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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-3, 18 septembre 2025, n° 22/04885

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/04885

18 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 66C

Chambre civile 1-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 SEPTEMBRE 2025

N° RG 22/04885 - N° Portalis DBV3-V-B7G-VKYO

AFFAIRE :

[R] [H]

C/

[Z] [P]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Mai 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° Chambre : 7

N° Section :

N° RG : 19/01363

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mandine BLONDIN, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [H]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Mandine BLONDIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 689

APPELANT

****************

Monsieur [Z] [P]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Monsieur [C] [X]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 6]

S.A.S. CONSILIUM

N° SIRET : 837 529 148

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Présidente et Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Présidente

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Madame Charlotte GIRAULT, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme FOULON

FAITS ET PROCEDURE

Le 24 décembre 2015, la société Axcelium, présidée par M. [Z] [P], spécialiste en Big Data, a cédé à la société Adneom, 100% du capital social de la société BGFI, société spécialisée en missions de conseils portant sur le Data et le Machine Learning.

La société BGFI, historiquement détenue à 100% par M. [P] et un autre actionnaire, est alors devenue une filiale de la société Adneom, société de conseil en système d'information et de nouvelles technologies (SSI).

M. [P] est resté « managing partner » de la société BGFI, et a dirigé l'équipe R&D de la société BGFI, composée de docteurs en disciplines quantitatives, avec M. [C] [X], docteur en physique nucléaire et physique des particules. Ils ont eu tous deux un rôle d'innovation et d'accompagnement des start-ups et des entreprises clientes du groupe Adneom, dans leurs phases de changement et d'innovation.

En parallèle de leur activité professionnelle, M. [P] et M. [X] ont travaillé à compter de la fin de l'année 2015 sur un projet de « Blockchain », défini comme une technologie de stockage et de transmission d'informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle », appelé « Neurochain » et présenté comme une projet de Blockchain nouvelle génération, cherchant à améliorer son fonctionnement par l'intégration du Machine Learning (apprentissage automatique) et de l'intelligence artificielle.

Le groupe Adneom a mis à la disposition de M. [P] et M. [X], des consultants facturés selon un tarif homme/jour, et le projet a intégré les locaux de la société BGFI, selon un accord de partenariat formalisé par un protocole daté du 6 mars 2018.

Le 3 mars 2017, à effet au 22 mars 2017, M. [H] a été embauché sous contrat à durée indéterminée par la société BGFI Consulting en qualité de « consultant Big Data ». Il a pris connaissance du projet Neurochain, et a travaillé à la demande de M. [X] sur une analyse portant sur les taux de collision, permettant de calculer la redondance du « paramètre Entropie », qui a donné lieu à un document « Entropy » adressé à M. [X] en août 2017.

Il a été mis fin à la période d'essai de M. [H] le 27 novembre 2017.

M. [X] a démissionné de son poste au sein de la société BGFI courant 2018 pour se consacrer à d'autres projets et notamment au projet Neurochain.

En février 2018, M. [P] et M. [X] ont créé par l'intermédiaire de leurs holdings, la société Consilium, aux fins de porter et financer le projet Neurochain, et d'exercer une activité de conseil.

Entre mars et avril 2018, la société Consilium a réalisé une ISO (Initial Coin Offering ou offre de jetons numériques), méthode de levée de fonds consistant à émettre des actifs numériques (tokens) pouvant être acquis en l'échange de cryptomonnaies (Ether ou Bitcoin en particulier), afin de financer le projet. Les jetons numériques en question ont été appelés Neurochain Clausius (NCC). Les acheteurs de ces jetons numériques ont ainsi acquis un droit d'accès à la plateforme Neurochain encore en construction.

Par courrier adressé en recommandé avec accusé de réception le 28 juin 2018, M. [H], par l'intermédiaire de son conseil, a mis en demeure la société Consilium de « reconnaître la paternité et l'importance de la contribution de Monsieur [H] à ce projet » et de « valoriser sa contribution en lui proposant une juste rémunération, en numéraire ou parts sociales », ce qui a été refusé par cette dernière.

Par acte d'huissier délivré le 9 janvier 2019, M. [H] a fait assigner la société Consilium, M. [P] et M. [X] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins notamment de constater l'existence d'une société créée de fait entre M. [H] et les défendeurs, d'octroyer à M. [H] la somme de 2 500 000 euros au titre de la liquidation de cette dernière et, à titre subsidiaire, la condamnation solidaire des défendeurs à lui verser la somme de 2 500 000 euros à titre d'indemnité sur le terrain de l'enrichissement sans cause.

