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Décisions

CA Orléans, ch. com., 18 septembre 2025, n° 23/01684

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Rubex (Sté)

Défendeur :

Pharmedicom (SAS), Pharmedistore (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chegaray

Conseillers :

Mme Chenot, M. Desforges

Avocats :

Me Bernardin, Me Devauchelle, Me Beaugé-Gibier

T. com. Orléans, du 8 juin 2023

8 juin 2023

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

La société Rubex, qui explique avoir été créée en 1975 par M. [B] [O] et avoir pour activité l'accompagnement des pharmacies et des entreprises dans leurs besoins d'équipement, d'agencement et de communication, a signé le 22 février 2019 avec M. [N] [U], agissant en tant que directeur général de la société Pharmedicom, dont l'objet est de réaliser des études et enquêtes auprès des pharmacies pour le recueil de données scientifiques et marketing, un accord de confidentialité valable pour une durée de 5 ans.

Il y était exposé :

- que M. [N] [U], ès-qualités de directeur de la société Pharmedicom, envisageait la possibilité d'acquérir tout ou partie de la société Rubex et souhaitait recevoir de la part de cette dernière un certain nombre d'informations à caractère confidentiel afin d'évaluer la valeur de la société et l'opportunité de la transaction,

- que l'accord visait à « arrêter les conditions de divulgation d'informations confidentielles et fixer les règles relatives à leur utilisation et leur protection ».

Aux termes de cet accord, la société Pharmedicom s'engageait notamment à ne pas divulguer à des tiers ni à utiliser pour son propre compte toutes informations qui lui auraient été communiquées ou révélées au cours des négociations ou de l'évaluation de l'activité, sans l'accord préalable du cédant, et à n'utiliser ces informations qu'à seule fin d'évaluer la société. La société Pharmedicom s'engageait par ailleurs à ne prendre contact qu'avec les conseils de la société Rubex, son personnel ne pouvant en aucun cas être sollicité sans l'accord préalable de M. [B] [O].

La société Pharmedicom a été dissoute le 12 novembre 2020.

M. [N] [U] est par ailleurs dirigeant de la société Pharmedistore, créée en 2017, laquelle exploite une « marketplace » dédiée aux pharmaciens.

Faisant état de ce que :

- M. [N] [U], par le biais de sa société Pharmedistore, avait débauché deux salariés commerciaux de la société Rubex sans solliciter l'accord préalable de M. [B] [O], au mépris de l'accord de signé entre les parties,

- qu'il avait par ailleurs, en violation de cet accord, utilisé des informations communiquées par la société Rubex pour son propre compte, et repris des procédés marketings et publicitaires de celle-ci,

- que la société Pharmedistore était entrée en contact directement avec les fournisseurs de son partenaire Pharmazon à [Localité 5], se présentant de façon mensongère comme étant la filiale de cette dernière,

- que dans ce contexte, elle avait mis en demeure M. [N] [U], en qualité de dirigeant des sociétés Pharmedistore et Pharmedicom, de cesser sans délai ses agissements et de lui restituer tous documents et informations communiqués dans le cadre de leur accord, en vain,

la société Rubex a fait assigner la société Pharmedicom, la société Pharmedistore ainsi que M. [N] [U] par acte du 23 novembre 2021 devant le tribunal de commerce de Tours, sollicitant dans ses dernières écritures la condamnation in solidum de ceux-ci :

- à cesser immédiatement toute violation du contrat de non divulgation et plus largement tout agissement déloyal à son encontre, ainsi qu'à lui restituer tous documents et/ou informations communiqués dans le cadre de cet accord, sous astreinte,

- à lui verser la somme de 40'000 euros en indemnisation des fautes contractuelles commises, outre intérêts,

- à lui verser une indemnité de 10'000 euros en réparation des actes de parasitisme perpétrés à son encontre.

Saisi par le président du tribunal de commerce de Tours d'une requête en dépaysement de l'affaire devant une autre juridiction au vu des liens existants entre M. [B] [O], juge nouvellement élu au tribunal de commerce de Tours, et la société Rubex dont il est le représentant légal, le premier président de la cour d'appel d'Orléans a ordonné le renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce d'Orléans par décision du 30 décembre 2021.

