CA Rennes, 5e ch., 17 septembre 2025, n° 22/07389
RENNES
Arrêt
Autre
5ème Chambre
ARRÊT N°-189
N° RG 22/07389 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TLXG
(Réf 1ère instance : 22/01393)
Mme [W] [V] [O]
M. [B] [D] [X] [O]
C/
Mme [A] [Y]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-France DAUPS, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Juin 2025
devant Madame Virginie PARENT et Madame Virgnie HAUET, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Septembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [W] [V] [O]
née le 18 Décembre 1950 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-François MOALIC de la SELARL MOALIC-COADOU, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [B] [D] [X] [O]
né le 19 Juillet 1952 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean-François MOALIC de la SELARL MOALIC-COADOU, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
Madame [A] [Y] exerçant en son nom personnel sous la dénomination commerciale L'[Z]
née le 23 Septembre 1969 à [Localité 9]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-Claude GOURVES de la SELARL CABINET GOURVES, D'ABOVILLE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
M. [K] [O] et Mme [W] [O] sont propriétaires de locaux sis [Adresse 5].
Ils ont donné à bail lesdits locaux à Mme [A] [Y], qui y exploite une activité de restauration, crêperie, fruits de mer, glacier, bar.
Plusieurs baux ont été signés entre les parties, en 2018 (durée de 6 mois), 2019 (durée de 8 mois), 2020 (durée de 7 mois) et pour le dernier selon un bail de 6 mois conclu le 23 mai 2021, l'échéance du bail étant fixée au 23 novembre 2021. Le loyer est fixé à la somme de 18 000 euros.
Suivant lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 octobre 2021, M. [K] [O] et Mme [W] [O] ont informé Mme [A] [Y] de ce qu'ils n'entendaient pas renouveler le contrat de bail conclu dans la mesure où ils souhaitaient procéder à la vente du local commercial et ont adressé au preneur une proposition d'achat à hauteur de la somme de 350 000 euros.
Le 8 novembre 2021, Mme [A] [Y] a indiqué se porter acquéreur du local commercial et de deux appartements situés au premier étage de l'immeuble. Un projet de promesse unilatérale de vente avec condition suspensive d'obtention d'un prêt était établi mais non régularisé par les parties.
Soutenant que Mme [A] [Y] s'est maintenue dans les lieux à l'expiration du bail sans droit ni titre et sans s'acquitter d'une quelconque somme, M. [K] [O] et Mme [W] [O] ont, suivant requête en date du 8 juin 2022, sollicité l'autorisation de l'assigner à jour fixe aux fins de voir ordonner son expulsion,. Cette autorisation leur a été donnée par ordonnance en date du 13 juin 2022.
M. [K] [O] et Mme [W] [O] ont alors assigné Mme [A] [Y] devant le tribunal judiciaire de Quimper suivant exploit en date du 29 juin 2022.
Par jugement en date du 22 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Quimper a :
- dit et jugé qu'au premier bail dérogatoire conclu le 24 avril 2018 ayant pris fin le 30 octobre 2018, a succédé un nouveau bail liant M. [K] [O] et Mme [W] [O] d'une part et Mme [A] [Y], d'autre part portant sur les locaux situés [Adresse 4] au [Adresse 10] soumis au statut des baux commerciaux,
- dit et jugé que Mme [A] [Y] occupe les locaux situés [Adresse 5] en exécution du bail commercial ainsi conclu,
- débouté M. [K] [O] et Mme [W] [O] de leurs demandes tendant à voir :
* dire et juger que la défenderesse occupe le local commercial situé [Adresse 5] sans droit ni titre depuis la date du 24 novembre 2021,
* ordonner son expulsion ainsi que celle de tout occupant de son chef, avec au besoin, l'assistance de la force publique,
* dire et juger que l'obligation de quitter les lieux sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et ce jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clés,
* condamner Mme [A] [Y] à leur verser les sommes de :
- 36 000 euros à titre d'indemnité d'occupation,
- 18 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
- 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- constaté que M. [K] [O] et Mme [W] [O] ne contestent pas la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [J] [Z],
- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle présentée par Mme [A] [Y] et M. [J] [Z] tendant à voir ordonner la signature par les parties du projet de promesse unilatérale de vente aux clauses et conditions figurant au projet qu'ils ont communiqué, dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de
300 euros par jour de retard passé ce délai, pendant un mois,
- condamné solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] à verser à Mme [A] [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire,
- rejeté toute autre demande,
- condamné solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- rejeté la demande présentée par Mme [A] [Y] et M. [J] [Z] tendant à voir condamner M. [K] [O] et Mme [W] [O] à supporter les frais d'exécution forcée de la présente décision.
