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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 18 septembre 2025, n° 24/12375

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/12375

18 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRET SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 18 SEPTEMBRE 2025

Rôle N° RG 24/12375 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNZ4N

[T] [S]

[M] [N]

C/

[Z] [R]

[G] [D] épouse [R]

[P] [R]

[F], [K], [O] [R]

[L], [C], [X] [R]

[G], [A] [R]

S.C.I. SOGETERRIERS

S.C.I. [B] [Localité 13] ESTATE WORLDWIDE (CREW FRANCE) (CREW FRANCE)

S.C.I. SYLPHALINE B

S.C.I. [B]

S.C.I. [V]

Copie exécutoire délivrée

le : 11/09/25

à :

Me Agnès ERMENEUX

Me Pierre-Yves IMPERATORE

Me Jean-François JOURDAN

Arrêt en date du 11 Septembre 2025 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 11 juillet 2024, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 2022/246 rendu le 20 octobre 2022 par la Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE (Chambre 3-4), statuant sur l'appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 17 décembre 2021.

DEMANDEURS SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [T] [S]

né le 26 Mars 1971 à [Localité 15],

demeurant [Adresse 7]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me François MIRIKELAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Monsieur [M] [N]

né le 19 Août 1968 à [Localité 11],

demeurant [Adresse 9] [Adresse 10]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me François MIRIKELAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant

DEFENDEURS SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [Z] [R]

né le 08 Juin 1986,

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté de Me Sandrine TURRIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant, substituant Me Philippe MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE

Madame [G] [D] épouse [R]

née le 13 Avril 1962 à [Localité 12] (06),

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Sandrine TURRIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant, substituant Me Philippe MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE

Monsieur [P] [R]

né le 31 Mai 1977,

demeurant [Adresse 6]

non comparant

Madame [F], [K], [O] [R]

demeurant EHPAD - Maison de Retraite les Gabres - [Adresse 8]

non comparante

Madame [L], [C], [X] [R]

née le 02 Mai 1967,

demeurant [Adresse 5]

défaillante

Madame [G], [A] [R]

née le 20 Juin 1969,

demeurant [Adresse 4]

non comparante

S.C.I. SOGETERRIERS, représentée par ses gérants

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Chloé ADELBRECHT-VIGNES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant, substituant Me Jean-Fabrice BRUN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

S.C.I. [B] [Localité 13] ESTATE WORLDWIDE (CREW FRANCE) prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Chloé ADELBRECHT-VIGNES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant, substituant Me Jean-Fabrice BRUN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

S.C.I. SYLPHALINE B prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Sandrine TURRIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant, substituant Me Philippe MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE

S.C.I. [B] prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Sandrine TURRIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant, substituant Me Philippe MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE,

S.C.I. [V], prise en la personne de ses représentants légaux

dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Me Pierre-Yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me Sandrine TURRIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant, substituant Me Philippe MARIA de l'ASSOCIATION MARIA - RISTORI-MARIA, avocat au barreau de GRASSE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, et Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, chargées du rapport.

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2025. A cette date, le délibéré a été prorogé au 18 septembre 2025

ARRÊT

Défaut,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025

Signé par Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, en l'empêchement du président et Madame Julie DESHAYE, greffier ,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société civile immobilière Sogeterriers (Sci Sogeterriers), détenue initialement par la famille [R], a fait entrer au capital social M. [E] et ses enfants, notamment par le biais de diverses sociétés.

Ainsi, en 2017, la Sci Sogeterriers avait pour associés M. [Z] [R], Mmes [L] et [G] [R] ainsi que les sociétés civiles immobilières [B] Real Estate Worldwide (Crew), Sylphaline B, [V] et [B], titulaires de parts en pleine propriété ou en nue-propriété.

L'usufruit des parts était détenu par MM. [P] [R], [T] [S], [M] [N] et Mmes [F] [U] veuve [R], [G] [D] veuve [R] ainsi que par la Sci [B].

Par assemblée générale du 6 décembre 2017 les associés ont voté la distribution de 2 000 000 euros de dividendes aux deux gérants de la Sci Sogeterriers, les Sci Sylphaline B. et [B].

Par assemblée générale du 23 janvier 2018 les associés ont voté l'augmentation du capital social de la société, qui s'est traduite par la création de 72 800 parts sociales lors de l'assemblée générale mixte du 21 mars 2018.

Le 16 mars 2020, contestant ces délibérations, Mme [L] [R] a fait assigner les gérants de la Sci ainsi que les associés et usufruitiers devant le tribunal judiciaire de Grasse pour voir annuler la 2ème résolution de l'assemblée générale du 6 décembre 2017, l'assemblée générale du 23 janvier 2018, et voir annuler la 1ère résolution de l'assemblée générale mixte du 21 mars 2018. Par conclusions elle a également sollicité l'annulation de toutes les assemblées et/ou consultations écrites postérieures.