Par jugement du 8 juin 2023, le tribunal de commerce d'Orléans a :

- débouté la société Rubex de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Rubex à verser à M. [N] [U], à la société Pharmedicom et à la société Pharmedistore la somme de 2500 euros chacun au titre de procédure abusive,

- condamné la société Rubex à verser à la société Pharmedicom, à la société Pharmedistore et à M. [N] [U] la somme de 1500 euros à chacun d'entre eux au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

- rappelé que la présente décision est de droit exécutoire conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile compte tenu de sa compatibilité avec la nature de l'affaire,

- condamné la société Rubex aux entiers dépens, y compris les frais de greffe liquidés à la somme de 101,69 euros.

La société Rubex a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 7 juillet 2023 en intimant les sociétés Pharmedicom, Pharmedistore et M. [N] [U], et en critiquant expressément tous les chefs du jugement lui faisant grief.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2024, la société Rubex demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1104, 1231-1 et 1240 du code civil,

Vu l'accord de non-divulgation conclu en date du 22 février 2019,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la jurisprudence,

Vu le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Orléans en date du 8 juin 2023,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Orléans en date du 8 juin 2023 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :

* débouté la société Rubex de l'ensemble de ses demandes,

* condamné la société Rubex à verser à M. [N] [U], à la société Pharmedicom et à la société Pharmedistore la somme de 2 500 euros chacun au titre de procédure abusive,

* condamné la société Rubex à verser à la société Pharmedicom, à la société Pharmedistore et à M. [N] [U] la somme de 1 500 euros à chacun d'entre eux au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté la société Rubex de toutes ses demandes, fins et conclusions, plus amples ou contraires,

* rappelé que la décision est de droit exécutoire conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile compte tenu de sa compatibilité avec la nature de l'affaire,

* condamné la société Rubex aux entiers dépens, y compris les frais de greffe liquidés à la somme de 101,69 euros,

Et statuant à nouveau,

- condamner in solidum M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore à cesser immédiatement toute violation du contrat de non-divulgation et plus largement tout agissement déloyal à l'encontre de la société Rubex, dont notamment l'utilisation de la référence T54 pour la vente de ses sachets papier, ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- condamner in solidum M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore à restituer à la société Rubex tous les documents et/ou informations qui ont été communiqués par la société Rubex dans le cadre de l'accord de non-divulgation, ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, soit les documents et/ou informations suivants :

* accord de non-divulgation

* statuts de la société Rubex

* bail commercial conclu par la société Rubex

* comptes annuels de la société Rubex pour les années 2016, 2017, 2018 et 2019

* documents relatifs au budget de la société Rubex pour les années 2020 et 2021

* documents liés à la rémunération des salariés de la société Rubex

* liste des clients de la société Rubex pour les années 2018 et 2019

* liste des fournisseurs de la société Rubex pour les années 2018 et 2019

* liste des principaux concurrents de la société Rubex

* liste des immobilisations et des actifs de la société Rubex pour l'exercice 2019

* inventaire du matériel

* documents relatifs à la présentation de la société Rubex, son activité, son implantation et analyse SWOT

* plaquettes des activités de la société Rubex

- se réserver le pouvoir de liquider les astreintes,

- condamner in solidum M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore à verser à la société Rubex la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du préjudice subi par la société Rubex en lien avec les fautes contractuelles commises, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la lettre de mise en demeure en date du 24 septembre 2021,

- condamner in solidum M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore à verser à la société Rubex la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait des actes de parasitisme perpétrés à l'encontre de la société Rubex,

- débouter M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner in solidum M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore à verser à la société Rubex la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 21 mars 2025, les sociétés Pharmedistore, Pharmedicom et M. [N] [U] demandent à la cour de :

Vu l'accord de confidentialité et les pièces visées aux débats,

Vu les articles 1240 et suivants du code civil,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu le principe constitutionnel de liberté d'entreprendre,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce le 8 juin 2023 ayant débouté la société Rubex de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions et ayant condamné la société Rubex à verser à M. [N] [U], à la société Pharmedicom et à la société Pharmedistore les sommes de 2 500 euros chacun au titre de la procédure abusive et 1500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

- débouter la société Rubex de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Y ajoutant,

- condamner la société Rubex à verser à M. [N] [U], à la société Pharmedicom et à la société Pharmedistore la somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ce en cause d'appel,

- condamner la société Rubex aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 mars 2025. L'affaire a été plaidée le 24 avril suivant.

