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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 septembre 2025, n° 24/01588

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Airwair International Limited (Sté), Dr Martens Airwair France (SAS)

Défendeur :

Vavi Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohee

Avocats :

Me Grappotte-Benetreau, Me Strittmatter

TJ Paris, 3e ch. sect. 2, du 6 oct. 2023…

6 octobre 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Les sociétés AIRWAIR INTERNATIONAL et DR MARTENS AIRWAIR FRANCE appartiennent au groupe AIRWAIR.

La société de droit anglais AIRWAIR INTERNATIONAL (ci-après, la société AIRWAIR) conçoit, fabrique et commercialise des chaussures sous la marque DR MARTENS, notamment en France, tant sur son propre site internet https://www.drmartens.com/fr/fr/ que par l'intermédiaire de divers revendeurs, en boutique ou en ligne.

La société française DR MARTENS AIRWAIR FRANCE (ci-après, la société DR MARTENS) assure, quant à elle, la distribution en France des produits commercialisés sous la marque DR MARTENS, dans ses points de vente situés notamment à [Localité 15], [Localité 16], [Localité 17], [Localité 8], [Localité 9], [Localité 18], [Localité 12], [Localité 5], [Localité 19], [Localité 10], [Localité 11], [Localité 4] et [Localité 13].

La société AIRWAIR est notamment titulaire des marques verbales de l'Union européenne suivantes :

« AIRWAIR » déposée le 1er avril 1996 sous le n°152918 (ci-après, la marque n° 918) pour désigner notamment les « chaussures ; talons, semelles, trépointes, semelles intérieures, empeignes et parties métalliques, tous pour chaussures » en classe 25,

« AIRWAIR WITH BOUNCING SOLES » déposée le 1er avril 1996 sous le n°152215 (ci-après, la marque n° 215) pour désigner notamment les mêmes produits en classe 25,

« AIRWAIR » déposée le 26 janvier 2015 sous le n°14299895 (ci-après, la marque n° 895) pour désigner notamment les « chaussures » en classe 25.

Elle est également titulaire des marques figurative et semi-figurative françaises suivantes:

- déposé à l'INPI le 29 juin 1995 sous le n°95578243 (ci-après, la marque n° 243) pour désigner des « articles chaussants ; semelles, talons, semelles intérieures » en classe 25,

« WITH BOUNCING SOLES » déposée à l'INPI le 19 mars 2021 sous le n°4687487 (ci-après, la marque n° 487) pour désigner notamment des « chaussures » en classe 25 :

En outre, la société AIRWAIR est la licenciée :

de deux marques de l'Union européenne détenues par la société de droit allemand GFM GmbH Trademarks :

la marque verbale « 1460 » déposée le 13 septembre 2019 sous le n°18124242 (ci-après, la marque n° 242) pour désigner des « Chaussures; Bottes ; Sandales ; Souliers ; Tiges de bottes ; Semelles intérieures ; Ferrures de chaussures ; Semelles ; Premières pour bottes et chaussures » en classe 25,

la marque semi-figurative « DR. MARTENS AIRWAIR WITH BOUNCING SOLES » déposée le 12 juillet 2017 sous le n° 16977944 (ci-après, la marque n° 944) pour désigner notamment des « Chaussures ; Bottes ; Sandales ; Souliers ; Tiges de bottes ; Premières ; Garnitures métalliques pour chaussures ; Semelles ; Premières pour bottes et chaussures » en classe 25 :

de deux marques de l'Union européenne codétenues par les sociétés de droit allemand DR. MARTENS INTERNATIONAL TRADING et DR. MAERTENS MARKETING :

la marque semi-figurative « DR. MARTENS AIR CUSHION SOLE » déposée le 1er avril 1996 sous le n°59089 (ci-après, la marque n° 089) pour désigner notamment des « Chaussures et leurs pièces ; semelles » en classe 25 :

la marque verbale « DR. MARTENS » déposée le 1er avril 1996 sous le n° 59147 (ci-après, la marque n° 147) pour désigner notamment des « chaussures et leurs composantes » en classe 25.

Les sociétés AIRWAIR et DR MARTENS reprochent à la société de droit irlandais VAVI la commercialisation, entre 2020 et 2022, de plusieurs modèles de chaussures désignés sous les noms Tina boots, Drake boots et Django boots, en contrefaçon des marques françaises et de l'Union européenne précitées, ainsi que la commercialisation des mêmes modèles Tina boots et Drake boots (y compris une déclinaison dénommée Drake Boots hiver) en ce qu'ils constitueraient la contrefaçon de droits d'auteurs sur des chaussures dénommées Jadon et 1460, subsidiairement en ce qu'ils constitueraient une concurrence déloyale par création d'un risque de confusion à l'égard de celles-ci.

Elles reprochent en outre à la société VAVI la reproduction de leurs modèles Jadon et Sinclair par les modèles Drake (dans sa déclinaison hiver), Django, Collette boots et Nikkita boots, ainsi que les conditions de commercialisation de ces produits, qu'elles qualifient d'actes distincts de concurrence déloyale ou de parasitisme.

