CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 septembre 2025, n° 24/10915
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Archinvest (SAS)
Défendeur :
Private Corner Management (SAS), Capsens (SAS), Quercus (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohee
Avocats :
Me De Maria, Me Andrez, Me Teytaud, Me Pillebout, Me Degardin, Me Champey, Me Daraux
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Quercus, intégralement détenue par Mme [Z] [X] qui exerce depuis 20 ans dans le domaine de l'investissement (private equity) et dans l'accompagnement de sociétés non cotées, est actionnaire minoritaire de la société de droit suisse Deltalpha Capital, aux côtés de la société Tython, ainsi que cofondatrice des sociétés Private Corner Management, en 2020, et Archinvest, en 2022.
La société Private Corner Management (PCM) est une société de gestion de portefeuilles agréée depuis novembre 2020 par l'Autorité des marchés financiers, ayant axé son développement sur l'ouverture aux particuliers de l'accès aux fonds de private equity, et proposant une plateforme digitale permettant la souscription à des investissements dans des actifs institutionnels non cotés.
La société Archinvest a été créée en 2022 par les sociétés Quercus et Typhon, a été agréée par l'AMF le 7 septembre 2022. Elle opère via une plateforme d'investissement s'adressant aux gestionnaires de patrimoine, banques privées et family office ainsi qu'aux investisseurs particuliers.
La société Capsens, créée en 2013, est une agence spécialisée dans le développement de sites internet et d'applications mobiles web pour les acteurs de la « fintech », aussi bien des start-ups, que des grandes entreprises. En 2016, elle a développé la plateforme French Partners, exploitée par la société Deltalpha, destinée à faciliter l'investissement dans des sociétés créées par des entrepreneurs français à l'étranger. En 2020, après avoir développé d'autres plateformes pour d'autres institutions financières du secteur, sur recommandation de la société Quersus, alors actionnaire minoritaire de la société PCM, elle a été choisie pour développer la plateforme d'investissement digitale de la société PCM. En décembre 2021, lui a été confié le développement de la plateforme de la société Archinvest, alors en cours de formation.
Le 26 juillet 2023, après l'échec d'une tentative de rachat de la participation minoritaire de la société Quercus au capital de la société PCM dans des conditions qui font débat entre les parties, la société PCM a notifié à la société Quercus la décision de l'assemblée générale du 26 juillet 2023 de l'exclure de la société et de procéder au rachat des actions détenues par elle, compte tenu de sa situation de conflit d'intérêts au regard de la création, par la société Archinvest dont la société Quercus est actionnaire, d'une plateforme concurrente quasi-identique réalisée par le même prestataire informatique.
C'est dans ce contexte que la société PCM a fait assigner les sociétés Archinvest, Quercus et Capsens, devant le président du tribunal de commerce de Paris, statuant en référé, par actes des 5, 6 et 11 octobre 2023, afin d'obtenir une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
Par ordonnance contradictoire rendue le 7 mai 2024, dont appel, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris :
s'est dit matériellement compétent pour connaître du présent litige,
a dit PRIVATE CORNER recevable en ses demandes,
a dit que PRIVATE CORNER établit l'existence d'un motif légitime à sa demande, et que la mesure d'instruction sollicitée serait utile, nécessaire et proportionnée, au sens de l'article 145 du code de procédure civile,
a débouté QUERCUS de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,
a débouté toutes les Parties de leurs demandes autres ou plus amples au présent dispositif,
a nommé Monsieur [R] [W] ([Adresse 10], [XXXXXXXX01] [Courriel 11]) en qualité d'expert avec la mission précisée ci-après :
se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission
entendre tout sachant qu'il estimera utile y compris tout participant aux projets des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST
s'il l'estime nécessaire se rendre dans les locaux de la société PRIVATE CORNER sis [Adresse 2] ainsi qu'en tout lieu utile à l'accomplissement de cette mission pour entendre toutes les parties et accomplir sa mission
s'il l'estime nécessaire, se faire remettre une sauvegarde des logiciels et de l'ensemble des développements réalisés par la société CAPSENS pour ses clients PRIVATE CORNER et ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme ARCHINVEST
disposer d'un libre accès aux outils de gestion de projet 'Trello' pour les projets de plateforme de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST
faire procéder à tout examen technique qu'il estimera utile à sa mission
décrire d'après les règles applicables en matière de prestations informatiques et web, l'objet du contrat et les qualités du prestataire et du maître d'ouvrage, la correspondance des prestations fournies au fur et à mesure avec les spécifications exprimées par PRIVATE CORNER à CAPSENS, mettre en exergue le niveau de personnalisation de la plateforme livrée au regard de l'investissement du maître de l'ouvrage dans le projet
décrire d'après les règles applicables en matière de prestations informatiques et web, l'objet du contrat et les qualités du prestataire et du maître d'ouvrage, la correspondance des prestations fournies au fur et à mesure avec les spécifications exprimées par ARCHINVEST, mettre en exergue le niveau de personnalisation de la plateforme livrée au regard de l'investissement du maître de l'ouvrage dans le projet
décrire de la même manière, le rôle tout particulier de la société QUERCUS dans les deux projets susvisés
effectuer toutes comparaisons et vérifications utiles des griefs sur la similitude, la copie et reprise de tout élément constitutif de la plateforme de PRIVATE CORNER pour les clients d'ARCHINVEST et QUERCUS tout particulièrement sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST
donner son avis technique sur l'utilisation effective de bibliothèques et/ou briques de logiciels libres pour la plateforme développée par PRIVATE CORNER
évaluer l'importance de l'usage de ces briques sous licence libre dans la plateforme PRIVATE CORNER
donner son avis technique sur la reprise de tout ou partie d'éléments constitutifs de la plateforme PRIVATE CORNER pour le générateur 'Dummy' comme pour la plateforme d'ARCHINVEST
donner son avis sur le temps déclaré de réalisation et quantifier les charges allouées par CAPSENS à chacun des projets pour la réalisation des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST
donner son avis sur le temps déclaré de réalisation et quantifier les charges allouées par CAPSENS à chacun des projets pour la réalisation des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST
donner son avis sur les charges allouées par les équipes des sociétés PRIVATE CORNER, ARCHINVEST et QUERCUS pour leur participation aux spécifications, suivi et recette de leur plateforme respective
fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétence et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation dans le cas d'espèce par ARCHINVEST, CARCUS et CAPSENS des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour les développements des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST au visa de l'article L.112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle
mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état de ses avis et opinions aux parties à chaque étape de sa mission puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu'il fixera, avant le dépôt de son rapport
établir un pré-rapport ou note de synthèse des constatations effectuées et observations quant à celles-ci, permettant aux parties de faire valoir leurs propres observations en leur accordant un délai minimum de 8 semaines courant à compter de la réception du pré-rapport et avant dépôt du rapport définitif
rappeler aux Parties, lors de l'envoi de ce document de synthèse qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que la date à laquelle il doit déposer son rapport
a fixé à 5 000 euros le montant de la provision à consigner par PRIVATE CORNER avant le 15 mai 2024 au greffe de ce tribunal, par application des dispositions de l'article 269 du Code de procédure civile
a dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque (article 271 du Code de procédure civile)
a dit que lors de sa première réunion, laquelle devra se dérouler dans un délai maximum de deux mois à compter de la consignation de la provision, l'expert devra après débat contradictoire avec les parties, soumettre au juge du contrôle des mesures d'instruction ce qu'il aura retenu pour ce qui concerne la méthodologie qu'il compte mettre en oeuvre, le calendrier détaillé de ses investigations, d'où découlera la date de dépôt de son rapport, et le montant prévisible de ses honoraires, de ses frais et débours, lequel juge rendra, s'il y a lieu, une ordonnance complémentaire fixant le montant de la provision complémentaire, dans le conditions de l'article 280 du Code de procédure civile, et, s'il y a lieu, accordera une prorogation du délai pour le dépôt du rapport
a dit que lors de cette première réunion l'expert fixera un délai pour les appels, éventuels, en intervention forcée, lesquels appels devront être au contradictoire, outre des appelés en intervention forcée, de toutes les parties dans la cause
a dit que, si les parties ne viennent pas à composition entre elles, et sauf contrariété avec le paragraphe précédent, le rapport de l'expert devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision fixée ci-dessus
a dit que le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise
a laissé à la partie demanderesse la charge des dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 70,03€ TTC dont 11,46 € de TVA.
La société Archinvest a interjeté appel le 21 juin 2024.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 30 juillet 2024, la société Archinvest demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance de première instance en ce qu'elle a jugé ce qui suit :
« Nous disons matériellement compétent pour connaitre du présent litige, »
« Disons PRIVATE CORNER recevable en ses demandes, »
« Disons que PRIVATE CORNER établit l'existence d'un motif légitime à sa demande, et que la mesure d'instruction sollicitée serait utile, nécessaire et proportionnée, au sens de l'article 145 du Code de procédure civile »
« Déboutons toutes les Parties de leurs demandes autres ou plus amples au présent dispositif, » à savoir plus précisément en ce qui concerne la société ARCHINVEST la demande soutenue à l'audience du 11 mars 2024, par laquelle celle-ci sollicite la condamnation de la société PRIVATE CORNER MANAGEMENT à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens ;
Et encore la réformation de l'ordonnance rendue le 7 mai 2024 par le Président du Tribunal de commerce de Paris à l'égard de ses chefs suivants :
« - Nommons Monsieur [R] [W] ([Adresse 10], [XXXXXXXX01] [Courriel 11]) en qualité d'expert avec la mission précisée ci-après : »
« ' se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission »
« ' entendre tout sachant qu'il estimera utile y compris tout participant aux projets des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST »
« ' s'il estime nécessaire de se rendre dans les locaux de la société Private Corner sis [Adresse 2] ainsi qu'en tout lieu utile à l'accomplissement de cette mission pour entendre toutes les parties et accomplir sa mission » ;
« ' S'il l'estime nécessaire, se faire remettre une sauvegarde des logiciels et de l'ensemble des développements réalisés par la société CAPSENS pour ses clients PRIVATE CORNER et
ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST » ;
« ' Disposer d'un libre accès aux outils de gestion de projet « Trello » pour les projets de plateforme de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST » ;
« ' Faire procéder à tout examen technique qu'il estimera utile à sa mission»,
« ' Décrire d'après les règles applicables en matière de prestations informatiques et web, l'objet du contrat et les qualités du prestataire et du maître d'ouvrage, la correspondance des prestations fournies au fur et à mesure avec les spécifications exprimées par Private Corner à CapSens, mettre en exergue le niveau de personnalisation de la plateforme livrée au regard de l'investissement du maitre de l'ouvrage dans le projet » ;
« Décrire d'après les règles applicables en matière de prestations informatiques et web, l'objet du contrat et les qualités du prestataire et du maître d'ouvrage, la correspondance des prestations fournies au fur et à mesure avec les spécifications exprimées par Archinvest, mettre en exergue le niveau de personnalisation de la plateforme livrée au regard de l'investissement du maître de l'ouvrage dans le projet Décrire de la même manière, le rôle tout particulier de la société Quercus dans les deux projets susvisés » ;
« Effectuer toutes comparaisons et vérifications utiles des griefs sur la similitude, la copie et reprise de tout élément constitutif de la plateforme de PRIVATE CORNER pour les clients d'ARCHINVEST et QUERCUS tout particulièrement sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST »
« Donner son avis technique sur l'utilisation effective de bibliothèques et/ou briques de logiciels libres pour la plateforme développée par PRIVATE CORNER »
« Evaluer l'importance de l'usage de ces briques sous licence libre dans la plateforme PRIVATE CORNER »;
« Donner son avis technique sur la reprise de tout ou partie d'éléments constitutifs de la plateforme PRIVATE CORNER pour le générateur « Dummy » comme pour la plateforme d'ARCHINVEST » ;
« Donner son avis sur le temps déclaré de réalisation et quantifier les charges allouées par CAPSENS à chacun des projets pour la réalisation des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST» ;
« Donner son avis sur les charges allouées par les équipes des sociétés PRIVATE CORNER, ARCHINVEST et QUERCUS pour leur participation aux spécifications, suivi et recette de leur plateforme respective » ;
« Fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétences et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation dans le cas d'espèce par ARCHINVEST, CARCUS et CAPSEN des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour les développement des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST au visa de l'art. L112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle ».
« Mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état des avis et opinions aux parties à chaque étape de sa mission puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu'il fixera, avant le dépôt de son rapport »,
« Etablir un pré-rapport ou note de synthèse des constatations effectuées et observations quant à celles-ci, permettant aux parties de faire valoir leurs propres observations en leur accordant un délai minimum de 8 semaines courant à compter de la réception du pré-rapport et avant dépôt du rapport définitif ».
« Rappeler aux parties, lors de l'envoi de ce document de synthèse qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que la date à laquelle il doit déposer son rapport. »
« Fixons à 5 000 euros, le montant de la provision à consigner par PRIVATE CORNER avant le 15 mai 2024 au greffe de ce tribunal, par application des dispositions de l'Article 269 CPC. »
« Disons qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque (Article 271 CPC). »
« Disons que lors de sa première réunion, laquelle devra se dérouler dans un délai maximum de deux mois à compter de la consignation de la provision, l'expert devra après débat contradictoire avec les parties, soumettre au juge du contrôle des mesures d'instruction ce qu'il aura retenu pour ce qui concerne la méthodologie qu'il compte mettre en 'uvre, le calendrier détaillé de ses investigations, d'où découlera la date de dépôt de son rapport, et le montant prévisible de ses honoraires, de ses frais et débours, lequel juge rendra, s'il y a lieu, une ordonnance complémentaire fixant le montant de la provision complémentaire, dans les conditions de l'article 280 CPC, et, s'il y a lieu, accordera une prorogation du délai pour le dépôt du rapport. »
« Disons que lors de cette première réunion l'expert fixera un délai pour les appels, éventuels, en Intervention forcée, lesquels appels devront être au contradictoire, outre des appelés en intervention forcée, de toutes les parties dans la cause. »
« Disons que, si les parties ne viennent pas à composition entre elles, et sauf contrariété avec le paragraphe précédent, le rapport de l'expert devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision fixée ci-dessus. »
« Disons que le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise. »
et, statuant à nouveau :
in limine litis,
se juger matériellement incompétent pour connaître de la demande de mesure d'instruction, renvoyant l'affaire au Président du tribunal judiciaire de Paris ;
en conséquence,
annuler l'ordonnance rendue le 7 mai 2024 par le Président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé ;
en tout état de cause, sur les demandes en référé, que la cour annule ou non le jugement pour incompétence du Président du tribunal de commerce :
condamner Private Corner Management à verser à Archinvest la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
juger que Private Corner Management ne justifie pas d'un motif légitime et
dire n'y avoir lieu à référé ;
débouter Private Corner Management en toutes ses fins, demandes et conclusions;
à défaut, modifier la mission confiée à l'expert en :
o Supprimant de la mission figurant au dispositif les prévisions suivantes :
' « [...] mettre en exergue le niveau de personnalisation de la plateforme livrée au regard de l'investissement du maître de l'ouvrage dans le projet »
' Effectuer toute comparaison et vérifications utiles des griefs sur la similitude, la copie et reprise de tout élément constitutif de la plateforme de PRIVATE CORNER pour les clients d'ARCHINVEST et QUERCUS tout particulièrement sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST ;
' « Donner son avis technique sur l'utilisation effective de bibliothèques et/ou briques de logiciels libres pour la plateforme développée par PRIVATE CORNER »
' « Evaluer l'importance de l'usage de ces briques sous licence libre dans la plateforme PRIVATE CORNER »
' « Donner son avis technique sur la reprise de tout ou partie d'éléments constitutifs de la plateforme PRIVATE CORNER pour le générateur « dummy » comme pour la plateforme d'ARCHINVEST »
' « Fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétence et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation dans le cas d'espèce par ARCHINVEST, CARCUS [sic] et CAPSENS des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour les développements des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST au visa de l'article L. 112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle »
o Précisant en tant que de besoin que la mission de l'expert est strictement limitée aux seules considérations tenant à la concurrence déloyale, à l'exclusion de toute question tenant à la propriété intellectuelle ;
o Complétant des passages soulignés les chefs de mission suivants :
' « S'il l'estime nécessaire se rendre dans les locaux de la société Private Corner sis [Adresse 2] ainsi qu'en tout lieu utile à l'accomplissement de cette mission pour entendre toutes les parties et accomplir leur mission ;
' S'il l'estime nécessaire, se faire remettre une sauvegarde des logiciels et de l'ensemble des développements réalisés par la société CAPSENS pour ses clients PRIVATE CORNER et ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST ;
' Disposer d'un libre accès aux outils de gestion de projet « Trello » pour les projets de plateforme de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST ;
' En aucun cas l'expert ne pourra communiquer ou porter à la connaissance des parties les données contenues par les plateformes qui seront examinées par ses soins ;
' Pour les besoins de l'accomplissement de sa mission, il est autorisé à vider les copies de sauvegarde des données pour les remplacer par des données factices».
