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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-6, 18 septembre 2025, n° 23/01138

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/01138

18 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 SEPTEMBRE 2025

N° RG 23/01138 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V2G6

AFFAIRE :

[I] [R]

C/

S.A.R.L. JLL T COMPAGNY

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Décembre 2022 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : F21/00202

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jouba WALKADI

Me Benoît DUBESSAY de

la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [R]

né le 25 Octobre 1980 à [Localité 6] (ALGERIE) (99)

de nationalité Algérienne

[Adresse 1] - Chez Mr [R] [U]

[Localité 4]

Représentant : Me Jouba WALKADI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A265 -

APPELANT

****************

S.A.R.L. JLL T COMPAGNY

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Benoît DUBESSAY de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K100 -

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

Madame Odile CRIQ, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [I] [R], a été engagé selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 17 août 2015, en qualité d'employé polyvalent, statut employé, par la société Ouaribi Distribution. Le contrat de travail du salarié a été transféré à la société JLL T Compagny en raison de la reprise de l'exploitation du magasin qui a pour activité le commerce de détails à prédominance alimentaire. Selon avenant au contrat de travail du 1er février 2019, M. [I] [R] exerçait la fonction d'adjoint au chef de magasin.

M.[R] a été convoqué le 25 janvier 2021 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 4 février suivant avec la notification d'une mise à pied conservatoire.

M. [R] a saisi le 15 février 2021 le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s'est opposée.

M. [R] a été licencié par courrier du 25 février 2021 pour faute grave.

Par jugement rendu le 14 décembre 2022, notifié le 20 avril 2023, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

Déboute M. [R] de l'intégralité de ses demandes

Déboute la société JLL T Compagny (enseigne [Adresse 5]) de toutes ses demandes

Laisse les frais et dépens à la charge des parties.

Le 23 avril 2023, M. [R] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 16 janvier 2024, M. [R] demande à la cour de :

Infirmer partiellement le jugement déféré,

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de M. [R] aux torts de la SARL JLL T Compagny à la date du 25/02/2021 et subsidiairement juger nul et abusif le licenciement

Condamner la SARL JLL T Compagny à payer à M. [R] les sommes suivantes :

15.012 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et abusif

5.004 euros au titre du préavis outre 500 euros à titre de congés payés afférents

2.148 euros à titre d'indemnité de licenciement

3.014,70 euros au titre de la mise à pied conservatoire outre 301 euros à titre de congés payés y afférents (bulletin de paie janvier/février 2021)

10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

2.476 euros à titre de rappels d'heures supplémentaires outre 247 euros à titre de congés payés y afférents

15.012 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé

3.500 euros au titre des frais de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonner à la SARL JLL T Compagny de produire le registre du personnel et le bulletin de paie du salarié recruté pour remplacer M. [R]

Confirmer le jugement pour le surplus en ce qu'il a débouté l'intimée de ses demandes reconventionnelles afférentes aux dommages et intérêts pour violation de l'obligation de loyauté et de sécurité et au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Débouter l'intimée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal

Condamner l'intimée aux entiers dépens.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 18 octobre 2023, la société JLL T Compagny demande à la cour de :

À titre principal :

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 14 décembre 2022 en ce qu'il a débouté M. [R] de l'intégralité de ses demandes,

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en date du 14 décembre 2022 en ce qu'il a débouté la SARL JLL T Compagny de ses demandes,

Condamner en conséquence M. [R] à verser à la société SARL JLL T Compagny la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de son obligation de loyauté et de l'obligation de sécurité.

À titre subsidiaire sur la demande de résiliation judiciaire :

Si la Cour faisait droit à la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R], produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il conviendrait de :

Fixer le salaire de référence pour le calcul de l'indemnité légale de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis à 2.422,95 euros bruts,

Limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire, soit 7.268,85 euros bruts.

A titre très subsidiaire sur le licenciement :

Si la Cour venait à rejeter les demandes formulées par M. [R] au titre de la demande de résiliation judiciaire mais juger que le licenciement ne reposerait pas sur une faute grave mais une cause réelle et sérieuse :

Fixer le salaire de référence pour le calcul de l'indemnité légale de licenciement, du rappel de salaire au titre de la mise à pied et de l'indemnité compensatrice de préavis à 2.422,95 euros bruts et condamner la société aux sommes suivantes :

Au titre de l'indemnité de préavis : 4.845,9 euros bruts outre 484,59 euros au titre des congés payés

Au titre du rappel de salaire sur mise à pied : 2.944,04 euros bruts outre 242,29 euros au titre des congés payés

Au titre de l'indemnité de licenciement : 2.148 euros

A titre encore plus subsidiaire :

Si la Cour venait à juger que le licenciement de M. [R] est dénué de cause réelle et sérieuse

Limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire, soit 7.268,85 euros bruts

En tout état de cause :

Débouter M. [R] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner M. [R] à payer à la société SARL JLL T Compagny la somme de 3.500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 19 mars 2025, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 2 juin 2025.

