CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 septembre 2025, n° 19/19969
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Caisse nationale de l'assurance maladie (Sté)
Défendeur :
Sanofi (SA), Sanofi Winthrop Industrie (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Ribaut, SCP GRV Associés, Me Cavézian, Me Goy, Me Callede, SELARL Joffe & Associés, Me Boccon Gibod, SELARL LX Paris-Versailles-Reims, Me Elkins, Me Blayney, Cabinet Linklaters LLP
FAITS ET PROCEDURE
MOTIVATION
I. LES CARACTERISTIQUES DU PLAVIX ET DE LA MOLECULE CLOPIDOGREL
II. LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES SANCTIONNÉES
III. LE PRÉJUDICE DE REMBOURSEMENT DES ASSURÉS
A. La vérification du scenario contrefactuel du taux de substitution
a. Présentation des opérations de vérification de l'expert judiciaire
b. La critique de la désignation du sapiteur
c. La critique de la sélection des molécules du groupe de contrôle
d. La critique de l'analyse de l'incidence de l'indication SCA du Plavix
e. La critique du raisonnement de l'expert judiciaire
B. La durée des effets des pratiques anticoncurrentielles
C. Le mécanisme de la baisse des prix et ses effets sur le préjudice invoqué
D. Le périmètre de remboursement
E. L'evaluation du préjudice de remboursement des assurés
IV. LE PRÉJUDICE DE RÉMUNÉRATION DES PHARMACIENS
V. LA DEMANDE « D'ACTUALISATION » DU PRÉJUDICE
VI. LES DEPENS ET L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
PAR CES MOTIFS
FAITS ET PROCEDURE
1. La société Sanofi-Aventis France aux droits de laquelle est venue la société Sanofi Winthrop Industrie est un laboratoire pharmaceutique, actif aux différents stades du développement, de la production et de la distribution de médicaments en France. Elle est filiale à 100% du groupe Sanofi, dont la société mère est Sanofi SA (ci-après 'les sociétés Sanofi').
2. Le médicament Plavix dont le principe actif est le Clopidogrel a été conçu et développé par Sanofi et a bénéficié d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) le 15 juillet 1998. Il a été commercialisé en France sous la direction opérationnelle de la société Sanofi-Aventis France. En 2008, il est le premier poste de remboursement pour l'Assurance maladie.
3. La protection réglementaire portant sur le principe actif de Plavix ayant expiré le 15 juillet 2008, les premiers génériques du Plavix ont commencé à être commercialisés à compter d'octobre 2009, dont celui développé par la société Sanofi-Aventis, sous la marque Clopidogrel Winthrop et commercialisé en France depuis le 5 octobre 2009.
4. Le laboratoire pharmaceutique Teva Santé, spécialisé dans la production de génériques et notamment du clopidogrel Teva Pharma commercialisé sur le marché 'ville' français depuis le 5 octobre 2009, a déposé une plainte le 2 novembre 2009 auprès de l'Autorité de la concurrence alléguant de pratiques dénigrantes de la part de la société Sanofi-Aventis visant les génériques de Plavix en France.
5. A la suite de sa saisine, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a, par décision du 14 mai 2013 (ci-après « la Décision »), prononcé une sanction pécuniaire de 40,6 millions d'euros contre la société Sanofi-Aventis France, en tant qu'auteur de la pratique, et la société Sanofi, en sa qualité de société mère, pour avoir enfreint, entre le mois de septembre 2009 et le mois de janvier 2010, les dispositions de l'article L.420-2 du code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), en mettant en 'uvre une pratique de dénigrement des génériques concurrents du médicament Plavix sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville, consistant en un abus de position dominante (décision n°13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur pharmaceutique).
6. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris par arrêt du 18 décembre 2014. Le 18 octobre 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Sanofi.
7. La pratique sanctionnée avait pour objet la mise en 'uvre par les sociétés Sanofi entre septembre 2009 et janvier 2010 d'une stratégie de communication, d'une part au stade de la prescription dans le but d'inciter les médecins à apposer la mention « non substituable » sur l'ordonnance et d'autre part, au stade de la substitution, dans le but d'inciter les pharmaciens à substituer Plavix par son propre générique au détriment des génériques concurrents.
8. En tant que gestionnaire des remboursements de dépenses de santé, la Caisse nationale de l'assurance maladie (ci-après « la CNAM ») considère avoir été victime des agissements sanctionnés aux motifs qu'ils ont directement et mécaniquement conduit à assumer des remboursements plus élevés et octroyer une rémunération plus importante aux pharmaciens d'officine, le prix des princeps étant plus élevé que celui des génériques.
9. Par actes d'huissier des 12 et 13 septembre 2017, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a assigné, devant le tribunal de commerce de Paris, les sociétés Sanofi et Sanofi-Aventis France pour obtenir la réparation de son préjudice au visa des articles 1240 et 2224 du code civil, de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et des articles L.420-2 et L.462-7 du code de commerce.
10. Par jugement du 1er octobre 2019, le tribunal de commerce de Paris a déclaré prescrite l'action engagée par la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés -CNAMTS et condamné cette dernière à payer aux sociétés Sanofi et Sanofi-Aventis France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
11. La CNAMTS a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2019, intimant les sociétés Sanofi et Sanofi-Aventis France.
12. La Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) est ensuite devenue la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) à la suite de l'intégration, par l'article 15 de la loi n°2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, du régime social des indépendants (RSI) et du transfert de la protection sociale des travailleurs indépendants au régime général.
13. Par arrêt du 19 février 2022, la Cour d'appel de céans a :
Infirmé le jugement en toutes ses dispositions ;
Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la Caisse nationale d'assurance maladie ;
Evoquant l'affaire au fond,
Dit que les sociétés Sanofi-Aventis et Sanofi ont commis des pratiques abusives constitutives de fautes au sens de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil ;
Dit que ces pratiques ont eu un effet dommageable pour la Caisse nationale d'assurance maladie ;
Avant dire droit sur la réparation des préjudices de la Caisse nationale d'assurance maladie ;
Ordonné une expertise,
Désigné M. [P] [K], expert auprès de la cour d'appel de Paris, [K] Advisory [Adresse 3] avec mission d'évaluer les préjudices subis par la CNAM résultant des pratiques de dénigrement des sociétés Sanofi, et plus particulièrement de :
- Donner son avis sur la robustesse du scenario contrefactuel du rapport RBB Economics du 30 juin 2021 produit aux débats par la CNAM, en cas de variation du groupe de molécules comparables au clopidogrel, et le cas échéant proposer des ajustements à ce scenario reprenant le principe de comparaison avec un groupe de molécules,
- Déterminer la date de fin des effets des pratiques de dénigrement mis en place par les sociétés Sanofi, afin d'évaluer l'effet différé du préjudice de la CNAM ; dans le cas où les pratiques auraient encore un impact sur le taux de pénétration des génériques du clopidogrel, proposer une estimation du préjudice pouvant avoir lieu jusqu'à la fin des effets des pratiques,
- Fournir à la Cour tous les éléments lui permettant de fixer les préjudices de la CNAM liés à l'indemnisation des assurés et à la rémunération des pharmaciens,
Sursis à statuer sur la réparation du préjudice et les autres demandes présentées,
Réservé les dépens.
14. Les sociétés Sanofi ont formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté par arrêt du 30 août 2023 pourvoi n° 22-14.094 de la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation.
15. L'expert a déposé son rapport le 5 mars 2024.
16. Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 9 mai 2025, la Caisse nationale de l'assurance maladie - CNAM, demande à la Cour de :
Vu l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu l'article 1240 du code civil ;
Vu les pièces versées aux débats ;
Dire et juger que les fautes délictuelles de Sanofi SA et Sanofi Aventis France aux droits de laquelle est venue Sanofi Winthrop Industrie ont causé un préjudice à la CNAM qui s'élève à la somme globale de 126.222.994 euros, y ajoutant les intérêts légaux applicables, tels qu'évalués par le cabinet RBB Economics dans sa note du 14 janvier 2025, évalués à la somme de 23.551.029 euros au 30 juin 2025 et restant à parfaire jusqu'au complet paiement des sommes dues par les sociétés Sanofi SA et Sanofi Aventis France ;
En conséquence,
Débouter Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie de leurs demandes ;
Condamner in solidum Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie à payer à la CNAM, à titre de dommages et intérêts, la somme globale de 126.222.994 euros y ajoutant les intérêts légaux applicables, tels qu'évalués par le cabinet RBB Economics dans sa note du 10 14 janvier 2025, évalués à la somme de 23.551.029 euros au 30 juin 2025 et restant à parfaire jusqu'au complet paiement des sommes dues par les sociétés Sanofi SA et Sanofi Aventis France ;
Condamner solidairement Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie à payer solidairement à la CNAM la somme de 1.500.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner solidairement Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie aux dépens de première instance et d'appel et en particulier condamner solidairement Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie à rembourser à la CNAM la somme de 217.641,94 euros correspondant à la rémunération de l'Expert judiciaire ;
17. Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 16 mai 2025, la société Sanofi et la société Sanofi Winthrop Industrie, venant aux droits de la société Sanofi Aventis France, demandent à la Cour de :
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu les articles 175, 237 et 238 du code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
A titre principal,
Ecarter le rapport de l'expert rendu le 5 mars 2024 ;
Nommer en conséquence un nouvel expert avec pour mission :
- D'établir un groupe de contrôle robuste aux fins d'estimer le taux de substitution
contrefactuel du clopidogrel ;
- De tenir compte des éléments spécifiques au Plavix dans l'estimation d'un taux de substitution du clopidogrel ;
- D'établir l'effet dans le temps de la pratique de Sanofi.
Prononcer un sursis à statuer jusqu'à la remise du rapport de la nouvelle expertise.
A titre subsidiaire,
Juger que les effets de la pratique de Sanofi ont cessé au plus tard deux ans après la fin de son discours, soit en janvier 2012 ;
Déclarer en conséquence que le montant éventuellement alloué à la CNAM ne pourra couvrir que son éventuel préjudice pour la période comprise entre 2010 et 2011 ;
Débouter la CNAM de toutes ses demandes contraires.
A titre infiniment subsidiaire,
Juger que les baisses de prix imposées par le CEPS en avril 2012, novembre 2013 / avril 2014 et juin 2014 ont constitué un avantage pour la CNAM qui doit venir en déduction de son prétendu préjudice ;
Débouter la CNAM de toutes ses demandes contraires.
En tout état de cause,
Condamner la CNAM à verser 150 000 euros à Sanofi et Sanofi-Aventis France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais devant la cour d'appel ;
Condamner la CNAM aux entiers dépens de l'instance.
18. L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2025.
19. La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
20. La CNAM estime que son dommage résultant des pratiques anticoncurrentielles commises par les sociétés Sanofi lui a occasionné des préjudices de trois ordres.
21. En premier lieu, la CNAM expose qu'elle a subi un préjudice lié au remboursement des assurés, à savoir la différence entre (i) le montant qu'elle verse dans le cadre du remboursement du clopidogrel et (ii) le montant qu'elle aurait versé si le Plavix avait connu un taux de générification ordinaire en l'absence des pratiques fautives, étant observé que les médicaments génériques sont structurellement moins chers que leur princeps de référence. Sur la base du rapport d'expertise judiciaire (page 213), la CNAM évalue ce préjudice à la somme de 111 666 964 euros.
22. En deuxième lieu, la CNAM estime avoir également subi un préjudice lié à la rémunération des pharmaciens, à savoir la différence entre les montants qu'elle a versés aux pharmaciens à compter de la CNP 2012 et les montants qu'elle aurait dû verser si le clopidogrel avait suivi un processus de générification ordinaire. Sur la base du rapport d'expertise judiciaire (page 213), la CNAM évalue ce préjudice à la somme de 14 556 030 euros.
23. En troisième lieu, la CNAM sollicite « l'actualisation » de son préjudice global de 126 222 994 euros par l'application du taux légal et évalue son préjudice complémentaire à la somme de 23.551.029 euros au 30 juin 2025 « restant à parfaire jusqu'au complet paiement des sommes dues par les sociétés Sanofi ».
24. Les sociétés Sanofi contestent l'expertise judiciaire en de nombreux points, et demandent à titre principal à la Cour « d'écarter le rapport rendu le 5 mars 2024 » et de nommer un nouvel expert.
25. Après une présentation des caractéristiques du Plavix (I) et un rappel des pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles les sociétés Sanofi ont été sanctionnées (II), la Cour analysera chacun des préjudices invoqués par la CNAM à partir du rapport d'expertise judiciaire et de ses critiques par les sociétés Sanofi (III à V).
I- LES CARACTÉRISTIQUES DU PLAVIX ET DE LA MOLÉCULE CLOPIDOGREL
26. Le Plavix est un antiagrégant plaquettaire dont le principe actif est le clopidogrel. Il est utilisé pour la prévention des récidives des maladies cardiovasculaires graves. Il a été découvert et conçu par Sanofi, puis développé et commercialisé dans le cadre d'une alliance au niveau mondial avec le groupe Bristol Myers Squibb depuis la fin des années 1990. Il est un grand succès de l'industrie pharmaceutique mondial, à savoir :
- C'est le 4ème médicament le plus vendu au monde depuis sa mise sur le marché,
- En 2008, il représentait pour Sanofi un chiffre d'affaires de 2,6 milliards d' euros au niveau mondial et 550 millions d' euros en France,
- En 2008, le Plavix représentait le 1er poste de remboursement pour l'Assurance maladie pour un montant de 635 millions d' euros.
27. Le Plavix est un médicament de première intention, prescrit à titre préventif et donc essentiellement en ville par des cardiologues et des généralistes. Délivré uniquement sur ordonnance, le Plavix comporte quatre indications thérapeutiques dont le traitement du syndrome coronaire aigu (ci-après le « SCA ») en bithérapie (Décision § 27 et suivants).
28. Le brevet protégeant le Plavix en Europe a expiré en juillet 2008 et les premiers génériques du Plavix ont été commercialisés au début du mois d'octobre 2009. Des dépôts de brevets complémentaires par Sanofi ont conduit à prolonger la protection initiale concernant :
- Le type de sel utilisé dans Plavix, qui est resté protégé jusqu'en février 2013, les génériques de Plavix, hors auto- générique, devant en conséquence utiliser un sel différent,
- L'indication du traitement du SCA en bithérapie, au travers d'une association clopidogrel/ acide acétylsalicyque (aspirine), restée protégée jusqu'en février 2017 (ci-après « brevet SCA »). Aussi tous les génériques du clopidrogel ne disposaient pas de l'indication relative au traitement du SCA en association avec l'aspirine.
II- LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES SANCTIONNÉES
29. L'expiration le 15 juillet 2008 de la protection réglementaire portant sur le principe actif du Plavix a entraîné, à compter d'octobre 2009, la commercialisation sur le marché des premiers génériques du Plavix dont celui développé par la société Sanofi-Aventis, sous la marque Clopidogrel Winthrop et commercialisé en France depuis le 5 octobre 2009.
30. Les pratiques sanctionnées ont consisté à mettre en 'uvre entre septembre 2009 et janvier 2010 une stratégie de communication visant :
- d'une part, au stade de la prescription, à inciter les médecins à apposer sur les ordonnances la mention « non substituable » ( ci-après la mention « NS »),
- d'autre part, au stade de la substitution, à inciter les pharmaciens à substituer Plavix par son propre générique au détriment des génériques concurrents.
31. Pour juger ces pratiques anticoncurrentielles et illicites, l'Autorité approuvée par les juridictions de recours, a fait l'analyse suivante :
32. La société Sanofi-Aventis, qui détenait une position dominante sur le marché du clopidogrel commercialisé en ville sur le territoire français, a mis en 'uvre une stratégie de communication à destination des professionnels de santé, relative aux différences objectives entre le Plavix et ses génériques, concernant :
- d'une part, le sel contenu dans ces médicaments,
- d'autre part, l'indication thérapeutique relative au syndrome coronarien aigu, que ne contenaient pas les autorisations de mises sur le marché (ci-après « AMM ») des génériques,
Et ce au moyen d'argumentaires distribués aux visiteurs médicaux et délégués pharmaceutiques de la société Sanofi-Aventis, entre septembre 2009 et janvier 2010, qui ont directement remis en cause la bioéquivalence des génériques et les choix opérés par les autorités de santé.
33. Les deux différences mentionnées ont été liées de façon inappropriée et ambiguë, afin de laisser croire que la différence d'indication thérapeutique était liée à un obstacle médical, résultant de la différence de sels, cependant qu'elle n'était due qu'à la protection juridique offerte par un brevet dont l'existence et la portée avaient été occultées lors de ces différentes communications. Ces argumentaires recommandaient ou invitaient en outre les médecins à inscrire la mention "non-substituable" sur les ordonnances, et les pharmaciens à opérer la substitution avec l'auto-générique qu'elle commercialisait, en insistant sur les risques de mortalité élevés des patients atteints d'un syndrome coronarien aigu.
34. Cependant, au regard des législations européenne et française, seule l'existence de "propriétés sensiblement différentes" au regard de la sécurité ou de l'efficacité peut justifier un discours attirant l'attention des professionnels de santé et, par une lettre du 24 septembre 2009, l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, saisie par la société Sanofi-Aventis, a estimé, concernant les génériques du Plavix, que l'inhomogénéité des indications ne constituait pas un risque pour les patients et ne nécessitait pas d'insérer une mention spécifique dans le répertoire des groupes génériques. Cette agence a rappelé que les spécialités génériques avaient démontré leur bioéquivalence et un rapport efficacité/sécurité au moins similaire à la spécialité de référence.
35. La société Sanofi-Aventis, qui a exploité le brevet de fabrication du Plavix en monopole pendant dix ans et appartient à un groupe important, a acquis de ce fait une réputation de référence, renforcée par un retour d'expérience qu'elle a fait valoir auprès des professionnels de santé à l'occasion de sa stratégie de communication.
36. Dans un contexte où, non seulement les professionnels de santé avaient alors peu de connaissances en matière de pharmacologie, comme en matière de réglementation des spécialités génériques, mais encore manifestaient leur aversion pour toute prise de risque, la diffusion d'une information négative, voire l'instillation d'un doute sur les qualités intrinsèques d'un médicament, peut le discréditer immédiatement auprès de ces professionnels. L'effet trompeur et dissuasif de la communication de la société Sanofi-Aventis résulte d'un faisceau d'indices précis et concordants, établissant les craintes qu'elle a suscitées, qui se sont traduites par un grand nombre de mentions "non-substituable" apposées sur les ordonnances dans plusieurs régions, par une substitution prioritairement effectuée au moyen de l'auto-générique par les pharmaciens, et par la diffusion de circulaires d'information spécifiques au sein des groupements de pharmaciens pour répondre aux interrogations et vives inquiétudes d'un grand nombre d'entre eux.
37. Ainsi, il a été constaté :
- un taux plus élevé de mentions "non-substituable" s'agissant du Plavix que pour d'autres spécialités,
- une évolution inhabituelle du taux de substitution, qui après avoir initialement connu une hausse rapide, puis une stagnation précoce, a subi une baisse constante quelques mois seulement après la sortie de ses premiers génériques, tandis que l'auto-générique a représenté une part systématiquement au-dessus de 30 % en volume des ventes, laissant une part de faible importance aux concurrents.
38. Aussi, il en a été déduit que la pratique de dénigrement mise en 'uvre pendant cinq mois contre des génériques concurrents du Plavix et de l'auto-générique, par une société en position dominante, avait eu pour effet de limiter l'entrée de ses concurrents sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville.
39. L'Autorité de la concurrence, confirmée en appel, a retenu dans sa Décision (§ 584 et 669 et suivants) que la pratique de dénigrement de la société Sanofi-Aventis avait eu » pour effet de limiter durablement l'entrée de ces génériques sur le marché français du clopidogrel commercialisé en ville ». Elle a clairement constaté que le taux de générification du clopidogrel est apparu anormalement bas que ce soit relativement à d'autres molécules comparables, aux objectifs de la sécurité sociale ou encore au taux de pénétration moyen des génériques commercialisés depuis 2009 et l'Autorité de la concurrence en a conclu que « ces éléments permettent de mettre en évidence que, en l'absence de la pratique en cause dont les effets se sont fait progressivement sentir dans le temps ainsi que cela a été rappelé précédemment, le taux de générification du clopidorel aurait été significativement plus important ».
40. Pour déterminer le montant de base de la sanction, l'Autorité de la concurrence a retenu (§ 634 à 637) que si la pratique en cause a trouvé son origine dans des actions de communication qui ont pris place entre le début du mois de septembre 2009 et la fin du mois de janvier 2010, elle a pour autant : « produit ses effets bien au-delà de cette période : la vente de génériques concurrents a en effet été freinée et disciplinée pendant tout le temps où le discours tenu auprès des médecins et des pharmaciens a infléchi les comportements de ces derniers » et a retenu que « les effets de la stratégie imputée à Sanofi-Aventis sont établis à tout le moins jusqu'à la notification des griefs adressée à cette société le 7 décembre 2011 ».
41. Dans son arrêt du 9 février 2022, la Cour de céans a dit que les sociétés Sanofi-Aventis et Sanofi ont commis des pratiques abusives constitutives de fautes au sens de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil et que ces pratiques ont eu un effet dommageable pour la Caisse nationale d'assurance maladie.
42. Pour évaluer son préjudice la CNAM a produit aux débats un rapport établi par le cabinet d'économistes RBB qui a quantifié le dommage en comparant l'évolution du taux de générification de clopidogrel (sa courbe de 'générification réelle') avec celle qui aurait été observée en l'absence des pratiques (la courbe de 'générification contrefactuelle'). La méthode de quantification a été critiquée par les sociétés Sanofi qui ont produit un rapport du cabinet d'économistes CRA. La Cour, avant dire droit sur la réparation des préjudices de la Caisse nationale d'assurance maladie, a ordonné une expertise avec mission pour l'expert de :
- Donner son avis sur la robustesse du scenario contrefactuel du rapport RBB Economics du 30 juin 2021 produit aux débats par la CNAM, en cas de variation du groupe de molécules comparables au clopidogrel, et le cas échéant proposer des ajustements à ce scenario reprenant le principe de comparaison avec un groupe de molécules,
- Déterminer la date de fin des effets des pratiques de dénigrement mis en place par les sociétés Sanofi, afin d'évaluer l'effet différé du préjudice de la CNAM ; dans le cas où les pratiques auraient encore un impact sur le taux de pénétration des génériques du clopidogrel, proposer une estimation du préjudice pouvant avoir lieu jusqu'à la fin des effets des pratiques,
- Fournir à la Cour tous les éléments lui permettant de fixer les préjudices de la CNAM liés à l'indemnisation des assurés et à la rémunération des pharmaciens.
