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Décisions

CA Paris, 1re ch. C, 28 janvier 2001, n° 2000/08671

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

République islamique d'Iran

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pascal

Conseillers :

M. Matet, M. Hascher

CA Paris n° 2000/08671

27 janvier 2001

M. Abrahim Golshani, un citoyen des États-Unis d'Amérique et de l'Iran, a, le 19 janvier 1982, saisi le Tribunal des différends irano-américains siégeant à La Haye aux Pays-Bas, d'une demande en compensation financière de 1.710.712.450 dollars américains sur la base d'une prétendue expropriation de son droit de propriété sur la société Tehran Redevelopment Corporation et sur d'autres titres et biens sociaux, dont il était devenu propriétaire le 15 août 1978 en vertu d'un acte de cession notarié.

La troisième chambre du Tribunal des différends irano-américains, composée de MM. AJlison, Aghahosseini et de M. Arangio-Ruiz, président, ayant considéré que l'acte de cession et les déclarations de ses signataires n'inspiraient pas le degré minimum de confiance dans leur authenticité, a rendu, le 2 mars 1993, une sentence n° 546-812-3 dans laquelle :

"Le Tribunal décide comme suit : (a) La demande d'Abrahim Rahman Golshani est rejetée pour absence de titre de propriété. (b) Il s'impose à Abrahim Rahman Golshani de payer au gouvernement de la République islamique d'Iran la somme de 50.000 $ US."

M. Abrahim Golshani a, le 7 avril 2000, interjeté appel de l'ordonnance d'exequatur de cette sentence rendue à la requête du gouvernement de la République islamique d'Iran par le président du Tribunal de grande instance de Paris, le 1er février 1999.

M. Abrahim Golshani, qui demande l'infirmation de l'ordonnance querellée, conclut, sur le fondement de l'article 1502-1° du nouveau Code de procédure civile, au rejet de la demande du gouvernement de la République islamique d'Iran visant à accorder l'exécution de la sentence.

Il conclut par ailleurs à la condamnation du gouvernement de la République islamique d'Iran, outre aux dépens, à lui verser la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le gouvernement de la République islamique d'Iran demande à la Cour de déclarer irrecevable l'appel de M. Abrahim Golshani, qui était forclos le 8 août 1999 au plus tard, et, subsidiairement, la confirmation de l'ordonnance d'exequatur.

Le gouvernement de la République islamique d'Iran demande de condamner M. Abrahim Golshani, outre aux dépens, à lui payer la somme de 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, la Cour :

Sur la recevabilité de l'appel de M. Abrahim Golshani :

Considérant que le gouvernement de la République islamique d'Iran conclut à l'irrecevabilité de l'appel interjeté le 7 avril 2000 par M. Abrahim Golshani, à qui la sentence revêtue de l'exequatur avait été signifiée à parquet le 8 mars 1999 dans les conditions de l'article 684 du nouveau Code de procédure civile, M. Abrahim Golshani étant définitivement forclos à compter du 8 août 1999, soit deux mois après la notification, le 7 mai 1999, de la décision d'exequatur à l'épouse de M. Abrahim Golshani par l'Office of Foreign Litigation, Civil Division, Department of Justice, à Washington ;

Considérant que, d'après l'article 680 du nouveau Code de procédure civile, l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ;

Considérant que l'acte de signification du 8 mars 1999 énonce que le destinataire peut "former contre cette sentence arbitrale un recours en annulation devant la Cour d'appel de Paris dans un délai de un mois à compter de la date indiquée en tête du présent acte, outre une prolongation de deux mois dans les cas prévus aux articles 643 et 644 du nouveau Code de procédure civile" ;

Considérant que la seule voie de recours à l'encontre de la décision d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger est, selon les articles 1502 et 1503 du nouveau Code de procédure civile, l'appel de cette décision devant la Cour d'appel dont relève le juge qui a statué, lequel peut être formé jusqu'à l'expiration du délai d'un mois à compter de la signification de la décision du juge, tandis que le recours en annulation est la seule voie de contrôle des sentences arbitrales rendues en France en matière d'arbitrage international suivant l'article 1504 de ce même Code ;

Que la sentence rendue le 2 mars 1993 par le Tribunal des différends irano-américains, dont le siège est fixé à La Haye par l'article VI paragraphe 1 de la Déclaration du gouvernement de la République démocratique et populaire d'Algérie sur le règlement du contentieux entre le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement de la République islamique d'Iran, ne pouvait donc faire l'objet d'un recours en annulation comme faussement indiqué dans l'acte de signification du 8 mars 1999, qui ne répond pas ainsi aux exigences de l'article 680 du nouveau Code de procédure civile rappelées ci-dessus ;