Le 20 décembre 2022, M. [K] et Mme [W] [O] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 31 août 2023, ils demandent à la cour de :
À titre principal
- réformer la décision du tribunal judiciaire de Quimper en date du 22 novembre 2022 et constater la prescription de l'action en requalification du bail dérogatoire en date du 24 avril 2018,
- en conséquence, débouter Mme [A] [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- juger que Mme [A] [Y] occupe le local commercial situé [Adresse 4] à [Localité 12] sans droit ni titre depuis la date du 24 novembre 2021,
- ordonner son expulsion ainsi que celle de tout occupant de son chef avec au besoin l'assistance de la force publique,
- juger que l'obligation de quitter les lieux sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clefs,
À titre subsidiaire
- juger que le bail en date du 23 mai 2021 est arrivé à son terme le 23 novembre 2021,
- réformer la décision du tribunal judiciaire de Quimper en date du 22 novembre 2022,
- juger que Mme [A] [Y] occupe le local commercial situé [Adresse 4] à [Localité 13] sans droit ni titre depuis la date du 24 novembre
2021,
- ordonner son expulsion ainsi que celle de tout occupant de son chef avec au besoin l'assistance de la force publique,
- juger que l'obligation de quitter les lieux sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clefs,
- condamner Mme [A] [Y] à leur payer les sommes suivantes :
* 36 000 euros au titre de l'indemnité d'occupation depuis le 22 novembre 2022,
* 15 000 euros à titre de dommages-intérêts destinés à compenser le préjudice subi,
* 5 000 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile,
* les entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2023, Mme [A] [Y] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Quimper, pour l'ensemble des motifs retenus par les premiers juges ou pour tous autres motifs tels que ceux proposés à l'appui des présentes conclusions,
- rejeter la prétention de M. [K] et Mme [W] [O], comme irrecevable et mal fondée, tendant à déclarer prescrite sa demande tendant à se voir reconnaître le statut des baux commerciaux en défense à l'action menée contre elle aux fins de prononcer son expulsion,
- débouter M. [K] [O] et Mme [W] [O] de l'ensemble leurs demandes fins et conclusions plus amples ou contraires,
- condamner solidairement M. [K] et Mme [W] [O] à lui payer la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice qui lui est volontairement et fautivement causé par ses bailleurs du fait de la perturbation opposée au légitime exercice de son activité commerciale,
- condamner solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] à lui payer la somme supplémentaire de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les dispositions du jugement ne sont critiquées devant la cour qu'en ce qui concerne les demandes formées par les époux [O], rejetées par le tribunal.
- sur la relation contractuelle
Les époux [O] opposent à la demande de Mme [Y] de qualifier le bail en bail commercial, la prescription de son action. Ils entendent s'appuyer en ce sens sur la jurisprudence de la Cour de cassation en son arrêt du 25 mai 2023 n° 22-15.946. Ils exposent que cette prescription est biennale et court à compter du contrat de 24 avril 2018, de sorte que la demande reconventionnelle formée sur ce point le 23 septembre 2022 est, selon eux, prescrite.
À titre subsidiaire, ils contestent une telle qualification, citent les contrats passés entre les parties, dont les clauses excluent l'application du statut des baux commerciaux, sont claires et acceptées par elles, observent qu'à chaque début de location, la locataire remettait aux bailleurs des chèques de caution de 5 000 euros, qui n'étaient pas encaissés, ce qui manifeste sans contestation possible la connaissance de la précarité du bail. Une telle précarité ressort également, selon eux, des actes des bailleurs rappelant à Mme [Y] son obligation de quitter les lieux.
Ils observent que le matériel d'exploitation est leur propriété exclusive, qu'ils ont réalisé des travaux pendant la période de non occupation, et que les dépenses réalisées sont incompatibles avec l'existence d'un bail commercial et qu'il n'est pas justifié de l'exploitation du restaurant pendant les périodes non couvertes par le bail.
Mme [Y] soutient bénéficier du statut des baux commerciaux, en application des articles L 145-1, L 145-4 et L 145-5 du code de commerce.
S'agissant de la prescription qui lui est opposée, elle relève que les conclusions prises le 17 mars 2023 par les appelants ne comportent aucune prétention relativement à une éventuelle prescription et qu'ainsi, selon elle, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, les époux [O] sont irrecevables à l'invoquer.
En tout état de cause, elle considère que la prescription biennale applicable aux actions exercées au titre du statut des baux commerciaux, ne s'applique pas aux moyens de défense présentés par une partie afin de faire échec à une prétention de son adversaire, les défenses au fond pouvant être présentées en tout état de cause. Elle estime non applicable à l'espèce la jurisprudence citée concernant une action engagée par un locataire.
