CA Paris, Pôle 6 ch. 3, 17 septembre 2025, n° 21/08851
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baconnier
Conseillers :
Mme Marmorat, Mme Sautron
Avocats :
Me Le Penven, Me Dujardin, Me Higounet
RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE
Mme [A] [I] a fait la connaissance de Mme [N] [K] lors d'un stage de 6 mois au sein de la société L'Oréal France en 2015, où Mme [K] est salariée au sein du département L'Oréal Digital.
Mme [K] a créée le 16 janvier 2015 son entreprise, la société [O] (SASU).
La société [O] (SASU) a fait travailler Mme [I] dans le cadre d'un stage selon Mme [I] et d'une formation donnant lieu à facturation selon la société [O], pendant 3 mois et demi, en tant que graphiste du 16 septembre 2016 jusque fin décembre 2016.
A la fin de cette période, la relation entre Mme [I] et la société [O] s'est poursuivie dans le cadre de contrats free-lance après que Mme [I] a déclaré une activité d'auto-entrepreneur à partir du 1er septembre 2016.
La société [O] a cessé sa collaboration avec Mme [I] par courrier électronique du 27 mai 2019.
Mme [I] a saisi le 20 décembre 2019 le conseil de prud'hommes de Paris et a formé en dernier lieu les demandes suivantes :
« Qualifier les relations contractuelles en CDI
- Contestation d'un licenciement suite à la rupture d'un contrat de travail
Dire que Mme [I] [A] a occupé les fonctions salariée de directrice de création pour la période courant du 16.09.2016 au 29.08.219, date de la fin de son préavis
- Fixer le salaire mensuel à la somme de 2 356 €
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 9 424 €
- Indemnité légale de licenciement 2 788 €
- Indemnité compensatrice de préavis 7068 €
- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis 706 €
- Dommages et intérêts rupture brutale 10 000 €
- Indemnité pour travail dissimulé 14 136.00 €
- Rappel de salaires 44 602 €
- Indemnité compensatrice de congés payés 4 460 €
- perte de droit à la formation 3 000 €
- Article 700 du Code de Procédure Civile 5 000 €
- Exécution provisoire
- Intérêts au taux légal
- Capitalisation des intérêts
- Régularisation auprès de l'URSSAF la situation d'emploi salarié, sous astreinte de 300 € par jour de retard pour la période non prescrite
- Attestation Pôle Emploi, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, sous astreinte journalière de 300 €, par manquement constaté
Le Conseil se réserve la liquidation de l'astreinte »
Par jugement du 15 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :
« Déboute Mme [A] [I] de l'ensemble de ses demandes
Déboute la Société [O] SASU de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne la Société [O] SASU au paiement des entiers dépens. »
Mme [I] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le
22 octobre 2021.
La constitution d'intimée de la société [O] a été transmise par voie électronique le 23 novembre 2021.
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 14 novembre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, Mme [I] demande à la cour de :
« La déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par Madame [A] [I],
Y faisant droit,
Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté les demandes de la société [O],
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'ensemble des demandes de Madame [A] [I],
Et statuant à nouveau de ces chefs de demande,
Qualifier les relations contractuelles de Madame [A] [I] et la société [O] en contrat de travail à durée indéterminée,
Dire et juger que Madame [A] [I] a occupé les fonctions salariées de Directrice de Création de la société [O] pour la période courant du 16 septembre 2016 au 29 août 2019, date de la fin de son préavis,
Fixer le salaire mensuel de référence de Madame [A] [I] à la somme brute de 2.356 euros,
Dire et juger que la rupture des relations entre la société [O] et Madame [A] [I] à compter du 29 mai 2019 s'analyse en un licenciement,
Dire et juger que le licenciement de Madame [A] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence, condamner la société [O] à payer à Madame [A] [I] les sommes suivantes :
- Rappel de salaire : 44.602€
- Indemnité compensatrice de congés payés : 4.460 €
- Indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 7.068 €
- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 706 €
- Indemnité légale de licenciement : 2.788 €
- Perte de droit à la formation : 3.000 €
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 9.424 €
(Article L.1235-3 du Code du Travail)
- Indemnité pour travail dissimulé : 14.136 €
- Dommages et intérêts pour rupture brutale : 10.000 €
Condamner la société [O] sous astreinte de 300 euros, par jour de retard et par manquement constaté par tous moyens, à régulariser auprès des organismes sociaux dont l'URSSAF la situation d'emploi salarié de Madame [A] [I] pour la période non prescrite à la date de la citation,
Condamner la société [O] sous astreinte de 300 euros, par jour de retard et par manquement constaté par tous moyens, à remettre à Madame [A] [I] l'ensemble de ses bulletins de salaire pour la même période,
Condamner la société [O] sous astreinte de 300 euros par jour de retard et par manquement constaté, à remettre à Madame [A] [I] un certificat de travail, le reçu pour solde de tout compte et l'attestation Pôle Emploi,
Se réserver la liquidation de l'astreinte,
En tout état de cause,
Débouter la société [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la société [O] à payer à Madame [A] [I] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Ordonner la capitalisation des intérêts, dans les termes et conditions de l'article 1343-2 du Code civil,
Condamner la société [O] aux entiers dépens, en ce et y compris l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus à l'article L111-8 du Code des procédures civiles d'exécution. »
Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 novembre 2024, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, la société [O] demande à la cour de :
« Déclarer Madame [A] [I] irrecevable et mal fondée en son appel.
La débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes le 15 septembre 2021 en ce qu'il a débouté Madame [A] [I] de toutes ses demandes.
Y ajoutant :
Condamner Madame [A] [I] à payer à la société [O] la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du CPC
La condamner aux entiers dépens. »
L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 19 novembre 2024.
L'affaire a été appelée et examinée à l'audience du 25 novembre 2024 et mise en délibéré au 29 janvier 2025.
Une mesure de médiation a été proposée lors de cette audience et après acceptation de cette proposition au cours du délibéré par messages des 17 et 20 janvier 2025, la cour a rendu le 23 janvier 2025 un arrêt ordonnant une médiation et dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 19 mai 2025.
Une ordonnance de prorogation de la mission du médiateur a été rendue le 16 mai 2025 sur la requête du médiateur.
L'affaire a été rappelée à l'audience du 19 mai 2025 et renvoyée à l'audience du 3 septembre 2025.
Le médiateur a informé la cour le 27 août 2025 que la médiation n'avait pas abouti à un accord.
L'affaire a été rappelée à l'audience du 3 septembre 2025 et la décision mise en délibéré à la date du 17 septembre 2025 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
Sur la qualification des relations entre Mme [I] et la société [O]
Mme [I] demande à la cour d'appel de requalifier ses relations contractuelles avec la société [O] en un contrat de travail, écartant ainsi la présomption de non-salariat et soutient à cette fin que :
- La présomption de non-salariat de l'article L.8221-6 du code du travail est une présomption simple qui peut être renversée.
- L'existence d'une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et non de la volonté exprimée par les parties.
- L'existence d'une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité, et non de la volonté exprimée par les parties.
- En ce qui concerne le lieu de travail, bien que le travail s'effectuait principalement en télétravail, cela n'exclut pas l'existence d'un lien de subordination ; elle devait se rendre au bureau de la société 1 à 2 fois par semaine, sur convocation de Mme [K] ; elle disposait d'un jeu de clés pour accéder au bureau de la société.
- En ce qui concerne les horaires et congés, la durée de travail était décidée par la société (généralement 5 jours/semaine, 7h/jour) ; elle ne pouvait poser ses congés qu'avec l'accord de la présidente de la société ; la société imposait parfois des jours de congés à Mme [I] quand il n'y avait pas de tâche à lui confier.
- En ce qui concerne les missions et directives, elle recevait des instructions et directives quotidiennes de la présidente ; les missions étaient transmises par email ou via la plateforme WeTransfer, permettant à la société de contrôler le début du travail ; des échanges constants avaient lieu tout au long de la journée pour des observations, modifications ou améliorations sur les projets en cours.
- En ce qui concerne l'intégration à l'entreprise, elle disposait d'un jeu de clés pour accéder au bureau de la société ; elle devait être disponible en permanence, même les jours fériés si nécessaire.
- En ce qui concerne les délais et agenda, la société [O] décidait unilatéralement de l'agenda et des délais de production ; les tâches étaient généralement à accomplir pour le jour-même ou le lendemain.
- En ce qui concerne le contrôle et pouvoir de sanction, la société exerçait un contrôle sur le travail effectué via les échanges constants et les directives données ; le mécontentement exprimé par la société lors d'une demande d'absence imprévue démontre un certain pouvoir de sanction.
- En ce qui concerne la dépendance économique, elle travaillait exclusivement pour la société [O] pendant la période concernée.
- En ce qui concerne la continuité de la relation, la collaboration s'est étendue sur une période de près de 3 ans, de septembre 2016 à mai 2019.
