CA Douai, ch. 1 sect. 1, 18 septembre 2025, n° 22/03186
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 18/09/2025
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/03186 - N° Portalis DBVT-V-B7G-ULXO
Jugement (N° 20/00945)
rendu le 10 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Saint-Omer
APPELANTS
Monsieur [T] [E], décédé le [Date décès 5] 2025
Madame [F] [X] épouse [E], décédée le [Date décès 8] 2025
Monsieur [C] [E]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 13]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Monsieur [L] [E]
né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 14]
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentés par Me Hervé Leclercq, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué aux lieu et place de Me Jonathan Bonne, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer
INTIMÉ
Monsieur le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 15]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représenté par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 12 juin 2025, tenue par Céline Miller, magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Hélène Billières, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 avril 2025
****
Par acte sous seing privé du 2 mai 2012, enregistré au service des impôts le 7 mai 2012, [T] [E] et son épouse, [F] [X], ont cédé à leurs enfants, MM. [C] et [L] [E], chacun pour moitié, la nue-propriété des 1652 parts sociales qu'ils détenaient au capital de la société civile immobilière La Cense, moyennant le prix d'un euro pour chaque cession.
Le 28 septembre 2018, le pôle de contrôle revenus et patrimoine du centre des finances publiques d'[Localité 11] a notifié à [T] [E] une proposition de rectification, procédant, par application de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L.64 du livre des procédures fiscales, à la requalification de l'acte de vente en donation déguisée imposable aux droits de mutation à titre gratuit.
Des avis de mise en recouvrement ont été émis à l'encontre d'[T] et [F] [E] et de MM. [C] et [L] [E] (les consorts [E]) le 12 juin 2019, pour un montant de 82 602 euros en principal, majorations et intérêts de retard.
Le 9 juillet 2019, les consorts [E] ont présenté une réclamation contentieuse qui a fait l'objet d'une décision de rejet le 7 septembre 2020.
Par acte d'huissier en date du 4 novembre 2020, les consorts [E] ont fait assigner le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer aux fins, principalement, que soit déclarée non fondée la décision en date du 7 septembre 2020 de la Direction départementale des Finances publiques et d'obtenir la décharge des impositions, majorations, intérêts de retard et pénalités qui leur ont été imputés.
Par jugement contradictoire du 10 juin 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Omer a :
- confirmé la décision de rejet du 7 septembre 2020,
- débouté les consorts [E] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné les mêmes aux dépens de l'instance.
Les consorts [E] ont interjeté appel le 1er juillet 2022.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises le 8 avril 2025, [F] [X] veuve [E] et MM. [L] et [C] [E], agissant en leurs noms personnels et en leur qualité d'ayants droit d'[T] [E], décédé le [Date décès 5] 2025, demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer leurs demandes recevables et bien fondées, et en conséquence, de :
- déclarer non fondée la décision en date du 7 septembre 2020 de la direction départementale des finances publiques ;
- leur accorder la décharge des impositions, majorations, intérêts de retard et des pénalités contestées,
- condamner la direction générale des finances publiques à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 14 avril 2025, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 15] (l'administration fiscale) demande à la cour, au visa des articles L. 64, L.180 et L.186 du livre des procédures fiscales ainsi que des articles 893 et 894 du code civil, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner les consorts [E] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 22 avril 2025.
[F] [X] veuve [E], est décédée le [Date décès 8] 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la prescription du droit de reprise de l'administration fiscale
Les consorts [E] invoquent la prescription du droit de reprise de l'administration fiscale à leur égard, faisant valoir que le délai de prescription abrégée prévu à l'article L.180 du livre des procédures fiscales leur est applicable dès lors que l'acte de cession litigieux a été enregistré auprès du SIE de Boulogne-sur-mer le 7 mai 2012 et que les bilans et liasses de la SCI La Cense, soumise à l'impôt sur les sociétés, étaient transmis à l'administration fiscale chaque année, de sorte que celle-ci était en mesure de constater immédiatement l'existence du fait juridique imposable sans avoir à procéder à des recherches ultérieures.
L'administration fiscale soutient que le délai de prescription applicable est celui, sexennal, prévu à l'article L.186 du livre des procédures fiscales, dès lors que la déclaration d'enregistrement de l'acte litigieux ne permettait pas d'établir l'exigibilité des droits de manière directe et certaine et qu'elle a dû procéder à des recherches ultérieures afin de démontrer l'existence d'une libéralité accordée par les époux [E] à leurs enfants, au sens des articles 893 et 894 du code civil. Elle conclut en conséquence que son droit de reprise n'est pas prescrit.
Sur ce
L'article L.10 du livre des procédures fiscales dispose que l'administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement des impôts, droits, taxes et redevances.
Aux termes de l'article L.168 du même livre, dans sa version applicable au litige, les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition peuvent être réparées par l'administration des impôts ou par l'administration des douanes et droits indirects, selon le cas, dans les conditions et dans les délais prévus aux articles L. 169 à L. 189, sauf dispositions contraires du code général des impôts.