Mme [F] [R] et MM. [P] [R], [T] [S] et [M] [N] se sont associés aux demandes de Mme [L] [R] et ont également sollicité l'annulation de la seconde résolution de l'assemblée du 20 mars 2019.

Par ordonnance du 17 décembre 2021, saisi sur incident, le juge de la mise en état a notamment déclaré Mme [L] [R] irrecevable en ses demandes d'annulation et déclaré irrecevables en leurs demandes M. [T] [S] et M. [M] [N]. Ces derniers ont interjeté appel de l'ordonnance.

Par arrêt du 20 octobre 2022, statuant dans les limites de sa saisine, la chambre 3-4 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, a confirmé l'ordonnance du juge de la mise en état et statué sur les frais et dépens

Mme [L] [R], M. [T] [S] et M. [M] [N] ont formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt et, par décision du 11 juillet 2024, la Cour de cassation a statué ainsi':

«'CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare MM. [S] et [N], en leur qualité d'usufruitiers, irrecevables à solliciter l'annulation de l'assemblée générale du 23 janvier 2018 décidant de l'augmentation de capital de la société civile immobilière [Adresse 14], de la première résolution de l'assemblée générale du 21 mars 2018 portant le nombre de parts sociales à 93 000 du fait de cette augmentation et de toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures votées avec les majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital, l'arrêt rendu le 20 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence'».

Le 11 octobre 2024 MM. [T] [S] et [M] [N] ont ainsi saisi la cour d'appel d'Aix-en-Provence, juridiction de renvoi. L'affaire a été attribuée à la chambre 3-1.

--------

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 7 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [T] [S] et M. [M] [N] demandent à la cour de':

Vu l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 11 juillet 2024, n°418 FS-B

Vu l'arrêt n°2022/246 de la chambre 3-4 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 octobre 2022

Vu l'ordonnance du Juge de la Mise en État du Tribunal judiciaire de Grasse du 17 décembre 2021

Vu les décisions collectives des associes de la Sci Sogeterriers en date des 23janvier et 21 mars 2018,6 décembre 2017, 4 octobre, 12 novembre et 10 décembre 2018, 20 mars et 19 décembre 2019, 16 mars et 20 avril 2020, 19 avril 2021, 31 mars 2022, 28 avril et 6 octobre 2023, 18 avril et 6 décembre 2024, 28 avril 2025

Vu les dispositions des articles 578, 1833, 1844, al.3, et 1844-10 du Code civil

Vu les dispositions des articles 563 et suivants, 568, 625 et suivants du Code de procédure civile

Vu l'article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Vu les dispositions des articles 612-1, 821-5 et 821-47 du Code de commerce

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats

Dire MM. [T] [S] et [M] [N], en leur qualité d'usufruitiers de la Sci Sogeterriers, recevables et bien-fondes en leurs demandes,

Infirmer l'ordonnance du 17 décembre 2021 du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire

de Grasse en ce qu'elle a déclaré irrecevables, en leur qualité d'usufruitiers, MM. [T] [S] et [M] [N] a solliciter l'annulation de l'assemblée générale du 23 janvier 2018 décidant de l'augmentation de capital de la Sci Sogeterriers, de la première résolution de l'assemblée générale du 21 mars 2018 portant le nombre de parts sociales a 93.000 du fait de cette augmentation, de toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures qui ont été votées avec les majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital,

Et statuant a nouveau,

Débouter la Sci [B], la Sci Sylphaline B., la Sci Sogeterriers et la Sci [B] Real Estate Worldwide, M. [Z] [R], Mme [G] [R] née [D] et la Sci [V] de leurs fins de non-recevoir et de l'ensemble de leurs autres demandes, fins et prétentions,

Déclarer MM. [T] [S] et [M] [N], en leur qualité d'usufruitiers, recevables à agir en annulation de la première résolution de nature extraordinaire de la Consultation écrite de la Sci Sogeterriers en date du 28 avril 2023,

Et évoquant au fond, au visa particulier de l'article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les demandes d'annulation de MM. [T] [S] et [M] [N] relatives :

- à toutes les délibérations de l'Assemblée Générale Extraordinaire des associes de la Sci Sogeterriers en date du 23 Janvier 2018 pour abus de majorité,

- toutes les délibérations de l'Assemblée Générale Mixte des associes de la Sci Sogeterriers en date du 21 mars 2018 pour abus de majorité,

- aux Assemblées générales et des décisions collectives des 4 octobre, 12 novembre et 10 décembre 2018, 20 mars et 19 décembre 2019, 16 mars et 20 avril 2020, 19 avril 2021, 31 mars 2022, 28 avril et 6 octobre 2023, 18 avril et 6 décembre 2024, 28 avril 2025

Annuler

- les délibérations de l'Assemblée Générale Extraordinaire des associés de la Sci Sogeterriers en date du 23 Janvier 2018,

- les délibérations de l'Assemblée Générale Mixte des associes de la Sci Sogeterriers en date du 21 mars 2018,

- les Assemblées générales et des décisions collectives des 4 octobre, 12 novembre et 10 décembre 2018, 20 mars et 19 décembre 2019, 16 mars et 20 avril 2020, 19 avril 2021, 31 mars 2022, 28 avril et 6 octobre 2023, 18 avril et 6 décembre 2024, 28 avril 2025.