- Ces éléments visent à démontrer que Mme [I] travaillait sous l'autorité de la société [O], qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements, caractérisant ainsi un lien de subordination juridique permanent.
À l'appui de ces moyens Mme [I] produit les éléments de preuve suivants tels qu'ils sont désignés dans le bordereau de communication de pièces :
Pièce n°2 : Curriculum Vitae de Mme [I]
Pièce n°8 : Attestation de Mme [V] [I]
Pièce n°9 : Tableau de revalorisation des salaires de Mme [I]
Pièce n°10 : Photos du bureau de la société [O]
Pièce n°11 : E-mail de Mme [K] du 27 mai 2019 pour la restitution du matériel
Pièce n°12 : E-mail de Mme [K] du 8 septembre 2017 envoyé à la société Pigment grafiti
Pièce n°14 : Page Linkedin de la société [O]
Pièce n°15 : Attestation de M. [X] [P] et son E-mail du 11 mai 2018
Pièce n°16 : Signature électronique dans l'E-mail du 16 février 2018
Pièce n°17 : document de présentation de la société [O] d'octobre 2017
Pièce n°18 : document de présentation de la société [O] de mars 2019
Pièce n°19 : Echanges par iMessages des 21/06/2018, 27/06/2018, 11/07/2018, 13/09/2018 de convocation au bureau
Pièce n°20 : Echanges par iMessages des 24/04/2018, 05/06/2018, 16/07/2018 sur les congés
Pièce n°21 : E-mail de Mme [I] à la société [O] du 16/04/2019 sur les congés
Pièce n°22 : Echanges par iMessages des 04/04/2018, 02/07/2018, 18/07/2018, 10/12/2018, 14/09/2018
Pièces n°23 : E-mails d'envoi de missions des 26/09/2016, 29/09/2016, 04/10/2016, 09/10/2016, 10/10/2016, 07/11/2016, 27/11/2016, 12/01/2017, 17/01/2017, 18/01/2017, 31/01/2017, 13/02/2017, 13/03/2017, 26/09/2017, 11/04/2019
Pièces n°24 : Document PowerPoint reçu le 29/05/2019
Pièces n°25 : Document PowerPoint reçu le 24/05/2019 à 9:02
Pièces n°26 : Document PowerPoint reçu envoyés le 24/05/2019 à 9:34
Pièces n°27 : Document PowerPoint reçu le 23/05/2019
Pièce n°28 : Liste des fichiers PowerPoint reçus par Mme [I]
Pièce n°29 : Directives par iMessages du 26/10/2016
Pièce n°30 : iMessages indiquant le délai ou ordre des 04/07/2018, 30/01/2019, 13/05/2019
Pièce n°31 : iMessages indiquant la reprise des travaux du 07/12/2018
Pièce n°32 : iMessages de rendez-vous client du 28/02/2018
Pièce n°33 : E-mails sur les salaires des 06/09/2017, 05/10/2017
Pièce n°34 : iMessages sur les salaires des 02/02/2018, 03/05/2018, 09/05/2018, 26/07/2018
Pièce n°35 : E-mail d'alerte du 31 mai 2019 de changement de titulaire du compte Adobe
Pièce n°36 : iMessages du 14/05/2019 sur l'horaire normal
Pièce n°37 : Illustration d'activité de la société [O] tirées de son site internet
Pièce n°38 : E-mail d'invitation au déjeuner client L'Oréal
Pièces n°39 : E-mails échangés avec les clients les 01/04/2019, 04/12/2018, 15/05/2018, 17/10/2017, 01/06/2017, 1/01/2017, 19/12/2016
Pièce n°40 : Echanges iMessages avec la stagiaire Mme [E]
Pièce n°41 : Echanges E-mail ou iMessages avec la stagiaire Mme [S]
Pièce n°44 : Justificatifs du versement des primes
Pièce n°45 : E-mails échangés entre la société [O] et Mme [I] sur les conditions de travail de 2019 négociées
Pièce n°46 : Attestation de M. [B]
Pièce n°47 : Attestation de Mme [E]
Pièce n°48 : Attestation de M. [G]
Pièce n°50 : E-mail de de Mme [K] du 23 septembre 2016 de présentation de Mme [I]
Pièce n°51 : E-mail de Mme [K] du 6 août 2016 sur la mise en place du bureau de Mme [I]
Pièce n°52 : Attestation de M. [H]
En réplique, la société [O] s'oppose à cette demande par confirmation du jugement et soutient que :
- Mme [I] est enregistrée comme entrepreneur individuel depuis le 1er septembre 2016, avec un numéro SIRET.
