CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 18 septembre 2025, n° 24/00630
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 24/00630 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMNVT
[G] [Z]
C/
[N] [Z] épouse [P]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe BRUZZO
Me Matthieu JOUSSET
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Tribunal de Commerce de Salon-de-Provence en date du 13 Décembre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 2023005232.
APPELANT
Monsieur [G] [Z]
agissant tant à titre personnel qu'en qualité de cogérant de la société [18] ([12])
né le [Date naissance 5] 1973 à [Localité 9] (13), demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Philippe BRUZZO de la SELAS SELAS BRUZZO DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Etienne FEILDEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Madame [N] [Z] épouse [P]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 9] (13), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Matthieu JOUSSET de la SELARL JOUSSET AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Joris RAFFY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 12 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
Mme Marie-Amélie [R], Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025,
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Dominique ALARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La famille [Z] est à la tête, depuis plusieurs générations, d'un domaine viticole situé sur la commune de [Localité 10].
En 2012 a été créée la société [17] [Z] ([12]), détenue à parts égales par Mme [N] [Z] épouse [P] et son frère M. [G] [Z], et dont ils sont également cogérants.
A compter de l'année 2020 des dissensions sont apparues entre les cogérants, M. [G] [Z] dénonçant notamment les actions entreprises par Mme [N] [Z] épouse [P] pour favoriser l'Earl [Adresse 7] dont elle associée majoritaire et gérante, au détriment de la société [13] [Z], Mme [N] [Z] épouse [P] dénonçant pour sa part le comportement inadapté de son frère et la confusion entre son intérêt personnel et celui de la société.
Le 1er décembre 2023 M. [G] [Z] et la société [18] ont fait assigner selon la procédure de référé d'heure à heure Mme [N] [Z] devant le président du tribunal de commerce de Salon-de-Provence afin d'obtenir à titre principal la suspension provisoire de son mandat de cogérante et la restitution d'effets appartenant à la société ainsi que la restitution sous astreinte de meubles, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 13 décembre 2023 le juge des référés du tribunal de commerce de Salon-de-Provence a statué en ces termes':
- Déboutons Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'ordonner la suspension provisoire du mandat social de cogérante de la société [16]
Famille [Z] ([12]) de Madame [N] [Z],
- Déboutons Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de remettre à Monsieur [G] [Z], cogérant de la société [18] ([12]), l'ensemble des effets appartenant à la société [18] ([12]),
- Désignons la Selarl [6] prise en la personne de Me [J] [R], sise [Adresse 4], es qualités d'Administrateur provisoire de la société [18] ([12]) avec mission d'assurer la gestion de la société pour une durée de 6 mois à compter du prononcé de la présente décision,
- Disons que la mission de l'administrateur provisoire sera diligentée aux frais de la société [18] ([12]),
- Fixons à 5.000 € la provision à valoir sur la rémunération définitive de l'administrateur provisoire,
- Disons que l'administrateur provisoire ainsi désigné devra mentionner sa désignation au registre du commerce et des sociétés afin de rendre sa désignation opposable aux tiers conformément aux dispositions de l'article L. 123-9 du Code de commerce,
- Déboutons Monsieur [G] [Z] et la société [17] [Z] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés de la boutique,
- Condamnons Monsieur [G] [Z] à payer à Madame [N] [Z] la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamnons Monsieur [Z] [G] en tous les dépens de la présente instance en ce compris les frais de greffe
--------
Par acte du 17 janvier 2024 M. [G] [Z] a interjeté appel de l'ordonnance.
Par ordonnance d'incident du 19 décembre 2024 le magistrat de la mise en état, saisi par M. [G] [Z], a prononcé la mise hors de cause de Me [R] [J], ès qualité d'administrateur provisoire de la société [18], déclaré irrecevables les conclusions d'intimées notifiées le 17 avril 2024 par Mme [N] [Z], débouté les parties du surplus de leurs demandes, et condamné Mme [N] [Z] au paiement des dépens de l'incident, outre au paiement de la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de l'incident, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
--------
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [G] [Z] agissant «'tant à titre personnel qu'en sa qualité de cogérant de la société [15]» demande à la cour de':
Vu les articles 872, 873 et 700 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
Constater que les agissements de Madame [N] [Z], en qualité de cogérante de la société [17] [Z], et l'existence d'un conflit d'intérêts latent existant avec son autre mandat social au sein de l'Earl [Adresse 7], mettent gravement en péril les intérêts de ladite société,
Constater que le 20 novembre 2023, Madame [N] [Z] et son mari ont enlevé sans
autorisation les meubles entreposés dans les locaux de la boutique exploitée par la société [12], ce qui caractérise une voie de fait et un trouble manifestement illicite,
En conséquence,
Infirmer en conséquence l'ordonnance rendue le 13 décembre 2023 par le Président du Tribunal de
commerce de [Localité 11], en ce qu'elle a :
- Débouté Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'ordonner la suspension provisoire du mandat social de cogérante de la société [18] ([12]) de Madame [N] [Z].