Nommer les Commissaires aux comptes titulaire et suppléant de son choix pour certifier les comptes annuels à compter de l'exercice en cours au prononce de l'arrêt.

En tout état de cause

Annuler la première résolution de nature extraordinaire de la Consultation écrite de la Sci

Sogeterriers en date du 28 avril 2023,

Désigner tel expert de son choix avec mission de déterminer la valeur de la Sci Sogeterriers au 23 janvier 2018 et partant Ia valeur des parts nouvelles e émettre pour une augmentation de capital de 11.553.160 €

A titre subsidiaire si jamais la cour refusait d'évoquer le fond

Renvoyer les parties au fond devant le Tribunal judiciaire de Grasse

Et en tout état de cause

Débouter Mme [G] [R] née [D], M. [Z] [R] et la société [V] de leur demande de condamnation de M. [T] [S] et M.[M] [N] au paiement de dommages intérêts pour procédure abusive.

Condamner la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. a payer conjointement et solidairement à MM. [T] [S] et [M] [N] la somme de 18.000 € chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

MM. [S] et [N], usufruitiers de parts sociales de la société Sogeterriers, soutiennent qu'ils disposent d'une qualité et d'un intérêt à agir dès lors que les délibérations prises en assemblées générales des 23 janvier 2018, du 21 mars 2018 (1ère résolution), ainsi que les délibérations votées postérieurement avec les nouvelles majorités, mettent en péril la distribution des dividendes compte-tenu de la dévalorisation de l'usufruit.

Ils précisent qu'en l'état de leurs conclusions en intervention principale et accessoire en réponse aux demandes initiales présentées par Mme [L] [R] ils sont parfaitement recevables à agir en dépit du rejet de la demande principale de cette dernière.

Ils soulignent qu'avant 2018 les usufruitiers disposaient de 2,475 % des droits aux résultats et qu'ils n'en possèdent plus que 0,537 % après l'augmentation du capital décidée, dénonçant une collusion frauduleuse destinée à diluer leurs droits aux résultats.

MM. [S] et [N] font en outre grief aux associés de la Sci Sogeterriers d'être à l'origine d'un abus de majorité dès lors que les délibérations contestées ne visent qu'à profiter aux associés majoritaires et aux gérants et sont contraires à l'intérêt social de la société.

Ils dénoncent enfin les nombreuses irrégularités affectant l'augmentation de capital contestée, justifiant selon eux l'annulation des décisions fondées sur des délibérations frauduleuses ou abusives.

Ils demandent à ce que la cour fasse application de son droit d'évocation pour statuer sur les nullités encourues au regard des délais écoulés.

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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 3 avril 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. demandent à la cour de':

Vu les articles 31, 32, 122, 329, 330, 480, 568, 789 et 913-5 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1181, 1182, 1355, 1844 et 1844-12-1 du Code civil,

Vu le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019,

Vu la jurisprudence en vigueur,

Rejeter l'ensemble des demandes et prétentions de M. [T] [S] et M. [M] [N] ;

Débouter M. [T] [S] et M. [M] [N] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions portant sur des questions de fond pour incompétence ;

Débouter M. [T] [S] et M. [M] [N] de leur demande d'annulation de la décision collective du 20 mars 2019, la Cour de Cassation ayant définitivement rejeté leur pourvoi sur le sujet ;

Confirmer l'Ordonnance du juge de la mise en état du 17 décembre 2021 dans toutes ses dispositions ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour absence de prétentions propres, leur demande d'intervention volontaire accessoire étant éteinte du fait de l'extinction de la procédure principale de Mme [L] [R] ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut de qualité, cette action étant réservée aux associés minoritaires et représentants légaux de la société ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers du fait de la chose jugée en dernier ressort le 28 mars 2024 par la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence au titre de la même demande avec les mêmes parties ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut d'intérêt, ces assemblées ne portant pas atteinte à leur droit de jouissance d'usufruitiers ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut d'intérêt, l'unanimité des associés sur l'augmentation de capital décidée ne pouvant être constitutive d'un abus de majorité ;