L'article L.180 du même livre, dans sa version issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, applicable aux faits, prévoit que pour les droits d'enregistrement, la taxe de publicité foncière, (...) ainsi que les taxes, redevances et autres impositions assimilées, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité fusionnée (...) ; que toutefois, ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré ou présenté à la formalité (...), sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures.
L'article L. 186 de ce livre dispose quand à lui que lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt.
Il est constant que la prescription abrégée prévue à l'article L.180 précité n'est applicable à compter du jour de l'enregistrement d'un acte que si celui-ci révèle à lui seul, de manière directe et certaine, l'exigibilité des droits (Cass. com, 6 mai 1996, n° 94-14.686).
En l'espèce, il résulte de l'acte sous seing privé de cession de parts sociales établi le 2 mai 2012 entre [T] [E], son épouse, [F] [X], et leurs enfants, MM. [C] et [L] [E], enregistré le 7 mai 2012 auprès du service des impôts des entreprises (SIE) de [Localité 12], que les époux [E] ont consenti à leurs enfants la vente de la nue-propriété en s'en réservant l'usufruit des 1652 parts sociales - d'une valeur de 100 euros chacune - qu'ils détenaient au capital de la société civile la Cense, à hauteur de la moitié de ces parts pour chacun, soit 826 parts sociales en nue-propriété par donataire, moyennant la somme d'un euro par lot.
Si la discordance entre le prix de cession et la valeur des parts sociales cédées telle qu'indiquée dans l'acte de cession peut interroger, cet acte ne permet cependant pas de déterminer, à sa seule lecture, la valeur réelle des parts sociales cédées, que ce soit par une approche patrimoniale établie à partir de la valeur totale actualisée des actifs diminuée du passif de la société, ou par une approche par la rentabilité fondée sur les flux financiers générés par celle-ci, de sorte que ce n'est que par des investigations extérieures à l'acte que l'administration fiscale a pu déterminer, au regard de l'actif net de la société et en procédant à l'évaluation des parts sociales par l'intermédiaire de la double approche déjà évoquée, que l'acte de cession déclaré ne correspondait pas à sa réalité économique et juridique et qu'il s'agissait d'une donation déguisée.
Il y a lieu de constater en outre que l'acte de cession ne comporte aucune mention des libéralités précédemment consenties par les époux [E] à leurs enfants, de sorte que ce n'est encore que par des investigations extérieures à l'acte que l'administration fiscale a pu se convaincre que MM. [C] et [L] [E] avaient déjà bénéficié de la totalité de l'abattement auquel ils pouvaient prétendre et qu'ils étaient dès lors à ce titre redevables de droits de mutation.
Il s'ensuit que le tribunal a retenu à juste titre l'applicabilité de la prescription sexennale du droit de reprise de l'administration fiscale, de sorte que cette prescription, dont le point de départ doit être fixé au 7 mai 2012, jour de l'enregistrement de l'acte de cession auprès du SIE, et le terme au 31 décembre 2018, date d'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt, n'était pas acquise lors de la notification de la proposition de rectification du 28 septembre 2018.
Sur l'abus de droit
L'article L.64 du livre des procédures fiscales dispose :
' Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.'
En application de cette disposition, il incombe à l'administration de rapporter la preuve de l'abus de droit, soit que l'acte présente un caractère fictif, soit qu'il n'ait pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt, ces deux conditions étant alternatives.
En vertu de l'article 1582 du code civil, 'la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé.'
L'article 893 du même code dispose que la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne ; qu'il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament.
L'article 894 ajoute que 'la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.'
Il est constant qu'en l'absence de prix réel et sérieux, l'acte de cession ne constitue pas une vente, les juges du fond appréciant souverainement si le prix stipulé est dérisoire (Com., 25 avril 1967, n°63-13.021 P ; Civ. 3ème, 26 mars 1969, n° 67-12.733 P ; Civ. 1ère, 28 juin 1988, n°86-12.812 P)'; que par ailleurs, lorsque la modicité du prix trouve sa cause dans l'intention libérale qu'a eue le vendeur, les juges du fond peuvent en déduire, sans dénaturer l'acte incriminé, que celui-ci constitue une donation indirecte valable (Civ. 1ère, 6 janvier 1969, n° 67-10.401 P ; Civ. 1ère, 29 mai 1980, n° 79-11.378 P).
La donation déguisée est celle qui est faite sous l'apparence d'un contrat à titre onéreux. Si juridiquement l'opération est régulière, il incombe à l'administration fiscale d'apporter la preuve que, sous une apparence onéreuse, la vente immobilière contestée déguise en fait une libéralité, l'intention libérale du cédant se déduisant, après examen de l'ensemble des circonstances et des caractéristiques de l'acte, d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes parmi lesquelles figure la preuve de l'absence de contrepartie.
En l'espèce, aux termes d'un acte sous seing privé du 2 mai 2012, les époux [E] ont cédé à leurs fils [C] et [L] la nue-propriété de la totalité des parts de la société La Cense qu'ils détenaient en pleine propriété, soit chacun 826 parts, pour le prix d'un euro par lot.
