaisants sur le fondement du livre V du code de la propriété intellectuelle.
Sur le dépôt frauduleux du modèle par Mme [W] au cours de la procédure de liquidation judiciaire
Le dessaisissement du débiteur consécutif au jugement de liquidation judiciaire ne concernant que l'administration et la disposition de ses biens, il a qualité pour réaliser les actes attachés à sa personne.
Le dépôt par Mme [W] d'un modèle de lunettes, 'uvre de l'esprit issue de sa création, est attaché à son droit moral d'auteur, quand bien même les droits patrimoniaux issus de ce dépôt, enregistré en cours de liquidation judiciaire entrent dans le gage de la procédure collective et donc du dessaisissement de l'article 152 précité.
Par ailleurs, en l'absence de preuve de la cession de ses droits patrimoniaux d'auteur sur les lunettes en cause, le dépôt ne caractérise pas de fraude à l'égard d'un cessionnaire dont l'existence n'est pas démontrée.
Le dépôt du modèle n°985810 auquel Mme [W] a procédé le 9 octobre 1998 ne saurait par conséquent être qualifié de frauduleux et Mme [M] est en droit, en tant que légataire, de s'en prévaloir au soutien de son action indemnitaire.
Sur l'irrecevabilité des demandes de Mme [M] au titre du contrat de licence
La société EK Paris soutient que le contrat de licence a été conclu alors que Mme [W] ne détenait plus aucun droit patrimonial sur les lunettes données en licence, le contrat ayant été renouvelé le 15 avril 2015, alors que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 mars 2014 avait statué définitivement sur l'irrecevabilité de Mme [W] à invoquer des droits sur les lunettes. Elle estime que le contrat conclu par Mme [W] en parfaite connaissance de cause et conseillée par Mme [M], est un contrat sans cause et donc un contrat nul en application des dispositions de l'article 1131 du code civil. Elle demande par conséquent que Mme [M] soit déclarée irrecevable à s'en prévaloir.
Toutefois, pour les motifs précités, Mme [W] ayant recouvré ses droits d'administration et de dispositions sur ses biens, comprenant le modèle, à la suite du jugement de clôture des opérations de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, il ne peut être considéré que le contrat de licence portant sur ce modèle, renouvelé le 15 avril 2015, est nul pour défaut de cause. La fin de non-recevoir doit par conséquent être rejetée.
- Sur l'irrecevabilité des demandes relatives aux droits extrapatrimoniaux
Sur l'irrecevabilité de la demande au titre des droits à l'image et au nom
La société EK [Localité 6] expose que les droits à l'image et au nom, attribut de la personnalité, s'éteignent au décès de leur titulaire et ne sont pas transmissibles, de sorte que Mme [M] est irrecevable à invoquer les droits à l'image et au nom de Mme [Z].
Mme [M] répond que la jurisprudence dont se prévaut la société EK [Localité 6] n'est pas transposable au cas d'espèce, cette dernière utilisant l'image de la créatrice à des fins commerciales en violation de la volonté clairement exprimée par celle-ci de son vivant et de l'article 2 du contrat de licence.
Sur ce,
Le droit à l'image, en tant que droit de la personnalité, s'éteint au décès de la personne et n'est pas transmissible à cause de mort, de sorte que Mme [M], agissant en sa qualité de légataire de Mme [W], est, à défaut d'invoquer un préjudice qui lui est personnel, irrecevable à solliciter l'indemnisation du préjudice consécutif à l'exploitation dans un but commercial par la société EK [Localité 6] de l'image de celle-ci, quand bien même le contrat de licence prévoit à l'article 2 que « le licencié s'interdit d'utiliser l'image de la concédante sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de cette dernière ou de son conseil », ces stipulations n'étant plus applicables à la suite du décès de Mme [W].
S'agissant du nom, l'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur.
L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ».
Si le droit au respect du nom protégé par l'article L.121-1 précité a pour raison d'être la protection de l'auteur au travers de l'une de ses 'uvres, le droit moral de l'auteur est étranger à la défense du nom patronymique en tant que droit de la personnalité, quand bien même il est utilisé à propos de l''uvre.
Or, en l'espèce, Mme [M] n'invoque aucun usage par la société EK [Localité 6] du nom de Mme [Z] associé au modèle de lunettes en cause, mais l'utilisation, à la rubrique « Histoire de la maison » de son site internet, du nom de Mme [Z] pour relater ses différentes périodes créatives depuis 1960 jusqu'à son décès.
Dans ces circonstances, alors que le droit au nom patronymique, en tant que droit de la personnalité, s'éteint au décès de la personne et n'est pas transmissible à cause de mort, Mme [M], agissant en sa qualité de légataire de Mme [W], est, à défaut d'invoquer un préjudice qui lui est personnel, irrecevable à solliciter l'indemnisation du préjudice consécutif à l'exploitation dans un but commercial par la société EK [Localité 6] du nom patronymique de celle-ci.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action indemnitaire de Mme [M] au titre de l'atteinte au nom et à l'image de Mme [Z].
Sur l'irrecevabilité de la demande au titre du droit moral d'auteur
La société EK [Localité 6] soutient que Mme [M] est irrecevable à invoquer le droit moral de Mme [W], dès lors que l'acte de délivrance du legs ne le mentionne pas.
Mme [M] répond que l'absence de mention de la cession du droit moral relève d'un oubli du notaire ayant instrumenté l'acte de délivrance du legs démenti par le testament olographe de Mme [W], lequel fait mention du legs de son droit moral à son profit. Elle ajoute que le transfert de propriété des biens légués s'est opéré de plein droit par l'enregistrement du testament indépendamment de toute délivrance de legs.
