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CA Aix-en-Provence, ch. 1-9, 18 septembre 2025, n° 24/13077

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eos France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Youl-Pailhes

Conseillers :

M. Catteau, Mme Tormos

Avocats :

Me Boulan, Me Bouscatel, Me Gieldzyk, Me Pomares, Me Nguyen-Phung, Me Turcan

JEX Localité 12, du 17 oct. 2024, n° 23/…

17 octobre 2024

Aux termes d'un acte authentique en date du 28 mai 2009, la Banque populaire du sud (ci-aprés: la banque) a consenti à [U] [T] et [B] [T] un prêt d'un montant de 338 000 euros pour acquérir en l'état futur d'achèvement des lots de la résidence "[5] [Localité 11]" située au [Localité 6] (30).

Par courrier du 16 janvier 2019 M. et Mme [T] ont été mis en demeure de régler les échéances impayées des mois d'août, novembre 2018 et février 2019';

Par courrier du 5 avril 2019, la banque les a informés de la déchéance du terme de leur prêt et de l'exigibilité de l'intégralité des sommes restants dues, soit un montant en principal de 380 707,40 euros';

Le 18 octobre 2019, les fonds du contrat d'assurance-vie de [U] [T] ont été débloqués au profit de la banque pour un montant de 240 285,15 euros';

Dans le même temps une procédure de saisie-immobilière a été initiée par le pôle de recouvrement des finances publiques sur le bien de M. et Mme [T] objet du prêt consenti par la banque.

La procédure de saisie immobilière a été dénoncée à la banque, en sa qualité de créancier inscrit, le 24 octobre 2019, avec sommation de prendre connaissance du cahier des charges et de déclarer sa créance.

La banque n'a pas déclaré sa créance dans le délai de deux mois impartis et a donc perdu son rang de créancier inscrit';

Un jugement d'adjudication est intervenu le 10 décembre 2020.

La banque n'a perçu aucune somme au titre de la vente forcée de l'immeuble';

Par acte du 30 octobre 2021, la banque a fait signifier à M. et Mme [T] un commandement de payer aux fins de saisie-vente portant sur un montant total de 146 541,40 euros';

La créance détenue envers M. et Mme [T] par la banque a été cédée par acte du 18 mai 2022, à la société Eos France';

Cette cession a été notifiée à M. et Mme [T] par courriers en date des 8 et 10 août 2022 et leur a été signifiée par acte d'huissier en date du 6 juin 2023.

Un commandement de payer aux fins de saisie-vente portant sur la somme totale de 151650,76 euros a été délivrée par ce même acte';

Ce commandement étant resté sans effet, la société Eos France a procédé, le 27 juin 2023, à la saisie-attribution des comptes bancaires de [B] [T] ouverts dans les livres de la BNP Paribas AG [Localité 4], laquelle s'est révélée fructueuse à hauteur de 844.92 euros';

Cette saisie-attribution a été dénoncée à M. et Mme [T] par acte d'huissier en date du 3 juillet 2023';

Elle a par la suite fait l'objet d'une mainlevée par la société Eos France le 25 août 2023.

M. et Mme [T] ont assigné la société Eos France, par actes de commissaire de justice des 20 juillet et 2 août 2023, devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Tarascon, aux fins de nullité du commandement de payer délivré le 6 juin 2023, pour une première procédure et aux fins de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 3 juillet 2023 pour la seconde procédure.

L'étude Huissiers Réunis, ayant signifié les actes litigieux, a également été assignée'à comparaître devant le juge de l'exécution.

Par jugement du 17 octobre 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Tarascon a : Déclaré nul le commandement de payer valant saisie-vente délivré le 6 juin 2023 par la société Eos France à l'encontre de M. et Mme [T]';

Condamné la société Eos France à payer à M. et Mme [T] la somme de 1596,56 euros au titre des frais d'huissiers

Condamné la société Eos France à payer à M. et Mme [T] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Débouté les parties du surplus de ses demandes.