Par jugement du 19 mai 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- débouté M. [H] de l'intégralité de ses demandes,

- condamné M. [H] à payer la somme de 5 000 euros à la société Consilium, M. [Z] [P] et M. [X] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Consilium, M. [P] et M. [X] du surplus de leurs demandes ou contraires,

- condamné M. [H] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par acte du 22 juillet 2022, M. [H] a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 21 octobre 2022, de :

- infirmer le jugement déféré,

Y faisant droit,

A titre principal,

- constater l'existence d'une société créée de fait entre lui, M. [P], M. [X] et la société Consilium et lui octroyer une juste compensation financière,

A titre subsidiaire,

- constater le bien-fondé de son action à l'encontre de M. [P], M. [X] et de la société Consilium sur le terrain de l'enrichissement sans cause,

Sur le plan indemnitaire,

A titre principal,

- condamner solidairement M. [P], M. [X] et la société Consilium à lui verser une somme de 2 500 000 euros correspondant à 10% des sommes levées au titre de l'ICO à défaut de la production de documents permettant de réaliser une évaluation plus précise,

A titre subsidiaire,

- condamner solidairement M. [P], M. [X] et la société Consilium à lui verser une somme de 250 000 euros correspondant à 10% du chiffre d'affaires réalisé au titre des actifs levés dans le cadre de l'ICO à défaut de la production de documents permettant de réaliser une évaluation plus précise,

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner solidairement M. [P], M. [X] et la société Consilium à lui octroyer une somme en token équivalente à celle perçue par les fondateurs et notamment à M. [P] et M. [X],

En tout état de cause,

- dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner in solidum M. [P], M. [X] et la société Consilium :

* au versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions du 31 mars 2025, M. [P], M. [X] et la société Consilium prient la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [H] à verser à chacun des défendeurs la somme de trente-cinq mille euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [H] aux dépens.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur le moyen tiré de l'existence d'une société créée de fait

M. [H] fait grief au tribunal d'avoir écarté sa demande indemnitaire fondée sur l'existence d'une société créée de fait, alors que les conditions sont réunies :

- l'existence d'apports est établie par ses différentes contributions au projet Neurochain, en particulier son travail du mois d'août 2017 qui a alimenté le « white paper » ayant permis la levée des fonds, et qui ont perduré même après la fin de sa période d'essai ;

- il rapporte la preuve d'une participation effective à une activité commune à l'ensemble des parties, en vue d'un objectif économique commun, sans qu'il y ait lieu de rechercher une volonté de collaborer de manière égalitaire ;

- l'attitude de MM. [P] et [X] à son égard, lui laissait entendre qu'il serait associé au projet Neurochain, en tant que « Team member » intéressé à ce titre aux bénéfices et aux pertes éventuelles.

La société Consilium SAS, M. [P] et M. [X] estiment au contraire que les critères de la société créée de fait ne sont pas réunis :

- il n'existe aucun apport en industrie puisque M. [H] n'a fait que répondre à de simples tâches d'exécution dans le cadre de son contrat de travail, sollicitées par MM. [P] et [X] qui étaient ses supérieurs hiérarchiques ; M. [H] n'a pas participé à la direction effective du projet et ses analyses sur « l'entropie » n'avaient rien d'innovantes ; son travail sur le « taux de fraude », bien qu'accompli après la fin de sa période d'essai, n'entretenait aucun lien avec le projet Neurochain ;

- aucun affectio societatis n'a jamais existé entre M. [H] d'une part, et MM. [P], [X] et la société Consilium d'autre part, dans la mesure où il n'a jamais existé de volonté de collaboration égalitaire et qu'il a seulement été envisagé l'intégration de M. [H] dans l'équipe du projet Neurochain en vue de lui proposer un contrat de travail qui n'a finalement jamais été signé en raison de ses prétentions salariales trop élevées ;

- il n'a jamais été proposé à M. [H] de participer aux bénéfices ou aux pertes du projet ; le projet n'a d'ailleurs pas vocation à faire naître de bénéfices, puisqu'il s'agit seulement d'introduire une nouvelle technologie dans l'espoir qu'elle soit adoptée par le plus grand nombre ; la levée de fonds n'avait pas pour objet de rémunérer les investisseurs mais de développer la technologie sur plusieurs années ; M. [H] n'a en outre aucunement contribué aux frais de développement de la société Consilium.