Sur ce,
L'article 1014 du code civil dispose que : « Tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause.
Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie ».
Le testament olographe établi par Mme [W] le 22 janvier 2017 est rédigé comme suit :
« Je soussignée Mme [A] [W] dite Mme [D] [Z] (') prends en cas de décès les dispositions testamentaires suivantes, relativement aux droits de propriété incorporelle (droits d'auteur, marques, modèles) sur mes créations dont notamment les modèles de lunettes dont je suis l'auteur :
Au titre de la quotité disponible je désigne Mme [R] [M] (') légataire de mes droits patrimoniaux d'auteur et autres droits de propriété incorporelle (marques, modèles en particulier de lunettes) à charge de les gérer et de les défendre.
Je confie l'exercice de mon droit moral d'auteur à [R] [M] dont la mission consistera à veiller et à procéder à l'exécution de mes dernières volontés ».
L'acte authentique de délivrance du legs du 30 novembre 2017 porte sur les « droits patrimoniaux d'auteur et autres droits de propriété incorporelle (marques, modèles en particulier de lunettes) ».
En application des dispositions de l'article 1014 précité, l'acte authentique du 30 novembre 2017 limite l'entrée en possession de Mme [M] aux droits patrimoniaux d'auteur et autres droits de propriété incorporelle, sans possibilité pour le juge de l'étendre au droit moral d'auteur de Mme [W].
Par ailleurs, il résulte de l'article 1014 du code civil que si le légataire à titre particulier devient dès l'ouverture de la succession propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance de son legs.
En conséquence, par substitution de motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [M] au titre du droit moral d'auteur.
- Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles
La société EK [Localité 6] soulève l'irrecevabilité des demandes concernant les lunettes 6490 et l'atteinte aux droits patrimonial et moral du fait de l'utilisation du slogan qui sont invoquées pour la première fois en appel, conformément à l'article 566 du code de procédure civile.
Mme [M] répond que l'utilisation non autorisée du slogan a été dénoncée dans l'assignation et constatée par l'annexe 2 du procès-verbal de constat.
Sur ce,
Selon l'article 564 du code de procédure civile, « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
Par ailleurs, l'article 566 du même code dispose que « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».
Sur la demande relative au slogan
Mme [M] n'a pas formé de demande indemnitaire en première instance au titre de l'utilisation par la société EK [Localité 6] d'une phrase attribuée à Mme [Z] qu'elle qualifie de slogan. La seule évocation dudit slogan dans l'acte introductif d'instance, au demeurant non démontrée puisque l'assignation n'est pas produite, ne peut pallier l'absence de demande formulée par Mme [M] au titre de ce chef de préjudice, qui ne tend pas à opposer compensation, à faire écarter les prétentions adverses ou à faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Il n'est au surplus pas démontré que cette demande est l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes présentées aux premiers juges.
La demande indemnitaire de Mme [M] relative au slogan doit par conséquent être déclarée irrecevable.
Sur la demande relative à la référence de lunettes 6490
En première instance, Mme [M] a formé une demande indemnitaire au titre de la contrefaçon portant sur les références n°5080, 6480 et 6482 exploitées par la société EK [Localité 6].
En appel, elle demande à la cour de dire que la référence supplémentaire n°6490 caractérise également un acte de contrefaçon du modèle n°5050, déclinaison du modèle déposé n°985810.
Cette demande nouvelle n'est pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formées en première instance au titre des références n°5080, 6480 et 6482.
Elle sera par conséquent déclarée irrecevable.
II - Sur les demandes au titre du contrat de licence
- Sur la nullité du contrat de licence soulevée par la société EK [Localité 6] et la demande de remboursement des redevances
La société EK [Localité 6] soutient que le contrat de licence renouvelé le 15 avril 2015 doit être déclaré nul dès lors qu'il était dépourvu de cause et d'objet puisque Mme [W] ne disposait d'aucun droit patrimonial sur le modèle à la date de sa conclusion.
Mme [M] répond que le contrat de licence n'est pas nul, dès lors que Mme [W] était titulaire des droits sur le modèle.
Sur ce,
Pour les motifs précités, Mme [W] avait recouvré ses droits d'administration et de dispositions sur ses biens, comprenant le modèle, à la suite du jugement de clôture des opérations de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif rendu le 28 décembre 1999.
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que le contrat de licence portant sur ce modèle était dépourvu de cause et d'objet à la date de son renouvellement, le 15 avril 2015.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de licence et confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société EK [Localité 6] de sa demande de remboursement des redevances payées en exécution dudit contrat.
- Sur la demande de la société EK [Localité 6] au titre du préjudice résultant de la cessation des ventes des lunettes 5050 et 8080 au terme du contrat de licence
La société EK [Localité 6] soutient que Mme [M] a résilié le contrat de licence et lui a interdit de poursuivre la vente des lunettes 5050 et 8080, alors qu'elle savait que le contrat était nul et qu'elle-même était en réalité libre de les commercialiser. Elle réclame l'indemnisation de la perte de marge brute qu'elle aurait dû réaliser et qu'elle évalue à 36.775 euros par an, soit au total la somme de 147.100 euros au titre des 4 années de pertes.
Mme [M] répond que le contrat de licence n'a pas été résilié mais est venu à expiration à la date contractuellement prévue par les parties. Elle indique avoir proposé un renouvellement du contrat avec augmentation des minima garantis conformément au souhait de la créatrice.