- Selon l'article L8221-6 du code du travail, il existe une présomption légale de non-salariat pour les personnes ayant le statut d'auto-entrepreneur.
- Cette présomption étant simple, il incombe à Mme [I] de prouver l'existence d'un lien de subordination avec la société [O].
- Mme [I] ne démontre pas l'existence d'un lien de subordination, élément essentiel du contrat de travail selon la jurisprudence.
- Contrairement à ses affirmations, Mme [I] n'était pas directrice de la création, mais graphiste ; son CV et son portfolio montrent qu'elle n'avait ni la formation ni l'expérience requises pour ce poste.
- Sa collaboration avec [O] était sa première expérience professionnelle en graphisme.
- en ce qui concerne l'autonomie dans l'organisation du travail, Mme [I] travaillait principalement de chez elle, la société n'ayant pas de bureaux.
- Elle était libre d'accepter ou non les missions et de gérer son temps comme elle le souhaitait.
- Aucun contrôle des horaires n'était effectué par la société.
- Les échanges fréquents et les allers-retours sont inhérents au métier de graphiste et ne constituent pas un contrôle hiérarchique.
- L'utilisation de WeTransfer pour l'envoi de fichiers est une pratique courante chez les freelances et ne démontre pas un lien de subordination.
- En ce qui concerne les directives et délais, les directives provenaient des clients et non de la société [O].
- Le respect des délais est une obligation pour tout prestataire indépendant et ne caractérise pas un lien de subordination.
- La société n'avait pas de pouvoir de sanction sur Mme [I].
- Le message du 7 décembre 2018, cité par Mme [I], exprime une déception mais ne constitue pas une sanction.
- Mme [I] disposait d'une adresse email générique "[Courriel 8]", utilisée pour tous les graphistes freelances de l'agence.
- Elle n'apparaissait pas dans les présentations de l'équipe [O] aux clients.
- Elle avait la liberté de travailler depuis n'importe quel endroit et de partir en vacances quand elle le souhaitait.
- Son mari était au courant de son statut d'auto-entrepreneur et avait même créé son compte.
En conclusion, la société [O] soutient que tous ces éléments démontrent l'absence de lien de subordination et confirment le statut d'indépendante de Mme [I]. Par conséquent, la présomption de non-salariat devrait s'appliquer dans ce cas.
A l'appui de ces moyens, la société [O] produit les éléments de preuve suivants :
5. Enregistrement INSEE de Mme [I] du 1er septembre 2016
6. Situation SIRENE de Mme [I] en 2021
7. Tableau des factures réglées à Mme [I]
8. Curriculum Vitae de Mme [I]
9. Fiche APEC
10. Attestation de Mme [U]
11. Attestation de Mme [C]
12. Mail de Mme [L] à Mme [K]
13. Mail de Mme [R] à Mme [K]
14. Attestation de Mme [S]
15. Directives client pour campagne [Localité 6]-BLANC
16. Mail de Mme [K]
17. Attestation M. [W]
19. Attestation de Mme [R]
20. Dossier présentation Parfums faite à la société Eutopia en 2016
21. Mail de M. [G] compte auto entrepreneur
22. Photographie film
23. Photographie film
Elle invoque aussi les pièces salarié n° 31, 42.
Il est de jurisprudence constante que l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à une éventuelle convention, mais des conditions de fait dans lesquelles s'est exercée l'activité professionnelle.
Trois critères doivent être remplis pour que l'existence d'un contrat de travail soit établie, à savoir la fourniture d'un travail, en contrepartie d'une rémunération, et dans le cadre d'un lien de subordination. Le critère prépondérant est celui du lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.
En l'absence de contrat de travail apparent, c'est à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence et notamment de rapporter la preuve d'un lien de subordination.
Par ailleurs, l'article L.8221-6 du code du travail dispose en son paragraphe I que:
« I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 213-11 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;
4° Les personnes physiques relevant de l'article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l'article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat. »
Le paragraphe II du même texte précise cependant que:
« II.- L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. »
L'article L.8221-6 du code du travail instaure donc, dans son paragraphe I, une présomption simple de non salariat qui peut être renversée dans les conditions prévues à son paragraphe II.
