CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 18 septembre 2025, n° 23/06909
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
(n° , 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06909 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CINUH
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Septembre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 21/02110
APPELANT
Monsieur [G] [R]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean-pierre ARAIZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B0982
INTIMEE
G.I.E. AGRICA GESTION
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe PATAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre, rédactrice
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Eva DA SILVA GOMETZ
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Hanane KHARRAT, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [G] [R] a été engagé à compter du 22 janvier 2018 par le groupement d'intérêt économique (GIE) Agrica Gestion, assurant la gestion technique et administrative des institutions de retraite complémentaire et de prévoyance membres du groupe Agrica, en qualité de responsable du département investissement au sein de la direction financière, classé 7C de la grille prévue par la convention collective nationale de travail du personnel des institutions de retraite complémentaire.
Il a été promu le 1er décembre 2018 en qualité de directeur délégué.
Il a été reçu lors d'un entretien du 19 octobre 2020 afin de s'expliquer sur les prétendus risques que le GIE Agrica Gestion encourait en utilisant un certain type de logiciel et également sur les pressions qu'il avait dénoncées sur ses collaborateurs.
Par courrier remis en main propre le 23 novembre 2020, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 3 décembre 2020, lequel s'est finalement tenu le 16 décembre suivant.
Par courrier recommandé du 28 décembre 2020, M. [R] a été licencié.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi le 11 mars 2021 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement en date du 15 septembre 2023, a :
- fixé son salaire moyen à la somme de 9 808,13 euros bruts,
- requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné le GIE Agrica Gestion à verser à M. [R] la somme de 39 232,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,
- condamné le GIE Agrica Gestion à verser à M. [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [R] du surplus de ses demandes,
- débouté le GIE Agrica Gestion de ses demandes et condamné celui-ci aux dépens.
M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 décembre 2024, l'appelant demande à la cour de:
- infirmer pour l'essentiel ledit le jugement et statuant à nouveau :
sur la nullité du licenciement
- juger que le licenciement est intervenu dans le cadre de l'exercice de droits fondamentaux reprochés dans la lettre de licenciement, que cela soit au titre du droit d'alerte ou du droit d'expression ou encore du harcèlement moral, dès lors,
- infirmer le jugement et
statuant à nouveau, juger le licenciement nul,
subsidiairement
sur la nullité du licenciement
- juger que le licenciement est intervenu dans un contexte de dénonciation de faits, protégés par des droits fondamentaux : droit d'alerte, d'expression et harcèlement moral,
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau
- juger le licenciement nul,
dans tous les cas, en cas de nullité du licenciement :
- juger bien fondée la demande de réintégration et dès lors, infirmer le jugement et statuant à nouveau, l'ordonner, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte,
à titre subsidiaire, en cas de nullité mais à défaut de réintégration
- infirmer le jugement et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et vexatoire la somme de 350 000 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou pour l'avoir dénoncé la somme de 50 000 euros,
à titre très subsidiaire, sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- confirmer le jugement, en ce qu'il a reconnu le principe d'absence de cause réelle et sérieuse, - infirmer le jugement, sur le quantum accordé,
et statuant à nouveau,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] à titre de dommages et intérêts au titre du barème légal, la somme de 56 053,68 euros (si les heures supplémentaires sont reconnues) ou à tout le moins 39 232,52 euros à titre de dommages et intérêts,
sur le forfait- jours
- juger que les accords collectifs applicables en matière de forfait-jours ne contiennent pas les garanties suffisantes,
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau
- juger qu'ils sont donc nuls ainsi que la convention individuelle signée avec M. [R],
subsidiairement
sur le forfait-jours
- juger que le GIE Agrica Gestion n'a pas respecté son propre accord collectif (notamment par l'absence de contrôle d'une durée quotidienne, ne pouvant excéder 9 h), l'absence de surveillance de la charge de travail et le non-respect de la durée journalière maximale, des heures de repos, ainsi que des temps de congés,
dès lors,
- infirmer le jugement, et statuant à nouveau
- juger que ces non-respects privent d'effet la convention de forfait- jours,
dans les deux cas et statuant à nouveau
- juger qu'en présence d'une convention de forfait-jours inopérante, le salarié est réputé avoir été soumis au droit commun en matière d'horaires et qu'il est en droit de réclamer des heures supplémentaires,
sur les heures supplémentaires
- juger et dire le GIE Agrica Gestion s'est abstenu, malgré la demande dès la saisine, de produire les feuilles hebdomadaires d'auto-déclaration des heures, des horaires d'entrées et de sorties du demandeur, relevés par les portiques et les logins et logouts du matricule YK3813 (attestant des connections en présentiel ou distantiel),
- juger et dire bien fondé l'appelant en sa demande de rappel d'heures supplémentaires,
- infirmer le jugement, et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018, 64 471,32 euros et congés afférents : 6 447,13 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2019 la somme de 89 543,50 euros et congés afférents : 8 954,35 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2020 et du rappel d'heures supplémentaires : 74 321,10 euros et congés afférents : 7 432,11 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2018 17 153 euros et 1 715,30 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2019 25 981,75 euros et 2 598,17 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2020 20 621,43 euros et 2 062,14 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R], au titre du travail dissimulé, la somme de 84 080,52 euros de dommages et intérêts,
- juger que le salaire moyen en incluant les heures supplémentaires est de 14 013,42 euros,
dès lors
- infirmer le jugement et statuant à nouveau,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du rappel sur le préavis 18 372,12 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du rappel de congés sur préavis : 1 837,21 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'indemnité de licenciement : 15 781,34 euros,
subsidiairement, sur le montant des heures supplémentaires et au vu des relevés produits par l'employeur, infirmer le jugement et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018, 18 564,80 euros et congés afférents : 1 856,48 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2019 27 847,20 euros et congés afférents : 2 784 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2020 et du rappel d'heures supplémentaires : 17 404,50 euros et congés afférents : 1 740,45 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2018 2 219,80 euros et 221,98 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2019 5 347,70 euros et 534,77 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2020 1 261,25 euros et 126,12 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du travail dissimulé la somme de 46 920 euros de dommages et intérêts,
dans tous les cas, infirmer le jugement et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R], au titre du non-respect de l'obligation de sécurité et de veiller à la santé de son salarié, la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts,
- ordonner des intérêts légaux sur le tout et à compter de la saisine et leur capitalisation,
- ordonner la remise des documents sociaux modifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte : bulletins de salaires, certificat de travail et attestation Pôle emploi,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 10 000 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 12 mars 2024, le GIE Agrica Gestion demande à la cour de :
à titre principal
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 15 septembre 2023 en ce qu'il l'a condamné à verser à M. [R] 39 232,52 euros à titre dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement, 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens d'instance,
en conséquence
- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
à titre subsidiaire :
si par extraordinaire la cour devait entrer en voie de condamnation à l'encontre du GIE Agrica Gestion :
- réduire une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement du licenciement nul,
- limiter à 29 424 euros une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,
- réduire le montant de l'indemnité compensatrice de préavis susceptible d'être allouée ainsi que les congés payés afférents,
- réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au titre d'un prétendu harcèlement moral,
- réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au titre d'un prétendu manquement à l'obligation de sécurité,
- déclarer irrecevable car prescrite toute demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires ainsi que toute demande au titre des repos compensateurs ou contrepartie obligatoire en repos pour le mois de février 2018,
- réduire le montant des rappels de salaires susceptibles d'être alloués au titre des heures supplémentaires pour la période de mars 2018 à octobre 2020,
- réduire le montant des rappels de salaires susceptibles d'être alloués au titre du repos compensateur ou de la contrepartie obligatoire en repos et des congés payés afférents pour la période de mars 2018 à octobre 2020,
- réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au titre d'un prétendu travail dissimulé,
- débouter M. [R] de sa demande tendant à voir juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal,
- débouter M. [R] de sa demande tendant à voir ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,
en tout état de cause
- condamner M. [R] à verser au GIE Agrica Gestion la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du du code de procédure civile,
- condamner M. [R] au versement de la somme de 11 471,69 euros bruts à titre de répétition de l'indu pour les jours de repos accordés au titre de la convention individuelle de forfait-jours,
- le condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 janvier 2025 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 4 février 2025.
Par arrêt du 20 février 2025, la cour a constaté que les parties acceptaient de s'engager dans un processus de médiation, qui n'a pas abouti.
La date de l'audience de renvoi après échec de la médiation a été avancée, pour tenir compte de la demande de réintégration de M.[R], et l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la nullité du licenciement :
La lettre de licenciement adressée le 28 décembre 2020 à M. [R], signée par Mme [D], DRH, contient les motifs suivants:
[...]'Votre changement d'attitude vis-à-vis de l'entreprise nous a d'autant plus surpris, à compter du mois octobre 2020. Auparavant, nous avions bien constaté certains excès dans votre comportement vis-à-vis des collaborateurs de l'entreprise ou de notre filiale. Le Directeur Financier, [P] [O], a dû ainsi intervenir plusieurs fois hiérarchiquement pour apaiser des conflits personnels nés à l'occasion de traitement de dossiers qui ne correspondaient pas à votre approche opérationnelle de la situation et qui avaient provoqué de votre part des réactions très vives. Pour autant, si cela nous avait alerté, cela n'a pas eu pour conséquence de remettre en cause la confiance qui vous était accordée dans la tenue de votre poste. [P] [O] vous avait cependant demandé, lors de l'entretien de fin d'année 2019, de travailler avec davantage de transversalité, et notamment avec vos collègues de la Direction et vous avait également exhorté à améliorer vos capacités relationnelles. Vous aviez admis, dans votre synthèse, devoir travailler votre assertivité.
Toutefois, à compter de la fin de l'été 2020, votre attitude a brutalement changé suite au constat d'échec de l'intégration du fichier envoyé en août des données relatives aux investisseurs immobiliers, dont avait la charge un autre Responsable de la Direction, à travers un outil que vous aviez déployé dans vos services pour les actifs mobiliers. Refusant avec fermeté, malgré deux autres tentatives planifiées fin septembre 2020 et début octobre 2020 que ces écritures soient déversées en cas de nouvel échec dans un autre outil du périmètre comptable, vous envoyez alors à l'un de vos collaborateurs un mail le 28 septembre 2020 et dont étaient en copie des interlocuteurs de la Direction financière ainsi que Monsieur [O], dans lequel vous remettez en cause la gestion des placements immobiliers.