Par conséquence et à titre subséquent

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation de toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures au 21 mars 2018 de la société Sogeterriers du fait des majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital ;

En tout état de cause

Condamner M. [T] [S] et M. [M] [N] à payer conjointement à la société S.C.I. [B] et la société Sci Sylphaline B. la somme de 1.500 € chacun, soit une somme totale de 3.000 €, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner M. [T] [S] et M. [M] [N] aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre-Yves Imperatore, Avocats associés, aux offres de droit

La Sci [B] et la Sci Sylphaline B. répliquent en premier lieu que la disparition de l'instance principale initiée par Mme [L] [R] devant le tribunal judiciaire entraîne la disparition des demandes formées par MM. [S] et [N] au titre de leurs conclusions d'intervention volontaire dès lors que ceux-ci n'ont formé aucune prétention propre et distincte de celles de Mme [R], outre que leurs prétentions étaient conditionnées à la recevabilité de leur intervention volontaire accessoire.

En second lieu, la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. invoquent le défaut de qualité à agir de MM. [S] et [N] en faisant valoir que ces derniers, qui invoquent la nullité de l'augmentation de capital de 2018 sur le fondement d'un abus de majorité, sont irrecevables à agir dès lors que la Cour de cassation a réservé cette action aux seuls associés minoritaires et représentants légaux.

En troisième lieu, les sociétés invoquent l'autorité de la chose jugée en dernier ressort attaché à l'arrêt de la cour d'appel rendu le 28 mars 2024 et confirmant le défaut de qualité à agir de MM. [S] et [N].

En quatrième lieu, la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. ajoutent que MM. [S] et [N] ne justifient pas davantage de leur intérêt à agir en nullité de l'augmentation de capital décidée dès lors que cette augmentation ne porte pas atteinte à leur droit de jouissance en ce qu'ils bénéficient d'un droit à dividendes forfaitaire et fixe, lequel n'a pas varié depuis le vote contesté. Elles précisent en outre que l'augmentation de capital a permis de nouveaux investissements et d'en consolider d'autres entraînant des résultats supplémentaires facilitant et pérennisant le versement de dividendes prioritaires, outre le caractère désormais viager des usufruits.

Elles font observer que le capital détenu actuellement par les usufruitiers ne leur permettrait pas davantage de voter à la majorité une affectation des résultats, que la valeur d'usufruit est maintenue, que seule une annulation de l'augmentation de capital serait susceptible de porter une atteinte directe à leur droit de jouissance, et que l'unanimité des associés exclut l'abus de majorité.

Enfin, la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. contestent la possibilité d'évocation au fond de la cour en faisant observer que l'ordonnance du juge de la mise en état a statué sur une fin de non-recevoir, excluant que les conditions de l'article 568 du code de procédure civile soient réunies.

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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 14 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la Sci Sogeterriers et la Sci [B] Real Estate Worldwide demandent à la cour de':

Vu les articles 1844 alinéa 3 et 1844-14 du Code civil,

Vu les articles 70, 122, 568, 789, 915-2 (ancien 910-4) et 1037-1 du Code de procédure civile,

Vu l'article 48 du Décret n°78-704 du 3 juillet 1978,

Déclarer Messieurs [T] [S] et [M] [N] irrecevables à solliciter la nullité de toutes les délibérations de l'assemblée générale du 21 mars 2018, des assemblées générales et des décisions collectives des 19 avril 2021, 31 mars 2022, 28 avril ' et plus particulièrement de la première résolution de nature extraordinaire ' et 6 octobre 2023, 18 avril 2024 et 6 décembre 2024 et 28 avril 2025 pour lesquelles la Cour d'appel de céans ne peut être saisie car elles ne font pas l'objet d'un renvoi par l'arrêt du 11 juillet 2024 de la Cour de cassation ;

Confirmer l'Ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Grasse en date du 17 décembre 2021 dans toutes ses dispositions en ce qu'elle a :

- Déclaré « irrecevables, en leur qualité d'usufruitiers, Monsieur [T] [S] et Monsieur [M] [N] à solliciter l'annulation de l'assemblée générale du 23 janvier 2018 décidant de l'augmentation de capital de la Sci Sogeterriers, de la première résolution de l'assemblée générale du 21 mars 2018 portant le nombre de parts sociales à 93.000 du fait de cette augmentation, de toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures qui ont été votées avec les majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital» ;

- Déclaré « irrecevable la demande reconventionnelle formée par Monsieur [T] [S] et Monsieur [M] [N] en annulation de la deuxième délibération de la décision collective de la Sci Sogeterriers du 20 mars 2019, à défaut de lien suffisant avec les prétentions originaires » ;

- Constaté « le dessaisissement du Tribunal en l'état de la présente décision » ;