Considérant que le gouvernement de la République islamique d'Iran expose qu'en raison de l'identité des cas d'ouverture de l'appel contre la décision d'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger et du recours en annulation à l'encontre d'une sentence rendue en France en matière d'arbitrage international, M. Abrahim Golshani, qui a d'ailleurs interjeté appel de l'ordonnance d'exequatur, n'a pas été privé d'organiser, comme il le soutient, sa défense dans les délais qui lui sont impartis en raison de l'irrégularité commise dans l'acte de signification du 8 mars 1999 ;

Mais considérant que la mention erronée, dans l'acte de notification d'un jugement, de la voie de recours ouverte ou de son délai, ne faisant pas courir le délai, l'appel interjeté le 7 avril 2000 à l'encontre de l'ordonnance d'exequatur du 1er février 1999 est recevable ;

Sur l'appel de l'ordonnance d'exequatur du 1er février 1999 pour absence de convention d'arbitrage (article 1502-1° du nouveau Code de procédure civile) :

M. Abrahim Golshani expose que les accords d'Alger du 19 janvier 1981 conclus entre les États-Unis et l'Iran ont institué un tribunal dont la nature arbitrale a été mise en doute, notamment en raison de l'impossibilité pour les demandeurs non étatiques de s'adresser à un autre juge que celui qui est ainsi, de fait, imposé.

Il soutient dès lors que le Tribunal des différends irano-américains a statué sans convention d'arbitrage et invoque un jugement rendu le 26 juillet 1985 par la High Court anglaise ayant refusé d'appliquer la Convention de New York de 1958 à la reconnaissance en Angleterre d'une sentence rendue par ce Tribunal.

Le gouvernement de la République islamique d'Iran estime qu'en engageant la procédure devant le Tribunal, M. Abrahim Golshani a renoncé à se prévaloir des irrégularités de la convention d'arbitrage qu'il n'avait pas antérieurement dénoncée.

Considérant que M. Abrahim Golshani, qui situe son appel dans le cadre de l'article 1502-1° du Nouveau Code de procédure civile, de même d'ailleurs que le Gouvernement de la République islamique d'Iran, ne demande pas le bénéfice de la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères à propos de laquelle les magistrats anglais avaient jugé dans l'affaire Dallai c/ Bank Mellat que les critères exigés par celle-ci au titre de la validité de la convention d'arbitrage n'étaient pas réunis dans le cas des décisions du Tribunal des différends irano-américains ;

Considérant que d'après les principes généraux de la Déclaration du Gouvernement de la République algérienne, démocratique et populaire, ayant servi d'intermédiaire dans la recherche d'une solution mutuellement acceptable à la crise dans les relations entre les États-Unis et la République islamique d'Iran qui découle de la détention de ressortissants américains en Iran :

"L'objectif des deux Parties, dans le cadre et en application des dispositions des deux Déclarations du Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, consiste à mettre fin à tous les litiges qui s'élèvent entre le Gouvernement de chaque Partie et les ressortissants de l'autre Partie, et à réaliser le règlement de toutes ces plaintes et y mettre fin par arbitrage irrévocable. Au moyen des procédures édictées dans la Déclaration relative à l'Accord de règlement du contentieux, les États-Unis conviennent de mettre fin à toutes les actions judiciaires devant les tribunaux américains qui font intervenir des plaintes de ressortissants et d'institutions des États-Unis contre l'Iran et ses entreprises d'État, d'annuler toutes saisies et jugements prononcés à leur occasion, d'interdire toutes poursuites ultérieures fondées sur lesdites plaintes et de mettre fin aux dites plaintes par arbitrage irrévocable" ;

Considérant que suivant la Déclaration du Gouvernement de la République démocratique et populaire d'Algérie sur le règlement du contentieux entre le Gouvernement des États-Unis d'Amérique et le Gouvernement de la République islamique d'Iran, il est, suivant l'article II :