Sur ce,

La société créée de fait, au sens de l'article 1873 du code civil, désigne la société que ses associés n'ont pas eu conscience de créer et qui doit être considérée comme telle au regard des circonstances de la cause et du comportement des parties impliquées.

Il est de jurisprudence constante qu'il incombe à celui qui se prétend l'associé de rapporter la preuve d'apports, d'établir l'intention commune de participer au résultat de l'entreprise commune et l'affectio societatis, c'est-à-dire la volonté commune de collaborer avec les autres associés sur un pied d'égalité.

Par application de l'article 1871 du code civil, la société créée de fait se prouve par tous moyens.

En l'espèce, M. [H] a été embauché, à l'âge de 25 ans, par la société BGFI Consulting selon les termes d'un contrat de travail ayant pris effet à compter du 22 mars 2017 avec pour mission d'intervenir sur des missions de conseil, d'exploiter et de valoriser des données en utilisant des techniques statistiques ou des algorithmes. Son contrat de travail a pris fin à l'expiration de sa période d'essai renouvelée une fois, en novembre 2017.

M. [H] explique avoir été informé en janvier 2018 de la publication d'une « technical whitepaper », soit un rapport destiné à présenter des informations à la communauté scientifique relative au projet de Neurochain, sur lequel il avait travaillé. Il indique avoir constaté que ce document reprenait intégralement certains des travaux qu'il avait adressés à MM [P] et [X], qui dirigeaient l'équipe R&D de la société BGFI.

Il est question d'un document technique, dénommé « Entropy », comptant plusieurs versions datées des mois d'août et octobre 2017 et présentant un résultat d'analyse sous forme de graphiques et de codes, qui a été placé dans les annexes du Whitepaper, sous l'intitulé « statistical analysis of weighted entropy ».

Indépendamment de la question de la paternité de ce travail ou encore de son originalité, la question est posée de savoir si cette participation non contestée de M. [H] au projet Neurochain constitue un apport en industrie, en tant qu'élément constitutif d'une société créée de fait.

Or, force est de constater, à la suite du tribunal, que les documents litigieux ont été transmis par M. [H] alors qu'il était employé par la société BGFI pour exécuter les tâches attendues d'un consultant Big Data.

Les intimés expliquent sans être utilement contredits qu'à partir de l'année 2017 le groupe Adneom, a souhaité participer au développement du projet initié par MM [P] et [X] en 2015, raison pour laquelle la société BGFI, filiale d'Adneom, employant M. [H] est devenue prestataire de services pour MM [P] et [X], en mettant à leur disposition des consultants facturées selon un tarif homme/jour avant même qu'un « protocole d'entente » ne soit formalisé à cette fin le 6 mars 2018.

Cette présentation est confirmée par M. [S], directeur opérationnel de BGFI Consulting, qui atteste : « nous avions la possibilité de proposer une relation contractuelle pour le développement de la solution [projet Neurochain] tout en formant gracieusement nos profils juniors sur un projet à très haute valeur ajoutée, situation dont a bénéficié M. [R] [H] ». Elle est au demeurant conforme à la présentation faite par M. [O], directeur général de la société Adneom, dans l'attestation versée aux débats.

En contrepoint, il n'est ni démontré ni explicitement allégué par M. [H] que celui-ci aurait accompli ce travail en parallèle et indépendamment de ses fonctions de consultant auprès de la société BGFI qui l'employait et le rémunérait à cette fin.

Il se déduit de ces éléments que la contribution de M. [H] au projet Neurochain, sous la forme du document « entropy », a eu lieu dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. A ce titre, elle traduit l'accomplissement d'une tâche d'exécution matérielle sans lien avec la direction effective de l'entreprise commune alléguée.

Plus avant, M. [H] soutient que sa collaboration au projet Neurochain s'est poursuivie plusieurs mois après son départ de la société BGFI et mentionne des « analyses de détection de fraude ». S'il est établi par les échanges de messages électroniques versés aux débats que des relations de nature professionnelle ont effectivement perduré entre M. [H] et M. [X] après la fin du contrat de travail, entre les mois de décembre 2017 et avril 2018, la seule contribution démontrée de M. [H] consiste en l'envoi, le 14 janvier 2018, d'un document intitulé « Fraud Detection techniques » dont le lien avec le projet Neurochain est contesté par les intimés, et n'est de fait pas démontré par M. [H] sur qui pèse la charge de la preuve de l'existence d'un apport en industrie. Même à supposer ce lien établi, une contribution ponctuelle et exécutive, non insérée dans une logique de direction commune, ne saurait suffire.

