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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 septembre 2025, n° 24/09529

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Avel Diffusion (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohee

Avocats :

Me Chirac Kollarik, Me de Mascureau, Me Mortreau, Me Vignes, Me Vanner, Me Hervé, SCP GRV Associes, AARPI Jacobacci Avocats

TJ Paris, 3e ch. sect. 3, du 15 mai 2024…

15 mai 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

La société AVEL DIFFUSION est une société française spécialisée dans la commercialisation et l'installation de lames d'occultation en PVC, bois, composite (Loryza) et aluminium, et de clôtures en aluminium. Elle est liée à deux autres sociétés, OCEANE PROFILS et CLOHEAC, ayant également une activité dans le secteur des clôtures et des portails, les trois sociétés étant détenues directement ou indirectement par la société [Adresse 5] et par la société FACIRÉA.

La société OCEANE PROFILS, filiale à 100 % de la société AVEL DIFFUSION, exerce une activité de fabrication de lames d'occultation en aluminium, de poteaux et de plaques de soubassement pour grillages treillis soudés en aluminium, ainsi que de portails soudés et de clôtures en aluminium. La société CLOHEAC est, elle, spécialisée dans la fabrication de portails en PVC sur cadres soudés en inox, de portails en inox ou en inox-bois, ainsi que de clôtures en PVC, coryza, inox et inox-bois.

Dans le cadre de son activité, la société OCEANE PROFILS a déposé, le 7 septembre 2017, une demande de brevet intitulé « Ensemble pour former une clôture extérieure » dont la délivrance a fait l'objet d'une publication le 25 décembre 2020 (ci-après, le brevet FR 702).

Par acte sous-seing privé en date du 30 juin 2021, la société OCEANE PROFILS a consenti à la société AVEL DIFFUSION une licence non exclusive sur ce brevet, pour une durée d'un an renouvelable tacitement, ce contrat de licence ayant été inscrit au registre national des brevets le 2 février 2023.

La société ARCAL, fondée en 2008, est spécialisée dans la fabrication de clôtures, notamment de lames d'occultation en matériau plastique (PVC) et de poteaux en aluminium, à destination des particuliers, par l'intermédiaire de divers réseaux de distribution. Dans le cadre de ses activités, elle a développé un système de clôture occultante dénommé « JUGO », composé de panneaux treillis et de lames occultantes. Elle a déposé une demande de brevet le 6 octobre 2017 qui couvre ce produit « JUGO » ; le brevet intitulé « Système de clôture, comprenant au moins un panneau treillis et au moins une lame occultante » a été délivré le 4 décembre 2020 (ci-après, le brevet FR 109).

Le 3 septembre 2021, la société OCEANE PROFILS, sur la base notamment de son brevet FR 702, a formé opposition au brevet FR 109 de la société ARCAL devant l'INPI, sollicitant sa révocation totale au motif que les revendications 1 à 13 ne seraient ni nouvelles ni inventives.

Par décision du 9 mars 2023, l'INPI a partiellement fait droit à cette opposition, en maintenant toutefois le brevet FR 109 dans une version modifiée, issue de la requête principale formulée par la société ARCAL le 6 décembre 2021. La société OCEANE PROFILS a formé un recours contre cette décision par déclaration de saisine en date du 12 avril 2023. Ce recours est actuellement pendant devant la cour d'appel de Paris.

Estimant que la société CLOHEAC exposait au salon professionnel PAYSALIA des systèmes de clôture reproduisant les caractéristiques de son brevet FR 109, la société ARCAL a sollicité par lettre le 7 décembre 2021 la cessation de toute exploitation desdits produits par la société CLOHEAC.

Le 6 décembre 2022, la société ARCAL a saisi le président du tribunal judiciaire de Paris d'une requête aux fins d'obtenir une autorisation de saisie-contrefaçon au siège social de la société AVEL DIFFUSION.

Par ordonnance du 7 décembre 2022, le juge des requêtes a fait droit à cette demande, tout en limitant son étendue, excluant notamment toute investigation informatique ainsi que la saisie d'éléments financiers et comptables. Les opérations de saisie ont été menées le 21 décembre 2022.