Elle explique ne pas avoir souhaité s'engager dans un nouveau contrat, la société EK [Localité 6] n'ayant pas correctement exécuté ses obligations contractuelles et les redevances versées durant 8 ans ayant été dérisoires au point qu'il est probable qu'elles aient été en grande partie éludées.
Sur ce,
Le contrat, en son article 3 stipule qu'il est conclu pour une durée déterminée de 3 ans à compter de sa date de conclusion et en son article 8 qu'il peut être résilié par toute partie par courrier recommandé en cas de non-respect par l'autre partie de ses obligations.
La société EK [Localité 6] ne justifie d'aucune lettre recommandée de résiliation du contrat conclu le 15 avril 2015 et arrivé à échéance le 14 avril 2018 émanant de Mme [M]. Il ressort des écritures et des pièces communiquées qu'alors que le contrat est arrivé à échéance le 14 avril 2018, les discussions engagées par les parties concernant un éventuel renouvellement n'ont pas abouti.
L'impossibilité pour la société EK [Localité 6] de poursuivre la commercialisation des références 5050 et 8080 du modèle de lunettes, objet du contrat de licence, ne résulte donc pas d'une interdiction émanant de Mme [M], mais de l'échéance fixée d'un commun accord par les parties au contrat de licence valablement conclu par Mme [W] et de sa non recondution tacite.
- Sur la rupture des relations commerciales établies
La société EK [Localité 6] soutient que le changement des conditions contractuelles que Mme [M] a voulu imposer, soit une augmentation de 50% du minimum garanti et la réduction de la durée de la licence à un an, a provoqué la rupture brutale des relations commerciales établies.
Mme [M] répond que le contrat est arrivé à expiration et qu'en raison des manquements contractuels de la société EK [Localité 6], elle n'a pas souhaité le renouveler. Elle conteste le caractère disproportionné de ses demandes dans le cadre des discussions en vue de renouveler le contrat.
Sur ce,
L'article L.442-6 I 5° dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 dispose que : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(') ;
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (')
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
(') ».
Comme jugé précédemment, le contrat n'a pas été résilié par Mme [M], mais est arrivé à l'échéance fixée par les parties. La société EK [Localité 6] ne caractérise ainsi aucune rupture brutale, c'est-à-dire imprévisible, soudaine et violente, des relations commerciales puisqu'elle était prévisible en exécution de l'article 3 du contrat précité.
La cour observe en outre que le contrat de licence, conclu le 16 décembre 2009 pour une durée de 5 ans avait été renouvelé en 2015 par avenant et pour une durée réduite à trois ans, de sorte qu'il ne peut être considéré que la société EK [Localité 6] ne pouvait pas s'attendre à un refus de renouvellement en 2018.
Si Mme [M] a entendu majorer de 50 % le montant minimum garanti de la redevance en le portant à la somme de 12.000 euros par an et réduire la durée du contrat de trois à un an, ces éléments de négociation ne permettent pas de caractériser une rupture abusive des relations commerciales établies alors qu'après l'échéance du contrat de licence fixée d'un commun accord par les parties, il était loisible à Mme [M] d'en renégocier les conditions dans le cadre de discussions tendant à son éventuel renouvellement.
Si la société EK [Localité 6] reproche à Mme [M] d'avoir coupé court « sèchement » à la proposition, non pas de renouvellement du contrat de licence, mais de rachat de ses droits sur le modèle 5050, il ne résulte aucune rupture abusive des relations commerciales établies, s'agissant de la négociation d'un nouveau contrat de nature différente.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société EK [Localité 6] de sa demande indemnitaire au titre de la rupture abusive des relations commerciales établies.
- Sur les manquements de la société EK [Localité 6] aux obligations du contrat de licence
Mme [M] reproche à la société EK [Localité 6] d'avoir éludé des redevances et violé ses obligations de fin du contrat de licence, soit :
l'obligation d'exploiter dans des réseaux sélectifs ;
les obligations financières de reddition des comptes ;
l'obligation de détruire ou vendre à la concédante les modèles restant en stock à l'issue du délai de 120 jours.
Elle met en doute l'assiette déclarée des redevances (85.054,50 euros en 2015, 70.938,99 euros en 2016) au regard du chiffre d'affaires au titre de la vente de lunettes (641.439 euros) figurant au bilan comptable 2016 qu'elle s'est procuré, alors que la société EK [Localité 6] indiquait elle-même dans ses conclusions devant les premiers juges que « les lunettes 5050 et 8080 constituaient ses meilleures ventes ».
Exposant que l'intimée refuse de répondre à l'injonction de communiquer les documents comptables, elle demande le paiement, au titre des trois années d'exécution du contrat de licence, des redevances éludées par application du taux de redevance de 3,5% à la totalité du chiffre d'affaires déclaré au titre de la vente de lunettes en 2016.
Mme [M] reproche également à la société EK [Localité 6] d'avoir continué à commercialiser les lunettes postérieurement au délai de 120 jours prévu par le contrat pour écouler le stock.
La société EK [Localité 6] soutient qu'elle a parfaitement respecté le contrat et se prévaut des relevés annuels certifiés des exercices pour les années 2015, 2016 et 2017, avec un détail pour chacun des modèles tel que prévu à l'article 4.2 du contrat de licence. Elle précise que les pièces comptables invoquées par Mme [M] sont des versions non certifiées des comptes et souligne qu'elle n'a aucune obligation de fournir le détail certifié des stocks ou des quantités fabriquées. Elle conteste toute vente en dehors du contrat de licence et rappelle qu'en tant que propriétaire de la marque [D] [Z], elle est habilitée à vendre des lunettes sous cette marque.