Or il ressort de la proposition de rectification du 28 septembre 2018, non contestée sur ces points, qu'au 31 décembre 2011, la SCI La Cense était propriétaire de cinq immeubles bâtis à usage commercial sis à Calais, acquis entre 2003 et 2007, dont la valeur totale d'inscription à l'actif du bilan s'établissait à 521 700 euros, tandis que l'actif net de la SCI s'établissait à 153'874 euros, déduction faite du passif social.
C'est par des motifs propres et adoptés que le premier juge, ayant constaté que si les consorts [E] contestaient la méthode d'évaluation de l'administration fiscale, ayant abouti à une valorisation de 254 euros la part en toute propriété, ils proposaient pour leur part une valeur en pleine propriété maximale de 136 euros la part, qui s'avérait très largement supérieure au prix de cession versé par MM. [C] et [L] [E], à savoir un euro chacun, de sorte que, quelle que soit la méthode de valorisation employée, le prix dérisoire de la cession litigieuse était établi'; qu'il ne pouvait dès lors être contesté que les époux [E] s'étaient dépouillés volontairement de la nue-propriété de leurs parts sociales détenues au sein de la SCI La Cense, au profit de leurs enfants, héritiers en ligne directe, qui avaient consenti à l'acte ; et que l'ensemble des éléments concordants tenant à l'âge des cédants, à leur lien de parenté avec les cessionnaires et au prix dérisoire de la cession permettaient de démontrer l'intention libérale des époux [E] et le caractère fictif de la vente des parts.
Si les consorts [E] font valoir en appel que l'administration fiscale ne démontre pas en quoi MM. [L] et [C] [E] se sont enrichis, ni en quoi [T] et [F] [E] se sont appauvris, la cour ne peut que constater que, quand bien même les cédants ont conservé l'usufruit des parts cédées, leur permettant de percevoir d'éventuelles distributions de dividendes, ils se sont incontestablement et irrévocablement dessaisis de la nue-propriété de leurs parts sociales, laquelle est sortie de leur patrimoine pour venir enrichir celui de leurs fils, la valeur de cette nue-propriété s'établissant, d'après l'administration fiscale, qui n'est pas contredite sur ce point, à 70 % de la valeur en toute propriété des biens cédés, de sorte qu'il ne peut être allégué que cette valeur est nulle.
Il s'ensuit que l'administration fiscale démontre l'existence d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes établissant l'intention libérale des époux [E] et le caractère fictif de la cession du 2 mai 2012, laquelle constitue une donation déguisée s'analysant en un abus de droit au sens de l'article L.64 du livre des procédures fiscales.
C'est donc à juste titre que l'administration fiscale a mis en oeuvre la procédure de rectification prévue à cet article.
Sur la valorisation des parts de la SCI La Cense
Les consorts [E] critiquent la méthode d'évaluation des parts sociales objets de la cession litigieuse utilisée par l'administration fiscale au motif essentiel que, résultant de la pondération entre la valeur obtenue par l'utilisation d'une approche patrimoniale et celle obtenue par l'intermédiaire d'une approche par la rentabilité (ou valeur de productivité), elle serait incohérente, la différence entre ces deux valeurs, de 317 310 euros, étant importante. Ils ajoutent que la valeur de productivité n'est pas représentative de la valeur réelle de la société, aucun dividende n'ayant été versé depuis 2012. Ils précisent enfin que les époux [E] ont fait l'objet d'un contrôle ISF portant sur l'année 2012, n'ayant entraîné aucune rectification de la valeur déclarée des titres de la société La Cense.
L'administration fiscale fait valoir qu'à défaut de marché existant, c'est à dire de transactions réelles antérieures et proches de la date du fait générateur de l'imposition, similaires juridiquement et économiquement et correspondant aux mêmes titres ou à des titres d'entreprises similaires, la valeur des titres non cotés en bourse doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments permettant d'obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu de l'offre et de la demande sur un marché réel au jour de la transmission. Elle ajoute qu'il est ainsi tenu compte de la valeur patrimoniale, obtenue par actualisation de l'actif net comptable de la société, mais aussi de la valeur de productivité tirée de l'importance du bénéfice et, le cas échéant, de la valeur de rendement établie par capitalisation des dividendes, ces valeurs étant pondérées en fonction de la taille de la société, de la nature civile, commerciale ou industrielle de son activité et des caractéristiques de la transmission, notamment au regard du caractère majoritaire ou minoritaire du paquet à évaluer. Elle précise que dans sa proposition de rectification, il a ainsi été fait application de la combinaison de ces deux méthodes, pondérée en tendant compte de la situation majoritaire des détenteurs des parts.
Sur ce
Aux termes de l'article 666 du code général des impôts, les droits proportionnels ou progressifs d'enregistrement et la taxe proportionnelle de publicité foncière sont assis sur les valeurs.
Par ailleurs, l'article 761 du même code dispose que pour la liquidation des droits de mutations à titre gratuit, les immeubles, quelle que soit leur nature, sont estimés d'après leur valeur vénale réelle à la date de la transmission.
En vertu de l'article L.17 du livre des procédures fiscales, en ce qui concerne les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière ou la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle est due au lieu et place de ces droits ou taxe, l'administration des impôts peut rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi de base à la perception d'une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55, l'administration étant tenue d'apporter la preuve de l'insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclarations.
Il est constant que la valeur vénale des titres non cotés doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments disponibles, dont l'ensemble permet d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande (Cass. com., 16 décembre 1997, n° 95-20712) ; que cette valeur peut être déterminée par comparaison avec des cessions similaires, lorsqu'il en existe (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-14855) ; qu'à défaut, l'estimation de la valeur vénale des titres non cotés peut résulter de la combinaison de différentes méthodes suivant une pondération qui permet de prendre en considération les caractéristiques de la société et le contexte économique dans lequel elle évolue (Cass. com, 23 avril 2003, pourvoi n° 99-19.901).
En l'espèce, il résulte de la proposition de rectification établie par l'administration fiscale que celle-ci, à défaut de transaction récente reflétant une valeur de marché, a utilisé la combinaison de l'approche patrimoniale, correspondant à la valeur totale actualisée des actifs de la société, diminuée des éléments formant le passif réel de celle-ci, et l'approche par la rentabilité fondée sur les flux financiers générés par la société.
Dans le cadre de son approche patrimoniale, tout d'abord, l'administration fiscale a établi la valeur actualisée des immeubles composant l'actif de la société en utilisant une méthode par comparaison avec des ventes de biens intrinsèquement similaires, aboutissant à une valeur vénale totale de 600 000 euros pour ces immeubles. Compte tenu des autres éléments d'actif (actif circulant, créances, disponibilités) et déduction faite du passif réel de la société au 31 décembre 2011, l'actif net corrigé de la société, correspondant à sa valeur mathématique (VM) s'élève à 360 690 euros, soit une valeur unitaire des parts s'établissant à 216 euros (360 390 euros/ 1666).
Dans le cadre de son approche par la rentabilité, l'administration fiscale a procédé à la capitalisation du résultat net de la SCI pour les trois années précédant l'acte de cession du 2 mai 2012, avec une pondération de 1 à 3 en fonction de leur proximité temporelle avec cet acte et pour apprécier la dynamique de l'évolution des résultats entre 2009 et 2011. Pour obtenir la valeur par titre, le résultat net moyen, d'un montant de 29 019 euros, a été divisé par un taux de capitalisation de 4,28 %, calculé à partir d'un taux de base correspondant au taux de rendement déflaté des emprunts d'Etat à long terme (moyenne de 2,28 % pour l'année 2011), majoré d'une prime de risque de 2 points correspondant à la prime de risque historique du marché français (5 %), modulée selon un coefficient de risque lié à la société et à son secteur, en l'espèce de 0,4 % compte tenu du fait que la société, qui existe depuis 1997 (soit depuis plus de 15 ans), répartit ses locations sur quatre immeubles commerciaux (en réalité cinq), que les loyers sont en constante progression depuis 2009 et que les charges correspondantes sont maîtrisées, caractérisant un taux de risque relativement faible.
En utilisant cette méthode, l'administration établit ainsi la valeur de productivité de la société à 678 000 euros (résultat net moyen de 29 019 euros/ taux de capitalisation de 4,28 %), soit une valeur de productivité (VP) unitaire de 406 euros la part (678 000 euros/1666 parts).
L'administration fiscale a ensuite combiné ces deux approches en les pondérant à hauteur de quatre VM pour une VP compte tenu du mode de détention majoritaire des parts, aboutissant à une valeur unitaire des titres de 254 euros la part en toute propriété.
Si les consorts [E] critiquent la méthodologie de valorisation employée par l'administration fiscale, qu'ils estiment incohérente, ils n'apportent, pas plus qu'en première instance, aucune explication pour justifier leur position, la circonstance que les valeurs qu'ils ont déclarées n'ont pas été remises en cause par l'administration fiscale lors d'une vérification au titre de l'ISF en 2012 étant indifférente.
Or la cour ne peut que constater qu'en procédant par combinaison de différentes méthodes, suivant une pondération prenant en considération les caractéristiques de la société et le contexte économique dans lequel elle évolue, l'administration a bien tenu compte de l'ensemble des éléments permettant d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande.
Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a débouté les consorts [E] de l'ensemble de leurs demandes et confirmé la décision de rejet du 7 septembre 2020.
Sur les autres demandes
Le premier juge a exactement statué sur les dépens.
MM. [C] et [L] [E] succombant en leur appel, seront tenus aux entiers dépens de celui-ci et condamnés in solidum à payer à l'administration fiscale la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils seront par ailleurs déboutés de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision entreprise,
Y ajoutant,
Condamne MM. [C] et [L] [E] in solidum aux entiers dépens de l'instance ;
Condamne les mêmes, in solidum, à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 15] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les déboute de leur demande au même titre.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Samuel Vitse
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 18/09/2025
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/03186 - N° Portalis DBVT-V-B7G-ULXO
Jugement (N° 20/00945)
rendu le 10 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Saint-Omer
APPELANTS
Monsieur [T] [E], décédé le [Date décès 5] 2025
Madame [F] [X] épouse [E], décédée le [Date décès 8] 2025
Monsieur [C] [E]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 13]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Monsieur [L] [E]
né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 14]
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentés par Me Hervé Leclercq, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué aux lieu et place de Me Jonathan Bonne, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer
INTIMÉ
Monsieur le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 15]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représenté par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 12 juin 2025, tenue par Céline Miller, magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Hélène Billières, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé par mise à disposition au greffe le 18 septembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 avril 2025
****
Par acte sous seing privé du 2 mai 2012, enregistré au service des impôts le 7 mai 2012, [T] [E] et son épouse, [F] [X], ont cédé à leurs enfants, MM. [C] et [L] [E], chacun pour moitié, la nue-propriété des 1652 parts sociales qu'ils détenaient au capital de la société civile immobilière La Cense, moyennant le prix d'un euro pour chaque cession.
Le 28 septembre 2018, le pôle de contrôle revenus et patrimoine du centre des finances publiques d'[Localité 11] a notifié à [T] [E] une proposition de rectification, procédant, par application de la procédure d'abus de droit prévue à l'article L.64 du livre des procédures fiscales, à la requalification de l'acte de vente en donation déguisée imposable aux droits de mutation à titre gratuit.
Des avis de mise en recouvrement ont été émis à l'encontre d'[T] et [F] [E] et de MM. [C] et [L] [E] (les consorts [E]) le 12 juin 2019, pour un montant de 82 602 euros en principal, majorations et intérêts de retard.
Le 9 juillet 2019, les consorts [E] ont présenté une réclamation contentieuse qui a fait l'objet d'une décision de rejet le 7 septembre 2020.
Par acte d'huissier en date du 4 novembre 2020, les consorts [E] ont fait assigner le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer aux fins, principalement, que soit déclarée non fondée la décision en date du 7 septembre 2020 de la Direction départementale des Finances publiques et d'obtenir la décharge des impositions, majorations, intérêts de retard et pénalités qui leur ont été imputés.
Par jugement contradictoire du 10 juin 2022, le tribunal judiciaire de Saint-Omer a :
- confirmé la décision de rejet du 7 septembre 2020,
- débouté les consorts [E] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné les mêmes aux dépens de l'instance.
Les consorts [E] ont interjeté appel le 1er juillet 2022.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises le 8 avril 2025, [F] [X] veuve [E] et MM. [L] et [C] [E], agissant en leurs noms personnels et en leur qualité d'ayants droit d'[T] [E], décédé le [Date décès 5] 2025, demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer leurs demandes recevables et bien fondées, et en conséquence, de :
- déclarer non fondée la décision en date du 7 septembre 2020 de la direction départementale des finances publiques ;
- leur accorder la décharge des impositions, majorations, intérêts de retard et des pénalités contestées,
- condamner la direction générale des finances publiques à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises le 14 avril 2025, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 15] (l'administration fiscale) demande à la cour, au visa des articles L. 64, L.180 et L.186 du livre des procédures fiscales ainsi que des articles 893 et 894 du code civil, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner les consorts [E] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour le détail de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 22 avril 2025.
[F] [X] veuve [E], est décédée le [Date décès 8] 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la prescription du droit de reprise de l'administration fiscale
Les consorts [E] invoquent la prescription du droit de reprise de l'administration fiscale à leur égard, faisant valoir que le délai de prescription abrégée prévu à l'article L.180 du livre des procédures fiscales leur est applicable dès lors que l'acte de cession litigieux a été enregistré auprès du SIE de Boulogne-sur-mer le 7 mai 2012 et que les bilans et liasses de la SCI La Cense, soumise à l'impôt sur les sociétés, étaient transmis à l'administration fiscale chaque année, de sorte que celle-ci était en mesure de constater immédiatement l'existence du fait juridique imposable sans avoir à procéder à des recherches ultérieures.
L'administration fiscale soutient que le délai de prescription applicable est celui, sexennal, prévu à l'article L.186 du livre des procédures fiscales, dès lors que la déclaration d'enregistrement de l'acte litigieux ne permettait pas d'établir l'exigibilité des droits de manière directe et certaine et qu'elle a dû procéder à des recherches ultérieures afin de démontrer l'existence d'une libéralité accordée par les époux [E] à leurs enfants, au sens des articles 893 et 894 du code civil. Elle conclut en conséquence que son droit de reprise n'est pas prescrit.
Sur ce
L'article L.10 du livre des procédures fiscales dispose que l'administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement des impôts, droits, taxes et redevances.
Aux termes de l'article L.168 du même livre, dans sa version applicable au litige, les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition peuvent être réparées par l'administration des impôts ou par l'administration des douanes et droits indirects, selon le cas, dans les conditions et dans les délais prévus aux articles L. 169 à L. 189, sauf dispositions contraires du code général des impôts.