Les sociétés AIRWAIR et DR MARTENS ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qui, par une ordonnance rendue le 22 avril 2022, a notamment :

dit qu'en important, offrant à la vente et commercialisant les chaussures Tina boots la belle pièce TM, la société VAVI a commis des actes de contrefaçon vraisemblable de la marque de l'Union européenne '1460" n° 242 et de la marque figurative française n° 243, au préjudice de la société AIRWAIR,

dit qu'en important, offrant à la vente et commercialisant les chaussures Drake boots la belle pièce TM', la société VAVI a commis des actes de contrefaçon vraisemblable des marques verbales de l'Union européenne 'AIRWAIR' n°895 et 918, de la marque verbale de l'Union européenne 'AIRWAIR WITH BOUNCING SOLES' n° 215, de la marque semi-figurative française 'WITH BOUNCING SOLES' n° 487, des marques semi-figuratives de l'Union européenne 'DR AIRWAIR MARTENS' n° 944 et 'DR MARTENS AIR CUSHION SOLE' n° 089 et de la marque verbale de l'Union européenne 'DR. MARTENS' n° 147, au préjudice de la société AIRWAIR,

dit qu'en important, offrant à la vente et commercialisant les chaussures Django boots TM la belle pièce', la société VAVI a commis des actes de contrefaçon vraisemblable des marques verbales de l'Union européenne 'AIRWAIR' n° 895 et 918, de la marque semi-figurative française 'WITH BOUNCING SOLES' n° 487 et de la marque verbale de l'Union européenne 'AIRWAIR WITH BOUNCING SOLES' n° 215, au préjudice de la société AIRWAIR,

dit qu'en important, offrant à la vente et commercialisant les chaussures Tina boots la belle pièce TM (1460 Smooth), Drake boots la belle pièce TM, Django boots TM la belle pièce, Collette boots la belle pièce TM, Nikkita boots TM la belle pièce et Drake boots hiver TM la belle pièce, qui sont des copies serviles ou quasi serviles des chaussures 1460, Jadon et Sinclair, la société VAVI a causé un trouble manifestement illicite en raison de faits distincts de concurrence déloyale, au préjudice des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS,

fait interdiction à la société VAVI d'importer, exporter, fabriquer, de faire fabriquer, commercialiser, offrir à la vente et vendre les chaussures dénommées Tina boots la belle pièce TM (1460 smooth), Drake boots la belle pièce TM, Django boots TM la belle pièce, Collette boots la belle pièce TM, Nikkita boots TM la belle pièce et Drake boots hiver TM la belle pièce en France, et notamment sur le site Internet https://labellepiece.fr, sous astreinte,

fait interdiction à la société VAVI de faire usage, à quelque titre que ce soit, notamment pour désigner des chaussures, de tous signes similaires aux marques de l'Union européenne n° 895, 918, 242, 215, 944, 089, 147 et des marques françaises n° 243 et 487, sous astreinte,

enjoint à la société VAVI de procéder au retrait et au rappel des circuits commerciaux des chaussures litigieuses, sous astreinte,

enjoint à la société VAVI LIMITED de communiquer aux sociétés AIRWAIR et DR MARTENS, divers documents comptables certifiés conformes par un commissaire aux comptes ou un expert-comptable, sous astreinte,

s'est réservé la liquidation des astreintes,

condamné la société VAVI à payer :

à la société AIRWAIR 12.500 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice imputable à l'atteinte vraisemblable aux marques et au trouble manifestement illicite consécutif aux faits distincts de concurrence déloyale,

à la société DR MARTENS 2.500 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice imputable au trouble manifestement illicite consécutif aux faits de concurrence déloyale,

condamné la société VAVI aux dépens et au paiement aux sociétés AIRWAIR et DR MARTENS 3.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire (la société VAVI étant défaillante) rendu le 6 octobre 2023, le tribunal judiciaire de Paris :

a condamné la société VAVI à payer à la société AIRWAIR une provision de 50 000 euros au titre de la contrefaçon des marques ainsi que des droits d'auteur sur l'oeuvre 1460 à raison de la commercialisation des chaussures référencées Tina boots, Drake boots et Django boots ;

a rejeté les demandes de la société AIRWAIR en contrefaçon de droits d'auteur sur le produit référencé Jadon ;

a rejeté les demandes de la société DR MARTENS en contrefaçon de marques et de droits d'auteur ;

a condamné la société VAVI à payer à la société AIRWAIR une provision de 30 000 euros au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

a rejeté les demandes de la société DR MARTENS en concurrence déloyale et parasitaire ;

dit que ces condamnations, bien que provisoires, remplacent celles prévues par le juge des référés le 22 avril 2022 ;

a enjoint à la société VAVI de communiquer à la société AIRWAIR, dans un délai de 30 jours après la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 90 jours, une attestation d'un commissaire aux comptes ou d'un expert-comptable (ou équivalent local) indépendant, établissant, en en certifiant l'exhaustivité et l'exactitude, les données suivantes relatives respectivement aux produits Tina boots, Drake boots et Django boots : 1) le nombre de paires vendues en France (ou à destination de la France) 2) le chiffre d'affaires afférent 3) la marge et le bénéfice total correspondant 4) le nombre de paires en stock en France 5) le lieu de stockage 6) la période de commercialisation en France ou à destination de la France 7) l'identité et les coordonnées des fournisseurs (où qu'ils se trouvent) 8) et le cas échéant celle des distributeurs en France ;

a enjoint à la société VAVI :

de cesser l'usage des signes illicites examinés aux points 16 à 28 du présent jugement, pour des chaussures,

de cesser toute offre à la vente des chaussures Tina boots (telle que représentée au point 41 du jugement), Django boots (telle que représentée au point 85 du jugement), Nikkita boots (représentée au même point), Drake boots (et Drake boots hiver) (représentée au même point), en France (y compris sur un site internet accessible depuis la France),

de supprimer toute représentation du modèle TINA BOOTS sur tout site internet accessible depuis la France,

et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui commencera à courir après 10 jours suivant la signification du jugement puis courra au maximum pendant 90 jours ;

a ordonné à la société VAVI de faire apparaître en haut de chaque page de son site internet labellepiece.fr (ou tout autre site qu'elle exploite alors si celui-ci n'a plus d'activité), d'une façon extrêmement visible, et pendant une durée d'un mois, la mention suivante, sous astreinte de 400 euros par jour de retard qui commencera à courir après 10 jours suivant la signification du jugement puis courra au maximum pendant 90 jours :