Le 6 octobre, le Directeur financier vous revenait par mail, en y intégrant les interlocuteurs précédents pour apaiser et clarifier les attendus relatifs à la consolidation des comptes, les tentatives en cours pour déverser les écritures dans l'outil que vous aviez développé mais dont le maniement se révèle complexe pour les différents acteurs, y compris d'ailleurs pour les membres de votre équipe, et confirme la possibilité éventuelle de recourir à l'outil comptable, évoquée début septembre, en cas de nouvel échec. Vous lui répondez alors directement le 8 octobre 2020 en mettant en cause le Responsable du département immobilier, en invoquant en des termes très vifs les difficultés que vous auriez avec lui qui remonteraient à janvier 2019. Vous n'hésitez pas à mentionner des difficultés liées à une affection de santé qu'il vous aurait confié personnellement et que nous ne connaissions pas, et que l'intéressé ne nous a pas confirmé. En conclusion, vous énumérez une liste des risques inhérents au choix, que vous récusez, de l'outil comptable sans aucunement les expliciter.
M. [O] vous répond dès le lendemain en regrettant votre refus de communication avec vos collègues et en vous confirmant sa décision.
Cette réponse déclenche de votre part un mail en date du 12 octobre 2020, pour lequel vous mettez ( en copie) le Directeur Général Délégué, Mr [T] et moi-même en tant que DRH.
Ce mail comporte de nombreux reproches, voire des accusations à l'encontre de votre responsable (dénis, injonctions paradoxales, vocabulaire qualifié de déplacé et vulgaire, manque de protection de son intégrité physique') qui nous amène à vous proposer immédiatement un rendez-vous urgent afin d'apporter les éléments d'explications de nature à préciser ces assertions.
Celui-ci se tient finalement le 19 octobre 2020, à la suite de votre bref arrêt maladie. Au cours de cet échange, la violente diatribe se vide de sa substance. S'il apparaît bien que vous êtes en opposition avec les décisions de votre manager, vous ne donnez pas d'éléments tangibles concernant les risques opérationnels anormaux prétendument encourus et dont il avait pris in fine la responsabilité. De plus à l'appui de vos affirmations plus personnelles, touchant aux
« agressions » verbales voire physiques dont vous auriez été victime, vous citez en tout et pour tout deux expressions de style « relâché » dont vous avez été témoin mais dans lesquels vous n'étiez pas partie prenante, et une altercation verbale de quelques minutes avec un collègue (avec lequel vous reconnaissez que la situation s'est apaisée depuis). Vous avez indiqué également lors de cet entretien être en situation de devoir « protéger » votre équipe. Étonnée de cette acception particulière du management, je vous ai alors interrogé sur ce que cela signifiait et vous avez répondu à nouveau de manière très vague en évoquant des pressions auxquelles vos collaborateurs seraient exposés lors de vos absences mais, là encore sans apporter d'illustrations précises.
Il est ressorti de cet échange un énorme écart entre la gravité des termes utilisés dans votre mail et le peu de teneur des arguments évoqués en entretien. Ainsi avons-nous été très alertés par le caractère excessif de la charge écrite à l'encontre de votre Responsable hiérarchique par rapport à la réalité des faits rapportés. Alors que nous étions encore circonspects à l'issue de cet échange, eu égard à l'instabilité qu'il révélait dans vos approches, nous recevions un nouveau mail le 22 octobre 2020 présentant une nouvelle charge à l'encontre de Mr [O].
Ajoutons que quelques jours avant, j'avais dû moi-même intervenir dans le contexte de la crise sanitaire en ma qualité de Référent Covid après que vous ayez pris l'initiative d'alerter une douzaine de personnes sur leur situation d'être des cas contacts Covid alors que vous n'aviez ni la compétence, ni la responsabilité pour cette initiative.
Compte tenu des responsabilités que vous exercez dans l'entreprise, le portefeuille d'actifs mobiliers gérés par vos soins s'élevant à près de 8 milliards d'euros, vos errements, votre instabilité et votre comportement relationnel ne sont plus supportables. Il n'est pas acceptable d'un cadre de votre niveau assurant des fonctions essentielles pour l'entreprise, d'adopter volontairement un positionnement conflictuel reposant sur des éléments infondés, refusant tout autre appréciation de la situation que la vôtre, créant ainsi une situation de blocage que nous ne pouvons accepter plus longtemps. Cela nous paraît incompatible avec les attendus relatifs aux exigences de gestion raisonnable définis par Solvabilité 2. En cela, le niveau de confiance que nous vous avions accordé est irrémédiablement remis en cause et c'est la raison pour laquelle votre maintien au sein de l'entreprise n'est plus envisageable.
Par conséquent, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement.'
Ayant été en lien avec tous les organes de contrôle des risques et ayant constaté les manquements les plus graves lors de la migration des données relatives aux investissements immobiliers vers son service, M. [R] considère qu'on lui reproche d'avoir effectué le travail qui était stipulé dans son contrat et fait valoir que son licenciement a été décidé en représailles aux treize alertes croissantes qu'il a lancées de façon justifiée et à tout le moins de bonne foi, en accomplissant sa mission au sein du GIE, ou au titre de sa liberté d'expression ou encore pour dénonciation de faits de harcèlement moral sur sa personne ou sur celle de ses subordonnés, faits qui lui sont tous reprochés explicitement dans la lettre de licenciement. Il rappelle que la liberté d'expression est une liberté fondamentale et qu'un licenciement la sanctionnant est nul.
Le GIE conclut à la confirmation du jugement qui a écarté toute nullité du licenciement, le salarié ne pouvant revendiquer le statut de lanceur d'alerte alors qu'il a dénoncé de simples risques ne relevant pas d'une qualification pénale, qu'il ne qualifie jamais les délits/crimes qu'il aurait prétendument identifiés et qu'aucune fraude n'a été identifiée par les commissaires aux comptes qui ont certifié les bilans. Il souligne le refus de l'intéressé de recourir à la procédure idoine en cas d'alerte, ainsi que l'abus qui a été fait par ce dernier de sa liberté d'expression en vue de dénigrer et de calomnier son supérieur hiérarchique. Il conteste enfin tout harcèlement moral de M. [R] ou de ses collaborateurs et conclut à la confirmation du jugement qui a rejeté les demandes de nullité du licenciement.
Sur le statut de lanceur d'alerte revendiqué par le salarié:
Aux termes de l'article L.1132-3-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. [...]'
Les articles 6 à 8 de la loi nº2016-1691 du 9 décembre 2016 sont ainsi rédigés :
. article 6 : ' un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.'
. article 7 : ' le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-9 ainsi rédigé : « n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »'
. article 8 : ' I. - le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.
III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte.'
Selon l'article L. 1132-4 du code du travail, ' toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul'.
En vertu de l'article L.1132-3-3 alinéa 3 du même code, ' en cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'
Le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut pas être licencié pour ce motif, ni pour dénonciation de faits de harcèlement moral, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Au soutien des alertes qu'il dit avoir lancées, M. [R] se prévaut de l'article 2 de son contrat de travail stipulant qu'il est en charge du ' développement du reporting financier et des contrôles', ainsi que des messages en date :
- du 16 décembre 2019 dans lequel l'intéressé pointe ' encore un changement '' relativement aux chiffres donnés à la comptabilité,
- du 15 janvier 2020 proposant des 'éléments à retenir concernant les données immobilières dans le cadre du projet Fastclose', et listant 8 rubriques dans lesquelles il constate les lacunes du projet de déversement des écritures financières de Soliam, logiciel ayant sa faveur, dans Coda, logiciel critiqué comme inadapté,
- du mois de juin 2020 de la direction conformité, à la suite de la réunion « cartographie des risques anticorruption », détaillant les points sur lesquels l'appelant a attiré son attention ( à savoir le risque lié au non-respect du code de conduite, celui lié au non-respect des obligations relatives aux dispositions alerte éthique et celui lié au non-respect des obligations d'évaluation des clients fournisseurs et intermédiaires), sollicitant de M. [R] qu'il fasse ses commentaires avant le 26 juin 2020,
- du 8 octobre 2020 de l'appelant à M. [O] rappelant le principe selon lequel ' chacun est responsable de ses chiffres' et indiquant notamment ' afin d'assister le responsable en charge du département immobilier, j'ai annulé par deux fois des congés prévus du fait de son très fort besoin d'aide et de formation. Il s'avérera à l'automne 2019, que la source des erreurs provenait du fait qu'il souffre de dyslexie, ce dont je n'avais auparavant pas été prévenu',
- du 12 octobre 2020 en réponse à celui de M. [O] du 9 précédent, rappelant que l'origine du problème est ' l'échec du transfert d'une activité de comptabilisation assumée par des équipes vers un autre département dans le cadre du projet Soliam', critiquant la qualité du plan de compte de Soliam, dénonçant 'l'absence de contrôles ex- ante et le non-respect des politiques du Groupe' ' traitées par le seul déni',
- du 12 octobre 2020 de l'appelant au directeur général délégué M. [T], dénonçant 'une probabilité d'occurrence forte lors de « Fastclose 2020 »', expliquant le caractère sensible des faits le conduisant dans un premier temps à en faire part à la direction du GIE afin de recueillir des instructions, message dans lequel il dénonce un risque majeur d'absence de conformité à Solvabilité 2 et préconise différentes opérations pour diminuer ou amenuiser les risques dénoncés,
- du 22 octobre 2020 réitérant l'alerte risque effectuée auprès de M. [T] et 'à titre d'illustration', transmettant une 'copie d'un exemple de support à destination des instances [...] qui ne pourront plus faire l'objet de contrôle de second niveau sur la mise à jour et leur contenu du fait du non-respect de la politique écrite de qualité des données d'Actif Financier, de la Politique écrite d'externalisation de la gestion financière ainsi que la Politique d'Investissement.'
Ce dernier message contient en outre l'accusation faite au directeur financier de soumettre ' ses collaborateurs de DDI à des pressions excessives, d'avoir un 'vocabulaire déplacé et vulgaire' et de s'être abstenu de 'la moindre action pour protéger son intégrité physique suite à des demandes réitérées'.