- Débouté Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de remettre à Monsieur [G] [Z], cogérant de la société [18] ([12]), l'ensemble des effets appartenant à la société [18] ([12]).
- Désigné la Selarl [6] prise en la personne de Maître [J] [R], sise [Adresse 3], ès-qualités d'Administrateur provisoire de la société [18] ([12]) avec mission d'assurer la gestion de la société pour une durée de 6 mois à compter du prononcé de la présente décision.
- Dit que la mission de l'Administrateur provisoire sera diligentée aux frais de la société [18] ([12]).
- Fixé à 5.000,00 euros la provision à valoir sur la rémunération définitive de l'Administrateur provisoire.
- Dit que l'Administrateur provisoire ainsi désigné devra mentionner sa désignation au registre du commerce et des sociétés afin de rendre sa désignation opposable aux tiers conformément aux dispositions de l'article L.123-9 du Code de commerce.
- Débouté Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés de la boutique.
- Condamné Monsieur [G] [Z] à payer à Madame [N] [Z] la somme de 1.500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamné Monsieur [G] [Z] en tous les dépens de la présente instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 57,65 euros dont TVA 9,61 euros.
Et statuant à nouveau,
Ordonner la suspension provisoire du mandat social de cogérante de la société [13] [Z] de Madame [N] [Z], et ce dès le prononcé de la décision à intervenir,
Dire que cette mesure de suspension provisoire sera effective pendant une durée de dix (10) mois à compter du prononcé de la décision à intervenir, cette durée pouvant être renouvelée si les circonstances le justifient, sur simple requête adressée au Président du Tribunal qui statuera par voie d'ordonnance,
Enjoindre à Madame [N] [Z] de remettre à Monsieur [G] [Z], cogérant de la société [14], l'ensemble des effets appartenant à la société [12], notamment les clés de la boutique, et ce sous peine d'astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,
Enjoindre à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés illicitement de la boutique, notamment les deux armoires de présentation en bois, tels que résultant du procès-verbal de constat du 31 octobre 2023, et les replacer à l'endroit où ils se trouvaient avant leur enlèvement, et ce sous peine d'astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,
En toute état de cause,
Débouter Madame [N] [Z] en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris sa demande de nullité partielle de la déclaration d'appel ;
Condamner Madame [N] [Z] à payer à la société [18] et Monsieur
[G] [Z], chacun la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Madame [N] [Z] aux entiers dépens
--------
Le magistrat de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 22 mai 2025 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 12 juin 2025.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 954 du code de procédure civile que l'intimé, dont les conclusions sont déclarées irrecevables, est réputé ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement.
Sur la demande de suspension provisoire du mandat de cogérante de Mme [N] [Z] épouse [P]':
M. [G] [Z] sollicite la suspension provisoire du mandat de cogérante détenue par Mme [N] [Z] épouse [P], au visa des articles 873 du code de procédure civile et L.223-25 du code de commerce, en invoquant les actes commis par cette dernière, lesquels constitueraient une contrariété manifeste et systématique à l'intérêt social de [12] (société [17] [Z]), et il dénonce la ruine de la société engendrée par ces agissements.
Sur ce, aux termes de l'article 873 du code de procédure civile, le président peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Par ailleurs, en application de l'article L.223-25 du code de commerce, un gérant de société à responsabilité limitée est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
La cause légitime au sens de cet article s'apprécie essentiellement en considération de l'intérêt de l'entreprise, qui ne coïncide pas nécessairement avec celui des seuls associés.
A cet égard, si une révocation temporaire pourrait être admise, en dépit des termes de l'article L.223-25 susvisé, encore est-il nécessaire pour celui qui l'invoque, d'établir la cause légitime, elle-même nécessairement provisoire, qui autoriserait une telle mesure et ce, alors même que la gravité des faits justifiant une révocation est par nature incompatible avec le caractère provisoire de la mesure demandée.