Sur ce,
L'article 4.1 du contrat de licence prévoit le paiement par le licencié d'une redevance annuelle équivalente à 5% du chiffre d'affaires annuel hors taxe facturé et encaissé sur la vente du modèle de lunettes et d'un montant minimum garanti de 8.000 euros.
Le bilan de la société EK [Localité 6] pour l'année 2016 mentionne un chiffre d'affaires, au titre de la vente de marchandises de 640.899 euros.
Cependant, la société EK [Localité 6] ne commercialise pas que les références issues du modèle objet du contrat de licence, de sorte que le chiffre d'affaires invoqué par Mme [M] ne peut constituer la base de calcul de la redevance prévue par l'article 4.1 précité.
L'attestation de l'expert-comptable qui détaille pour les années 2015 et 2016, par trimestre, le chiffre d'affaires réalisé pour chacun des modèles de lunettes de marque [D] [Z], confirme l'assiette des redevances payées en 2015 et 2016 au titre du contrat de licence.
La circonstance selon laquelle la société EK [Localité 6] a indiqué que les lunettes 5050 et 8080 constituaient ses meilleures ventes et qu'elle en tirait un chiffre d'affaires substantiel, sans autre précision, ne permet pas de remettre en cause la sincérité de ces éléments comptables certifiés, en l'absence d'éléments contraires.
Par ailleurs, l'affirmation de Mme [M] selon laquelle il faudrait, pour confirmer l'assiette de la redevance, que la société EK [Localité 6] exploite plus de 60 autres modèles iconiques, ce qui est peu probable, voire impossible, ne repose pas sur un élément de preuve et est contredite par la fiche tarifaire établie par la société EK [Localité 6] le 22 septembre 2016 dont il résulte qu'elle commercialisait environ 400 références de lunettes et accessoires.
Aucun manquement de la société EK [Localité 6] concernant le paiement des redevances 2015 et 2016 n'est par conséquent caractérisé.
La critique de Mme [M] sur les redevances perçues au titre de l'année 2017 n'est pas soutenue par d'autres arguments que ceux qui viennent d'être écartés.
Quant aux « retards systématiques » dans le paiement des redevances, la preuve n'en est pas plus rapportée par Mme [M] qui procède par voie d'affirmation.
Par ailleurs, l'article 11 du contrat stipule que :
« 11. Effets de la fin du contrat et obligations post contractuelles
11.1. A compter de la fin du présent contrat de licence ou si le licencié décide d'arrêter l'exploitation des modèles pour quelque raison que ce soit, le licencié cessera toute fabrication, offre en vente, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation et détention à ces fins des modèles protégés sur le territoire.
A la date d'expiration ou de résiliation de la présente licence, toute somme ou redevance due par le licencié deviendra immédiatement exigible et payable.
11.2. Par exception au paragraphe 11.1. ci-dessus, pendant une période de 120 jours à compter de la terminaison du présent contrat de licence, le licencié pourra continuer à écouler le stock de modèles et/ou à fabriquer les modèles à seule fin d'honorer toute commande reçue et acceptée avant la date d'expiration ou de résiliation de la présente licence.
Le licencié s'il souhaite bénéficier de cette faculté fournira à la concédante un état du stock et des commandes restant à honorer et s'acquittera par avance des redevances dues sur les ventes à venir.
11.3. Dans les trente jours suivants l'expiration de la période stipulée à l'article 11.2. ci-dessus, le licencié, au choix de la concédante vendra à la concédante tous les modèles restant en stock, à prix coûtant ou les détruira par-devant huissier ;
Le licencié procèdera également à la destruction de tous les supports commerciaux et publicitaires relatifs aux modèles, et mettra à jour son site Internet, le cas échéant ».
La société EK [Localité 6] a communiqué à Mme [M], par courriel du 28 juin 2018, un état du stock, le chiffre d'affaires réalisé à cette date et la valorisation des commandes restant à honorer. Elle a en outre émis un chèque en paiement de la redevance trimestrielle due jusqu'à la date de cessation du contrat de licence.
Par ailleurs, les captures d'écran produites par Mme [M] pour démontrer que des lunettes en stock ont été vendues sur internet par la société Krys et la société Vente-privée ne permettent pas d'établir que les lunettes vendues correspondent au modèle objet de la licence.
Si la société EK [Localité 6] ne justifie pas avoir vendu à Mme [M] tous les modèles restant en stock, à prix coûtant, ni de les avoir détruits par-devant huissier, cette dernière, de son côté, ne justifie pas avoir fait part de son choix de voir ce stock détruit ou revendu à son profit conformément à l'article 11.3 du contrat. Il s'ensuit qu'aucun grief ne peut être reproché à la société EK [Localité 6] sur ce point.
Le manquement imputé à la société EK [Localité 6] n'est par conséquent pas caractérisé.
III - Sur le dénigrement allégué par la société EK [Localité 6]
La société EK Paris soutient avoir subi des faits de dénigrement de la part de Mme [M] qui a adressé des lettres à ses revendeurs, alors qu'elle ne détenait aucun droit sur les lunettes en cause et qu'elle a passé sous silence l'instance dont le tribunal judiciaire de Nanterre était saisi. Elle estime que ces courriers sont de nature à la discréditer dans ses relations avec ses partenaires commerciaux, sommés de formuler une proposition indemnitaire comme si la contrefaçon était acquise.