La société Eos France a formé appel de cette décision par déclaration du 29 octobre 2024';

Par ordonnance du 31 décembre 2024, la cour a prononcé la caducité partielle de l'appel à l'encontre de l'étude Huissiers Réunis.

Par conclusions notifiées en leur dernier état par RPVA le 2 janvier 2025, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de ses moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Eos France demande à la cour de':

Réformer le jugement en ce qu'il a :

«'Déclaré nul le commandement de payer valant saisie vente délivrée le 06 juin 2023 par la Société Eos France à l'encontre de [U] [T] et [B] [T]';

Condamné la Société Eos France à leur paver la somme de 1596,56 Euros au titre des frais d'huissier';

Condamné la société Eos France et la SAS Huissiers Réunis à leur paver la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamné la société Eos France et la SAS Huissiers Réunis aux dépens de l'instance';

Débouté Eos France du surplus de ses demandes.'»

Et statuant à nouveau de':

Débouter M. et Mme [T] de l'ensemble de leurs demandes,

Prononcer la validité du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 6 juin 2023,

Condamner solidairement M. et Mme [T] à payer à la société EOS France la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de Maître Françoise Boulan, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocat associée aux offres de droit.

La société Eos France soutient que':

- sa créance n'est pas prescrite du fait de la saisie immobilière diligentée par la Direction des finances publiques initiée par une assignation à comparaître qui a suspendu le délai de prescription à l'égard de tous les créanciers inscrits ayant une sûreté sur le bien saisi, ce qui est son cas';

- qu'elle a qualité à agir du fait de la cession de créances intervenue le 18 mai 2022 laquelle a été dénoncée aux époux [T] par courriers des 8 et 10 août 2022 puis par acte d'huissier du 6 juin 2023';

- qu'elle n'a pas renoncé aux poursuites à l'encontre des débiteurs, que le mail sur lequel le premier juge s'est fondé ne peut s'analyser en sa volonté non équivoque de renoncer à ses droits au vu des échanges épistolaires et de courriels qui s'inscrivent dans des pourparlers en vue de mettre fin amiablement à la procédure devant le juge de l'exécution et qui ne sauraient caractériser une renonciation unilatérale de sa part';

- que les époux [T] ne peuvent lui reprocher de ne pas avoir déclaré sa créance dans le cadre de la procédure de saisie immobilière pour obtenir des dommages et intérêts et une compensation de leur indemnité avec les sommes qu'ils doivent au titre du prêt immobilier, qu'elle dispose toujours d'une créance à leur encontre, qu'ils ont perçu un solde de 64259 euros en suite de la vente forcée de leur bien immobilier mais qu'ils n'ont pas pour autant versé cette somme à la banque en diminution des sommes dues';

- que les époux [T] doivent être déboutés de leur demande de remboursement des frais d'huissier puisqu'aucun accord n'a été trouvé, qu'au surplus ces frais contiennent des frais d'avocat à hauteur de 900 euros';

- que l'exercice de ses droits de créancier ne justifie pas la demande de dommages et intérêts formée par les époux [T] qui invoquent à torts des pratiques commerciales déloyales à son encontre alors qu'elle n'a fait qu'user des voies de droit légales.

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 janvier 2025, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de ses moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. et Mme [T] demandent à la cour de':

Confirmer la décision déférée en ce qu'elle a :

« Déclaré nul le commandement de payer valant saisie-vente délivrée le 6 juin 2023 par la société EOS FRANCE à leur encontre';

Condamné la société EOS FRANCE à leur payer la somme de 1596,56 euros au titre des frais d'huissier';

Condamné la société EOS FRANCE et la SAS HUISSIERS REUNIS à leur payer la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile';

Condamné la société EOS FRANCE et la SAS HUISSIERS REUNIS aux dépens de l'instance.

Rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit. »

L'infirmer partiellement en ce qu'elle a débouté les parties de leurs autres demandes';

Statuant à nouveau de':

Condamner l'appelante à payer la somme de 10 000 euros au visa de l'article 32-1 du Code de procédure civile tenant l'acharnement abusif de celle-ci ;

La condamner à payer la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts ;

La condamner à payer la somme de 5000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais d'exécution à intervenir.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 13 mai 2025.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

* Sur la validité du commandement de payer valant saisie vente du 6 juin 2023 :

La société Eos France reproche au premier juge d'avoir considéré que le mail adressé le 24 août 2023 à l'avocat des époux [T] valait renonciation non équivoque aux poursuites, alors qu'il émanait d'une juriste 'junior' sans constitution d'avocat dans une procédure en cours, qu'aucun accord transactionnel n'a été signé, qu'il ne s'agissait pas d'un acte unilatéral mais d'une proposition synallagmatique soumis à des concessions et à l'accord des époux [T] comme cela ressort des mails et courriers échangés par la suite.

Les intimés répliquent que le mail adressé le 24 août 2023 par la société Eos France l'a été à la suite de l'assignation qui lui ont fait délivrer aux fins de contestation du commandement de payer du 6 juin 2023, et qu'il contient la volonté expresse, éclairée et non équivoque de renoncer aux poursuites fondées par l'acte notarié du 28 mai 2009 laquelle a été suivie d'effet puisque la saisie attribution pratiquée le 3 juillet 2023, également contestée devant le juge de l'exécution, a fait l'objet d'une mainlevée amiable de la part de la société EOS France dès le 25 août 2023, que les factures de frais d'huissier engagés par les époux [T] ont été adressées à la société EOS France comme réclamé dans le mail du 24 août 2023.

La renonciation à un droit ne se présume pas, elle peut être expresse ou tacite et ne peut résulter que d'actes manifestant de façon claire et non équivoque la volonté de renoncer';

En l'espèce le mail adressé par [M] [I], juriste contentieux junior de la société Eos France, le 24 août 2023 à Maître [C], avocat des époux [T], est ainsi rédigé':

«'Comme indiqué ce jour, au vu du coût du désarchivage des pièces, nous vous confirmons notre abandon de toutes poursuites à l'encontre de Monsieur et Madame [T] en vertu de l'acte notarié de Maître [H] [W] signé le 28 mai 2009. Nous vous confirmons avoir déjà ordonné mainlevée de la saie-attribution litigieuse qui sera effective dans les prochains jours. Par ailleurs nous prenons acte du désistement de Monsieur et Madame [T] dans les deux procédures pendantes devant le JEX de [Localité 12] sous réserve du remboursement des frais d'huissier. En ce sens nous vous remercions de bien vouloir nous confirmer cet accord par retour de courriel et de nous adresser les factures de justice en cause.»';

Le 25 août 2023, cette même personne indiquait avoir sollicité un report d'audience et adressait le projet de mainlevée de la saisie-attribution en précisant qu'elle restait dans l'attente d'une réponse des clients de Maître [C]';

Le 28 août la mainlevée de la saisie-attribution signifiée le 25 août 2023 à la banque BNP Paribas était communiquée à Maître [C]';

Le 29 août 2023 le conseil des époux [T] adressait un courrier et les factures réclamées. Il indiquait': «pour qu'un terme soit mis à la procédure pendante sur [Localité 12] je vous invite à trouver en pièces jointes, les factures d'huissiers supportées par mes clients, ainsi que la facture du postulant que nous avons été contraints de saisir. Contre paiement des montants ('/'), et renonciation expresse à toute instance ou action dont l'origine se trouverait dans le prêt consenti à mes clients suivant acte authentique en date du 28 mai 2009, nous nous désisterons de l'instance pendante et de toute action dont l'origine se trouverait dans les tentatives d'exécution contestées»';