En l'espèce, M. [G] [Z] fait grief notamment à Mme [N] [Z] épouse [P] de se rembourser unilatéralement son compte-courant et rembourser les prêts dans lesquels elle était caution, de détourner la clientèle de la société [12] en jouant sur la confusion avec la boutique de l'Earl [Adresse 7], d'enlever le mobilier de la boutique de [12], de créer une situation de concurrence entre les deux entreprises conduisant à une situation de conflit d'intérêts objective, et de détourner l'ensemble des effectifs mis à disposition de [12], trahissant ainsi son mandat social de cogérante.
Il dénonce par ailleurs l'arrêt temporaire d'activité généré par cette situation.
Les comportements dénoncés par M. [G] [Z], et notamment l'enlèvement de meubles et le détournement de personnel destinés à faire fonctionner la boutique et exploiter le domaine viticole, sont de nature à porter atteinte à l'intérêt de la société en ce qu'ils conduisent à la déposséder de certains de ses actifs et à opérer une concurrence directe à son détriment et au profit d'une société tierce dont Mme [N] [Z] épouse [P] est associée majoritaire et gérante.
Ces comportements sont par ailleurs corrélés avec la dégradation de la situation financière de la société, laquelle ne peut, en l'état, être mise en lien direct avec le comportement de Mme [N] [Z] épouse [P], mais constitue un signal préoccupant des effets de la mésentente grave existant entre les associés rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril financier imminent.
Par ailleurs, il ressort de la décision déférée et des échanges entre les parties que le litige entre les associés n'est pas contesté et est également imputé à M. [G] [Z] par la cogérante, de sorte que la désignation d'un administrateur provisoire, également sollicitée par défaut par M. [G] [Z], était justifiée, comme l'ont retenu les premiers juges, la demande de suspension du mandat social de Mme [N] [Z] épouse [P] par M. [G] [Z] revenant à conférer à ce dernier les pleins pouvoirs dans un contexte où l'origine de la mésentente est également attribuée au comportement de ce dernier, et apparaît comme la résultante de divergences dans l'exploitation du domaine et sur la coexistence avec l'Earl [Adresse 7].
L'ordonnance doit dès lors être confirmée de ce chef.
Sur la demande de restitution des meubles':
Au visa de l'article 2278 du code civil M. [G] [Z] invoque la voie de fait commise par sa s'ur, laquelle a procédé, le 20 novembre 2023, à l'enlèvement de mobilier au sein de la boutique exploitée par la société [12].
A cet égard, le juge des référés peut ordonner la restitution éventuelle de biens meubles pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, en dépit de l'avertissement donné par Mme [N] [Z] épouse [P] de ce qu'elle allait procéder à l'enlèvement de deux meubles servant de présentoirs, tel que relevé par les premiers juges, il apparaît que le retrait opéré constitue un trouble manifestement illicite en ce que ces meubles étaient précédemment installés dans le boutique ouverte au public et destinés à recevoir les produits vendus par la société [12], créant un trouble dans la commercialisation et de fait, une atteinte non justifiée aux droits de la société, quelle que soit par ailleurs la propriété de ces meubles, dont aucune des deux parties n'a rapporté la preuve.
En conséquence, l'ordonnance doit être infirmée de ce chef et statuant à nouveau, il y a lieu de condamner Mme [N] [Z] épouse [P] à restituer à la société [12] les deux armoires de présentation en bois, installées dans la boutique exploitée par la société [12], en leur état d'origine, et ce sous astreinte provisoire de 150 euros par jour pendant trois mois en cas d'inexécution, passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision.
En revanche, les autres meubles n'étant pas explicitement listés, la mesure ne portera que sur les deux armoires susvisées.
Sur les frais et dépens':
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais et dépens, tant en première instance qu'en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 13 décembre 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Salon-de-Provence sauf en ce qu'elle a débouté M. [G] [Z] de sa demande tendant à enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés de la boutique, et sauf en ce qu'elle a condamné M. [G] [Z] aux dépens de première instance et au paiement d'une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ces seuls chefs,
Condamne Mme [N] [Z] épouse [P] à restituer à la société [12] les deux armoires de présentation en bois installées dans la boutique exploitée par la société [12], en leur état d'origine, et ce sous astreinte provisoire de 150 euros par jour pendant trois mois, passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens de première instance,
Y ajoutant,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens d'appel.
La greffière La Présidente
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 24/00630 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMNVT
[G] [Z]
C/
[N] [Z] épouse [P]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe BRUZZO
Me Matthieu JOUSSET
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Tribunal de Commerce de Salon-de-Provence en date du 13 Décembre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 2023005232.