Pour sa part, elle cite un arrêt du 1er octobre 2014 de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (n°13-16.806), écartant l'application d'une prescription biennale.
Elle relève que les trois derniers contrats sont conclus en violation des dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux et notamment l'article L 145-5 du code de commerce, qui interdit à l'expiration de la durée contractuelle d'un bail dérogatoire, de conclure un nouveau bail entre les mêmes parties et dans le même local, et estime qu'une telle fraude interdit aux bailleurs de se prévaloir d'une quelconque renonciation du preneur à se prévaloir du statut des baux commerciaux.
Elle ajoute que les époux [O] ne démontrent pas que les locaux auraient été vidés entre chaque période de location dérogatoire et qu'elle n'aurait pas exploité son fonds de commerce pendant ces périodes. Elle souligne n'avoir restitué les clés à aucun moment, qu'aucun état des lieux de sortie n'a été dressé et affirme que la preuve de travaux réalisés par les bailleurs dans les locaux pendant la vacance des locaux n'est pas rapportée. Elle précise que pour sa part, elle a continué à assurer les locaux et poursuivi les abonnements induits par son activité commerciale, sans discontinuer depuis le 1er mai 2018, et que l'établissement est resté ouvert en dehors des périodes déterminées dans les contrats successifs à l'exception des périodes de confinement et d'interdiction d'ouverture faite à tous les restaurateurs.
Elle considère qu'au premier bail dérogatoire a succédé un nouveau bail liant les parties soumis au statut des baux commerciaux, et cite plusieurs jurisprudences ([8] 3ème ch. civ 22 janvier 2003 n° 01-16.490, Cass 3ème civ. 25 octobre 2018 n° 17-26.126).
Ainsi à défaut pour les bailleurs de justifier de leur volonté de ne pas poursuivre la relation contractuelle avant la fin de celle-ci, soit le 30 octobre 2018, date du seul bail dérogatoire, puisqu'ils n'ont entendu manifester une telle volonté que le 14 octobre 2021, elle considère qu'ils ne peuvent réclamer la libération des lieux.
À titre subsidiaire, elle demande la confirmation du jugement, au motif d'une occupation des lieux supérieure à trois ans, et qu'à supposer valable le dernier bail dérogatoire dont l'échéance était le 23 novembre 2021, elle a été maintenue dans les lieux au-delà de cette date, en accord du bailleur, les parties ayant convenu de la vente du bien.
Elle demande donc de confirmer les termes du jugement.
Les époux [O] soulèvent pour la première fois en cause d'appel, dans des conclusions notifiées le 31 août 2023, qui ne sont pas leurs premières conclusions d'appelants, une prescription de l'action en requalification du bail dérogatoire du 24 avril 2018.
L'article 910-4 du code de procédure civile, sans sa version applicable au litige, dispose :
À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802 demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions,
de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté pour le justiciable de soulever des moyens nouveaux. Tel est le cas de la prescription, soulevée en l'espèce pour s'opposer aux prétentions de Mme [Y], qui consistent à se prévaloir du statut des baux commerciaux pour s'opposer à la demande d'expulsion formée contre elle.
Les époux [O] sont recevables à invoquer la prescription.
L'article L 145-5 du code de commerce dispose :
Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans.
À l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.
Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier.
Lorsque le bail est conclu conformément au premier alinéa, un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location.
Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire.
La Cour de cassation retient que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article
L 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à prescription. (3e Civ., 25 mai 2023, pourvoi n° 21-23.007).
Tel est précisément le cas en l'espèce de la demande formée par Mme [Y] qui, pour s'opposer aux prétentions des bailleurs, par voie d'exception, invoque l'application du statut des baux commerciaux.
La jurisprudence citée par les bailleurs relative à une action en requalification d'un contrat en bail commercial n'est pas transposable à l'espèce.
La cour rejette le moyen tiré de la prescription.
Les bailleurs estiment être fondés à affirmer que Mme [Y] est sans droit ni titre depuis le 23 novembre 2021, car les parties sont liées par des baux intitulés 'bail commercial de courte durée article L145-5 du code de commerce' et que la durée cumulée de ces contrats n'excède pas 3 ans. Ils rappellent que ces contrats ont été conclus :
- le 24 avril 2018 pour une durée de 6 mois du 1er mai 2018 au 30 octobre 2018,
- le 15 mars 2019 pour une durée de 8 mois du 1er avril 2019 au 30 novembre 2019,
- le 2 juin 2020 pour une durée de 7 mois du 2 juin 2020 au 31 décembre 2020,
- le 23 mai 2021 pour une durée de 6 mois du 23 mai 2021 au 23 novembre 2021.