La lecture des différents messages, constitutifs d' 'alertes' selon le salarié, permet de vérifier ses critiques à l'encontre d'un logiciel utilisé et la dénonciation de risques liés à des lacunes du dispositif choisi, mais également les imperfections de travail de certains des salariés de l'entreprise, la fluctuation de certaines données transmises, ainsi que l'attitude de son supérieur hiérarchique, M. [O].
Le choix d'un logiciel de gestion des données, comme la dénonciation de simples risques, n'est pas constitutif d'infraction pénale.
Par ailleurs, si le salarié s'est étonné d'un 'niveau des frais versés aux intermédiaires lors des transactions immobilières, plus proche selon mon expérience de ceux appliqués aux particuliers qu'aux institutionnels', cet élément - qui au demeurant n'est pas plus détaillé , ni documenté - n'apparaît pas, en l'état et sans aucune donnée quant à une quelconque intentionnalité, constitutif d'un délit, ni d'un crime a fortiori.
En outre, les messages d''alertes' ne contiennent aucun élément sur des faits évoqués dans le cadre de ses conclusions par le salarié, relatifs à des fraudes diverses, lesquelles n'ont pas été confirmées dans le rapport établi par le commissaire aux comptes pour le comité d'audit pour l'exercice clos en décembre 2020.
De même, il n'est justifié d'aucune menace ou préjudice graves pour l'intérêt général.
Par ailleurs, le salarié a dénoncé des pressions excessives sur des collaborateurs de la direction des investissements, faisant état ainsi d'un 'harcèlement moral', bien que non dénommé, pouvant être constitutif d'un délit prévu et réprimé par les articles 222-33-2 à 222-33-2-3 du code pénal.
S'agissant de la dénonciation d'un harcèlement moral, en vertu de l'article L.1152-2 du code du travail, 'aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-2.'
Aux termes de l'article L.1152-3 du code du travail, 'toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.'
En l'espèce, alors que le salarié dénonce des ' pressions exercées' sur des salariés de son service, un vocabulaire déplacé et vulgaire devant eux, et un 'changement de comportement du directeur financier à son égard, le plaçant dans une situation de conflit de loyauté vis-à-vis de la direction générale', il verse aux débats différents courriers et courriels, SMS et messages émis par lui, le certificat d'un médecin généraliste en date du 12 octobre 2020 le décrivant comme présentant des troubles anxio-dépressifs secondaires à des difficultés professionnelles, le certificat du même médecin indiquant que lors de la consultation du 12 octobre 2020, il l'a adressé à un confrère chirurgien pour une tuméfaction cervicale de nature indéterminée, ainsi qu'un certificat d'un psychiatre en date du 12 octobre 2021 attestant d'un suivi depuis un an dans le cadre d'un épisode dépressif avec épuisement psychique professionnel.
Il fait état également d'un tract du syndicat CFDT AGRICA dénonçant l'important turn-over au sein de la direction financière et d'un courriel adressé à un de ses collaborateurs pour lui demander de confirmer la teneur de ses échanges avec M. [O] en sa présence, à savoir ' P [O] a fait irruption vers 10h30 dans le bureau 462 en déplorant que nous ne disposions que de classeurs de couleur verte en utilisant le vocabulaire déplacé et vulgaire (« je ne suis pas un pédé »).'
Il invoque son courriel du 12 octobre 2020 à une de ses collaboratrices relativement à un échange du 5 octobre avec M. [O] indiquant ' tu m'as indiqué avoir été « agressée » et «énervée » par de la mauvaise foi » à propos d'écritures que nous aurions intégrées de notre propre chef et qu'il fallait donc extourner'.
Le salarié produit également l'attestation de M. [S], chargé d'investissement, racontant que lors de son arrêt maladie en octobre 2020, le directeur financier, M. [O], lui a dit ' à plusieurs reprises que M. [R] se livrait à une « simulation d'arrêt maladie ', qu'il ne « reviendrait pas », que c'était une 'honte' d'abandonner ainsi son équipe et m'a interdit de prendre contact avec M. [R] officiellement, tout en me demandant en même temps de récupérer des fichiers auprès de lui'.
Si certaines allégations du salarié et notamment celles relatives à un des directeurs ayant 'perdu le contrôle de ses nerfs dans son bureau' ne permettent pas de caractériser des faits commis à son encontre, l'appelant présente toutefois des éléments de fait relatifs à des pressions, à un vocabulaire déplacé, à des injonctions paradoxales de la part de M. [O] à l'encontre de membres de la direction des investissements, mais aussi de critiques et de dénigrements laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.
Le GIE conteste tout harcèlement moral, critique certaines pièces adverses ne montrant aucune pression à l'encontre de M. [R] lui-même, rappelle que ce dernier a été invité à plus de transversalité lors de son entretien annuel de 2019, souligne que le suivi psychiatrique n'est pas décrit suffisamment précisément pour permettre de comprendre l'affection qu'il traite, que les éléments médicaux n'émanant pas du médecin du travail ne peuvent établir un lien entre l'état de santé du salarié et ses conditions de travail, qu'aucun harcèlement moral n'a été exercé sur les collaborateurs de M. [R] qui n'en a pas reparlé dans son courriel envoyé au directeur général délégué et rappelle que l'audit réalisé en fin d'année 2020 a montré que 81,2 % des salariés d'AGRICA considéraient ne pas être soumis à un stress élevé, même un an après le début de la pandémie, qui a beaucoup sollicité la direction financière pourtant.
Le GIE Agrica Gestion verse aux débats un document intitulé 'prévention des risques psychosociaux' établi par le bureau Idéhos, montrant la pression subie notamment par la direction financière en période de crise telle que la crise sanitaire de 2020 et se prévaut des courriels initiaux du salarié, exempts de toute critique sur ses conditions de travail et celles de son équipe.
Il convient de relever que les documents médicaux, n'émanant pas d'un médecin du travail et rédigés sans que leurs auteurs expliquent dans quelles circonstances ils ont été amenés à constater le lien qu'ils décrivent entre leurs constatations et la sphère professionnelle du patient, ne sont pas probants à ce titre.
Il est manifeste que les tensions ayant existé entre M. [O] et M. [R] ont eu lieu à compter des accusations du premier par l'appelant, juste avant l'arrêt de travail de ce dernier , rendant vaine toute tentative de discussion ou de réponse.
Si les termes utilisés par M. [O] pour qualifier l'absence de son collègue, repris par un salarié de la DDI dans son attestation, ne peuvent être admis, ils doivent être analysés dans le cadre de ces tensions conjoncturelles, conséquences des attaques de l'appelant et ne sauraient, en l'état de leur caractère ponctuel, constituer des agissements répétés de harcèlement moral.
Il en va de même du commentaire fait au sujet de la couleur d'un classeur, ne visant pas le membre du personnel qui l'a entendu, ni M. [R].
En outre, il convient de retenir qu'aucun élément n'est produit au titre d'un manque de protection de l'intégrité physique du salarié, argument qui n'est pas même illustré par l'intéressé.
Alors que les réunions, réponses et messages adressés à M. [R] ont eu lieu dans le contexte de ses critiques et dénonciations, il ne saurait être retenu de harcèlement moral subi par l'appelant, ni d'ailleurs à l'encontre de son service, fait non repris dans son courriel au directeur général délégué.
Cette dénonciation, intervenue dans le cadre de critiques allant crescendo, relatives à un choix de logiciel et portant in fine sur le comportement de M. [O], relève d'une escalade, l'absence de mention de ces faits dans le courriel au directeur général délégué, le choix du salarié de ne pas recourir à la procédure 'Agririsk' de dénonciation de faits délictueux dont il fait pourtant mention, préférant prendre des instructions de sa hiérarchie, mais aussi l'absence de toute précision quant à une quelconque menace contre 'son intégrité physique' montrant la mauvaise foi avec laquelle elle a été faite - alors que l'intéressé connaissait la fausseté des faits dénoncés-, d'autant que très libre dans son expression, il ne s'en était jamais plaint auparavant.
Dès lors, le salarié, qui invoque lui-même avoir mis l'accent sur 'des pratiques contraires à l'éthique', n'établit pas avoir dénoncé durant l'exécution de son contrat de travail de faits constitutifs d'un crime ou d'un délit, d'une menace ou d'un préjudice graves pour l'intérêt général; le statut et la protection de lanceur d'alerte ne peuvent donc lui être accordés, le jugement, qui n' a pas retenu la nullité du licenciement de ce chef, ni du chef de dénonciation d'un harcèlement moral, devant être confirmé.
Sur l'atteinte à la liberté d'expression:
Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail et de l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
Le licenciement prononcé, même en partie, pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
L'abus est caractérisé lorsque les propos sont injurieux, diffamatoires ou excessifs.
S'agissant de la charge de la preuve du lien entre l'exercice de la liberté d'expression et le licenciement, lorsque la lettre de licenciement fait explicitement grief au salarié de l'usage de sa liberté d'expression, sauf abus dans cet usage, la rupture du contrat pour ce motif constitue à elle seule une atteinte à la liberté d'expression et entraîne, quels que soient les autres motifs invoqués et leur bien-fondé, la nullité du licenciement.
En l'espèce, il résulte des termes de la lettre de licenciement ci-dessus rappelés ( et notamment ' Vous lui répondez alors directement le 8 octobre 2020 en mettant en cause (...)') que le reproche tiré de l' usage abusif de sa liberté d'expression est fait au salarié.
Il y a donc lieu de vérifier si un abus peut être relevé dans l'usage par le salarié de sa liberté d'expression au sein de l'entreprise.