Le 20 janvier 2023, la société ARCAL a assigné la société AVEL DIFFUSION ainsi que son fournisseur, la société GEPLAST, en contrefaçon du brevet FR 109 devant le tribunal judiciaire de Paris. Estimant que la société GEPLAST diffusait plus largement le produit litigieux, notamment via une plateforme en ligne destinée aux professionnels, la société ARCAL a sollicité et obtenu, par ordonnance du 30 mars 2023, l'autorisation d'effectuer une saisie-contrefaçon au siège de GEPLAST. Cette saisie-contrefaçon a eu lieu le 27 avril 2023.

Par ordonnance du 11 septembre 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a décidé de surseoir à statuer sur l'action en contrefaçon jusqu'au prononcé de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Paris dans le cadre de la procédure d'opposition portant sur le brevet FR 109.

Par acte du 23 octobre 2023, la société AVEL DIFFUSION a assigné la société ARCAL en référé-rétractation de l'ordonnance du 7 décembre 2022 ayant autorisé les mesures de saisie-contrefaçon réalisées dans ses locaux.

Par ordonnance de référé-rétractation rendue le 15 mai 2024, le magistrat délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris a :

rejeté l'ensemble des demandes de la société AVEL DIFFUSION ;

condamné la société AVEL DIFFUSION aux dépens ;

condamné la société AVEL DIFFUSION à payer à la société ARCAL la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Par déclaration du 22 mai 2024, la société AVEL DIFFUSION a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 30 avril 2025, la société AVEL DIFFUSION, appelante, demande à la cour de :

Vu les articles 496 et 497 du code de procédure civile,

Vu l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l'ordonnance rendue le 7 décembre 2022 par la juge déléguée par le président du tribunal judiciaire de Paris,

recevoir « la société ARCAL » (sic) en son appel dirigé contre l'ordonnance de référé-rétractation du juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris en date du 15 mai 2024, ainsi qu'en ses demandes, fins et conclusions « déclarés fondés » (sic) ;

y faisant droit, infirmer l'ordonnance en son entier ;

et statuant de nouveau ;

ordonner la rétractation totale de l'ordonnance du 7 décembre 2022 rendue sur requête de la société ARCAL ;

ordonner à la société ARCAL de restituer à la société AVEL DIFFUSION, l'intégralité des pièces saisies à l'occasion des opérations de saisie-contrefaçon du 21 décembre 2022, y compris le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé à cette occasion et y compris les pièces se trouvant encore en possession de l'huissier de justice instrumentaire, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de huit jours après la signification de la présente ordonnance ;

faire interdiction à la société ARCAL d'utiliser les éléments saisis à l'occasion des opérations de saisie-contrefaçon du 21 décembre 2022 ainsi que du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé à cette occasion, dans toute procédure judiciaire, ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations, et sous astreinte de 50.000 euros par infraction constatée ;

condamner la société ARCAL à payer à la société AVEL DIFFUSION la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

rappeler que « la présente ordonnance est de droit exécutoire par provision ».

Dans ses dernières conclusions, transmises le 20 septembre 2024, la société ARCAL, intimée, demande à la cour de :

Vu les articles 496 et 497 du code de procédure civile,

Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

Vu l'ordonnance rendue le 7 décembre 2022 par le juge agissant sur délégation du président du tribunal judiciaire de Paris sur requête du 6 décembre 2022,

Vu l'ordonnance de référé-rétractation rendue le 15 mai 2024,

juger mal fondé l'appel de la société AVEL DIFFUSION,

en conséquence,

confirmer en son entier l'ordonnance de référé-rétractation rendue le 15 mai 2024 par le juge des requêtes et de la rétractation du tribunal judiciaire de Paris, et ainsi les chefs de jugements suivants :

« Rejette l'ensemble des demandes de la société AVEL DIFFUSION ;

Condamne la société AVEL DIFFUSION aux dépens ;

Condamne la société AVEL DIFFUSION à payer à la société ARCAL la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile»,

y ajoutant :

condamner AVEL DIFFUSION à verser à la société ARCAL la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la demande de la société AVEL DIFFUSION de rétractation de l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon dans ses locaux