Mme [M] soutient que le dénigrement n'est pas caractérisé. Elle fait valoir que le tribunal a justement estimé que deux des quatre courriers ne révélaient aucun dénigrement, tandis que le juge de la mise en état a considéré qu'il en était de même des deux autres, que ces courriers ne sont que des mises en demeure répondant aux usages en la matière, par lesquelles il est demandé à deux opticiens de cesser d'exploiter les modèles argués de contrefaçon sous peine de se voir attraits à la procédure pour y répondre de faits de contrefaçon dont ils se rendent potentiellement personnellement coupables conformément à la règle légale. Elle demande à la cour d'entériner l'analyse du juge de la mise en état qui a considéré que « Si les deux lettres sont affirmatives et passent sous silence l'existence de l'instance dont est saisi le tribunal judiciaire de Nanterre, elles introduisent une utile subjectivité sur la caractérisation des actes de contrefaçon en précisant systématiquement que ceux-ci ne sont établis que « selon » Mme [M]. Par ailleurs, effectivement menaçantes, elles ne contiennent pas de demandes inhabituelles en pareille matière ».
Sur ce,
Selon l'article 1240 du code civil, « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, une entreprise ou un produit dans le but de l'évincer.
La divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu'elle soit exacte.
La société EK [Localité 6] se prévaut de quatre courriers adressés par Mme [M] ou son conseil à M. [B] [X] le 24 juillet 2020, à Me [T] le 3 décembre 2020, à la société Hecker Optique le 7 avril 2021 et à la société Optique [J].
Le courrier que le conseil de Mme [M] a adressé à la société Optique [J] n'est pas versé aux débats. Les pièces n°27 à 29 communiquées par la société EK [Localité 6] ne portent que sur des échanges intervenus entre M. [J] et le conseil de Mme [M] et n'évoquent pas la société EK [Localité 6].
Le juge de la mise en état a effectivement considéré dans une ordonnance du 29 juillet 2021 que les courriers adressés à M. [B] [X] et à la société Hecker Optique ne caractérisaient aucun dénigrement. Cependant, comme l'a rappelé le tribunal, cette décision n'a pas autorité de la chose jugée au principal.
Aux termes du courrier adressé à M. [X] le 24 juillet 2020, le conseil de Mme [M] affirme que « (') depuis l'expiration de son contrat de licence, la société EK France [absorbée par la société EK [Localité 6]] fabrique et exploite notamment sous les références 5051, 6480 et 5080 des modèles de lunettes qui, selon ma cliente, constituent la contrefaçon du modèle 5050 dont elle est propriétaire.
C'est dans ces conditions que votre société propose à la vente (') ces modèles de lunettes similaires au modèle 5050 dont ma cliente détient la propriété artistique exclusive et dont la société EK France n'est plus licenciée.
Ces faits constituent des actes de contrefaçon prévus et sanctionnés par les dispositions des livres I et V du Code de la Propriété Intellectuelle particulièrement préjudiciables à ma cliente qu'ils privent des redevances correspondantes à sa propriété et dont ils ruinent les propres perspectives de réédition de ses modèles.
En conséquence, il vous est amiablement demandé de cesser toute offre à la vente et vente de modèles de lunettes marqués [D] [Z] imitant, sous notamment les références 5051, 6480 et 5080, le célèbre modèle dit 5050 dont ma cliente détient la propriété exclusive et de faire connaitre à celle-ci les mesures que vous entendez prendre pour réparer ses préjudices ».
Quant au courrier que le conseil de Mme [M] a adressé à la société Hecker Optique le 7 avril 2021, il indique : « Je représente les intérêts de Mme [R] [M] en qualité d'ayant droit de la créatrice de mode [D] [Z] sur le célèbre modèle de lunettes oversize dont elle est propriétaire.
Il a été porté à la connaissance de ma cliente que le site internet de la boutique d'optique dont vous êtes responsable de la publication fait référence à la créatrice [D] [Z] dont elle décrit la carrière au soutien de l'offre à la vente de modèles de lunettes exploitées par la société titulaire de la marque [D] [Z], qui n'a aucun lien avec la créatrice laquelle de son vivant ne souhaitait pas que son nom d'auteur soit associé à cette exploitation.
Par ailleurs, votre site contient la représentation non autorisée d'un modèle décrit comme « Lunettes de soleil noires [D] [Z] » que ma cliente considère comme la contrefaçon du modèle oversize historique dont elle détient la propriété.
Je vous demande en conséquence amiablement de bien vouloir dans un délai de huit jours à compter de la réception de la présente :
- cesser toute utilisation de l'image et du pseudonyme d'auteur [D] [Z] sur le site internet dont vous être responsable de la publication ;
- supprimer de ce site la représentation du modèle identifié comme « Lunettes de soleil noires [D] [Z] » ;
- me faire connaître le nombre de ce type de modèle que vous détenez en stock et que vous offrez à la vente ainsi que l'identité de la société qui vous fournit ces modèles ;
- me transmettre l'ensemble des documents comptables de votre entreprise permettant de déterminer le prix et les quantités de ce modèle qui vous ont été livrés.
A défaut, je fais les plus expresses réserves sur toute éventuelle suite judiciaire appropriée (...) ».