Les bailleurs ajoutent que ces contrats mentionnent expressément la volonté formelle exprimée des parties, d'un commun accord entre elles, de déroger au statut des baux commerciaux résultant des articles L 145-1 et suivants du code de commerce.
Mme [Y] justifie cependant être restée en possession des lieux et avoir exploité les locaux postérieurement à l'expiration du premier bail dérogatoire et ce, de manière continue.
Elle verse en effet aux débats :
- des factures d'eau couvrant la période allant d'avril 2018 à septembre 2021,
- des factures d'électricité couvrant la période allant de septembre 2018 à février 2022,
- une attestation d'assurance délivrée le 22 juillet 2022 selon laquelle est souscrit depuis le 28 mai 2018 un contrat d'assurance dommages aux biens professionnels, concernant un bâtiment professionnel situé [Adresse 4] à [Localité 11], exploité en qualité de locataire comme restaurant,
- une attestation du cabinet comptable du 19 avril 2023 communiquant les chiffres d'affaires mensuels de l'exploitation arrêtés au mois de mars 2023, desquels il ressort que le restaurant a généré un chiffre d'affaires également en dehors des périodes non contractuellement visées et notamment en janvier 2019, février 2019, mars 2019, mai 2020, et chaque mois depuis décembre 2021, à l'exception des mois de décembre 2022 et janvier 2023.
Il est constant par ailleurs que Mme [Y] n'a jamais restitué les clés des locaux, et que les parties ne justifient d'aucun état des lieux de sortie.
Devant ces éléments objectifs, ni les attestations de clients, produites par les époux [O], affirmant que les lieux loués ne sont pas ouverts toute l'année (étant en outre observé que la plupart de ces témoignages sont emprunts d'une certaine animosité à l'égard de la preneuse), ni les différentes factures et tickets de caisse versés aux débats par les appelants, qui ne donnent aucune indication quant à la nature et au lieu des travaux qu'ils concernent, ne peuvent emporter conviction contraire. La propriété du matériel d'exploitation est indifférente.
La Cour de cassation retient que quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce (3e Civ., 8 juin 2017, pourvoi n° 16-24.045).
Les bailleurs n'ont manifesté leur intention de ne plus renouveler les relations contractuelles que le 14 octobre 2021.
Il est donc justement relevé par les premiers juges qu'en l'état d'une occupation continue des locaux, en accord avec les bailleurs, depuis l'entrée dans les lieux le 1er mai 2018 par Mme [Y], au premier bail dérogatoire a succédé un nouveau bail liant les parties soumis au statut des baux commerciaux.
Aucune renonciation à se prévaloir du statut des baux commerciaux tirée des termes des baux ultérieurs ne peut être opposée à Mme [Y], dès lors qu'en application de l'article L 145-5 du code de commerce, un bail soumis au statut des baux commerciaux lie légalement les parties, au terme d'un délai de trois ans durant lequel le preneur est laissé en possession dans les mêmes locaux, ce qui est le cas en tout état de cause depuis le 2 mai 2021.
La cour approuve les premiers juges qui retiennent dans ces circonstances l'application aux relations contractuelles du statut des baux commerciaux, et rejette les demandes des bailleurs tendant à considérer que Mme [Y] est occupante sans droit ni titre, à expulser cette dernière, et obtenir sa condamnation à des indemnités d'occupation et des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice, de telles demandes étant infondées.
Le jugement est confirmé.
- sur la demande indemnitaire formée par Mme [Y]
Mme [Y] sollicite réparation pour le préjudice subi par la perturbation opposée à l'exercice légitime de son activité commerciale. Elle fait état d'incursion violente du voisin, de violences verbales de ce dernier, de coupure de l'eau chaude par les bailleurs, ce qui a donné lieu à une lettre officielle de son conseil.
Les difficultés évoquées relativement à un voisin, ayant donné lieu à une audition devant les gendarmes, ne peuvent être imputées aux bailleurs.
Les allégations de coupure de l'eau chaude dans le local loué à l'initiative des bailleurs ne sont étayées par aucune pièce probante.
À défaut de caractériser un comportement fautif des époux [O], la demande formée n'est pas fondée et est rejetée.