Il ressort des pièces versées aux débats que Mme [I] s'est inscrite au répertoire SIRENE le 1er septembre 2016 et qu'elle y est toujours inscrite en février 2021, qu'elle a adressé des factures à la société [O] de janvier à décembre 2017 pour la somme de 14 587 €, de janvier à décembre 2018 pour la somme de 12 756 €, et de janvier à mai 2019 pour la somme de 12 996 €, que Mme [I] exerçait formellement comme travailleur indépendant, que sa période d'inscription comme auto-entrepreneur auprès de l'URSSAF correspond à peu près à sa période d'activité pour la société [O], que cette période n'a pas pris fin avec la rupture des relations avec la société [O] en mai 2019 et se poursuivait encore en 2021.
Les pièces communiquées n'établissent pas qu'un contrat de travail avait été proposé par la société [O] à Mme [I] et refusé par celle-ci.
S'il est établi que Mme [I] ne s'est inscrite sous le régime d'auto-entrepreneur que pour les besoins de l'exécution de l'activité qui lui était demandée par la société [O], Mme [I] ne prouve pas qu'elle a assuré, sous ce régime, une activité au service exclusif de la société [O], en étant de surcroît à temps plein à sa disposition ; la société [O] verse par ailleurs aux débats différentes attestations dont il ressort que leurs auteurs ont chacun travaillé pour la société [O] en free-lance dans le cadre d'une activité indépendante, que ces attestations font aussi ressortir que c'est un mode d'exercice habituel de l'activité de graphiste dans le milieu du marketing digital étant précisé, en ce qui concerne Mme [I], que Mme [K] a pu l'orienter vers ce statut dans la seule intention de la guider du fait qu'elle venait juste de finir sa formation de graphiste et qu'elles voulaient travailler ensemble.
Il est donc établi que Mme [I] a bien exercé une activité pour la société [O] et qu'elle a perçu en contrepartie une rémunération, de sorte que c'est l'existence d'un lien de subordination juridique permanente qu'elle doit démontrer.
A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [I] pouvait travailler de n'importe où et gérer son temps comme elle le souhaitait et que les échanges fréquents sont inhérents au métier de graphiste et ne constituent pas un contrôle hiérarchique.
En effet tout donneur d'ordre doit vérifier que les missions sont exécutées dans les délais et conformément aux attentes de ses clients et entretient à cette fin des échanges réguliers avec les prestataires en charge de l'exécution des missions ; la cour retient notamment que les courriers et messages électroniques que Mme [I] produit caractérisent ce type d'échanges qui ne sauraient s'analyser en directives données par un employeur à son salarié. Il en est de même des courriers et messages électroniques relatifs aux délais d'exécution de certaines missions pour laquelle la société [O] exprimait ses attentes au regard des délais donnés par ses clients et des fois sa déception ou son embarras face aux choix d'organisation de Mme [I] sans pour autant qu'il s'agisse d'exigences ou d'instructions auxquelles Mme [I] devait se soumettre ; en effet la teneur de ces messages et courriers électroniques ne permet pas de démonter l'existence d'un contrôle du travail de Mme [I], de son temps de travail ou de ses périodes d'activité.
C'est donc en vain que Mme [I] soutient que la durée de travail était décidée par la société et qu'elle ne pouvait poser ses congés qu'avec l'accord de Mme [K] ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif que Mme [I] manque en preuve sur ce point étant précisé que les messages produits expriment seulement la déception ou l'embarras de Mme [K] face à l'absence annoncée de Mme [I].
L'absence de bureau fixe et le fait de pouvoir travailler de n'importe où et la liberté d'organisation du temps de travail de Mme [I] comme le fait de partir en vacances à sa guise contredisent aussi l'existence du lien de subordination alléguée par Mme [I]
La cour retient encore que si la collaboration s'est étendue sur près de 3 ans, ce qui démontre la stabilité de la relation, Mme [I] ne démontre pas qu'elle travaillait exclusivement pour la société [O] pendant la période concernée.
La cour retient aussi que le manque d'expérience de Mme [I] dans le domaine du graphisme qui venait de finir sa formation quand elle a exercé son activité de graphiste avec la société [O] contredit le fait qu'elle était sa directrice de création.
La cour retient par ailleurs que la fourniture par la société [O] d'un logiciel à Mme [I], l'utilisation d'une adresse email de l'entreprise et la mise à disposition des clefs de l'appartement de Mme [K] où Mme [I] pouvait se rendre pour travailler (la société [O] n'ayant pas de bureau en propre) ne suffisent pas à caractériser une intégration à un service organisé dans le contexte de l'activité de la société [O] qui était une toute petite entreprise, sans locaux et sans salarié et donc sans aucun élément composant la base d'un service organisé.