Enfin, dans son courrier adressé le 3 décembre 2020 à Me [T], dont il n'est pas discuté qu'il s'agit du conseil d'une personne liée à la société EK [Localité 6] par un contrat de licence, Mme [M] écrit ceci :
« La société EK [Localité 6] ne s'est pas conformée à ses obligations post contractuelles :
En particulier, elle ne m'a jamais restitué, comme elle s'y était engagée à l'article 11-3 du contrat, les exemplaires des modèles lui restant en stock à la terminaison du contrat. (')
J'ai appris qu'elle avait bradé ces stocks, dans notamment des magasins à l'enseigne Krys ou vente-privee.com sans m'en informer et sans me verser les redevances afférentes à ces exploitations non autorisées. J'estime également que la société EK Paris exploite désormais des modèles qui constituent selon moi la contrefaçon de ceux objet de la licence échue, de sorte qu'une action en contrefaçon de modèles est actuellement pendante à son encontre devant le Tribunal de Grande instance de Nanterre ».
Les courriers des 24 juillet 2020 et 7 avril 2021 présentent la société EK France, absorbée par la société EK Paris, comme un contrefacteur, sans évoquer l'action en cours devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Les précisions « selon ma cliente » et « que ma cliente considère comme la contrefaçon du modèle oversize historique » ne sont pas de nature à retirer aux écrits leur caractère dénigrant, puisqu'il en résulte que Mme [M] présente la société EK [Localité 6] comme responsable d'actes de contrefaçon, ce que confirme le courrier précité du 3 décembre 2020 dans lequel elle indique « J'estime également que la société EK [Localité 6] exploite désormais des modèles qui constituent selon moi la contrefaçon de ceux objet de la licence échue ».
Les courriers des 24 juillet 2020 et 7 avril 2021 comportent en outre des injonctions d'avoir à cesser toute offre à la vente des lunettes en cause, à transmettre l'état du stock et à faire connaître les mesures envisagées pour réparer les préjudices tenus pour acquis de Mme [M].
Le courrier du 3 décembre 2020 impute en outre à la société EK [Localité 6] des manquements au contrat de licence, alors qu'aucune décision de justice n'avait préalablement retenu l'existence de tels manquements.
Quand bien même il a été précédemment établi que Mme [W] avait recouvré à la suite du jugement de clôture des opérations de liquidation pour insuffisance d'actif du 28 décembre 1999 les droits d'administration et de disposition de ses biens parmi lesquels ceux portant sur les lunettes en cause, ces trois correspondances ne font pas preuve de mesure dans l'attribution à la société EK [Localité 6] des actes de contrefaçon et des manquements contractuels.
Elles ont pour effet de discréditer la société EK [Localité 6] auprès de ses partenaires commerciaux.
Les actes de dénigrement sont par conséquent caractérisés.
Au regard du nombre de courriers, de leur teneur et de leur diffusion restreinte l'un ayant été en outre adressé à un professionnel du droit apte à en analyser la portée, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a alloué à la société EK [Localité 6] une somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au dénigrement.
IV - Sur les demandes en contrefaçon du modèle de lunettes et atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur
Mme [M] soutient que les 3 procès-verbaux de constat établis à sa demande démontrent l'exploitation frauduleuse du modèle n°985810 par la société EK [Localité 6] depuis l'expiration du contrat de licence et l'atteinte à ses droits patrimonieux d'auteur attachés à la référence 5050, que la comparaison des caractéristiques des références 6480, 5080 et 6482 commercialisées par la société EK [Localité 6] au modèle original (monture trapézoïdale, décrochement extérieur dans l'angle supérieur, combinaison de la monture et des oculaires) établit la contrefaçon qui ne peut être écartée par les seules différences invoquées par l'intimée au sujet des références 6480 et 5080.
La société EK [Localité 6] conteste la contrefaçon et l'atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur en faisant valoir que les dimensions des lunettes sont contraintes par la nécessité de s'adapter à la forme des visages et qu'elle-même commercialise plutôt de grandes lunettes. Elle ajoute qu'il existe sur le marché des lunettes de soleil nettement plus proches du modèle 5050 que ne le sont les lunettes arguées de contrefaçon, l'ensemble de ces lunettes s'inscrivant dans un phénomène général de mode.
Elle procède ensuite à une comparaison de chacun des modèles litigieux avec le modèle 5050, soutenant qu'ils présentent des différences suffisantes pour exclure tout grief de contrefaçon :
sur le modèle 5080, l'oculaire n'est pas un trapèze mais un pentagone (5 côtés du fait de la pointe figurant à l'intérieur de l''il), le contour de l''il n'est pas régulier et plat comme sur la 5050 mais présente un effet relief en 3D et de fortes variations de largeur entre la partie supérieure, le côté extérieur et la partie inférieure de la monture, le décrochement extérieur n'est pas léger mais très marqué et présente une encoche, la forme du nez n'est pas bombée mais biseautée, le nez présente un renfoncement entre les deux yeux, la branche n'est pas droite mais large et se rétrécit fortement sur la partie arrière, les verres ont un moindre rayon de courbure (base 4) ;
sur le modèle 6480, la monture est de taille moyenne, avec une largeur courbée de 139,5 mm, alors que la 5050 a une largeur courbée de 150,4 mm, le contour de l''il n'est pas plat, présentant un effet de relief en 3D, la forme de l''il n'est pas un trapèze mais un quadrilatère moins allongé, la forme du nez n'est pas bombée mais biseautée, le nez présente un renfoncement entre les deux yeux ;
le modèle 6482 correspond au modèle 6480 avec de nouvelles branches, fort différentes de celle du modèle 5050.