III- SUR LE PRÉJUDICE LIÉ AU REMBOURSEMENT DES ASSURÉS
43. La CNAM évalue le préjudice lié au remboursement des assurés à partir des conclusions de l'expertise judiciaire qu'elle approuve, à hauteur de 111 666 964 euros selon le calcul suivant (pièce CNAM n°8) :
- Premièrement, pour chaque mois, le taux de générification contrefactuel multiplié par le volume de boites vendues permet de déduire le volume contrefactuel des ventes de boites de génériques. De ce fait, le volume total mensuel de boites vendues moins le volume contrefactuel mensuel de boites de génériques vendues donne le volume contrefactuel des ventes de Plavix ;
- Deuxièmement, pour chaque mois, la valeur contrefactuelle des ventes est le prix de Plavix multiplié par le volume contrefactuel des ventes de Plavix pour ce mois, plus le prix du médicament générique multiplié par le volume contrefactuel des ventes de générique pour ce mois ;
- Troisièmement, est estimé le taux de remboursement observé pour chaque mois en divisant le remboursement total mensuel observé, par les valeurs des ventes mensuelles observées. Comme le taux de remboursement ne diffère pas entre les génériques et le Plavix, il est ainsi calculé le taux de remboursement pour les deux catégories de produit ;
- Quatrièmement, est multiplié le taux de remboursement mensuel observé par la valeur contrefactuelle des ventes mensuelles pour obtenir la charge de remboursement contrefactuelle ;
- Cinquièmement et en dernière étape, le dommage est la différence entre la charge de remboursement contrefactuelle et la charge de remboursement observée.
44. Les sociétés Sanofi, tout en invoquant la conduite « manifestement partiale » de l'expert judiciaire, critiquent en substance la sélection des molécules du groupe de contrôle pour la construction du scenario contrefactuel, l'absence d'ajustement de ce scenario lié à l'indication SCA du Plavix, et la durée des effets des pratiques anticoncurrentielles retenue par l'expert. Elles soutiennent en outre qu'il est nécessaire de tenir compte de la baisse des prix imposée par le Comité économique des produits de santé (CEPS) en application du principe de la réparation intégrale.
45. Aussi, la Cour examinera d'abord les vérifications opérées par l'expert judiciaire sur la construction du scenario contrefactuel du taux de substitution du Plavix par ses génériques (A), puis analysera la durée des effets des pratiques Sanofi sanctionnées (B), et l'incidence de la baisse des prix imposée par le CEPS (C), pour enfin évaluer le périmètre (D) et le montant du préjudice de la CNAM lié au remboursement des assurés (E).
A- Le scénario contrefactuel du taux de substitution du Plavix par ses génériques
46. La Cour rappelle qu'un scénario contrefactuel est une modélisation qui, selon le principe de la réparation intégrale, va permettre d'évaluer la situation qui aurait été celle de la victime si le dommage ne s'était pas réalisé. Comparé à sa situation réelle, elle doit permettre d'établir le montant du préjudice que celle- ci a subi.
47. Aux termes de l'arrêt du 9 février 2022, la Cour de céans a :
- écarté le scenario contrefactuel construit par le cabinet CRA pour les sociétés Sanofi reposant sur une sélection de molécules connaissant un taux de pénétration proche de celui du clopidogrel « à long terme » une fois la pénétration des génériques stabilisée, à savoir toutes les molécules dont le taux de pénétration des génériques est proche de celui du clopidogrel, à plus ou moins 10 points de pourcentage sur la période entre avril et septembre 2015 partant du postulat que la fin des effets des pratiques est mars 2015,
- retenu le scenario contrefactuel construit par le cabinet RBB Economics pour la CNAM en ce qu'il apparaît plus crédible et reposant sur un groupe de comparaison de molécules déterminé à partir de deux critères, le volume des ventes et la date de première générification,
- et donné pour mission à l'expert de donner son avis sur la robustesse du scenario contrefactuel du rapport RBB Economics du 30 juin 2021 produit aux débats par la CNAM, en cas de variation du groupe de molécules comparables au clopidogrel, et le cas échéant de proposer des ajustements à ce scenario reprenant le principe de comparaison avec un groupe de molécules.
48. LA CNAM approuve la validation avec quelques ajustements de l'expert judiciaire du groupe de comparaison constitué par le cabinet RBB.
49. Les sociétés Sanofi contestent l'analyse de l'expert judiciaire et à titre principal, demandent une nouvelle expertise avec notamment pour mission d'établir un groupe de contrôle robuste aux fins d'estimer le taux de substitution contrefactuel du clopidogrel et de tenir compte des éléments spécifiques au Plavix dans l'estimation d'un taux de substitution du clopidogrel.
50. Après une présentation des opérations de l'expert judiciaire pour la vérification de la robustesse du scenario contrefactuel du taux de substitution du Plavix par ses génériques (a), la Cour analysera les critiques des sociétés Sanofi reprises dans ses dernières conclusions concernant, la désignation et le rôle du sapiteur (b), la sélection du groupe de contrôle (c), l'incidence de l'indication du syndrôme coronarien aigu (SCA) du Plavix (d) et le raisonnement tenu par l'expert (e).
a- Les opérations de vérification de l'expert judiciaire du scenario contrefactuel s'agissant du taux de substitution du Plavix par ses génériques.
51. Conformément à la mission d'expertise rappelée ci-dessus, l'expert ne s'est pas attaché à construire un scénario contrefactuel mais à vérifier la robustesse du scenario contrefactuel établi par le cabinet RBB dans son rapport du 3 février 2023 à la demande de la CNAM pour la quantification de son préjudice. Il est rappelé qu'un test de robustesse est destiné à vérifier qu'on ne s'écarte pas trop d'un résultat annoncé en faisant subir de petites variations aux hypothèses sous lesquelles ce résultat est obtenu.
52. A cet effet, l'expert judiciaire a d'abord vérifié la base de données produite par la CNAM, dite base de données CNAM 2, puis a vérifié la sélection des molécules du groupe de comparaison, a ensuite analysé des facteurs exogènes pour leur éventuelle prise en compte pour des ajustements du scénario, a enfin vérifié les résultats obtenus de trois manières.
* Vérification de la base de données CNAM 2
53. Pour les opérations d'expertise, la CNAM a communiqué le 19 septembre 2022 une nouvelle base de données dite CNAM 2 s'arrêtant au 31 décembre 2021, fournie en deux versions, une base brute collectée par la CNAM et une base « nettoyée » par le cabinet RBB. A la demande du cabinet CRA, cette base a été retravaillée par le cabinet RBB sur divers ajustements. Ensuite des traitements initiaux ont été opérés dans cette base de données nettoyée afin d'obtenir des données exportées sous Excel et de permettre les traitements finaux sous Excel pour la construction du scenario contrefactuel (rapport d'expertise pages 25 et 26).
54. La constitution de la base CNAM 2 et les traitements initiaux ont été réalisés par le cabinet RBB sous le logiciel de statistique et d'économétrie Sata. L'expert judiciaire n'utilisant pas ce logiciel, il a sollicité l'assistance d'un sapiteur pour vérifier ces traitements informatiques de la base CNAM 2. Le 15 septembre 2023, le sapiteur finalement désigné a rendu son rapport et conclu que le travail mené sur l'écriture du code Sata, sur son exécution et sur la comparaison des données produites avec celles enregistrées dans les dossiers, n'ont pas permis de déceler une quelconque anomalie qui impacterait les résultats (annexe 6 du rapport d'expertise).
* Vérification de la sélection des molécules du groupe de comparaison
55. A cet effet, l'expert judiciaire a d'abord vérifié les catégories de molécules devant faire l'objet d'exclusion, puis a analysé les facteurs influençant la pénétration d'un médicament générique pour constituer un sous-échantillon de médicaments proches du clopidogrel ainsi que des facteurs exogènes pour leur éventuelle prise en compte.
56. L'expert judiciaire a d'abord étudié chacune des six catégories de molécules exclue des analyses par le cabinet RB dans son rapport du 3 février 2023, et a confirmé la pertinence de leur exclusion du groupe de comparaison, à savoir :
- Les molécules générifiées après 2012 (effet de la Convention 2012),
- Les molécules à marge thérapeutique étroite,
- Les antipsychotiques et anticancéreux,
- Les molécules ayant un dosage sous Tarif forfaitaire de responsabilité (TFR),
- Les molécules à faible taille de marché.
57. Ensuite, après avoir relevé les caractéristiques importantes du clopidogrel (une taille de marché très importante, une rapidité de générification initiale très élevée, une générification en 2009 et un grand nombre de laboratoires génériqueurs), l'expert judiciaire a déterminé les facteurs influençant la pénétration d'un médicament générique pour constituer un sous-échantillon de médicaments proches du clopidogrel, à savoir :
- La taille du marché,
- L'année de générification : l'expert retient qu'il faut tenir les molécules générifiées en 2010 comme non comparables à celles générifiées en 2009 ' en raison d'une vitesse de générification sensiblement plus lentes des molécules générifiées en 2010 que celle de 2009, les molécules finalement retenues sont celles générifiées entre 2006 et 2009,
- La présence sur la liste annexée à la convention 2012.
58. Cette analyse des critères de sélection a conduit l'expert judiciaire à confirmer la sélection des 8 molécules du groupe de comparaison du rapport du cabinet RBB, dont une (le Gliclazide) a été retirée après vérification sur la période à partir de novembre 2011.
59. L'expert judiciaire a ensuite constaté que les courbes de taux de générification des molécules du groupe de comparaison parcourent des étapes qui leur sont communes : d'abord une étape de forte croissance, ensuite une sorte de plateau, puis un saut en 2012 (causé par un changement réglementaire) puis un nouveau plateau.
* Détermination de la courbe contrefactuelle
60. L'expert judiciaire a ensuite privilégié la construction de la courbe contrefactuelle en utilisant la moyenne des taux de générification des molécules du groupe de comparaison.
61. En volume, l'effet des pratiques correspond selon les explications de l'expert judiciaire à l'écart entre le taux de générification contrefactuel et le taux de générification observé (calculé mois par mois) :
* Analyse des facteurs exogènes
62. L'expert judiciaire retient que seul un facteur exogène important et spécifique au clopidogrel peut rendre nécessaire un ajustement spécifique. La question s'est posée pour l'indication SCA (syndrome coronaire aigu) dont bénéficie le Plavix alors que, sauf pour deux d'entre eux, ses génériques n'en disposaient pas. Selon l'expert judiciaire il n'est pas démontré un besoin d'ajustement du scenario contrefactuel sur le point de l'indication SCA, dès lors que les mentions « NS » (non substituable) sont peu fréquentes, dans le scénario contrefactuel, en liaison avec l'indication SCA.
63. D'autres facteurs ont été écartés par l'expert judiciaire : le retrait de lots, la grève de la substitution des pharmaciens.
* Vérification des taux de générification contrefactuels
64. L'expert judiciaire a ensuite vérifié, par trois procédés, les résultats obtenus au moyen du scénario contrefactuel du cabinet RBB :
- Par la comparaison avec les objectifs de générification du Plavix fixés par la CNAM à fin décembre 2010,
- Par la comparaison entre le résultat produit par le scénario RBB et celui obtenu avec une autre méthode fondée sur les taux de mentions « NS »,
- Par la comparaison avec un panel de 8 molécules initialement présentées comme comparables par les sociétés Sanofi devant l'Autorité de la concurrence.
65. Enfin l'expert judiciaire n'a pas retenu les scénarios alternatifs présentés par le cabinet CRA.
* Synthèse
66. En conclusion, l'expert judiciaire est d'avis d'apporter trois ajustements au scénario contrefactuel initialement présenté à la Cour par le rapport RBB :
- Ajouter un critère obligeant la présence de molécules du groupe de comparaison sur la liste des molécules nominativement ciblées par la convention de 2012,
- Retenir un mécanisme de construction de la courbe contrefactuelle un peu différent (consistant pour l'essentiel à établir le taux de générification contrefactuel de clopidrogrel comme moyenne arithmétique des taux de générification des molécules du groupe de comparaison),
- Prolonger la détermination des taux de générification contrefactuels au-delà de mars 2015.
67. Les sociétés Sanofi critiquent cette vérification de la construction du scénario contrefactuel opérée par l'expert judiciaire en faisant valoir :
- La tentative de désigner un sapiteur « antivax » et le refus de faire travailler son remplaçant (b),
- Le rejet arbitraire et orienté de molécules importantes générifiées seulement 4 mois après le Plavix (c),
- Le refus de tenir compte de l'importance de l'indication SCA du Plavix que n'avaient pas les génériques concurrents (d),
- Le raisonnement circulaire de l'expert judicaire rendant impossible toute critique des molécules sélectionnées par RBB et empêchant toute appréciation objective de la robustesse du modèle RBB (e).
b- Sur la critique de la désignation et du rôle du sapiteur au cours de l'expertise
68. Dans leurs dernières écritures les sociétés Sanofi déplorent le processus de choix du sapiteur par l'expert judiciaire en y voyant une preuve de la partialité de ce dernier, ce qui est contesté par la CNAM.
69. D'abord, les sociétés Sanofi relèvent le fait que l'expert judiciaire a initialement proposé un sapiteur s'avérant être, après une rapide recherche sur internet, un « antivax » notoire nécessairement opposé à la cause de Sanofi.
70. Or la Cour observe que l'expert judiciaire a lui-même expliqué dans son rapport (page 173) que le sapiteur initialement envisagé, réunissait des compétences difficiles à trouver, et que ses prises de positions pendant la crise sanitaire ne portaient sur aucun vaccin ou produit commercialisé par Sanofi justifiant d'écarter ce choix sans le soumettre préalablement aux parties. Il ressort du compte rendu de réunion d'expertise #5a dans sa version 2 après relecture des sociétés Sanofi (pièce CNAM n°26) que dès lors que ces dernières ont soulevé cette objection sur la désignation du sapiteur initialement proposé et que la CNAM a estimé opportun de réfléchir à un autre profil, l'expert a pris bonne note « des réactions des parties » et par courriel du 8 mai 2023 (pièce Sanofi n° 8) a fait appel à un autre sapiteur dont la désignation n'a soulevé aucune objection de la part des parties. Aussi, les sociétés Sanofi ne peuvent sérieusement soutenir une preuve de partialité de l'expert dans ce processus de choix du sapiteur.
71. Ensuite les sociétés Sanofi soutiennent en substance que l'expert a refusé d'associer le sapiteur désigné aux travaux, réunions et discussions avec les parties, ce dernier étant cantonné à une vérification « en bon père de famille » des seuls travaux du cabinet RBB sans jamais partager avec lui les commentaires ou analyses du cabinet CRA.
72. Or la Cour constate qu'il ressort clairement du compte rendu de réunion d'expertise #5a dans sa version 2 précitée que l'expert judiciaire a informé les parties de son intention de faire appel à un sapiteur ayant pour mission de fournir un appui « d'un spécialiste, si des sujets à forte technicité économétrique ou statistique apparaissent », l'expert n'étant pas lui-même économètre ou statisticien, ce qui a été rappelé dans le courriel du 8 mai 2023. C'est ainsi que l'expert judiciaire a donné mission au sapiteur d'effectuer les vérifications d'usage, « en bon père de famille », des premières étapes de la construction du scénario contrefactuel réalisée par le cabinet RBB au moyen du logiciel de statistique et d'économétrie Sata, non utilisé par l'expert.
73. En outre, comme le souligne la CNAM, le compte rendu de réunion d'expertise#6 du 9 juin 2023 (pièce Sanofi n°5) renseigne que le sapiteur désigné était présent à cette réunion au cours de laquelle le cabinet CRA a pu exposer ses analyses et objections au sujet notamment de la sélection des molécules du groupe de comparaison, de la détermination de la durée des effets des pratiques ou encore du mode de construction de la courbe contrefactuelle.
74. La Cour observe par ailleurs que les sociétés Sanofi n'ont pas formulé de demande d'analyse au sapiteur après sa désignation et sa présentation à la réunion du 9 juin 2023, ni au cours des opérations d'expertise ayant donné lieu au dépôt du pré-rapport d'expertise en octobre 2023. Ce n'est qu'après ce dépôt de pré-rapport et dans leur dire récapitulatif du 17 novembre 2023 que les sociétés Sanofi ont demandé l'avis du sapiteur sur une analyse économétrique du cabinet CRA. Elles précisent que cette analyse cherchait à démontrer que le fait de tenir compte du nombre de laboratoires génériqueurs limite la signification statistique de la valeur des ventes et réduit de façon importante la valeur de son coefficient de régression, c'est-à-dire sa capacité à expliquer les variations des taux de générification des molécules. Sur ce point, si l'expert judiciaire n'a pas accédé à cette demande d'avis au sapiteur de la part des sociétés Sanofi, il a cependant répondu sur la position du cabinet CRA en considérant que le critère du nombre de génériqueurs était un facteur explicatif plus robuste que le critère de la valeur des ventes, et ce dans son rapport (page 48) ainsi que dans sa réponse aux dires (pages 176 et 177) en faisant référence à une note du 2 mai 2023 (annexe 8) qui n'est pas autrement critiquée par les sociétés Sanofi. L'expert judiciaire a en outre précisé que le facteur du nombre de génériqueurs était déjà indirectement pris en compte dans celui retenu de la taille de marché, dès lors que toutes les molécules à forte taille de marché disposent d'un grand nombre de génériqueurs (rapport page 177).
75. Il s'ensuit que les critiques des sociétés Sanofi sur les choix de l'expert judicaire relatifs à l'appui demandé au sapiteur sont dépourvues de tout sérieux.
c- Sur la critique de la sélection des molécules du groupe de comparaison concernant l'année de générification
Positions des parties,
76. Les sociétés Sanofi contestent la sélection de molécules parmi celles génériquées entre janvier 2006 et décembre 2009 et l'exclusion de celles génériquées en 2010. Elles soutiennent qu'il est totalement illogique de remonter quatre années en arrière (jusqu'en janvier 2006) tout en excluant les molécules génériquées seulement quelques mois après le clopidogrel, notamment en février et mars 2010. Elles font valoir qu'une telle exclusion ne repose sur aucune justification sérieuse, si ce n'est un choix opportuniste d'exclure les molécules importantes génériquées en 2010 dont le taux de substitution était plus faible que la moyenne des molécules RBB, ce qui permet d'augmenter mécaniquement l'estimation du préjudice de la CNAM.
77. Elles critiquent le choix de l'expert judiciaire, qu'elles qualifient de « tragique », d'exclure les molécules génériquées en 2010 du groupe de comparaison au motif erroné que leur taux de substitution aurait été « non-comparable » aux molécules de 2009, alors qu'il est selon elles « irréfutable » que les molécules de 2010 ont eu un taux de substitution plus proche de celles de 2009 que les molécules de 2006, 2007 ou 2008, qui elles sont inclues dans le groupe de contrôle. Selon elles, la réalité objective est que les niveaux de taux de substitution atteints par les spécialités génériques entre 2006 et 2011 ont décru dans le temps. Elles soutiennent à cet égard que 4 des 8 molécules du groupe de comparaison validé par l'expert ont été génériquées en 2006 et en 2007, alors que la générification du clopidogrel date de fin 2009, sans être contrebalancée par des molécules génériquées en 2010 et présentant des caractéristiques objectives similaires, ce qui a pour effet d'amplifier l'estimation du préjudice de la CNAM.
78. La CNAM répond que, conformément à sa mission, l'expert judiciaire n'a pas lui-même opéré de choix, mais il s'est interrogé et a vérifié le bien-fondé des choix effectués par le cabinet RBB pour bâtir son scenario contrefactuel. Elle relève que l'expert judiciaire a justifié l'exclusion des molécules génériquées en 2010 de la manière suivante :
- L'expert constate, graphique à l'appui, que « par comparaison avec les molécules générifiées en 2009, les molécules générifiées en 2010 ont connu des vitesses de générification sensiblement plus lentes » et que « le taux de générification d'une molécule générifiée en 2010 est, en moyenne, près de 20% inférieur au même taux pour une molécule générifiée en 2009 »,
- Il constate, pièce à l'appui, que « le caractère divergent de l'année 2010 est également évoqué dans un rapport de la Mutualité Française de 2012 » dont il donne la source,
- Il constate enfin que les « premiers mois de générification » du Plavix, à compter d'octobre 2009, « ont montré de plus une vitesse de générification très élevée » tandis que les molécules générifiées en 2010 ont enregistré des vitesses de générificiation ralenties, confirmant que les molécules générifiées de 2010 ne sont pas comparables au Plavix.
La CNAM relève en outre qu'au regard des analyses de l'expert judiciaire, les critiques des sociétés Sanofi ne sont que 'le résultat de manipulation du cabinet CRA pour tenter de duper la Cour'.
Réponse de la Cour,
79. Le scénario contrefactuel, hypothétique par définition, correspond à ce qui se serait passé en l'absence des faits dommageables.
80. Au cas présent, pour la construction du scénario contrefactuel du taux de substitution du Plavix, le groupe de molécules de comparaison doit correspondre à des molécules non affectées par les pratiques et dont l'évolution du taux de générification aurait été similaire à celui du clopidogrel en l'absence des pratiques.
81. Les sociétés Sanofi ne remettent pas en cause le fait que l'année de première générification d'une molécule est un facteur déterminant de l'évolution du taux de substitution et donc un critère pertinent de sélection de molécule, mais elles contestent le choix opéré des années de première générification pour la sélection des molécules du groupe de contrôle.
82. Le choix opéré par le cabinet RBB (pièces CNAM n° 35 et pièce n°7 annexée au rapport note RBB du 19 septembre 2022) repose sur une analyse de données de remboursement montrant qu'en moyenne, les courbes de générification des molécules générifiées entre 2004 et 2005 et des molécules générifiées entre 2010 et 2011 diffèrent de manière notable des courbes des molécules générifiées entre 2006 et 2009. L'évolution des taux de substitution des molécules générifiées entre 2004 et 2005 est en moyenne plus lente, ce qui peut s'expliquer par le fait que l'introduction de médicaments génériques en France était à l'époque encore récente. Quant aux molécules générifiées entre 2010 et 2011, leur évolution en début de période de générification a été bouleversée par l'entrée en vigueur de la Convention de mai 2012, qui a affecté les incitations des pharmaciens à la vente de génériques. Afin de sélectionner les comparateurs les plus pertinents pour le Plavix générifié en 2009, l'année de première générification comprise entre 2006 et 2009 a été retenue par le cabinet RBB comme un des critères de sélection des molécules de comparaison. Ce dernier relève en outre que les molécules générifiées entre 2006 et 2009 suivent la croissance rapide du taux de générification du Clopidogrel.
83. La Cour observe d'abord que l'expert judiciaire a, de manière pertinente, validé le procédé du cabinet RBB (rapport page 178) consistant à comparer les taux de générification des seules molécules à forte taille de marché et que celles-ci étant peu nombreuses, il pouvait être choisi de calculer leur taux de générification moyen en regroupant les années par paires, faute de quoi les moyennes annuelles auraient pu apparaître volatiles et peu lisibles. Par ailleurs, il observe que les années 2010 et 2011 n'ont pas été agrégées.