Dans ses dernières conclusions, transmises le 31 mars 2025, la société Quercus demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions et en particulier en ce qu'elle a jugé matériellement compétent le Président du Tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige et ordonné l'expertise sollicitée par la société Private Corner Management,
et, statuant à nouveau :
à titre principal :
in limine litis :
juger que le Président du Tribunal de commerce de Paris était incompétent pour connaître de la demande d'expertise présentée par la société Private Corner Management sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile,
juger que les mesures d'instruction in futurum sollicitées par la société Private Corner Management ont été ordonnées en violation de la procédure de saisie-contrefaçon de logiciels prévue à l'article L. 332-4 du Code de la propriété intellectuelle, et ne constituent pas des mesures légalement admissibles au sens de l'article 145 du Code de procédure civile,
en conséquence,
débouter la société Private Corner Management de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
ordonner la destruction de toutes les données transmises à l'expert et aux parties dans le cadre des opérations d'expertise ordonnées par l'ordonnance entreprise dans les huit jours suivants l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard concernant la société Private Corner Management,
à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour jugerait que le Président du Tribunal de commerce de Paris était compétent pour connaître du litige et que les mesures sollicitées ne relèvent pas du régime de la saisie contrefaçon :
juger que les mesures d'instruction in futurum sollicitées par la société Private Corner Management ne répondent à aucun motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile,
juger que les mesures d'instruction in futurum sollicitées par la société Private Corner Management ne sont ni nécessaires, ni proportionnées,
juger que les conditions de l'articles 145 du Code de procédure civile ne sont pas réunies en l'espèce,
en conséquence,
débouter la société Private Corner Management de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
ordonner la destruction de toutes les données transmises à l'expert et aux parties dans le cadre des opérations d'expertise ordonnées par l'ordonnance entreprise dans les huit jours suivants l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard concernant la société Private Corner Management,
à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour jugerait qu'il existerait un motif légitime à ordonner une expertise en l'espèce :
juger que la mission de l'expert telle que prévue par l'ordonnance dont appel porte atteinte au secret des affaires,
juger que la mission de l'expert telle que prévue par l'ordonnance dont appel délègue la mission de trancher le droit à un technicien,
en conséquence,
modifier l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 2024 en :
- Complétant avec les passages soulignés ci-dessous les chefs de mission de l'expert, Quercus se joint ici ainsi à la demande formulée à titre subsidiaire par Archinvest :
« S'il l'estime nécessaire se rendre dans les locaux de la société Private Corner sis [Adresse 2] ainsi qu'en tout lieu utile à l'accomplissement de cette mission pour entendre toutes les parties et accomplir leur mission ;
S'il l'estime nécessaire, se faire remettre une sauvegarde des logiciels et de l'ensemble des développements réalisés par la société CAPSENS pour ses clients PRIVATE CORNER et ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST ;
Disposer d'un libre accès aux outils de gestion de projet « Trello » pour les projets de plateforme de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST sur la période du 1er septembre 2021, date de lancement de la plateforme de PRIVATE CORNER, au 29 septembre 2022, date de lancement de la plateforme d'ARCHINVEST ;
En aucun cas l'expert ne pourra communiquer ou porter à la connaissance des parties les données contenues par les plateformes qui seront examinées par ses soins ;
Pour les besoins de l'accomplissement de sa mission, il est autorisé à vider les copies de sauvegarde des données pour les remplacer par des données factices »;
- Supprimant de la mission de l'expert désigné le dispositif suivant :
« Fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétence et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation dans le cas d'espèce par ARCHINVEST, CARCUS et CAPSENS des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour les développements des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST au visa de l'art. L. 112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle. »
- en tout état de cause :
- débouter la société Private Corner Management de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Private Corner Management aux entiers dépens d'appel, et à verser la somme de 25.000 euros à Quercus au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Dans ses conclusions uniques, transmises le 16 avril 2025, la société Capsens demande à la cour de :
- infirmer l'Ordonnance du 7 mai 2024 dans toutes ses dispositions
- et statuant à nouveau :
- in limine litis,
- juger que le Président du Tribunal des activités économiques de Paris était matériellement incompétent pour connaître de la demande de mesure d'instruction;
- à titre principal
- juger que les mesures demandées ne constituent pas des mesures légalement admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile en ce qu'elles constituent une saisie-contrefaçon déguisée ;
- en conséquence,
- débouter PRIVATE CORNER MANAGEMENT de l'ensemble de ses demandes.
- ordonner la destruction de toutes les données transmises à l'expert et aux parties dans le cadre des opérations d'expertise ordonnées par l'ordonnance concernant la société PRIVATE CORNER MANAGEMENT dans les huit jours suivants l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;
- à titre subsidiaire
- juger que PRIVATE CORNER MANAGEMENT ne justifie pas d'un motif légitime ;
- juger que les mesures sollicitées sont manifestement disproportionnées et ne sont pas légalement admissibles ;
- en conséquence,
- débouter PRIVATE CORNER MANAGEMENT de l'ensemble de ses demandes.