APPELANT
Monsieur [G] [Z]
agissant tant à titre personnel qu'en qualité de cogérant de la société [18] ([12])
né le [Date naissance 5] 1973 à [Localité 9] (13), demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Philippe BRUZZO de la SELAS SELAS BRUZZO DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Etienne FEILDEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Madame [N] [Z] épouse [P]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 9] (13), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Matthieu JOUSSET de la SELARL JOUSSET AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Joris RAFFY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 12 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Valérie GERARD, Président de chambre
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
Mme Marie-Amélie [R], Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025,
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Dominique ALARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La famille [Z] est à la tête, depuis plusieurs générations, d'un domaine viticole situé sur la commune de [Localité 10].
En 2012 a été créée la société [17] [Z] ([12]), détenue à parts égales par Mme [N] [Z] épouse [P] et son frère M. [G] [Z], et dont ils sont également cogérants.
A compter de l'année 2020 des dissensions sont apparues entre les cogérants, M. [G] [Z] dénonçant notamment les actions entreprises par Mme [N] [Z] épouse [P] pour favoriser l'Earl [Adresse 7] dont elle associée majoritaire et gérante, au détriment de la société [13] [Z], Mme [N] [Z] épouse [P] dénonçant pour sa part le comportement inadapté de son frère et la confusion entre son intérêt personnel et celui de la société.
Le 1er décembre 2023 M. [G] [Z] et la société [18] ont fait assigner selon la procédure de référé d'heure à heure Mme [N] [Z] devant le président du tribunal de commerce de Salon-de-Provence afin d'obtenir à titre principal la suspension provisoire de son mandat de cogérante et la restitution d'effets appartenant à la société ainsi que la restitution sous astreinte de meubles, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 13 décembre 2023 le juge des référés du tribunal de commerce de Salon-de-Provence a statué en ces termes':
- Déboutons Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'ordonner la suspension provisoire du mandat social de cogérante de la société [16]
Famille [Z] ([12]) de Madame [N] [Z],
- Déboutons Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de remettre à Monsieur [G] [Z], cogérant de la société [18] ([12]), l'ensemble des effets appartenant à la société [18] ([12]),
- Désignons la Selarl [6] prise en la personne de Me [J] [R], sise [Adresse 4], es qualités d'Administrateur provisoire de la société [18] ([12]) avec mission d'assurer la gestion de la société pour une durée de 6 mois à compter du prononcé de la présente décision,
- Disons que la mission de l'administrateur provisoire sera diligentée aux frais de la société [18] ([12]),
- Fixons à 5.000 € la provision à valoir sur la rémunération définitive de l'administrateur provisoire,
- Disons que l'administrateur provisoire ainsi désigné devra mentionner sa désignation au registre du commerce et des sociétés afin de rendre sa désignation opposable aux tiers conformément aux dispositions de l'article L. 123-9 du Code de commerce,
- Déboutons Monsieur [G] [Z] et la société [17] [Z] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés de la boutique,
- Condamnons Monsieur [G] [Z] à payer à Madame [N] [Z] la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamnons Monsieur [Z] [G] en tous les dépens de la présente instance en ce compris les frais de greffe
--------
Par acte du 17 janvier 2024 M. [G] [Z] a interjeté appel de l'ordonnance.
Par ordonnance d'incident du 19 décembre 2024 le magistrat de la mise en état, saisi par M. [G] [Z], a prononcé la mise hors de cause de Me [R] [J], ès qualité d'administrateur provisoire de la société [18], déclaré irrecevables les conclusions d'intimées notifiées le 17 avril 2024 par Mme [N] [Z], débouté les parties du surplus de leurs demandes, et condamné Mme [N] [Z] au paiement des dépens de l'incident, outre au paiement de la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de l'incident, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
--------
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [G] [Z] agissant «'tant à titre personnel qu'en sa qualité de cogérant de la société [15]» demande à la cour de':
Vu les articles 872, 873 et 700 du Code de procédure civile,
Vu les pièces versées au débat,
Constater que les agissements de Madame [N] [Z], en qualité de cogérante de la société [17] [Z], et l'existence d'un conflit d'intérêts latent existant avec son autre mandat social au sein de l'Earl [Adresse 7], mettent gravement en péril les intérêts de ladite société,
Constater que le 20 novembre 2023, Madame [N] [Z] et son mari ont enlevé sans
autorisation les meubles entreposés dans les locaux de la boutique exploitée par la société [12], ce qui caractérise une voie de fait et un trouble manifestement illicite,
En conséquence,
Infirmer en conséquence l'ordonnance rendue le 13 décembre 2023 par le Président du Tribunal de
commerce de [Localité 11], en ce qu'elle a :
- Débouté Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'ordonner la suspension provisoire du mandat social de cogérante de la société [18] ([12]) de Madame [N] [Z].