84. Ensuite, la Cour relève que les sociétés Sanofi et le cabinet CRA ont fait, sur le choix des années de générification comparables, différentes propositions dont les dernières reprises par l'expert judiciaire dans son rapport (page 45) consistent à étendre la période de sélection de 2006-2009 par le cabinet RBB à une période 2006-mi 2011 afin de tenir compte du fait que plusieurs groupes génériqués sur cette dernière période sont plus comparables à clopidogrel que certains des comparateurs retenus par le cabinet RBB (rapport CRA du 24 février 2023 pièce n°27 du rapport et du 5 juin 2023 pièce Sanofi n°53).
85. L'expert judiciaire n'a pas, à juste titre, validé cet ajustement consistant à inclure les molécules générifiées en 2010. Il observe que par comparaison avec les molécules générifiées en 2009, les molécules générifiées en 2010 ont connu des vitesses de générification sensiblement plus lentes. Il constate, par exemple, que douze mois après le début de la générification le taux de générification d'une molécule générifiée en 2010 est en moyenne près de 20% inférieur au même taux pour une molécule générifiée en 2009 (rapport page 46). De plus, il est constant que l'une des caractéristiques importantes du clopidogrel, est sa rapidité de générification initiale très élevée. Le clopidogrel a connu dans les trois mois après sa générification, et donc avant les effets des pratiques, un taux de générification de 61%. Or l'expert judiciaire constate (annexe 2 du rapport) que 7 molécules sur les 8 composant le panel de comparaison RBB ont un taux de générification compris entre 44,8% et 60, 1 % à trois mois, alors que les molécules du groupe générifié en 2010 ne dépassent pas un taux de 42,7% à trois mois (taux compris entre 24% et 42,7%). L'expert judiciaire relève en outre que selon le cabinet RBB, il n'est pas exclu que les pratiques de dénigrement des génériques du clopidogrel par Sanofi aient pu affecter l'ensemble des génériques. Selon l'expert judiciaire, même incertaine, cette éventualité encourage également à limiter par sécurité l'entrée dans le groupe de comparaison aux molécules générifiées avant 2010 (rapport page 47).
86. La Cour constate que ces éléments de réponse de l'expert judiciaire basés sur des constats objectifs ne sont pas précisément critiqués par les sociétés Sanofi qui s'en tiennent essentiellement à considérer comme « illogique » de sélectionner des molécules de comparaison générifiées quatre années avant le Clopidogrel (octobre 2009) tout en excluant les molécules générifiées seulement quelques mois après le Clopidogrel. La Cour observe par ailleurs qu'une telle position contredit celle tenue par les sociétés Sanofi devant l'Autorité. En effet, elles estimaient que « seules les molécules ayant fait l'objet d'une générification en 2009 devraient être utilisées aux fins de comparer les taux de substitution » (Décision §552).
87. Les sociétés Sanofi relèvent encore dans leurs dernières conclusions que l'analyse de la CNAM reprise par l'expert compare uniquement la progression des molécules génériquées en 2009 et 2010, sans montrer également les écarts existants entre l'évolution de la substitution des groupes génériqués en 2009 avec celle des groupes génériqués en 2006, 2007 ou 2008. Elles présentent la figure 1 (conclusions Sanofi page 16) qui, selon elles, montre l'évolution moyenne de la générification des groupes génériqués de 2006 à 2010 et de laquelle il ressort clairement, selon elles, que les taux des molécules de 2009 et 2010 sont très proches :
Elles ajoutent que les niveaux de taux de substitution atteints par les spécialités générifiées entre 2006 et 2011 ont décru dans le temps. Elles relèvent que la figure 1 précitée montre également que les spécialités générifiées en 2006, 2007 ou 2008 ont atteint des niveaux de taux de substitution supérieurs à ceux atteints par les spécialités génériquées en 2009 et 2010.
Dès lors, elles en déduisent que le fait que 4 des 8 molécules du groupe de comparateurs validé par l'expert judiciaire aient été générifiées en 2006 et en 2007, alors que la générification du clopidogrel date de fin 2009, sans être « contrebalancée » par des molécules générifiées en 2010 et présentant des caractéristiques objectives similaires, amplifie l'estimation du préjudice de la CNAM.
88. Toutefois l'expert judiciaire a répondu à ces analyses (réponse au dire récapitulatif Sanofi du 17 novembre 2023 - rapport page 179) en faisant remarquer, à raison, que ces tendances identifiées par Sanofi sont incertaines et discutables dans la mesure où :
- Au regard des courbes dessinées par le cabinet CRA, l'existence même d'une telle tendance est discutable (par exemple au regard de la courbe de 2008),
- Les moyennes annuelles que présentent ces courbes sont calculées sur de petits nombres de molécules (des mouvements d'ampleur peuvent donc résulter de toutes sortes de causes autres que la tendance alléguée),
- Ces moyennes annuelles intègrent des molécules dont les tailles de marché sont sans rapport avec celle de clopidogrel (taille de marché de 481 M € sur 12 mois avant générification). Ainsi par exemple, le taux de générification moyen des molécules générifiées en 2007 prend en compte les taux de générification de l'Ornithine (taille de marché de 30 M €) ; le taux de générification moyen des molécules générifiées en 2009 prend en compte les taux de générification de la Levocetirizine (taille de marché de 32 M €).
Or plus la taille de marché est importante, plus le nombre de génériqueurs est important.
89. Ces éléments de réponse apportés par l'expert judiciaire et relevés par la CNAM dans ses conclusions, ne sont pas précisément critiqués par les sociétés Sanofi dans leurs écritures (notamment pages 16 et 17 § 1.3).
90. La Cour relève par ailleurs que pour apprécier le dommage à l'économie, l'Autorité a dans sa Décision (§ 672 et suivants), analysé les taux de générification de 9 molécules dont le clopidogrel, initialement sélectionnées par la société Sanofi-Aventis, à savoir :
L'Autorité a alors constaté que si le taux de générification du clopidogrel est le plus important lors des trois premiers mois de commercialisation des génériques de ces neuf molécules, il est le plus faible dans les années qui suivent. Après 24 mois, il est ainsi à peine supérieur à 60% alors que le taux de générification des autres molécules, à l'exception de celui de la rispéridone, atteint plus de 75 %.
91. La Cour constate que dans ce panel de comparaison initialement proposé par la société Sanofi-Aventis devant l'Autorité, les molécules sélectionnées sont pour 4 d'entre elles générifiées en 2006 et 2007 et aucune en 2010. En outre l'expert judiciaire, dans le cadre de ses vérifications, a constaté que les taux de générification contrefactuels, estimés au moyen du panel initial Sanofi-Aventis, diffèrent peu de ceux estimés au moyen du groupe de comparaison RBB (rapport page 89) :
Note de l'expert : L'axe vertical commence à 60% afin d'agrandir visuellement les écarts entre les deux courbes
92. Les sociétés Sanofi ne formulent dans la présente instance aucune observation sur cette analyse de l'expert judiciaire à partir de son panel de comparaison initial devant l'Autorité. La Cour observe par ailleurs que l'Autorité a souligné concernant ce panel initial que (Décision § 566 et 567) :
« En ce qui concerne la comparaison du taux de générification de Plavix® avec celui des huit molécules utilisées par les services d'instruction de l'Autorité, force est de constater que Sanofi-Aventis ne démontre en rien que ces molécules ne pourraient être utilisées pour effectuer une telle comparaison, et ce d'autant plus que c'est précisément elle qui les a proposées dans le cadre de la procédure de mesures conservatoires.
La comparaison proposée par Sanofi-Aventis dans ses observations sur la base du seul critère de l'année de générification ne saurait être retenue, dès lors qu'elle ne prend pas en compte certains facteurs déterminants pour le succès de la substitution générique, tels que les volumes et le chiffre d'affaires, le prix et la marge, le nombre de génériqueurs présents sur le marché ou encore d'éventuelles difficultés objectives pouvant entraver l'entrée des génériques. »
93. Il ressort de l'ensemble de ces constatations que les sociétés Sanofi ne peuvent sérieusement soutenir que le choix d'exclure les molécules générifiées en 2010 par le cabinet RBB et validé par l'expert judiciaire, était comme elles l'allèguent en vain, « arbitraire et opportuniste » pour « amplifier l'estimation du préjudice de la CNAM ».
d- Sur la critique de l'incidence de l'indication SCA du Plavix
Position des parties,
94. Les sociétés Sanofi exposent que le Plavix disposait d'une indication pour les patients souffrants du syndrome coronarien aigu (« SCA ») que n'avaient pas les génériques concurrents. Or elles relèvent que les 8 molécules sélectionnées dans le groupe de contrôle présentent rigoureusement les mêmes indications entre le princeps et les génériques, sans tenir compte de cette différence d'indications propre au Plavix constituant un avantage concurrentiel. Elles critiquent la position de l'expert judiciaire, qui a refusé de prendre en compte son approche consistant à considérer que les patients souffrant d'un SCA, représentant 30 % de la population traitée par clopidogrel, pour 75% d'entre eux aurait été prescrit le Plavix avec apposition d'une mention « NS » même en l'absence de toute pratique (soit donc 75% x30% = 22,5% des volumes de Plavix). Prétendant que cette approche est conservatrice, elles reprochent à l'expert de la retourner contre elles en considérant cette estimation de 75% comme incertaine ce qui justifierait le rejet total de la prise en compte de tout effet de l'indication SCA. Elles critiquent en outre l'expert de ne pas avoir validé son estimation prudente de 75% au motif d'une incertitude sur ce chiffre, alors même que l'expert se base lui aussi dans ses analyses sur des approximations. Elles estiment qu' « une partialité aussi manifeste est désarmante » de la part de l'expert.
95. La CNAM relève en premier lieu qu'il a été tenu compte par l'expert de l'indication SCA et de sa conséquence sur le taux de générification au travers du taux de mention « NS » moyen des molécules du groupe de comparaison RBB. Aussi, selon elle, la méthode retenue basée sur la construction d'un scénario contrefactuel à partir du taux de générification moyen des molécules du groupe de comparaison tient nécessairement compte de cette différence d'indications et de son impact sur la générification du Plavix. Elle soutient que les sociétés Sanofi n'ont, malgré les demandes réitérées de l'expert, apporté aucun élément probant susceptible d'étayer leur hypothèse d'une insuffisante prise en compte de l'éventuel impact de l'indication SCA dans des proportions potentiellement supérieures à la moyenne. En second lieu, selon la CNAM, il ressort des constatations de la décision de l'Autorité et de la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 18 décembre 2014, qu'en réalité, si la différence d'indication a pu avoir un impact, c'est uniquement en raison des pratiques sanctionnées qui ont notamment consisté à attirer l'attention des médecins sur la différence d'indication spécifiquement en matière de SCA, pathologie sensible, pour les inciter à apposer la mention « NS ». Elle ajoute que l'expert a émis cinq observations complémentaires justifiant que le cabinet RBB ne prenne pas davantage en compte l'impact éventuel de l'indication SCA.
Réponse de la Cour,
96. Il est constant qu'en raison d'une protection de brevet complémentaire, le Plavix disposait d'une indication du traitement du syndrome coronaire aigu (SCA) en bithérapie, au travers d'une association clopidogrel/ acide acétylsalicyque (aspirine), restée protégée jusqu'en février 2017. Aussi tous les génériques du clopidrogel ne disposaient pas de l'indication relative au traitement du SCA en association avec l'aspirine (sauf les génériques Sanofi et Ratiopharm).
97. Les sociétés Sanofi reprochent à l'expert judiciaire de ne pas avoir « pris en compte » cette spécificité du Plavix par rapport à ses génériques dans sa méthode d'évaluation du préjudice de la CNAM.
98. La Cour observe au préalable, que dans leurs dernières écritures relatives à cette critique (conclusions pages 17 à 19, §58 à 69) les sociétés Sanofi n'explicitent pas clairement à quel stade de l'évaluation il y a lieu de « prendre en compte » cette spécificité et de quelle manière. Aux termes du dire récapitulatif du 17 novembre 2023 en réponse au pré-rapport de l'expert judiciaire, les sociétés Sanofi prétendent qu'il ressort d'une étude « objective des éléments du dossier » que « l'absence d'indication SCA chez les génériques de Plavix a nécessairement eu un impact, négatif, sur leur pénétration du marché, et donc sur le taux de générification de Plavix » et que « cet impact doit être évalué ». La reprise d'un extrait du dire n°3 de Sanofi par l'expert judicaire (rapport page 62) fait aussi état d'une demande des sociétés Sanofi de « neutralisation du SCA » qui serait pertinente « non seulement s'agissant de l'analyse du taux de NS, mais aussi pour analyser le taux de substitution contrefactuel du clopidogrel ».
99. En substance, les sociétés Sanofi demandent ainsi de « prendre en compte » l'indication du SCA de Plavix pour ajuster le scénario contrefactuel de son taux de substitution, en ce sens que même en l'absence des pratiques anticoncurrentielles de Sanofi, il y aurait eu plus d'ordonnances portant la mention « NS » pour le clopidogrel que pour d'autres molécules où les génériques disposaient des mêmes indications que le princeps.
100.Force est cependant de constater que l'expert judiciaire, sans être sérieusement contredit sur ce point, considère de manière cohérente que ce qui importe concernant l'indication SCA du Plavix, est le dimensionnement des prescriptions en non-substitution associées à ce motif. Ainsi, dans le scenario contrefactuel, il s'agit de déterminer si en l'absence de toute pratique anticoncurrentielle de Sanofi, ces prescriptions auraient été suffisamment nombreuses pour porter le taux de mention « NS » sur Plavix sensiblement au-delà de celui des molécules du groupe de comparaison, ce qui justifierait l'ajustement du scenario contrefactuel pour qu'il prenne en compte ce particularisme de Plavix.
101.Certes, comme le soulignent à juste titre les sociétés Sanofi, les 8 molécules sélectionnées dans le groupe de comparaison présentent les mêmes indications entre le princeps et les génériques, et donc n'ont pas la même spécificité objective du Plavix avec l'indication SCA que n'ont pas ses génériques (sauf les génériques Sanofi et Ratiopharm). Néanmoins, comme le relève avec pertinence l'expert judicaire, chaque molécule ou presque connaît, pour des raisons qui lui sont propres, des prescriptions en non substitution (« NS »). Les molécules du groupe de comparaison n'échappent pas à ce constat, étant observé par exemple qu'en janvier 2016 leur taux moyen de prescription en « NS » était de 5,8%. Aussi, il importe pour justifier un ajustement de quantifier cette moindre substitution en raison de l'indication SCA pour évaluer son caractère sensible.
102.A cet effet, dans leurs dernières écritures, les sociétés Sanofi soutiennent démontrer de façon « certaine et objective » que 30% des patients traités avec du clopidogrel sont atteints d'un SCA et que pour 75% d'entre eux la prescription de Plavix aurait reçu la mention « NS » indépendamment de toutes pratiques anticoncurrentielles de Sanofi, ce qui représenterait 22,5 % (75% x 30%) des volumes de Plavix.
103. En admettant que 30 % des patients traités avec du clopidogrel sont atteints d'un SCA (il était question de seulement 25% devant l'Autorité), les sociétés Sanofi, dans leurs dernières écritures (notamment pages 17 à 19) affirment ensuite qu'il n'y a « aucune raison de penser que pour une pathologie dans laquelle seul Plavix disposait de l'AMM pour cette indication, tous les patients traités pour un SCA n'aient pas reçu des ordonnance NS ». Pour présenter une approche dite « conservatrice » les sociétés Sanofi ont, dans ces circonstances, ramené le taux de 100% à 75%.
104.La Cour relève que cependant, l'expert judiciaire n'a pas validé cette estimation.
105. En effet, pour différentes raisons cette quantification par les sociétés Sanofi ne paraît pas suffisamment fiable pour discerner et quantifier un effet sensible de la moindre substitution du Plavix en raison de l'indication SCA et ajuster en conséquence le scenario contrefactuel de substitution du Clopidogrel.
106.D'abord la Cour constate à cet égard que les sociétés Sanofi évoquent dans leurs écritures sur l'analyse du taux élevé de mention « NS » du Plavix (conclusions pages 41 et 43 § 196 et suivants ) différents postulats pouvant étayer leur hypothèse de base que 100% du Plavix prescrit pour l'indication SCA ne serait pas substituable, à savoir les messages d'alerte automatiques des logiciels d'aide à la prescription des médecins et d'aide à la délivrance des pharmaciens ainsi que le risque d'engager sa responsabilité pour le médecin prescrivant un médicament sans l'indication SCA notamment dans les suites du scandale du Médiator.
107. Outre le fait que ces facteurs explicatifs avancés sont exclusivement qualitatifs et non quantitatifs, comme le souligne l'expert judiciaire, force est de constater que ces explications n'ont pas été retenues par l'Autorité dans sa décision confirmée par la cour d'appel dans son arrêt du 18 décembre 2014.
108. Ainsi il est clairement relevé dans la Décision (§450) que :
« comme cela a été précédemment rappelé, les différences de sels et d'indication des génériques concurrents de Plavix®, liées uniquement à des questions de propriété intellectuelle, et non à des propriétés chimiques ou médicales particulières, n'ont aucune incidence sur la bioéquivalence et la substituabilité de ces médicaments, et ce pour la totalité des pathologies traitées par Plavix®, dont le SCA. En effet, dès lors qu'une spécialité générique est inscrite au répertoire des génériques, aucune disposition légale ou réglementaire n'empêche sa délivrance par substitution à la spécialité de référence quand bien même la spécialité générique ne présenterait pas toutes les indications de cette dernière. »
109. Et l'arrêt de la cour d'appel du 18 décembre 2014 de constater (pages 9, 16 et 17) :
« (') Mais considérant que s'il n'est pas contestable que les données diffusées ont concerné des différences objectives entre le Plavix et ses génériques, soit, d'une part, que le sel contenu dans ces médicaments n'était pas le même, d'autre part, que l'AMM du princeps visait une indication thérapeutique en association avec l'aspirine pour le SCA que ne contenaient pas les AMM des génériques, ce n'est pas le simple fait d'avoir communiqué ces données qui est reproché à la société Sanofi-Aventis, mais la façon dont elle l'a fait ;
qu'il convient à cet égard de rappeler tout d'abord que ces différences sont la résultante du respect des brevets et certificats complémentaires en cours et protégeant d'un côté l'hydrogénosulfate de clopidogrel, de l'autre, l'indication thérapeutique du SCA en bithérapie ; qu'elles sont donc des différences imposées juridiquement et ne procèdent pas d'un choix des laboratoires pharmaceutiques concurrents ; que par ailleurs, compte tenu des conditions auxquelles est soumise l'octroi d'une AMM, ces différences sont l'une et l'autre sans portée sur la substituabilité des génériques au princeps ; qu'en effet, sur la différence de sel, l'Afssaps a, dans le cadre d'une réponse adressée aux services d'instruction de l'Autorité, précisé que compte tenu des éléments communiqués pour les demandes d'AMM qui « contenaient outre une étude de bioéquivalence à la spécialité Plavix, des données démontrant la sécurité et l'efficacité du sel différent (') [celle-ci] n'interdit pas la qualification générique d'une spécialité et ne constitue pas une entrave à la substitution » ; que sur la différence d'indication thérapeutique, cet organisme, répondant à une demande de la société Sanofi-Aventis, a, dans une lettre du 24 septembre 2009, précisé que « (...) l'inhomogénéité des indications thérapeutiques des spécialités en cause ne saurait être regardée comme participant d'une situation dans laquelle la substitution serait susceptible d'entraîner un risque particulier pour la santé des patients sous certaines conditions d'utilisation, et ce d'autant qu'il s'agit de spécialités génériques ayant démontré leur bioéquivalence, ayant établi un rapport efficacité/sécurité satisfaisant au moins similaire à celui de votre spécialité de référence PLAVIX et présentant une notice validée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé voire, le cas échéant, l'Agence européenne des Médicaments (...) » ; qu'il résulte de cette réponse que la substitution d'un générique au Plavix, dans le cas d'un patient traité pour un SCA en bithérapie avec de l'aspirine, est sans risque particulier pour la santé de ce patient ; que, dans ces conditions, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que les pratiques rappelées ci-dessus, qui ne consistent pas seulement à décrire des différences objectives ou informer les professionnels de simples caractéristiques des médicaments concernés, constituaient une pratique abusive ;(')
Sur le lien de causalité entre la pratique reprochée et les effets
(')
Considérant que la société Sanofi-Aventis reproche à la décision d'avoir retenu que la pratique avait eu pour effet un taux de mentions « NS » (pour « non substituable »), relevées sur les ordonnances de médecins, supérieur à ce qui est constaté pour d'autres génériques ; qu'elle fait valoir sur ce point que les ordonnances « NS » existent pour tous les génériques et non uniquement pour le clopidogrel et que l'importance du nombre de ces ordonnances s'explique par le fait que les génériques du Plavix n'ont pas l'indication du SCA qui demeure protégée par un brevet, alors que cette pathologie représente environ 25 % des prescriptions ; qu'elle soutient qu'il convient de corriger les chiffres de la CNAMTS sur les ordonnances où figure la mention « NS » en excluant les ordonnances correspondant au SCA ;
Mais considérant, cependant, que pour établir le lien entre la pratique reprochée et les effets, la décision ne s'est pas référée au seul fait que des mentions « NS » soient inscrites sur les ordonnances, mais au constat qu'il existait un taux plus élevé de cette mention s'agissant du Plavix (12,6 %) que pour d'autres spécialités, puisque toutes spécialités confondues, ce taux est en moyenne de 5 % ; que dans ces conditions, il est sans portée que cette possibilité existe pour toutes les molécules et pas seulement pour le Plavix ; que l'Autorité a relevé à ce sujet que cette spécialité était celle pour laquelle ce taux était le plus élevé, ce qui n'est pas contesté ; que par ailleurs, l'absence d'indication SCA en bithérapie pour les génériques ne procède pas d'une impossibilité biologique, mais seulement de ce que cette indication est encore protégée par un certificat complémentaire, ce qui n'empêche nullement la substitution par le médecin ou par le pharmacien du Plavix par un générique en bithérapie avec l'aspirine en cas de SCA, sans violation de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique interdisant les prescriptions hors AMM [souligné par la Cour] ; qu'en conséquence, si cette donnée peut expliquer un taux de mention « NS » par certains médecins moins informés que d'autres, elle ne saurait expliquer l'importance de la différence de taux de mentions de non substitution entre le Plavix et d'autres médicaments princeps ; qu'enfin, la société Sanofi-Aventis ne produit aucun élément permettant à la cour de constater qu'il existe, comme elle l'affirme, une tendance confirmée à une moindre substitution dans le cas de médicaments destinés à des pathologies lourdes de conséquences comme l'est l'athérothrombose ; que, de plus, la proposition de calcul que la société requérante formule dans ses conclusions n'est pas appropriée, dès lors qu'il repose sur le postulat qu'il conviendrait de déduire des ordonnances comportant la mention NS toutes celles relatives à une prescription en cas de SCA, alors que la substitution par le médecin est aussi possible dans ces cas, en dépit de ce que cette indication ne figure pas dans l'AMM » [souligné par la Cour] ;
110. Par ailleurs, les captures d'écran versées aux débats (pièces Sanofi n°15 et 16) concernant des messages d'alertes des logiciels d'aide à la prescription et à la délivrance ne sont pas datées et ne permettent donc pas de s'assurer que de telles alertes figuraient dans les versions de logiciel sur la période considérée. De même aucune information n'est donnée sur le taux de déploiement et d'usage effectif de ces logiciels par les praticiens sur la période considérée. En outre la teneur des messages figurant sur ces captures d'écran ne met nullement en évidence qu'ils étaient « de nature à influer sur le taux général de générification de Plavix » comment l'affirment les sociétés Sanofi.