Il est avéré, au vu des pièces produites, que les différents arguments de M. [R], relativement au choix d'un des deux logiciels à utiliser, ont fait l'objet de réponses, discussions, pondérations et analyses diverses, et que les critiques -émergeant plus tard dans les écrits de l'appelant- à l'encontre notamment de M. [O] , accusé de ' refus de communication', invité 'à contacter de façon urgente les personnes en responsabilité pour les qualifier et les circonscrire. Je souhaite un compte rendu de ces échanges', accusé aussi d'avoir changé 'de comportement à son égard ' 'le jour où je t'ai fait part de mon étonnement sur le niveau des frais versés aux intermédiaires lors des transactions immobilières, plus proches selon mon expérience de ceux appliqués aux particuliers qu'aux institutionnels', accusé également de soumettre ' ses collaborateurs de DDI à des pressions excessives, mais aussi d'avoir un 'vocabulaire déplacé et vulgaire' et de s'être abstenu de 'la moindre action pour protéger son intégrité physique suite à des demandes réitérées', ont été prises en considération, une réunion ayant été organisée par le GIE, sans que les justificatifs des griefs avancés, sollicités par la direction, aient été communiqués par l'intéressé.
Il est établi, en outre, une gradation dans les attaques du salarié à l'encontre de M. [O], les premiers messages portant sur des données relatives au comparatif des logiciels, aux contrôles lacunaires de l'un d'eux, aux risques induits, impliquant de plus en plus de services, puis dénonçant le comportement et les propos du directeur financier, sommé de faire diverses diligences et vérifications et de lui en rendre compte notamment, gradation proportionnelle à l'intérêt apporté par ses lecteurs à ses critiques et montrant, en l'état des pièces objectives produites, une posture excessive, devenue injurieuse du salarié, à l'encontre de son supérieur hiérarchique.
Les éléments du débat montrent un usage abusif par M. [R] de sa liberté d'expression, dont se prévaut l'employeur dans la lettre de licenciement.
Cet abus ne saurait donc faire encourir une quelconque nullité au licenciement intervenu notamment pour ces faits.
Il y a donc lieu de rejeter les différents moyens tendant à la nullité du licenciement , ainsi que les demandes présentées à ce titre, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le bien-fondé du licenciement:
A titre subsidiaire, le salarié demande que son licenciement soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le GIE Agrica Gestion sollicite en revanche l'infirmation du jugement qui a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, le salarié s'étant placé sur un registre de dénonciation/délation de risques qu'il savait inexistants, posture qu'une action de coaching ou de formation -comme évoqué par le jugement de première instance- aurait rendu inutile.
Les pièces produites permettent d'établir le positionnement conflictuel mais également la situation de blocage générée par le comportement du salarié, dont le statut de cadre et le caractère sensible des missions et attributions qui lui étaient confiées sont à juste titre relevés dans la lettre de rupture.
Toutefois, alors que les évaluations de M. [R] font état d'objectifs globalement atteints, que ses compétences professionnelles ne sont pas remises en cause, qu'aucune sanction disciplinaire ne lui avait été infligée précédemment, ces débordements et le comportement dénoncé ne légitimaient pas une sanction disciplinaire aussi définitive qu'un licenciement, lequel doit être qualifié de dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la convention de forfait-jours:
M. [R] soutient que l'accord collectif sur lequel s'adosse sa convention de forfait-jours ne contient pas de garanties suffisantes, qu'il est donc nul -comme ladite convention-, qu'aucun contrôle des horaires des cadres n'a été effectué par le GIE qui se montre d'une particulière mauvaise foi à ce titre. Il conclut à l'infirmation du jugement entrepris et se dit en droit de réclamer des heures supplémentaires.
Le GIE fait valoir que l'accord d'entreprise autorisant le recours à la convention de forfait-jours concerne le statut de cadre autonome, prévoit des modalités de suivi de la charge de travail, critique le tableau déclaratif des journées de travail supérieur à 9 heures et rappelle que M. [R] n'a déclaré des journées d'une telle amplitude qu'au mois de février 2018 et n'a émis aucune remarque particulière sur sa charge de travail dans l'entretien d'évaluation pour les années 2018 et 2019. La convention de forfait étant parfaitement opposable, et les prétendues insuffisances du GIE en matière de contrôle du nombre de jours travaillés et de suivi de la charge de travail ne sont pas de nature à remettre en cause ladite convention -qui rend irrecevables les demandes au titre de la durée légale du travail-.
En vertu de l'article L.3121-55 du code du travail, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.
Selon l'article L.3121-60 du même code, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
En l'espèce, l'article 4 du contrat de travail stipule que M. [R] 'bénéficie de par son statut d'un forfait jours tel que défini dans l'accord du 20 avril 2001 et ses avenants'.
À défaut d'autre écrit précisant les modalités du forfait-jours et notamment le nombre de jours devant être travaillés par an, ladite convention de forfait doit être déclarée nulle, sans même qu'il soit besoin d'examiner les griefs faits à l'accord sur lequel elle est adossée.
A titre surabondant, en l'absence de tout entretien sur la charge de travail et l'équilibre avec la vie personnelle du salarié au cours de la relation de travail, cette convention ne pouvait lui être opposée.
Il convient donc de dire recevables les demandes présentées sur la durée de travail par le salarié.
Sur les heures supplémentaires:
Le salarié fait valoir qu'il a travaillé 11 heures par jour, avec une heure pour déjeuner, et en moyenne cinq heures durant les week-ends en raison notamment de la surveillance de la bourse américaine dont les opérations de clôture ont lieu tard dans la soirée. Il réclame différentes sommes à titre d'heures supplémentaires pour les années 2018 à 2020, ainsi que les congés payés y afférents.
Le GIE conteste cette demande et fait valoir que les affirmations du salarié ne sont nullement étayées.
L'article L. 3171-4 du code du travail énonce qu' 'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.'
Il en résulte qu'il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des
exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des
pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures
supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Au soutien des heures supplémentaires qu'il dit avoir accomplies, M. [R] verse aux débats différents échanges avec M. [O] au sujet de la bourse américaine notamment, des courriels envoyés à des horaires tardifs ou le week-end, l'attestation d'un collègue de travail confirmant ses horaires importants ( ' M.[R] fournissait une énorme quantité de travail : il était au bureau vers 8h00 le matin et n'en partait qu'exceptionnellement avant 19 heures. Il devait, de plus, pour les besoins de l'entreprise, assurer une veille quotidienne des conditions de clôture des marchés américains à 22h30. Il travaillait par ailleurs régulièrement le week-end, seul moment où il n'était pas sollicité par la direction financière pour résoudre les problèmes urgents des autres services que le sien', et se prévaut de l'enquête réalisée par le CSE faisant état de plaintes sur la charge mentale, l'équilibre 'vie pro/ vie perso' notamment.
Le salarié présente ainsi, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre.
Le GIE conteste la valeur probante des éléments produits par le salarié, relève que ce dernier n'explique pas pourquoi il devait se tenir à la disposition de l'employeur en permanence, ni le faible nombre de SMS échangés à des horaires non ouvrés en plus de deux ans de collaboration, si le rythme invoqué était vérifié.
Toutefois, aucun élément déterminant la durée de travail effectif du salarié n'est fourni par le GIE.
Il convient donc d'accueillir la demande d'heures supplémentaires, en prenant en considération toutefois certaines des critiques émises par l'employeur relativement au nombre d'heures invoqué et de faire droit à la demande de rappel de salaire à hauteur de 11'848,56 € pour les exercices 2018 à 2020, outre les congés payés y afférents.
Le nombre d'heures supplémentaires retenu ne permet pas de constater un dépassement du contingent annuel et la demande au titre des repos compensateurs doit donc être rejetée.
Sur les jours de repos indus :
Dans la mesure où la convention de forfait a été annulée, il y a lieu d'accueillir la demande du GIE de condamner le salarié à restituer les sommes correspondant aux jours de repos dont il a corrélativement bénéficié.
A défaut de contestation du montant réclamé, il convient d'accueillir la demande.
Sur le travail dissimulé :
M.[R] sollicite une indemnité pour travail dissimulé, en raison du positionnement de son employeur qui s'est affranchi des obligations de l'accord sur le temps de travail en ne contrôlant pas que son personnel ne réalise pas plus de neuf heures par jour.
Le GIE conclut au rejet de la demande.
L'article L.8221-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige,'prévoit: «est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci.'
L'article L.8223-1 du code du travail prévoit qu' « en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.»
Il appartient au salarié d'apporter la preuve d'une omission intentionnelle de l'employeur, laquelle ne saurait être établie du seul fait d'une convention de forfait illicite.
A défaut de démonstration d'un élément intentionnel de la part de l'employeur dans la comptabilisation et la rémunération du temps de travail accompli, il convient de rejeter la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur les indemnités de rupture:
Eu égard au rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, le salaire moyen de M. [R] s'élève à 8 315,37 € ( salaire de base augmenté du 13ème mois et des heures supplémentaires proratisés).
Tenant compte, au moment de la rupture, de l'âge du salarié ( né en 1969 ), de son ancienneté (remontant au 22 janvier 2018 ), de son salaire moyen mensuel brut, des justificatifs fournis de sa situation précaire après la rupture, il y a lieu de lui allouer 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L.1235-3 du code du travail.
En l'état des sommes perçues par le salarié au titre de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, il y a lieu d'accueillir ses demandes de rappel, comme indiqué au dispositif du présent arrêt.
Sur l'obligation de sécurité:
Le salarié fait valoir qu'en s'affranchissant des obligations de son propre accord collectif, en ne tenant même pas compte du système d'auto-déclaration des heures de travail, les manquements de l'employeur qui ont eu des conséquences en termes de santé pour lui doivent conduire à des dommages-intérêts à hauteur de 50'000 €.
Le GIE relève l'augmentation du montant de la demande, passé de 20'000 € en première instance à 50'000 € en cause d'appel, souligne l'absence de tout manquement à son obligation de sécurité, pour conclure au rejet de la demande, d'autant que le salarié n'apporte aucun élément sur la réalité du préjudice subi.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1) des actions de prévention des risques professionnels,
2) des actions d'information et de formation,
3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L.4121-2 du code du travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en 'uvre.
Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles sus-visés.
En l'état d'un certificat médical faisant état d'un épuisement professionnel, et en l'absence de toute mesure prise par l'employeur au titre du contrôle de la charge de travail du salarié et de l'équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, le manquement de l'employeur à ce titre doit être sanctionné par une condamnation à hauteur de 2 000 €.
Sur les intérêts:
Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels d' indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, d'indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.
Sur la remise de documents:
La remise d'une attestation France Travail, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance du GIE Agrica Gestion n'étant versé aux débats.