- sur les frais irrépétibles et les dépens
Les époux [O] sont condamnés à payer à Mme [Y] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens d'appel. Les dispositions du jugement à ces titres sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute Mme [A] [Y] de sa demande indemnitaire ;
Condamne M. [K] [O] et Mme [W] [O] à payer à Mme [A] [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [K] [O] et Mme [W] [O] aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente
ARRÊT N°-189
N° RG 22/07389 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TLXG
(Réf 1ère instance : 22/01393)
Mme [W] [V] [O]
M. [B] [D] [X] [O]
C/
Mme [A] [Y]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
Assesseur : Madame Marie-France DAUPS, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Juin 2025
devant Madame Virginie PARENT et Madame Virgnie HAUET, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Septembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [W] [V] [O]
née le 18 Décembre 1950 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-François MOALIC de la SELARL MOALIC-COADOU, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [B] [D] [X] [O]
né le 19 Juillet 1952 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean-François MOALIC de la SELARL MOALIC-COADOU, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
Madame [A] [Y] exerçant en son nom personnel sous la dénomination commerciale L'[Z]
née le 23 Septembre 1969 à [Localité 9]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-Claude GOURVES de la SELARL CABINET GOURVES, D'ABOVILLE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
M. [K] [O] et Mme [W] [O] sont propriétaires de locaux sis [Adresse 5].
Ils ont donné à bail lesdits locaux à Mme [A] [Y], qui y exploite une activité de restauration, crêperie, fruits de mer, glacier, bar.
Plusieurs baux ont été signés entre les parties, en 2018 (durée de 6 mois), 2019 (durée de 8 mois), 2020 (durée de 7 mois) et pour le dernier selon un bail de 6 mois conclu le 23 mai 2021, l'échéance du bail étant fixée au 23 novembre 2021. Le loyer est fixé à la somme de 18 000 euros.
Suivant lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 octobre 2021, M. [K] [O] et Mme [W] [O] ont informé Mme [A] [Y] de ce qu'ils n'entendaient pas renouveler le contrat de bail conclu dans la mesure où ils souhaitaient procéder à la vente du local commercial et ont adressé au preneur une proposition d'achat à hauteur de la somme de 350 000 euros.
Le 8 novembre 2021, Mme [A] [Y] a indiqué se porter acquéreur du local commercial et de deux appartements situés au premier étage de l'immeuble. Un projet de promesse unilatérale de vente avec condition suspensive d'obtention d'un prêt était établi mais non régularisé par les parties.
Soutenant que Mme [A] [Y] s'est maintenue dans les lieux à l'expiration du bail sans droit ni titre et sans s'acquitter d'une quelconque somme, M. [K] [O] et Mme [W] [O] ont, suivant requête en date du 8 juin 2022, sollicité l'autorisation de l'assigner à jour fixe aux fins de voir ordonner son expulsion,. Cette autorisation leur a été donnée par ordonnance en date du 13 juin 2022.
M. [K] [O] et Mme [W] [O] ont alors assigné Mme [A] [Y] devant le tribunal judiciaire de Quimper suivant exploit en date du 29 juin 2022.
Par jugement en date du 22 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Quimper a :
- dit et jugé qu'au premier bail dérogatoire conclu le 24 avril 2018 ayant pris fin le 30 octobre 2018, a succédé un nouveau bail liant M. [K] [O] et Mme [W] [O] d'une part et Mme [A] [Y], d'autre part portant sur les locaux situés [Adresse 4] au [Adresse 10] soumis au statut des baux commerciaux,
- dit et jugé que Mme [A] [Y] occupe les locaux situés [Adresse 5] en exécution du bail commercial ainsi conclu,
- débouté M. [K] [O] et Mme [W] [O] de leurs demandes tendant à voir :
* dire et juger que la défenderesse occupe le local commercial situé [Adresse 5] sans droit ni titre depuis la date du 24 novembre 2021,
* ordonner son expulsion ainsi que celle de tout occupant de son chef, avec au besoin, l'assistance de la force publique,
* dire et juger que l'obligation de quitter les lieux sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et ce jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clés,
* condamner Mme [A] [Y] à leur verser les sommes de :
- 36 000 euros à titre d'indemnité d'occupation,
- 18 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
- 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- constaté que M. [K] [O] et Mme [W] [O] ne contestent pas la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [J] [Z],
- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle présentée par Mme [A] [Y] et M. [J] [Z] tendant à voir ordonner la signature par les parties du projet de promesse unilatérale de vente aux clauses et conditions figurant au projet qu'ils ont communiqué, dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de
300 euros par jour de retard passé ce délai, pendant un mois,
- condamné solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] à verser à Mme [A] [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire,
- rejeté toute autre demande,
- condamné solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- rejeté la demande présentée par Mme [A] [Y] et M. [J] [Z] tendant à voir condamner M. [K] [O] et Mme [W] [O] à supporter les frais d'exécution forcée de la présente décision.