- Dit « que si un recours est exercé contre la présente décision dans le délai d'appel, le rétablissement au rôle de la procédure pourra être effectué sur simple production d'un arrêt infirmatif » ;

- Débouté « Monsieur [T] [S] et Monsieur [M] [N] de leurs demandes formées en application de l'article 700 du Code de procédure civile » ;

A titre subsidiaire si par extraordinaire la Cour déclarait les demandes de Monsieur [T] [S] et Monsieur [M] [N] recevables

Renvoyer les parties au fond devant le Tribunal judiciaire de Grasse

En tout état de cause

Débouter Monsieur [T] [S] et Monsieur [M] [N] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

Condamner in solidum Monsieur [T] [S] et Monsieur [M] [N] à verser à [Adresse 14] et à CREW France la somme de 15.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.

La Sci Sogeterriers et la société Crew répliquent que le droit de vote des usufruitiers, qui n'ont pas, par définition la qualité d'associés, est limité à l'affectation des bénéfices, et qu'il doit être déduit de l'arrêt du 11 juillet 2024 que ceux-ci ne sont recevables à agir que lorsqu'il est directement porté atteinte à leur droit de jouissance, c'est-à-dire lorsque la délibération sociale a pour objet l'affectation des bénéfices.

Elles ajoutent que le droit de vote des usufruitiers ne leur permet pas dès lors d'agir en contestation d'une délibération portant sur une augmentation du capital et pas davantage pour abus de majorité dès lors qu'ils n'ont ni la qualité de dirigeants sociaux ni celles d'associés minoritaires.

La Sci Sogeterriers et la société Crew font également valoir le revenu minimum annuel prévu par l'article 22 au bénéfice des usufruitiers, lequel a été perçu par MM. [S] et [N] en dépit de l'augmentation du capital, attestant qu'ils n'ont pas de réel intérêt sauf celui de nuire à la société.

Enfin, elles dénoncent les demandes nouvelles formées devant la cour et s'opposent à l'évocation demandée.

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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 6 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [Z] [R], Mme [G], [I] [R] née [D] et la Sci [V] demandent à la cour de':

Vu les articles 31, 32, 122, 330, 480, 568 et 789 du Code de Procédure Civile,

Vu les articles 621, 1181, 1182, 1355, 1844, 1844-12-1, 1844-14 et 2224 du Code Civil,

Vu le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019,

Vu la jurisprudence en vigueur,

Rejeter l'ensemble des demandes et prétentions de M. [T] [S] et M. [M] [N] ;

Débouter M. [T] [S] et M. [M] [N] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions portant sur des questions de fond pour incompétence ;

Débouter M. [T] [S] et M. [M] [N] de leur demande d'annulation de la décision collective du 20 mars 2019, la Cour de Cassation ayant définitivement rejeté leur pourvoi sur le sujet ;

Confirmer l'Ordonnance du juge de la mise en état du 17 décembre 2021 dans toutes ses dispositions ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables au titre de leur seule demande consistant à voir juger recevable leur intervention volontaire tant accessoire que principale, en tant qu'ils s'associent aux demandes présentées par Madame [L] [R], et qu'ils ne sauraient être intervenants volontaires ;

Déclarer ainsi M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut de droit à agir, leur demande d'intervention volontaire accessoire ayant été éteinte du fait de l'extinction de la procédure principale de Mme [L] [R] qu'ils ont intégralement et expressément faite leurs ;

Déclarer à défaut M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut de droit à agir, faute de prétentions, leur demande d'intervention volontaire accessoire relevant des dispositions de l'Article 330 du Code de Procédure Civile ayant été posée comme préalable exprès à leurs demandes, éliminant ainsi toute prétention possible effectuée par eux en dehors de ce strict cadre ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut de qualité, cette action étant réservée aux associés minoritaires et représentants légaux de la société ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers du fait de la chose jugée en dernier ressort le 28 mars 2024 par la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence au titre de la même demande avec les mêmes parties et les mêmes qualités ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut d'intérêt, ces assemblées ne portant pas atteinte à leur droit de jouissance d'usufruitiers et/ou M. [T] [S] et M. [M] [N] n'exerçant pas leur droit de jouissance depuis de nombreuses années ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers pour défaut d'intérêt à agir, l'unanimité des associés sur l'augmentation de capital décidée ne pouvant être constitutive d'un abus de majorité ;

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018 de la société Sogeterriers du fait de la prescription sur toute remise en cause possible de l'assemblée générale du 15 février 2018, définitive en application de l'Article 1844-14 du Code Civil, qui a agréé la S.C.I. [V], non associée jusque-là, au titre de l'augmentation de capital ainsi irrévocablement validée ;

Par conséquence et à titre subséquent

Déclarer M. [T] [S] et M. [M] [N] irrecevables à agir en annulation de toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures au 21 mars 2018 de la société