Elle explique que la protection du modèle 5050 par le droit d'auteur a été retenu par des décisions antérieures, malgré de nombreuses antériorités, du fait de quelques différences entre ces dernières et le modèle 5050, que partant les différences entre les lunettes litigieuses et le modèle 5050 sont également suffisantes pour exclure le grief de contrefaçon, sans quoi Mme [M] se verrait accorder un droit privatif sur un style de lunettes, ce qui ne peut être.
Elle ajoute que la cour d'appel de Paris a jugé à plusieurs reprises que c'était la combinaison de toutes les caractéristiques des lunettes 5050 qui leur conférait une originalité, donc une protection par le droit d'auteur, et qu'en l'espèce les lunettes litigieuses ne présentent pas la même combinaison de caractéristiques, ce qui exclut le grief de contrefaçon.
La société EK [Localité 6] ajoute qu'étant seule autorisée à faire usage des marques [D] [U], une licence du modèle 5050 sans possibilité de le commercialiser sous ce nom ne présente aucun intérêt et que par conséquent l'argument de Mme [M] se disant empêchée de trouver un nouveau licencié du fait de ses agissements n'est pas pertinent ; que de même, les développements de l'appelante autour du succès des lunettes [D] [U] entre 1972 et 1989 sont inopérants, la marque n'ayant pas, depuis la faillite de Mme [W] en 1995, reconstruit le positionnement qui était le sien dans les années 1980 sur le marché du prêt-à-porter ni des accessoires, le marché actuel étant majoritairement composé de chaînes d'opticiens succursalistes, d'entrée ou de milieu de gamme et dans une moindre mesure d'opticiens indépendants.
- Sur la contrefaçon du modèle n°985810
L'article L.513-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle ».
L'article L.513-5 du même code précise que « la protection d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente ».
L'appréciation de la contrefaçon dépend de l'impression d'ensemble produite, aux yeux de l'observateur averti, par le modèle tel que figurant au dépôt d'un côté et par les modèles prétendument contrefaisants de l'autre.
Il peut toutefois être tenu compte d'une « saturation de l'état de l'art » qui peut être de nature à rendre l'utilisateur averti plus sensible aux différences entre les différents modèles.
Il est tout d'abord observé que :
- seuls les actes d'exploitation du modèle non autorisés postérieurement au 15 février 2021, date à partir de laquelle les droits de Mme [M] sur le modèle sont opposables à la société EK [Localité 6], étant susceptibles d'être qualifiés de contrefaisants sur le fondement du livre V du code de la propriété intellectuelle, les procès-verbaux des 4 avril 2019 et 10 mars 2020 (pièces 48 et 53) sont inopérants pour les caractériser ;
- la demande indemnitaire de Mme [M] au titre de la référence n°6490 étant irrecevable, il n'y a pas lieu d'examiner cette référence.
Il ressort du procès-verbal daté du 19 janvier 2022 (pièce 68), le constat de la présence sur le site marchand exploité par la société EK [Localité 6] à l'adresse www.ek.fr du modèle de lunettes dénommé « Lunettes de soleil carrée en acétate » et référencé 6482-006, dont la cour comprend qu'il s'agit du modèle 6482 mis en cause par Mme [M], dans un des coloris proposés.
Il s'agit par conséquent de comparer ce seul modèle au modèle déposé n°985810.
Il ressort de l'observation des deux modèles en présence que s'il est indéniable qu'ils partagent, à première vue, certaines caractéristiques (monture large, verres de forme trapézoïdale), un examen plus attentif conduit à rattacher celles-ci à une tendance de mode répandue dans le domaine de la lunetterie, comme cela ressort des extraits des sites internet d'autres marques communiqués en pièces n° 31, 32 et 33 par la société EK [Localité 6]. Dès lors, l'observateur averti de ce domaine, dont la production est prolifique, ne manquera pas d'être sensible aux caractéristiques propres à chaque modèle (contour de l''il plat pour la référence 5050, avec un effet relief en 3D pour la référence 6482, nez de forme bombée remontant légèrement entre les yeux pour la référence 5050, de forme biseautée présentant un renfoncement en creux entre les yeux pour la référence 6482, branches de forme et d'épaisseur différentes) qui ne seront à ses yeux pas des « minimes différences » comme le soutient l'appelante, de sorte que l'impression visuelle d'ensemble qu'il en percevra ne pourra être la même.
Il résulte de ce qui précède que la preuve de la contrefaçon du modèle n°985810 n'est pas rapportée.
- Sur l'atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur
L'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose :
« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
La contrefaçon est caractérisée par la reprise des éléments qui constituent l'originalité d'une 'uvre.
Les parties ne contestent pas l'explicitation des caractéristiques originales de l''uvre telle que livrée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 24 novembre 2010, à savoir : « modèle de lunettes à large monture de forme carré légèrement trapézoïdale vue de face, épousant régulièrement la forme caractéristique de la paire d'oculaires avec un petit décrochement extérieur, dans l'angle supérieur de la monture, au niveau des branches ».
Le même arrêt précise également, à l'issue de l'examen des représentations du modèle produites par Mme [W], que « si certains des éléments qui composent le modèle ['] sont effectivement connus et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers de la lunetterie, en revanche, leur combinaison telle que représentée, dès lors que l'appréciation de la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère à ce modèle une physionomie propre qui le distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ['] ».
En complément de la description littérale ci-dessus, la cour s'appuie, aux fins d'identifier la création dont se prévaut Mme [M] sous la référence 5050, sur les visuels figurant au dépôt du modèle n°985810 et au sein de l'annexe au contrat de licence dont la copie est produite en pièce 35, Mme [M], dans la partie discussion de ses écritures consacrée à l'atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur, ne donnant pas de description de l''uvre.