'La société Vavi, exploitant ce site internet, a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris (dans une décision susceptible d'appel) pour la contrefaçon de plusieurs marques appartenant à des sociétés du groupe Dr. Martens, la contrefaçon de la chaussure originale 1460 et pour avoir commercialisé de façon illicite plusieurs autres modèles de chaussures en parasitant la renommée des chaussures Dr. Martens authentiques.'

a autorisé la société AIRWAIR à faire saisir et détruire par tout commissaire de justice compétent les stocks, le cas échéant, des chaussures précitées sous les références Tina boots, Drake boots (et Drake boots hiver) et Django boots ;

a rejeté la demande de publication du jugement dans des journaux aux frais de la société VAVI ;

s'est réservé la liquidation des astreintes ;

a condamné la société VAVI aux dépens (avec recouvrement par l'avocat de la société AIRWAIR pour ceux dont il aurait fait l'avance sans en recevoir provision),

a condamné la société VAVI à payer 15 000 euros à la société AIRWAIR au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 10 janvier 2024, les sociétés AIRWAIR et DR MARTENS ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 2, transmises le 22 juillet 2024, les sociétés AIRWAIR et DR MARTENS, appelantes, demandent à la cour de :

Vu les articles L.111-1, L.112-1, L.113-1, L.122-4, L.331-1-3, L.331-1-2, L.335-3, L.713-2, L.713-3-1, L.716-4, L.716-4-2, L.716-4-9 et L.717-1 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu les articles 9, 17, 25, 125, 126 et 131 du Règlement (UE) 2017/1001,

confirmer le jugement en ce qu'il a :

condamné la société VAVI à payer à la société AIRWAIR une provision de 50.000 euros au titre de la contrefaçon des marques ainsi que des droits d'auteur sur l''uvre « 1460 » à raison de la commercialisation des chaussures référencées Tina boots, Drake boots et Django boots ;

condamné la société VAVI à payer à la société AIRWAIR une provision de 30.000 euros au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;

enjoint à la société VAVI de communiquer à la société AIRWAIR, dans un délai de 30 jours après la signification du jugement, puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra au maximum pendant 90 jours : une attestation d'un commissaire aux comptes ou d'un expert- comptable (ou équivalent local) indépendant, établissant, en en certifiant l'exhaustivité et l'exactitude, les données suivantes relatives respectivement aux produits a) Tina boots b) Drake boots et c) Django boots : 1) le nombre de paires vendues en France (ou à destination de la France) 2) le chiffre d'affaires afférent 3) la marge et le bénéfice total correspondant 4) le nombre de paires en stock en France 5) le lieu de stockage 6) la période de commercialisation en France ou à destination de la France 7) l'identité et les coordonnées des fournisseurs (où qu'ils se trouvent) 8) et le cas échéant celle des distributeurs en France ;

enjoint à la société VAVI : 1) de cesser l'usage des signes illicites examinés aux points 16 à 28 du jugement, pour des chaussures, 2) de cesser toute offre à la vente des chaussures a) Tina boots, telle que représentée au point 41 du jugement, b) Django boots, telle que représentée au point 85 du jugement, c) Nikkita boots, représentée au même point, d) Drake boots (et Drake boots hiver), représentée au même point, en France (y compris sur un site internet accessible depuis la France), 3) de supprimer toute représentation du modèle Tina boots sur tout site internet accessible depuis la France, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui commencera à courir après 10 jours suivant la signification du présent jugement puis courra au maximum pendant 90 jours ;

ordonné à la société VAVI de faire apparaitre en haut de chaque page de son site internet labellepiece.fr (ou tout autre site qu'elle exploite alors si celui-ci n'a plus d'activité), d'une façon extrêmement visible, et pendant une durée d'un mois, la mention suivante, sous astreinte de 400 euros par jour de retard qui commencera à courir après 10 jours suivant la signification du jugement puis courra au maximum pendant 90 jours :

« La société Vavi, exploitant ce site internet, a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris (dans une décision susceptible d'appel) pour la contrefaçon de plusieurs marques appartenant à des sociétés du groupe Dr. Martens, la contrefaçon de la chaussure originale 1460 et pour avoir commercialisé de façon illicite plusieurs autres modèles de chaussures en parasitant la renommée des chaussures Dr. Martens authentiques. »

autorisé la société AIRWAIR à faire saisir et détruire par tout commissaire de justice compétent les stocks, le cas échéant, des chaussures précitées sous les références Tina boots, Drake boots (et Drake boots hiver) et Django boots ;

condamné la société VAVI aux dépens (avec recouvrement par l'avocat de la société Airwair international pour ceux dont il aurait fait l'avance sans en recevoir provision) ;

condamné la société VAVI au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

l'infirmer pour le reste, et, statuant à nouveau :