111. Ensuite la Cour constate que malgré cette inhomogénéité de l'indication, le Plavix a très vite connu un taux de substitution très élevé dans les premiers mois de sa générification, soit avant l'effet des pratiques (64% à trois mois, 67% à quatre mois). Or les pratiques sanctionnées avaient précisément pour objet d'attirer l'attention des médecins sur la différence d'indication en matière de SCA, pathologie sensible, pour les inciter à apposer la mention « NS » sur les ordonnances.
112. Ainsi l'Autorité a relevé dans sa décision que la communication des deux laboratoires pharmaceutiques (Sanofi-Aventis et Bristol Myers Squibb) reposait sur les arguments suivants (§123) :
- la mention des différences existant entre Plavix® et ses génériques hors Clopidogrel Winthrop® (sel différent et absence de l'indication SCA en bithérapie) ;
- l'insistance sur les risques importants en termes de mortalité présentés par les patients souffrant d'un SCA ;
- l'indication du fait que les risques présentés ci-dessus sont connus et maîtrisés avec Plavix® ;
- enfin, la suggestion faite d'indiquer la mention « non substituable » dans tous les cas de prescription en bithérapie.
113. Et a notamment constaté que :
« (..) l'essentiel de la stratégie de communication auprès des médecins était centrée sur l'indication relative au SCA. Ainsi, le docteur [B] J'médecin généraliste à [Localité 6], a indiqué, le 25 janvier 2010, que « le discours tenu par les visiteurs se résumait à signaler l'arrivée du CLOPIDOGREL (générique du PLAVIX) sur le marché, mais dont le sel est différent du médicament princeps. Du fait de cette légère différence de fabrication, les visiteurs me précisent que la substitution dans le cadre de l'artérite ne pose aucun problème, mais que la substitution dans le cadre du syndrome coronarien n'est pas recommandée, dans l'attente d'éventuelles études complémentaires concernant ce nouveau sel »( §151)
Le docteur [Z] Y..., chef de clinique en cardiologie à l'hôpital [7] à [Localité 8], a également indiqué, le 14 avril 2011 : « Oui, on m'a dit qu'il fallait mettre « non substituable ». C'est une visiteuse habituelle de SANOFI. Les excipients ne seraient pas les mêmes et il y aurait eu des cas de thrombose. »(§152)
Ces témoignages montrent que les visiteurs médicaux de Sanofi-Aventis ont délivré un discours tendant à faire accroire notamment que l'absence d'indication SCA pour les génériques de Plavix® résulterait d'un manque d'études complémentaires ou encore que le principe actif des sels de clopidogrel des génériques ne serait pas identique à celui de Plavix®, ou enfin qu'il y aurait eu des problèmes sanitaires graves (cas de thrombose) dus au traitement sous générique. (§153)
(')
Dans la même région, une pharmacie a indiqué « A eu la visite du labo Sanofi pour l'inciter à référencer le Clopidogrel Winthrop, ce qu'elle n'a pas fait. Arguments du labo : les autres génériques n'ont pas fait les tests avec le nouveau sel pour prouver leur efficacité en coprescription avec l'aspirine. Donner un générique peut provoquer des hémorragies au patient ». Une autre pharmacie a affirmé, concernant Plavix®, qu'elle « était elle-même réticente au fait de le substituer car le labo a communiqué sur le fait que les génériques (hors Winthrop) risquaient de provoquer des hémorragies ». (§190)
Lors de son audition, cette même déléguée [de l'Assurance Maladie] a indiqué les éléments suivants : « Lors de nos visites sur la délivrance des génériques en général, plusieurs pharmacies nous ont indiqué avoir des difficultés pour substituer le Plavix®. C'était notamment dû à des visites de délégués qui disaient que le générique de Plavix® avait des sels différents, qu'ils n'avaient pas les mêmes indications, et que seul le générique Winthrop pouvait être substitué. Ils disaient aux pharmacies qu'en délivrant d'autres génériques ils engageaient leur responsabilité » (§191)
(')
Les pharmaciens interrogés sont également très nombreux à mentionner une quantité anormale de mentions « non substituable » ou « NS » sur les prescriptions médicales de Plavix®, ce qui démontre l'existence d'une forte inquiétude parmi ces professionnels au sujet des génériques de Plavix®. (221)
Enfin, un certain nombre de courriers fournis par Ratiopharm montrent que les laboratoires génériques ont dû répondre aux questions de pharmaciens inquiets de leur éventuelle responsabilité en cas de délivrance de génériques de Plavix® (§222).
(')
Le fait de mettre en évidence des différences qui, dans le contexte du discours tenu et des conditions dans lesquelles il est entendu, ne peuvent se comprendre que comme des différences substantielles, de nature à soulever un doute injustifié, voire une crainte, sur les qualités des spécialités génériques concurrentes, est d'autant plus répréhensible en l'espèce qu'il s'est accompagné d'une incitation claire à la non-substitution qui ne pouvait se comprendre que comme la conséquence à tirer de ces doutes.(§ 471)
Or, l'objectif de la réglementation européenne et française en matière de générique est précisément de surmonter les réticences et les risques de confusion de la part des professionnels de la santé, en mettant en place un mécanisme de substitution leur permettant de ne pas se préoccuper des questions de propriété intellectuelle ou de différence d'AMM, dès lors que les génériques sont autorisés et inscrits au répertoire des génériques.(§472). »
114. La Cour d'appel a ainsi retenu dans son arrêt du 18 décembre 2014 que la pratique qualifiée par l'Autorité de la concurrence d'abus de position dominante a consisté de la part de la société Sanofi-Aventis, à diffuser à destination des professionnels de la santé un discours relatif aux différences entre le Plavix et ses génériques, par lequel elle leur a délivré des informations incomplètes et présentées, compte tenu de leur assemblage et du contexte particulièrement sensible dans lequel elles étaient données, d'un manière telle que ces informations revenaient intrinsèquement à discréditer les produits concurrents des siens, en mettant indûment en doute leur efficacité et leur sécurité au bénéfice de ses propres spécialités.
115. Il s'ensuit qu'il n'est nullement démontré par des éléments fiables, tant qualitatif que quantitatif, que la différence en termes d'indication entre le princeps et les génériques était en soi susceptible d'affecter de manière sensible le taux de substitution du Plavix en l'absence des pratiques illicites des sociétés Sanofi.
116. Dès lors, c'est à raison, que l'expert judiciaire a refusé d'ajuster le scenario contrefactuel de substitution du Plavix sur le point de l'indication SCA.
e- Sur la critique du raisonnement de l'expert judiciaire
Position des parties,
117. Les sociétés Sanofi indiquent qu'en se reposant notamment sur une lecture incorrecte de la fiche 3c de la Cour d'appel de Paris, l'expert judiciaire considère que le fait d'avoir des comparateurs dont le taux de substitution serait homogène serait un gage de qualité de leur sélection. Selon elles, cette approche de l'expert est « foncièrement erronée », en ce qu'elle conduit à justifier des exclusions de molécules réalisées a priori, au motif que leur taux de substitution ne correspond pas à celui des molécules identifiées a posteriori. Ce faisant, selon les sociétés Sanofi, l'expert a de fait introduit implicitement un critère de sélection supplémentaire : tout comparateur retenu doit disposer d'un taux de générification en ligne avec celui des comparateurs retenus par RBB. Elles expliquent que ce critère est fondamentalement biaisé car il rend le modèle de RBB « non critiquable », quelle que soit la validité de l'argument soulevé, celui-ci sera ainsi toujours écarté sur le fondement de son absence « d'homogénéité » avec le groupe présenté par RBB. Elles soutiennent qu'en réalité, l'interprétation correcte de la fiche précitée est que l'homogénéité des médicaments doit être évaluée, non pas sur la base de la variable que l'on cherche à expliquer (le taux de générification) mais sur la base des facteurs explicatifs établis comme pertinents.
118. La CNAM souligne que l'expert judiciaire évoque la notion d'homogénéité du groupe de comparaison dans une partie de son rapport dédiée à l'évaluation des scénarios alternatifs proposés par le cabinet CRA, mais que cette notion n'a jamais été utilisée, explicitement comme implicitement, comme facteur de sélection des molécules du groupe de comparaison. Elle précise que le critère de l'homogénéité n'intervient pas au stade de la sélection des molécules mais de l'appréciation de la pertinence des facteurs de sélection retenus pour composer le groupe de contrôle. Elle ajoute que l'homogénéité in fine des molécules sélectionnées n'a jamais été employée autrement que comme un indicateur (parmi d'autres) de la pertinence du facteur de sélection retenu. Selon elle, l'expert l'explique clairement en pages 174 et 175 de son rapport.
Réponse de la Cour,
119. La Cour constate que l'expert judiciaire a vérifié la pertinence des facteurs de sélection des molécules du groupe de comparaison du cabinet RBB au regard de leur aptitude à prédire le taux de générification et non pas sur la base d'un taux de générification « en ligne » avec celui des comparateurs retenus par RBB.
120. L'expert judiciaire a d'abord identifié les caractéristiques importantes du clopidogrel, non sérieusement contestées par les sociétés Sanofi, à savoir une taille de marché très importante, une rapidité de générification initiale très élevée, sa date de générification en octobre 2009 et un grand nombre de laboratoires génériqueurs.
121. A partir de ces caractéristiques, l'expert judiciaire a contrôlé les facteurs explicatifs pertinents du taux de générification.
122. S'agissant de la taille de marché, l'expert judiciaire a retenu (pages 42 et 43) que les analyses du cabinet RBB, non sérieusement contredites par celles du cabinet CRA, confirment la pertinence de ce facteur, en ce que plus la taille du marché d'une molécule est importante, plus son taux de générification est élevé. Il précise que les notions de « valeur des ventes » et de « chiffre d'affaires » sont similaires ou proches de celle de « taille de marché ». Il a par ailleurs retenu que les autres facteurs, prix et volume, pris conjointement constituent les composantes de la taille de marché, alors que pris de manière isolée ils n'apportent pas de force explicative additionnelle. Il en déduit que ces facteurs sont déjà pris en compte implicitement par le facteur de la taille de marché. La mise en 'uvre de ce facteur a conduit à retenir les molécules à forte taille de marché comme appartenant au premier quartile, soit 25% de molécules à plus forte taille de marché (rapport page 42).
123. S'agissant de l'année de générification, l'expert judiciaire a retenu (rapport pages 44 à 48) que les analyses du cabinet RBB confirment la pertinence de ce deuxième facteur, dès lors que selon l'année au cours de laquelle une molécule a été générifiée, la courbe de ses taux de générification change. Les sociétés Sanofi ne contestent pas la pertinence de ce facteur explicatif, mais ont critiqué les années retenues pour la sélection du groupe de contrôle, et en particulier l'exclusion de l'année 2010, ce à quoi il a été répondu aux points 79 et suivants. La mise en 'uvre de ce critère a conduit à retenir les molécules générifiées entre 2006 et 2009 (bornes incluses).
124. S'agissant du nombre de génériqueurs, facteur explicatif pertinent selon les sociétés Sanofi, l'expert judiciaire a retenu (rapport page 48) sans être sérieusement contredit, que si ce facteur est pertinent, il est en réalité déjà pris en compte par le facteur de taille de marché, en observant que toutes les molécules à forte taille de marché (à savoir celle appartenant au premier quartile, soit 25% de molécules à forte taille de marché) ont un grand nombre de génériques. Il en déduit donc qu'ajouter ce facteur est sans objet.
125. L'expert judiciaire a par ailleurs écarté les facteurs d'âge moyen du patient et de classe thérapeutique au motif que ces critères n'apparaissent pas prédictifs du taux de générification (rapport page 48).
126. Enfin l'expert judiciaire a rajouté un troisième facteur explicatif pertinent (rapport page 49), la présence sur la liste annexée à la Convention approuvée le 4 mai 2012 et destinée notamment à encourager la substitution. Il précise que cette Convention est assortie d'une liste nominative de 26 molécules, dont le clopidogrel, utilisées pour mesurer l'évolution des taux de substitution d'une officine et fixer la hauteur de sa prime. L'expert considère que le fait de désigner nominativement 26 molécules comme objectifs de substitution prioritaires confère à celles-ci des caractéristiques (ex : visibilité, importance perçue) que celles du « reste du répertoire » n'ont pas. Certes, il est constant que l'ajout de ce facteur est sans conséquence sur la composition du groupe de molécules du cabinet RBB (7 sur 8 molécules remplissent le critère), mais comme le relève l'expert (rapport page 176) ce critère permet d'effectuer sur ce groupe de comparaison une vérification supplémentaire, à savoir que toutes les molécules du groupe présentent bien une caractéristique importante que présentait le clopidogrel (sauf cas particulier de la Gliclazide dont l'atypisme rendrait sa présence sur la liste nominative sans objet).
127. Ainsi, l'expert judiciaire a retenu trois facteurs influençant le taux de générification des molécules (rapport page 50) : la taille de marché, leur année de générification et leur présence ou pas sur la liste annexée à la Convention. Il a relevé que ces facteurs et ceux implicitement pris en compte (volume et prix, nombre de génériqueurs) représentent six des sept facteurs possibles identifiés par la Décision de l'Autorité (§567).
128. La mise en 'uvre des facteurs ainsi retenus a abouti à la constitution du groupe de comparaison avec les 8 molécules suivantes (avec date de première générification) : Pantoprazole (mai 2009), Amlodipine (août 2007), Cefpodoxime (juin 2007), Gliclazide (septembre 2008 extraite à partir de novembre 2011), Lanzoprazole (décembre 2007), Pravatisme (juillet 2006), Valaciclovir (décembre 2009) et Venlafaxime (décembre 2008). L'expert a considéré ce chiffre de huit molécules comme satisfaisant au motif que ce groupe de comparaison est assez grand pour éviter d'exposer de manière importante le scenario contrefactuel à un atypisme éventuel chez une molécule et assez petit pour centrer la composition du groupe sur les molécules les plus comparables (rapport page 53).
129.En considération de l'ensemble de ce qui précède, la Cour constate que pour déterminer ce groupe de molécules de comparaison, l'approche de l'expert a été de retenir des ensembles de molécules qui présentent des caractéristiques communes avec Clopidogrel (i) et (ii) prédictives du taux de générification. Aussi, contrairement à ce qui est avancé par les sociétés Sanofi, l'expert judiciaire ne s'est pas basé sur un critère de sélection supplémentaire d'homogénéité, même de façon implicite, en ce que tout comparateur retenu doit disposer d'un taux de générification en ligne avec celui des comparateurs retenus par RBB. Ce n'est en réalité qu'après la détermination de ces critères de sélection et la composition du groupe de contrôle, que l'expert s'est attaché à vérifier l'homogénéité du groupe ainsi obtenu et à évaluer les scénarios alternatifs proposés par le cabinet CRA.
130. Ce dernier a en effet proposé deux groupes révisés de comparateurs de clopidogrel (rapport page 92).
131. Pour le premier scénario alternatif proposé, le cabinet CRA retient l'ensemble des groupes génériques de la base CNAM2, selon le filtrage CRA, qui satisfont les trois conditions suivantes :
- Leur valeur des ventes excède le premier quartile mesuré sur cette base (soit 27,88M € ajusté à 27, 7M € pour intégrer la finastéride dont la valeur des ventes est inférieure mais extrêmement proche du seuil de premier quartile),
- Le nombre de génériqueurs à 6 mois est supérieur ou égal à 13,
- La date d'entrée des génériques est comprise entre 2006 et la fin du premier semestre 2011.
132. Pour le deuxième scenario alternatif proposé, le cabinet CRA retient :
- L'ensemble des comparateurs présentant une valeur des ventes supérieure à 66 M € (critère RBB) et génériqués entre 2006 et le premier semestre 2011,
- Et les comparateurs présentant un nombre de laboratoire génériques supérieur ou égal à 13 et ayant une valeur des ventes supérieure à 27,7M €.
133. S'agissant du scenario alternatif n°1, l'expert d'une part a constaté que le groupe de comparaison résultant de ce scenario produit des taux de générification contrefactuels généralement inférieurs aux taux RBB, mais toutefois supérieurs aux taux observés du clopidogrel (rapport page 93). D'autre part, l'expert a observé que les molécules du groupe de comparaison CRA montrent une homogénéité significativement moindre que celles des molécules du groupe de comparaison RBB (rapport page 94). Les mêmes observations ont été faites pour l'essentiel pour le scenario alternatif n°2.
134. Ces constatations ont conduit l'expert judiciaire à considérer, à raison, que les groupes de comparaison révisés du cabinet CRA n'étaient pas une alternative préférable au scenario RBB.
135. Aussi, l'homogénéité des taux de générification des molécules du groupe de comparaison est bien utilisée comme un indicateur que les facteurs sélectionnés en amont pour le constituer sont de qualité pour prédire le taux de générification. A l'inverse, il ressort clairement des explications de l'expert (rapport pages 174 à 176) que dans son approche, l'hétérogénéité ou le caractère atypique de molécules identifiées suivant des critères définis en amont, ne le conduit pas ipso facto à exclure ces molécules du groupe de comparaison, mais à s'interroger sur les raisons de cette divergence et la qualité des critères de sélection définis en amont.
136. Dès lors, comme le souligne la CNAM, l'homogénéité in fine des molécules sélectionnées n'a jamais été employée par l'expert judiciaire autrement que comme un indicateur, parmi d'autres, de la pertinence des facteurs de sélection retenus en amont. La méthode utilisée par l'expert judiciaire n'est donc pas biaisée comme le soutiennent les sociétés Sanofi.
***
137. De l'ensemble de ces constations et appréciations de la Cour, le scénario contrefactuel du taux de substitution du Plavix élaboré par le cabinet RBB et ajusté par l'expert judiciaire est retenu par la Cour pour l'évaluation du préjudice de la CNAM.
B- Sur la durée des effets des pratiques anticoncurrentielles
Position des parties,
138. Les sociétés Sanofi rappellent que les pratiques en cause n'ont duré que 5 mois et ont totalement cessé en janvier 2010. Selon elles, le discours de Sanofi n'a pas pu continuer à produire des effets, même résiduels, au-delà de deux ans après la fin de la pratique au maximum, soit au-delà de janvier 2012. Elles précisent que leur position est corroborée par la mise en 'uvre d'une Convention en avril 2012 qui a totalement bouleversé les incitations financières des pharmaciens à substituer, à une date où la pratique avait cessé de produire tout effet. Aussi, elles considèrent comme « aberrante » la position de l'expert judiciaire suivant laquelle le discours de Sanofi tenu pendant 5 mois aurait produit des effets jusqu'en 2021, soit pendant près de 12 ans. Elles reprochent à l'expert qui, au lieu et place d'une analyse in concreto relevant de sa mission, s'est contenté (i) de faire une lecture partielle et partiale des arrêts de la cour d'appel de Paris de 2014 et 2022 pour éviter toute analyse de sa part sur la « période 2009-2013 » puis (ii) s'est contenté d'une lecture purement théorique- et incorrecte ' du modèle RBB sur la période après 2015.
139. Ainsi, selon les sociétés Sanofi, au regard de la manière concrète dont se déroule la visite médicale et dont les médecins et pharmaciens s'informent, ce discours n'a pas pu avoir d'effet durable pendant près de 12 années sur leur pratique de substitution. Elles reprochent à la CNAM de vouloir inverser la charge de la preuve qui lui incombe de démontrer la poursuite des effets dans le temps des pratiques, mais aussi d'imposer une preuve impossible à Sanofi. En tout état de cause, elles exposent 8 facteurs justifiant qu'un maximum de deux visites sur 5 mois n'ont pu produire des effets après 2012, à savoir :
- La visite médicale est d'une durée très courte (quelques minutes) et de fréquence modérée (environ une fois tous les deux mois),
- La commercialisation des génériques de Plavix ne s'est accompagnée d'aucune remontée anormale de pharmacovigilance,
- Les professionnels de santé s'informent en continu auprès de nombreuses sources,
- Les ordonnances de clopidogrel sont renouvelées en moyenne une fois toutes les sept semaines, de sorte qu'il n'existe aucun effet de rémanence au-delà de cette courte durée,
- L'effet du discours promotionnel médical est inexistant au-delà de deux ans,
- Le fait que l'objectif de substitution de Plavix fixé pour 2012 a été dépassé confirme que la pratique de Sanofi ne produisait déjà plus d'effet à cette date,
- La publication de la Décision de condamnation de l'Autorité de la concurrence en mai 2013 a fait l'objet d'une large diffusion et aucun médecin ou pharmacien n'a pu passer à côté de cette information.
140. Selon les sociétés Sanofi, l'expert judiciaire s'est affranchi de présenter la moindre analyse concrète pour aider la Cour à déterminer la date réelle de fin des effets. Elles soutiennent que pour la période 2009-2013, l'expert et la CNAM renvoient la Cour de céans à son propre arrêt suivant une lecture tronquée de celui-ci, en ce que la Cour aurait déjà statué sur le fait que les effets des pratiques auraient perduré jusqu'en 2013. Elles relèvent en outre qu'il ressort de la décision de l'Autorité dans la méthode utilisée pour la détermination des sanctions pécuniaires, confirmée par la cour d'appel dans son arrêt du 18 décembre 2014 et la Cour de cassation, une durée des effets d'une année.