[Adresse 14] du fait des majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital ;

En tout état de cause

Condamner M. [T] [S] et M. [M] [N] à payer conjointement au profit de chacun des trois concluants, à savoir Madame [G] [R], née [D], Monsieur [Z] [R] et la S.C.I. [V], la somme de 1.000 € chacun, soit une somme totale de 3.000 €, au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner M. [T] [S] et M. [M] [N] à payer conjointement au profit de chacun des trois concluants, à savoir Madame [G] [R], née [D], Monsieur [Z] [R] et la S.C.I. [V], la somme de 18.000 € chacun, soit une somme totale de 54.000 €, au titre de procédure abusive ;

Condamner M. [T] [S] et M. [M] [N] aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre-Yves Imperatore, Avocats associés, aux offres de droit

Mme [G] [R], M. [Z] [R] et la Sci [V] contestent à titre liminaire la demande d'évocation formée par les appelants et font observer que l'augmentation de capital de 2018 est indéniablement d'intérêt social et la procédure des MM. [S] et [N] est in fine vouée à l'échec.

Par ailleurs, ils invoquent la fin de non-recevoir pour défaut de droit d'agir de MM. [S] et [N], lesquels se sont associés par voie de conclusions d'intervention aux demandes de Mme [L] [R], celle-ci ayant été déboutée de l'intégralité de ses demandes.

Ils rappellent que l'augmentation de capital a été votée à l'unanimité et que le moyen nouveau tiré de la fraude est irrecevable en l'état du renvoi opéré.

Mme [G] [R], M. [Z] [R] et la Sci [V] invoquent également l'autorité de la chose jugée en dernier ressort de l'arrêt du 28 mars 2024.

Ils dénoncent en outre la volonté systématique des appelants de ne pas percevoir les dividendes, les privant de tout intérêt à agir et dénoncent l'impossibilité de toute augmentation de capital qui pourrait résulter de l'opposition d'usufruitiers.

Ils soulignent également que les demandes d'annulation des appelants sont vouées à l'échec en l'état des règles de vote et de majorité prévues aux statuts et ils rappellent les conséquences graves qu'aurait une annulation des délibérations.

Mme [G] [R], M. [Z] [R] et la Sci [V] contestent enfin les demandes nouvelles et infondées présentées par les appelants et justifient leur demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive menée par MM. [S] et [N].

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M. [P] [R], Mme [F] [R], Mme [L] [R] et Mme [G], [A] [R] n'ont pas constitué avocat.

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La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 15 mai 2025 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 5 juin 2025.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'action engagée par MM. [S] et [N] devant le tribunal judiciaire':

- sur l'irrecevabilité fondée sur l'intérêt et la qualité pour agir

Conformément à l'article 31 du code de procédure civile l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, laquelle n'appartient qu'au nu-propriétaire (Cass. 3°civ., 16 février 2022 n°20-15.164). Il en résulte qu'il ne dispose pas, par principe, des actions attachées à la qualité d'associé.

Néanmoins, s'agissant du droit de vote, il est désormais admis que si une part est grevée d'un usufruit, le nu-propriétaire et l'usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices, où il est réservé à l'usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l'usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l'usufruitier (article 1844 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n°2019-744 du 19 juillet 2019).

Pour autant, si les statuts peuvent réserver le droit de vote aux associés sur les questions autres que celles relatives à l'affectation des bénéfices, ils ne peuvent, en revanche, priver l'usufruitier de parts sociales du droit de provoquer ou contester une délibération collective susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance (Cass, 3° Civ., 16 février 2022, n°20-15.164, et Cass. 3° Civ., 11 juillet 2024, n°23-10.013).

Il peut en être déduit que l'usufruitier, bien que ne disposant pas d'un droit de vote prévu statutairement concernant certaines délibérations, peut néanmoins justifier d'un intérêt et d'une qualité pour agir en contestation d'une délibération collective, pour autant qu'il démontre l'atteinte portée à son droit de jouissance, laquelle est distincte du préjudice éventuellement subi par la société (Cass. Civ 3°, 16 novembre 2011, n°10-19.538).

Conformément à l'article 578 du code civil l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.

En l'espèce, l'assemblée générale extraordinaire de la Sci Sogeterriers en date du 23 janvier 2018 (pièce 14 des appelants) a notamment voté à la majorité - et non à l'unanimité - l'augmentation du capital de la société et l'engagement d'un ou plusieurs investissements à partir des financements nouveaux issus de l'augmentation de capital décidée.

La première résolution de l'assemblée générale mixte du 21 mars 2018 (pièce 11 de la Sci Sogeterriers et de la société Crew) est intitulée «'première résolution extraordinaire de constatation de la réalisation de l'augmentation de capital du 23 janvier 2018 avec mise à jour des Statuts'».