MOTIFS :

Sur la demande indemnitaire de la société Rubex au titre de la violation de l'accord de confidentialité :

Suivant l'article 2.1 de l'accord de confidentialité conclu le 22 février 2019, l'acheteur, à savoir M. [N] [U] agissant alors en tant que directeur général de la société Pharmedicom, s'est engagé à considérer strictement confidentielles et à ne pas divulguer à des tiers, ni à utiliser pour son propre compte, toutes informations qui lui auront été communiquées ou révélées ou qu'il aura acquises auprès du cédant au titre ou au cours des négociations ou de l'évaluation de l'activité, sans l'accord préalable, exprès et par écrit du cédant, la société Rubex.

L'article 2.5 exclut expressément du champ des informations confidentielles celles qui, à la date de la signature de l'accord ou postérieurement à celle-ci sont ou deviendraient publiquement et notoirement connues, en l'absence de toute faute de l'acheteur et de toute violation de l'accord, ainsi que les informations déjà en possession de l'acheteur et les informations divulguées par un tiers en droit de les divulguer.

Au titre des observations diverses figurant en fin d'accord, l'acheteur reconnaît aux termes de l'article 6.1 que le cédant subirait un préjudice certain et important en cas de non-respect de l'obligation de confidentialité, et l'article 6.2 précise que l'acheteur s'engage à ne prendre contact qu'avec ses conseils (expert-comptable et avocat dûment habilité), le personnel de la société Rubex ne pouvant en aucun cas être sollicité sans l'accord préalable de M. [B] [O].

Au soutien de sa demande indemnitaire formée à hauteur de 40 000 euros au titre de la responsabilité contractuelle des intimés, la société Rubex fait état d'une violation de l'accord de confidentialité en relevant :

- le débauchage de salariés par M. [N] [U] et sa société Pharmedistore au mépris selon elle de l'article 6.2 de l'accord prévoyant leur non-sollicitation,

- l'utilisation par les sociétés Pharmedicom/Pharmedistore et pour leur propre compte d'informations qu'elle estime obtenues dans le cadre de l'accord de non divulgation, relatives à :

* ses produits,

* ses process pour adapter les produits au client et pour assurer la pose, le réglage et le service après-vente nécessaire,

* ses fournisseurs,

ce en contravention avec l'article 2.1 dudit accord.

S'agissant en premier lieu du débauchage de salariés de la société Rubex, aucune clause de l'accord de confidentialité ne stipule une interdiction d'embaucher un salarié ou un ancien salarié de la société Rubex.

Ainsi que l'a parfaitement relevé le tribunal au visa de l'article 1188 du code civil suivant lequel le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ces termes, l'article 6.2 de l'accord, lorsqu'il stipule que l'acheteur s'engage à ne prendre contact qu'avec les conseils de la société Rubex, son personnel ne pouvant être en aucun cas sollicité sans l'accord préalable de M. [B] [O], doit s'interpréter dans le cadre de l'accord de confidentialité. Or l'objet de cet accord est seulement de régir « les conditions de divulgation d'informations confidentielles et fixer les règles relatives à leur utilisation et leur protection », comme le stipule l'exposé liminaire. L'article 6.2 interdit en réalité uniquement à l'acheteur de solliciter le personnel de la société Rubex afin d'obtenir les informations confidentielles définies au chapitre premier de l'accord.

Il ne saurait être dès lors considéré que l'embauche d'anciens salariés de la société Rubex par M. [N] [U] contrevient à cet article 6.2, sauf à dénaturer les termes de l'accord de confidentialité.