141. Pour la période 2015, les sociétés Sanofi reprochent à l'expert judiciaire de s'être fondé sur une simple observation détachée de toute considération pratique, à savoir qu'au cours de la période considérée, le taux d'ordonnance « NS » pour Plavix est resté supérieur à celui des « 30 molécules les plus vendues », et dans le même temps, la courbe contrefactuelle du modèle RBB ne rejoint la courbe réelle qu'en septembre 2021. Elles soulignent d'abord que l'expert n'a fourni aucune indication sur les critères de sélection des 30 molécules de comparaison. Elles relèvent ensuite que le raisonnement de l'expert est fondé entièrement sur un présupposé reposant sur aucun élément, à savoir que le Plavix aurait dû en 2015 présenter un taux de mention « NS » identique à celui des autres molécules. Enfin, elles soutiennent qu'une analyse rigoureuse des données en question montre que la conclusion à laquelle est arrivée l'expert est « grossièrement erronée », en ce qu'il faut évidemment comparer l'évolution relative des taux de mention « NS » des différentes molécules. Aussi, selon elles, dès lors que l'on procède à cette observation relatives (partant d'une même base 100 en janvier 2019), il est remarqué graphique à l'appui (page 40) que le taux de mention « NS » de Plavix a évolué de façon parfaitement identique à (i) la moyenne des 30 molécules et (ii) aux comparateurs RBB. Elles ajoutent que le taux intrinsèquement plus élevé de Plavix peut s'expliquer par différents facteurs qui ne sont pas liés au discours de Sanofi, en particulier la différence d'indications entre le Plavix et ses génériques, ces derniers ne disposant pas de l'indication pour le traitement des patients atteints de SCA, soit 30 % des patients, ce qui a nécessairement pesé sur le taux général de mention « NS » pour la molécule clopidogrel et favorisé par les logiciels d'aide à la prescription pour les médecins et à la délivrance pour les pharmaciens.
142. Ainsi les sociétés Sanofi contestent l'analyse de l'expert judiciaire et estiment que le discours de Sanofi n'a pas pu continuer à produire des effets, même résiduels, au-delà de deux ans après la fin de la pratique maximum, soit au-delà de janvier 2012.
- A titre principal, il est demandé une nouvelle expertise avec notamment pour mission d'établir l'effet dans le temps de la pratique de Sanofi,
- A titre subsidiaire, juger que les effets de la pratique Sanofi ont cessé au plus tard deux ans après la fin de son discours, soit en janvier 2012 et déclarer en conséquence que le montant éventuellement alloué à la CNAM ne pourra couvrir que son éventuel préjudice pour la période comprise entre 2010 et 2011, débouter la CNAM de ses demandes contraires.
143. La CNAM rappelle que pour son analyse de la durée des effets, l'expert judiciaire s'est appuyé sur les dires échangés par les parties, les extraits de la Décision et des arrêts de la cour d'appel et sur sa propre analyse des données communiquées à l'expert. Sur ce dernier point, la CNAM relève que l'expert s'est livré à une analyse concrète des données objectives qui lui ont été transmises concernant spécifiquement l'évolution du taux des mentions « NS » sur les ordonnances de Plavix comparé à celui des 30 molécules les plus vendues, et qu'il a constaté que jusqu'en décembre 2019, le taux de mention « NS » est resté très supérieur sur Plavix (13,8%) à ce qu'il était en moyenne sur les 30 molécules les plus vendues (4,6%), révélant un écart de 9,2% en décembre 2019 et en a déduit que les pratiques avaient produit un effet au moins jusqu'en décembre 2019. Elle soutient que cette analyse est centrale dans le rapport de l'expert et que de ce fait cette analyse est fondée sur des observations concrètes à partir de données CNAM DCIR. Elle relève en outre que l'expert a répondu à l'ensemble des observations des sociétés Sanofi sur cette analyse dans son rapport et dans ses réponses aux dires. Elle souligne que l'expert a ainsi constaté, graphique à l'appui, une convergence des deux courbes en septembre 2021 : la fin des effets des pratiques selon RBB (le taux de générification contrefactuel rejoint le taux de générification réel) coïncide avec la disparition de l'écart du taux de mentions « NS » observé par l'expert entre les ordonnances de Plavix et celles de 30 molécules les plus vendues.
144. La CNAM souligne l'incohérence de la position des sociétés Sanofi avec le scenario contrefactuel défendu par ses propres experts en cours d'expertise, dont il résulte une convergence du factuel et du contrefactuel laissant entrevoir une fin des effets des pratiques en 2021 et non en 2012. Ensuite, elle réfute l'ensemble des facteurs avancés par les sociétés Sanofi.
Réponse de la Cour,
145. Dans son arrêt du 9 février 2022, la Cour de céans a retenu que s'il n'est pas contestable que la stratégie de dénigrement de Sanofi-Aventis a produit des effets dommageables au-delà de l'espace-temps des actions de communication, il n'est pas non plus exclu que l'effet dommageable ait été durable sur plusieurs années, voir au-delà de 2015, et a notamment donné mission à l'expert désigné de :
« déterminer la date de fin des effets des pratiques de dénigrement mis en place par les sociétés Sanofi, afin d'évaluer l'effet différé du préjudice de la CNAM ; dans le cas où les pratiques auraient encore un impact sur le taux de pénétration des génériques du clopidogrel, proposer une estimation du préjudice pouvant avoir lieu jusqu'à la fin des effets des pratiques, »
146. Au terme de ses opérations d'expertise, l'expert judiciaire a estimé la durée des effets des pratiques anticoncurrentielles jusqu'au mois de septembre 2021. Cette date de fin des effets des pratiques sanctionnées correspond au point de convergence des courbes du taux de générification contrefactuel validé du Plavix et du taux de générification réellement observé du Plavix :
L'expert a confronté ce résultat avec une autre analyse de données collectées par la CNAM et produites en cours d'expertise concernant le taux de mention « non-substituable » de 30 molécules les plus vendues.
147. Déjà, dans sa Décision du 14 mai 2013 (§522 et 523), l'Autorité faisait état d'une étude de juin 2012 de l'Assurance maladie sur l'utilisation de la mention « NS » par les médecins mettant en évidence une proportion inhabituelle de cette mention « non substituable » pour la molécule de Clopidogrel. Cette étude, qui a fait l'objet d'un point presse le 6 juin 2012 avait été menée dans 100 CPAM et avait été fondée sur l'analyse d'un échantillon de 12 000 ordonnances. Selon l'Autorité, il ressort de cette étude que, de manière générale, les médecins font un usage globalement limité de la mention « Non substituable », la proportion de ces mentions étant de moins de 5% toutes molécules confondues et que la molécule présentant le taux de mentions « non substituable » le plus élevé était le Clopidogrel avec 12,6%.
148. De cette étude de juin 2012, l'expert note que le taux moyen de mention « NS » du Clopidogrel était de 12,6%, alors que celui des 30 molécules les plus délivrées était de 3,5% (rapport page 78).
149. Au cours de l'expertise, la CNAM a communiqué des données (dites « CNAM DCIR ») permettant de connaître le taux de mention « NS », mois par mois, sur le Clopidogrel et sur d'autres molécules sur la période 2015-2019. Après avoir vérifié la qualité et la fiabilité de ces données (rapport page 79), vérification non sérieusement contestée, l'expert judiciaire a constaté qu'il ressortait de l'analyse de ces données que le taux moyen de mention « NS » sur cette période du Clopidogrel est de l'ordre de 16% alors que celui des mêmes 30 molécules les plus vendues est de 5% (rapport page 82). Il s'ensuit que sur ces deux périodes (2012 ' 2015/2019) le taux de mention « NS » du Clopidogrel est 3 fois plus élevé en moyenne. Ce taux s'est ensuite normalisé début 2020 à la suite d'un changement réglementaire restreignant le recours à la mention « NS » (arrêté du 10 novembre 2019). Il précise que l'observation des données CNAM DCIR sur le taux de mention « NS » indique l'existence d'un effet de l'une des pratiques jusqu'en décembre 2019 au moins (rapport pages 105 et 189) et qu'après cette date, le changement réglementaire atténue cet effet sans toutefois l'effacer totalement.
150. L'expert judiciaire a ensuite établi pour la période 2015 à 2021 deux courbes, l'une estimant l'écart entre le taux de générification contrefactuel du Plavix et le taux de générification réellement observé du Plavix, l'autre estimant l'écart entre le taux de mention « NS » réellement observé du Plavix et le taux de mention « NS » moyen des 30 molécules les plus vendues (rapport pages 82 à 87). Or l'expert a constaté que ces deux courbes, réalisées avec des groupes de comparaison différents et des données différentes, sont proches et évoluent de manière parallèle et que les deux courbes n'identifient plus qu'un effet infime en septembre 2021. Il en conclut que ces constatations confortent, avec une certaine force, d'une part la pertinence du scénario contrefactuel RBB (rapport page 87) et d'autre part la date de fin des effets à septembre 2021 (rapport page 106) :
151. Déjà à ce stade, la Cour observe que contrairement à ce qu'avancent les sociétés Sanofi, l'expert judiciaire ne s'est pas contenté de retenir « une conclusion mécanique issue d'un modèle théorique », mais au contraire a pu procéder à une autre analyse que le scénario contrefactuel, à partir de preuves directes collectées par la CNAM sur l'effet amont recherché par les pratiques, à savoir l'apposition par les médecins prescripteurs de la mention « NS » sur le Clopidogrel.
152. En outre, contrairement à ce qu'avancent les société Sanofi, il ne ressort pas de la lecture du rapport que l'expert judiciaire a tenu pour tranchée la question de la durée des effets sur la période 2009-2013 et ne se serait limité qu'à l'analyse de la période 2015-2021.
153. En effet, la Cour constate que l'analyse centrale de l'expert judiciaire sur la durée des effets repose sur la comparaison des niveaux de taux de mentions « NS » sur le Clopidogrel et sur 30 molécules les plus vendues sur deux périodes 2012 puis 2015-2019. Pour cette analyse, il n'est pas sérieusement contesté que l'expert a bénéficié de données CNAM DCIR de qualité inhabituelle, d'une part par leur pertinence en ce qu'elles mesurent précisément l'effet recherché par l'une des pratiques (le nombre de mention « NS » apposées par des médecins sur des prescriptions de Plavix) et d'autre part par leur solidité en ce qu'elles mesurent le nombre de mentions « NS » sur l'ensemble des délivrances de Clopidogrel et pas seulement sur un échantillon. Il ne s'agit donc pas d'analyses décorrélées de toute observation concrète comme le soutiennent les sociétés Sanofi. Ici ce n'est pas seulement le scénario contrefactuel qui montre l'importance d'un effet différé des pratiques mais aussi l'analyse des données CNAM DCIR indépendantes du scénario contrefactuel et du groupe de comparaison RBB. Certes il n'existe pas de données sur les mentions « NS » sur les années 2013 et 2014, mais l'expert judiciaire souligne avec pertinence ( rapport page 187), qu'il ne fait pas de sens de penser que les effets des pratiques cherchant à obtenir des médecins qu'ils apposent la mention « NS » sur leur prescription de Plavix ait pu cesser sur une période antérieure à décembre 2019 et puis reprendre, étant observé que ces effets varient peu d'un mois sur l'autre exception faite d'une tendance à une lente décroissance.
154. Ensuite, contrairement aux affirmations des sociétés Sanofi, l'expert judiciaire n'a pas choisi les 30 molécules faisant l'objet de l'analyse de comparaison, mais a pris pour base l'étude de l'Assurance maladie de 2012, citée par la Décision, qui se réfère à une liste de 35 molécules dont le taux de mention « NS » a été collecté. De cette liste l'expert judiciaire a supprimé pour l'analyse 5 molécules à savoir le Clopidogrel, le Levothyroxine ayant la particularité d'être une molécule à marge thérapeutique étroite et trois autres molécules (Chlorhexidine/ Chlorobutano, Domperidone et Oxomemazine) pour lesquelles les données CNAM DCIR étaient manquantes ou incomplètes. Aussi la constitution de ce groupe de 30 molécules est sans lien avec les critères de sélection des molécules constituant le panel de comparaison du taux de substitution du Plavix.
155. En outre, très clairement, le raisonnement tenu par l'expert judiciaire ne se fonde pas sur un présupposé de base selon lequel le Plavix aurait dû en 2015 présenter un taux de mention « NS » identique à celui des autres molécules, comme le prétendent les sociétés Sanofi. La Cour constate que le raisonnement de l'expert vise plutôt à s'interroger sur l'importance de l'écart entre le taux moyen de mention « NS » du Clopidogrel et celui des 30 autres molécules les plus vendues sur une même période. Or dans les motifs qui précèdent (points 96 à 116), il a été retenu que la différence d'indication SCA entre le princeps et les génériques du Plavix n'était pas en soi susceptible d'expliquer l'importance de la différence de taux de mention « NS » entre le Plavix et d'autres médicaments princeps indépendamment des pratiques illicites des sociétés Sanofi. Au contraire, alors que l'un des effets des pratiques était d'obtenir des médecins qu'ils apposent la mention « NS » sur les ordonnances Plavix, le taux largement supérieur de mentions « NS » du Clopidogrel ne peut être expliqué autrement que par les pratiques dont le caractère illicite a été définitivement tranché.
156. Les sociétés Sanofi font encore valoir qu'une analyse rigoureuse des données CNAM DCIR montre que la conclusion à laquelle est arrivée l'expert judiciaire serait erronée, dès lors qu'il importe de comparer l'évolution « relative » des taux de mentions « NS » des différentes molécules. Elles soutiennent, graphique à l'appui (conclusions page 40 figures 3 et 4), que dès lors qu'on procède à cette observation relative (en partant d'une même base 100 en janvier 2015), on remarque que le taux de mention « NS » de Plavix a évolué de façon parfaitement identique à (i) la moyenne des 30 molécules et (ii) aux comparateurs RBB. Elles relèvent que cette analyse de « l'évolution relative » montre notamment que le taux de mention « NS » de Plavix et des autres molécules (les 30 molécules et les comparateurs RBB) ont tous chuté d'environ 80% après l'entrée en vigueur de l'arrêté du 19 novembre 2019 contraignant très fortement le recours aux mentions « NS ». Or elles estiment que si un effet notable de la pratique de Sanofi avait persisté en 2020, alors on aurait dû voir le taux de mention « NS » de Plavix chuter davantage que celui des autres molécules.
157. Cependant, la Cour constate d'abord que l'expert a relevé qu'à compter de janvier 2020, les chiffres deviennent petits, étant observé que le taux moyen du Clopidogrel au deuxième semestre 2020 n'est plus que 2% environ, invitant alors à la prudence. Interpréter des écarts entre petits chiffres, ou des évolutions vers de petits chiffres présente davantage de risques d'erreurs que d'interpréter des écarts entre gros chiffres (antérieurs à décembre 2019). Ce point souligné par la CNAM dans ses écritures ne fait pas l'objet d'observation spécifique de la part des sociétés Sanofi.
158. Ensuite, la Cour observe que la comparaison d'une évolution « relative » des courbes des taux moyens de mention « NS » du Clopiodgrel, des comparateurs RBB et des 30 molécules les plus vendues, est sans intérêt dès lors que l'effet des pratiques est mis en évidence par l'écart persistant entre les différentes courbes et non leur évolution comparable dans le temps. Aussi les sociétés Sanofi ne peuvent être suivies dans leur raisonnement selon lequel le taux de mention « NS » du Plavix ayant connu en 2020 une chute relative identique à celle des comparateurs (- 80%), il ne peut qu'en être déduit que les effets des pratiques n'existaient plus après 2020, et qu'ils n'existaient pas non plus en novembre 2019.
159. De plus, le raisonnement de l'expert judiciaire n'est pas contredit par les modalités de calcul de la sanction des pratiques anticoncurrentielles des sociétés Sanofi par l'Autorité dès lors que celles-ci sont indépendantes de l'évaluation du préjudice spécifique causé par ces pratiques à la CNAM et qu'au moment de sa décision de sanction l'Autorité ne disposait pas des données complémentaires CNAM DCIR produites en cours d'expertise.
160.Enfin, les sociétés Sanofi insistent sur le fait que leurs pratiques n'ont duré que 5 mois et ont totalement cessé en janvier 2010, en sorte que leurs effets ne peuvent avoir sérieusement perduré pendant 12 ans. Elles font valoir qu'une analyse concrète de l'espèce, en particulier de la manière dont se passe réellement une visite médicale et comment les professionnels de la santé s'informent, conduit à écarter tout effet résiduel à partir de 2012.
161. Certes comme le relèvent les sociétés Sanofi, les professionnels de la santé n'ont reçu le discours commercial de Sanofi que lors de visites médicales d'une durée très courte (en moyenne 8 minutes selon un rapport de l'IGAS de 2007) et que lors de ces visites les représentants des laboratoires présentaient généralement 3 ou 4 produits, soit un discours de maximum 3 à 4 minutes sur le Plavix. Il est constant que la commercialisation des génériques de Plavix ne s'est accompagnée d'aucune remontée anormale de pharmacovigilance et qu'il existe pour les pharmaciens et médecins de multiples sources d'informations différentes et indépendantes, telles que la presse, les congrès, les échanges avec les confrères, l'information à distance, la formation (pièces Sanofi n° 30 à 34). Il est également produit une étude interne de Sanofi de septembre 2020 montrant que l'effet de la promotion médicale ne va pas au-delà de deux ans, avec en général 70% d'effet l'année N où la promotion est réalisée et 30% d'effet l'année suivant N+1 (pièce Sanofi n°27).
162. Néanmoins, les arguments des sociétés Sanofi reposent principalement sur des études d'ordre général qui ne peuvent complètement refléter les effets réels du discours des représentants de Sanofi auprès des professionnels de santé lors de la campagne de promotion du Plavix et de son auto-générique qui a été tout à fait singulière.
163. En effet, il ressort de la Décision de l'Autorité et de l'arrêt du 18 décembre 2014 que le discours des sociétés Sanofi empreint de dénigrement a été diffusé de manière très structurée par de multiples canaux de communication autres que les visiteurs médicaux (communiqué de presse, presse écrite, radio, campagne appels téléphoniques auprès de 4790 officines cibles, congrès), et ce dans un contexte de réticence généralisée à l'égard des médicaments génériques et d'une forte rigidité au changement des médecins prescripteurs et des pharmaciens.
164. Il est ainsi relevé que dès le mois de mai 2009, juste après la délivrance des AMM « génériques » par le comité des médicaments à usage humain de l'Agence européenne du médicament, la société Sanofi-Aventis a diffusé, par la voie d'un communiqué de presse, un discours mettant en avant l'existence de la différence de sels entre le Plavix et les génériques, ces derniers étant présentés comme une nouveauté non éprouvée, alors que le Plavix bénéficiait d'une décennie d'expérience et disposait d'un profil d'efficacité et de tolérance établi ; que ce discours a été complété par un entretien avec le président de la société Sanofi publié dans la revue le Quotidien du médecin le 15 octobre 2009, qui liait la différence de sels entre le Plavix et les génériques à la différence d'indication thérapeutique du SCA, pour exposer ensuite que « pour autant » l'Agence du médicament avait considéré qu'elle ne pouvait retenir de différenciation entre le Plavix et ses génériques et rappeler que l'auto générique Clopidogrel Winthrop était lui totalement identique au princeps ; que ces termes induisaient l'idée que la délivrance de l'AMM aux génériques pouvait être contestable en termes de sécurité pour les patients, mais qu'en tout état de cause, il existait un générique parfaitement sûr et efficace, l'auto générique Clopidogrel Winthrop. Par ailleurs, ce discours a été relayé par les visiteurs médicaux auprès des médecins et les délégués pharmaceutiques auprès des pharmaciens. Les argumentaires diffusés par la société Sanofi-Aventis à ces professionnels proposaient le même message, mais insistaient de surcroît sur les risques de mortalité élevée des patients atteints de SCA et incitaient les visiteurs à recommander ou inviter les médecins à inscrire la mention « NS » sur les ordonnances et les pharmaciens à opérer la substitution avec l'auto générique Clopidogrel Winthrop.
165. C'est ainsi que le Plavix a fait l'objet d'efforts de promotion très importants de la part des sociétés Sanofi s'élevant à 18 millions d'euros en 2009 (Décision § 546). Ce médicament princeps a été présenté à 79% soit au premier, soit au deuxième rang, lors des visites médicales qui sont censées durer moins de dix minutes, et que pour les six mois postérieurs à la sortie des génériques, le Plavix a continué à être présenté en rang un ou deux à 73 %, étant souligné que ce médicament Plavix était en 2009 le quatrième médicament le plus vendu au monde et mis sur le marché depuis plus de 10 ans (arrêt du 18 décembre 2014 page 14). Il est rappelé que la société Sanofi-Aventis jouissait d'une situation de laboratoire de référence sur le marché français, en particulier pour les maladies cardiovasculaires, et d'un retour d'expérience d'une dizaine d'années pour avoir commercialisé le Plavix depuis 1999 lui permettant de faire valoir que son produit était largement éprouvé et de bénéficier d'un niveau de confiance et de notoriété inégalable.
166. Quoiqu'ils disposent de multiples sources d'informations, il n'en demeure pas moins que la visite médicale constitue, pour les médecins, une source majeure d'information sur les médicaments, en raison de son accessibilité, de sa gratuité et de son interactivité (Décision § 352).
167. Les effets potentiels majeurs de la pratique ainsi mise en 'uvre par Sanofi-Aventis lors des visites de ses représentants ont été constatés par l'Autorité (Décision § 488 à 491 et 547) en ces termes :
« Ainsi qu'il a été rappelé dans les développements précédents, le discours destiné aux professionnels de la santé a été diffusé à l'ensemble des visiteurs médicaux et des délégués pharmaceutiques de Sanofi-Aventis chargés de promouvoir Plavix® et Clopidogrel Winthrop® lors de séminaires de rentrée qui se sont déroulés à la fin de l'été 2009. Le discours de Sanofi-Aventis a donc bénéficié d'une couverture importante sur l'ensemble du territoire français.
En outre, il faut rappeler que Plavix® et ses génériques sont utilisés pour soigner des pathologies cardio-vasculaires très graves, présentant un fort risque de récidive. La prise de ce médicament nécessite en outre un suivi particulier, puisqu'il peut augmenter le risque d'hémorragies. Une telle situation renforce la méfiance des professionnels de la santé vis-à-vis de médicaments présentés comme nouveaux et ne bénéficiant pas d'un recul suffisant (génériques avec des sels différents), et ce d'autant plus qu'il existe chez eux un terrain particulièrement propice au dénigrement des médicaments génériques, compte tenu de leur méconnaissance des procédures d'AMM, d'une mauvaise appréhension du cadre réglementaire relatif à la substitution et d'une volonté de se prémunir contre tout risque de voir leur responsabilité civile ou pénale engagée.
Dans ce contexte, toute appréciation négative à l'égard des génériques de Plavix® était inévitablement de nature à provoquer l'inquiétude chez les professionnels de la santé, attentifs avant toute chose à assurer la sécurité de leurs patients. Un tel effet était en outre renforcé par le fait que, d'une part, Sanofi-Aventis jouit d'une situation tout à fait particulière, en raison de son monopole de plus de dix ans sur la molécule de clopidogrel et plus généralement de son statut de laboratoire de référence sur le marché français et, d'autre part, les laboratoires génériques ne disposent habituellement pas de forces commerciales pouvant contrecarrer le discours de Sanofi-Aventis délivré aux médecins.
Pourtant, toute remise en cause, directe ou indirecte, de l'efficacité et de l'innocuité des génériques concurrents de Plavix® ne pouvait qu'avoir un effet sensible sur les professionnels de la santé [souligné par la Cour] soucieux de protéger les intérêts de leurs patients et les inciter à privilégier les spécialités de Sanofi-Aventis au détriment des génériques concurrents »
(')
« Il résulte de tout ce qui précède que les génériques concurrents de Plavix® ont fait l'objet, de la part des professionnels de la santé, et notamment des médecins, d'une méfiance tout à fait singulière, perceptible sur l'ensemble du territoire français. Cette méfiance singulière ne peut s'expliquer de manière objective, puisque les génériques concurrents de Plavix® ont fait l'objet d'une AMM par les autorités de santé, que cette AMM n'a pas été contestée juridiquement par le laboratoire de princeps et que, dans le cadre de la pharmacovigilance, il n'a été signalé aucun problème particulier lié au traitement sous génériques concurrents de Plavix®. Cette méfiance est en revanche à mettre en lien avec le discours de Sanofi-Aventis, qui a cherché à susciter le doute et l'inquiétude auprès des professionnels de la santé et qui y est effectivement parvenu dans une large mesure. »
168. Ainsi, il a été constaté que les génériques concurrents du Plavix ont fait l'objet d'une méfiance tout à fait singulière, perceptible sur l'ensemble du territoire, alors qu'ils faisaient l'objet d'une AMM par les autorités de santé non contestée juridiquement et qu'aucun problème de pharmacovigilance lié au traitement sous génériques concurrents de Plavix n'a été signalé. Le rythme de renouvellement des prescriptions de Clopidogrel en moyenne toutes les sept semaines n'a pas été un obstacle à l'impact du discours mais son effet s'est fait sentir progressivement dans le temps. Cette méfiance, selon l'Autorité, ne pouvait alors s'expliquer autrement que par les effets des pratiques de dénigrement des sociétés Sanofi et qui ont durablement limité l'entrée de ces génériques sur le marché français du Clopidogrel commercialisé en ville.
169. Par ailleurs, comme le souligne la CNAM, même si la Décision de sanction a été largement publiée dans la presse en mai 2013 et que les sociétés Sanofi ont été condamnées à en publier un extrait dans la presse spécialisée la plus lue des médecins et pharmaciens, concomitamment ces dernières ont largement communiqué autour du fait qu'elles contestaient cette décision en affirmant n'avoir jamais rien fait d'autre que d'informer légitimement les médecins sur des éléments objectifs (pièce n° 48).
170. Enfin, si la convention nationale des pharmaciens d'avril 2012 a pu affecter les incitations à substituer des pharmaciens, notamment par la mise en place de la rémunération sur objectifs de santé publique, elle n'explique pas l'impact potentiel sur les médecins prescripteurs et sur leur utilisation de la mention « NS ». En fait, l'évènement Convention 2012 explique le passage d'un palier à un autre des courbes de générification contrefactuelle et réelle du Plavix mais ne conduit pas à leur convergence qui ne se produit qu'en 2021. En outre, il a été constaté que le taux moyen de mentions « NS » du Clopidogrel est resté très largement supérieur à celui des 30 molécules les plus vendues sur les périodes 2012 ' 2015/2019. Par ailleurs, l'atteinte par le Clopidogrel de l'objectif de substitution fixé en 2012 n'est pas un indicateur pertinent dès lors que les objectifs de substitution sont définis en fonction des courbes de générification observées, et donc que l'objectif de fin 2012 a été défini au regard d'une période affectée par les pratiques.
171. Dès lors, l'effet particulièrement durable des pratiques de dénigrement des sociétés Sanofi est démontré non seulement à partir de la convergence des courbes du taux de subtitution contrefactuel et réel du Plavix mais également à partir d'une analyse concrète de l'impact de ces pratiques sur les habitudes des professionnels de santé pour la subsitution du Plavix. Aussi l'ensemble de ces constatations, qui ne sont pas utilement remises en cause par les sociétés Sanofi, mettent en évidence que, quand bien même ces pratiques se sont déroulées sur une période limitée à 5 mois, elles ont produit un effet, bien au-delà de deux années, soit jusqu'en 2021 tel qu'analysé par l'expert judiciaire, et terme que la Cour retiendra en conséquence.
C- Le mécanisme de la baisse des prix et ses effets sur le préjudice invoqué
Position des parties et de l'expert,
172. Les sociétés Sanofi rappellent d'abord que le principe de la réparation intégrale implique que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit. Selon elles, un demandeur a le droit d'obtenir la réparation de tout son préjudice mais pas d'en retirer un avantage, ce qui constituerait un enrichissement sans cause. Il en résulte, selon elles, que le juge droit déduire du montant des dommages-intérêts les éventuels avantages que la victime a pu tirer de la situation dommageable.
173. Les sociétés Sanofi relèvent ensuite que le préjudice invoqué par la CNAM est directement le résultat (i) de la différence entre le nombre d'unités de Plavix princeps et le nombres d'unités de ses génériques délivrées, multipliée par (ii) la différence de prix (et donc de remboursement par la CNAM) entre le Plavix princeps et ses génériques. Elles en déduisent que les variations de prix de Plavix et de ses génériques font directement varier les montants remboursés et donc le préjudice de la CNAM. Elles soutiennent alors que parmi les nombreuses baisses de prix appliquées au Plavix, trois d'entre elles sont identifiées comme étant directement et uniquement motivées par le taux de substitution de Plavix jugé insuffisant, à savoir les baisses (i) d'avril 2012, (ii) de novembre 2013/avril 2014 (baisse appliquée en deux temps), et (iii) d'octobre 2014. Elles en veulent pour preuve les documents d'époque du Comité économique des produits de santé (CEPS) et ses réponses clairement faites à l'expert judiciaire. Selon elles, sans les trois baisses de prix constatées, le Plavix aurait connu des baisses de prix totalement « en ligne » avec les molécules du groupe de contrôle retenues par la CNAM (figure 5 page 59 conclusions Sanofi : évolution du prix réel et contrefactuel de Plavix comparée à celle des comparateurs RBB repris par l'expert). Elles en concluent que, si la Cour devait considérer que la pratique de Sanofi continuait, en 2012 et au-delà, de produire des effets sur le taux de substitution de Plavix, dès lors que c'est ce taux qui a motivé plusieurs baisses de prix, alors le principe de réparation intégrale commande de prendre en compte ces baisses de prix, considérées comme un avantage, dans l'évaluation du préjudice de la CNAM.
174. Pour quantifier l'impact de ces baisses de prix identifiées dans l'évaluation du préjudice, les sociétés Sanofi soutiennent que le chiffrage est aisé, dès lors que pour la neutralisation de ces baisses, selon elles, il y a lieu de se limiter à procéder comme suit :
- Pour la période de 2012 à 2014, il suffit de prolonger les prix fabricant hors taxe observés de Plavix et ses génériques avant chacune des trois baisses en question et de les prolonger jusqu'à la baisse suivante, ce qui aboutit pour Plavix à un prix constant entre mars 2012 et octobre 2014 ;
- Pour la période postérieure à octobre 2014, il suffit d'appliquer chacune des baisses de prix successives (qui seraient intervenues en tout état de cause) aux prix contrefactuels de Plavix et ses génériques ; par exemple, si le prix réel de Plavix a subi une baisse de 15% après 2014, alors il suffit d'appliquer une baisse de 15% au prix contrefactuel de Plavix à cette même date.
175. Elles expliquent ensuite que le cabinet CRA a calculé le préjudice CNAM en se fondant dans le scénario contrefactuel sur :
- Le taux de substitution contrefactuel de Plavix mis en avant par la CNAM (et repris par l'expert),
- Le prix contrefactuel de Plavix après neutralisation des trois baisses contestées.
176. Elles précisent que le scénario de prix contrefactuel de Plavix ainsi construit a fait l'objet de deux tests de robustesse par le cabinet CRA pour s'opposer aux critiques de la CNAM.
177. A partir d'un tableau (tableau 2 page 66), les sociétés Sanofi présentent ainsi le préjudice total de la CNAM (lié aux remboursements et à la rémunération des pharmaciens) en tenant compte de l'effet des trois baisses de prix considérées qui ont réduit les montants des remboursements effectués par la CNAM. Elles en déduisent que si la Cour estimait que les pratiques ont eu des effets :
- Jusqu'en décembre 2011 (comme mentionné dans la Décision), alors le préjudice est estimé à 53 532 356 euros,
- Jusqu'en avril 2012 (entrée en vigueur de la CNP 2012), alors le préjudice est estimé à 59 984 034 euros,
- Jusqu'en 2015, alors le préjudice est estimé à 6 755 356 euros.
178. Les sociétés Sanofi estiment que ces trois baisses de prix additionnelles décidées par le CEPS « en vue d'obtenir la même économie qu'une substitution satisfaisante » ont rempli leur objectif puisqu'elles ont « plus que compensé » la moindre substitution de Plavix. Selon elles, cette conclusion était attendue d'une part, parce que, mécaniquement, l'effet d'une baisse de prix constitue un avantage pour la CNAM sur l'intégralité des volumes de Clopidogrel, alors que son préjudice ne porte que sur une petite part des volumes de Clopidogrel, à savoir les volumes de Plavix qui auraient été substitués dans le scénario contrefactuel. Il en est ainsi, parce que, dans le cas où l'objectif d'économies attendu n'est pas atteint par une plus forte substitution, le CEPS impose un TFR ou des baisses de prix « de façon à obtenir l'économie qu'aurait permise une substitution réussie », et c'est ce qu'il s'est passé, selon les sociétés Sanofi, pour le Clopidogrel.
179. Elles en concluent que dès lors qu'il est démontré que l'insuffisance du taux de substitution de Plavix a été à l'origine des trois baisses de prix exceptionnelles d'avril 2012, novembre 2013/avril 2014 et octobre 2014, le principe de réparation intégrale exige de tenir compte des avantages que la CNAM a pu retirer de ces baisses de prix en compensation de son préjudice.
180. La CNAM conteste la position des sociétés Sanofi. Elle avance que les avantages ne doivent être pris en compte que s'ils sont la conséquence directe et nécessaire de la situation dommageable. Elle explique qu'une variété de critères autres que le taux de générification d'un princeps sont pris en compte pour motiver et engendrer une basse de prix par le CEPS, tels que l'importance des économies possibles sur une molécule donnée ou autrement dit le montant de la dépense (à prix initial et volumes élevés), ou l'évolution des prix européens des génériques de la molécule concernée. Selon la CNAM l'analyse des réponses et des faits de l'espèce démontre d'abord qu'il est impossible de conclure, sur la seule base des déclarations du CEPS, que le taux de substitution insuffisant aurait été la seule et unique cause des baisses de prix du Plavix observées entre avril 2012 et octobre 2014 et qu'ensuite aucun autre motif de baisse de prix n'aurait été applicable en l'absence des pratiques.
181. En outre, elle soutient qu'à supposer qu'une ou plusieurs des baisses de prix querellées aient été décidées en considération du taux de générification insuffisant du Plavix du fait des pratiques, les sociétés Sanofi ne démontrent pas que, sans les pratiques et donc en présence d'un taux de substitution « normal », les baisses de prix d'avril 2012, de novembre 2013/avril 2014 et d'octobre 2014 n'auraient pas été néanmoins décidées pour des facteurs autres, ne tenant pas au taux de substitution. Elle expose que les principaux facteurs expliquant l'évolution des prix du Plavix et de ses génériques, sont les suivants :
- Le potentiel de baisse de prix du Plavix et de ses génériques était particulièrement important en raison du prix initial élevé du Plavix,
- Le prix français du générique a suivi l'évolution du prix européen moyen du générique en application du principe de comparaison des prix européens des génériques,
- Le prix du princeps et du générique doivent évoluer ensemble de manière cohérente, en sorte qu'au cours des différentes baisses de prix que connaissent le générique et le princeps, l'écart entre les prix du générique et du princeps ne dépasse jamais l'écart de prix de départ ; et converger à partir de cinq ans de commercialisation des premiers génériques (figure 1 page 95 ; figure 2 page 96).
182. Elle ajoute que de manière générale, les baisses de prix des médicaments ont pour objectif la réalisation d'économies pour l'Assurance maladie et que dans cette optique, même en l'absence des pratiques, le CEPS aurait cherché à réaliser des économies sur Plavix (ou le Clopidogrel) au moyen de baisse de prix, étant observé que le Plavix représentait le principal poste de remboursement de la CNAM au moment de l'arrivée des génériques et que son prix était exceptionnellement élevé en France et représentait donc un levier majeur pour le CEPS dans son objectif d'économie par le biais de baisse de prix. Elle précise que l'insuffisance du taux de substitution n'est pas un motif de baisse de prix pour le générique, qui ne s'applique qu'au princeps.
183. Elle critique, par ailleurs, sur plusieurs points la méthode appliquée par le cabinet CRA pour Sanofi pour établir la courbe de prix contrefactuelle (figure 5 précitée).
184. Enfin la CNAM relève que la quantification par les sociétés Sanofi des économies prétendument générées par les pratiques, conduit à ce que la CNAM n'aurait subi aucun préjudice, voir même qu'elle en aurait tiré bénéfice des pratiques, ce qui manque de sérieux, étant observé que l'existence du dommage causé à l'économie (en l'occurrence aux dépenses de la CNAM) a été irrévocablement constaté et que le chiffrage est en réalité bien plus complexe comme expliqué par l'expert ( en page 192 du rapport).
185. La position de l'expert judiciaire est la suivante :
186. L'expert judiciaire a organisé une consultation du CEPS, au moyen d'un questionnaire élaboré en commun avec les parties, qui a donné lieu à deux réponses du CEPS des 8 septembre 2023 et 3 octobre 2023. A partir de ces réponses, et des positions des parties, l'expert a considéré qu'il existait sur la question de l'incidence des baisses de prix plusieurs incertitudes :
- L'existence même d'une somme perçue ou économisée par la CNAM,
- A supposer retenue l'existence d'une somme économisée par la CNAM, on ne sait pas si cette somme remplirait ou pas les conditions juridiques requises (l'avantage doit par exemple être une conséquence directe et nécessaire de la situation dommageable).
187. L'expert judiciaire en déduit à ce stade pour prématuré un chiffrage de l'éventuel avantage.
Réponse de la Cour,
188. Le principe de réparation intégrale commande que les dommages-intérêts alloués à une victime réparent le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit (en ce sens 2e Civ., 5 juillet 2001, pourvoi n° 99-18.712, Bulletin civil 2001, II, n° 135).
189. A la lumière de ce principe, les sociétés Sanofi soutiennent en substance que la CNAM a bénéficié d'un avantage tiré des pratiques, à savoir que trois baisses de prix identifiées en (i) avril 2012, (ii) novembre 2013/avril 2014 et (iii) octobre 2014 (parmi les nombreuses baisses du prix du Plavix) ont été décidées en raison d'un taux de générification jugé insuffisant de Plavix. Estimant que ces baisses de prix n'auraient pas eu lieu en cas de taux de substitution « normal » du Plavix sans les pratiques, les sociétés Sanofi en déduisent que la CNAM a bénéficié en réalité d'une conséquence positive de ces pratiques, à savoir des baisses de prix « exceptionnelles » sur l'ensemble des boîtes de Plavix remboursées venant plus que compenser le préjudice subi sur le volume de boîtes de Plavix qui auraient été substituées dans le scénario contrefactuel.
190. A suivre le raisonnement des sociétés Sanofi jusqu'au bout, à partir de 2016 la CNAM aurait même tiré profit des pratiques du fait de ces baisses de prix (tableau 2 : synthèse de l'effet prix sur le préjudice total ; conclusions Sanofi page 66).
191. Cependant, comme l'a relevé avec pertinence l'expert judiciaire, la Cour doit préalablement s'interroger sur l'existence même de l'avantage allégué pour la CNAM du fait dommageable avant d'apprécier les conditions de sa « prise en compte » dans l'évaluation du montant des dommages-intérêts de la CNAM.
192. L'appréciation de l'existence de l'avantage allégué suppose d'examiner les trois baisses de prix identifiées par les sociétés Sanofi afin de vérifier si ces baisses ont chacune eu lieu au motif d'une insuffisance de taux de substitution du Plavix et dans l'affirmative si ces baisses de prix n'auraient tout de même pas eu lieu, sans l'effet des pratiques, pour d'autres motifs.
193. A titre préliminaire, il convient pour ce faire d'analyser les mécanismes de baisse des prix des médicaments princeps et génériques opérés par les pouvoirs publics.
194. Le Comité économique des produits de santé (CEPS) est chargé par l'article L.162-17-3 du code de la sécurité sociale de fixer les prix des médicaments pris en charge par l'Assurance maladie obligatoire. Les décisions du CEPS sont prises de manière collégiale.
195. Des réponses du CEPS faites à l'expert judiciaire (annexe 4 du rapport) il ressort que ce comité doit, pour répondre à des objectifs d'économies au titre de l'Objectif National des dépenses d'Assurance Maladie (ONDAM), élaborer un plan de baisse des prix en sélectionnant des produits. Il s'agit pour l'essentiel de produits dont l'inscription est ancienne, dont les volumes de ventes augmentent, qui voient leur évaluation ou la place dans la stratégie thérapeutique revue par la Haute autorité de santé ou qui sont concurrencés par un produit moins couteux dans l'indication. Sur la période considérée, les décisions du CEPS faisaient l'objet d'une délibération à date dans le cadre des dispositions de l'accord-cadre en vigueur et des orientations reçues des ministres.
196. Avant 2015, la mission du CEPS était encadrée par deux accords cadre successifs, de 2008 à 2012 puis de 2012 à 2015 et par l'instruction ministérielle du 2 avril 2013 qui a donné les orientations suivantes (pièce n°18 Sanofi) :
'Nous souhaitons que le CEPS continue à contribuer efficacement à la maîtrise des dépenses de médicaments et des dispositifs médicaux. Plusieurs axes stratégiques doivent guider votre action.
Les négociations tarifaires, comme le prévoit la loi, prendront en considération les résultats d'évaluations médico-économiques (')
Le comité s'efforcera de garantir l'efficience de la prise en charge des produits de santé sur la base des données recueillies sur ces produits en situation réelle (').
La tarification des produits innovants (cf. infra) participe d'une politique de soutien à la recherche qui a pour corollaire l'absence de rentes de situation dès la fin de la protection par brevet. Les économies majeures liées au marché des génériques passent à la fois par la progression de la prescription dans le répertoire, le maintien de taux de substitution élevés et des prix fixés au plus juste. Votre action veillera à proportionner et programmer les baisses de prix, au-delà de la décote de 60 % appliquée au prix du princeps, en fonction des volumes de ventes et en vous appuyant sur des comparaisons de prix européen méthodologiquement adaptées.
Cet effort doit également concerner les médicaments dont le brevet arrive à échéance mais dont la générication n'est pas encore possible, afin que cette chute de brevet puisse se traduire par des économies significatives pour l'assurance maladie.
Le comité poursuivra par ailleurs la mise en 'uvre des baisses de prix complémentaires applicables aux spécialités pharmaceutiques appartenant à des groupes génériques non soumis à un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR), à hauteur de 12,5 % pour les princeps et de 7 % pour les génériques, 18 mois après la commercialisation du premier générique du princeps concerné. Ces baisses de prix prendront notamment la forme d'une diminution progressive des prix des princeps à compter de la date de commercialisation du premier générique. Sauf exception, le prix du princeps convergera vers celui de ses génériques à l'issue d'une période de 5 ans à compter de la date de commercialisation du premier générique. Afin d'accélérer la pénétration des génériques avant cette convergence, la politique de mise sous TFR « au fil de l'eau » sera poursuivie à partir des seuils actuels de substitution, le cas échéant en les adaptant. En ce qui concerne les princeps génériqués, qui sont peu substitués mais dont les conditions de passage sous TFR ne peuvent être réunies (offre limitée, fenêtre étroite de substitution, etc.), vous veillerez à ce que des baisses de prix supplémentaires leur soient appliquées de façon à obtenir l'économie qu'aurait permise une substitution réussie. .En outre, a fortiori dans les classes fortement génériquées, vous procèderez à une convergence des prix au sein de classes thérapeutiques dont les produits rendent un niveau de service médical homogène, en les alignant sur le plus bas (...).'
197. Dans ce cadre, les échéances et amplitudes de baisses de prix des princeps et génériques par le CEPS étaient discutées en Comité de suivi des génériques (CSG) et négociées avec les entreprises avec pour objectif la réduction de la dépense publique matérialisé par un objectif d'économie par baisse de prix exprimée dans les annexes de la LFSS chaque année. Certaines échéances et amplitudes étaient de surcroît systématisées :
Pour les princeps :
- Une baisse « automatique » de 15% (en 2009) au moment de la commercialisation du générique,
- Une baisse « automatique » de 12,5% 18 mois après la commercialisation des génériques,
- Un objectif de convergence du prix du princeps vers celui de ses génériques à l'issue d'une période de 5 ans à compter de la date de commercialisation du premier générique ' avant cette convergence possibilité d'accélérer la pénétration des génériques par une politique de mise sous un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) « au fil de l'eau » à partir de seuils de substitution,
- Les accords- cadres incitaient également le CEPS à veiller à une cohérence des prix et ne pas laisser durablement un écart significatif entre le prix des médicaments les plus couteux notamment ceux protégés par un brevet et le prix des molécules les moins couteuses (article 13bis).
Pour les génériques :
- Le prix initial du générique est fixé avec une décote conséquente par rapport au princeps (55% en 2009),
- Il est prévu une baisse « automatique » de 7% 18 mois après la commercialisation des génériques,
- Une programmation des baisses de prix intervient en fonction des volumes de vente et en comparaison avec les prix européens des génériques.
198. Ce n'est qu'à partir de l'accord-cadre 2015 à 2018 prorogé jusqu'en mars 2021 que l' approche est devenue « standardisée » avec des démarches plus systématiques de baisses de prix à échéance fixe et ayant pour base d'observation le taux de substitution (notamment à l'issue de la période de 18 mois après la commercialisation), la convergence des prix, la référence des prix européens et la réduction de l'écart de prix entre princeps et génériques (notamment à l'issue d'une période de 5 ans après commercialisation).
199. La Cour note à ce stade que comme le relèvent les sociétés Sanofi, le Plavix/ Clopidogrel n'a pas fait l'objet d'une recherche de convergence des prix au sein d'une classe visant la convergence de prix fabricant (PFHT) des princeps entre eux, d'une part, et des médicaments génériques entre eux, d'autre part, au sein d'une classe thérapeutique dont les produits rendent un niveau de service médical homogène. Cependant ce mécanisme de convergence doit être distingué de la recherche de convergence visant la réduction de l'écart de prix entre princeps et génériques et mise en 'uvre à l'issue d'une période de 5 ans de commercialisation effective des génériques dont le Plavix/ Clopidogrel a bien pu faire l'objet.