Ces résolutions ont ainsi porté le nombre de parts de 20 200 à 93 000.

Les appelants communiquent par ailleurs la liste des consultations écrites, décisions collectives et assemblées générales prises postérieurement, en ce inclus celles intervenues postérieurement à l'ordonnance du juge de la mise en état (pièces 16, 16 bis et 16 ter).

Ainsi, l'augmentation de capital et la création de parts nouvelles votées aux termes des assemblées générales des 23 janvier 2018 et 21 mars 2018, en ce qu'elles ont conduit à restreindre la représentation des usufruitiers au capital social de la Sci Sogeterriers, sont de nature à entraîner un effet dilutif, tant sur les dividendes perçus par les usufruitiers, que sur la valeur des parts démembrées, en raison de leur participation minorée au capital social.

L'augmentation de capital votée n'entraîne pas de conséquence immédiate sur le droit à bénéfice de l'usufruitier, considérant que la distribution des dividendes, lesquels constituent des fruits revenant à l'usufruitier, suppose d'une part, l'existence de bénéfices et d'autre part, une délibération en ce sens.

Il n'en reste pas moins que l'augmentation du capital, décidée sans les voix des usufruitiers, est susceptible d'avoir une incidence directe sur leur droit de jouissance en ce qu'en minorant leur participation au capital social, cette augmentation est également de nature à restreindre l'effectivité de leur droit de vote quant à la distribution des bénéfices et leur affectation à titre de dividendes, étant rappelé que la part de chaque associé dans les bénéfices se détermine à proportion de sa part dans le capital social.

En outre, la circonstance que MM. [S] et [N] disposent, aux termes de l'article 22 des statuts, d'un revenu minimum garanti annuellement, ne fait pas obstacle à leur droit de contester par ailleurs une diminution de leurs dividendes, étant observé qu'en tout état de cause ce même article prévoit que la distribution annuelle est elle-même faite après distribution d'un premier dividende prioritaire aux dirigeants dans les limites du bénéfice distribuable, ne lui conférant pas la nature de revenu garanti.

Enfin, en cas de cession des parts l'usufruit a vocation à être converti en capital sur la base de sa valeur économique, laquelle est nécessairement calculée en proportion du capital social qu'elles représentent.

Il en résulte que MM. [S] et [N] justifient d'un intérêt légitime et d'une qualité à contester les délibérations rappelées ci-dessus, outre les délibérations intervenues postérieurement et basées sur une augmentation du capital à laquelle ils n'ont pas été associés, les demandes initiales visant de façon indistincte toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures votées avec les majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital, tel que rappelé par les termes de l'arrêt de renvoi.

sur l'irrecevabilité fondée sur l'extinction de l'instance principale

En application des articles 631 et 632 du code de procédure civile, devant la juridiction de renvoi, les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions.

Ainsi, les intimés soulèvent également l'irrecevabilité de l'action de MM. [S] et [N] en l'état du caractère définitivement irrecevable de l'action principale introduite par Mme [L] [R] au regard de l'arrêt de cassation rendu, en soutenant que leur intervention volontaire, formée d'une part à titre accessoire, est irrecevable en l'état de l'extinction de l'instance principale, et que d'autre part, leur intervention formée à titre principal porte sur des demandes distinctes.

A cet égard, il convient de rappeler que conformément à l'article 66 du code de procédure civile le propre de l'intervention est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires.

Or, en l'espèce, si MM. [S] et [N] ont effectivement pris des conclusions «'d'intervention volontaire principale et accessoire'» en vue de l'audience de mise en état du 5 octobre 2020 (piè-ce 11 des Sci Sylphaline B. et [B]), ils étaient d'ores et déjà parties à l'instance initiée par Mme [L] [R] par assignation du 16 mars 2020 pour avoir été cités à comparaître au même titre que les gérants associés de la Sci Sogeterriers (Sci Sylphaline B., Sci [B]), les autres associés de la Sci Sogeterriers (M. [Z] [R], Mme [G] [A] [R], la Sci Crew), et les autres usufruitiers, parmi lesquels Mme [F] [R], M. [P] [R], et Mme [G] [I] [R] née [D].

Il en résulte que les demandes reconventionnelles de MM. [S] et [N] ne peuvent être déclarées irrecevables au seul motif que l'action initiale introduite par Mme [L] [R] a été définitivement jugée irrecevable, peu important à cet égard que les usufruitiers aient également formé une demande d'intervention volontaire.

sur l'irrecevabilité fondée sur l'autorité de la chose jugée

En application de l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En outre, conformément à l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même'; que la demande soit fondée sur la même cause'; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.