Sur le remboursement des indemnités de chômage:
Les dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d'espèce, le licenciement de M. [R] étant sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par le GIE des indemnités de chômage perçues par l'intéressé, dans la limite de six mois d'indemnités.
Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l'article R.1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.
L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 4 000 € au salarié, à la charge de l'employeur - dont les demandes à ce titre sont rejetées-.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à la convention de forfait-jours, aux heures supplémentaires, aux rappels d'indemnités de rupture, au montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au montant du salaire moyen, à l'obligation de sécurité, à la restitution de la valeur des jours de repos indus, lesquelles sont infirmées,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la nullité de la convention de forfait-jours,
CONDAMNE le GIE Agrica Gestion à payer à M. [G] [R] les sommes de:
- 11 848,56 € à titre de rappel d'heures supplémentaires,
- 1 184,85 € au titre des congés payés y afférents,
- 1 257,82 € à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
- 125,78 € au titre des congés payés y afférents,
- 1 111,75 € à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
- 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 000 € de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [R] à rembourser au GIE Agrica Gestion la somme de 11 471,69 euros au titre des jours de repos pris au titre de la convention de forfait annulée,
DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,
ORDONNE la remise par le GIE Agrica Gestion à M. [R] d'une attestation France Travail, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans les deux mois suivant sa signification,
ORDONNE le remboursement par le GIE Agrica Gestion aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage payées à M. [R] dans la limite de six mois,
ORDONNE l'envoi par le greffe d'une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de France Travail,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE le GIE Agrica Gestion aux dépens d'appel
LE GREFFIER LE PRESIDENT
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
(n° , 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06909 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CINUH
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Septembre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 21/02110
APPELANT
Monsieur [G] [R]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean-pierre ARAIZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B0982
INTIMEE
G.I.E. AGRICA GESTION
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe PATAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre, rédactrice
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Eva DA SILVA GOMETZ
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Hanane KHARRAT, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [G] [R] a été engagé à compter du 22 janvier 2018 par le groupement d'intérêt économique (GIE) Agrica Gestion, assurant la gestion technique et administrative des institutions de retraite complémentaire et de prévoyance membres du groupe Agrica, en qualité de responsable du département investissement au sein de la direction financière, classé 7C de la grille prévue par la convention collective nationale de travail du personnel des institutions de retraite complémentaire.
Il a été promu le 1er décembre 2018 en qualité de directeur délégué.
Il a été reçu lors d'un entretien du 19 octobre 2020 afin de s'expliquer sur les prétendus risques que le GIE Agrica Gestion encourait en utilisant un certain type de logiciel et également sur les pressions qu'il avait dénoncées sur ses collaborateurs.
Par courrier remis en main propre le 23 novembre 2020, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 3 décembre 2020, lequel s'est finalement tenu le 16 décembre suivant.
Par courrier recommandé du 28 décembre 2020, M. [R] a été licencié.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi le 11 mars 2021 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement en date du 15 septembre 2023, a :
- fixé son salaire moyen à la somme de 9 808,13 euros bruts,
- requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné le GIE Agrica Gestion à verser à M. [R] la somme de 39 232,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,
- condamné le GIE Agrica Gestion à verser à M. [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [R] du surplus de ses demandes,
- débouté le GIE Agrica Gestion de ses demandes et condamné celui-ci aux dépens.
M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 décembre 2024, l'appelant demande à la cour de:
- infirmer pour l'essentiel ledit le jugement et statuant à nouveau :
sur la nullité du licenciement
- juger que le licenciement est intervenu dans le cadre de l'exercice de droits fondamentaux reprochés dans la lettre de licenciement, que cela soit au titre du droit d'alerte ou du droit d'expression ou encore du harcèlement moral, dès lors,
- infirmer le jugement et
statuant à nouveau, juger le licenciement nul,
subsidiairement
sur la nullité du licenciement
- juger que le licenciement est intervenu dans un contexte de dénonciation de faits, protégés par des droits fondamentaux : droit d'alerte, d'expression et harcèlement moral,
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau
- juger le licenciement nul,
dans tous les cas, en cas de nullité du licenciement :
- juger bien fondée la demande de réintégration et dès lors, infirmer le jugement et statuant à nouveau, l'ordonner, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte,
à titre subsidiaire, en cas de nullité mais à défaut de réintégration
- infirmer le jugement et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et vexatoire la somme de 350 000 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ou pour l'avoir dénoncé la somme de 50 000 euros,
à titre très subsidiaire, sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- confirmer le jugement, en ce qu'il a reconnu le principe d'absence de cause réelle et sérieuse, - infirmer le jugement, sur le quantum accordé,
et statuant à nouveau,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] à titre de dommages et intérêts au titre du barème légal, la somme de 56 053,68 euros (si les heures supplémentaires sont reconnues) ou à tout le moins 39 232,52 euros à titre de dommages et intérêts,
sur le forfait- jours
- juger que les accords collectifs applicables en matière de forfait-jours ne contiennent pas les garanties suffisantes,
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau
- juger qu'ils sont donc nuls ainsi que la convention individuelle signée avec M. [R],
subsidiairement
sur le forfait-jours
- juger que le GIE Agrica Gestion n'a pas respecté son propre accord collectif (notamment par l'absence de contrôle d'une durée quotidienne, ne pouvant excéder 9 h), l'absence de surveillance de la charge de travail et le non-respect de la durée journalière maximale, des heures de repos, ainsi que des temps de congés,
dès lors,
- infirmer le jugement, et statuant à nouveau
- juger que ces non-respects privent d'effet la convention de forfait- jours,
dans les deux cas et statuant à nouveau
- juger qu'en présence d'une convention de forfait-jours inopérante, le salarié est réputé avoir été soumis au droit commun en matière d'horaires et qu'il est en droit de réclamer des heures supplémentaires,
sur les heures supplémentaires
- juger et dire le GIE Agrica Gestion s'est abstenu, malgré la demande dès la saisine, de produire les feuilles hebdomadaires d'auto-déclaration des heures, des horaires d'entrées et de sorties du demandeur, relevés par les portiques et les logins et logouts du matricule YK3813 (attestant des connections en présentiel ou distantiel),
- juger et dire bien fondé l'appelant en sa demande de rappel d'heures supplémentaires,
- infirmer le jugement, et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018, 64 471,32 euros et congés afférents : 6 447,13 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2019 la somme de 89 543,50 euros et congés afférents : 8 954,35 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2020 et du rappel d'heures supplémentaires : 74 321,10 euros et congés afférents : 7 432,11 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2018 17 153 euros et 1 715,30 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2019 25 981,75 euros et 2 598,17 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2020 20 621,43 euros et 2 062,14 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R], au titre du travail dissimulé, la somme de 84 080,52 euros de dommages et intérêts,
- juger que le salaire moyen en incluant les heures supplémentaires est de 14 013,42 euros,
dès lors
- infirmer le jugement et statuant à nouveau,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du rappel sur le préavis 18 372,12 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du rappel de congés sur préavis : 1 837,21 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'indemnité de licenciement : 15 781,34 euros,
subsidiairement, sur le montant des heures supplémentaires et au vu des relevés produits par l'employeur, infirmer le jugement et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre des heures supplémentaires pour l'année 2018, 18 564,80 euros et congés afférents : 1 856,48 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2019 27 847,20 euros et congés afférents : 2 784 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'année 2020 et du rappel d'heures supplémentaires : 17 404,50 euros et congés afférents : 1 740,45 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2018 2 219,80 euros et 221,98 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2019 5 347,70 euros et 534,77 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du repos compensateur de l'année 2020 1 261,25 euros et 126,12 euros de congés afférents,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre du travail dissimulé la somme de 46 920 euros de dommages et intérêts,
dans tous les cas, infirmer le jugement et statuant à nouveau
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R], au titre du non-respect de l'obligation de sécurité et de veiller à la santé de son salarié, la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts,
- ordonner des intérêts légaux sur le tout et à compter de la saisine et leur capitalisation,
- ordonner la remise des documents sociaux modifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte : bulletins de salaires, certificat de travail et attestation Pôle emploi,
- condamner le GIE Agrica Gestion à payer à M. [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 10 000 euros,
- condamner le GIE Agrica Gestion aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 12 mars 2024, le GIE Agrica Gestion demande à la cour de :
à titre principal
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 15 septembre 2023 en ce qu'il l'a condamné à verser à M. [R] 39 232,52 euros à titre dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement, 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens d'instance,
en conséquence
- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
à titre subsidiaire :
si par extraordinaire la cour devait entrer en voie de condamnation à l'encontre du GIE Agrica Gestion :
- réduire une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement du licenciement nul,
- limiter à 29 424 euros une éventuelle condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,
- réduire le montant de l'indemnité compensatrice de préavis susceptible d'être allouée ainsi que les congés payés afférents,
- réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au titre d'un prétendu harcèlement moral,
- réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au titre d'un prétendu manquement à l'obligation de sécurité,
- déclarer irrecevable car prescrite toute demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires ainsi que toute demande au titre des repos compensateurs ou contrepartie obligatoire en repos pour le mois de février 2018,
- réduire le montant des rappels de salaires susceptibles d'être alloués au titre des heures supplémentaires pour la période de mars 2018 à octobre 2020,
- réduire le montant des rappels de salaires susceptibles d'être alloués au titre du repos compensateur ou de la contrepartie obligatoire en repos et des congés payés afférents pour la période de mars 2018 à octobre 2020,
- réduire le montant des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au titre d'un prétendu travail dissimulé,
- débouter M. [R] de sa demande tendant à voir juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal,
- débouter M. [R] de sa demande tendant à voir ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,
en tout état de cause
- condamner M. [R] à verser au GIE Agrica Gestion la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du du code de procédure civile,
- condamner M. [R] au versement de la somme de 11 471,69 euros bruts à titre de répétition de l'indu pour les jours de repos accordés au titre de la convention individuelle de forfait-jours,
- le condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 janvier 2025 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 4 février 2025.
Par arrêt du 20 février 2025, la cour a constaté que les parties acceptaient de s'engager dans un processus de médiation, qui n'a pas abouti.