Le 20 décembre 2022, M. [K] et Mme [W] [O] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 31 août 2023, ils demandent à la cour de :
À titre principal
- réformer la décision du tribunal judiciaire de Quimper en date du 22 novembre 2022 et constater la prescription de l'action en requalification du bail dérogatoire en date du 24 avril 2018,
- en conséquence, débouter Mme [A] [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- juger que Mme [A] [Y] occupe le local commercial situé [Adresse 4] à [Localité 12] sans droit ni titre depuis la date du 24 novembre 2021,
- ordonner son expulsion ainsi que celle de tout occupant de son chef avec au besoin l'assistance de la force publique,
- juger que l'obligation de quitter les lieux sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clefs,
À titre subsidiaire
- juger que le bail en date du 23 mai 2021 est arrivé à son terme le 23 novembre 2021,
- réformer la décision du tribunal judiciaire de Quimper en date du 22 novembre 2022,
- juger que Mme [A] [Y] occupe le local commercial situé [Adresse 4] à [Localité 13] sans droit ni titre depuis la date du 24 novembre
2021,
- ordonner son expulsion ainsi que celle de tout occupant de son chef avec au besoin l'assistance de la force publique,
- juger que l'obligation de quitter les lieux sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir et jusqu'au jour de complète libération des lieux et de remise des clefs,
- condamner Mme [A] [Y] à leur payer les sommes suivantes :
* 36 000 euros au titre de l'indemnité d'occupation depuis le 22 novembre 2022,
* 15 000 euros à titre de dommages-intérêts destinés à compenser le préjudice subi,
* 5 000 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile,
* les entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2023, Mme [A] [Y] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Quimper, pour l'ensemble des motifs retenus par les premiers juges ou pour tous autres motifs tels que ceux proposés à l'appui des présentes conclusions,
- rejeter la prétention de M. [K] et Mme [W] [O], comme irrecevable et mal fondée, tendant à déclarer prescrite sa demande tendant à se voir reconnaître le statut des baux commerciaux en défense à l'action menée contre elle aux fins de prononcer son expulsion,
- débouter M. [K] [O] et Mme [W] [O] de l'ensemble leurs demandes fins et conclusions plus amples ou contraires,
- condamner solidairement M. [K] et Mme [W] [O] à lui payer la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice qui lui est volontairement et fautivement causé par ses bailleurs du fait de la perturbation opposée au légitime exercice de son activité commerciale,
- condamner solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] à lui payer la somme supplémentaire de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement M. [K] [O] et Mme [W] [O] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les dispositions du jugement ne sont critiquées devant la cour qu'en ce qui concerne les demandes formées par les époux [O], rejetées par le tribunal.
- sur la relation contractuelle
Les époux [O] opposent à la demande de Mme [Y] de qualifier le bail en bail commercial, la prescription de son action. Ils entendent s'appuyer en ce sens sur la jurisprudence de la Cour de cassation en son arrêt du 25 mai 2023 n° 22-15.946. Ils exposent que cette prescription est biennale et court à compter du contrat de 24 avril 2018, de sorte que la demande reconventionnelle formée sur ce point le 23 septembre 2022 est, selon eux, prescrite.
À titre subsidiaire, ils contestent une telle qualification, citent les contrats passés entre les parties, dont les clauses excluent l'application du statut des baux commerciaux, sont claires et acceptées par elles, observent qu'à chaque début de location, la locataire remettait aux bailleurs des chèques de caution de 5 000 euros, qui n'étaient pas encaissés, ce qui manifeste sans contestation possible la connaissance de la précarité du bail. Une telle précarité ressort également, selon eux, des actes des bailleurs rappelant à Mme [Y] son obligation de quitter les lieux.
Ils observent que le matériel d'exploitation est leur propriété exclusive, qu'ils ont réalisé des travaux pendant la période de non occupation, et que les dépenses réalisées sont incompatibles avec l'existence d'un bail commercial et qu'il n'est pas justifié de l'exploitation du restaurant pendant les périodes non couvertes par le bail.
Mme [Y] soutient bénéficier du statut des baux commerciaux, en application des articles L 145-1, L 145-4 et L 145-5 du code de commerce.
S'agissant de la prescription qui lui est opposée, elle relève que les conclusions prises le 17 mars 2023 par les appelants ne comportent aucune prétention relativement à une éventuelle prescription et qu'ainsi, selon elle, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, les époux [O] sont irrecevables à l'invoquer.
En tout état de cause, elle considère que la prescription biennale applicable aux actions exercées au titre du statut des baux commerciaux, ne s'applique pas aux moyens de défense présentés par une partie afin de faire échec à une prétention de son adversaire, les défenses au fond pouvant être présentées en tout état de cause. Elle estime non applicable à l'espèce la jurisprudence citée concernant une action engagée par un locataire.