L'article L.180 du même livre, dans sa version issue de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, applicable aux faits, prévoit que pour les droits d'enregistrement, la taxe de publicité foncière, (...) ainsi que les taxes, redevances et autres impositions assimilées, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité fusionnée (...) ; que toutefois, ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré ou présenté à la formalité (...), sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures.
L'article L. 186 de ce livre dispose quand à lui que lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt.
Il est constant que la prescription abrégée prévue à l'article L.180 précité n'est applicable à compter du jour de l'enregistrement d'un acte que si celui-ci révèle à lui seul, de manière directe et certaine, l'exigibilité des droits (Cass. com, 6 mai 1996, n° 94-14.686).
En l'espèce, il résulte de l'acte sous seing privé de cession de parts sociales établi le 2 mai 2012 entre [T] [E], son épouse, [F] [X], et leurs enfants, MM. [C] et [L] [E], enregistré le 7 mai 2012 auprès du service des impôts des entreprises (SIE) de [Localité 12], que les époux [E] ont consenti à leurs enfants la vente de la nue-propriété en s'en réservant l'usufruit des 1652 parts sociales - d'une valeur de 100 euros chacune - qu'ils détenaient au capital de la société civile la Cense, à hauteur de la moitié de ces parts pour chacun, soit 826 parts sociales en nue-propriété par donataire, moyennant la somme d'un euro par lot.
Si la discordance entre le prix de cession et la valeur des parts sociales cédées telle qu'indiquée dans l'acte de cession peut interroger, cet acte ne permet cependant pas de déterminer, à sa seule lecture, la valeur réelle des parts sociales cédées, que ce soit par une approche patrimoniale établie à partir de la valeur totale actualisée des actifs diminuée du passif de la société, ou par une approche par la rentabilité fondée sur les flux financiers générés par celle-ci, de sorte que ce n'est que par des investigations extérieures à l'acte que l'administration fiscale a pu déterminer, au regard de l'actif net de la société et en procédant à l'évaluation des parts sociales par l'intermédiaire de la double approche déjà évoquée, que l'acte de cession déclaré ne correspondait pas à sa réalité économique et juridique et qu'il s'agissait d'une donation déguisée.
Il y a lieu de constater en outre que l'acte de cession ne comporte aucune mention des libéralités précédemment consenties par les époux [E] à leurs enfants, de sorte que ce n'est encore que par des investigations extérieures à l'acte que l'administration fiscale a pu se convaincre que MM. [C] et [L] [E] avaient déjà bénéficié de la totalité de l'abattement auquel ils pouvaient prétendre et qu'ils étaient dès lors à ce titre redevables de droits de mutation.
Il s'ensuit que le tribunal a retenu à juste titre l'applicabilité de la prescription sexennale du droit de reprise de l'administration fiscale, de sorte que cette prescription, dont le point de départ doit être fixé au 7 mai 2012, jour de l'enregistrement de l'acte de cession auprès du SIE, et le terme au 31 décembre 2018, date d'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt, n'était pas acquise lors de la notification de la proposition de rectification du 28 septembre 2018.
Sur l'abus de droit
L'article L.64 du livre des procédures fiscales dispose :
' Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.'
En application de cette disposition, il incombe à l'administration de rapporter la preuve de l'abus de droit, soit que l'acte présente un caractère fictif, soit qu'il n'ait pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt, ces deux conditions étant alternatives.
En vertu de l'article 1582 du code civil, 'la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique ou sous seing privé.'
L'article 893 du même code dispose que la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne ; qu'il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament.
L'article 894 ajoute que 'la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.'
Il est constant qu'en l'absence de prix réel et sérieux, l'acte de cession ne constitue pas une vente, les juges du fond appréciant souverainement si le prix stipulé est dérisoire (Com., 25 avril 1967, n°63-13.021 P ; Civ. 3ème, 26 mars 1969, n° 67-12.733 P ; Civ. 1ère, 28 juin 1988, n°86-12.812 P)'; que par ailleurs, lorsque la modicité du prix trouve sa cause dans l'intention libérale qu'a eue le vendeur, les juges du fond peuvent en déduire, sans dénaturer l'acte incriminé, que celui-ci constitue une donation indirecte valable (Civ. 1ère, 6 janvier 1969, n° 67-10.401 P ; Civ. 1ère, 29 mai 1980, n° 79-11.378 P).
La donation déguisée est celle qui est faite sous l'apparence d'un contrat à titre onéreux. Si juridiquement l'opération est régulière, il incombe à l'administration fiscale d'apporter la preuve que, sous une apparence onéreuse, la vente immobilière contestée déguise en fait une libéralité, l'intention libérale du cédant se déduisant, après examen de l'ensemble des circonstances et des caractéristiques de l'acte, d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes parmi lesquelles figure la preuve de l'absence de contrepartie.
En l'espèce, aux termes d'un acte sous seing privé du 2 mai 2012, les époux [E] ont cédé à leurs fils [C] et [L] la nue-propriété de la totalité des parts de la société La Cense qu'ils détenaient en pleine propriété, soit chacun 826 parts, pour le prix d'un euro par lot.