En outre, il se déduit des copies de messages électroniques versées aux débats que M. [H] recevait des instructions de la part de M. [X] auquel il rendait compte de ses retards et absences, ce qui accrédite l'existence du lien de subordination mis en avant par M. [S] et M. [O] dans leur attestation respective.

Or, l'existence d'un lien de subordination entre les prétendus associés exclut la reconnaissance de l'affectio societatis typique du contrat de société tant que ce lien existe et caractérise la relation entre les intéressés.

Le fait que M. [X] ait accompagné la recherche d'emploi de M. [H], comme le démontrent certains échanges, et ce, avant même la fin de la période d'essai auprès de BGFI (pièces 10 et 11 des intimés) ne fait certes pas obstacle à l'affectio societatis, mais la volonté commune de s'associer ne peut pas pour autant se déduire de toute implication dans un projet porté collectivement.

Certes, M. [H] fait état de courriels relatifs au projet, datés du mois de janvier 2018, soit postérieurs à la fin de son contrat de travail. Il est question d'une invitation à une réunion sur la stratégie de communication, d'un mail d'information relatif à l'inscription du projet Neurochain sur un site mettant en relation des investisseurs avec des entrepreneurs, et d'un courriel présentant la marche à suivre pour confirmer son adhésion au projet.

Force est néanmoins de constater que M. [H] était destinataire de ces mails, au même titre que d'autres personnes extérieures à la cause et dont il n'est pas prétendu qu'elles seraient les autres associés de la société créée de fait. Ces éléments corroborent seulement les dires de M. [H] selon lesquels il lui aurait été proposé d'intégrer l'équipe en tant que « Team member », mais non le fait que malgré son accord son intégration dans l'équipe lui aurait été refusée (conclusions §32) ou encore, et surtout, qu'il lui aurait été promis une association à la direction d'une entreprise commune.

D'une manière générale, les pièces versées aux débats ne permettent pas de considérer que l'implication de M. [H] dans le projet Neurochain ait été animée par une intention commune de le faire collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation du projet au même titre que M. [X] et M. [P]. Elles montrent au contraire que même après la fin de son contrat de travail auprès de la société BGFI, M. [H] a conservé une place d'exécutant incompatible avec la qualité d'associé (courriel du 19 janvier 2018 de M. [X] à M. [H] : « Momo tu as avancé sur le registre BlockChain et détection d'anomalies ' » ; SMS du 6 avril 2018 : « Momo tu as analysé le fichier de la dernière fois ' » ; SMS du 23 avril 2018 : « Tu as avancé sur le truc ' »).

Ces circonstances ne permettent donc pas davantage de caractériser l'affectio societatis exigé d'une société créée de fait.

Enfin, contrairement à ce qui est affirmé par M. [H], la seule invitation à intégrer l'équipe en tant que « Team member », ne saurait caractériser l'intention de faire participer M. [H] aux bénéfices et aux pertes de la société. Il n'est en effet apporté aucune précision sur ce que revêt précisément cette qualité, ce qui ne permet pas d'en déduire qu'elle induirait une forme quelconque de participation aux bénéfices et aux pertes. En l'absence de contribution avérée de M. [H] au projet après la fin de son contrat de travail, il ne peut pas même être déduit de l'existence d'un travail non rémunéré une forme de contribution aux pertes.

Par ailleurs, les intimés expliquent sans être contredits qu'alors que les entretiens d'embauche de M. [H] n'aboutissaient pas, M. [X] a continué à former M. [H] et qu'il a fini par lui proposer un contrat de travail au sein de la société Consilium sans que toutefois les parties parviennent à un accord en raison des prétentions salariales de M. [H]. Or, ces circonstances qui peuvent au mieux révéler l'existence d'un processus de recrutement, ne révèlent aucune volonté aboutie de faire participer M. [H] aux résultats de l'entreprise.