Le 30 août 2023, [M] [I], pour le service juridique de la société Eos France, adressait un courrier au tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, service du juge de l'exécution pour confirmer, en vue de l'audience du 7 septembre 2023, l'acceptation du «désistement pur et simple d'instance et d'action des consorts [T]»'; cette instance engagée devant une juridiction incompétente a fait l'objet d'un désistement';

Une demande de report d'audience, initialement prévue le 1er septembre 2023 devant le juge de l'exécution de [Localité 12] a également été formée par Eos France';

Le 21 septembre 2023, [M] [I], juriste de la société Eos France, écrivait un nouveau courriel à Maître [C] l'informant «'qu'après nous être rapprochés de nos avocats nous souhaitons défendre notre titre exécutoire et plaider le dossier aux prochaines audiences»';

Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'au 24 août 2023 la société Eos France a exprimé sa volonté de renoncer à toutes poursuites à l'encontre de M. et Mme [T] en vertu de l'acte notarié de Maître [H] [W] signé le 28 mai 2009.

Cette renonciation a été suivi d'effet par la mainlevée opérée par la société Eos de la saisie-attribution diligentée sur le fondement de l'acte notarié de Maître [H] [W] signé le 28 mai 2009.

La société Eos France a par ailleurs accepté de rembourser les frais d'huissier de justice exposés par les intimés et a accepté sans réserve le désistement de l'instance et de l'action en contestation des époux [T].

Contrairement à ce que conclut l'appelante, rien ne permet de dire que [M] [I], salariée du service juridique, ne pouvait rédiger le mail du 24 août 2023 emportant renonciation de la société Eos France.

Par ailleurs le fait de revenir sur ses engagements après avoir consulté des avocats, condition qui n'était pas émise à la date du 24 août 2023, ne permet pas de remettre en cause les termes du courriel du 24 août 2023 lesquels ont été suivis d'actes (mainlevée de la saisie-attribution et acceptation du désistement d'instance et d'action) manifestant de façon claire et non équivoque la volonté de la société Eos France de renoncer'à ses droits de poursuites issus de l'acte notarié du 28 mai 2009 ;

C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la société Eos France avait valablement renoncé à ses droits de poursuites et a annulé le commandement de payer valant saisie vente du 6 juin 2023';

Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.

Compte tenu de la solution ainsi apportée il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens.

* Sur la demande de dommages et intérêts :

Les intimés demandent la condamnation de la société Eos France à des dommages et intérêts sur le fondement des articles 32-1 du Code de procédure civile et 1103 du Code civil';

S'agissant de la demande fondée sur les dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile, le seul fait que la société Eos France se soit trompée sur la portée du courriel du 24 août 2023, et la nature de son activité de recouvrement de créances, ne suffit pas à caractériser un abus de son droit d'ester en justice et donc une faute de nature à justifier l'allocation de dommages et intérêts.

La demande de ce chef sera donc rejetée.

La demande formée sur le fondement de l'article 1103 du Code civil n'est pas justifiée par les intimés qui se contentent de la formuler sans autre élément. Cette demande sera rejetée.

La demande de remboursement des frais d'huissier sera traitée au titre des frais irrépétibles.

* Sur les dépens et frais irrépétibles :

Leur sort a été exactement réglé par le premier juge qui sera confirmé de ces chefs.

A hauteur de cour, il convient d'accorder à M. et Mme [T], contraints d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité d'un montant de 3 500 euros comprenant le coût des actes d'huissier, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Eos France, partie perdante, ne peut prétendre au bénéfice de ces dispositions et supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y Ajoutant,

DÉBOUTE [U] [T] et [B] [T] de leurs demandes de dommages et intérêts';

CONDAMNE la société Eos France à payer à [U] [T] et [B] [T], pris ensemble, la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Eos France de sa demande à ce titre ;

CONDAMNE la société Eos France aux dépens d'appel.

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