juger que l'usage par la société VAVI sur son site internet et sur le modèle de chaussure « TINA BOOTS LA BELLE PIÈCE TM », qu'elle importe, offre à la vente et commercialise, d'un signe fortement similaire à la marque figurative française n° 243 détenue par AIRWAIR, pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque figurative française n° 243 est enregistrée, créant un risque de confusion dans l'esprit du public, sans autorisation de la société AIRWAIR, constitue des actes de contrefaçon de la marque figurative française n° 95578243 au préjudice de la société AIRWAIR ;

juger que le modèle de chaussure « JADON » est original et éligible à la protection par le droit d'auteur ;

juger que la reproduction par les modèles de chaussures « DRAKE BOOTS LA BELLE PIÈCE TM » et « DRAKE BOOTS HIVERTM LA BELLE PIÈCE » commercialisées par la société VAVI du modèle de chaussure « JADON » protégé par le droit d'auteur, sans autorisation de la société AIRWAIR, constitue des actes de contrefaçon des droits d'auteur dont est titulaire la société AIRWAIR, au préjudice de la société AIRWAIR ;

dire et juger que la société DR MARTENS AIRWAIR FRANCE a subi un préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par la société VAVI ;

en conséquence,

condamner la société VAVI à verser à la société AIRWAIR la somme de 30.000 euros, à titre de provision, en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon de la marque figurative française n° 243 et des droits d'auteur sur le modèle de chaussure « JADON » ;

condamner la société VAVI à payer à la société DR MARTENS la somme de 20.000 euros, à titre de provision, en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

ordonner la publication de la décision à intervenir, par extraits ou en intégralité, dans deux journaux au choix des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS et aux frais avancés de la société VAVI, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder, à la charge de la société VAVI, la somme de 6.000 euros hors taxes ;

condamner la société VAVI à verser à chacune des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS, la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société VAVI, aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société de droit irlandais VAVI ne s'est pas constituée. Les sociétés appelantes lui ont fait signifier leur déclaration d'appel et leurs conclusions. Il n'est pas justifié de la réception par la société VAVI de l'acte de signification. Le présent arrêt sera donc rendu par défaut.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mars 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des sociétés AIRWAIR ET DR MARTENS, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

L'article 472 du code de procédure civile dispose que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée, cette disposition étant applicable en cause d'appel lorsque l'intimé n'est pas constitué.

Sur les chefs non contestés du jugement

Compte tenu de la défaillance de la société VAVI en appel et des demandes des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS telles que reprises ci-dessus, la cour constate que le jugement n'est pas critiqué, et est donc définitif, en ses dispositions relatives :

au rejet des demandes de la société DR MARTENS en contrefaçon de marques et de droit d'auteur,

à la condamnation de la société VAVI à payer une provision de 50 000 € à la société AIRWAIR au titre de la contrefaçon « des marques » et des droits d'auteur sur l''uvre 1460 à raison de la commercialisation des chaussures référencées Tina boots, Drake boots et Django boots,

à la condamnation de la société VAVI à payer une provision de 30 000 € à la société AIRWAIR au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

aux injonctions prononcées à l'encontre de la société VAVI (communication de pièces comptables certifiées, cessation des pratiques),

à la mesure de publication ordonnée sur le site internet labellepice.fr,

à la mesure de saisie aux fins de destruction des stocks pouvant exister,

aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

Sur la contrefaçon de la marque figurative française n° 243 de la société AIRWAIR par le modèle de chaussure Tina

Sur le caractère distinctif de la marque n° 243

Les sociétés AIRWAIR et DR MARTENS soutiennent que la marque figurative n° 243, déposée le 29 juin 1995 et enregistrée en classe 25 pour désigner des « articles chaussants, semelles, talons et semelles intérieures », présente un caractère distinctif, tant intrinsèquement que par l'usage qui en a été fait. Elles font valoir qu'en matière de marques figuratives ou tridimensionnelles se confondant avec l'apparence du produit, le critère de distinctivité doit être apprécié au regard de la capacité du signe à diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné ; qu'au moment de la première commercialisation des produits argués de contrefaçon en 2020, les éléments visuels de la marque ' notamment une surpiqûre jaune contrastante, un bord de semelle rainuré horizontalement, un angle diagonal au talon et un pourtour de semelle structuré par des canaux réguliers ', qui n'étaient imposés par aucune contrainte technique, n'étaient ni usuels ni banals, et leur combinaison encore moins, dans le secteur de la chaussure ; que ces éléments, pris isolément comme dans leur combinaison, résultent de choix arbitraires dénués de toute fonctionnalité technique et qu'ils sont aisément perceptibles et mémorisables pour le public concerné, ce d'autant que la marque a été exploitée par AIRWAIR de façon systématique sur la quasi-totalité de ses modèles de chaussures « Dr Martens », notamment sur la semelle dite « DMS » intégrée au modèle emblématique « 1460 », et que la presse et les ouvrages dédiés à la mode ont abondamment souligné que l'association de ces éléments arbitraires est intrinsèquement liée à l'identité des chaussures « Dr Martens » ; que le signe figuratif concerné permet au consommateur de considérer de façon immédiate que les produits qui en sont revêtus sont des chaussures « Dr Martens » et se distinguent des chaussures provenant d'entreprises concurrentes ; que la marque est donc bien distinctive intrinsèquement ; qu'en tout état de cause, les pièces produites montrent que la marque a également acquis un caractère distinctif par l'usage intensif, continu et pérenne qui en a été fait depuis de très nombreuses années en France pour les produits visés au dépôt en classe 25 et qu'elle est perçue comme un signe distinctif à part entière par les consommateurs, garantissant l'origine des chaussures sur lesquelles elle est apposée.