- ordonner la destruction de toutes les données transmises à l'expert et aux parties dans le cadre des opérations d'expertise ordonnées par l'ordonnance concernant la société PRIVATE CORNER MANAGEMENT dans les huit jours suivants l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;
- à titre infiniment subsidiaire
- modifier l'Ordonnance du Président du Tribunal des activités économiques de Paris du 7 mai 2024 :
- précisant la mission confiée à l'expert en ajoutant : « Distinguer, dans les éventuelles similitudes relevées celles qui relèvent (i) du savoir-faire de CAPSENS; (ii) de conventions de code internes à CAPSENS ; (iii) de fonctionnalités basiques qui se retrouvent sur la majorité de sites internet ; (iii) de l'utilisation de briques de code tirées de librairies open source ; (iv) de fonctionnalités métiers propres à l'activité commune de PCM et ARCHINVEST et (v) celles qui relèvent de demandes exprimées par chacune de PCM et ARCHINVEST. »
- supprimant le chef de mission : « Donner son avis technique sur l'utilisation effective de bibliothèque et/ou briques de logiciels libres pour la plateforme développée p[our] Private Corner. Evaluer l'importance de l'usage de ces briques sous licence libre dans la plateforme Private Corner. Donner son avis technique sur la reprise de tout ou partie d'éléments constitutifs de la plateforme Private Corner pour le générateur dummy »
- supprimant le chef de mission : « Fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétence et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation dans le cas d'espèce par ARCHINVEST, CARCUS et CAPSENS des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour les développements des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST au visa de l'art. L. 112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle.»
- en tout état de cause
- condamner la société PRIVATE CORNER MANAGEMENT à payer à la société CAPSENS la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société PRIVATE CORNER MANAGEMENT aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 6 mai 2025, la société Private Corner Management demande à la cour de :
confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance par le Président du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 2024 ;
subsidiairement, infirmer l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Paris du 7 mai 2024 uniquement en ce qu'elle prévoit le chef de mission suivant : « Fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétences et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation dans le cas d'espèce par ARCHINVEST, [QUERCUS] et CAPSENS des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour les développement des plateformes de PRIVATE CORNER et d'ARCHINVEST au visa de l'art. L112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle. » et, statuant à nouveau, distraire le chef de mission précité de la mission confiée à l'expert désigné;
rejeter les demandes des appelants ;
condamner les sociétés Capsens, Archinvest et Quercus, in solidum, aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître François Teytaud, avocat constitué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile
condamner les sociétés Capsens, Archinvest et Quercus, in solidum, à verser à la société Private Corner Management la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur la compétence matérielle du juge des référés du tribunal de commerce
Les sociétés Archinvest, Quercus et Capsens soutiennent en substance que le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a statué à tort sur les demandes formées par la société PCM, en se déclarant compétent pour ordonner une mesure d'instruction dans une matière qui ne relève pas de la compétence de la juridiction commerciale ; que le pouvoir d'ordonner une mesure d'instruction in futurum, en application de l'article 145 du code de procédure civile, appartient exclusivement au président de la juridiction qui serait compétente pour connaître du fond du litige ; que lorsqu'un litige implique l'examen d'un droit de propriété intellectuelle, tel qu'un droit d'auteur sur un logiciel, la compétence matérielle exclusive revient au tribunal judiciaire, même lorsque la demande est formulée sous le prisme de la concurrence déloyale ; que le juge des référés du tribunal de commerce de Paris ne pouvait statuer sur une demande d'expertise ayant pour objet l'examen d'éléments susceptibles d'être protégés au titre du droit d'auteur, en particulier un code source ou la conception d'un logiciel, la société PCM soulevant explicitement des questions relatives à la titularité et à l'étendue des droits de propriété intellectuelle attachés à un développement logiciel et sollicitant la désignation d'un expert pour procéder à l'examen du design et du code source de la plateforme afin d'en apprécier le degré de personnalisation ; que la mission d'expertise ainsi formulée implique nécessairement une analyse des droits d'auteur sur un logiciel, ce qui relève, de manière exclusive, de la compétence du tribunal judiciaire ; que l'ordonnance doit donc être infirmée en ce qu'elle a retenu la compétence du juge des référés du tribunal de commerce de Paris.
La société PCM soutient que le tribunal de commerce de Paris est matériellement compétent pour connaître de la mesure d'instruction sollicitée, laquelle repose exclusivement sur des griefs de concurrence déloyale ; que la compétence du juge consulaire ne saurait être écartée au seul motif que les faits allégués par elle impliqueraient des éléments techniques relatifs à une plateforme numérique ; que ses demandes ne reposent nullement sur l'invocation de droits d'auteur ou sur la titularité d'un droit de propriété intellectuelle, mais sur la valeur économique de la plateforme qu'elle a fait développer par la société Capsens, résultat d'un investissement financier et humain significatif, et protégée à ce titre contre les actes de concurrence déloyale et de parasitisme ; que cette valeur économique, même en l'absence d'une protection par le droit d'auteur, constitue un actif dont l'appropriation ou la reproduction sans effort propre peut être sanctionnée au titre de la concurrence déloyale ; que les développements réalisés pour son compte ne sont pas revendiqués comme originaux au sens du code de la propriété intellectuelle ; que le contrat par lequel Capsens lui a attribué la propriété des développements réalisés est invoqué uniquement pour démontrer sa qualité à agir et l'appropriation légitime de la plateforme en cause ; que la mesure d'instruction sollicitée vise exclusivement à établir si la plateforme exploitée par la société Archinvest présente des éléments identiques ou très similaires à la sienne, et si de telles similitudes peuvent s'expliquer par une absence d'investissement de la part de la société Archinvest, ce qui relèverait de pratiques déloyales ; que la mission confiée à l'expert tend notamment à reconstituer la chronologie du développement de la plateforme de la société Archinvest, à vérifier l'usage de briques logicielles en open-source et à évaluer les conditions concrètes de développement, sans chercher à établir une contrefaçon ; que l'expertise judiciaire ordonnée appelle un avis éclairé du technicien sur des pratiques présumées déloyales ; que les tribunaux de commerce sont compétents pour ordonner, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, des mesures portant sur des logiciels, dès lors que les faits visés relèvent de la concurrence déloyale ou du parasitisme et non de la protection d'un droit d'auteur ; qu'en tout état de cause, si la cour venait à estimer que le tribunal de commerce de Paris n'était pas compétent, cette circonstance ne ferait pas obstacle à ce qu'elle statue sur le fond, en sa qualité de juridiction d'appel du tribunal de commerce de Paris et du tribunal judiciaire de Paris, conformément à l'article 90 du code de procédure civile ; que l'exception d'incompétence soulevée par les appelantes doit donc être rejetée.