200. Il ressort des réponses du CEPS (annexe 4 du rapport- question n°2 et réponses § 1à 7) qu'avant 2015, dès lors que le CEPS ne suivait pas de processus standardisé concernant les baisses de prix, il était difficile d'identifier et d'isoler un facteur précis qui aurait motivé les baisses de prix de Plavix à cette période, hors les baisses de prix automatiques du princeps au début de la commercialisation du générique.
201. De l'examen de chacune des baisses de prix identifiées par les sociétés Sanofi, la Cour fait les constatations suivantes :
'Sur la baisse de prix du Plavix du 1er avril 2012 (15%) :
202. La Cour observe que les extraits des procès-verbaux fin 2011- 2012 du CEPS (annexés à la réponse du CEPS du 3 octobre 2023) ne mettent nullement en évidence que cette baisse de prix avait pour motif principal et exclusif un taux de substitution du Plavix jugé insuffisant comme l'avancent les sociétés Sanofi. En effet ces extraits de procès-verbaux renseignent que cette baisse a été initiée par un plan de baisse pour les génériques et princeps pour des classes ciblées et dans le cadre duquel des courriers de demandes de baisse de 15% ont été envoyés à Sanofi (PV 22 décembre 2011). Par la suite, Sanofi a demandé la réduction à 10% de la baisse demandée, ce qui a été discuté par le CEPS du 26 janvier 2012 au cours duquel les sociétés Sanofi ont reçu le soutien des représentants du Ministre de l'industrie compte-tenu de la place de ces dernières dans le secteur et de sa contribution au total des économies demandées excédant sa part de marché (PV 26 janvier 2012). Des discussions ont eu lieu au cours des réunions des 16 février et 23 février 2012 sur la contre-proposition de Sanofi d'une garantie de prix et une non-application d'un TFR jusque fin 2013 en contrepartie de la baisse de 15% demandée en raison des deux baisses successives et rapprochées « hors norme » de Plavix. Ces garanties n'ont pas été accordées et il a été demandé une baisse de 15% à Sanofi sur le Plavix au 1er avril 2012 « sans engagement sur l'évolution futur sur les prix ».
203. Aussi les extraits des procès-verbaux précités ne comportent aucune information sur un taux de substitution du plavix jugé insuffisant permettant de faire un lien certain et exclusif avec cette baisse de prix du Plavix 15%. Certes les sociétés Sanofi évoquent le fait que cette baisse supplémentaire est intervenue très rapidement, soit 6 mois, après la précédente baisse de prix automatique de 12,5% intervenue en novembre 2011 après 18 mois de générification, qu'elle était qualifiée de « hors norme » et décidée sans discussion au sein du CSG.
204. Néanmoins, la Cour constate que ces éléments peuvent tout autant accréditer la position des sociétés Sanofi sur un motif de taux de substitution du Plavix insuffisant que celle de la CNAM faisant état d'un probable manque d'anticipation par le CEPS des économies globales réalisées au titre des baisses de prix pour l'année 2012 (780M €) dont l'objectif d'économie était bien plus important que celui demandé en 2011(500M€). L'extrait du procès-verbal de janvier 2012 indique effectivement : » Les baisses de prix des médicaments sous brevets engagés par le CEPS, cet été représentent un impact en économies sur l'année 2012 de 623M €. Les reports de dates d'effet de certaines baisses accordées aux firmes par le comité eu égard au fort impact sur le CA de ces sociétés ont incontestablement réduit la marge d'économies supplémentaires dont pensait disposer le CEPS : il reste un écart de 20 à 30 Millions sur 2012 ».
205. Dès lors, il ne peut pas être affirmé à l'instar des sociétés Sanofi que dans un scénario contrefactuel dans lequel le Plavix aurait connu une « substitution satisfaisante », cette baisse de prix appliquée à Plavix et ses génériques n'aurait pas eu lieu.
'Sur la baisse de prix du Plavix en novembre 2013-avril 2014 (20%) :
206. Il ressort des extraits des procès-verbaux du CEPS des 23 mai et 25 juillet 2013 que le président a pris contact avec Sanofi sur l'instauration d'une mise sous tarification responsable sur le groupe Clopidogrel, ce à quoi Sanofi a préféré une mesure de baisse de prix de l'ordre de 15% au 1er octobre 2013 et que le 25 juillet, le comité a décidé d'opérer à une baisse de prix en deux étapes du princeps Plavix et des génériques en novembre 2013 et janvier 2014 (moins de 10% à chaque étape sur Plavix et moins 12,5% pour les génériques). Dès lors que cette baisse de prix était une alternative à la mise sous TFR, le CEPS dans sa réponse du 3 octobre 2023 a confirmé que l'étalement (et non l'avancement) de cette baisse de prix avait été mis en place en raison d'une insuffisance de substitution comme le préconisait les orientations ministérielles en 2013. Il est donc constant, que cette baisse de prix de 20% en deux étapes décidée en juillet 2013 et notifiée à Sanofi-Aventis le 30 juillet 2013 (pièce Sanofi n°20) et publiée au journal officiel le 10 septembre 2013 avait bien pour motif une insuffisante substitution.
207. Toutefois, comme le souligne à juste titre la CNAM, sans être utilement contredite par les sociétés Sanofi, une baisse de prix aurait pu avoir lieu à la même époque et dans une même proportion dans l'hypothèse d'un taux de substitution jugé satisfaisant. En effet a été discuté au cours d'une réunion du Comité de suivi des génériques (CSG), l'alignement des prix des génériques Clopidogrel sur les prix européens au 1er janvier 2014 concomitamment à la décision de baisse de prix du Plavix de 20% en deux temps, comme en atteste un document Excel intitulé « Décision CEPS suite CSG Molécules 06-2013 » versé aux débats par la CNAM (pièce n°58) et qui a été communiqué en cours d'expertise (pièces n° 67 courriel du 10 octobre 2023 et pièce n° 50 page21). Cette décision d'alignement du prix des génériques sur les prix européens fait suite aux orientations de l'instruction ministérielle d'avril 2013 précitée. Or, sans baisse de prix du princeps Plavix à cette même période, l'écart de prix entre celui-ci et ses génériques ayant subi une baisse de prix par alignement (de 25% en novembre 2013 et avril 2014) aurait été de l'ordre de 58% à compter d'avril 2014, soit un écart supérieur non seulement aux écarts précédant (entre 47% et 37%) mais aussi à la décote de prix initiale appliquée au prix du princeps (55%) pour fixer le prix de départ du générique (conclusions CNAM figure 2 page 96) :
208. Or il ressort des comptes-rendus des réunions du CSG et du CEPS que la cohérence de l'écart de prix fabricant du Plavix et celui de ses génériques est un des paramètres d'appréciation dans les propositions et décisions d'amplitude de baisse de prix. De même, il apparaît clairement de l'analyse de l'évolution réellement observée du prix fabricant HT du Plavix et de ses génériques de la CNAM que le PFHT du Plavix (courbe noire) évolue de manière cohérente avec celui de ses génériques (courbe bleue) et tend à converger vers celui-ci à long terme, étant observé que l'insuffisance du taux de substitution n'est pas un motif de baisse de prix pour le générique. Aussi, l'alignement des prix des génériques sur les prix européens, comme préconisé par l'instruction ministérielle de 2013, constitue un facteur indirect influant sur le prix du princeps, par l'effet des mécanismes de cohérence et de convergence des prix.
209. La CNAM démontre ainsi qu'il était tout à fait vraisemblable qu'à cette période une baisse de prix du Plavix aurait eu lieu pour un motif de cohérence des prix, voire de convergence des prix entre princeps et générique, quand bien même le taux de substitution du Plavix aurait été plus élevé, étant par ailleurs observé que le prix du Plavix (et ses génériques) était particulièrement élevé en France (Décision § 296-297 ; 655).
' Sur la baisse de prix du Plavix d'octobre 2014 (17%) :
210. Il ressort clairement du tableau de la réunion du 19 juin 2014 du comité de suivi des génériques (CSG) que pour le groupe Clopidogrel/Plavix, il était proposé au CEPS une baisse du princeps de façon à bénéficier de l'économie que rapporterait une substitution de 85%, alors que le taux de substitution réel était de 72,80% en mars 2014. Une baisse du prix du Plavix de 17 % a été appliquée en conséquence en octobre 2014.
211. Les sociétés Sanofi relèvent que dans le scenario contrefactuel de la CNAM repris par l'expert judiciaire, le taux de substitution du Plavix aurait été de 90% en juin 2014, et en déduisent que la baisse des dépenses souhaitée par le CEPS à cette date aurait déjà été largement réalisée et donc la baisse de prix « exceptionnelle » d'octobre 2014 n'aurait pas eu lieu.
212. Cependant, la Cour observe que si, du fait des pratiques, l'insuffisance du taux de substitution et la mise sous tarification responsable ont pu être utilisées comme leviers par le CEPS pour opérer une baisse de prix supplémentaire en octobre 2014, ceci n'implique pas nécessairement que des baisses de prix n'auraient pas eu lieu sur la même période en l'absence des pratiques pour d'autres motifs au regard des orientations données au CEPS de recherches d'économies.
213. En effet, il ressort de l'analyse des orientations ministérielles que les recherches d'économies se faisaient par différents leviers mis à la disposition du CEPS, à savoir la mise sous tarification responsable (TFR) du princeps ou négociation de baisse de prix en cas de taux de substitution inférieur à certain seuil, mais aussi outre les baisses automatiques, la convergence des prix entre le princeps et ses génériques par un alignement sur le prix le plus bas mise en 'uvre à l'issue d'une période de 5 ans de commercialisation effective des génériques. Ce principe de convergence des prix était prévu dans l'instruction ministérielle du 2 avril 2013, puis a été systématisé par l'accord-cadre de 2015, mais il est établi que la convergence des prix des princeps génériqués depuis 5 ans avait été entamée dès 2013 par le CEPS (pièce CNAM n°61 ' rapport d'activité CEPS 2014/2015).
214. D'ailleurs concernant la baisse de prix d'octobre 2014, la question a été posée au CEPS : « peut-on en déduire que, si le taux de substitution de Clopidogrel avait été supérieur, alors le CEPS n'aurait pas imposé une baisse de prix aussi importante à Clopidogrel ' » et ce à quoi le CEPS a répondu dans son courrier du 8 septembre 2023 : » A cette date, il n'y avait pas d'approche conventionnelle systématisée dans l'accord cadre pour l'évolution des prix en fonction de la substitution ou d'autres facteurs. Il n'est donc pas possible de se prononcer catégoriquement sur un scénario alternatif. Il y a outre la substitution insuffisante d'autres motifs de baisse de prix qui auraient peut-être pu être mobilisées à cette date. »
215. Il s'ensuit que quand bien-même le taux de substitution du Plavix aurait été au-dessus du seuil de substitution de 85% en l'absence des pratiques, des baisses de prix auraient tout de même pu être décidées à partir d'octobre 2014 par le CEPS à partir d'autres leviers, telle que la convergence du prix princeps avec ses génériques, étant observé que la première générification du Plavix est intervenue en octobre 2009.
216. La Cour note que la lettre d'orientation ministérielle du 16 août 2016 insiste de nouveau sur cette recherche de convergence des prix princeps et génériques : « le comité complètera par ailleurs dès l'année 2016, sa doctrine de fixation des prix des médicaments génériques. Il proposera, dans le cadre des objectifs qui lui sont fixés des niveaux de décotes plus importants (que ceux actuellement pratiqués) et intervenant plus rapidement pour les groupes génériques dans les classes thérapeutiques où l'offre générique est déjà bien présente, ou pour des médicaments dont le coût pour l'Assurance maladie est élevé. Dans tous les cas le prix du médicament princeps devra converger vers celui du médicament générique. ».
217. De même dans sa réponse complémentaire du 3 octobre 2023, à la question : « Le CEPS identifie-t-il certaines baisses du prix fabricant HT du Plavix ou des génériques du Clopidogrel motivées par le taux de substitution insuffisant du Clopidogrel ' Si oui, s'agit-t-il de la seule raison qui motive ces baisses de prix ou existe-t-il d'autres raisons concomitantes ' Le CEPS a répondu notamment : « Toutes les baisses du groupe Clopidogrel n'ont pas été motivées à ce titre [insuffisance de substitution], et on retrouve la trace dans les PV de comparaisons internationales des prix, ainsi que des opérations de convergence des prix dans le groupe. »
218. De manière générale, la Cour constate que le Plavix du fait de son prix et de ses volumes très élevés était incontestablement un potentiel d'économie substantiel au regard du montant de la dépense pour l'Assurance maladie. Ceci confirme que, sans les effets des pratiques agissant sur le taux de pénétration de ses génériques, le Plavix et ses génériques auraient tout de même subi des baisses de prix selon une fréquence et une amplitude similaire à ce qui est réellement observé, dans un objectif général et national de recherche d'économie pour l'Assurance maladie.
219. Enfin, la Cour relève que la position des sociétés Sanofi n'est pas davantage confortée par son exercice de comparaison des prix réel et contrefactuel du Plavix avec ceux des comparateurs RBB repris par l'expert. En effet, la comparaison consiste pour les sociétés Sanofi à établir une courbe contrefactuelle du prix du Plavix en neutralisant les trois baisses identifiées d'avril 2012, novembre 2013-avril 2014, et octobre 2014. Cette courbe contrefactuel du prix est comparée à une courbe du prix réellement observé du Plavix et à une courbe des prix moyens des princeps des comparateurs RBB et aux courbes des prix de chacun des princeps des comparateurs RBB, sur un niveau des prix en base 100 à la générification et sur une durée de près de 140 mois depuis l'entrée du premier générique (conclusions Sanofi page 59 figure 5) :
220. De cette comparaison, les sociétés Sanofi font deux observations (conclusions page 59) :
1) Plavix (courbe rouge épaisse) a subi des baisses plus nombreuses et plus importantes que les molécules du groupe de contrôle mis en avant par la CNAM (« comparateurs RBB ») et reprises par l'expert (courbes oranges fines). Ainsi au cours des 5 premières années de générification de Plavix, après la troisième baisse exceptionnelle d'octobre 2014 :
- le prix de Plavix avait baissé de plus 50% par rapport à son prix pré-générification ;
- à l'inverse, au bout de la même période de générification le prix moyen des molécules du groupe de contrôle de la CNAM (courbe bleu foncé) n'avait baissé que de 25% par rapport à leur prix pré-générification.
2) si le taux de générification de Plavix avait été jugé suffisant et que les trois baisses exceptionnelles n'avaient pas eu lieu, le prix de Plavix (courbe bleu turquoise épaisse) aurait alors évolué de façon parfaitement cohérente avec celui des molécules du groupe de contrôle retenues par l'expert (courbe bleu marine épaisse) sur l'ensemble de la période.
221. La pertinence de cet exercice de comparaison doit cependant être sérieusement mise en doute pour différentes raisons.
222. D'abord la Cour constate que la construction de la courbe contrefactuelle du prix du Plavix s'est limitée à neutraliser les baisses de prix litigieuses, sans aucune analyse sérieuse de l'ensemble des facteurs pouvant influer sur l'évolution du prix du princeps dans le temps à compter de sa générification effective notamment au regard des orientations données au CEPS d'une part et de l'impact du prix initial du princeps sur le potentiel d'économie d'autre part, étant observé par ailleurs que chaque baisse de prix n'est pas indépendante des précédentes.
223. Ensuite, cette courbe contrefactuelle du prix du Plavix est comparée à l'évolution des prix des molécules du groupe de comparaison RBB et repris par l'expert dans les développements qui précèdent. Or ce panel de molécules de comparaison a été sélectionné à partir des facteurs explicatifs du taux de pénétration d'un médicament générique et non pas à partir de facteurs explicatifs de l'évolution du prix d'un médicament princeps depuis l'entrée du premier générique. Rien n'indique dans les développements qui précèdent que les circonstances pouvant influer sur l'évolution du prix d'un médicament princeps se réduisent aux seuls critères retenus pour constituer le groupe de molécules de comparaison sur la question de la générification et en particulier celui de la taille de marché. Aussi, il n'est pas sérieusement démontré que soit pertinente la comparaison de l'évolution du prix réel et contrefactuel du Plavix (et de ses génériques) avec celui des molécules du groupe de contrôle du taux de substitution, ni même la recherche d'une évolution « en ligne » ou « cohérente » des baisses du prix du Plavix à celles des molécules du groupe de contrôle du taux de générification.
224. Enfin la Cour observe que l'objet d'un scénario contrefactuel est de représenter ce qu'il se serait passé, toutes choses égales par ailleurs, en l'absence des pratiques en cause. Il en résulte qu'à compter de la date de fin des effets des pratiques, le prix du scénario contrefactuel ne devrait plus être différent du prix réellement observé. Or plus de 140 mois après l'entrée du premier générique (près de 12 ans) les prix du Plavix dans le scénario contrefactuel des sociétés Sanofi (figure 5 page 59 des conclusions) restent très supérieurs au prix réel du Plavix, étant observé que la date de fin des pratiques a été fixée en septembre 2021. Ces observations sont identiques pour les « tests de robustesse » présentés par les sociétés Sanofi (conclusions pages 68 et 69 figures 8 et 9).
225. De l'ensemble de ces constatations et appréciations de la Cour, il ressort que l'existence même d'un « avantage » ou de « conséquences positives » que la CNAM aurait pu retirer des pratiques anticoncurrentielles n'est pas démontrée, dès lors que, sans les effets des pratiques agissant sur le taux de pénétration de ses génériques, le Plavix aurait tout de même subi des baisses de prix selon une fréquence et une amplitude similaire à ce qui est réellement observé, dans un objectif général et national de recherche d'économie pour l'Assurance maladie.
D- Le périmètre de remboursement des assurés
Position des parties,
226. A compter respectivement des 1er janvier 2020 et du 1er septembre 2019, le RSI et le régime des étudiants ont été intégrés au régime général. La CNAM demande l'indemnisation des dépenses effectuées pour ces assurés à compter de ces évènements.
227. Les sociétés Sanofi soutiennent qu'en initiant son action en septembre 2017, la CNAM a toujours limité sa demande d'indemnisation de son préjudice au titre du régime général, et ce n'est qu'à l'initiative de l'expert et sur son insistance et demandes répétées en faveur de la CNAM, « marquant un parti pris », que cette dernière a formulé une demande de réparation étendue aux régimes spéciaux. Elles ajoutent que malgré leurs objections au cours de l'expertise sur l'irrecevabilité manifeste d'une telle demande comme étant nouvelle et prescrite, l'expert judiciaire a selon elles passé outre et inclus cette question dans le champ de sa mission. Par ailleurs elles relèvent que l'expert a « manqué à sa parole » en présentant dans son pré-rapport, puis à nouveau dans son rapport définitif, un chiffrage tous régimes confondus ne distinguant pas le chiffrage relatif aux deux régimes additionnels inclus de sa propre initiative. En outre, selon elles, l'expert a également de son propre chef incité la CNAM à de multiples reprises à lui communiquer des données pour lui permettre de chiffrer un éventuel préjudice relatif aux sections locales mutualistes, alors même que la CNAM n'a jamais formé aucune demande d'indemnisation à ce titre.
Réponse de la Cour,
228. La Cour observe d'abord que la CNAM a introduit son action en 2017 et que dans le dernier état de ses conclusions dans l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 9 février 2022, celle-ci faisait valoir que l'estimation de son préjudice, tel qu'arrêtée à fin mars 2015 est une évaluation a minima, sur la base de l'analyse réalisée par RBB Economics, lequel n'a pas été en mesure de préciser son chiffrage pour la période postérieure au mois de mars 2015, sachant que son préjudice réellement subi n'a pas cessé au mois de mars 2015 et que la période du préjudice indemnisable ne peut se limiter à la période des pratiques abusives.
229. Dès lors que l'expert judiciaire avait pour mission de déterminer la durée des effets des pratiques illicites, qui pouvait s'étendre au-delà de 2015, et de fournir à la Cour les éléments lui permettant de fixer les préjudices de la CNAM liés à l'indemnisation des assurés, celui-ci constatant que la CNAM avait depuis intégré au régime général aux moins deux régimes antérieurement distincts, le RSI et le régime Etudiants a, de manière pertinente et dans le cadre de sa mission, posé des questions de manière à circonscrire les demandes de celle-ci au titre du régime général (compte rendu de réunion d'expertise n°2 page 5 pièce Sanofi n° 2 et rapport d'expertise page 21), sans que celles-ci constituent des demandes « insistantes » au bénéficie de la CNAM. Au contraire, comme le souligne cette dernière, sans l'intervention de l'expert, les remboursements aux assurés des anciens régimes RSI et Étudiants auraient été intégrés par défaut dans le chiffrage de son préjudice dès lors qu'ils ont été affiliés au régime général pendant la période des effets des pratiques soit depuis les 1er septembre 2019 et 1er janvier 2020. Ensuite aucune demande n'a par ailleurs été formulée au titre des sections locales mutualistes.
230. Dans la suite des opérations, les sociétés Sanofi se sont réservées le droit de contester le caractère réparable du préjudice lié à ces régimes spéciaux (pièce Sanofi n° 4) et ne se sont pas opposées « à ce que l'expert fournisse une estimation de cet éventuel préjudice, sous réserve que son montant soit communiqué de manière séparée ou désagrégée » (pièce Sanofi n° 4, compte rendu d'expertise n° 4 et rapport d'expertise page 21).
231. Dans son rapport (page 22), l'expert judiciaire expose « sa méthode de désagrégation ». Il constate d'abord que le fichier CNAM 2 intègre effectivement les remboursements aux anciens assurés du régime Étudiants (depuis septembre 2019) et du RSI (depuis janvier 2020). Ensuite il relève qu'en 2018 (sur une année complète avant intégration donc), les assurés du régime Étudiants représentaient 0, 04% des achats de Clopidogrel et en 2019 (sur une année complète avant intégration), les assurés du RSI représentaient 7,26 % des achats du Clopidogrel. Il en déduit que si la Cour retenait l'argument de Sanofi sur la prescription, il faudrait réduire les montants des éventuels préjudices comme suit :
- Préjudice subi par la CNAM au titre de l'année 2019 : réduire de 0,01%
- Préjudice subi par la CNAM au titre des années 2020 et suivantes : réduire de 7,30%
232. Aussi, loin de passer outre les objections des sociétés Sanofi et de manifester un parti pris pour la CNAM, l'expert a bien procédé au chiffrage du montant du préjudice lié aux remboursements Plavix d'anciens assurés des régimes RSI et Étudiants de manière désagrégée, sans que la méthode ne soit d'ailleurs explicitement critiquée par les sociétés Sanofi dans leurs dernières conclusions (notamment pages 13 et 14) et devant permettre ainsi à ces dernières de formuler devant la Cour leurs « objections juridiques ».