S'agissant en second lieu du grief relatif à l'utilisation d'informations couvertes par cet accord, l'appelante se garde de préciser quelles informations communiquées sous le sceau de la confidentialité auraient pu utiliser les intimés pour leur propre compte, sans les avoir déjà en leur possession ou avoir pu les obtenir par eux-mêmes en raison de leur caractère public ou notoirement connu. Elle ne se réfère à aucun document ou extrait précis de document figurant sur la liste des éléments confidentiels transmis dans le cadre de l'accord, ni à aucune information orale confidentielle communiquée dans une circonstance précise.

Dès lors qu'elle n'établit aucun lien entre une information déterminée et confidentielle et les griefs qu'elle élève à l'endroit des intimés, la société Rubex échoue à établir une quelconque violation de l'accord de confidentialité.

Aussi, et sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur l'opposabilité de cet accord signé par M. [N] [U] « agissant en tant que directeur général de la société Pharmedicom » à M. [N] [U] personne physique et à M. [N] [U] dirigeant de la société Pharmedistore, l'appelante ne pourra qu'être déboutée, par confirmation du jugement déféré, de sa demande indemnitaire formée à hauteur de 40'000 euros au titre de la responsabilité contractuelle des intimés.

Sur la demande indemnitaire de la société Rubex en réparation d'actes de parasitisme:

La société Rubex met en cause parallèlement la responsabilité délictuelle des intimés en leur reprochant des actes de concurrence déloyale, et plus précisément, le débauchage de ses salariés ainsi que des actes de parasitisme.

Elle sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 10'000 euros du fait des actes de parasitisme.

L'engagement de la responsabilité extra contractuelle d'une société ou d'une personne physique pour concurrence déloyale sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil suppose la démonstration d'une faute, intentionnelle ou non, résidant dans un procédé contraire à la loi, aux usages du commerce ou à l'honnêteté professionnelle de nature à fausser le jeu de la libre concurrence.

* Sur le débauchage de salariés de la société Rubex :

Outre le fait que la société Rubex ne sollicite aucune indemnisation au titre du débauchage de certains de ses salariés, limitant expressément sa demande indemnitaire aux actes de parasitisme qu'elle dénonce par ailleurs, il doit être rappelé que le réembauchage de salariés qui abandonnent régulièrement leurs fonctions et ne se trouvent débiteurs d'aucune obligation de non-concurrence ne devient illicite que lorsqu'il s'accompagne de man'uvres déloyales d'une part, et qu'il produit un effet de désorganisation d'autre part.

Or la société Rubex, au-delà de son grief, ne produit aucun élément de nature à démontrer non seulement une man'uvre déloyale de la part de M. [N] [U] et de sa société Pharmedistore, mais encore un véritable effet de désorganisation pour son entreprise, étant observé sur ces deux points :

- que la société Pharmedistore démontre quant à elle avoir embauché M. [T] et Mme [X], anciens salariés de la société Rubex, après avoir fait paraître une offre d'emploi sur le site Indeed à laquelle ces derniers ont régulièrement candidaté (pièces 14 à 16 Pharmedistore), ce qui s'accomode mal avec une manoeuvre déloyale,

- que ces deux salariés, dont le profil de commercial sédentaire ne faisait pas l'objet d'une qualification particulière, travaillaient au sein de l'entreprise Rubex depuis moins d'un an, un tel constat expliquant probablement que l'appelante ne parvienne pas à justifier d'une véritable désorganisation créée par leur départ (pièces 14 et 15 Rubex).

* Sur les actes de parasitisme reprochés aux intimées :

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542).

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme de démontrer la captation d'une valeur économique identifiée et individualisée, fruit de ses investissements (Com., 26 juin 2024, pourvois n° 23-13.535, 22-17.647, 22-21.497).

À cet égard, le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit (Com., 5 juillet 2016, pourvoi n° 14-10.108), et les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme (1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 14-20.310, Bull. 2017, I, n° 152).