La cour retient enfin qu'aucun des éléments produits par Mme [I] ne permet de retenir l'existence du contrôle des horaires de Mme [I] et d'un pouvoir de sanction de la part de la société [O] contrairement aux allégations de Mme [I].
Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que Mme [I] ne démontre pas ni le lien de subordination qu'elle allègue, ni même que le travail de son travail s'effectuait, à l'initiative de la société [O], au sein d'un service organisé de l'entreprise.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de ses demandes relatives à la requalification des relations contractuelles avec la société [O] en contrat de travail à durée indéterminée.
Par voie de conséquence le jugement déféré est aussi confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes consécutives à la requalification des relations contractuelles avec la société [O] en contrat de travail à durée indéterminée et relatives aux rappels de salaire, à l'indemnité compensatrice de congés payés, à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents, à l'indemnité de licenciement, aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Sur les dommages et intérêts pour rupture brutale
Mme [I] demande par infirmation du jugement la somme de 10 000 € de dommages et intérêts pour rupture brutale et soutient qu'en prétextant un prétendu souci de paiement des cotisations URSSAF la concernant, c'est-à-dire une cause totalement extérieure au contrat liant les parties, la société [O] a brutalement mis un terme à la relation de travail le 27 mai 2019 à effet du 31 mai 2019 et n'a même pas respecté le préavis qui existe en droit commercial entre le mandant et son prestataire selon l'article L. 442-1 1° du code de commerce (sic).
En réplique, la société [O] s'oppose à cette demande par confirmation du jugement et soutient que courant 2019, suivant la demande de son expert-comptable qui voulait s'assurer que tout était conforme, elle a demandé à Mme [I] comme elle l'a fait pour les autres indépendants, de justifier du paiement de ses taxes, qu'elle s'est alors aperçue que Mme [I] n'était pas en règle avec l'URSSAF et que dans ce contexte, elle a cessé sa collaboration avec Mme [I].
Aux termes de l'article L. 442-1 II du code de commerce,
« II. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
La cour constate que la demande de dommages et intérêts pour rupture brutale est accessoire à l'action en requalification et que la société [O] n'a pas soulevé d'exception in limine litis - et notamment d'exception d'incompétence - avant d'invoquer des moyens de défense au fond développés dans ses conclusions en sorte que la cour peut examiner la demande accessoire de dommages et intérêts pour rupture brutale conformément aux principes du droit processuel.
A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [I] est bien fondée dans son principe dans sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale au motif que le fait que Mme [I] n'était pas à jour dans le paiement de ses cotisations sociales comme elle l'admet, ne dispensait pas la société [O] de l'informer avec un délai de préavis suffisant de la rupture des relations avec elle.
L'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi par Mme [I] du chef de ces conditions de rupture brutale sans aucun délai de préavis doit être évaluée à la somme de 3 000 €.
Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société [O] à payer à Mme [I] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale.
Sur les dommages et intérêts pour perte du droit à la formation
Mme [I] demande par infirmation du jugement la somme de 3 000 € de dommages et intérêts pour perte du droit à la formation et soutient qu'elle a été placée dans l'impossibilité d'exercer son droit individuel à la formation et qu'elle a donc perdu une chance de faire liquider les droits acquis à ce titre.
En réplique, la société [O] s'oppose à cette demande par confirmation du jugement sans faire valoir de moyens.
En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l'existence d'un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute.
A l'examen des pièces produites et du moyen mentionné ci-dessus, la cour retient que Mme [I] est mal fondée au motif d'une part que les relations contractuelles n'ayant pas été requalifiées en contrat de travail, elle ne peut pas revendiquer la perte de droit à la formation inhérent au statut de salarié et au motif d'autre part qu'elle ne démontre pas ni qu'elle a été placée dans l'impossibilité d'exercer son droit à la formation attaché à sa contribution à la formation professionnelle (CPF) ni qu'elle a donc perdu une chance d'exercer les droits acquis à ce titre, ni même son préjudice.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour perte du droit à la formation.
Sur les autres demandes
Les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
La capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée et s'opérera par année entière en application de l'article 1343-2 du code civil.
La cour condamne la société [O] aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles de la procédure d'appel.
L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale et l'a condamnée aux dépens.
Et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société [O] à payer à Mme [I] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale.
Confirme le jugement déféré pour le surplus.
Y ajoutant,
Déboute la société [O] et Mme [I] de leurs demandes antagonistes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société [O] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.