Pour sa part, elle cite un arrêt du 1er octobre 2014 de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (n°13-16.806), écartant l'application d'une prescription biennale.
Elle relève que les trois derniers contrats sont conclus en violation des dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux et notamment l'article L 145-5 du code de commerce, qui interdit à l'expiration de la durée contractuelle d'un bail dérogatoire, de conclure un nouveau bail entre les mêmes parties et dans le même local, et estime qu'une telle fraude interdit aux bailleurs de se prévaloir d'une quelconque renonciation du preneur à se prévaloir du statut des baux commerciaux.
Elle ajoute que les époux [O] ne démontrent pas que les locaux auraient été vidés entre chaque période de location dérogatoire et qu'elle n'aurait pas exploité son fonds de commerce pendant ces périodes. Elle souligne n'avoir restitué les clés à aucun moment, qu'aucun état des lieux de sortie n'a été dressé et affirme que la preuve de travaux réalisés par les bailleurs dans les locaux pendant la vacance des locaux n'est pas rapportée. Elle précise que pour sa part, elle a continué à assurer les locaux et poursuivi les abonnements induits par son activité commerciale, sans discontinuer depuis le 1er mai 2018, et que l'établissement est resté ouvert en dehors des périodes déterminées dans les contrats successifs à l'exception des périodes de confinement et d'interdiction d'ouverture faite à tous les restaurateurs.
Elle considère qu'au premier bail dérogatoire a succédé un nouveau bail liant les parties soumis au statut des baux commerciaux, et cite plusieurs jurisprudences ([8] 3ème ch. civ 22 janvier 2003 n° 01-16.490, Cass 3ème civ. 25 octobre 2018 n° 17-26.126).
Ainsi à défaut pour les bailleurs de justifier de leur volonté de ne pas poursuivre la relation contractuelle avant la fin de celle-ci, soit le 30 octobre 2018, date du seul bail dérogatoire, puisqu'ils n'ont entendu manifester une telle volonté que le 14 octobre 2021, elle considère qu'ils ne peuvent réclamer la libération des lieux.
À titre subsidiaire, elle demande la confirmation du jugement, au motif d'une occupation des lieux supérieure à trois ans, et qu'à supposer valable le dernier bail dérogatoire dont l'échéance était le 23 novembre 2021, elle a été maintenue dans les lieux au-delà de cette date, en accord du bailleur, les parties ayant convenu de la vente du bien.
Elle demande donc de confirmer les termes du jugement.
Les époux [O] soulèvent pour la première fois en cause d'appel, dans des conclusions notifiées le 31 août 2023, qui ne sont pas leurs premières conclusions d'appelants, une prescription de l'action en requalification du bail dérogatoire du 24 avril 2018.
L'article 910-4 du code de procédure civile, sans sa version applicable au litige, dispose :
À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802 demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions,
de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté pour le justiciable de soulever des moyens nouveaux. Tel est le cas de la prescription, soulevée en l'espèce pour s'opposer aux prétentions de Mme [Y], qui consistent à se prévaloir du statut des baux commerciaux pour s'opposer à la demande d'expulsion formée contre elle.
Les époux [O] sont recevables à invoquer la prescription.
L'article L 145-5 du code de commerce dispose :
Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans.
À l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.
Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier.
Lorsque le bail est conclu conformément au premier alinéa, un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location.
Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire.
La Cour de cassation retient que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article
L 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à prescription. (3e Civ., 25 mai 2023, pourvoi n° 21-23.007).
Tel est précisément le cas en l'espèce de la demande formée par Mme [Y] qui, pour s'opposer aux prétentions des bailleurs, par voie d'exception, invoque l'application du statut des baux commerciaux.
La jurisprudence citée par les bailleurs relative à une action en requalification d'un contrat en bail commercial n'est pas transposable à l'espèce.
La cour rejette le moyen tiré de la prescription.
Les bailleurs estiment être fondés à affirmer que Mme [Y] est sans droit ni titre depuis le 23 novembre 2021, car les parties sont liées par des baux intitulés 'bail commercial de courte durée article L145-5 du code de commerce' et que la durée cumulée de ces contrats n'excède pas 3 ans. Ils rappellent que ces contrats ont été conclus :
- le 24 avril 2018 pour une durée de 6 mois du 1er mai 2018 au 30 octobre 2018,
- le 15 mars 2019 pour une durée de 8 mois du 1er avril 2019 au 30 novembre 2019,
- le 2 juin 2020 pour une durée de 7 mois du 2 juin 2020 au 31 décembre 2020,
- le 23 mai 2021 pour une durée de 6 mois du 23 mai 2021 au 23 novembre 2021.