MOTIFS

Sur les heures supplémentaires :

M. [R] allègue avoir effectué au cours de l'année 2020, 144 heures supplémentaires non rémunérées en plus des heures supplémentaires déjà comptabilisées sur ses bulletins de paye.

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant, la chambre sociale de la Cour de cassation précisant selon une jurisprudence constante que le juge prud'homal ne saurait faire peser la charge de la preuve que sur le seul salarié.

En l'espèce, M. [R] verse aux débats les éléments suivants :

- un décompte hebdomadaire des heures supplémentaires effectuées,

- ses plannings.

Alors que ces éléments sont suffisamment précis pour lui permettre de répondre, l'employeur se borne à réfuter l'accomplissement d'heures supplémentaires et à discuter la force probante des éléments produits.

Contrairement à ce que soutient la société, il n'est pas établi au regard du contrat de travail et ses avenants que le salarié, en sa qualité d'adjoint au chef de magasin, avait une quelconque responsabilité quant à la gestion du temps de travail au sein du magasin.

Tenant compte de l'ensemble des éléments communiqués, la réclamation du salarié est justifiée à hauteur de 2 476 euros bruts pour l'année 2020, outre les congés payés afférents.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé :

Selon l'article L. 8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1°/ soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2°/ soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3°/ soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L.8223-1 du même code précise qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le nombre limité d'heures supplémentaires réclamées par le salarié, et établies, ne permet pas de caractériser une intention frauduleuse de l'employeur à ce titre.

Le salarié sera débouté de sa demande indemnitaire par confirmation du jugement entrepris sur ce point.

Sur l'existence de fausses accusations de la part de Mme [Y] et de Mme [E] initiées par l'employeur :

Le salarié produit aux débats :

- des échanges de messages non probants (pièce n° 8) datés des mois de juin, septembre, octobre et novembre 2020 entre lui-même et une collègue dénommée " [N] " aux termes desquels sont tenus des propos sur un retard ou un prélèvement de six euros, sans lien avec les fausses accusations alléguées.

- des échanges de messages (pièce n° 9) non datés entre M. [R] et une collègue prénommée [B] aux termes desquels, cette dernière indique au salarié qu'un certain [T] l'a appelée et lui a demandé " de signer un papier contre toi par rapport ce que passe la dernière fois. ". La collègue dénommée [B] ajoutant " non j'ai pas signé et je signe jamais tu sais bien [W] grâce à toi j'ai signé mon CDI et si toi qui ma formée j'accepte jamais signer contre toi ('). ".

- Un procès-verbal de constat établi par huissier de justice le 25 mai 2021 à la demande du salarié au terme duquel est retranscrite la conversation d'un fichier vidéo d'une durée de 5 minutes 53 secondes entre Mme [V], employée au sein du magasin et M. [R]. Au cours de cette conversation aucune accusation précise n'est évoquée par Mme [Y] à l'encontre de M. [R]. Si Mme [Y] indique à son interlocuteur qu'il a été proposé à certains salariés de signer un papier ou une pétition à son encontre, les propos de Mme [Y] sont vagues et imprécis et n'imputent précisément une telle démarche à l'employeur.

Étant relevé qu'il n'est pas allégué ni a fortiori justifié que la personne prénommée [T] évoquée par la collègue prénommée [B], aux termes de son message (pièce n° 9) soit le supérieur hiérarchique de M. [R], il n'est pas établi que l'employeur ait incité les collègues de ce dernier à porter contre lui de fausses accusations.

Le grief n'est pas établi.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié énonce avoir subi les faits suivants constitutifs selon lui d'un harcèlement moral :

- la volonté de l'employeur de lui imposer la signature d'une rupture conventionnelle,

- les dénonciations calomnieuses de harcèlement sexuel et moral dont l'employeur était l'instigateur.

Le salarié ne produit aucune pièce objectivant une proposition par l'employeur d'une rupture conventionnelle. Le grief n'est pas établi.