Ceci étant exposé, la marque n° 243 déposée en couleurs le 29 juin 1995 et enregistrée pour désigner des « articles chaussants ; semelles, talons, semelles intérieures » en classe 25 représente une semelle de chaussure vue de profil :

Il est acquis que cette marque, qui consiste en la forme (ou une partie de la forme) de produits pour lesquels elle est enregistrée, ne peut être distinctive qu'à la condition que cette forme diverge significativement de la norme ou des habitudes du secteur et soit, de ce fait, susceptible de remplir sa fonction essentielle d'identification de l'origine des produits qu'elle recouvre.

Le caractère distinctif de la marque doit être apprécié, d'une part, par rapport aux produits qu'elle désigne et, d'autre part, par rapport à la perception d'un public ciblé, qui est constitué par le consommateur de ces produits, en l'occurrence le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, s'agissant de produits de grande consommation.

Le caractère distinctif d'une marque, lorsqu'il est apprécié dans le cadre de l'appréciation d'un risque de confusion et de la contrefaçon, s'apprécie au moment où le signe dont l'usage porterait atteinte à la marque invoquée a commencé à faire l'objet d'une utilisation (CJUE, 27 avril 2006, C-145/05, § 20).

En l'espèce, les premiers procès-verbaux de constat de la commercialisation des produits argués

de contrefaçon datant de 2020, le caractère distinctif de la marque n° 243 doit donc être apprécié par rapport à la norme ou aux habitudes qui étaient celles du secteur de la chaussure en 2020.

La marque en cause porte sur la combinaison des caractéristiques suivantes appliquées cumulativement sur la face latérale de la semelle de chaussure : une semelle épaisse de couleur sombre ; une épaisse surpiqûre jaune contrastante en points longs le long de la partie supérieure de la semelle ; un bord extérieur de semelle rainuré horizontalement ; un angle diagonal au niveau du talon ; et une partie inférieure de la semelle dont le pourtour est caractérisé par des canaux disposés de façon régulière, trois à l'arrière et cinq à l'avant.

Les nombreux exemples de chaussures commercialisées au cours des années 2019 à 2021, notamment de bottines, fournis par les appelantes, ne présentent pas de telles caractéristiques, prises isolément ou en combinaison.

Les sociétés appelantes produisent par ailleurs une abondante revue de presse d'articles en français de laquelle il ressort que la surpiqure jaune et la semelle rainurée et crantée sont étroitement associées aux chaussures « Dr Martens » (« Cette surpiqure jaune est une des marques de fabrique de Dr Martens. Increvable je vous dit ! » ; « Les grosses bottines à coutures jaunes de Dr. Martens sont absolument partout depuis quelques saisons. » ; « Mais d'où vient l'engouement de ces bottines à lacets noires et à coutures jaunes ' » ; « Il ajoute à la paire quelques signes distinctifs comme les fameuses coutures jaunes apparentes, la semelle rainurée en deux tons ou encore la mythique languette noire et jaune à l'arrière de la bottine qui porte la mention "Airwair With Bouncing Soles" (basé sur l'écriture de Monsieur [H] en personne) » ; « La conception a utilisé la conception originale à huit oeillets de [X], mais a ajouté quelques touches emblématiques, notamment des coutures jaunes, la boucle de talon de marque et le bord de la semelle rainuré bicolore » ; « Avec ses huit 'illets, sa semelle striée et ses coutures jaunes, la boot Dr Martens devient la chaussure de travail de référence pour la classe ouvrière » ; « Surpiqûre en jaune (couleur de la sécurité en milieu industriel), semelle rainurée permettant de voir l'usure, elle s'affiche aux pieds des facteurs, travailleurs du bâtiment ou encore employés du métro londonien » Libération ; « Avec leur semelle rainurée et transparente, leur couture jaune et leur dégaine massive, les Doc Martens sont facilement reconnaissables. » ; « Le modèle emblématique de la marque anglaise est sans aucun doute la Doc Martens 8 trous 1460, une bottine avec 8 'illets, surpiqure jaune, semelle épaisse et crantée, et languette jaune et noire à l'arrière »').

Les appelantes produisent en outre un sondage réalisé en février 2021 par l'Institut OPENEDMIND sur un panel de 1 000 personnes, duquel il ressort que 54 % des répondants associent une couture jaune tout autour de la semelle d'une chaussure à une marque spécifique (61 % pour la tranche d'âge 18/50 ans) et que 33 % des répondants associent cette caractéristique « à la marque Dr MARTENS » en réponse spontanée (45 % pour la tranche d'âge 18/50 ans) et 45 % en réponse assistée (57 % pour la tranche d'âge 18/50 ans).

Les appelantes justifient encore que la surpiqure jaune sur la semelle a été particulièrement mise en évidence lors d'une campagne publicitaire d'AIRWAIR à l'automne 2022, dans le métro parisien et devant les Galeries Lafayette.

Ces éléments, pris ensemble, démontrent que la marque en cause est intrinsèquement distinctive, étant perçue par le consommateur comme indiquant une origine commerciale bien définie permettant de reconnaître les chaussures proposées sous ce signe comme des chaussures « Dr Martens » de la société AIRWAIR et de les distinguer de celles provenant d'entreprises concurrentes.