Il convient de procéder à la comparaison du modèle 5050 invoqué avec chacun des modèles de lunettes figurant aux procès-verbaux des 19 janvier 2022 (pièce n° 68), 4 avril 2019 (pièce n° 48) et 10 mars 2020 (pièce n° 53) sous les références 5080, 6480 et 6482.
Mme [M] affirme que les lunettes litigieuses constituent des copies serviles ou quasi-serviles de la référence 5050, en ce qu'elles reprennent « les larges montures ainsi que la forme trapézoïdale qui sont au c'ur de l'originalité de l''uvre de la créatrice » et présentent « la même monture trapézoïdale caractéristique qui épouse régulièrement la forme caractéristique de la paire d'oculaires, le même décrochement extérieur dans l'angle supérieur de la monture au niveau des branches, la même combinaison de la monture et des oculaires conférant au modèle une physionomie propre qui le distingue de tout autre modèle, le même aspect, un agencement identique des éléments précités et une impression visuelle d'ensemble quasi-identique », reprenant ainsi les caractéristiques originales du modèle 5050 énoncées par l'arrêt du 24 novembre 2010.
Mais, les caractéristiques tenant aux « larges montures » et à la « forme trapézoïdale » sont trop générales pour définir à elles seules l'originalité des lunettes 5050, celles-ci tirant leur physionomie propre, comme l'a relevé l'arrêt précité, de la combinaison d'un ensemble de caractéristiques, lesquelles ne peuvent par conséquent être appréciées de façon isolée, certaines étant connues.
Dès lors, seule la même combinaison d'éléments pourra être de nature à caractériser une contrefaçon.
S'agissant de la référence 5080, force est de constater que la forme de l'oculaire ne reproduit pas le trapèze de la référence 5050 mais s'apparente plus à un pentagone en raison de la pointe figurant à l'intérieur de l''il comme le relève la société EK [Localité 6]. Surtout, le décrochement extérieur au niveau de la branche, marqué et présentant une encoche comme l'observe justement la société EK [Localité 6], ne reprend pas celui de la référence 5050.
L'absence de ces éléments suffit à écarter la combinaison, au sein de la référence 5080, des éléments caractéristiques de la référence 5050 et par conséquent la contrefaçon, la référence 5080 ne constituant ni une reproduction ni même une adaptation de la combinaison objet de la protection.
S'agissant des références 6480 et 6482 (la référence 6482 étant identique à la référence 6480 à l'exception des branches et par conséquent des tenons, plus larges dans le cas de la 6482, comme cela ressort des dessins techniques produits par l'intimée), il est observé que :
le contour de l''il présente un effet de relief en 3D et n'est pas plat comme celui de la référence 5050, conférant notamment à la partie extérieure haute de la monture, en ce compris le décrochement, un aspect distinct,
la forme du nez est biseautée et présente un renfoncement en creux entre les yeux alors que le nez de la référence 5050 est de forme bombée et remonte légèrement entre les yeux,
de sorte que l'agencement entre la monture et la paire d'oculaires ne s'apparente pas à celui qui confère à la référence 5050 sa physionomie propre.
L'appelante échouant à démontrer la reprise par les références 6480 et 6482 de la combinaison de caractéristiques fondant les droits sur le modèle 5050, l'offre à la vente de ces références de lunettes par la société EK [Localité 6] n'est pas constitutive de contrefaçon.
Il est en outre observé que le fait que les stipulations du contrat de licence (pièce de l'appelante n° 35) comprennent les adaptations du modèle dans l'assiette des redevances, le contrat indiquant au point « 2. Etendue des droits concédés », que « Toute exploitation par le LICENCIE de versions des MODELES comportant une modification de format, de matière ou de couleur n'emporte pas dérogation aux droits d'auteur de la concédante et ouvre droit à rémunération à son profit ['] », n'est pas de nature à influer sur l'appréciation de la contrefaçon, le périmètre du droit d'auteur ne pouvant être défini contractuellement.
La contrefaçon n'étant pas démontrée, la demande de Mme [M] en réparation du préjudice en découlant ne peut prospérer.
Sur la demande de la société EK [Localité 6] au titre de la procédure abusive
L'issue du litige implique que Mme [M] n'a pas exercé son droit d'agir en justice de manière abusive.
La demande de la société EK [Localité 6] sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du litige, le jugement sera infirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles et les parties conserveront la charge de leurs dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Déclare irrecevables les demandes de Mme [R] [M] au titre du slogan et du modèle de lunettes n°6490 ;
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Mme [R] [M] au titre des droits extrapatrimoniaux, condamné cette dernière au titre du dénigrement et débouté la société EK [Localité 6] de sa demande au titre de la procédure abusive ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [R] [M] en sa qualité de légataire des droits patrimoniaux d'auteur de Mme [A] [W] et des droits patrimoniaux sur le modèle n° 985810 ;
Déclare recevable l'action de Mme [R] [M] au titre des actes de contrefaçon du modèle n°985810 ;
Déclare recevable l'action de Mme [R] [M] au titre du contrat de licence ;
Déboute la société EK [Localité 6] de sa demande de nullité du contrat de licence ;
Déboute Mme [R] [M] de ses demandes fondées sur le contrat de licence ;
Dit que la preuve de la contrefaçon du modèle n°985810 n'est pas rapportée ;
Dit que la preuve de la contrefaçon du droit d'auteur n'est pas rapportée ;
Déboute Mme [R] [M] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;
Laisse aux parties la charge de leurs dépens de première instance et d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.