La date de l'audience de renvoi après échec de la médiation a été avancée, pour tenir compte de la demande de réintégration de M.[R], et l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la nullité du licenciement :
La lettre de licenciement adressée le 28 décembre 2020 à M. [R], signée par Mme [D], DRH, contient les motifs suivants:
[...]'Votre changement d'attitude vis-à-vis de l'entreprise nous a d'autant plus surpris, à compter du mois octobre 2020. Auparavant, nous avions bien constaté certains excès dans votre comportement vis-à-vis des collaborateurs de l'entreprise ou de notre filiale. Le Directeur Financier, [P] [O], a dû ainsi intervenir plusieurs fois hiérarchiquement pour apaiser des conflits personnels nés à l'occasion de traitement de dossiers qui ne correspondaient pas à votre approche opérationnelle de la situation et qui avaient provoqué de votre part des réactions très vives. Pour autant, si cela nous avait alerté, cela n'a pas eu pour conséquence de remettre en cause la confiance qui vous était accordée dans la tenue de votre poste. [P] [O] vous avait cependant demandé, lors de l'entretien de fin d'année 2019, de travailler avec davantage de transversalité, et notamment avec vos collègues de la Direction et vous avait également exhorté à améliorer vos capacités relationnelles. Vous aviez admis, dans votre synthèse, devoir travailler votre assertivité.
Toutefois, à compter de la fin de l'été 2020, votre attitude a brutalement changé suite au constat d'échec de l'intégration du fichier envoyé en août des données relatives aux investisseurs immobiliers, dont avait la charge un autre Responsable de la Direction, à travers un outil que vous aviez déployé dans vos services pour les actifs mobiliers. Refusant avec fermeté, malgré deux autres tentatives planifiées fin septembre 2020 et début octobre 2020 que ces écritures soient déversées en cas de nouvel échec dans un autre outil du périmètre comptable, vous envoyez alors à l'un de vos collaborateurs un mail le 28 septembre 2020 et dont étaient en copie des interlocuteurs de la Direction financière ainsi que Monsieur [O], dans lequel vous remettez en cause la gestion des placements immobiliers.
Le 6 octobre, le Directeur financier vous revenait par mail, en y intégrant les interlocuteurs précédents pour apaiser et clarifier les attendus relatifs à la consolidation des comptes, les tentatives en cours pour déverser les écritures dans l'outil que vous aviez développé mais dont le maniement se révèle complexe pour les différents acteurs, y compris d'ailleurs pour les membres de votre équipe, et confirme la possibilité éventuelle de recourir à l'outil comptable, évoquée début septembre, en cas de nouvel échec. Vous lui répondez alors directement le 8 octobre 2020 en mettant en cause le Responsable du département immobilier, en invoquant en des termes très vifs les difficultés que vous auriez avec lui qui remonteraient à janvier 2019. Vous n'hésitez pas à mentionner des difficultés liées à une affection de santé qu'il vous aurait confié personnellement et que nous ne connaissions pas, et que l'intéressé ne nous a pas confirmé. En conclusion, vous énumérez une liste des risques inhérents au choix, que vous récusez, de l'outil comptable sans aucunement les expliciter.
M. [O] vous répond dès le lendemain en regrettant votre refus de communication avec vos collègues et en vous confirmant sa décision.
Cette réponse déclenche de votre part un mail en date du 12 octobre 2020, pour lequel vous mettez ( en copie) le Directeur Général Délégué, Mr [T] et moi-même en tant que DRH.
Ce mail comporte de nombreux reproches, voire des accusations à l'encontre de votre responsable (dénis, injonctions paradoxales, vocabulaire qualifié de déplacé et vulgaire, manque de protection de son intégrité physique') qui nous amène à vous proposer immédiatement un rendez-vous urgent afin d'apporter les éléments d'explications de nature à préciser ces assertions.
Celui-ci se tient finalement le 19 octobre 2020, à la suite de votre bref arrêt maladie. Au cours de cet échange, la violente diatribe se vide de sa substance. S'il apparaît bien que vous êtes en opposition avec les décisions de votre manager, vous ne donnez pas d'éléments tangibles concernant les risques opérationnels anormaux prétendument encourus et dont il avait pris in fine la responsabilité. De plus à l'appui de vos affirmations plus personnelles, touchant aux
« agressions » verbales voire physiques dont vous auriez été victime, vous citez en tout et pour tout deux expressions de style « relâché » dont vous avez été témoin mais dans lesquels vous n'étiez pas partie prenante, et une altercation verbale de quelques minutes avec un collègue (avec lequel vous reconnaissez que la situation s'est apaisée depuis). Vous avez indiqué également lors de cet entretien être en situation de devoir « protéger » votre équipe. Étonnée de cette acception particulière du management, je vous ai alors interrogé sur ce que cela signifiait et vous avez répondu à nouveau de manière très vague en évoquant des pressions auxquelles vos collaborateurs seraient exposés lors de vos absences mais, là encore sans apporter d'illustrations précises.
Il est ressorti de cet échange un énorme écart entre la gravité des termes utilisés dans votre mail et le peu de teneur des arguments évoqués en entretien. Ainsi avons-nous été très alertés par le caractère excessif de la charge écrite à l'encontre de votre Responsable hiérarchique par rapport à la réalité des faits rapportés. Alors que nous étions encore circonspects à l'issue de cet échange, eu égard à l'instabilité qu'il révélait dans vos approches, nous recevions un nouveau mail le 22 octobre 2020 présentant une nouvelle charge à l'encontre de Mr [O].
Ajoutons que quelques jours avant, j'avais dû moi-même intervenir dans le contexte de la crise sanitaire en ma qualité de Référent Covid après que vous ayez pris l'initiative d'alerter une douzaine de personnes sur leur situation d'être des cas contacts Covid alors que vous n'aviez ni la compétence, ni la responsabilité pour cette initiative.
Compte tenu des responsabilités que vous exercez dans l'entreprise, le portefeuille d'actifs mobiliers gérés par vos soins s'élevant à près de 8 milliards d'euros, vos errements, votre instabilité et votre comportement relationnel ne sont plus supportables. Il n'est pas acceptable d'un cadre de votre niveau assurant des fonctions essentielles pour l'entreprise, d'adopter volontairement un positionnement conflictuel reposant sur des éléments infondés, refusant tout autre appréciation de la situation que la vôtre, créant ainsi une situation de blocage que nous ne pouvons accepter plus longtemps. Cela nous paraît incompatible avec les attendus relatifs aux exigences de gestion raisonnable définis par Solvabilité 2. En cela, le niveau de confiance que nous vous avions accordé est irrémédiablement remis en cause et c'est la raison pour laquelle votre maintien au sein de l'entreprise n'est plus envisageable.
Par conséquent, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement.'
Ayant été en lien avec tous les organes de contrôle des risques et ayant constaté les manquements les plus graves lors de la migration des données relatives aux investissements immobiliers vers son service, M. [R] considère qu'on lui reproche d'avoir effectué le travail qui était stipulé dans son contrat et fait valoir que son licenciement a été décidé en représailles aux treize alertes croissantes qu'il a lancées de façon justifiée et à tout le moins de bonne foi, en accomplissant sa mission au sein du GIE, ou au titre de sa liberté d'expression ou encore pour dénonciation de faits de harcèlement moral sur sa personne ou sur celle de ses subordonnés, faits qui lui sont tous reprochés explicitement dans la lettre de licenciement. Il rappelle que la liberté d'expression est une liberté fondamentale et qu'un licenciement la sanctionnant est nul.
Le GIE conclut à la confirmation du jugement qui a écarté toute nullité du licenciement, le salarié ne pouvant revendiquer le statut de lanceur d'alerte alors qu'il a dénoncé de simples risques ne relevant pas d'une qualification pénale, qu'il ne qualifie jamais les délits/crimes qu'il aurait prétendument identifiés et qu'aucune fraude n'a été identifiée par les commissaires aux comptes qui ont certifié les bilans. Il souligne le refus de l'intéressé de recourir à la procédure idoine en cas d'alerte, ainsi que l'abus qui a été fait par ce dernier de sa liberté d'expression en vue de dénigrer et de calomnier son supérieur hiérarchique. Il conteste enfin tout harcèlement moral de M. [R] ou de ses collaborateurs et conclut à la confirmation du jugement qui a rejeté les demandes de nullité du licenciement.
Sur le statut de lanceur d'alerte revendiqué par le salarié:
Aux termes de l'article L.1132-3-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. [...]'
Les articles 6 à 8 de la loi nº2016-1691 du 9 décembre 2016 sont ainsi rédigés :
. article 6 : ' un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.'
. article 7 : ' le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-9 ainsi rédigé : « n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »'
. article 8 : ' I. - le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.
III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte.'
Selon l'article L. 1132-4 du code du travail, ' toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul'.