En l'espèce, la société Rubex reproche aux intimés de s'être livrés à des actes de parasitisme à son détriment en :

- mettant en avant sur le site Internet de la société Pharmedistore des produits tels que des armoires réfrigérées, des croix de pharmacie ou encore des enregistreurs de température identiques aux produits de son catalogue, alors pourtant que M. [N] [U] et sa société Pharmedistore ne les proposaient pas avant de la rencontrer,

- copiant nécessairement son process pour adapter ces produits aux clients et en assurer la pose, le réglage et le service après-vente, dans la mesure où de tels produits achetés sans modification ni adaptations ne peuvent être utilisés par les pharmaciens,

- lançant une gamme de sacherie au nom de Pharmedistore, ce qui ne correspond pourtant pas au business model de marketplace de cette société qui passe uniquement par des revendeurs, ce après prise de contact avec un fabricant d'emballages en papier local dont M. [N] [U] n'a pu connaître l'existence que par elle, et d'avoir à cette occasion copié sa propre référence de sachet T54,

- plagiant son slogan « chaque pharmacie est unique »,

- entrant directement en contact avec son partenaire Pharmazon ainsi qu'avec les fournisseurs de celui-ci.

S'agissant de la mise en vente sur la marketplace de la société Pharmedistore de produits à destination des pharmaciens que vendait depuis plusieurs années la société Rubex, celle-ci ne démontre ni même ne prétend détenir un droit exclusif sur de tels produits qui lui permettrait d'interdire à la société Pharmedistore de les proposer sur sa plate-forme.

Par ailleurs, le prétendu copiage de process mis en 'uvre par ses soins pour adapter lesdits produits aux clients ou en assurer la pose ne relève que des seules allégations de l'appelante. Aucune pièce ne montre en effet que la société Pharmedistore serait allée au-delà de la vente en B to B de produits en s'appropriant des process particuliers de la société Rubex pour proposer des prestations de pose et d'adaptation.

S'agissant du grief nouvellement élevé par la société Rubex devant la cour ayant trait au copiage de sa propre référence de sachet « T54 », outre que la société Pharmedistore indique que sa référence est basée sur la taille du produit, d'où le « T », et qu'elle propose au même titre des sacs T70 et T84, de son côté la société Rubex ne démontre pas suffisamment la valeur économique individualisée et identifiée d'une telle référence, à défaut de rapporter la preuve d'une notoriété toute particulière de celle-ci dans le milieu des officines de pharmacie dont la société Pharmedistore aurait pu vouloir tirer profit, ou/et de justifier du travail particulier de conception et de développement que sa mise au point aurait nécessité. Par ailleurs l'intention de la société Pharmedistore d'imiter la référence fabriquée depuis plusieurs années par la société Rubex est d'autant moins avérée que le dessin de son sac se trouve être différent (pièces 36 Rubex et 20-1 Pharmedistore). Ni volonté, ni risque d'une confusion ou d'une captation parasitaire ne sont dans ces conditions établis.

Il en va de même du « slogan » que la société Rubex aurait mis en place en 2017 : « chaque pharmacie est unique ». L'appelante rappelle à cet égard avoir conclu un paragraphe de présentation de son catalogue du mois de septembre 2017 en écrivant « [...] créations sur mesure en fonction des demandes car chaque pharmacie est unique », puis avoir écrit sur sa revue du mois de janvier 2018, sous un gros titre « dessine-moi une pharmacie », l'accroche suivante : « Chaque pharmacie est UNIQUE, par son titulaire, son emplacement et sa clientèle... imaginez la vôtre ! ».

De son côté, la société Pharmedistore affichait en 2021 sur son site Internet l'encart suivant : « Votre pharmacie est unique, cultivez votre différence ».

Outre qu'il ne s'agit pas là de la reprise exacte d'une même expression, la société Pharmedistore montre qu'un tel aphorisme ne constitue pas un outil de communication propre à la société Rubex, se retrouvant communément sur d'autres sites tels que celui du groupe Ceido Santé (« chaque pharmacie est unique »), ou de Clement Pharma Concepts (« Créez l'atmosphère que vous voulez. Chaque pharmacie est unique »). Plus encore, sa simple saisie sur le moteur de recherche Google ne fait pas même ressortir la société Rubex en résultats de première page (pièces 12 et 13 intimés). La société Pharmedistore souligne également qu'un tel slogan n'apparaît ni sur la page Internet ni sur la page LinkedIn de la société Rubex (pièce 18 intimés).

L'appelante échoue dès lors à démontrer que les intimés, en ayant fait usage d'une telle expression, auraient volontairement créé un risque de confusion ou se seraient inscrits dans son sillage en s'appropriant son travail en matière publicitaire.