La société AVEL DIFFUSION soutient que les conditions d'autorisation de la saisie-contrefaçon ordonnée le 7 décembre 2022 n'étaient pas réunies au moment où cette mesure a été décidée, et sollicite en conséquence la rétractation intégrale de l'ordonnance rendue sur requête à la demande de la société ARCAL. Elle fait valoir, en premier lieu, que le principe du contradictoire a été méconnu dans la conduite de la procédure sur requête dans la mesure où le juge ayant autorisé la mesure litigieuse a interrogé la société ARCAL sur des éléments du dossier, en particulier le brevet détenu par la société OCEANE PROFILS, et s'est fondé sur les réponses qui lui ont été apportées pour circonscrire la mission du commissaire de justice, alors que ni les questions posées ni les réponses données ne sont mentionnées dans la requête et dans l'ordonnance, ce qui ne lui permet pas de débattre utilement de ces éléments dans le cadre de la présente instance ; que cette absence de retranscription la prive de la possibilité de contester ou de commenter les éléments ayant fondé la décision du juge des requêtes. La société AVEL DIFFUSION fait valoir, en deuxième lieu, que la requête introduite par la société ARCAL procédait d'une présentation déloyale des faits ; qu'en effet, la société ARCAL a omis de porter à la connaissance du juge l'existence du brevet concurrent n° FR 702 de la société OCEANE PROFILS, filiale à 100 % de la société AVEL DIFFUSION, déposé antérieurement au brevet FR 109 et dont elle ne pouvait ignorer l'existence dès lors que la société OCEANE PROFILS s'était prévalue de ce brevet FR 702 dans le cadre de son opposition au brevet FR 109 ; que tout en affirmant que son produit « JUGO » constituerait une « véritable rupture technologique » dans le domaine des occultants, ce qui ne correspond pas à une présentation objective des faits, la société ARCAL n'a pas non plus mentionné que ce brevet antérieur de OCEANE PROFILS permettait la commercialisation de systèmes de clôture occultant composés de lames occultantes en V insérées dans des panneaux treillis ; que ces omissions constituent une violation du devoir de loyauté renforcé pesant sur le requérant dans une procédure sur requête, en ce qu'elle a privé le juge d'une vision complète et équilibrée des intérêts en présence, et qu'elle a nécessairement altéré l'appréciation portée par le juge sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure. En troisième lieu, la société AVEL DIFFUSION soutient que la société ARCAL n'a pas apporté de commencement de preuve suffisant de la contrefaçon alléguée, comme l'exige l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle ; que ARCAL ne pouvait se borner à comparer les produits commercialisés par AVEL DIFFUSION à son brevet pour alléguer d'une prétendue contrefaçon et qu'elle aurait dû, a minima, établir une comparaison entre son brevet, le brevet FR 702 d'OCÉANE PROFILS et les produits commercialisés par AVEL DIFFUSION afin de vérifier que les produits argués de contrefaçon n'étaient pas la simple reproduction du brevet d'OCÉANE PROFILS, mais présentaient des caractéristiques susceptibles de constituer une contrefaçon vraisemblable du brevet ARCAL, et ce d'autant que le brevet de la société ARCAL était contesté devant le directeur général de l'INPI.