En vertu de l'article L.1132-3-3 alinéa 3 du même code, ' en cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'
Le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut pas être licencié pour ce motif, ni pour dénonciation de faits de harcèlement moral, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Au soutien des alertes qu'il dit avoir lancées, M. [R] se prévaut de l'article 2 de son contrat de travail stipulant qu'il est en charge du ' développement du reporting financier et des contrôles', ainsi que des messages en date :
- du 16 décembre 2019 dans lequel l'intéressé pointe ' encore un changement '' relativement aux chiffres donnés à la comptabilité,
- du 15 janvier 2020 proposant des 'éléments à retenir concernant les données immobilières dans le cadre du projet Fastclose', et listant 8 rubriques dans lesquelles il constate les lacunes du projet de déversement des écritures financières de Soliam, logiciel ayant sa faveur, dans Coda, logiciel critiqué comme inadapté,
- du mois de juin 2020 de la direction conformité, à la suite de la réunion « cartographie des risques anticorruption », détaillant les points sur lesquels l'appelant a attiré son attention ( à savoir le risque lié au non-respect du code de conduite, celui lié au non-respect des obligations relatives aux dispositions alerte éthique et celui lié au non-respect des obligations d'évaluation des clients fournisseurs et intermédiaires), sollicitant de M. [R] qu'il fasse ses commentaires avant le 26 juin 2020,
- du 8 octobre 2020 de l'appelant à M. [O] rappelant le principe selon lequel ' chacun est responsable de ses chiffres' et indiquant notamment ' afin d'assister le responsable en charge du département immobilier, j'ai annulé par deux fois des congés prévus du fait de son très fort besoin d'aide et de formation. Il s'avérera à l'automne 2019, que la source des erreurs provenait du fait qu'il souffre de dyslexie, ce dont je n'avais auparavant pas été prévenu',
- du 12 octobre 2020 en réponse à celui de M. [O] du 9 précédent, rappelant que l'origine du problème est ' l'échec du transfert d'une activité de comptabilisation assumée par des équipes vers un autre département dans le cadre du projet Soliam', critiquant la qualité du plan de compte de Soliam, dénonçant 'l'absence de contrôles ex- ante et le non-respect des politiques du Groupe' ' traitées par le seul déni',
- du 12 octobre 2020 de l'appelant au directeur général délégué M. [T], dénonçant 'une probabilité d'occurrence forte lors de « Fastclose 2020 »', expliquant le caractère sensible des faits le conduisant dans un premier temps à en faire part à la direction du GIE afin de recueillir des instructions, message dans lequel il dénonce un risque majeur d'absence de conformité à Solvabilité 2 et préconise différentes opérations pour diminuer ou amenuiser les risques dénoncés,
- du 22 octobre 2020 réitérant l'alerte risque effectuée auprès de M. [T] et 'à titre d'illustration', transmettant une 'copie d'un exemple de support à destination des instances [...] qui ne pourront plus faire l'objet de contrôle de second niveau sur la mise à jour et leur contenu du fait du non-respect de la politique écrite de qualité des données d'Actif Financier, de la Politique écrite d'externalisation de la gestion financière ainsi que la Politique d'Investissement.'
Ce dernier message contient en outre l'accusation faite au directeur financier de soumettre ' ses collaborateurs de DDI à des pressions excessives, d'avoir un 'vocabulaire déplacé et vulgaire' et de s'être abstenu de 'la moindre action pour protéger son intégrité physique suite à des demandes réitérées'.
La lecture des différents messages, constitutifs d' 'alertes' selon le salarié, permet de vérifier ses critiques à l'encontre d'un logiciel utilisé et la dénonciation de risques liés à des lacunes du dispositif choisi, mais également les imperfections de travail de certains des salariés de l'entreprise, la fluctuation de certaines données transmises, ainsi que l'attitude de son supérieur hiérarchique, M. [O].
Le choix d'un logiciel de gestion des données, comme la dénonciation de simples risques, n'est pas constitutif d'infraction pénale.
Par ailleurs, si le salarié s'est étonné d'un 'niveau des frais versés aux intermédiaires lors des transactions immobilières, plus proche selon mon expérience de ceux appliqués aux particuliers qu'aux institutionnels', cet élément - qui au demeurant n'est pas plus détaillé , ni documenté - n'apparaît pas, en l'état et sans aucune donnée quant à une quelconque intentionnalité, constitutif d'un délit, ni d'un crime a fortiori.
En outre, les messages d''alertes' ne contiennent aucun élément sur des faits évoqués dans le cadre de ses conclusions par le salarié, relatifs à des fraudes diverses, lesquelles n'ont pas été confirmées dans le rapport établi par le commissaire aux comptes pour le comité d'audit pour l'exercice clos en décembre 2020.
De même, il n'est justifié d'aucune menace ou préjudice graves pour l'intérêt général.
Par ailleurs, le salarié a dénoncé des pressions excessives sur des collaborateurs de la direction des investissements, faisant état ainsi d'un 'harcèlement moral', bien que non dénommé, pouvant être constitutif d'un délit prévu et réprimé par les articles 222-33-2 à 222-33-2-3 du code pénal.
S'agissant de la dénonciation d'un harcèlement moral, en vertu de l'article L.1152-2 du code du travail, 'aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l'objet des mesures mentionnées à l'article L. 1121-2.'
Aux termes de l'article L.1152-3 du code du travail, 'toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.'
En l'espèce, alors que le salarié dénonce des ' pressions exercées' sur des salariés de son service, un vocabulaire déplacé et vulgaire devant eux, et un 'changement de comportement du directeur financier à son égard, le plaçant dans une situation de conflit de loyauté vis-à-vis de la direction générale', il verse aux débats différents courriers et courriels, SMS et messages émis par lui, le certificat d'un médecin généraliste en date du 12 octobre 2020 le décrivant comme présentant des troubles anxio-dépressifs secondaires à des difficultés professionnelles, le certificat du même médecin indiquant que lors de la consultation du 12 octobre 2020, il l'a adressé à un confrère chirurgien pour une tuméfaction cervicale de nature indéterminée, ainsi qu'un certificat d'un psychiatre en date du 12 octobre 2021 attestant d'un suivi depuis un an dans le cadre d'un épisode dépressif avec épuisement psychique professionnel.
Il fait état également d'un tract du syndicat CFDT AGRICA dénonçant l'important turn-over au sein de la direction financière et d'un courriel adressé à un de ses collaborateurs pour lui demander de confirmer la teneur de ses échanges avec M. [O] en sa présence, à savoir ' P [O] a fait irruption vers 10h30 dans le bureau 462 en déplorant que nous ne disposions que de classeurs de couleur verte en utilisant le vocabulaire déplacé et vulgaire (« je ne suis pas un pédé »).'
Il invoque son courriel du 12 octobre 2020 à une de ses collaboratrices relativement à un échange du 5 octobre avec M. [O] indiquant ' tu m'as indiqué avoir été « agressée » et «énervée » par de la mauvaise foi » à propos d'écritures que nous aurions intégrées de notre propre chef et qu'il fallait donc extourner'.
Le salarié produit également l'attestation de M. [S], chargé d'investissement, racontant que lors de son arrêt maladie en octobre 2020, le directeur financier, M. [O], lui a dit ' à plusieurs reprises que M. [R] se livrait à une « simulation d'arrêt maladie ', qu'il ne « reviendrait pas », que c'était une 'honte' d'abandonner ainsi son équipe et m'a interdit de prendre contact avec M. [R] officiellement, tout en me demandant en même temps de récupérer des fichiers auprès de lui'.
Si certaines allégations du salarié et notamment celles relatives à un des directeurs ayant 'perdu le contrôle de ses nerfs dans son bureau' ne permettent pas de caractériser des faits commis à son encontre, l'appelant présente toutefois des éléments de fait relatifs à des pressions, à un vocabulaire déplacé, à des injonctions paradoxales de la part de M. [O] à l'encontre de membres de la direction des investissements, mais aussi de critiques et de dénigrements laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.
Le GIE conteste tout harcèlement moral, critique certaines pièces adverses ne montrant aucune pression à l'encontre de M. [R] lui-même, rappelle que ce dernier a été invité à plus de transversalité lors de son entretien annuel de 2019, souligne que le suivi psychiatrique n'est pas décrit suffisamment précisément pour permettre de comprendre l'affection qu'il traite, que les éléments médicaux n'émanant pas du médecin du travail ne peuvent établir un lien entre l'état de santé du salarié et ses conditions de travail, qu'aucun harcèlement moral n'a été exercé sur les collaborateurs de M. [R] qui n'en a pas reparlé dans son courriel envoyé au directeur général délégué et rappelle que l'audit réalisé en fin d'année 2020 a montré que 81,2 % des salariés d'AGRICA considéraient ne pas être soumis à un stress élevé, même un an après le début de la pandémie, qui a beaucoup sollicité la direction financière pourtant.
Le GIE Agrica Gestion verse aux débats un document intitulé 'prévention des risques psychosociaux' établi par le bureau Idéhos, montrant la pression subie notamment par la direction financière en période de crise telle que la crise sanitaire de 2020 et se prévaut des courriels initiaux du salarié, exempts de toute critique sur ses conditions de travail et celles de son équipe.
Il convient de relever que les documents médicaux, n'émanant pas d'un médecin du travail et rédigés sans que leurs auteurs expliquent dans quelles circonstances ils ont été amenés à constater le lien qu'ils décrivent entre leurs constatations et la sphère professionnelle du patient, ne sont pas probants à ce titre.
Il est manifeste que les tensions ayant existé entre M. [O] et M. [R] ont eu lieu à compter des accusations du premier par l'appelant, juste avant l'arrêt de travail de ce dernier , rendant vaine toute tentative de discussion ou de réponse.
Si les termes utilisés par M. [O] pour qualifier l'absence de son collègue, repris par un salarié de la DDI dans son attestation, ne peuvent être admis, ils doivent être analysés dans le cadre de ces tensions conjoncturelles, conséquences des attaques de l'appelant et ne sauraient, en l'état de leur caractère ponctuel, constituer des agissements répétés de harcèlement moral.
Il en va de même du commentaire fait au sujet de la couleur d'un classeur, ne visant pas le membre du personnel qui l'a entendu, ni M. [R].
En outre, il convient de retenir qu'aucun élément n'est produit au titre d'un manque de protection de l'intégrité physique du salarié, argument qui n'est pas même illustré par l'intéressé.
Alors que les réunions, réponses et messages adressés à M. [R] ont eu lieu dans le contexte de ses critiques et dénonciations, il ne saurait être retenu de harcèlement moral subi par l'appelant, ni d'ailleurs à l'encontre de son service, fait non repris dans son courriel au directeur général délégué.
Cette dénonciation, intervenue dans le cadre de critiques allant crescendo, relatives à un choix de logiciel et portant in fine sur le comportement de M. [O], relève d'une escalade, l'absence de mention de ces faits dans le courriel au directeur général délégué, le choix du salarié de ne pas recourir à la procédure 'Agririsk' de dénonciation de faits délictueux dont il fait pourtant mention, préférant prendre des instructions de sa hiérarchie, mais aussi l'absence de toute précision quant à une quelconque menace contre 'son intégrité physique' montrant la mauvaise foi avec laquelle elle a été faite - alors que l'intéressé connaissait la fausseté des faits dénoncés-, d'autant que très libre dans son expression, il ne s'en était jamais plaint auparavant.