En outre, les appelantes justifient que la marque n° 243 est notamment exploitée sur la semelle dénommée « DMS » qui fait partie intégrante du modèle de bottine « 1460 », premier modèle créé par [K] [H] en 1960, qui est considéré comme un modèle emblématique, mentionné dans l'ouvrage « Fifty shoes that changed the world » du London Design Museum, désigné « chaussure de l'année 2019 » par le magazine spécialisé Footwear News, proposé à la vente et commercialisé de façon intensive et continue depuis de très nombreuses années (factures produites sur la période 2008-2022). Elles établissent encore que la marque était apposée sur plus de 60 % des modèles de chaussures « Dr Martens » vendues en France entre avril 2019 et mars 2024 et que la marque apparaît de manière constante sur des sites marchands de revendeurs comme SARENZA ou ZALANDO.

Les appelantes versent enfin deux attestations du directeur financier de la société AIRWAIR INTERNATIONAL qui indique, d'une part, qu'entre avril 2013 et mars 2022, 2 876 606 paires de chaussures « Dr Martens » ont été vendues en France, dont 95 % présentaient la surpiqure jaune et, d'autre part, qu'au cours des années 2018 à 2022, les sociétés AIRWAIR INTERNATIONAL et DR MARTENS AIRWAIR France ont engagé collectivement des dépenses de marketing et de communication en France pour plus de 5 millions de livres sterling.

Il est ainsi établi à suffisance que la marque n° 243, objet d'un usage intensif, ancien et constant en France, est perçue par les consommateurs français comme un signe distinctif garantissant l'origine des modèles de chaussures sur lesquels elle est apposée et qu'elle présente un caractère distinctif.

Sur la matérialité de la contrefaçon

Selon l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services (') 2° D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque » et l'article L. 713-3-1 dispose que « Sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants : 1° L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ; 2° L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ; 3° L'importation ou l'exportation des produits sous le signe (') ». L'article L. 716-4 du même code précise que « L'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4 ».

Il ressort des procès-verbaux de constat et d'achat produits par les appelantes que la société VIVA a proposé à la vente sur le site internet labellepiece.fr qu'elle exploite un modèle de chaussures Tina présentant une semelle fortement similaire au plan visuel à la marque figurative n° 243 :

La semelle de la chaussure Tina, d'une épaisseur équivalente à elle de la chaussure constituant la marque, présente ainsi une grosse surpiqure jaune contrastante en points longs le long de la partie supérieure de la semelle, un bord extérieur de semelle rainuré, un angle diagonal au niveau du talon et une partie inférieure de la semelle dont le pourtour est caractérisé par des canaux disposés de façon régulière, dont trois à l'arrière. Les différences, qui résident dans la couleur claire de la semelle de la chaussure Tina et le nombre de canaux (6 au lieu de 5) sur l'avant de la semelle, n'influent pas sur la forte ressemblance visuelle d'ensemble entre les signes.

Les signes en cause n'étant pas constitués d'éléments verbaux, il n'y a pas lieu de procéder à des comparaisons aux plans phonétique et conceptuel.

Compte tenu de la parfaite identité des produits concernés (semelles), il existe un risque sérieux que le consommateur moyen, qui verra immédiatement l'épaisse surpique jaune sur le rebord de la semelle litigieuse, attribue la bottine Tina, qui présente globalement la même apparence que la semelle constitutive de la marque n° 243, aux sociétés AIRWAIR/DR MARTENS ou à une entreprise économiquement liée à celles-ci.

La contrefaçon de la marque figurative française n° 243 est ainsi caractérisée. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur la contrefaçon des droits d'auteur de la société AIRWAIR sur le modèle de chaussure Jadon du fait de la commercialisation par la société VAVI des modèles de chaussures Drake et Drake hiver sur le site labellepiece.fr

Les sociétés appelantes soutiennent que le modèle de chaussure Jadon, créé le 12 mai 2012 par une designer salariée de la société AIRWAIR, constitue une 'uvre de l'esprit éligible à la protection par le droit d'auteur et que la société VAVI a porté atteinte à ce droit d'auteur en commercialisant sur le site labellepiece.fr les modèles de chaussures Drake et Drake Hiver, qui reprennent, de manière illicite, les caractéristiques originales du modèle Jadon.

Sur l'originalité du modèle Jadon

Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une 'uvre de l'esprit jouit sur cette 'uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute 'uvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Selon l'article L. 112-2, 14° du même code, sont considérées comme 'uvres de l'esprit les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure, notamment de la chaussure.

En application de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, une 'uvre implique un objet original, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une 'uvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.

Néanmoins, lorsque l'originalité d'une 'uvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur de caractériser l'originalité de l'oeuvre revendiquée, c'est à dire de justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Si la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l'oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur, l'originalité doit être appréciée au regard d'oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'oeuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.

En l'espèce, les appelantes font valoir que l'originalité du modèle résulte de choix créatifs libres opérés par l'auteure, lesquels n'ont été ni dictés par des contraintes techniques, ni imposés par des normes industrielles, mais traduisent un véritable parti pris esthétique ; que si le modèle de chaussure Jadon créé par [C] [P] en 2012 comporte certaines caractéristiques communes à celles des bottines « Dr Martens », en particulier celles du modèle de chaussure 1460 créé par [K] [H] en 1960 (notamment la grosse surpiqure jaune contrastante en points longs le long de la partie supérieure de la semelle) dont le tribunal a reconnu l'originalité dans le jugement dont appel, ce constat n'a aucune incidence sur le caractère protégeable à part entière du modèle de chaussure Jadon qui possède une physionomie originale qui rompt avec ce qui existait dans la gamme « Dr Martens » jusque-là ; que la combinaison des éléments caractéristiques du modèle ' notamment une semelle compensée dite « Quad » aux proportions marquées, radicalement différente de la semelle « DMS » ; un rainurage particulier du pourtour de la semelle, fin et longitudinal pour contrebalancer son épaisseur massive ; une alternance de canaux fins et pointus ; une délimitation horizontale sur la semelle définissant deux sortes de noir (mat / brillant) afin de créer un effet visuel ; deux angles diagonaux obtus sur la semelle afin d'adoucir la forme du profil de la semelle ; une tige étroite et haute donnant un aspect plus prononcé à l'avant de la bottine ; des coutures doubles à l'arrière de la chaussure ; une descente en trois pentes qui singularise le profil de la bottine ; une boucle ample cousue à l'arrière avec des éléments verbaux stylisés ' confère à la chaussure Jadon une physionomie propre, distincte et reconnaissable, portant l'empreinte de la personnalité de son auteure.