Les intimés soulèvent l'irrecevabilité des demandes de MM. [S] et [N] au motif que par arrêt rendu le 28 mars 2024 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rappelé que les usufruitiers étaient irrecevables à contester toute décision collective quelle que soit sa forme, à la seule exception des décisions collectives portant sur l'affectation des résultats.

MM. [S] et [N] répliquent qu'il ne peut y avoir autorité de la chose jugée à l'égard de cet arrêt en l'absence d'identité des parties et de l'objet du litige, la cour ayant statué sur les demandes formées par M. [P] [R].

Sur ce, il ressort de l'arrêt susvisé que la cour a statué sur l'instance initiée par M. [P] [R] par actes des 27 et 28 avril 2021 à l'encontre de la Sci Sogeterriers, ses gérants ainsi que l'ensemble des associés et usufruitiers devant le tribunal judiciaire de Grasse et a confirmé l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 18 novembre 2022 par laquelle, notamment, M. [P] [R] a été déclaré irrecevable à agir en annulation de l'acte de cession de la nue-propriété de parts sociales ainsi que de la promesse unilatérale de cession de parts sociales ainsi qu'irrecevable à agir en annulation de l'ensemble des assemblées générales postérieures au 2 mai 2016.

En conséquence, si la demande de M. [P] [R], objet de l'arrêt du 28 mars 2024, porte effectivement sur certaines délibérations dont MM. [S] et [N] sollicitent également l'annulation, l'objet du litige n'est pas identique, et la décision d'irrecevabilité, en dépit de la motivation adoptée pour les usufruitiers, ne concerne que M. [P] [R], de sorte que l'irrecevabilité tirée de l'autorité de la chose jugée ne peut davantage être retenue à l'égard de MM. [S] et [N].

Sur l'évocation sollicitée':

Les dispositions de l'article 568 du code de procédure civile, permettant à une cour d'appel d'évoquer au fond le litige lorsqu'elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, sont strictement réservées à l'appel d'un jugement ayant ordonné une mesure d'instruction ou, ayant statué sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance.

Tel n'est pas le cas de la décision du juge de la mise en état ayant statué sur une fin de non-recevoir relevant des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile susvisé.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes de nullité formées par MM. [S] et [N], cette question relevant le cas échéant des juges du fond, et pas davantage sur les demandes accessoires qui découleraient de l'évocation au fond par la présente cour, en ce compris les demandes de désignation d'un commissaire aux comptes et de désignation d'un expert.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive':

Mme [G] [R], M. [Z] [R] et la Sci [V] sollicitent la condamnation de MM. [S] et [N] pour procédure abusive.

Au visa de l'article 1241 du code civil l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne peut constituer un abus de droit susceptible de donner lieu à dommages-intérêts que dans des circonstances particulières le rendant fautif, et notamment lorsqu'est caractérisée une intention malveillante ou une volonté de nuire de la part de celui qui l'exerce.

En l'espèce, le renvoi aux motifs adoptés ci-dessus conduit à considérer que la procédure soutenue par les appelants présente un caractère fondé excluant tout abus de procédure.

Il y a donc lieu de débouter Mme [G] [R], M. [Z] [R] et la Sci [V] de leurs demandes à ce titre.

Sur les frais et dépens':

La Sci Sogeterriers, la Sci Sylphaline B., Sci [B], M. [Z] [R], Mme [G] [A] [R], et la Sci Crew, parties succombantes, sont condamnés in solidum aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En outre, au regard des demandes des appelants, dirigées exclusivement à l'encontre de la Sci [B] et de la Sci Sylphaline B., il y a lieu de condamner in solidum ces deux sociétés à payer à M. [T] [S] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à M. [M] [N] la somme de 5 000 euros au même titre.

Il n'y a pas lieu par ailleurs de faire droit aux autres demandes au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant dans les limites de la cassation partielle prononcée le 11 juillet 2024,

Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Grasse en ce qu'elle a déclaré irrecevables MM. [S] et [N], en leur qualité d'usufruitiers, à solliciter l'annulation de l'assemblée générale du 23 janvier 2018 décidant de l'augmentation de capital de la société civile immobilière Sogeterriers, de la première résolution de l'assemblée générale du 21 mars 2018 portant le nombre de parts sociales à 93 000 du fait de cette augmentation et de toutes les décisions et/ou consultations écrites postérieures votées avec les majorités nouvelles issues de l'augmentation de capital,

Dit n'y avoir lieu d'évoquer l'affaire au fond,

Y ajoutant,

Déboute Mme [G] [R], M. [Z] [R] et la Sci [V] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum la Sci Sogeterriers, la Sci Sylphaline B., Sci [B], M. [Z] [R], Mme [G] [A] [R], et la Sci Crew aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. à payer à M. [T] [S] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la Sci [B] et la Sci Sylphaline B. à payer à M. [M] [N] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu de statuer sur les autres demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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