Les bailleurs ajoutent que ces contrats mentionnent expressément la volonté formelle exprimée des parties, d'un commun accord entre elles, de déroger au statut des baux commerciaux résultant des articles L 145-1 et suivants du code de commerce.
Mme [Y] justifie cependant être restée en possession des lieux et avoir exploité les locaux postérieurement à l'expiration du premier bail dérogatoire et ce, de manière continue.
Elle verse en effet aux débats :
- des factures d'eau couvrant la période allant d'avril 2018 à septembre 2021,
- des factures d'électricité couvrant la période allant de septembre 2018 à février 2022,
- une attestation d'assurance délivrée le 22 juillet 2022 selon laquelle est souscrit depuis le 28 mai 2018 un contrat d'assurance dommages aux biens professionnels, concernant un bâtiment professionnel situé [Adresse 4] à [Localité 11], exploité en qualité de locataire comme restaurant,
- une attestation du cabinet comptable du 19 avril 2023 communiquant les chiffres d'affaires mensuels de l'exploitation arrêtés au mois de mars 2023, desquels il ressort que le restaurant a généré un chiffre d'affaires également en dehors des périodes non contractuellement visées et notamment en janvier 2019, février 2019, mars 2019, mai 2020, et chaque mois depuis décembre 2021, à l'exception des mois de décembre 2022 et janvier 2023.
Il est constant par ailleurs que Mme [Y] n'a jamais restitué les clés des locaux, et que les parties ne justifient d'aucun état des lieux de sortie.
Devant ces éléments objectifs, ni les attestations de clients, produites par les époux [O], affirmant que les lieux loués ne sont pas ouverts toute l'année (étant en outre observé que la plupart de ces témoignages sont emprunts d'une certaine animosité à l'égard de la preneuse), ni les différentes factures et tickets de caisse versés aux débats par les appelants, qui ne donnent aucune indication quant à la nature et au lieu des travaux qu'ils concernent, ne peuvent emporter conviction contraire. La propriété du matériel d'exploitation est indifférente.
La Cour de cassation retient que quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est régi par les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce (3e Civ., 8 juin 2017, pourvoi n° 16-24.045).
Les bailleurs n'ont manifesté leur intention de ne plus renouveler les relations contractuelles que le 14 octobre 2021.
Il est donc justement relevé par les premiers juges qu'en l'état d'une occupation continue des locaux, en accord avec les bailleurs, depuis l'entrée dans les lieux le 1er mai 2018 par Mme [Y], au premier bail dérogatoire a succédé un nouveau bail liant les parties soumis au statut des baux commerciaux.
Aucune renonciation à se prévaloir du statut des baux commerciaux tirée des termes des baux ultérieurs ne peut être opposée à Mme [Y], dès lors qu'en application de l'article L 145-5 du code de commerce, un bail soumis au statut des baux commerciaux lie légalement les parties, au terme d'un délai de trois ans durant lequel le preneur est laissé en possession dans les mêmes locaux, ce qui est le cas en tout état de cause depuis le 2 mai 2021.
La cour approuve les premiers juges qui retiennent dans ces circonstances l'application aux relations contractuelles du statut des baux commerciaux, et rejette les demandes des bailleurs tendant à considérer que Mme [Y] est occupante sans droit ni titre, à expulser cette dernière, et obtenir sa condamnation à des indemnités d'occupation et des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice, de telles demandes étant infondées.
Le jugement est confirmé.
- sur la demande indemnitaire formée par Mme [Y]
Mme [Y] sollicite réparation pour le préjudice subi par la perturbation opposée à l'exercice légitime de son activité commerciale. Elle fait état d'incursion violente du voisin, de violences verbales de ce dernier, de coupure de l'eau chaude par les bailleurs, ce qui a donné lieu à une lettre officielle de son conseil.
Les difficultés évoquées relativement à un voisin, ayant donné lieu à une audition devant les gendarmes, ne peuvent être imputées aux bailleurs.
Les allégations de coupure de l'eau chaude dans le local loué à l'initiative des bailleurs ne sont étayées par aucune pièce probante.
À défaut de caractériser un comportement fautif des époux [O], la demande formée n'est pas fondée et est rejetée.
- sur les frais irrépétibles et les dépens
Les époux [O] sont condamnés à payer à Mme [Y] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens d'appel. Les dispositions du jugement à ces titres sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute Mme [A] [Y] de sa demande indemnitaire ;
Condamne M. [K] [O] et Mme [W] [O] à payer à Mme [A] [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [K] [O] et Mme [W] [O] aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente