CA Amiens, 2e protection soc., 18 septembre 2025, n° 23/04438
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[S]
C/
[E]
[14]
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Me [L] [S]
- M. [V] [E]
- [14]
- Me Mathilde LEFEVRE
- Me David BROUWER
- tribunal judiciaire
Copie exécutoire :
- Me [L] [S]
- Me Mathilde LEFEVRE
- Me David BROUWER
- [14]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
*************************************************************
N° RG 23/04438 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I45N - N° registre 1ère instance : 23/00206
Jugement du tribunal judiciaire de Lille (pôle social) en date du 04 septembre 2023
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Maître [L] [S] Es-qualité de mandataire judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la SAS [20] désignée à cette fonction suivant jugement du Tribunal
de commerce de [Localité 17] en date du 13/10/2020
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Mathilde LEFEVRE de la SCP MATHILDE LEFEVRE, AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Olivier PINCON, avocat au barreau de REIMS
ET :
INTIMES
Monsieur [V] [E]
[Adresse 6] [Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me David BROUWER de la SCP MOUGEL - BROUWER - HAUDIQUET, avocat au barreau de DUNKERQUE substitué par Me Jean-Charles COURTOIS, avocat au barreau de DUNKERQUE
[14]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Mme [X] [J], munie d'un pouvoir régulier
DEBATS :
A l'audience publique du 22 mai 2025 devant Mme Claire BIADATTI-BERTIN, présidente, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 18 septembre 2025.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame [L] [Localité 18]
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Claire BIADATTI-BERTIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :
M. Philippe MELIN, président,
Mme Claire BIADATTI-BERTIN, présidente,
et M. Pascal HAMON, conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 18 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Nathalie LÉPEINGLE, greffier.
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* *
DECISION
EXPOSE DU LITIGE
1. Les faits et la procédure antérieure :
M. [V] [E], né le 13 mars 1984, a été embauché en qualité de soudeur, à compter du 6 mai 2019 suivant contrat à durée déterminée, par la société [20] ([22]).
Le 13 novembre 2019, le chef de chantier de la société [22] a renseigné et signé une déclaration d'accident du travail survenu sur le chantier [15] à [Localité 16] le 12 novembre 2019 à 15 heures dont il résulte que « la victime a trébuché dans un sac poubelle posé au sol, et s'est cogné le genou sur la marche d'un escalier de chantier en aluminium'; la victime a continué à travailler malgré la douleur et constatation d'une plaie en dessous des vêtements de travail.'»
Le certificat médical initial établi le 13 novembre 2019 par M. le docteur [N] [Y] mentionne une «'contusion du genou gauche avec épanchement articulaire et légères dermabrasions'».
Par courrier du 8 janvier 2020 remis en mains propres à la [9] (la [13] ou la caisse) des Flandres, M. [E] a lui-même procédé à la déclaration de l'accident du travail survenu le 12 novembre 2019.
Par décision du 28 février 2020, la [14] a accepté de prendre en charge ledit accident professionnel.
Par jugement rendu le 13 octobre 2020 par le tribunal de commerce de Reims, la société [22] a été placée en liquidation judiciaire, et Maître [L] [S] désignée comme liquidateur judiciaire.
Suivant décision du 23 novembre 2023, la [14] a attribué à M. [E] une indemnité en capital de 721,65 euros réparant son incapacité permanente partielle fixée à 2 %.
M. [E] a saisi la [14] pour faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur'; la phase amiable s'est révélée infructueuse.
Par lettre recommandée du 8 février 2023 avec avis de réception, le conseil de M. [E] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lille afin de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 4 septembre 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Lille a notamment :
1. dit que l'accident du travail du 12 novembre 2019 de M. [E] était dû à la faute inexcusable de la société [22]';
2. fixé au maximum la majoration du capital versé à M. [E]';
3. dit que l'avance en serait faite par la [14]';
4. dit que cette majoration suivrait l'évolution du taux d'incapacité en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [E] dans les limites des plafonds de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale';
5. dit que la [13] pourrait récupérer au passif de la liquidation judiciaire de la société [19] le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [E] en fonction du taux qui était opposable à l'employeur';
6. ordonné, avant dire droit sur les demandes d'indemnisation des préjudice de M. [E] une expertise médicale judiciaire';
7. commis pour y procéder M. le docteur [O] [U] afin notamment d'évaluer les postes suivants': déficit fonctionnel temporaire'; assistance temporaire par une tierce personne'; souffrances endurées'; déficit fonctionnel permanent'; préjudice esthétique temporaire et permanent'; préjudice d'agrément'; préjudice de perte ou de diminution des possibilités de promotion professionnelle'; préjudice sexuel'; frais de logement adapté'; frais de véhicule adapté'; préjudice exceptionnel'; préjudice d'établissement'; frais pharmaceutiques';
8. dit que les frais d'expertise seraient avancés par la [13] qui pourrait en récupérer, au titre des dépens, le montant qui serait fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société [22]';
9. renvoyé l'affaire à une audience de mise en état dématérialisée devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, et dit que le jugement notifié valait convocation des parties à ladite audience';
10. ordonné le sursis à statuer sur les autres demandes, en ce compris celles au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, dans l'attente de l'expertise';
11. alloué une provision de 5 000 euros à M. [E]';
12. dit que la provision due à la victime serait avancée à M. [E] par la [13] et porterait intérêts au taux légal à compter du jugement devenu définitif';
13. dit que la [14] pourrait récupérer le montant de la provision à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société [22] dans le cadre de l'action récursoire, et que cette somme serait fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société';
14. dit que la liquidation judiciaire de la société [22] devrait rembourser à la [14] dans le cadre de l'action récursoire l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable qui seraient fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société';
15. dit, si la [13] ne pouvait récupérer l'ensemble des sommes allouées à M. [E] sur la société, que la totalité ou le reste des sommes allouées non remboursées devrait être imputé au compte spécial des accidents du travail et des maladies professionnelles en raison de la disparition de l'employeur';
16. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires';
17. dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Ce jugement a été notifié à Maître [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] par lettre recommandée du 4 septembre 2023 avec avis de réception non joint au dossier.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration enregistrée le 21 octobre 2023 via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2, 5, 6 à 8, 11 à 12, 13 ,14 ci-dessus.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle l'affaire a été renvoyée au 22 mai 2025.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 mai 2025, maintenues oralement par son conseil, Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] demande à la cour de':
- déclarer son appel recevable';
- réformer le jugement querellé en ce qu'il a':
* dit que l'accident du travail du 12 novembre 2019 de M. [E] était dû à sa faute inexcusable ;
* fixé au maximum la majoration du capital versé à M. [E] ;
* alloué une provision de 5 000 euros à M. [E] ;
* ordonné une expertise médicale judiciaire';
* dit que la [13] pourrait récupérer au passif de la liquidation judiciaire de la société [22] le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [E] en fonction du taux qui était opposable à l'employeur, ainsi que la provision allouée ;
* fixé au passif de la société [22] le montant de cette provision et l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable';
* dit que la liquidation judiciaire de la société [22] devrait rembourser à la [14] la totalité de ces sommes dans le cadre de l'action récursoire de la [13]';
statuant à nouveau,
- débouter la [14] de toutes ses demandes dirigées à l'encontre de Me [S] et de la société [22] comme étant irrecevables et non fondées pour défaut de déclaration de créance au passif dans les délais légaux, et contraires aux dispositions d'ordre public des articles L. 622-21 et L.'641-3 du code de commerce';
- débouter M. [E] de toutes ses demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale';
à titre subsidiaire,
- lui déclarer inopposable la décision à intervenir, ainsi qu'à la société [22],
à titre plus subsidiaire,
- limiter les demandes de M. [E] à 2 000 euros tous chefs de préjudices confondus';
Dans tous les cas,
- condamner solidairement ou in solidum M. [E] et la [14] au paiement de la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers faculté de recouvrement direct ou au profit de Maître Mathilde Lefevre, avocat, en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] fait valoir que :
- son second appel, formé le 21 octobre 2023 via le RPVA par déclaration au greffe de la cour d'appel d'Amiens est recevable'; en vertu des dispositions de l'article 2241 du code civil, la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible à la condition qu'au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité ne soit intervenue';
- le premier juge n'a pas répondu à son moyen tiré de l'absence de déclaration de créance de la [14] au passif de la liquidation judiciaire';
- la demande de la caisse tendant à juger que la liquidation judiciaire sera tenue de la garantir des conséquences financières de la faute inexcusable de l'employeur ne peut qu'être rejetée, toute action en paiement contre elle est interdite en application des dispositions d'ordre public figurant aux articles L. 622-21 et L. 641-3 et suivants du code de commerce';
- la caisse, invoquant l'article L. 622-24 du code de commerce, a estimé que sa créance était postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, alors qu'il s'agit bien d'une créance antérieure'; '
- par ordonnance du 6 novembre 2023, le juge-commissaire a rejeté la requête en relevé de forclusion de la caisse';
- le fait générateur d'une créance ne se confond pas avec sa date d'exigibilité'; la créance de la caisse est bien née avant l'ouverture de la procédure collective, dès lors que l'accident du travail est survenu le 12 novembre 2019, et que la caisse a accepté de le prendre en charge au titre de la législation sur les accidents du travail suivant décision du 20 février 2020';
- la caisse, n'ayant déclaré aucune créance au passif de la société [22], est irrecevable et, en tous les cas, mal fondée à en demander la fixation au passif et à agir en garantie';
- sur le fond, le salarié s'est pris les pieds dans un sac poubelle et s'est cogné le genou en tombant';
- la société [22] ne pouvait avoir conscience du danger alors qu'elle ne pouvait s'attendre à ce qu'un sac poubelle jonche le sol et que son salarié ne le voie pas.
4.2. Aux termes de ses conclusions communiquées le 22 mai 2025, soutenues oralement par son conseil, M. [E] intimé demande à la cour de':
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a':
* dit que l'accident du travail du 12 novembre 2019 était dû à la faute inexcusable de la société [22]';
* fixé au maximum la majoration du capital qui lui a été versée';
* ordonné avant dire droit sur les demandes d'indemnisation de ses préjudices une expertise médicale judiciaire confiée à M. le docteur [O] [U] du centre hospitalier universitaire ([11]) d'[Localité 8]';
- renvoyer les parties devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille aux fins de liquidation de son préjudice à la suite du dépôt du rapport d'expertise';
- condamner Me [L] [S] (sic) au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, M. [E] fait valoir que :
- les conditions de stockage des poubelles au sol n'ont pas été respectées selon les règles de sécurité prévues par les articles R. 4224-3, R. 4224-20 du code du travail';
- les poubelles du chantier étaient entreposées au sol sans signalement, ce qui rendait la circulation des piétons'dangereuse ;
- aucune pièce n'est produite par le liquidateur en cause d'appel de nature à justifier des mesures de prévention prises pour prévenir un tel accident';
- après avoir établi la déclaration d'accident du travail, l'employeur lui a demandé de ne pas le déclarer, lui proposant de prendre directement en charge les frais d'hospitalisation';
- l'employeur ne tenant pas ses engagements, il a été contraint d'y procéder en ses lieu et place par lettre du 8 janvier 2020 ;
- dans un courrier du 14 février 2020, la société [22] a reconnu ne pas avoir procédé à la déclaration d'accident du travail, indiquant que le chef de chantier l'avait, après l'accident, affecté à un poste de surveillant, évitant ainsi de solliciter son genou, qu'il lui avait remis la déclaration sans la transmettre au siège ni avertir les services concernés, et qu'il avait poursuivi sa mission sans problème particulier jusqu'au terme de son contrat à durée déterminée'le 13 décembre 2019 ;
- or une imagerie par résonance magnétique (IRM) du 20 décembre 2019 a révélé la présence d'une fracture parcellaire du bord supéro-externe de la rotule gauche';
- l'employeur l'a donc maintenu à son poste de travail alors qu'il souffrait d'une fracture du genou, tout en refusant d'effectuer la déclaration d'accident du travail';
- il maintient sa demande d'expertise judiciaire afin de permettre l'indemnisation de ses préjudices.
4.3. Aux termes de ses conclusions communiquées le 22 mai 2025, soutenues oralement par sa représentante, la [14] intimée demande à la cour de':
- juger ce que de droit sur la faute inexcusable';
- en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, reconnaître son action récursoire à l'encontre de la société [22], et la condamner à lui rembourser toutes les sommes dont elle aura à faire l'avance';
- juger qu'elle récupérera immédiatement le capital représentatif de la majoration de la rente sur le fondement de l'article D. 452-1 du code de la sécurité sociale.
A l'appui de ses prétentions, la [14] fait valoir que :
- tenue de faire l'avance des sommes dues à la victime en réparation des différents préjudices subis en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, elle dispose d'une action récursoire contre l'employeur dont la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue, ou contre l'assureur'de celui-ci ;
- l'employeur ne peut pas s'opposer à son action récursoire';
- subrogée dans les droits de la victime, elle dispose d'une action directe contre l'assureur de l'employeur, et cette action directe subsiste lorsque l'employeur fautif a fait l'objet d'une procédure collective'; '
- si elle n'a pas déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective, un tel manquement n'emporte pas extinction de la créance, mais seulement son inopposabilité à la procédure collective';
- pour préserver ses droits éventuels, elle demande simplement à la cour d'acter le principe de son action récursoire.
Pour un exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer à leurs conclusions déposées à l'audience et développées oralement devant la cour, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la recevabilité de l'appel
Aux termes de l'article 538 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse ['].
En matière de procédure sans représentation obligatoire, il n'est pas dérogé au principe général ci-dessus énoncé.
Doit être relevé d'office à raison de son caractère d'ordre public le moyen pris de l'irrecevabilité d'un recours et fondé sur la tardiveté de ce dernier.'En effet, l'appel encourt la sanction de l'irrecevabilité s'il est formalisé hors délai.
En l'espèce, la cour est mise à même de constater l'irrecevabilité du recours par la production des pièces établissant le point de départ de son délai dès lors que, par lettre du 9 janvier 2024, le greffe de la cour d'appel d'Amiens a demandé au conseil de l'appelante de lui faire parvenir la justification de la notification du jugement frappé d'appel.
Par courrier en réponse du 17 janvier 2024, le conseil de l'appelante a envoyé au greffe l'accusé de réception de la lettre recommandée lui notifiant le jugement attaqué.
Il en ressort que le jugement du 4 septembre 2023 du pôle social du tribunal judiciaire de Lille a été notifié à Me [S] ès qualités par lettre recommandée du 4 septembre 2023 avec avis de réception daté du 5 septembre 2023.
Celle-ci disposait donc d'un délai expirant au plus tard le 5 octobre 2023 pour en interjeter appel.
L'acte de notification précisait notamment qu'une décision en premier ressort était susceptible d'appel, lequel devait être formé par déclaration adressée, dans le délai d'un mois à compter de la notification, par pli recommandé accompagné d'une copie de la décision au service de la protection sociale de la cour d'appel d'Amiens.
Or, c'est par lettre recommandée avec avis de réception du 3 octobre 2023 adressée par erreur à la cour d'appel de Douai que Me [S] ès qualités a interjeté appel du jugement du 4 septembre 2023.
Par ordonnance du 2 novembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel formé le 3 octobre 2023, considérant que la chambre sociale de la cour d'appel de Douai était dépourvue de tout pouvoir juridictionnel à l'égard du jugement entrepris.
Me [S] ès qualités argue que son second appel, formé le 21 octobre 2023 via le RPVA par déclaration au greffe de la cour d'appel d'Amiens est recevable, se fondant sur les dispositions de l'article 2241 du code civil, et déclarant que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible à la condition qu'au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité ne soit intervenue.
M. [E] et la [14] ne concluent pas sur la question tirée de l'irrecevabilité de l'appel.
Sur ce, aux termes de l'article 2241 du code de procédure civile, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.
Il résulte de ce texte, interprété à la lumière de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration d'appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité n'est intervenue.
Seule cette interprétation est de nature à donner son plein effet à la faculté offerte à l'appelante de régulariser cette fin de non-recevoir en rendant effective l'interruption du délai d'appel résultant de l'application de l'article 2241 du code civil, et à préserver son accès effectif au juge.
Ainsi, si la fin de non-recevoir tirée de l'incompétence de la juridiction territorialement saisie est régularisée par un appel devant la juridiction compétente avant le prononcé de l'irrecevabilité, elle bénéficie de l'effet interruptif, de sorte que le second appel n'a pas à avoir été interjeté dans le délai d'appel initial.
Il s'ensuit que l'article 2241 précité s'applique à tous les délais pour agir et à tous les cas d'incompétence.
En l'espèce, Me [S] ès qualités justifie avoir régularisé son appel devant la cour d'appel d'Amiens par déclaration au greffe du 21 octobre 2023 via le RPVA et ce, alors qu'aucune décision définitive d'irrecevabilité de l'appel n'était encore intervenue à cette date.
Par conséquent, l'appel est déclaré recevable.
II - Sur la faute inexcusable de l'employeur
Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants :
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que « lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droits ont droit à une indemnisation complémentaire [...] ».
La faute inexcusable est définie comme le manquement de l'employeur à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle il est tenu envers le travailleur, lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Pour qu'il y ait faute inexcusable, l'employeur doit avoir violé les différentes règles visées par le livre III du code du travail (équipement de travail et moyens de protection), le livre IV (prévention de certains risques professionnels) ou le livre V (prévention des risques liés à certaines activités ou opérations). Il doit avoir ou aurait dû avoir conscience du danger et nonobstant, ne pas avoir pris les mesures de protection nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En effet, l'article L. 4121-1 du code du travail précise que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et que « ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels [...], des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ».
L'article L. 4121-2 du code du travail dispose que « l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° éviter les risques ;
2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° combattre les risques à la source ;
4° adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux';
7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
L'article R. 4224-3 du code du travail dispose que les lieux de travail intérieurs et extérieurs sont aménagés de telle façon que la circulation des piétons et des véhicules puisse se faire de manière sûre.
Selon l'article R. 4224-20 du même code, lorsqu'il n'est pas possible, compte tenu de la nature du travail, d'éviter des zones de danger comportant notamment des risques de chute de personnes ou des risques de chute d'objets, et même s'il s'agit d'activités ponctuelles d'entretien ou de réparation, ces zones sont signalées de manière visible.
Elles sont également matérialisées par des dispositifs destinés à éviter que les travailleurs non autorisés pénètrent dans ces zones.
Il est indifférent que la faute de l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ; il suffit qu'elle soit une cause nécessaire du dommage pour que sa responsabilité soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage, y compris d'ailleurs de la part de la victime.
La charge de la preuve repose sur le salarié, à qui il incombe d'établir que l'employeur, qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, M. [E] a été embauché comme soudeur par la société [22] en contrat à durée déterminée régularisé le 6 mai 2019, lequel a été prolongé à deux reprises jusqu'au 30 août, puis 13 décembre 2019.
Il est constant que M. [E] a trébuché sur un sac poubelle déposé au sol sur le chantier et qu'il est tombé, son genou gauche heurtant la marche en aluminium d'un escalier situé à proximité.
M. [E] produit la lettre du 14 février 2020 adressée à la caisse par la société [22], dont il résulte que celle-ci n'a pas procédé à la déclaration d'accident du travail survenu le 12 novembre 2019'; la société explique que son chef de chantier a nettoyé la plaie du salarié et l'a conduit à l'hôpital, qu'aucun arrêt de travail n'a alors été prescrit au salarié , que le chef de chantier l'a affecté par suite des préconisations médicales à un poste de «'surveillant trou d'homme'» puis lui a remis directement la déclaration d'accident du travail sans la transmettre au siège, et que le salarié a poursuivi sa mission sans problème particulier jusqu'au terme du contrat, le 13 décembre 2019.
Le premier juge a exactement retenu que l'employeur était responsable de l'aménagement du chantier, sur lequel 'uvrait et se déplaçait le salarié, et de la circulation de celui-ci en toute sécurité dans la zone de travail, et qu'il aurait dû avoir conscience du danger de chute ou de glissade auquel il l'exposait par la présence non signalée d'un sac poubelle délaissé au sol.
L'employeur ne produit aucun élément, ni consigne de sécurité, ni plan de chantier ou de coordination, ni dispositif de sécurisation du site, de sorte que rien ne permet d'apprécier que la prévention de ce type de risque fût assurée.
M. [E] établit de façon suffisante que la société [22] n'a mis en place aucune mesure spécifique de prévention pour assurer sa sécurité, et protéger sa santé physique et mentale lorsqu'il évoluait sur le chantier litigieux.
En conséquence, le jugement querellé est confirmé en ce qu'il a jugé que les éléments produits par le salarié étaient suffisants pour démontrer que la société [22] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle l'exposait, et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger, et en ce qu'il a retenu que la société [22] avait commis une faute inexcusable, qui lui était imputable, et qui était la cause de l'accident du travail subi le 12 novembre 2019 par M. [E].
III - Sur les conséquences de la faute inexcusable
Sur la majoration de la rente
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En application de l'article L. 452-2 du même code, la majoration maximale de la rente doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de son état de santé, dans la limite des plafonds prévus par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
En l'espèce, la faute inexcusable du salarié n'est ni alléguée ni démontrée.
La faute inexcusable de la société [22] étant reconnue, le jugement qui a ordonné la majoration maximale de la rente servie à M. [E], dans les limites fixées par la loi, sera confirmé.
Sur l'expertise médicale judiciaire
Il y a lieu de renvoyer aux dispositions du jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 4 septembre 2023 qui a ordonné, avant dire droit, une expertise médicale judiciaire et a désigné M. [O] [U], médecin au [12] Picardie, pour procéder à l'évaluation de ses préjudices.
Sur la provision
S'agissant de l'indemnité provisionnelle, c'est à juste titre que les premiers juges ont alloué à M.'N'[C] une provision d'un montant de 5 000 euros, l'employeur n'apportant aucun élément justifiant de minorer cette dernière.
Sur l'action récursoire de la caisse
La caisse sollicite le bénéfice de son action récursoire sans justifier de sa déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [22].
Le liquidateur de la société [22] soutient que l'action récursoire de la caisse est irrecevable dans la mesure où celle-ci n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective.
En application des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois.
La créance de restitution de l'indemnisation complémentaire versée par la caisse à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur, qui a pour origine la faute de celui-ci, est soumise à déclaration au passif de la société placée sous le régime d'une procédure collective dès lors qu'un accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
L'article L. 622-21 du code de commerce dispose notamment que'le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ['].
En application de l'article L. 622-26 du même code, dans sa version applicable au litige, sauf relevé de forclusion par le juge commissaire dans un délai de six mois à compter de la publication du jugement d'ouverture, les créances non déclarées régulièrement dans ces délais ne sont pas éteintes, mais sont inopposables à la liquidation judiciaire.
En l'espèce, l'accident du travail dont a été victime M. [E] a eu lieu le 12 novembre 2019. La société [22] qui employait M. [E], et dont la faute inexcusable a été reconnue, a été placée en liquidation judiciaire le 13 octobre 2020, ce qui n'est pas contesté. L'accident à l'origine de la faute inexcusable est donc antérieur à l'ouverture de la procédure collective, et la créance subrogatoire de la caisse est bien une créance née avant ladite ouverture.
Par ordonnance du 6 novembre 2023, le juge-commissaire, appliquant le principe de l'estoppel et considérant que la [14] ne justifiait pas en quoi sa défaillance de production dans les délais réglementaires n'était pas de son fait, a rejeté la requête en relevé de forclusion présentée par celle-ci.
Il s'ensuit que, contrairement à ce que le premier juge a décidé, la caisse ne justifiant ni d'une déclaration de créance ni d'un relevé de forclusion, ladite créance est inopposable à la liquidation judiciaire et l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur est irrecevable.
IV - Sur les autres prétentions
Sur les dépens
Selon l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Les parties ne sollicitent pas la réformation du jugement querellé en ce qu'il a sursis à statuer sur les dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Me [S] ès qualités, appelante qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens d'appel.
Aux termes de l'article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision. [']
Le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire dans la présente instance, il n'y a pas lieu à application de l'article 699 précité.
Sur les frais irrépétibles
Selon l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Les parties ne sollicitent pas la réformation du jugement querellé en ce qu'il a sursis à statuer sur les frais irrépétibles.
La cour observe que M. [E] formule sa demande d'indemnité de procédure à l'encontre de Me [L] [S], qui n'est pas partie au présent litige.
En conséquence, la solution du litige et l'équité conduisent à débouter M. [E] et Me [S] ès qualités de leurs demandes de frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Déclare l'appel recevable';
Confirme le jugement rendu le 4 septembre 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, sauf en ces dispositions relatives à l'action récursoire de la [10]';
Le réforme en ce qu'il a':
- dit que la [10] pourrait récupérer au passif de la liquidation judiciaire de la société [20] le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [V] [E] en fonction du taux qui était opposable à l'employeur';
- dit que la [10], qui avancerait les frais d'expertise, pourrait en récupérer, au titre des dépens, le montant qui serait fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société [20]';
- dit que la [10] pourrait récupérer le montant de la provision à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société [20] dans le cadre de l'action récursoire, et que cette somme serait fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société';
- dit que la liquidation judiciaire de la société [20] devrait rembourser à la [10] dans le cadre de l'action récursoire l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable qui seraient fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société';
Prononçant à nouveau dans la limite des chefs réformés, et y ajoutant,
Déclare la créance subrogatoire de la [10] inopposable à la liquidation judiciaire de la société [20]';
Déclare irrecevable l'action récursoire de la [10]';
Renvoie aux dispositions du jugement critiqué s'agissant de l'expertise médicale judiciaire, du renvoi de l'affaire après expertise devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, et de la liquidation des préjudices de M.'[V] [E]';
Dit que la [10] avancera les frais d'expertise médicale judiciaire';
Rejette les plus amples prétentions des parties';
Condamne Maître [L] [S], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société [21] dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement des articles 699 et 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,
N°
[S]
C/
[E]
[14]
Copie certifiée conforme délivrée à :
- Me [L] [S]
- M. [V] [E]
- [14]
- Me Mathilde LEFEVRE
- Me David BROUWER
- tribunal judiciaire
Copie exécutoire :
- Me [L] [S]
- Me Mathilde LEFEVRE
- Me David BROUWER
- [14]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
*************************************************************
N° RG 23/04438 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I45N - N° registre 1ère instance : 23/00206
Jugement du tribunal judiciaire de Lille (pôle social) en date du 04 septembre 2023
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Maître [L] [S] Es-qualité de mandataire judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la SAS [20] désignée à cette fonction suivant jugement du Tribunal
de commerce de [Localité 17] en date du 13/10/2020
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Mathilde LEFEVRE de la SCP MATHILDE LEFEVRE, AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS substitué par Me Olivier PINCON, avocat au barreau de REIMS
ET :
INTIMES
Monsieur [V] [E]
[Adresse 6] [Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me David BROUWER de la SCP MOUGEL - BROUWER - HAUDIQUET, avocat au barreau de DUNKERQUE substitué par Me Jean-Charles COURTOIS, avocat au barreau de DUNKERQUE
[14]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Mme [X] [J], munie d'un pouvoir régulier
DEBATS :
A l'audience publique du 22 mai 2025 devant Mme Claire BIADATTI-BERTIN, présidente, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 18 septembre 2025.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame [L] [Localité 18]
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Claire BIADATTI-BERTIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :
M. Philippe MELIN, président,
Mme Claire BIADATTI-BERTIN, présidente,
et M. Pascal HAMON, conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 18 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Nathalie LÉPEINGLE, greffier.
*
* *
DECISION
EXPOSE DU LITIGE
1. Les faits et la procédure antérieure :
M. [V] [E], né le 13 mars 1984, a été embauché en qualité de soudeur, à compter du 6 mai 2019 suivant contrat à durée déterminée, par la société [20] ([22]).
Le 13 novembre 2019, le chef de chantier de la société [22] a renseigné et signé une déclaration d'accident du travail survenu sur le chantier [15] à [Localité 16] le 12 novembre 2019 à 15 heures dont il résulte que « la victime a trébuché dans un sac poubelle posé au sol, et s'est cogné le genou sur la marche d'un escalier de chantier en aluminium'; la victime a continué à travailler malgré la douleur et constatation d'une plaie en dessous des vêtements de travail.'»
Le certificat médical initial établi le 13 novembre 2019 par M. le docteur [N] [Y] mentionne une «'contusion du genou gauche avec épanchement articulaire et légères dermabrasions'».
Par courrier du 8 janvier 2020 remis en mains propres à la [9] (la [13] ou la caisse) des Flandres, M. [E] a lui-même procédé à la déclaration de l'accident du travail survenu le 12 novembre 2019.
Par décision du 28 février 2020, la [14] a accepté de prendre en charge ledit accident professionnel.
Par jugement rendu le 13 octobre 2020 par le tribunal de commerce de Reims, la société [22] a été placée en liquidation judiciaire, et Maître [L] [S] désignée comme liquidateur judiciaire.
Suivant décision du 23 novembre 2023, la [14] a attribué à M. [E] une indemnité en capital de 721,65 euros réparant son incapacité permanente partielle fixée à 2 %.
M. [E] a saisi la [14] pour faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur'; la phase amiable s'est révélée infructueuse.
Par lettre recommandée du 8 février 2023 avec avis de réception, le conseil de M. [E] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lille afin de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 4 septembre 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Lille a notamment :
1. dit que l'accident du travail du 12 novembre 2019 de M. [E] était dû à la faute inexcusable de la société [22]';
2. fixé au maximum la majoration du capital versé à M. [E]';
3. dit que l'avance en serait faite par la [14]';
4. dit que cette majoration suivrait l'évolution du taux d'incapacité en cas d'aggravation de l'état de santé de M. [E] dans les limites des plafonds de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale';
5. dit que la [13] pourrait récupérer au passif de la liquidation judiciaire de la société [19] le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [E] en fonction du taux qui était opposable à l'employeur';
6. ordonné, avant dire droit sur les demandes d'indemnisation des préjudice de M. [E] une expertise médicale judiciaire';
7. commis pour y procéder M. le docteur [O] [U] afin notamment d'évaluer les postes suivants': déficit fonctionnel temporaire'; assistance temporaire par une tierce personne'; souffrances endurées'; déficit fonctionnel permanent'; préjudice esthétique temporaire et permanent'; préjudice d'agrément'; préjudice de perte ou de diminution des possibilités de promotion professionnelle'; préjudice sexuel'; frais de logement adapté'; frais de véhicule adapté'; préjudice exceptionnel'; préjudice d'établissement'; frais pharmaceutiques';
8. dit que les frais d'expertise seraient avancés par la [13] qui pourrait en récupérer, au titre des dépens, le montant qui serait fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société [22]';
9. renvoyé l'affaire à une audience de mise en état dématérialisée devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, et dit que le jugement notifié valait convocation des parties à ladite audience';
10. ordonné le sursis à statuer sur les autres demandes, en ce compris celles au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, dans l'attente de l'expertise';
11. alloué une provision de 5 000 euros à M. [E]';
12. dit que la provision due à la victime serait avancée à M. [E] par la [13] et porterait intérêts au taux légal à compter du jugement devenu définitif';
13. dit que la [14] pourrait récupérer le montant de la provision à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société [22] dans le cadre de l'action récursoire, et que cette somme serait fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société';
14. dit que la liquidation judiciaire de la société [22] devrait rembourser à la [14] dans le cadre de l'action récursoire l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable qui seraient fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société';
15. dit, si la [13] ne pouvait récupérer l'ensemble des sommes allouées à M. [E] sur la société, que la totalité ou le reste des sommes allouées non remboursées devrait être imputé au compte spécial des accidents du travail et des maladies professionnelles en raison de la disparition de l'employeur';
16. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires';
17. dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Ce jugement a été notifié à Maître [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] par lettre recommandée du 4 septembre 2023 avec avis de réception non joint au dossier.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration enregistrée le 21 octobre 2023 via le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2, 5, 6 à 8, 11 à 12, 13 ,14 ci-dessus.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle l'affaire a été renvoyée au 22 mai 2025.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 mai 2025, maintenues oralement par son conseil, Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] demande à la cour de':
- déclarer son appel recevable';
- réformer le jugement querellé en ce qu'il a':
* dit que l'accident du travail du 12 novembre 2019 de M. [E] était dû à sa faute inexcusable ;
* fixé au maximum la majoration du capital versé à M. [E] ;
* alloué une provision de 5 000 euros à M. [E] ;
* ordonné une expertise médicale judiciaire';
* dit que la [13] pourrait récupérer au passif de la liquidation judiciaire de la société [22] le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [E] en fonction du taux qui était opposable à l'employeur, ainsi que la provision allouée ;
* fixé au passif de la société [22] le montant de cette provision et l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable';
* dit que la liquidation judiciaire de la société [22] devrait rembourser à la [14] la totalité de ces sommes dans le cadre de l'action récursoire de la [13]';
statuant à nouveau,
- débouter la [14] de toutes ses demandes dirigées à l'encontre de Me [S] et de la société [22] comme étant irrecevables et non fondées pour défaut de déclaration de créance au passif dans les délais légaux, et contraires aux dispositions d'ordre public des articles L. 622-21 et L.'641-3 du code de commerce';
- débouter M. [E] de toutes ses demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale';
à titre subsidiaire,
- lui déclarer inopposable la décision à intervenir, ainsi qu'à la société [22],
à titre plus subsidiaire,
- limiter les demandes de M. [E] à 2 000 euros tous chefs de préjudices confondus';
Dans tous les cas,
- condamner solidairement ou in solidum M. [E] et la [14] au paiement de la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers faculté de recouvrement direct ou au profit de Maître Mathilde Lefevre, avocat, en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, Me [S] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [22] fait valoir que :
- son second appel, formé le 21 octobre 2023 via le RPVA par déclaration au greffe de la cour d'appel d'Amiens est recevable'; en vertu des dispositions de l'article 2241 du code civil, la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible à la condition qu'au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité ne soit intervenue';
- le premier juge n'a pas répondu à son moyen tiré de l'absence de déclaration de créance de la [14] au passif de la liquidation judiciaire';
- la demande de la caisse tendant à juger que la liquidation judiciaire sera tenue de la garantir des conséquences financières de la faute inexcusable de l'employeur ne peut qu'être rejetée, toute action en paiement contre elle est interdite en application des dispositions d'ordre public figurant aux articles L. 622-21 et L. 641-3 et suivants du code de commerce';
- la caisse, invoquant l'article L. 622-24 du code de commerce, a estimé que sa créance était postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, alors qu'il s'agit bien d'une créance antérieure'; '
- par ordonnance du 6 novembre 2023, le juge-commissaire a rejeté la requête en relevé de forclusion de la caisse';
- le fait générateur d'une créance ne se confond pas avec sa date d'exigibilité'; la créance de la caisse est bien née avant l'ouverture de la procédure collective, dès lors que l'accident du travail est survenu le 12 novembre 2019, et que la caisse a accepté de le prendre en charge au titre de la législation sur les accidents du travail suivant décision du 20 février 2020';
- la caisse, n'ayant déclaré aucune créance au passif de la société [22], est irrecevable et, en tous les cas, mal fondée à en demander la fixation au passif et à agir en garantie';
- sur le fond, le salarié s'est pris les pieds dans un sac poubelle et s'est cogné le genou en tombant';
- la société [22] ne pouvait avoir conscience du danger alors qu'elle ne pouvait s'attendre à ce qu'un sac poubelle jonche le sol et que son salarié ne le voie pas.
4.2. Aux termes de ses conclusions communiquées le 22 mai 2025, soutenues oralement par son conseil, M. [E] intimé demande à la cour de':
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a':
* dit que l'accident du travail du 12 novembre 2019 était dû à la faute inexcusable de la société [22]';
* fixé au maximum la majoration du capital qui lui a été versée';
* ordonné avant dire droit sur les demandes d'indemnisation de ses préjudices une expertise médicale judiciaire confiée à M. le docteur [O] [U] du centre hospitalier universitaire ([11]) d'[Localité 8]';
- renvoyer les parties devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille aux fins de liquidation de son préjudice à la suite du dépôt du rapport d'expertise';
- condamner Me [L] [S] (sic) au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, M. [E] fait valoir que :
- les conditions de stockage des poubelles au sol n'ont pas été respectées selon les règles de sécurité prévues par les articles R. 4224-3, R. 4224-20 du code du travail';
- les poubelles du chantier étaient entreposées au sol sans signalement, ce qui rendait la circulation des piétons'dangereuse ;
- aucune pièce n'est produite par le liquidateur en cause d'appel de nature à justifier des mesures de prévention prises pour prévenir un tel accident';
- après avoir établi la déclaration d'accident du travail, l'employeur lui a demandé de ne pas le déclarer, lui proposant de prendre directement en charge les frais d'hospitalisation';
- l'employeur ne tenant pas ses engagements, il a été contraint d'y procéder en ses lieu et place par lettre du 8 janvier 2020 ;
- dans un courrier du 14 février 2020, la société [22] a reconnu ne pas avoir procédé à la déclaration d'accident du travail, indiquant que le chef de chantier l'avait, après l'accident, affecté à un poste de surveillant, évitant ainsi de solliciter son genou, qu'il lui avait remis la déclaration sans la transmettre au siège ni avertir les services concernés, et qu'il avait poursuivi sa mission sans problème particulier jusqu'au terme de son contrat à durée déterminée'le 13 décembre 2019 ;
- or une imagerie par résonance magnétique (IRM) du 20 décembre 2019 a révélé la présence d'une fracture parcellaire du bord supéro-externe de la rotule gauche';
- l'employeur l'a donc maintenu à son poste de travail alors qu'il souffrait d'une fracture du genou, tout en refusant d'effectuer la déclaration d'accident du travail';
- il maintient sa demande d'expertise judiciaire afin de permettre l'indemnisation de ses préjudices.
4.3. Aux termes de ses conclusions communiquées le 22 mai 2025, soutenues oralement par sa représentante, la [14] intimée demande à la cour de':
- juger ce que de droit sur la faute inexcusable';
- en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, reconnaître son action récursoire à l'encontre de la société [22], et la condamner à lui rembourser toutes les sommes dont elle aura à faire l'avance';
- juger qu'elle récupérera immédiatement le capital représentatif de la majoration de la rente sur le fondement de l'article D. 452-1 du code de la sécurité sociale.
A l'appui de ses prétentions, la [14] fait valoir que :
- tenue de faire l'avance des sommes dues à la victime en réparation des différents préjudices subis en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, elle dispose d'une action récursoire contre l'employeur dont la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue, ou contre l'assureur'de celui-ci ;
- l'employeur ne peut pas s'opposer à son action récursoire';
- subrogée dans les droits de la victime, elle dispose d'une action directe contre l'assureur de l'employeur, et cette action directe subsiste lorsque l'employeur fautif a fait l'objet d'une procédure collective'; '
- si elle n'a pas déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective, un tel manquement n'emporte pas extinction de la créance, mais seulement son inopposabilité à la procédure collective';
- pour préserver ses droits éventuels, elle demande simplement à la cour d'acter le principe de son action récursoire.
Pour un exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer à leurs conclusions déposées à l'audience et développées oralement devant la cour, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I - Sur la recevabilité de l'appel
Aux termes de l'article 538 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse ['].
En matière de procédure sans représentation obligatoire, il n'est pas dérogé au principe général ci-dessus énoncé.
Doit être relevé d'office à raison de son caractère d'ordre public le moyen pris de l'irrecevabilité d'un recours et fondé sur la tardiveté de ce dernier.'En effet, l'appel encourt la sanction de l'irrecevabilité s'il est formalisé hors délai.
En l'espèce, la cour est mise à même de constater l'irrecevabilité du recours par la production des pièces établissant le point de départ de son délai dès lors que, par lettre du 9 janvier 2024, le greffe de la cour d'appel d'Amiens a demandé au conseil de l'appelante de lui faire parvenir la justification de la notification du jugement frappé d'appel.
Par courrier en réponse du 17 janvier 2024, le conseil de l'appelante a envoyé au greffe l'accusé de réception de la lettre recommandée lui notifiant le jugement attaqué.
Il en ressort que le jugement du 4 septembre 2023 du pôle social du tribunal judiciaire de Lille a été notifié à Me [S] ès qualités par lettre recommandée du 4 septembre 2023 avec avis de réception daté du 5 septembre 2023.
Celle-ci disposait donc d'un délai expirant au plus tard le 5 octobre 2023 pour en interjeter appel.
L'acte de notification précisait notamment qu'une décision en premier ressort était susceptible d'appel, lequel devait être formé par déclaration adressée, dans le délai d'un mois à compter de la notification, par pli recommandé accompagné d'une copie de la décision au service de la protection sociale de la cour d'appel d'Amiens.
Or, c'est par lettre recommandée avec avis de réception du 3 octobre 2023 adressée par erreur à la cour d'appel de Douai que Me [S] ès qualités a interjeté appel du jugement du 4 septembre 2023.
Par ordonnance du 2 novembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel formé le 3 octobre 2023, considérant que la chambre sociale de la cour d'appel de Douai était dépourvue de tout pouvoir juridictionnel à l'égard du jugement entrepris.
Me [S] ès qualités argue que son second appel, formé le 21 octobre 2023 via le RPVA par déclaration au greffe de la cour d'appel d'Amiens est recevable, se fondant sur les dispositions de l'article 2241 du code civil, et déclarant que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible à la condition qu'au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité ne soit intervenue.
M. [E] et la [14] ne concluent pas sur la question tirée de l'irrecevabilité de l'appel.
Sur ce, aux termes de l'article 2241 du code de procédure civile, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.
Il résulte de ce texte, interprété à la lumière de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration d'appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité n'est intervenue.
Seule cette interprétation est de nature à donner son plein effet à la faculté offerte à l'appelante de régulariser cette fin de non-recevoir en rendant effective l'interruption du délai d'appel résultant de l'application de l'article 2241 du code civil, et à préserver son accès effectif au juge.
Ainsi, si la fin de non-recevoir tirée de l'incompétence de la juridiction territorialement saisie est régularisée par un appel devant la juridiction compétente avant le prononcé de l'irrecevabilité, elle bénéficie de l'effet interruptif, de sorte que le second appel n'a pas à avoir été interjeté dans le délai d'appel initial.
Il s'ensuit que l'article 2241 précité s'applique à tous les délais pour agir et à tous les cas d'incompétence.
En l'espèce, Me [S] ès qualités justifie avoir régularisé son appel devant la cour d'appel d'Amiens par déclaration au greffe du 21 octobre 2023 via le RPVA et ce, alors qu'aucune décision définitive d'irrecevabilité de l'appel n'était encore intervenue à cette date.
Par conséquent, l'appel est déclaré recevable.
II - Sur la faute inexcusable de l'employeur
Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants :
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que « lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droits ont droit à une indemnisation complémentaire [...] ».
La faute inexcusable est définie comme le manquement de l'employeur à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle il est tenu envers le travailleur, lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Pour qu'il y ait faute inexcusable, l'employeur doit avoir violé les différentes règles visées par le livre III du code du travail (équipement de travail et moyens de protection), le livre IV (prévention de certains risques professionnels) ou le livre V (prévention des risques liés à certaines activités ou opérations). Il doit avoir ou aurait dû avoir conscience du danger et nonobstant, ne pas avoir pris les mesures de protection nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En effet, l'article L. 4121-1 du code du travail précise que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et que « ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels [...], des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ».
L'article L. 4121-2 du code du travail dispose que « l'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° éviter les risques ;
2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° combattre les risques à la source ;
4° adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux';
7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;
8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
L'article R. 4224-3 du code du travail dispose que les lieux de travail intérieurs et extérieurs sont aménagés de telle façon que la circulation des piétons et des véhicules puisse se faire de manière sûre.
Selon l'article R. 4224-20 du même code, lorsqu'il n'est pas possible, compte tenu de la nature du travail, d'éviter des zones de danger comportant notamment des risques de chute de personnes ou des risques de chute d'objets, et même s'il s'agit d'activités ponctuelles d'entretien ou de réparation, ces zones sont signalées de manière visible.
Elles sont également matérialisées par des dispositifs destinés à éviter que les travailleurs non autorisés pénètrent dans ces zones.
Il est indifférent que la faute de l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ; il suffit qu'elle soit une cause nécessaire du dommage pour que sa responsabilité soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage, y compris d'ailleurs de la part de la victime.
La charge de la preuve repose sur le salarié, à qui il incombe d'établir que l'employeur, qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, M. [E] a été embauché comme soudeur par la société [22] en contrat à durée déterminée régularisé le 6 mai 2019, lequel a été prolongé à deux reprises jusqu'au 30 août, puis 13 décembre 2019.
Il est constant que M. [E] a trébuché sur un sac poubelle déposé au sol sur le chantier et qu'il est tombé, son genou gauche heurtant la marche en aluminium d'un escalier situé à proximité.
M. [E] produit la lettre du 14 février 2020 adressée à la caisse par la société [22], dont il résulte que celle-ci n'a pas procédé à la déclaration d'accident du travail survenu le 12 novembre 2019'; la société explique que son chef de chantier a nettoyé la plaie du salarié et l'a conduit à l'hôpital, qu'aucun arrêt de travail n'a alors été prescrit au salarié , que le chef de chantier l'a affecté par suite des préconisations médicales à un poste de «'surveillant trou d'homme'» puis lui a remis directement la déclaration d'accident du travail sans la transmettre au siège, et que le salarié a poursuivi sa mission sans problème particulier jusqu'au terme du contrat, le 13 décembre 2019.