Enfin, il convient de rappeler que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a pour corollaire celui de la libre concurrence, et qu'il permet dès lors à tout professionnel de se rapprocher des fournisseurs ou partenaires de ses concurrents sans que ceux-ci puissent le lui reprocher. Il ne saurait dès lors être retenu à l'encontre de M. [N] [U] une faute de concurrence déloyale au seul motif qu'il a pris de lui-même l'initiative d'entrer en contact avec la dirigeante de la société Pharmazon, partenaire de la société Rubex, ou avec des fournisseurs des sociétés Rubex et Pharmazon.

Au total, la société Rubex ne fait pas la démonstration d'actes concurrentiels fautifs susceptibles d'ouvrir droit à une quelconque réparation, et elle sera donc également déboutée, par confirmation du jugement déféré, de sa demande indemnitaire formée à hauteur de 10'000 euros de ce chef.

Sur la demande formée par la société Rubex de condamnation sous astreinte à cesser la violation du contrat de non-divulgation et tout agissement déloyal:

La société Rubex ne démontrant ni la violation de l'accord de confidentialité, ni la commission d'actes de concurrence déloyale de la part des intimés, le jugement déféré sera encore confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation sous astreinte à cesser de tels agissements.

Sur la demande de la société Rubex de restitution sous astreinte des documents et/ou informations communiqués dans le cadre de l'accord de non-divulgation :

Dès lors qu'il est constant que les documents communiqués dans le cadre de l'accord de non-divulgation ont été transmis de manière dématérialisée, leur restitution matérielle apparaît impossible ou à tout le moins dépourvue de sens. Aussi la demande de restitution sous astreinte de tels documents sera rejetée, et le jugement déféré confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle des intimés pour procédure abusive :

Si la société Rubex échoue à rapporter la preuve d'une violation de l'accord de confidentialité ou d'actes de concurrence déloyale de la part des intimés, pour autant ces derniers ne caractérisent pas suffisamment l'existence d'une faute de l'appelante ayant fait dégénérer en abus le droit de celle-ci d'agir en justice, pas plus qu'ils n'établissent de préjudice autre que celui résultant de l'obligation dans laquelle ils se sont trouvés d'engager des frais pour faire valoir leurs droits.

Leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive doit donc être rejetée, et le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il l'a accueillie en condamnant la société Rubex à verser à chacun des défendeurs la somme de 2500 euros.

Sur les demandes accessoires :

La société Rubex, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et verra ses prétentions formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile rejetées.

S'il apparaîtrait inéquitable de laisser à la charge des intimés la totalité des frais irrépétibles exposés pour les besoins de leur défense, en revanche, compte tenu de la confusion entretenue par M. [N] [U] entre ses sociétés Pharmedicom et Pharmedistore -les pièces montrant en effet qu'il pouvait s'adresser à la société Rubex en qualité de dirigeant de l'une comme de l'autre, l'équité justifie de ne leur allouer qu'une seule indemnité de manière globale.

Par ailleurs, dès lors que l'appel interjeté par la société Rubex n'apparaît pas incongru au regard de l'infirmation de la disposition du jugement allouant au défendeur une somme totale de 7500 euros pour une procédure dont la cour ne retient pas le caractère abusif, et compte tenu par ailleurs des circonstances de l'espèce, cette indemnité au titre des frais irrépétibles sera limitée à 2000 euros pour l'ensemble de la procédure, première instance et appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Rubex à verser à chacun des trois intimés la somme de 2 500 euros au titre d'une procédure abusive outre celle de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la demande indemnitaire reconventionnelle de M. [N] [U] et de ses sociétés Pharmedicom et Pharmedistore au titre d'une procédure abusive,

Condamne la société Rubex à verser une unique indemnité de 2 000 euros à M. [N] [U], la société Pharmedicom et la société Pharmedistore pris ensemble, et ce au titre de l'entière procédure, première instance et appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Rubex de sa demande formée sur le même fondement,

Condamne la société Rubex aux dépens d'appel.

Arrêt signé par Madame Carole CHEGARAY, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT , Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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