CA Paris, Pôle 1 - ch. 1, 17 mars 2015, n° 15/02556
PARIS
Arrêt
Confirmation
Le 27 mai et le 10 juin 1981, les sociétés de droit allemand THYSSENKRUPP et MAN ont conclu avec la république d'Irak un contrat ayant pour objet la construction d'un observatoire astronomique au sommet du Mont Korek en Irak.
Ce projet de construction ne devait pas être mené à son terme.
Un différend ayant opposé les parties en ce qui concerne le dénouement de leurs relations contractuelles, les sociétés THYSSENKRUPP et MAN ont, en application de la clause compromissoire stipulée au contrat, saisi le 27 novembre 2003, d'une demande d'arbitrage la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris à l'effet d'obtenir la condamnation de la République d'Irak au paiement de la somme de 6.374.959,51 euros et de la somme de 406.329,515 dinars irakiens.
Par une sentence finale rendue à Paris le 26 février 2007, le tribunal arbitral composé de MM. Burkard Lotz et Nayla Comair-Obeid, arbitres et M. Fathi Kemicha, Président, a condamné la République d'Irak à payer aux sociétés THYSSENKRUPP et MAN la somme de 6.374.959,51 euros et 406.329,515 dinars irakiens avec intérêt au taux de 5% à compter du 29 novembre 2003.
Le 14 juin 2013, la République d'Irak, Ministère du Logement et de la Construction a saisi cette cour d'un recours en annulation sur le fondement de l'article 1502 du code de procédure civile.
Par conclusions d'un incident du 3 décembre 2014, les sociétés THYSSENKRUPP et MAN ont demandé au conseiller de la mise en état de voir déclarer irrecevable pour être tardif le recours en annulation formé par la République d'Irak.
Par ordonnance du 22 janvier 2015, le conseiller de la mise en état a déclaré la République d'Irak recevable en son recours en annulation.
Par requête du 4 février 2015, les sociétés THYSSENKRUPP et MAN ont déféré cette ordonnance à la cour ;
Par conclusions signifiées le 23 février 2015 par A, les sociétés THYSSENKRUPP et MAN demandent à la cour de réformer l'ordonnance déférée, de déclarer irrecevable comme tardif le recours en annulation et condamner la République d'Irak à leur payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elles soutiennent à titre principal que les parties ont expressément renoncé à une notification par voie de signification tant dans l'acte de mission (paragraphe 2) qu'au regard des dispositions de l'article 28 du Règlement CCI (version 1998) ; que la sentence arbitrale a été notifiée à la République d'Irak le 4 mars 2007 et a été signifiée, en outre, par voie diplomatique à deux reprises le 7 juillet 2008 et le 10 août 2010 ce qui répond aux exigences de l'article 684 du Code de procédure civile; que l'indication des délais et voies de recours sur l'acte de notification en matière d'arbitrage international n'a pas lieu d'être, ce afin de respecter la commune intention des parties qui ont entendu se soumettre aux dispositions du Règlement de la Chambre de Commerce International; que le recours est, dès lors, tardif pour n'avoir pas été exercé dans le mois de la notification, conformément à l'article 1519 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 13 janvier 2011, applicables aux sentences arbitrales rendues antérieurement en vertu des dispositions transitoires prévues par l'article 3 dudit décret.
Subsidiairement, elles font valoir que le recours est tout aussi irrecevable sur le fondement des dispositions de l'ancien article 1505 du Code de procédure civile ; qu'en effet, à l'effet de procéder au recouvrement forcé de leur créance en Allemagne, elles ont sollicité et obtenu de la Cour d'appel de X, le 11 juin 2009, l'exequatur de la sentence arbitrale ; que cette décision a été signifiée à la République d'Irak le 10 août 2010, par voie diplomatique ; que cette signification est parfaitement valable pour répondre aux exigences posées par les articles 683 et suivants du Code de procédure civile en ce qui concerne les notifications faites à un Etat étranger.
Par conclusions en défense signifiées le 20 février 2015 par B, la République d'Irak demande à la Cour d'ordonner aux sociétés THYSSENKRUPP et MAN la communication du courrier de la CCI du 4 mars 2007, de les débouter de leur demande et de confirmer la recevabilité du recours ;
Il est observé en premier lieu qu'alors que les sociétés requérantes soutiennent que le délai du recours a couru à compter du courrier de notification de la CCI du 4 mars 2007, elle se sont abstenues, en dépit d'une sommation de communiquer du 3 novembre 2014, de produire ce courrier de notification dont elles n'ont communiqué que 'l'accusé de réception et suivi du courrier de notification de la sentence à la République d'Irak'.