Il n'est pas établi que l'employeur soit intervenu auprès de Mme [Y] et de Mme [E] pour les inciter à porter de fausses accusations contre M. [R].

En l'absence de preuve de la matérialité des éléments de faits invoqués au soutien du harcèlement moral dénoncé, lesquels, pris dans leur ensemble, en feraient présumer l'existence, la demande de M. [R] de reconnaissance d'un harcèlement moral à son encontre, ainsi que ses demandes subséquentes seront rejetées.

Il sera ajouté au jugement à ce titre.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation est justifiée et c'est seulement s'il ne l'estime pas fondée qu'il doit statuer sur le licenciement.

Le salarié invoque divers manquements de l'employeur, qui selon lui, ont rendu impossible la poursuite du contrat de travail.

En premier lieu, M. [R] allègue l'existence de fausses accusations de la part de Mme [Y] et de Mme [E] initiées par l'employeur ayant donné lieu à son encontre à des poursuites pénales. En deuxième lieu, il soutient avoir subi un harcèlement moral au sein de la société en troisième lieu, il fait valoir que la société ne lui a pas payé ses heures supplémentaires.

La société considère qu'il n'y a pas de manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail, de sorte que la résiliation judiciaire n'est pas justifiée.

En application de l'article 1184, devenu 1224, du code civil, le salarié peut demander la résiliation de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements invoqués. Le juge apprécie si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat.

Le harcèlement moral allégué n'est pas établi. Il n'est pas davantage établi que l'employeur a incité les salariés à porter de fausses accusations à l'encontre de M. [R].

Le seul non paiement d'heures supplémentaires pour un nombre limité ne rend pas impossible la poursuite du contrat de travail.

M. [R] sera débouté de sa demande de résiliation judiciaire du contrat travail. Il sera ajouté au jugement de ce chef.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

" Monsieur,

Par courrier recommandé daté du 25 janvier 2021, nous vous avons adressé une convocation à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement assortie d'une mise à pied conservatoire dans l'attente de la décision à intervenir, en raison de faits graves portés à notre connaissance par plusieurs salariés de la société mettant en cause votre comportement professionnel.

Cet entretien préalable s'est tenu le 4 février 2021, entretien auquel vous vous êtes présenté assisté d'un conseiller du salarié.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les griefs que nous avions à votre encontre et à propos desquels vous avez pu vous exprimer. Vos explications n'ayant pas permis de modifier notre appréciation de la situation, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave en raison des faits qui vous sont personnellement reprochés et qui sont ci-après rappelés :

Nous vous rappelons qu'en votre qualité d'adjoint au chef du magasin, vous avez pour mission de manager au quotidien les équipes au sein du magasin. À ce titre, nous sommes en droit d'attendre de votre part une exemplarité sans faille, en particulier en matière de rapports humains puisque vos fonctions vous placent comme référent pour vos équipes.

Manifestement, vous avez manqué à votre devoir d'exemplarité en commettant des faits pouvant pour certains relever de la qualification de harcèlement sexuel et en portant atteinte à l'intégrité physique et morale de plusieurs salariés au sein de l'entreprise, ce que nous ne pouvons tolérer.

En date du 22 décembre 2020, la direction du magasin a en effet été informée par deux salariées qu'elles étaient victimes de vos agissements totalement déplacés et qu'elles ne pouvaient subir plus longtemps cette situation.

En effet, Madame [A] a alerté la direction du fait que vous adoptiez, à son égard, un comportement oppressant au sein du magasin. Cette dernière fait état d'insultes et de manipulations à son encontre. C'est ainsi que nous avons découvert que vous lui avez demandé, et ce à plusieurs reprises, de venir à votre domicile pour " faire des choses " tout en faisant usage de pressions et de chantage au licenciement à son encontre. Cette dernière nous a indiqué également que vous l'auriez forcée à vous embrasser et à vous suivre en bas en salle de pause.

Ces allégations extrêmement graves en ce qu'elles portent atteinte à l'intégrité et à la santé psychique de l'une de nos salariées sont corroborées par le témoignage d'une autre salariée de l'entreprise.

Madame [V] affirme ainsi, avoir elle aussi fait l'objet de comportements déplacés de votre part. Cette dernière a précisé à la Direction que vous lui avez également proposé, à plusieurs reprises, de venir vous rejoindre à votre domicile en échange cette fois-ci de votre silence quant à de prétendus " trous de caisse ", constituant là aussi une forme de chantage intolérable compte tenu de vos fonctions.