- Débouté Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de remettre à Monsieur [G] [Z], cogérant de la société [18] ([12]), l'ensemble des effets appartenant à la société [18] ([12]).
- Désigné la Selarl [6] prise en la personne de Maître [J] [R], sise [Adresse 3], ès-qualités d'Administrateur provisoire de la société [18] ([12]) avec mission d'assurer la gestion de la société pour une durée de 6 mois à compter du prononcé de la présente décision.
- Dit que la mission de l'Administrateur provisoire sera diligentée aux frais de la société [18] ([12]).
- Fixé à 5.000,00 euros la provision à valoir sur la rémunération définitive de l'Administrateur provisoire.
- Dit que l'Administrateur provisoire ainsi désigné devra mentionner sa désignation au registre du commerce et des sociétés afin de rendre sa désignation opposable aux tiers conformément aux dispositions de l'article L.123-9 du Code de commerce.
- Débouté Monsieur [G] [Z] et la société [18] ([12]) de leur demande d'enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés de la boutique.
- Condamné Monsieur [G] [Z] à payer à Madame [N] [Z] la somme de 1.500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamné Monsieur [G] [Z] en tous les dépens de la présente instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 57,65 euros dont TVA 9,61 euros.
Et statuant à nouveau,
Ordonner la suspension provisoire du mandat social de cogérante de la société [13] [Z] de Madame [N] [Z], et ce dès le prononcé de la décision à intervenir,
Dire que cette mesure de suspension provisoire sera effective pendant une durée de dix (10) mois à compter du prononcé de la décision à intervenir, cette durée pouvant être renouvelée si les circonstances le justifient, sur simple requête adressée au Président du Tribunal qui statuera par voie d'ordonnance,
Enjoindre à Madame [N] [Z] de remettre à Monsieur [G] [Z], cogérant de la société [14], l'ensemble des effets appartenant à la société [12], notamment les clés de la boutique, et ce sous peine d'astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,
Enjoindre à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés illicitement de la boutique, notamment les deux armoires de présentation en bois, tels que résultant du procès-verbal de constat du 31 octobre 2023, et les replacer à l'endroit où ils se trouvaient avant leur enlèvement, et ce sous peine d'astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,
En toute état de cause,
Débouter Madame [N] [Z] en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris sa demande de nullité partielle de la déclaration d'appel ;
Condamner Madame [N] [Z] à payer à la société [18] et Monsieur
[G] [Z], chacun la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner Madame [N] [Z] aux entiers dépens
--------
Le magistrat de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 22 mai 2025 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 12 juin 2025.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 954 du code de procédure civile que l'intimé, dont les conclusions sont déclarées irrecevables, est réputé ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement.
Sur la demande de suspension provisoire du mandat de cogérante de Mme [N] [Z] épouse [P]':
M. [G] [Z] sollicite la suspension provisoire du mandat de cogérante détenue par Mme [N] [Z] épouse [P], au visa des articles 873 du code de procédure civile et L.223-25 du code de commerce, en invoquant les actes commis par cette dernière, lesquels constitueraient une contrariété manifeste et systématique à l'intérêt social de [12] (société [17] [Z]), et il dénonce la ruine de la société engendrée par ces agissements.
Sur ce, aux termes de l'article 873 du code de procédure civile, le président peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Par ailleurs, en application de l'article L.223-25 du code de commerce, un gérant de société à responsabilité limitée est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
La cause légitime au sens de cet article s'apprécie essentiellement en considération de l'intérêt de l'entreprise, qui ne coïncide pas nécessairement avec celui des seuls associés.
A cet égard, si une révocation temporaire pourrait être admise, en dépit des termes de l'article L.223-25 susvisé, encore est-il nécessaire pour celui qui l'invoque, d'établir la cause légitime, elle-même nécessairement provisoire, qui autoriserait une telle mesure et ce, alors même que la gravité des faits justifiant une révocation est par nature incompatible avec le caractère provisoire de la mesure demandée.