Les appelantes ont ainsi circonscrit le périmètre des caractéristiques revendiquées en explicitant précisément les choix opérés par la créatrice.

Il n'est pas contesté que la bottine Jadon a été créée en 2012 par une designer à laquelle il a été demandé « de créer une botte conservant l'ADN de Dr Martens mais d'utiliser des détails et des proportions contemporains ». Si les choix de la créatrice ont été ainsi en partie contraints, puisqu'ils résultaient en partie de ceux opérés pour la conception de modèles antérieurs, il reste que le modèle Jadon se distingue significativement des modèles « Dr Martens » existants, et notamment du modèle 1460 créé par [K] [H] en 1960, en raison principalement du caractère résolument massif de la semelle qui présente un aspect de plateforme et qui contraste avec la tige de la bottine, fine et resserrée, ce qui confère à la chaussure un aspect très particulier et très atypique. Cette physionomie propre, immédiatement reconnaissable, résulte de l'effort créatif de la designer qui avait pour mission de moderniser les bottines existantes mais qui a opéré librement des choix reflétant un parti pris esthétique et qui portent l'empreinte de sa personnalité :

La chaussure Jadon répondant ainsi à la condition d'originalité est par conséquent éligible à la protection par le droit d'auteur.

Sur la matérialité de la contrefaçon

L'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». L'article L. 335-3 du même code énonce que « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une 'uvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ».

Il ressort de la comparaison des modèles en litige que les modèles Drake et Drake Hiver commercialisés par la société VAVI reproduisent la combinaison des caractéristiques originales de la bottine Jadon ' semelle compensée très épaisse, délibérément exagérée ; tige haute et fine contrastant avec l'épaisseur de la semelle ', outre qu'ils reprennent également la surpiqure jaune contrastante en points longs le long de la partie supérieure de la semelle ; les rainures sur le bord de la semelle ; l'angle diagonal au niveau du talon ; l'alternance de canaux pointus et de canaux évasés sur la partie inférieure de la semelle ; des découpes comparables sur l'empeigne et le talon ; la même boucle ample en tissu noir cousue dans le prolongement de la baguette avec les mêmes inscriptions (« Airwair with soles bouncing ») en jaune, dans la même police stylisée, de sorte que les bottines Drake et Drake Hiver présentent une physionomie très proche de celle de la bottine Jadon.

L'imitation non autorisée de la chaussure Jadon par les chaussures Drake et Drake Hiver sur le site internet labellepièce.fr exploité par la société VAVI et la commercialisation de ces chaussures par cette dernière constituent des contrefaçons.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société AIRWAIR en contrefaçon de droits d'auteur sur le produit référencé Jadon.

Sur les actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire commis au préjudice de la société DR MARTENS

Les sociétés AIRWAIR et DR. MARTENS soutiennent que cette dernière a subi un préjudice économique et moral propre résultant directement d'actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire commis par la société VAVI. Elles font valoir que la société DR MARTENS justifie d'une activité de distribution autonome en France, distincte de celle de la société AIRWAIR ; que cette société commercialise elle-même les modèles de chaussures « Dr. Martens », notamment les modèles 1460, Jadon et Sinclair ; que la société VAVI a commercialisé, en magasin comme en ligne, des copies serviles ou quasi-serviles des modèles Sinclair, Jadon sous les dénominations Django, Collette et Nikkita, en différentes couleurs, caractérisant et renforçant le risque de confusion dans l'esprit du public ; que VAVI a en outre profité, sans bourse délier, des investissements en marketing et en communication qui ont été effectués non seulement par AIRWAIR, mais également par DR MARTENS.

Ceci étant exposé, les appelantes établissent en produisant des factures, que la société française DR MARTENS commercialise les chaussures « Dr Martens », notamment les modèles 1460, Jadon et Sinclair, à des revendeurs situés en France, et ce au moins depuis 2013. L'état des ventes nettes en France des bottines 1460, Jadon et Sinclair, attesté par l'expert-comptable de la société AIRWAIR indique, au cours de la période du 1er avril 2019 au 2 avril 2023, un total de 30 029 967 £, ce qui démontre l'importance de la commercialisation des modèles en cause par la société DR MARTENS.

La commercialisation illicite par la société VAVI de plusieurs modèles de chaussures (Tina, Drake, Drake Hiver, Django) contrefaisant les marques de la société AIRWAIR et les 'uvres que constituent les modèles 1460 et Jadon est de nature à générer un trouble dans l'activité de revente de la société DR MARTENS, de sorte que les faits de contrefaçon commis à l'égard de la société AIRWAIR constituent des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société DR MARTENS qui distribue les chaussures AIRWAIR.

