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Décisions

Cass. 3e civ., 18 septembre 2025, n° 24-15.336

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Cass. 3e civ. n° 24-15.336

17 septembre 2025

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 février 2024), la société civile immobilière Santeny Leclerc (la bailleresse) a donné à bail à la société SO.HA.CO (la locataire), à compter du 1er janvier 1991 des locaux commerciaux consistant en plusieurs bâtiments à usage de bureaux, stockage, local social, archives et production industrielle, un pavillon d'habitation, des aires de stationnement et des espaces verts.

2. Un jugement du 14 septembre 2015 a condamné la bailleresse à réaliser divers travaux dans les lieux loués.

3. Le 29 juin 2018, invoquant un défaut de paiement des loyers et charges à leur échéance et des taxes foncières, ainsi qu'une impossibilité de continuer à exploiter les locaux sans danger, la bailleresse a notifié à la locataire un congé avec refus de renouvellement sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction, à effet au 31 décembre 2018.

4. Le 27 décembre 2019, la locataire a assigné la bailleresse en paiement d'une indemnité d'éviction. A titre reconventionnel, la bailleresse a réclamé l'expulsion de la locataire et sa condamnation à lui payer une certaine somme au titre des arriérés de loyers, charges et indemnités d'occupation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La bailleresse fait grief à l'arrêt de constater l'expiration du bail au 31 décembre 2018, de condamner la locataire à payer une indemnité d'occupation et de désigner un expert, avec mission notamment de rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction, de dire que la locataire sera redevable d'une indemnité d'occupation provisoire égale au montant du dernier loyer avant la prise d'effet du congé le 1er janvier 2019, et qu'elle demeure autorisée à les consigner sur un compte Carpa, alors « que le juge ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées ; qu'en ne visant pas les dernières conclusions déposées par la bailleresse intitulées « conclusions récapitulatives n°2 » mais ses conclusions antérieures qui avaient été déposées le 19 mai 2023, sans qu'il ne ressorte de son arrêt que les dernières conclusions aient été prises en compte, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des productions que les conclusions prétendument délaissées ne sont accompagnées d'aucun récépissé de communication via le « réseau privé virtuel avocat ».

7. Le moyen, qui manque en fait, n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La bailleresse fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le preneur à bail commercial ne peut se prévaloir de l'exception d'inexécution qu'à la condition que le manquement du bailleur rende les locaux loués impropres à l'usage auquel ils étaient destinés ; qu'en jugeant fondée l'exception d'inexécution soulevée par la locataire sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par la bailleresse dans ses conclusions d'appel, si les locaux avaient été exploités sans discontinuité et qu'ils n'étaient dès lors pas impropres à la destination à laquelle ils étaient destinés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et 1719 du code civil, ensemble l'article L. 145-17 du code de commerce ;

2°/ que les parties peuvent décider, par convention, d'exclure la règle de l'exception d'inexécution ou de l'aménager ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 145-17 du code de commerce ;

3°/ que, dans un contrat synallagmatique, la partie qui empêche l'autre d'exécuter sa prestation ne peut se prévaloir de l'exception d'inexécution ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée par la bailleresse, si la locataire avait refusé que les travaux soient exécutés et que, partant, elle ne pouvait se prévaloir de l'absence de travaux pour refuser de payer l'intégralité de son loyer, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 145-17 du code de commerce ;

4°/ qu'en jugeant par voie de pure affirmation qu'il n'était pas démontré que le bien ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions d'appel de la bailleresse qui soutenait que le rapport établi par la société Socotec démontrait la dangerosité du bien loué, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions d'appel de la bailleresse qui, s'appuyant sur des avis techniques de professionnels (Socotec, Couvreurs de France, Bureau d'études LDV), soutenaient que les travaux qui devaient être effectués imposaient une reconstruction complète du bâtiment, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

7°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions d'appel de la bailleresse qui exposaient que les travaux devant être effectués empêcheront la locataire d'exercer son activité, ce qui caractérise une perte totale de la chose et justifie un congé sans indemnité d'éviction, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°/ que , dans le rapport établi par la société Socotec qui était régulièrement produit aux débats, il était mentionné qu' « il n'est pas à exclure une ruine de l'ouvrage à court terme » ; il était encore rappelé « l'extrême avancée du pourrissement » au niveau de la toiture ; il était exposé que « les dégradations actuelles ne permettent pas de garantir la solidité des ouvrages » : qu'en jugeant cependant que la dangerosité du bâtiment n'était pas démontrée, la cour d'appel a dénaturé l'écrit clair et précis qui lui était soumis. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que la bailleresse n'avait pas satisfait aux conditions de forme de mise en oeuvre d'un congé sans offre de renouvellement et sans paiement d'une indemnité d'éviction, ne justifiant pas avoir préalablement mis en demeure le preneur par acte extrajudiciaire de cesser l'inexécution invoquée en reproduisant les termes de l'article L. 145-27 du code de commerce avant la délivrance du congé le 29 juin 2018.

10. En second lieu, elle a relevé, par une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis à son examen, sans dénaturation, que les travaux de réfection auraient dû être réalisés depuis plusieurs années par la bailleresse, que les désordres présentés par les lieux loués n'étaient pas assimilables à la perte de la chose, dès lors que plusieurs bâtiments étaient donnés à bail et que seul l'un d'entre eux présentait des dégradations importantes, que la bailleresse n'établissait pas une impossibilité pour la locataire de poursuivre l'exploitation, celle-ci continuant d'occuper le bâtiment D, et que les rapports versés aux débats se limitaient à mentionner la nécessité de « travaux préalables de charpente » « pour un remplacement à l'identique » sans qu'il soit justifié de la nécessité de démolir et de reconstruire l'immeuble entier.

11. Répondant ainsi aux conclusions dont elle était saisie, et abstraction faite des motifs surabondants visés par les première à troisième branches du moyen, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de retenir que la bailleresse, qui ne justifiait d'aucun des motifs prévus à l'article L. 145-17 du code de commerce, était redevable d'une indemnité d'éviction.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société civile immobilière Santeny Leclerc aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Santeny Leclerc et la condamne à payer à la société SO.HA.CO la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-huit septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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