Sur ce,
L'article 145 du code de procédure civile dispose que 'S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
Il résulte de cette disposition que le juge compétent pour ordonner les mesures d'instruction in futurum prévues dans l'article 145 susvisé est le président de la juridiction compétente pour connaître du fond du litige éventuel.
En application de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux judiciaires.
Les « logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire » sont expressément protégés par le droit d'auteur conformément à l'article L. 112-2 13° du code de la propriété intellectuelle.
Il découle de ces textes que la juridiction consulaire est incompétente pour connaître d'une action en concurrence déloyale dès lors qu'une telle action implique l'examen de l'existence ou de la méconnaissance d'un droit de propriété intellectuelle, tel qu'un droit d'auteur sur un logiciel, et ce quand bien même la demanderesse à la mesure d'expertise prétend vouloir fonder ses demandes exclusivement sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme.
En l'espèce, dans son assignation introductive (pages 4 et 5), la société PCM fait valoir qu'elle a confié à la société Capsens, selon contrat du 6 août 2020, la conception et la réalisation de son site internet et de sa plateforme, dont les éléments auraient été prétendument reproduits dans les plateformes incriminées, que l'article 11 dudit contrat, intitulé « propriété intellectuelle », stipule que « l'ensemble des développement réalisés deviennent la propriété exclusive de Private Corner », et que le dirigeant de la société Capsens a confirmé, par email du 18 octobre 2022, la titularité exclusive de la société PCM sur l'ensemble des droits de propriété intellectuelle de la plateforme.
La société PCM ne peut soutenir qu'elle n'entend pas reprocher aux sociétés Archinvest, Capsens et Quercus la reproduction des éléments de son logiciel sur lequel elle revendique une titularité exclusive de droits de propriété intellectuelle, et ce alors qu'elle demande, aux termes de ses conclusions, la confirmation de la mission confiée à l'expert judiciaire par le jugement entrepris, laquelle comprend de « se faire remettre une sauvegarde des logiciels et de l'ensemble des développements réalisés par la société Capsens pour ses clients PCM et Archinvest », « d'effectuer toutes comparaisons et vérifications des griefs sur la similitude, la copie et la reprise de tout élément constitutif de la plateforme de PCM pour les clients Archinvest et Quercus », et de « fournir tous éléments (') et donner son avis quant à la pertinence des allégations des parties relatives à la violation par Archinvest, Quercus et Capsens des règles de la propriété intellectuelle de façon à éclairer le juge du fond qui pourrait être saisi d'un litige portant sur le droit de propriété des codes sources des logiciels utilisés pour le développement des plateforme de PCM et d'Archinvest au visa de l'article L. 112-2 13° du code de la propriété intellectuelle ».
Il s'ensuit que le tribunal judiciaire, en tant que juridiction matériellement compétente pour statuer sur le fond du litige éventuel, était dès lors exclusivement compétent pour connaître de la demande d'expertise formée par la société PCM sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce que le président du tribunal de commerce s'est déclaré matériellement compétent pour connaître du présent litige.
L'article 90 du code de procédure civile prévoit que lorsque le juge s'est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement et lorsque la cour in'rme du chef de la compétence elle statue néanmoins sur le fond du litige si elle est juridiction d'appel de la juridiction qu'elle estime compétente.
Il est constant que la cour d'appel de Paris est juridiction d'appel du tribunal judiciaire de Paris, compétent pour connaître de ce litige. Il convient en conséquence, en application de l'article 90 susvisé du code de procédure civile, de statuer sur la demande d'expertise.
Sur le bien-fondé de la mesure d'expertise sollicitée
La société PCM fait valoir, s'agissant des motifs légitimes, qu'elle n'a pas à démontrer l'existence de faits que la mesure sollicitée est destinée à établir ; qu'en l'espèce, un faisceau d'indices rend vraisemblables, d'une part, des actes de parasitisme et de concurrence déloyale tant par Archinvest que Mme [X] via sa holding Quercus, d'autre part, des violations contractuelles et des actes de complicité de concurrence déloyale de la société Capsens ; qu'il existe une forte probabilité que Mme [X], à la faveur de sa qualité d'associée de Private Corner et de sa connaissance de l'activité de la société, ait sollicité la société Capsens pour lui fournir à moindre coût une plateforme identique à la plateforme de Private Corner ; qu'elle justifie donc d'un motif légitime d'obtenir et préserver les éléments de preuve en nommant un expert pour donner son avis technique sur les ressemblances entre les plateformes et la reprise totale ou partielle d'éléments constitutifs de la Plateforme Private Corner ; que la désignation d'un expert est une mesure légalement admissible ; que le secret des affaires ne fait pas obstacle aux mesures in futurum ; que les mesures sollicitées ne relèvent pas du régime de la contrefaçon ; qu'elles sont parfaitement circonscrites.
Les sociétés Quercus, Archinvest et Capsens soutiennent en substance que la société PCM ne justifie d'aucun motif légitime à la mesure sollicitée ; que le coût de la plateforme de la société Archinvest est sensiblement supérieur à celui de la plateforme de la société PCM ce qui infirme l'hypothèse d'un développement à moindre coût ; que la durée de développement a été sensiblement plus longue, de l'ordre de onze mois pour la société Archinvest contre six mois pour la société PCM, ce que confirment les pièces produites aux débats ; que la société PCM ne présente aucune comparaison directe entre les deux plateformes en cause, et concentre son analyse sur celle d'un tiers, la société Andera Partners, qui n'est pas partie au litige ; que les prétendues similitudes invoquées ne concernent que des fonctionnalités génériques, couramment mises en 'uvre sur les plateformes d'intermédiation en ligne, qui ne sauraient être interprétées comme l'indice d'une copie, d'autant que la plateforme de la société PCM repose sur un générateur préexistant, appelé « dummy », développé par la société Capsens à partir d'un projet antérieur réalisé pour la société Idinvest ; que cette architecture standard, connue de la société PCM dès la phase de négociation contractuelle, est utilisée pour plusieurs clients ; que la société PCM ne démontre donc aucunement l'existence d'un faisceau d'indices susceptibles d'établir la probabilité de faits fautifs, ce qui ôte toute légitimité à la mesure d'instruction sollicitée.
Elles ajoutent que la mesure sollicitée constitue un détournement des règles applicables à la saisie-contrefaçon des logiciels, et qu'elle n'est donc pas légalement admissible sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
Sur ce,
L'article 145 du code de procédure civile dispose que 'S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
L'existence du motif légitime de nature à justifier une mesure d'instruction par application de l'article 145 du code de procédure civile relève du pouvoir souverain du juge (Civ. 2ème, 14 mars 1984, n°82-16.076). Toutefois le juge ne peut refuser d'ordonner une mesure d'instruction au motif que le demandeur ne rapporte pas la preuve de faits que cette mesure a pour objet d'établir (Civ. 2ème, 13 juin 2024, n°22-10.321).
L'existence d'un motif légitime de demander des mesures prévues à l'article 145 du code de procédure civile n'oblige pas le juge à ordonner cette mesure s'il l'estime inutile. (Civ 2ème, 20 mars 2014 n°13-14.985).
En outre, l'article 146 du code de procédure civile dispose : « Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.
En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve. »
Pour justifier du motif légitime d'ordonner la mesure d'expertise judiciaire sollicitée, la société PCM invoque « un faisceau d'indices rend[ant] vraisemblable la commission », à son préjudice, d'une part, « d'actes de concurrence déloyale, notamment par parasitisme tant par Archinvest que Mme [X] via sa holding Quercus, cette dernière exposant aussi sa responsabilité au titre de fautes commises en sa qualité d'associée de Private Corner », d'autre part, « par Capsens, de violations contractuelles du contrat (y compris du fait de l'usage de bibliothèques logicielles sous licence libre et de réexploitation de composants livrés exclusivement pour elles dans le générateur « Dummy ») et de complicité de concurrence déloyale au profit d'Archinvest et au préjudice de Private Corner ».
Il est constant que la société PCM s'est adressée en 2020, année de sa création, à la société Capsens pour faire développer sa plateforme de souscription en ligne, compte tenu de l'expérience déjà acquise par cette société dans la conception, pour la société Idinvest, d'une plateforme de souscription en ligne à des fonds d'investissement, expérience qui lui a été présentée de façon détaillée dans la proposition commerciale de la société Capsens. La société PCM a également connaissance que la société Capsens avait élaboré en interne, à partir de la réalisation de ladite plateforme, une architecture de plateforme standard ayant vocation à servir de base pour des développements destinés à de futurs clients comme elle, cette architecture, appelée « dummy », ayant servi à la démonstration qui lui a été faite par la société Capsens, ainsi qu'en atteste le mail qui lui a été adressé en septembre 2020 : « Voici le site de démo pour vos rendez-vous. Nous l'avons fait à partir de notre générateur. Il fonctionne très bien, mais ayez en tête que ce n'est pas exactement les mêmes formulaires pour votre site bien que ce soit très proche (c'est surtout calqué sur Idinvest) ». La société PCM a également été informée que c'est à partir de ce générateur que la société Capsens a commencé à élaborer la plateforme PCM, comme en atteste notamment la page 3 de la proposition commerciale, dans laquelle la société Capsens, qui se présente comme un spécialiste des « fintechs », mentionne expressément « nous utilisons des librairies de code que nous avons réalisées pour développer rapidement des sites avec un haut niveau de qualité ». La société PCM savait également pertinemment que la société Capsens développait des plateformes pour d'autres acteurs de ce marché spécifique, et notamment la société Andrea en 2021, Blisce en 2022, Innovafonds en 2022 etc ' ainsi que cela figure sur le site internet de la société Capsens.
Ainsi, alors qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société PCM avait parfaitement connaissance de ce que la société Capsens, spécialiste du développement de sites internet pour les acteurs de la « fintech », développait des plateformes de souscription en ligne pour des sociétés concurrentes, et qu'elle avait conçu et développé sa plateforme à partir d'une architecture standard lui servant de base pour tous ses développements, la société PCM ne peut se borner à alléguer de simples similitudes entre sa plateforme et celle de la société Archinvest pour prétendre justifier d'un motif légitime à voir ordonner une mesure d'expertise aux fins de comparer les logiciels et les développements réalisés par la société Capsens, d'une part pour la société PCM, d'autre part pour la société Archinvest.