La société ARCAL prétend avoir présenté loyalement l'ensemble des faits pertinents au soutien de sa requête aux fins de saisie-contrefaçon, dans les limites de ce qu'elle connaissait à la date de son dépôt. Elle fait valoir qu'aucune présentation déloyale ne saurait lui être reprochée ; qu'elle a informé le juge des requêtes de la procédure d'opposition initiée par la société OCEANE PROFILS à l'encontre de son brevet, en produisant notamment le mémoire d'opposition ainsi que les documents invoqués par cette dernière ; qu'elle a mentionné dans sa requête les liens capitalistiques et fonctionnels unissant les sociétés OCEANE PROFILS, AVEL DIFFUSION et CLOHEAC, et détaillé les échanges intervenus avec ces sociétés à propos du produit PVC 3D argué de contrefaçon ; qu'elle a également précisé la réserve émise lors de la procédure de délivrance de son brevet, ainsi que les réponses apportées à l'INPI, ayant conduit à la délivrance du titre ; qu'elle ignorait, au jour de sa requête, l'existence du contrat de licence conclu entre OCEANE PROFILS et AVEL DIFFUSION dont elle n'a eu connaissance qu'à l'occasion de l'assignation en référé-rétractation ; que l'exploitation par AVEL DIFFUSION de produits à base de PVC ne permettait pas de présumer l'application du brevet de la société OCEANE PROFILS, lequel vise exclusivement des lames en aluminium ; que le contrat de licence n'a fait l'objet d'une demande d'inscription au registre national des brevets que postérieurement à l'ordonnance de saisie-contrefaçon, et que cette inscription n'a été publiée qu'en mars 2023, soit plusieurs mois après la mesure autorisée ; qu'aucune mention de ce contrat ne figurait dans les échanges précontentieux ni dans la documentation commerciale antérieure à la saisie, et qu'aucune déclaration en ce sens n'a été faite lors des opérations de saisie-contrefaçon ; que l'emploi dans sa requête de l'expression « rupture technologique » pour qualifier son produit « JUGO » n'est pas déloyale, étant en lien avec les critères de nouveauté et d'activité inventive requis pour la délivrance d'un brevet et ne revêtant aucune portée juridique excessive ; qu'elle a apporté les justifications suffisantes pour établir la vraisemblance de la contrefaçon alléguée, comme l'exige l'article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle ; que l'appréciation de la vraisemblance de la contrefaçon ne suppose pas la comparaison de son brevet avec celui de la société OCEANE PROFILS, mais uniquement l'analyse des similitudes entre son titre et le produit argué de contrefaçon ; qu'aucune atteinte n'a été portée au principe du contradictoire, dès lors qu'elle a présenté au juge des requêtes de brèves observations sur les points souhaités par le magistrat, lors d'un appel téléphonique, conformément au « protocole EPP », alors que le juge envisageait, comme il l'a fait, de limiter sensiblement le projet d'ordonnance qui lui était soumis ; qu'il n'existe aucune obligation pour le juge des requêtes de retranscrire le contenu d'un tel échange (ou d'une soutenance) au sein de son ordonnance, le magistrat rendant en toute hypothèse son ordonnance au vu de la requête et des pièces présentées.

Ceci étant exposé, il est rappelé que l'article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment que « La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.

A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.

La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants. (') »

Sur la violation du contradictoire

Il sera précisé à titre liminaire que le juge qui a autorisé la saisie-contrefaçon dans les locaux de la société AVEL DIFFUSION par ordonnance du 7 décembre 2022 est le même que celui qui a rendu l'ordonnance entreprise rejetant la demande de rétractation de la société AVEL DIFFUSION.

C'est dans ce contexte que doit être comprise la motivation de l'ordonnance entreprise, par laquelle le juge de la rétractation indique : « le juge a alors interrogé la requérante sur [le] brevet. Au vu de la requête, des pièces annexées et des réponses de la requérante, le juge, qui a pris en considération l'existence de ce brevet, a circonscrit la mission du commissaire de justice et l'étendue des opérations de saisie-contrefaçon ».

La société AVEL DIFFUSION se plaint d'une violation du contradictoire résultant de ce que les questions du juge et les réponses apportées par la société ARCAL ne sont pas retranscrites dans l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon, ce qui ne lui permet pas de débattre utilement de ces éléments dans le cadre de la présente instance.

Mais comme le relève la société ARCAL, aucune disposition n'oblige le juge saisi d'une requête aux fins de saisie-contrefaçon, procédure par principe non contradictoire, de retranscrire dans son ordonnance le contenu de l'échange qu'il peut avoir avec le requérant, en présentiel ou comme en l'espèce lors d'un appel téléphonique, selon la précision apportée par la société ARCAL.