Enfin, à supposer même que l'ICO (Initial coin offering ou offre au public de jetons) ait permis la collecte de 15 000 Ethers, aucun élément ne précise la valorisation nette, l'affectation des fonds ni leur inscription durable au patrimoine de la société ou des intimés, de sorte que les prétendus bénéfices ne sont pas objectivement mesurables.

En somme, les critères de la société créée de fait n'étant pas réunis, c'est à bon droit et selon une appréciation exacte des circonstances de la cause que le tribunal a rejeté ce moyen formulé au soutien des demandes indemnitaires de M. [H].

2. Sur le moyen tiré de l'enrichissement injustifié

M. [H] indique qu'il a consacré un temps important au projet Neurochain, que son travail a permis à la société Consilium de lever 15 000 Ethers dans le cadre de l'ICO, et que se retrouvent ainsi réunies les conditions posées par l'article 1303 du code civil.

Les intimés font valoir, d'une part, qu'ils n'ont pas vu leur patrimoine s'accroître du fait du travail de M. [H], que la société Consilium est un « centre de coût » visant le financement du projet, qu'elle présente d'ailleurs un résultat déficitaire, et que MM [P] et [X] n'ont perçu de la part de cette société aucune rémunération. Ils estiment, d'autre part, que M. [H] ne s'est pas appauvri étant donné qu'il a travaillé sur le projet Neurochain dans le cadre de son contrat de travail et qu'il ne peut y avoir enrichissement sans cause dès lors que l'enrichissement et l'appauvrissement trouvent leur cause dans un contrat de travail.

Sur ce,

L'article 1303 du code civil dispose qu'en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.

Le demandeur à l'action doit ainsi établir que le défendeur s'est enrichi à son détriment et que l'appauvrissement corrélatif qui en est résulté ne trouve sa justification, ni dans une convention ni dans une disposition légale ou réglementaire.

En l'espèce, la contribution que M. [H] considère comme « absolument essentielle » au projet Neurochain, correspond au travail qu'il a effectué sur le document « entropy » dont il est rendu compte dans le « whitepaper » ayant accompagné la levée des fonds nécessaires au financement du projet. Or, ce travail a été effectué dans le courant de l'année 2017, soit à une époque où M. [H] était employé comme consultant par la société BGFI dont MM. [X] et [P] dirigeait l'équipe R&D. Le temps consacré au projet trouve ainsi sa cause dans le contrat de travail de M. [H].

S'il apparaît que M. [H] a été sollicité par M. [X], à qui il rendait compte de son travail, après la fin de son contrat de travail le 27 novembre 2017, aucune pièce versée aux débats ne permet d'identifier ni de mesurer un apport spécifique et quantifiable de M. [H] au projet Neurochain au-delà de cette date. Le seul travail démontré correspond à un document intitulé « Fraud Detection techniques ». Or, celui-ci, d'une part, est postérieur à la diffusion du Whitepaper et ne s'y retrouve donc pas, et, d'autre part, son lien avec le projet Neurochain, contesté par les intimés, n'est pas établi. À supposer ce lien établi, la contribution resterait ponctuelle et de nature exécutive, insuffisante à caractériser un enrichissement injustifié.

Au surplus, il ne résulte d'aucune pièce que l'ICO réalisée entre mars et avril 2018 ait permis de déterminer la valorisation nette des fonds effectivement restés dans le patrimoine de la société Consilium ou, a fortiori, tout enrichissement personnel au profit de MM. [P] et [X]. Le montant brut collecté n'informe ni sur les flux financiers postérieurs, ni sur l'affectation de ces ressources, ni sur leur éventuel maintien dans ce patrimoine.

Ainsi, l'enrichissement allégué n'est pas démontré tant dans son principe que dans son montant. Chacune de ces constatations suffit à écarter la demande, de sorte que c'est à bon droit et par une exacte application de l'article 1303 du code civil que le tribunal a rejeté ce chef de prétention.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [H] de ses prétentions indemnitaires.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [H] aux dépens de première instance ainsi qu'au règlement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [H] succombant à hauteur d'appel supportera les dépens de l'instance d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Les intimés réclament sans produire le moindre justificatif la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, quand l'équité commande de faire droit à cette demande dans la limite de la somme de 3 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne M. [R] [H] aux dépens de l'appel,

Condamne M. [R] [H] à payer la somme unique de 3 500 euros à la société Consilium SAS, M. [Z] [P] et M. [C] [X], ensemble, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Florence PERRET, Présidente et par Madame FOULON, Greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, La Présidente,

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