Or il ressort de la proposition de rectification du 28 septembre 2018, non contestée sur ces points, qu'au 31 décembre 2011, la SCI La Cense était propriétaire de cinq immeubles bâtis à usage commercial sis à Calais, acquis entre 2003 et 2007, dont la valeur totale d'inscription à l'actif du bilan s'établissait à 521 700 euros, tandis que l'actif net de la SCI s'établissait à 153'874 euros, déduction faite du passif social.
C'est par des motifs propres et adoptés que le premier juge, ayant constaté que si les consorts [E] contestaient la méthode d'évaluation de l'administration fiscale, ayant abouti à une valorisation de 254 euros la part en toute propriété, ils proposaient pour leur part une valeur en pleine propriété maximale de 136 euros la part, qui s'avérait très largement supérieure au prix de cession versé par MM. [C] et [L] [E], à savoir un euro chacun, de sorte que, quelle que soit la méthode de valorisation employée, le prix dérisoire de la cession litigieuse était établi'; qu'il ne pouvait dès lors être contesté que les époux [E] s'étaient dépouillés volontairement de la nue-propriété de leurs parts sociales détenues au sein de la SCI La Cense, au profit de leurs enfants, héritiers en ligne directe, qui avaient consenti à l'acte ; et que l'ensemble des éléments concordants tenant à l'âge des cédants, à leur lien de parenté avec les cessionnaires et au prix dérisoire de la cession permettaient de démontrer l'intention libérale des époux [E] et le caractère fictif de la vente des parts.
Si les consorts [E] font valoir en appel que l'administration fiscale ne démontre pas en quoi MM. [L] et [C] [E] se sont enrichis, ni en quoi [T] et [F] [E] se sont appauvris, la cour ne peut que constater que, quand bien même les cédants ont conservé l'usufruit des parts cédées, leur permettant de percevoir d'éventuelles distributions de dividendes, ils se sont incontestablement et irrévocablement dessaisis de la nue-propriété de leurs parts sociales, laquelle est sortie de leur patrimoine pour venir enrichir celui de leurs fils, la valeur de cette nue-propriété s'établissant, d'après l'administration fiscale, qui n'est pas contredite sur ce point, à 70 % de la valeur en toute propriété des biens cédés, de sorte qu'il ne peut être allégué que cette valeur est nulle.
Il s'ensuit que l'administration fiscale démontre l'existence d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes établissant l'intention libérale des époux [E] et le caractère fictif de la cession du 2 mai 2012, laquelle constitue une donation déguisée s'analysant en un abus de droit au sens de l'article L.64 du livre des procédures fiscales.
C'est donc à juste titre que l'administration fiscale a mis en oeuvre la procédure de rectification prévue à cet article.
Sur la valorisation des parts de la SCI La Cense
Les consorts [E] critiquent la méthode d'évaluation des parts sociales objets de la cession litigieuse utilisée par l'administration fiscale au motif essentiel que, résultant de la pondération entre la valeur obtenue par l'utilisation d'une approche patrimoniale et celle obtenue par l'intermédiaire d'une approche par la rentabilité (ou valeur de productivité), elle serait incohérente, la différence entre ces deux valeurs, de 317 310 euros, étant importante. Ils ajoutent que la valeur de productivité n'est pas représentative de la valeur réelle de la société, aucun dividende n'ayant été versé depuis 2012. Ils précisent enfin que les époux [E] ont fait l'objet d'un contrôle ISF portant sur l'année 2012, n'ayant entraîné aucune rectification de la valeur déclarée des titres de la société La Cense.
L'administration fiscale fait valoir qu'à défaut de marché existant, c'est à dire de transactions réelles antérieures et proches de la date du fait générateur de l'imposition, similaires juridiquement et économiquement et correspondant aux mêmes titres ou à des titres d'entreprises similaires, la valeur des titres non cotés en bourse doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments permettant d'obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu de l'offre et de la demande sur un marché réel au jour de la transmission. Elle ajoute qu'il est ainsi tenu compte de la valeur patrimoniale, obtenue par actualisation de l'actif net comptable de la société, mais aussi de la valeur de productivité tirée de l'importance du bénéfice et, le cas échéant, de la valeur de rendement établie par capitalisation des dividendes, ces valeurs étant pondérées en fonction de la taille de la société, de la nature civile, commerciale ou industrielle de son activité et des caractéristiques de la transmission, notamment au regard du caractère majoritaire ou minoritaire du paquet à évaluer. Elle précise que dans sa proposition de rectification, il a ainsi été fait application de la combinaison de ces deux méthodes, pondérée en tendant compte de la situation majoritaire des détenteurs des parts.
Sur ce
Aux termes de l'article 666 du code général des impôts, les droits proportionnels ou progressifs d'enregistrement et la taxe proportionnelle de publicité foncière sont assis sur les valeurs.
Par ailleurs, l'article 761 du même code dispose que pour la liquidation des droits de mutations à titre gratuit, les immeubles, quelle que soit leur nature, sont estimés d'après leur valeur vénale réelle à la date de la transmission.