"1. Par la présente ... institué un Tribunal arbitral international (le Tribunal des différends irano-américains) dans le but de statuer sur les demandes de ressortissants américains contre l'Iran et les demandes de ressortissants iraniens contre les États-Unis, ainsi que sur les demandes reconventionnelles nées du contrat, de l'opération ou de l'événement qui fait l'objet de la demande principale du ressortissant, à condition que lesdites demandes et demandes reconventionnelles existent à la date du présent accord, qu'elles aient ou non été portées devant un tribunal quelconque, et qu'elles naissent de dettes, de contrat (y compris les opérations faisant l'objet de lettres de crédit ou de garanties bancaires), d'expropriations ou d'autres mesures affectant les droits de propriété, à l'exclusion des demandes décrites au paragraphe 1

1.        de la Déclaration du Gouvernement algérien du 19 janvier 1981 et des demandes découlant des actions prises par les États-Unis en réponse à la conduite décrite dans ledit paragraphe ("extinction des sanctions et des réclamations"), et à l'exclusion des demandes nées d'un contrat liant les Parties et prévoyant expressément que tout litige y afférent relèvera exclusivement de la juridiction des tribunaux iraniens compétents en réponse à la position des Majlis" (le Parlement iranien).

2. Le Tribunal sera également compétent pour connaître des demandes officielles des États-Unis et de l'Iran l'un contre l'autre, nées d'arrangements contractuels entre eux pour l'achat et la vente de biens et de services.

3. Le Tribunal sera compétent comme il est précisé aux paragraphes 16 et 17 de la Déclaration du Gouvernement algérien du 19 janvier 1981, pour connaître de tout litige relatif à l'interprétation ou de l'exécution de toute disposition de la présente Déclaration.

Considérant, qu'en l'état du principe de validité de la convention d'arbitrage, son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties ;

Considérant que les Déclarations ("les accords d'Alger"), signées par les États-Unis et la République islamique d'Iran grâce à la médiation de la République algérienne, démocratique et populaire, créent une juridiction arbitrale interétatique en vue de parvenir au règlement de nombreuses affaires du type défini à l'article 11 de la Déclaration sur le règlement du contentieux ci-dessus cité, à laquelle des personnes privées, physiques ou morales, peuvent soumettre certaines catégories de litiges, comme la prétention de M. Abrahim Golshani fondée sur l'expropriation de ses droits dans une société, au même titre que les États ou les organes ou entités contrôlés par ceux-ci ;

Considérant que d'après les accords d'Alger, seules les demandes des personnes privées dirigées contre les États-Unis ou l'Iran ou leurs subdivisions ressortissent de la compétence du Tribunal des différends à l'exclusion des demandes formulées par les États, organes ou entités contrôlés par ceux-ci contre les personnes privées américaines ou iraniennes, autrement que par voie reconventionnelle ;

Considérant que l'article VII paragraphe 2 de la Déclaration sur le règlement du contentieux déjà mentionnée, précise que : "Les demandes qui sont portées devant le Tribunal arbitral seront, à la date de leur dépôt devant le Tribunal, considérées comme exclues de la compétence des tribunaux de l'Iran ou des États-Unis, ou de tout autre tribunal" ;

Considérant que les personnes privées qui saisissent le Tribunal des différends irano-américains adhèrent par là-même à la convention d'arbitrage international conclue sous forme de traité entre les États-Unis et l'Iran et à laquelle elles deviennent parties ;

Considérant que M. Abrahim Golshani, qui a saisi le 19 janvier 1982 le Tribunal des différends irano-américains d'une demande d'indemnisation pour des faits d'expropriation, est par suite irrecevable à soutenir que le Tribunal des différends irano-américains a statué sans convention d'arbitrage ;

D'où il suit que l'ordonnance d'exequatur du 1er février 1999 doit être confirmée ;

Sur les dépens et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Considérant que M. Abrahim Golshani, qui succombe en son appel, supporte les dépens et ne peut prétendre à aucune indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre duquel il convient en revanche de le condamner à payer au Gouvernement de la République islamique d'Iran une somme de 30.000 F ;

Par ces motifs :

Déclare recevable l'appel de M. Abrahim Golshani, Confirme l'ordonnance rendue le 1er février 1999 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris ayant déclaré exécutoire en France la sentence n° 546-812-3 prononcée le 2 mars 1993 par la 3ème chambre du Tribunal des différends irano-américains ;

Condamne M. Abrahim Golshani à verser au Gouvernement de la République islamique d'Iran une somme de 30.000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et le déboute de sa demande à ce même titre ;

Condamne M. Abrahim Golshani aux dépens et admet la SCP Patrice Monin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

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