Le contradictoire est rétabli par l'action ouverte par les articles 496 deuxième alinéa et 497 du code de procédure civile, selon lesquels 'S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance' et 'Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire', l'objet de ces dispositions étant de permettre au juge ayant statué sur la requête d'apprécier si, au regard des éléments fournis dans le cadre d'un débat contradictoire, il aurait rendu la même décision ou au contraire aurait limité la portée de la mesure sollicitée ou même refusé d'autoriser cette mesure.

En l'espèce, le juge des requêtes a autorisé la saisie-contrefaçon, avec les limitations qu'il a estimé devoir apporter au projet d'ordonnance, au vu de la requête et des pièces jointes à celle-ci, outre les précisions données par le requérant en réponse à ses interrogations.

La société AVEL DIFFUSION, qui use de la possibilité qui lui est offerte de demander la rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon dans ses locaux, développe une argumentation relative à la présentation, selon elle déloyale, des faits par la société ARCAL et à la démonstration, selon elle insuffisante, de la vraisemblance de la contrefaçon, qui montre qu'elle est pleinement en mesure de faire valoir ses droits.

Sur la présentation déloyale des faits

L'absence de contradictoire et le caractère intrusif de la mesure de saisie-contrefaçon imposent que le requérant procède à une présentation loyale des faits susceptibles d'influencer le sens de la décision qui sera rendue par le juge des requêtes. Le requérant à une mesure de saisie-contrefaçon se doit donc de porter à la connaissance du juge, l'ensemble des éléments de fait et de droit utiles, afin de permettre à ce dernier de porter une appréciation éclairée sur la demande qui lui est soumise et d'ordonner une mesure proportionnée, en tenant compte des intérêts divergents du saisissant et du saisi.

En l'espèce, il ressort de l'examen de la requête aux fins de saisie-contrefaçon et des pièces y annexées que la société ARCAL n'a pas dissimulé au juge l'existence de la procédure d'opposition initiée par la société OCEANE PROFILS devant l'INPI, cette opposition étant même fournie en pièce 11 à l'appui de sa requête, ce qui a nécessairement permis au juge d'avoir connaissance de l'existence du brevet FR 702 dès lors qu'il est constant que l'opposition de la société OCEANE PROFILS était fondée sur ce brevet dont elle est titulaire. Ont été également fournis au juge, notamment, l'indication que la société AVEL DIFFUSION détient à 100 % la société OCEANE PROFILS et que ces deux sociétés ont un même président et un même directeur général, des extraits Kbis des sociétés OCEANE PROFILS, CLOHEAC et AVEL DIFFUSION (pièces 10, 13 et 16), des échanges avec la société AVEL DIFFUSION (pièces 17 et 18), des extraits pappers.fr concernant les sociétés AVEL DIFFUSION, CLOHEAC et OCEANE PROFILS (pièce 19), un extrait du site internet de la société CLOHEAC (pièce 20) et un catalogue de la société AVEL DIFFUSION (pièce 21), permettant au juge de prendre connaissance de l'existence de ces trois sociétés, de leurs liens entre elles et de leurs activités.

S'agissant de son propre brevet FR 109, la société ARCAL n'a pas caché que celui-ci a été délivré après que l'examinateur de l'INPI a émis une réserve notamment sur l'activité inventive de la revendication 1 et la nouveauté de la revendication 11 ; elle a en outre fourni au juge l'opinion écrite de l'INPI sur la brevetabilité et sa propre réponse (pièces 5 et 6 produites à l'appui de la requête) et précisé qu'elle a été amenée à modifier les revendications 11, 12 et 13 du brevet.

La société ARCAL justifie que le contrat de licence conclu entre la société OCEANE PROFILS et la société AVEL DIFFUSION portant sur le brevet FR 702 a fait l'objet d'une demande d'inscription au registre tenu par l'INPI seulement le 22 décembre 2022, soit postérieurement à la requête aux fins de saisie-contrefaçon, à l'ordonnance du juge des requêtes et même aux opérations de saisie-contrefaçon elles-mêmes qui se sont déroulées le 2 décembre 2022, et que cette inscription a été publiée au BOPI le 17 mars 2023, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société ARCAL de n'avoir pas fait état, au moment de sa requête aux fins de saisie-contrefaçon, de cette licence dont elle prétend, sans être utilement démentie, qu'elle n'a eu connaissance que par l'assignation en référé-rétractation.