En vertu de l'article L.17 du livre des procédures fiscales, en ce qui concerne les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière ou la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle est due au lieu et place de ces droits ou taxe, l'administration des impôts peut rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi de base à la perception d'une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55, l'administration étant tenue d'apporter la preuve de l'insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclarations.
Il est constant que la valeur vénale des titres non cotés doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments disponibles, dont l'ensemble permet d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande (Cass. com., 16 décembre 1997, n° 95-20712) ; que cette valeur peut être déterminée par comparaison avec des cessions similaires, lorsqu'il en existe (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-14855) ; qu'à défaut, l'estimation de la valeur vénale des titres non cotés peut résulter de la combinaison de différentes méthodes suivant une pondération qui permet de prendre en considération les caractéristiques de la société et le contexte économique dans lequel elle évolue (Cass. com, 23 avril 2003, pourvoi n° 99-19.901).
En l'espèce, il résulte de la proposition de rectification établie par l'administration fiscale que celle-ci, à défaut de transaction récente reflétant une valeur de marché, a utilisé la combinaison de l'approche patrimoniale, correspondant à la valeur totale actualisée des actifs de la société, diminuée des éléments formant le passif réel de celle-ci, et l'approche par la rentabilité fondée sur les flux financiers générés par la société.
Dans le cadre de son approche patrimoniale, tout d'abord, l'administration fiscale a établi la valeur actualisée des immeubles composant l'actif de la société en utilisant une méthode par comparaison avec des ventes de biens intrinsèquement similaires, aboutissant à une valeur vénale totale de 600 000 euros pour ces immeubles. Compte tenu des autres éléments d'actif (actif circulant, créances, disponibilités) et déduction faite du passif réel de la société au 31 décembre 2011, l'actif net corrigé de la société, correspondant à sa valeur mathématique (VM) s'élève à 360 690 euros, soit une valeur unitaire des parts s'établissant à 216 euros (360 390 euros/ 1666).
Dans le cadre de son approche par la rentabilité, l'administration fiscale a procédé à la capitalisation du résultat net de la SCI pour les trois années précédant l'acte de cession du 2 mai 2012, avec une pondération de 1 à 3 en fonction de leur proximité temporelle avec cet acte et pour apprécier la dynamique de l'évolution des résultats entre 2009 et 2011. Pour obtenir la valeur par titre, le résultat net moyen, d'un montant de 29 019 euros, a été divisé par un taux de capitalisation de 4,28 %, calculé à partir d'un taux de base correspondant au taux de rendement déflaté des emprunts d'Etat à long terme (moyenne de 2,28 % pour l'année 2011), majoré d'une prime de risque de 2 points correspondant à la prime de risque historique du marché français (5 %), modulée selon un coefficient de risque lié à la société et à son secteur, en l'espèce de 0,4 % compte tenu du fait que la société, qui existe depuis 1997 (soit depuis plus de 15 ans), répartit ses locations sur quatre immeubles commerciaux (en réalité cinq), que les loyers sont en constante progression depuis 2009 et que les charges correspondantes sont maîtrisées, caractérisant un taux de risque relativement faible.
En utilisant cette méthode, l'administration établit ainsi la valeur de productivité de la société à 678 000 euros (résultat net moyen de 29 019 euros/ taux de capitalisation de 4,28 %), soit une valeur de productivité (VP) unitaire de 406 euros la part (678 000 euros/1666 parts).
L'administration fiscale a ensuite combiné ces deux approches en les pondérant à hauteur de quatre VM pour une VP compte tenu du mode de détention majoritaire des parts, aboutissant à une valeur unitaire des titres de 254 euros la part en toute propriété.
Si les consorts [E] critiquent la méthodologie de valorisation employée par l'administration fiscale, qu'ils estiment incohérente, ils n'apportent, pas plus qu'en première instance, aucune explication pour justifier leur position, la circonstance que les valeurs qu'ils ont déclarées n'ont pas été remises en cause par l'administration fiscale lors d'une vérification au titre de l'ISF en 2012 étant indifférente.
Or la cour ne peut que constater qu'en procédant par combinaison de différentes méthodes, suivant une pondération prenant en considération les caractéristiques de la société et le contexte économique dans lequel elle évolue, l'administration a bien tenu compte de l'ensemble des éléments permettant d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande.
Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a débouté les consorts [E] de l'ensemble de leurs demandes et confirmé la décision de rejet du 7 septembre 2020.
Sur les autres demandes
Le premier juge a exactement statué sur les dépens.
MM. [C] et [L] [E] succombant en leur appel, seront tenus aux entiers dépens de celui-ci et condamnés in solidum à payer à l'administration fiscale la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils seront par ailleurs déboutés de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision entreprise,
Y ajoutant,
Condamne MM. [C] et [L] [E] in solidum aux entiers dépens de l'instance ;
Condamne les mêmes, in solidum, à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 15] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les déboute de leur demande au même titre.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Samuel Vitse