De plus, il est établi que la société VAVI a imité presque à l'identique le modèle Sinclair d'AIRWAIR/DR MARTENS, qui est une bottine présentant également une semelle « Quad » très massive et une épaisse surpiqure jaune sur le rebord de la semelle mais également une fermeture éclair encadrée par des 'illets à laçage, un talon plus haut que celui du modèle Jadon et une cambrure plus marquée, et ce par les chaussures Django et Nikkita (procès-verbal en pièce 42) du fait de la reprise de l'épaisse semelle striée horizontalement, de la grosse surpiqure et de la fermeture éclair centrale encadrée d'oeillets de laçage. En revanche, la chaussure Colette de la société VAVI imite d'assez loin la chaussure Sinclair des appelantes, ne présentant pas de fermeture éclair centrale.

Par ailleurs, le modèle Jadon a été décliné par la société VAVI dans les trois couleurs (noir, rouge, blanc) dans lesquelles il est proposé par les appelantes.

Ces derniers faits sont constitutifs d'actes distincts de concurrence déloyale, en ce qu'un risque de confusion était à l'évidence recherché par la société VAVI avec les produits imités des sociétés AIRWAIR/DR MARTENS, et également de parasitisme, l'intimée ayant cherché à se placer dans le sillage des appelantes pour profiter indûment de la réputation des produits « Dr Martens » acquise par des investissements de développement et de promotion justifiés notamment par l'attestation précitée du directeur financier de la société AIRWAIR qui indique que les sociétés AIRWAIR INTERNATIONAL et DR MARTENS France ont engagé ensemble des dépenses de marketing et de communication en France pour plus de 5 millions de livres sterling au cours des années 2018 à 2022.

Il est ainsi établi que la société DR MARTENS, qui distribue en France les modèles copiés par la société VAVI, a subi un préjudice propre qui doit être réparé.

Le jugement sera infirmé sur ce point également.

Sur les mesures réparatrices

Sur les demandes indemnitaires

La société AIRWAIR demande une somme complémentaire de 30 000 € à titre de provision en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon de sa marque figurative n° 243 et de ses droits d'auteur sur la chaussure Jadon ; la société DR MARTENS sollicite quant à elle 20 000 € à titre de provision en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle a personnellement subis.

La contrefaçon de la marque figurative n° 243 et du modèle Jadon de la société AIRWAIR par la société VAVI a banalisé cette marque et ce modèle (qui revêt la marque n° 243) dont les appelantes justifient qu'il connaît un succès important depuis plusieurs années en produisant une attestation relative aux ventes nettes de cette bottine Jadon au cours de la période 1er avril 2013 au 31 mars 2022, soit plus de 9 millions de livres sterling représentant la vente de 62 781 paires de chaussures. Les appelantes exposent que la qualité des chaussures Drake contrefaisant le modèle Jadon est bien moindre que celle des chaussures « Dr Martens » (le fil n'y est pas cousu à travers la trépointe [pièce de cuir qui longe la semelle extérieure et sert à fixer la tige à la semelle] contrairement aux chaussures « Dr Martens »), de sorte que la commercialisation de copies de piètre qualité affecte l'identité et l'image des chaussures « Dr Martens », parmi lesquelles l'iconique modèle 1460 qui revêt également la marque n° 243.

La société DR MARTENS a vu son activité de distributrice nécessairement perturbée par la mise sur le marché de chaussures reprenant les marques et/ou les physionomies de produits qu'elle commercialise, la clientèle ayant pu être trompée sur l'origine des chaussures litigieuses et son image de marque ayant été affectée par la mise sur le marché de chaussures contrefaisantes de qualité inférieure à moindre prix ; en outre, les investissements de marketing et de communication qu'elle a engagés aux côtés de la société AIRWAIR ont été indûment détournés.

En l'absence d'information sur les ventes réalisées par la société VAVI, du seul fait de cette dernière, le préjudice subi par la société AIRWAIR du fait de la contrefaçon de sa marque figurative n° 243 et de son modèle original Jadon peut être estimé à 30 000 € et celui de la société distributrice DR MARTENS du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son égard à la somme de 20 000 €.

Ces sommes sont allouées à titre de provision, conformément à la demande, et en complément de celles allouées par le tribunal dans le jugement dont appel.

Sur la publication par voie de presse

Le préjudice des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS étant ainsi suffisamment réparé et les appelantes ne justifiant pas que les pratiques litigieuses se poursuivent, il n'y a pas lieu de faire droit à leur demande de publication de la présente décision dans la presse écrite, étant rappelé que le tribunal, non remis en cause sur ce point, a ordonné la publication de son jugement sur le site internet de la société VAVI.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société VAVI, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et paiera à chacune des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS la somme de 7 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ces sommes complétant celles allouées en première instance.

PAR CES MOTIFS,

Statuant par défaut et dans les limites de l'appel interjeté,

Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté, d'une part, les demandes de la société AIRWAIR en contrefaçon de la marque figurative française n° 243 et de droits d'auteur sur le produit référencé Jadon et, d'autre part, les demandes de la société DR MARTENS en concurrence déloyale et parasitaire,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que la société VAVI a commis des actes de contrefaçon de la marque figurative française n° 243 de la société AIRWAIR et du modèle de chaussure Jadon protégé par le droit d'auteur dont est titulaire la société AIRWAIR,

En conséquence, condamne la société VAVI à payer :

à la société AIRWAIR, une provision de 30 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des actes de contrefaçon de la marque figurative française n° 243 et du modèle original de chaussure Jadon,

à la société DR MARTENS, une provision de 20 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son préjudice,

Rejette la demande de publication par voie de presse,

Condamne la société VAVI aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à chacune des sociétés AIRWAIR et DR MARTENS de la somme de 7 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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