En outre, il ne pouvait être évident pour la société ARCAL que le brevet FR 702 de la société OCEANE PROFILS couvrait les produits PVC 3D argués de contrefaçon vendus par la société AVEL DIFFUSION, comme il est soutenu, dès lors que le PVC est un plastique et que le brevet FR 702 décrit que dans un mode de réalisation, les lames de la clôture sont en aluminium, aucun mode de réalisation des lames en matière plastique n'étant par ailleurs divulgué, ainsi que l'a retenu le directeur général de l'INPI dans sa décision du 9 mars 2023 sur l'opposition.

Le juge des requêtes n'a pu être abusé par la formule utilisée par la société ARCAL pour qualifier l'invention protégée par son brevet (« véritable rupture technologique »), qui fait manifestement référence aux critères de nouveauté et d'inventivité et dont elle estime elle-même qu'elle relève « de l'incantation et de l'auto-persuasion ».

Enfin, il est souligné que l'ensemble des éléments portés à la connaissance du juge des requêtes par la société ARCAL a amené ce dernier à ne faire droit que partiellement à la requête, excluant toute investigation informatique, ainsi que la saisie d'éléments financiers et comptables.

Ainsi, il n'apparaît pas que la société ARCAL a procédé à une présentation déloyale des faits lors de sa présentation au juge de sa requête aux fins de saisie-contrefaçon. Le juge de la rétractation, qui avait personnellement fait droit en partie à la requête de la société ARCAL, n'a d'ailleurs pas estimé avoir été abusé.

Sur l'insuffisante caractérisation de la vraisemblance de la contrefaçon

Il résulte de l'article L. 615-5 précité du code de la propriété intellectuelle que la saisie-contrefaçon est un droit pour le titulaire d'un brevet en vigueur fournissant des éléments raisonnablement accessibles de nature à caractériser un commencement de preuve de la contrefaçon du brevet alléguée.

La cour rappelle que le requérant à une saisie-contrefaçon ne doit pas démontrer la contrefaçon, puisque c'est précisément l'objectif poursuivi par la saisie-contrefaçon, objet de la requête, mais seulement fournir des éléments raisonnablement accessibles laissant présumer la possibilité d'une contrefaçon des droits revendiqués.

En l'espèce, la société ARCAL a justifié être titulaire du brevet français FR 109 délivré le 4 décembre 2020, invoqué au soutien de sa requête, et a produit plusieurs éléments : notamment, le catalogue AVEL DIFFUSION annonçant le lancement courant 2022 d'une nouvelle gamme PVC 3D, le procès-verbal de constat de commissaire de justice en date du 15 novembre 2022 réalisé sur le site internet de la société CLOHEAC sur lequel est mentionné le lancement du nouveau produit AVEL PVC 3D, un tableau comparatif commenté de la figure 6 de son brevet et de la lame du produit PVC 3D (page 11 de la requête).

La société ARCAL a ainsi fourni des éléments et explications de nature à constituer un commencement de preuve de l'atteinte alléguée à son brevet, permettant de considérer que le produit litigieux AVEL PVC 3D pourrait présenter des caractéristiques protégées par ce brevet, le juge des requêtes ayant été mis en mesure d'établir une comparaison entre les caractéristiques du brevet invoqué et le produit litigieux, qui seule permet d'apprécier l'existence de la contrefaçon.

Pour l'ensemble des raisons qui viennent d'être exposées, la demande en rétractation, ainsi que les demandes subséquentes tendant à la restitution des pièces saisies et au prononcé d'une interdiction d'utiliser lesdites pièces, seront rejetées.

Sur les frais irrépétibles et les dépens,

La société AVEL DIFFUSION, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société AVEL DIFFUSION au titre des frais non compris dans les dépens exposés par ARCAL peut être équitablement fixée à 4 000 € cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions,

Rejette toutes les demandes contraires de la société AVEL DIFFUSION,

Condamne la société AVEL DIFFUSION aux dépens d'appel et au paiement à la société ARCAL de la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

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