La salariée nous a rapporté en date du 3 février 2021, en complément de ses premières déclarations du 22 décembre 2020, qu'au début du mois de novembre vous l'aviez suivie dans les escaliers du magasin et mis une main aux fesses. Elle nous a en outre indiqué qu'au mois de mai 2020, vous auriez tenté de pénétrer dans les toilettes pour femmes alors que cette dernière s'y trouvait.

Vous ne pouvez ignorer qu'un tel comportement ne peut être tolérable puisque nous vous rappelons que les dispositions du code pénal relatives au harcèlement font l'objet d'un affichage au sein du magasin.

En utilisant le temps normalement consacré au travail pour commettre vos agissements qui visaient non seulement à obtenir des faveurs à caractère sexuel mais aussi à intimider, voire menacer dans la mesure où les personnes concernées ne répondaient pas favorablement à vos sollicitations, vous avez manqué à vos obligations professionnelles, dont votre obligation de loyauté.

Rien ne permet de justifier un comportement en totale opposition avec vos fonctions et obligations et contraire aux intérêts de l'entreprise.

Votre attitude est d'autant plus inadmissible qu'elle est également à l'origine d'un climat délétère aggravé par votre position managériale et qui, au regard des déclarations concordantes des salariés du magasin, a entraîné une dégradation des conditions de travail de plusieurs salariés.

Ainsi, Madame [M], en plus de déclarer qu'elle avait elle-même pu constater votre comportement agressif à l'égard de Madame [V] et Madame [A], celle-ci nous a précisé qu'elle vous a demandé à plusieurs reprises de cesser ce comportement, sans succès.

Cette dernière fait état par ailleurs d'un management oppressif car selon elle, vous vous servez ouvertement de " votre grade " et vous voulez que " tout le monde vous obéisse au doigt et à l''il ", ce constat étant partagé par d'autres salariés de l'entreprise.

Nous vous rappelons qu'en notre qualité d'employeur, nous devons prendre toute la mesure nécessaire pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés de l'entreprise.

L'ensemble des éléments et des faits reprochés constituent un manquement extrêmement grave à vos obligations de manière générales et en particulier à votre obligation contractuelle de loyauté vis-à-vis de notre entreprise de surcroit en votre qualité de manager.

En conséquence, votre contrat de travail prendra fin à compter de la date du présent courrier, sans préavis ni indemnité autre que l'indemnité compensatrice de congés payés. Par ailleurs, compte tenu de cette décision, la période de mise à pied conservatoire, mesure qui vous avait été notifiée le 18 janvier 2021 ne vous sera pas rémunérée. (') ".

En cas de litige, en vertu des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste il profite au salarié.

La faute grave se définit comme résultant d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat et la charge de la preuve repose sur l'employeur qui l'invoque.

S'agissant du harcèlement sexuel reproché à M. [R], la société verse aux débats diverses attestations :

-(pièce n° 6), Mme [B] [A], intérimaire étudiante, indique que M. [R] responsable du magasin a eu des propos inacceptables envers elle, qu'il l'insultait et la maltraitait ajoutant que M. [R] lui demandait souvent de partir chez lui " sinon, il allait me virée dans le magasin ". Mme [A] ajoute en ces termes : " Parfois, il me force à faire des choses que je ne veux pas : l'embrasser, le suivre en bas en salle de pause.. (..) Il insistait pour que je fasse des choses en retour de me laisser en paix et bien sûr de me garder dans le magasin. (..) ".

-(pièce n° 7), Mme [V], employée, énonce : " il m'a manipulée en me disant que si je ne viens pas chez lui, vu qu'il me couvre en cachant mes trous de caisse, il va me virer. Il me harcelait, il m'a mis plusieurs fois des mains. Il a même essayé de rentrer dans les toilettes pendant que j'y étais. (..) ".

-(pièce n° 8), M. [O], employé libre-service, indique sans désigner nommément M. [R] en ces termes : " cet individu en question mettait la pression aux filles ", s'agissant de Mme [V] et de Mme [E] en leur disant " si vous venez pas chez moi je vais tout faire pour vous virer. ".

-(pièce n° 10), M. [S] employé libre-service, énonce avoir été témoin de la proposition faite par M. [R] à Mme [V] de venir chez lui sous peine " d'être virée du magasin ".