En l'espèce, M. [G] [Z] fait grief notamment à Mme [N] [Z] épouse [P] de se rembourser unilatéralement son compte-courant et rembourser les prêts dans lesquels elle était caution, de détourner la clientèle de la société [12] en jouant sur la confusion avec la boutique de l'Earl [Adresse 7], d'enlever le mobilier de la boutique de [12], de créer une situation de concurrence entre les deux entreprises conduisant à une situation de conflit d'intérêts objective, et de détourner l'ensemble des effectifs mis à disposition de [12], trahissant ainsi son mandat social de cogérante.
Il dénonce par ailleurs l'arrêt temporaire d'activité généré par cette situation.
Les comportements dénoncés par M. [G] [Z], et notamment l'enlèvement de meubles et le détournement de personnel destinés à faire fonctionner la boutique et exploiter le domaine viticole, sont de nature à porter atteinte à l'intérêt de la société en ce qu'ils conduisent à la déposséder de certains de ses actifs et à opérer une concurrence directe à son détriment et au profit d'une société tierce dont Mme [N] [Z] épouse [P] est associée majoritaire et gérante.
Ces comportements sont par ailleurs corrélés avec la dégradation de la situation financière de la société, laquelle ne peut, en l'état, être mise en lien direct avec le comportement de Mme [N] [Z] épouse [P], mais constitue un signal préoccupant des effets de la mésentente grave existant entre les associés rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril financier imminent.
Par ailleurs, il ressort de la décision déférée et des échanges entre les parties que le litige entre les associés n'est pas contesté et est également imputé à M. [G] [Z] par la cogérante, de sorte que la désignation d'un administrateur provisoire, également sollicitée par défaut par M. [G] [Z], était justifiée, comme l'ont retenu les premiers juges, la demande de suspension du mandat social de Mme [N] [Z] épouse [P] par M. [G] [Z] revenant à conférer à ce dernier les pleins pouvoirs dans un contexte où l'origine de la mésentente est également attribuée au comportement de ce dernier, et apparaît comme la résultante de divergences dans l'exploitation du domaine et sur la coexistence avec l'Earl [Adresse 7].
L'ordonnance doit dès lors être confirmée de ce chef.
Sur la demande de restitution des meubles':
Au visa de l'article 2278 du code civil M. [G] [Z] invoque la voie de fait commise par sa s'ur, laquelle a procédé, le 20 novembre 2023, à l'enlèvement de mobilier au sein de la boutique exploitée par la société [12].
A cet égard, le juge des référés peut ordonner la restitution éventuelle de biens meubles pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
En l'espèce, en dépit de l'avertissement donné par Mme [N] [Z] épouse [P] de ce qu'elle allait procéder à l'enlèvement de deux meubles servant de présentoirs, tel que relevé par les premiers juges, il apparaît que le retrait opéré constitue un trouble manifestement illicite en ce que ces meubles étaient précédemment installés dans le boutique ouverte au public et destinés à recevoir les produits vendus par la société [12], créant un trouble dans la commercialisation et de fait, une atteinte non justifiée aux droits de la société, quelle que soit par ailleurs la propriété de ces meubles, dont aucune des deux parties n'a rapporté la preuve.
En conséquence, l'ordonnance doit être infirmée de ce chef et statuant à nouveau, il y a lieu de condamner Mme [N] [Z] épouse [P] à restituer à la société [12] les deux armoires de présentation en bois, installées dans la boutique exploitée par la société [12], en leur état d'origine, et ce sous astreinte provisoire de 150 euros par jour pendant trois mois en cas d'inexécution, passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision.
En revanche, les autres meubles n'étant pas explicitement listés, la mesure ne portera que sur les deux armoires susvisées.
Sur les frais et dépens':
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais et dépens, tant en première instance qu'en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 13 décembre 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Salon-de-Provence sauf en ce qu'elle a débouté M. [G] [Z] de sa demande tendant à enjoindre sous astreinte à Madame [N] [Z] de restituer les meubles enlevés de la boutique, et sauf en ce qu'elle a condamné M. [G] [Z] aux dépens de première instance et au paiement d'une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ces seuls chefs,
Condamne Mme [N] [Z] épouse [P] à restituer à la société [12] les deux armoires de présentation en bois installées dans la boutique exploitée par la société [12], en leur état d'origine, et ce sous astreinte provisoire de 150 euros par jour pendant trois mois, passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens de première instance,
Y ajoutant,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens d'appel.
La greffière La Présidente