233. Or la Cour observe que si dans ses dernières écritures les sociétés Sanofi évoquent l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation de la CNAM comme étant nouvelle et prescrite au titre des régimes RSI et Etudiants, elles ne la soulèvent pas explicitement dans le dispositif de leurs conclusions. A toutes fins utiles, la Cour relève que la demande de la CNAM liée aux remboursements sur Plavix et sur Clopidogrel des anciens assurés des régimes Etudiants et RSI est limitée aux dépenses effectuées à compter seulement de leur date d'intégration au régime général respectivement depuis les 1er septembre 2019 et 1er janvier 2020, soit pendant la période des effets des pratiques telles que retenue dans les motifs qui précèdent. Dès lors, la demande d'indemnisation de la CNAM intégrant ces remboursements ne peut être ni prescrite au regard de la date de naissance du préjudice ni nouvelle au regard de la demande initiale d'indemnisation du préjudice lié aux remboursements des assurés du régime général résultant des effets des pratiques sanctionnées.
234. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'exclure du montant de la demande liée aux remboursements des assurés, les remboursements relevant de l'intégration au régime général des régimes Etudiants et RSI à compter des 1er septembre 2019 et 1er janvier 2020.
E. L'évaluation du préjudice de remboursement des assurés
235. Sur le fondement des analyses de l'expert judiciaire, la CNAM demande de voir fixer son préjudice lié au remboursement de ses assurés à la somme de 111 666 964 euros et de voir les sociétés Sanofi condamnées in solidum au paiement de cette somme.
236. Ainsi qu'il ressort des motifs qui précèdent, la Cour n'a retenu aucune des critiques des sociétés Sanofi concernant les conclusions auxquelles l'expert judiciaire est parvenu dans son rapport d'expertise et ce, en restant dans les limites de sa mission donnée par la Cour et dans le cadre des obligations auxquelles il est soumis aux articles 237 et 238 du code de procédure civile.
237. Aussi, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des sociétés Sanofi de voir « écarter » le rapport d'expertise judiciaire et d'ordonner une nouvelle expertise.
238. Sur la base de ce rapport d'expertise judiciaire, la Cour évalue le préjudice de la CNAM lié au remboursement des assurés à la somme de 111 666 964 euros arrêtée à fin août 2021 (sans déduction au titre des régimes RSI et Étudiants intégrés les 1er septembre 2019 et 1er janvier 2020), se décomposant de la manière suivante (rapport d'expertise page 213 ' modification de l'expert en jaune) :
239. En conséquence, la société Sanofi et la société Sanofi Winthrop Industrie, venant aux droits de la société Sanofi Aventis-France, seront condamnées in solidum à payer à la CNAM la somme de 111 666 964 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié aux remboursements des assurés.
IV. SUR LE PRÉJUDICE DE RÉMUNÉRATION DES PHARMACIENS
Position des parties,
240. La CNAM expose que dans le cadre de la politique de santé, la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d'officine et l'Assurance maladie, a en 2012 prévu un nouveau mode de rémunération pour les 22000 officines réparties sur le territoire français. Elle relève que cette convention a notamment établi un système de rémunération prenant en compte, pour chaque molécule et chaque pharmacie, l'évolution du taux de substitution pendant une période rapportée à une période précédente, étant observé que cette rémunération était fonction de l'augmentation du taux de substitution et proportionnelle à la différence entre les deux périodes. Ainsi, elle précise que le paiement effectué à chaque pharmacien dépendait, pour une molécule donnée, de l'économie potentielle attendue sur cette molécule et de la progression de la substitution d'une année à l'autre. Aussi, selon la CNAM, dans la mesure où les rémunérations aux pharmaciens dépendaient de l'écart entre la substitution atteinte en 2012 et celle du second semestre de 2011, le retard de générification du clopidogrel a eu un impact sur les montants versés aux pharmaciens au titre de l'adoption, retardée, des génériques de cette molécule. Elle précise qu'en l'absence des pratiques, le taux de substitution en 2011 aurait été significativement plus élevé et dans la mesure où les molécules à niveau de substitution faible ont connu une augmentation plus grande en 2012, le montant des rémunérations versées aux pharmaciens pour le clopidogrel a été exceptionnellement important. Elle en déduit avoir subi un préjudice égal à la différence entre les montants qu'elle a versés aux pharmaciens de 2012 à 2019 et les montants qu'elle aurait dû verser si le clopidogrel avait suivi un processus de générification ordinaire. Pour l'estimation de ce préjudice, elle explique avoir présenté, par le cabinet RBB, trois méthodes d'évaluation à l'expert judiciaire qui a retenu la deuxième comme étant la plus complète, et à laquelle elle se réfère pour évaluer son préjudice à la somme de 14 556 030 euros.
241. Les sociétés Sanofi ne présentent pas d'observation spécifique sur le principe et le montant du préjudice de la CNAM lié à la rémunération des pharmaciens.
Réponse de la Cour,
242. La convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d'officine et l'Assurance maladie du 4 mai 2012 (pièce CNAM n°12) renseigne que les parties signataires ont souhaité valoriser l'engagement des pharmaciens d'officine dans la délivrance de médicaments génériques et ont décidé de mettre en place un dispositif (article 29 et suivants) ayant pour objectif, d'une part, d'inciter le pharmacien à progresser dans la délivrance de médicaments génériques et, d'autre part, pour ceux ayant déjà atteint un niveau élevé de reconnaitre leur engagement dans la substitution.
243. Le fonctionnement du dispositif de rémunération sur objectif repose sur différents indicateurs, dont la progression et l'atteinte d'un taux de substitution pour les molécules de l'annexe II.1 parmi laquelle figure le Clopidogrel. Cette efficience de l'exercice pharmaceutique portant sur les médicaments génériques est mesurée de la manière suivante (article 31.3) :
31.3.1. Référentiels
Les indicateurs individuels sont évalués pour chaque année N. Les molécules adossées à ces indicateurs sont déterminées par les parties signataires en fonction des économies potentielles restant à réaliser sur le niveau de substitution.
Pour chaque pharmacie la période de référence « de départ » est le second semestre de l'année 2011. Cette référence est valable jusqu'à fin 2014.
Pour chaque pharmacie la période de référence « d'arrivée » est l'année N.
31.3.2. Liste des molécules cibles.
La liste des molécules cibles visée à l'article 29 est révisée tous les ans par voie d'avenant et figure en annexe II.1 à la présente convention. Les paramètres sont actualisés tous les ans par voie d'avenant pour tenir compte notamment des évolutions tarifaires et le cas échéant du champ du répertoire conventionnel tel qu'établi dans l'accord national visé à l'article L. 162-16-7 du code de la sécurité sociale.
31.3.3. Principe de calcul.
Le calcul obéit aux principes suivants :
' si le taux de substitution atteint par le pharmacien est inférieur au seuil bas fixé par indicateur tel que défini en annexe II.1, le pharmacien ne perçoit aucune rémunération ;
' si le taux de substitution atteint par le pharmacien est supérieur au seuil bas fixé par indicateur mais inférieur au seuil intermédiaire, le pharmacien perçoit une rémunération en fonction de sa progression entre les deux périodes de référence ;
' si le taux de substitution atteint par le pharmacien est supérieur au seuil intermédiaire, le pharmacien perçoit une rémunération en fonction du niveau atteint sur la période de référence « d'arrivée ».
Les modalités de calcul sont définies à l'annexe II.1.
244. Il n'est pas contesté que dans la mesure où cette rémunération aux pharmaciens dépendait de l'écart entre la substitution atteinte en 2012 et celle du second semestre de 2011, le retard de générification du clopidogrel a eu un impact sur les montants versés aux pharmaciens au titre de l'adoption, retardée, des génériques de cette molécule, à savoir une rémunération plus élevée calculée à partir d'un point plus bas par l'effet des pratiques.
245. Pour l'estimation du préjudice lié à la rémunération des pharmaciens par la CNAM, l'expert judiciaire a apporté des ajustements à l'évaluation initiale puis complémentaire proposée par le cabinet RBB (rapport pages 139 à 162). L'expert judiciaire a proposé (rapport page 161) deux évaluations de 14 354 904 euros (évaluation 1) et 14 556 030 euros (évaluation 2), tenant compte chacune de la méthode correctrice proposée par le cabinet CRA sur l'un des paramètres de détermination du montant de la rémunération des pharmaciens, à savoir l'économie potentielle factuelle. La seconde évaluation prend en compte un ajustement supplémentaire sur le montant de la rémunération contrefactuelle versée et prend en compte les effets de deux déterminants additionnels de la rémunération des pharmaciens, et qualifiée comme telle de « plus complète » par l'expert.
246. La CNAM fonde sa demande de 14 556 030 euros sur la seconde évaluation de l'expert judiciaire qui ne fait pas l'objet de critique particulière de la part des sociétés Sanofi, et à laquelle la Cour souscrit. Cette somme se décompose pour chaque année de la manière suivante :
247. En conséquence, la société Sanofi et la société Sanofi Winthrop Industrie, venant aux droits de la société Sanofi Aventis-France, seront condamnées in solidum à payer à la CNAM la somme de 14 556 030 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la rémunération des pharmaciens.
V. SUR LA DEMANDE « D'ACTUALISATION » DU PRÉJUDICE
Position des parties,
248. La CNAM sollicite « l'actualisation » de son préjudice par la prise en compte des intérêts légaux qui majorent les montants des préjudices nominaux de 111 666 964 euros liés au remboursement des assurés et 14 556 030 euros liés à la rémunération des pharmaciens. Dans le dernier état de son estimation (pièce n°22 -note du 14 janvier 2025), tenant compte de l'hypothèse des sociétés Sanofi et du cabinet CRA que le préjudice aurait été subi en milieu de période, la CNAM évalue « cette actualisation » à la somme totale de 23 551 029 euros arrêtée au 30 juin 2025. Elle demande la condamnation in solidum des sociétés Sanofi au paiement de cette somme « à parfaire jusqu'au complet paiement des sommes dues » par les sociétés Sanofi.
249. Les sociétés Sanofi contestent pour l'essentiel la méthode de calcul de « cette actualisation de préjudice ».
250. L'expert judiciaire a considéré que l'actualisation du préjudice n'entrait pas dans sa mission.
Réponse de la Cour,
251. La CNAM sollicite « l'actualisation » de son préjudice nominal par l'application du taux de l'intérêt légal à parfaire « jusqu'au complet paiement des sommes dues ». Si la CNAM n'explicite pas davantage la nature de sa demande « d'actualisation », la Cour constate à l'examen de la méthode de calcul pour évaluer cette demande que celle-ci vise non seulement à appliquer le taux d'intérêt légal au préjudice nominal pour compenser un préjudice additionnel résultant de la privation temporaire des sommes allouées au titre des chefs principaux de préjudice, mais aussi à appliquer ce taux d'intérêt légal pour réparer un éventuel retard dans le paiement des indemnités allouées par la décision de justice (en ce sens demande à parfaire « jusqu'au complet paiement des sommes dues »). Or les régimes des intérêts compensatoires et moratoires ne sont pas les mêmes.
252. Tandis que les intérêts moratoires sanctionnent, sans preuve d'un dommage par le créancier, un retard de paiement d'une obligation de somme d'argent ou d'une condamnation à une indemnité au sens des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts dits compensatoires sont destinés à réparer le préjudice additionnel né de la prolongation dans le temps d'un dommage économique. Ce préjudice est ainsi directement rattaché au fait générateur qui en est la cause, et non au retard imputable, au débiteur.
253. La possibilité de réparer un tel préjudice additionnel lié à l'écoulement du temps et pouvant recouvrir a minima l'érosion monétaire et qui découle du principe de la réparation intégrale, est admis en droit interne (en ce sens Com., 1er mars 2023, pourvoi n° 20-20.416, 20-18.356) et en droit de l'Union (en ce sens, dans le cadre général de la responsabilité extracontractuelle, CJCE, Mulder et autres du 27 janvier 2000, C-295104/89 et C-29637/90, §51 : « la réparation du préjudice dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle a pour objet de reconstituer autant que possible le patrimoine de la victime. Par conséquent, dès lors que sont remplies les conditions de la responsabilité extracontractuelle, les conséquences défavorables résultant du laps de temps qui s'est écoulé entre la survenance du fait dommageable et la date du paiement de l'indemnité ne sauraient être ignorées malgré ladite déclaration expresse du requérant, dans la mesure où il y a lieu de tenir compte de l'érosion monétaire. » ; CJCE, Manfredi, 13 juillet 2006, C-294/04, § 100 : « il résulte du principe d'effectivité et du droit du particulier de demander réparation du dommage causé par un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence que les personnes ayant subi un préjudice doivent pouvoir demander réparation non seulement du dommage réel (damnum emergens),mais également du manque à gagner (lucrum cessans) ainsi que le paiement d'intérêts ». La directive 2014/104 du 26 novembre 2014 relative aux actions en dommages-intérêts des victimes de pratiques anticoncurrentielles évoque également la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps (considérant 12 et article 3.2).
254. Parce qu'ils relèvent du droit commun de la responsabilité civile, les intérêts compensatoires sont alloués s'il apparaît qu'un dommage financier a été subi. Le taux des intérêts compensatoires est choisi en fonction de la nature du préjudice subi, qu'il appartient à la victime d'établir. En outre, le préjudice pris de la privation des sommes, dont le cours s'achève à la date du jugement, la créance de réparation produisant ensuite intérêts au taux légal de plein droit jusqu'à complet paiement en application de l'article 1231-7 du code civil, doit être alloué en tenant compte de la progressivité de la constitution de ce préjudice (Com., 7 juin 2023, pourvoi n° 22-10.545, 22-11.099, 22-11.100).
255. Ce préjudice additionnel financier n'est pas remis en cause en son principe d'indemnisation par les sociétés Sanofi, et par là-même en son existence. En effet, ces dernières ne contestent pas une « actualisation » du préjudice nominal de la CNAM depuis le fait générateur et par application du taux de l'intérêt légal sur un préjudice constitué progressivement, mais critiquent la méthode de calcul de la CNAM sur divers points repris ci-dessous.
256. Il est constant que le préjudice subi par la CNAM a débuté en 2010 pour le poste de préjudice lié au remboursement des assurés et en 2012 pour le poste de préjudice lié à la rémunération des pharmaciens. Dès lors il y a lieu de prendre respectivement chacune de ces deux années comme point de départ du calcul des intérêts compensatoires. Par ailleurs, le taux de l'intérêt légal est déterminé, annuellement jusqu'en 2015, semestriellement depuis, par arrêté du ministre de l'économie.
257. Le préjudice de la CNAM n'a pas été entièrement constitué immédiatement mais sur plusieurs années, il est dès lors nécessaire de prendre en compte cette progressivité dans le calcul du préjudice compensatoire lié à l'écoulement du temps. Le préjudice nominal de la CNAM subi chaque année résulte du tableau établi par l'expert pour les deux chefs de préjudice (rapport d'expertise page 213 ' et points 238 et 246 du présent arrêt) :
258. Initialement, la CNAM avait calculé ces intérêts compensatoires année après année en considérant qu'ils étaient entièrement constitués au 1er janvier, pour la période de 2010 à 2014, et pour la période postérieure, le premier jour de chaque semestre. Les sociétés Sanofi se sont opposées, au cours de la procédure, à cette méthode, arguant, qu'il était plus pertinent de considérer que les préjudices annuels étaient subis en milieu de période. La CNAM a accepté cette critique. Les parties se sont alors accordées pour considérer que le préjudice est subi en milieu de période d'application du taux de l'intérêt légal (annuellement avant 2015, semestriellement après). La Cour constate que cette méthode permet une plus grande précision dans le calcul, puisqu'elle prend en compte le fait que le préjudice, subi au cours d'une période (annuellement avant 2015, semestriellement après), s'accumule progressivement au fil du temps, jusqu'à la fin de la période.
259. Cependant, dans un deuxième temps, la CNAM (note du cabinet RBB pièce n°22) a « affiné » cette correction pour ne l'appliquer qu'à une partie du préjudice total et non l'intégralité. Plus précisément, pour chaque période considérée dans l'actualisation (c'est-à-dire, l'année ou le semestre), selon la CNAM, le préjudice total doit être divisé en deux composantes :
- Le « nouveau préjudice » généré pendant la période en cours,
- Le « préjudice existant » reporté des périodes précédentes.
Pour le nouveau préjudice généré pendant la période en cours, la CNAM accepte la critique des sociétés Sanofi selon laquelle le préjudice s'accumule progressivement au fil du temps jusqu'à la fin de la période en cours. Pour cette partie du préjudice, la CNAM considère qu'il est acceptable d'utiliser l'hypothèse proposée par les intimées selon laquelle le préjudice est subi au milieu de chaque période (année ou semestre). En revanche, le préjudice existant (reporté des périodes précédentes) est, selon la CNAM, entièrement généré à la fin des périodes précédentes et existe donc entièrement dès le premier jour de la période en cours.
260. Les sociétés Sanofi contestent cette méthode de calcul du préjudice financier dans laquelle deux composantes du préjudice nominal sont actualisées de façon distincte. Selon elles, ce changement de convention de calcul est arbitraire et n'améliore pas la solidité de l'actualisation mais vise simplement à compenser la baisse que la CNAM a été contrainte de concéder au titre de ses précédentes erreurs de calculs corrigées, et conduit à augmenter, par un artifice, le montant de l'actualisation. En substance, elles reprochent à la CNAM d'avoir calculé les intérêts sur une « demi-période », alors qu'il faudrait les calculer sur une période entière. Plus précisément, elles revendiquent l'application du taux de l'année N du 1er juillet de l'année N au 30 juin de l'année N+1 de 2010 à 2014 et du milieu du semestre S au milieu du semestre S+1 pour les semestres suivants.
261. La Cour approuve le raisonnement de la CNAM consistant à distinguer le préjudice nouveau subi sur une période et le préjudice existant reporté des périodes précédentes. En effet, s'il est vrai que le premier se constitue tout au long de l'année, le second est déjà entièrement constitué, par nature même, dès le premier jour de la période en cours. Il en résulte que, s'il est pertinent pour le préjudice constitué au cours de l'année (ou semestre après 2015) de prendre une date de calcul, en milieu d'année (ou semestre après 2015), afin de prendre en compte la progressivité de la constitution du préjudice, cette méthode ne peut être appliquée au préjudice existant reporté des périodes précédentes. En outre, la méthode revendiquée par les sociétés Sanofi conduit à appliquer le taux d'intérêt d'une année sur une partie de l'année suivante, ce qui est en contradiction avec le taux de l'intérêt légal qui est fixé par décret pour chaque année civile en cours, puis à compter du 1er janvier 2015, pour chaque semestre en cours.
262. Il résulte de l'ensemble que le préjudice financier additionnel doit être évalué selon la méthode et les calculs effectués par la CNAM en pièce n°22.
263. Pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2021, le préjudice nominal lié au remboursement des assurés est de 111 666 964 euros, et celui lié à la rémunération des pharmaciens est de 14 556 030 euros (voir pièce CNAM n°22, tableau 2 et rapport final de l'expert, page 213). Ces préjudices sont entièrement constitués à compter du 31 décembre 2019 pour celui lié à la rémunération des pharmaciens, et à compter du 31 décembre 2021 pour celui lié au remboursement des assurés.
264. A partir de ces éléments, pour la période du 1er janvier 2010 au 30 juin 2025, le montant des intérêts compensatoires liés au préjudice nominal de remboursement des assurés est évalué à la somme de 21 000 049 euros et le montant des intérêts compensatoires liés au préjudice nominal de rémunération des pharmaciens est évalué à la somme de 2 550 980 euros (voir pièce CNAM n° 22).
265. La Cour rappelle que le cours des intérêts compensatoires s'achève à la date de la décision de justice consacrant l'existence du préjudice économique servant d'assiette au préjudice financier : à compter de celle-ci, le préjudice financier est définitivement constitué et son absence de paiement est un retard réparé conformément à l'article 1231-7 du code civil par l'allocation des intérêts moratoires produits par la créance indemnitaire à laquelle il correspond (en ce sens, Com., 1er mars 2023, n° 22-16.329, §32 et 33 et Com., 7 juin 2023, pourvoi n° 22-10.545, 22-11.099, 22-11.100, § 63).
266. Au cas présent, le préjudice financier est subi jusqu'au 24 septembre 2025, date du présent arrêt. Il y a donc lieu d'évaluer ce préjudice jusqu'à cette date. La période restant à courir est de 86 jours (31 jours en juillet, 31 jours en août et 24 jours en septembre). Le taux de l'intérêt légal applicable à compter du 1er juillet 2025 est égal à 2,76%. Dès lors les montants des intérêts compensatoires pour la période du 1er juillet au 24 septembre 2025 s'élèvent à :
- 862 735 euros (0,0276 x 86/365 x 132 667 013) pour le préjudice lié au remboursement des assurés,
- 111 247 euros (0,0276 x 86/365 x 17 107 010) pour le préjudice lié à la rémunération des pharmaciens.
267. En conséquence, les sociétés Sanofi seront condamnées in solidum à payer à la CNAM la somme de 21 862 784 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié au remboursement des assurés et la somme de 2 662 227 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la rémunération des pharmaciens.
268. A compter de la présente décision, les sommes allouées à titre de dommages-intérêts porteront intérêts au taux légal dans les conditions prévues à l'article 1231-7 du code civil.
VI. SUR LES DEPENS ET L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
269. Les sociétés Sanofi et Sanofi Winthrop Industrie, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire s'élevant à 217 641,94 euros TTC.
270. En application de l'article 700 du code de procédure civile, les demandes des sociétés Sanofi seront rejetées et celles-ci seront condamnées in solidum à payer à la CNAM la somme de 500 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Vu l'arrêt du 9 février 2022 ayant infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de la Caisse nationale d'Assurance maladie (CNAM) ;
Vu l'arrêt de la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation du 30 août 2023 pourvoi n°22-14.094 ;
Statuant à nouveau,
Déboute les sociétés Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie SA de leur demande de voir « écarter » le rapport d'expertise judiciaire déposé le 5 mars 2024 et d'ordonner une nouvelle expertise ;
Condamne in solidum les sociétés Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie SA à payer à la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) en réparation de son préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par la décision n°13-D-11 du 14 mai 2013 de l'Autorité de la concurrence, la somme totale de 150 748 005 euros à titre de dommages-intérêts se décomposant de la manière suivante :
- 111 666 964 euros en réparation du préjudice lié au remboursement des assurés outre 21 862 784 euros de préjudice financier en résultant,
- 14 556 030 euros en réparation du préjudice lié à la rémunération des pharmaciens outre 2 662 227 euros de préjudice financier en résultant.
Dit que cette somme allouée à titre de dommages-intérêts produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision en application de l'article 1231-7 du code civil ;
Condamne in solidum les sociétés Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie SA aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise judiciaire s'élèvant à 217 641,94 euros TTC ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés Sanofi SA et Sanofi Winthrop Industrie SA et les condamne in solidum à payer à la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) la somme de 500 000 euros.