-(pièce n° 11), Mme [M], caissière, témoigne de la façon suivante : " Cela fait presque sept ans que je travaille avec M. [R] et durant tout ce temps, j'ai vu le comportement de ce monsieur envers les caissières, très agressif. Plusieurs fois je lui ai demandé d'arrêter l'agressivité avec les caissières parce qu'elles sont stressées. Il me répond oui, mais quelques jours après il recommence. Il a même essayé avec moi, mais cela n'a pas marché parce que j'ai plus d'expérience que les filles. Monsieur se sert de son grade et veut que tout le monde lui obéisse au doigt et à l''il. Il avait une soif de vengeance envers le gérant actuel du magasin. ".

- la plainte déposée par Mme [B] [E] auprès des services de police le 26 janvier 2021 pour harcèlement moral à l'encontre de M. [R]

Si les pièces n° 9 et 12 produites par la société portant attestations de M. [P], responsable de magasin et M. [J], employé libre-service ne sont pas lisibles, il ressort de l'ensemble des témoignages produits qui sont concordants, précis et circonstanciés que M. [R] a eu envers Mme [E] et Mme [V] des gestes et a adopté des attitudes et des propos déplacés dans le but manifeste d'obtenir des faveurs de nature sexuelle.

Ces éléments précis et concordants ne sont pas utilement critiqués par le salarié. En effet, pour contester tout harcèlement, M. [R] oppose de manière inopérante que les allégations des salariées n'ont pas emporté la conviction du parquet qui ne l'a pas poursuivi pour harcèlement sexuel, ni du tribunal correctionnel qui l'a relaxé des chefs de harcèlement moral, dès lors que la plainte déposée par Mme [E] en 2021 ne portait que sur le harcèlement moral.

Le salarié ne fournit aucun élément susceptible de remettre en question les témoignages concordants et circonstanciés de Mme [E] et de Mme [V], ci-avant reproduits.

Le salarié allègue sans en justifier au regard de la seule pièce n° 13 visée dans ses écritures constituée du certificat médical du docteur [K], médecin généraliste, que l'employeur le harcelait afin qu'il accepte une rupture conventionnelle.

Vainement, le salarié allègue avoir été licencié pour des raisons économiques sans respect de la procédure imposée par la loi. À cet égard, il n'y aura pas lieu d'ordonner à la société de produire le registre du personnel. M. [R] sera débouté de sa demande par ajout au jugement.

Les témoignages de différents collègues ayant travaillé avec M. [R] et louant ses compétences et qualités professionnelles sont inopérants à démontrer l'inexactitude du harcèlement sexuel reproché.

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les griefs plus amples reprochés, ces seuls faits, avérés, rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement repose sur une faute grave et en ce qu'il a débouté le salarié de ses réclamations indemnitaires subséquentes.

Le licenciement ayant été prononcé pour faute grave, la mise à pied à titre conservatoire était justifiée et M. [R] est donc mal fondé à percevoir le salaire correspondant. Il sera débouté de cette demande par confirmation du jugement de ce chef.

Sur les demandes reconventionnelles de la société :

Au soutien de sa demande indemnitaire à hauteur de 10 000 euros, la société fait valoir que le comportement adopté par M. [R] a nécessairement eu un impact sur l'ensemble de la collectivité de travail, a contribué à la dégradation importante des conditions de travail outre l'atteinte portée à l'entreprise et à son gérant.

Les manquements du salarié ont été sanctionnés par la rupture du contrat de travail. De plus, la société ne justifie pas du préjudice allégué. La société sera déboutée de sa demande reconventionnelle par confirmation de jugement de ce chef.

Sur les autres demandes :

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 14 décembre 2022, sauf en ce qu'il a débouté M. [I] [R] de sa demande en paiement des heures supplémentaires et sauf en ce qu'il a laissé à la charge de chacune des parties ses propres dépens.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute M. [I] [R] de sa demande de reconnaissance d'un harcèlement moral ainsi que de ses demandes subséquentes.

Déboute M. [I] [R] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Déboute M. [I] [R] de sa demande de production par la société du registre du personnel.

Condamne la société JLL T Compagny à payer à M. [I] [R] les sommes suivantes :

2 476 euros bruts au titre des heures supplémentaires pour l'année 2020, outre 247,60 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Rappelle que les créances de nature salariale porteront intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes, pour les créances salariales échues à cette date.

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en cause d'appel.

Condamne la société JLL T Compagny aux entiers dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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