La société PCM invoque un faisceau d'indices qui rendrait vraisemblables ses soupçons de concurrence déloyale et parasitaire commis à son préjudice par les sociétés Archinvest et Quercus, et dont la société Capsens se serait rendue complice.
S'agissant des prétendues similitudes entre les plateformes, la cour constate que le procès-verbal de constat de commissaire de justice du 3 novembre 2022, qui n'est même pas visé par la société PCM dans ses écritures pour justifier de son motif légitime, se borne à effectuer des captures de pages accessibles des sites litigieux sans effectuer aucune comparaison, que la première « note expertale » de l'expert privé, qui porte sur le propre site de la société PCM et plus particulièrement sur « l'effort de conception et l'investissement dans la réalisation du site », relève expressément que « l'étude des similitudes entre la plateforme de PCM et celle d'Archinvest ne relève pas de l'objet de la présente note », et que la note technique complémentaire de l'expert privé concerne la comparaison entre la plateforme PCM et celle de la société Andera Partners, qui est un autre acteur du marché qui n'est pas dans la cause. En outre, contrairement à ses allégations, la société PCM ne produit aucune pièce établissant que des acteurs du marché auraient relevé des similitudes entre les plateformes litigieuses de nature à soupçonner un risque de confusion ou un acte parasitaire.
La société PCM allègue aussi que la société Quercus, en sa qualité d'associée de PCM, aurait sciemment sollicité la société Capsens pour développer la plateforme d'investissement d'Archinvest afin d'obtenir une plateforme identique à celle de PCM à moindre coût. Il n'est cependant pas contesté que la société Quercus était en relation avec Capsens depuis 2015, soit depuis plus de cinq années avant la création de la société PCM, la société Capsens ayant conçu et développé en 2016 la plateforme d'investissement de la société Deltalpha Capital (French Partners), dont la société Quercus est associée, et qu'au mois de juin 2020 c'est la société Quercus qui a recommandé à la société PCM les services de la société Capsens, ce qui est au demeurant rappelé dans le préambule du contrat de prestation de services conclu entre les sociétés Capsens et PCM, de sorte que le fait que la société Archinvest, fondée notamment par la société Quercus, a fait appel à la société Capsens pour le développement de sa plateforme, n'est en rien un indice d'un comportement déloyal.
La société PCM allègue aussi que son soupçon de concurrence parasitaire résulterait de ce que la société Archinvest aurait développé sa plateforme à moindre coût. Il résulte cependant des factures versées au dossier, non contestées ni contredites par aucun autre élément, que la plateforme de la société PCM lui a été facturée 85 337 euros HT par la société Capsens, et que celle de la société Archinvest lui a été facturée 145 360 euros HT.
La société PCM a également soutenu dans son assignation introductive qu'un indice de parasitisme résultait du temps de développement de la plateforme Archinvest, d'une durée de trois mois, anormalement courte. Cependant, cette durée résulte d'une simple affirmation de la société PCM, l'expert privé indiquant « Private Corner nous affirme que le site de Archinvest a été développé et mis en ligne en moins de 3 mois », affirmation qui est contredite par les éléments versés à la procédure justifiant d'une durée de près d'une année, les premiers échanges techniques sérieux avec les équipes de Capsens pour la création de la plateforme d'Archinvest ayant commencé en décembre 2021, une proposition commerciale ayant été envoyée par Capsens le 17 décembre 2021, puis une seconde le 6 janvier 2022, le contrat de développement, formellement signé le 3 mars 2022, prévoyant une durée de quatre à cinq mois, et la plateforme n'ayant finalement été mise en ligne que fin septembre 2022, des développements complémentaires ayant été effectués par Capsens jusqu'en mars 2023.
Enfin la société PCM se plaint de l'emploi par la société Capsens de briques de codes libres ainsi que de l'utilisation de son « dummy » pour le développement de son site internet. Cependant, elle ne démontre pas l'utilité de la mesure d'expertise sollicitée pour justifier de ces supposées violations contractuelles relatives à sa propre plateforme, qu'elle peut donc faire expertiser pour établir ses griefs vis-à-vis de la société Capsens, la mesure d'instruction ne pouvant être ordonnée pour suppléer sa carence dans l'administration de la preuve.
Il n'est enfin pas contesté que le site internet et la plateforme de la société Archinvest ont été lancés en novembre 2022, et que la société PCM n'a exprimé aucun grief à la société Capsens pendant près d'une année, jusqu'à l'envoi de son assignation le 5 octobre 2023, assignation délivrée dans le contexte de crispation des relations entre les sociétés PCM et Quercus au sujet des conditions de l'exclusion de cette dernière des associés de la société PCM. L'existence d'un litige relatif aux conditions de l'exclusion d'un associé ne constitue pas un motif légitime d'ordonner une expertise aux fins de constituer des preuves pour un prétendu litige de concurrence déloyale et parasitaire.
Il résulte des développements qui précèdent, et sans qu'il soit exigé de la société Capsens de rapporter la preuve de faits que la mesure sollicitée a pour objet d'établir, que les éléments qu'elle invoque ne constituent pas un motif légitime d'obtenir la mesure d'expertise demandée.
La demande d'expertise de la société PCM sera donc rejetée. L'ordonnance entreprise sera infirmée de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le président du tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître de la demande d'expertise sollicitée,
Rejette toutes les demandes de la société Private Corner Management,
Ordonne la destruction de toutes les données transmises à l'expert et aux parties dans le cadre des opérations d'expertise ordonnées par l'ordonnance entreprise,
Condamne la société Private Corner Management aux dépens de première instance et d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre, pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel, les sommes de 10 000 euros à la société Quercus, 10 000 euros à la société Capsens et 5 000 euros à la société Archinvest.