Le premier juge a exactement retenu que l'employeur était responsable de l'aménagement du chantier, sur lequel 'uvrait et se déplaçait le salarié, et de la circulation de celui-ci en toute sécurité dans la zone de travail, et qu'il aurait dû avoir conscience du danger de chute ou de glissade auquel il l'exposait par la présence non signalée d'un sac poubelle délaissé au sol.
L'employeur ne produit aucun élément, ni consigne de sécurité, ni plan de chantier ou de coordination, ni dispositif de sécurisation du site, de sorte que rien ne permet d'apprécier que la prévention de ce type de risque fût assurée.
M. [E] établit de façon suffisante que la société [22] n'a mis en place aucune mesure spécifique de prévention pour assurer sa sécurité, et protéger sa santé physique et mentale lorsqu'il évoluait sur le chantier litigieux.
En conséquence, le jugement querellé est confirmé en ce qu'il a jugé que les éléments produits par le salarié étaient suffisants pour démontrer que la société [22] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle l'exposait, et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger, et en ce qu'il a retenu que la société [22] avait commis une faute inexcusable, qui lui était imputable, et qui était la cause de l'accident du travail subi le 12 novembre 2019 par M. [E].
III - Sur les conséquences de la faute inexcusable
Sur la majoration de la rente
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En application de l'article L. 452-2 du même code, la majoration maximale de la rente doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime en cas d'aggravation de son état de santé, dans la limite des plafonds prévus par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
En l'espèce, la faute inexcusable du salarié n'est ni alléguée ni démontrée.
La faute inexcusable de la société [22] étant reconnue, le jugement qui a ordonné la majoration maximale de la rente servie à M. [E], dans les limites fixées par la loi, sera confirmé.
Sur l'expertise médicale judiciaire
Il y a lieu de renvoyer aux dispositions du jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille le 4 septembre 2023 qui a ordonné, avant dire droit, une expertise médicale judiciaire et a désigné M. [O] [U], médecin au [12] Picardie, pour procéder à l'évaluation de ses préjudices.
Sur la provision
S'agissant de l'indemnité provisionnelle, c'est à juste titre que les premiers juges ont alloué à M.'N'[C] une provision d'un montant de 5 000 euros, l'employeur n'apportant aucun élément justifiant de minorer cette dernière.
Sur l'action récursoire de la caisse
La caisse sollicite le bénéfice de son action récursoire sans justifier de sa déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [22].
Le liquidateur de la société [22] soutient que l'action récursoire de la caisse est irrecevable dans la mesure où celle-ci n'a pas déclaré sa créance à la procédure collective.
En application des articles L. 622-24 et R. 622-24 du code de commerce, à partir de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans un délai de deux mois.
La créance de restitution de l'indemnisation complémentaire versée par la caisse à la victime d'un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur, qui a pour origine la faute de celui-ci, est soumise à déclaration au passif de la société placée sous le régime d'une procédure collective dès lors qu'un accident est antérieur à l'ouverture de la procédure collective.
L'article L. 622-21 du code de commerce dispose notamment que'le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ['].
En application de l'article L. 622-26 du même code, dans sa version applicable au litige, sauf relevé de forclusion par le juge commissaire dans un délai de six mois à compter de la publication du jugement d'ouverture, les créances non déclarées régulièrement dans ces délais ne sont pas éteintes, mais sont inopposables à la liquidation judiciaire.
En l'espèce, l'accident du travail dont a été victime M. [E] a eu lieu le 12 novembre 2019. La société [22] qui employait M. [E], et dont la faute inexcusable a été reconnue, a été placée en liquidation judiciaire le 13 octobre 2020, ce qui n'est pas contesté. L'accident à l'origine de la faute inexcusable est donc antérieur à l'ouverture de la procédure collective, et la créance subrogatoire de la caisse est bien une créance née avant ladite ouverture.
Par ordonnance du 6 novembre 2023, le juge-commissaire, appliquant le principe de l'estoppel et considérant que la [14] ne justifiait pas en quoi sa défaillance de production dans les délais réglementaires n'était pas de son fait, a rejeté la requête en relevé de forclusion présentée par celle-ci.
Il s'ensuit que, contrairement à ce que le premier juge a décidé, la caisse ne justifiant ni d'une déclaration de créance ni d'un relevé de forclusion, ladite créance est inopposable à la liquidation judiciaire et l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur est irrecevable.
IV - Sur les autres prétentions
Sur les dépens
Selon l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Les parties ne sollicitent pas la réformation du jugement querellé en ce qu'il a sursis à statuer sur les dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, Me [S] ès qualités, appelante qui succombe partiellement, sera condamnée aux dépens d'appel.
Aux termes de l'article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision. [']
Le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire dans la présente instance, il n'y a pas lieu à application de l'article 699 précité.
Sur les frais irrépétibles
Selon l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Les parties ne sollicitent pas la réformation du jugement querellé en ce qu'il a sursis à statuer sur les frais irrépétibles.
La cour observe que M. [E] formule sa demande d'indemnité de procédure à l'encontre de Me [L] [S], qui n'est pas partie au présent litige.
En conséquence, la solution du litige et l'équité conduisent à débouter M. [E] et Me [S] ès qualités de leurs demandes de frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Déclare l'appel recevable';
Confirme le jugement rendu le 4 septembre 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, sauf en ces dispositions relatives à l'action récursoire de la [10]';
Le réforme en ce qu'il a':
- dit que la [10] pourrait récupérer au passif de la liquidation judiciaire de la société [20] le montant de la majoration de rente ou du capital alloué à M. [V] [E] en fonction du taux qui était opposable à l'employeur';
- dit que la [10], qui avancerait les frais d'expertise, pourrait en récupérer, au titre des dépens, le montant qui serait fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société [20]';
- dit que la [10] pourrait récupérer le montant de la provision à l'encontre de la liquidation judiciaire de la société [20] dans le cadre de l'action récursoire, et que cette somme serait fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société';
- dit que la liquidation judiciaire de la société [20] devrait rembourser à la [10] dans le cadre de l'action récursoire l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable qui seraient fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société';
Prononçant à nouveau dans la limite des chefs réformés, et y ajoutant,
Déclare la créance subrogatoire de la [10] inopposable à la liquidation judiciaire de la société [20]';
Déclare irrecevable l'action récursoire de la [10]';
Renvoie aux dispositions du jugement critiqué s'agissant de l'expertise médicale judiciaire, du renvoi de l'affaire après expertise devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille, et de la liquidation des préjudices de M.'[V] [E]';
Dit que la [10] avancera les frais d'expertise médicale judiciaire';
Rejette les plus amples prétentions des parties';
Condamne Maître [L] [S], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société [21] dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement des articles 699 et 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,