La République d'Irak soutient par ailleurs que ni l'article 28 du Règlement CCI qui fixe exclusivement les conditions dans lesquelles l'institution d'arbitrage se libère de son obligation de délivrance de la sentence après règlement des frais ni le paragraphe 2 de l'acte de mission relatif aux 'adresses pour les communications et les notifications relatives à l'arbitrage' qui concerne uniquement
les échanges entre les parties, les arbitres et le Secrétariat de la Cour d'arbitrage ne valent renonciation à la notification par voie de signification de la sentence revêtue de la formule exécutoire prévue par l'article 1505 dans sa rédaction alors en vigueur.
Elle ajoute enfin que la signification de l'ordonnance d'exequatur rendue par la Cour d'appel de X, s'agissant d'une décision qui ne s'adresse qu'à une souveraineté déterminée, ne peut pas faire courir en France, où la Sentence a été rendue, le délai de recours en annulation.
SUR QUOI,
Considérant en premier lieu, que les conditions d'exercice du recours exercé contre une sentence rendue à Paris dans un arbitrage international sont régies par le code de procédure civile ;
que les sociétés THYSSENKRUPP et MAN invoquent inutilement que le délai de recours a couru à compter de la notification de la sentence à la République d'Irak par la CCI le 4 mars 2007 alors que selon les dispositions de l'article 1505 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 12 mai 1981, applicable à cette date, le recours ne cessait d'être recevable qu'à compter de la signification de la sentence déclarée exécutoire ;
qu'il ne peut être soutenu que les parties auraient renoncé à la formalité de la signification au profit d'une notification par la CCI tant par les stipulations figurant dans l'acte de mission (paragraphe 2) que par leur soumission au Règlement CCI (version 1998) dont l'article 28 prévoit que 'une fois la sentence rendue, le Secrétariat notifiera aux parties le texte signé par le Tribunal arbitral' ;
qu'en effet, d'une part l'article 2 de l'acte de mission, d'ailleurs exclusivement produit en langue anglaise, se borne à définir le mode de communication des parties avec le tribunal arbitral et le secrétariat de la cour internationale d'arbitrage de lac CCI au cours de l'instance d'autre part les dispositions à portée générale de l'article 28 du Règlement ne fixent que les conditions dans lesquelles l'institution d'arbitrage se libère de son obligation de délivrance de la sentence, après règlement des frais, enfin, si l'article 1519 prévoit désormais la possibilité pour les parties de renoncer à la signification, ce texte issu du décret du 13 janvier 2011 et applicable à compter du 1er mai 2011 n'était pas en vigueur à la date de la notification du 4 mars 2007;
Considérant par ailleurs que suivant l'article 684 du Code de procédure civile : 'L'acte destiné à être notifié à un Etat étranger, à un agent diplomatique étranger en France ou à tout autre bénéficiaire de l'immunité de juridiction est remis au parquet et transmis par l'intermédiaire du ministre de la justice aux fins de signification par voie diplomatique, à moins qu'en vertu d'un règlement communautaire ou d'un traité international la transmission puisse être faite par une autre voie';
que la France n'étant pas liée à l'IRAK par une convention réglant les conditions de notification des actes de procédure, ce sont les dispositions nationales relatives à la transmission par la voie diplomatique qui s'appliquent en l'espèce;
que par ailleurs, l'acte de notification à une partie doit mentionner, aux termes de l'article 680 du Code de procédure civile applicable en matière d'arbitrage international, l'existence et les conditions d'exercice des voies de recours ;
que par suite, les notifications par voie diplomatique des 7 juillet 2008 et 10 août 2010 qui ne répondent pas aux prescriptions des articles précités, les actes ayant été remis par l'Ambassade d'Allemagne à Bagdad en main propre au Ministère des Affaires Etrangères irakien, sans indication des modalités des voies de recours ouvertes, n'ont pu faire courir le délai de recours étant relevé de surcroît que la sentence ayant été rendue au terme d'un arbitrage ayant son siège à Paris, les dispositions de l'article 1505 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 12 mai 1981, applicables à la date des notifications revendiquées, imposaient que la sentence ait été préalablement déclarée exécutoire en France, la circonstance qu'elle ait été rendue exécutoire à l'étranger ne pouvant emporter d'effet;
qu'il convient, par suite, de confirmer la décision déférée.
PAR CES MOTIFS,
Confirme l'ordonnance déférée.
Condamne in solidum les sociétés de droit allemand THYSSENKRUPP et MAN aux dépens de l'incident.