Dès lors, le salarié, qui invoque lui-même avoir mis l'accent sur 'des pratiques contraires à l'éthique', n'établit pas avoir dénoncé durant l'exécution de son contrat de travail de faits constitutifs d'un crime ou d'un délit, d'une menace ou d'un préjudice graves pour l'intérêt général; le statut et la protection de lanceur d'alerte ne peuvent donc lui être accordés, le jugement, qui n' a pas retenu la nullité du licenciement de ce chef, ni du chef de dénonciation d'un harcèlement moral, devant être confirmé.
Sur l'atteinte à la liberté d'expression:
Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail et de l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
Le licenciement prononcé, même en partie, pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
L'abus est caractérisé lorsque les propos sont injurieux, diffamatoires ou excessifs.
S'agissant de la charge de la preuve du lien entre l'exercice de la liberté d'expression et le licenciement, lorsque la lettre de licenciement fait explicitement grief au salarié de l'usage de sa liberté d'expression, sauf abus dans cet usage, la rupture du contrat pour ce motif constitue à elle seule une atteinte à la liberté d'expression et entraîne, quels que soient les autres motifs invoqués et leur bien-fondé, la nullité du licenciement.
En l'espèce, il résulte des termes de la lettre de licenciement ci-dessus rappelés ( et notamment ' Vous lui répondez alors directement le 8 octobre 2020 en mettant en cause (...)') que le reproche tiré de l' usage abusif de sa liberté d'expression est fait au salarié.
Il y a donc lieu de vérifier si un abus peut être relevé dans l'usage par le salarié de sa liberté d'expression au sein de l'entreprise.
Il est avéré, au vu des pièces produites, que les différents arguments de M. [R], relativement au choix d'un des deux logiciels à utiliser, ont fait l'objet de réponses, discussions, pondérations et analyses diverses, et que les critiques -émergeant plus tard dans les écrits de l'appelant- à l'encontre notamment de M. [O] , accusé de ' refus de communication', invité 'à contacter de façon urgente les personnes en responsabilité pour les qualifier et les circonscrire. Je souhaite un compte rendu de ces échanges', accusé aussi d'avoir changé 'de comportement à son égard ' 'le jour où je t'ai fait part de mon étonnement sur le niveau des frais versés aux intermédiaires lors des transactions immobilières, plus proches selon mon expérience de ceux appliqués aux particuliers qu'aux institutionnels', accusé également de soumettre ' ses collaborateurs de DDI à des pressions excessives, mais aussi d'avoir un 'vocabulaire déplacé et vulgaire' et de s'être abstenu de 'la moindre action pour protéger son intégrité physique suite à des demandes réitérées', ont été prises en considération, une réunion ayant été organisée par le GIE, sans que les justificatifs des griefs avancés, sollicités par la direction, aient été communiqués par l'intéressé.
Il est établi, en outre, une gradation dans les attaques du salarié à l'encontre de M. [O], les premiers messages portant sur des données relatives au comparatif des logiciels, aux contrôles lacunaires de l'un d'eux, aux risques induits, impliquant de plus en plus de services, puis dénonçant le comportement et les propos du directeur financier, sommé de faire diverses diligences et vérifications et de lui en rendre compte notamment, gradation proportionnelle à l'intérêt apporté par ses lecteurs à ses critiques et montrant, en l'état des pièces objectives produites, une posture excessive, devenue injurieuse du salarié, à l'encontre de son supérieur hiérarchique.
Les éléments du débat montrent un usage abusif par M. [R] de sa liberté d'expression, dont se prévaut l'employeur dans la lettre de licenciement.
Cet abus ne saurait donc faire encourir une quelconque nullité au licenciement intervenu notamment pour ces faits.
Il y a donc lieu de rejeter les différents moyens tendant à la nullité du licenciement , ainsi que les demandes présentées à ce titre, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le bien-fondé du licenciement:
A titre subsidiaire, le salarié demande que son licenciement soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le GIE Agrica Gestion sollicite en revanche l'infirmation du jugement qui a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, le salarié s'étant placé sur un registre de dénonciation/délation de risques qu'il savait inexistants, posture qu'une action de coaching ou de formation -comme évoqué par le jugement de première instance- aurait rendu inutile.
Les pièces produites permettent d'établir le positionnement conflictuel mais également la situation de blocage générée par le comportement du salarié, dont le statut de cadre et le caractère sensible des missions et attributions qui lui étaient confiées sont à juste titre relevés dans la lettre de rupture.
Toutefois, alors que les évaluations de M. [R] font état d'objectifs globalement atteints, que ses compétences professionnelles ne sont pas remises en cause, qu'aucune sanction disciplinaire ne lui avait été infligée précédemment, ces débordements et le comportement dénoncé ne légitimaient pas une sanction disciplinaire aussi définitive qu'un licenciement, lequel doit être qualifié de dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la convention de forfait-jours:
M. [R] soutient que l'accord collectif sur lequel s'adosse sa convention de forfait-jours ne contient pas de garanties suffisantes, qu'il est donc nul -comme ladite convention-, qu'aucun contrôle des horaires des cadres n'a été effectué par le GIE qui se montre d'une particulière mauvaise foi à ce titre. Il conclut à l'infirmation du jugement entrepris et se dit en droit de réclamer des heures supplémentaires.
Le GIE fait valoir que l'accord d'entreprise autorisant le recours à la convention de forfait-jours concerne le statut de cadre autonome, prévoit des modalités de suivi de la charge de travail, critique le tableau déclaratif des journées de travail supérieur à 9 heures et rappelle que M. [R] n'a déclaré des journées d'une telle amplitude qu'au mois de février 2018 et n'a émis aucune remarque particulière sur sa charge de travail dans l'entretien d'évaluation pour les années 2018 et 2019. La convention de forfait étant parfaitement opposable, et les prétendues insuffisances du GIE en matière de contrôle du nombre de jours travaillés et de suivi de la charge de travail ne sont pas de nature à remettre en cause ladite convention -qui rend irrecevables les demandes au titre de la durée légale du travail-.
En vertu de l'article L.3121-55 du code du travail, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.
Selon l'article L.3121-60 du même code, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
En l'espèce, l'article 4 du contrat de travail stipule que M. [R] 'bénéficie de par son statut d'un forfait jours tel que défini dans l'accord du 20 avril 2001 et ses avenants'.
À défaut d'autre écrit précisant les modalités du forfait-jours et notamment le nombre de jours devant être travaillés par an, ladite convention de forfait doit être déclarée nulle, sans même qu'il soit besoin d'examiner les griefs faits à l'accord sur lequel elle est adossée.
A titre surabondant, en l'absence de tout entretien sur la charge de travail et l'équilibre avec la vie personnelle du salarié au cours de la relation de travail, cette convention ne pouvait lui être opposée.
Il convient donc de dire recevables les demandes présentées sur la durée de travail par le salarié.
Sur les heures supplémentaires:
Le salarié fait valoir qu'il a travaillé 11 heures par jour, avec une heure pour déjeuner, et en moyenne cinq heures durant les week-ends en raison notamment de la surveillance de la bourse américaine dont les opérations de clôture ont lieu tard dans la soirée. Il réclame différentes sommes à titre d'heures supplémentaires pour les années 2018 à 2020, ainsi que les congés payés y afférents.
Le GIE conteste cette demande et fait valoir que les affirmations du salarié ne sont nullement étayées.
L'article L. 3171-4 du code du travail énonce qu' 'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.'
Il en résulte qu'il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des
exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des
pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures
supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Au soutien des heures supplémentaires qu'il dit avoir accomplies, M. [R] verse aux débats différents échanges avec M. [O] au sujet de la bourse américaine notamment, des courriels envoyés à des horaires tardifs ou le week-end, l'attestation d'un collègue de travail confirmant ses horaires importants ( ' M.[R] fournissait une énorme quantité de travail : il était au bureau vers 8h00 le matin et n'en partait qu'exceptionnellement avant 19 heures. Il devait, de plus, pour les besoins de l'entreprise, assurer une veille quotidienne des conditions de clôture des marchés américains à 22h30. Il travaillait par ailleurs régulièrement le week-end, seul moment où il n'était pas sollicité par la direction financière pour résoudre les problèmes urgents des autres services que le sien', et se prévaut de l'enquête réalisée par le CSE faisant état de plaintes sur la charge mentale, l'équilibre 'vie pro/ vie perso' notamment.
Le salarié présente ainsi, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre.
Le GIE conteste la valeur probante des éléments produits par le salarié, relève que ce dernier n'explique pas pourquoi il devait se tenir à la disposition de l'employeur en permanence, ni le faible nombre de SMS échangés à des horaires non ouvrés en plus de deux ans de collaboration, si le rythme invoqué était vérifié.
Toutefois, aucun élément déterminant la durée de travail effectif du salarié n'est fourni par le GIE.
Il convient donc d'accueillir la demande d'heures supplémentaires, en prenant en considération toutefois certaines des critiques émises par l'employeur relativement au nombre d'heures invoqué et de faire droit à la demande de rappel de salaire à hauteur de 11'848,56 € pour les exercices 2018 à 2020, outre les congés payés y afférents.
Le nombre d'heures supplémentaires retenu ne permet pas de constater un dépassement du contingent annuel et la demande au titre des repos compensateurs doit donc être rejetée.
Sur les jours de repos indus :
Dans la mesure où la convention de forfait a été annulée, il y a lieu d'accueillir la demande du GIE de condamner le salarié à restituer les sommes correspondant aux jours de repos dont il a corrélativement bénéficié.
A défaut de contestation du montant réclamé, il convient d'accueillir la demande.
Sur le travail dissimulé :
M.[R] sollicite une indemnité pour travail dissimulé, en raison du positionnement de son employeur qui s'est affranchi des obligations de l'accord sur le temps de travail en ne contrôlant pas que son personnel ne réalise pas plus de neuf heures par jour.
Le GIE conclut au rejet de la demande.
L'article L.8221-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige,'prévoit: «est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de ne pas accomplir auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales les déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci.'
L'article L.8223-1 du code du travail prévoit qu' « en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.»
Il appartient au salarié d'apporter la preuve d'une omission intentionnelle de l'employeur, laquelle ne saurait être établie du seul fait d'une convention de forfait illicite.
A défaut de démonstration d'un élément intentionnel de la part de l'employeur dans la comptabilisation et la rémunération du temps de travail accompli, il convient de rejeter la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur les indemnités de rupture:
Eu égard au rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, le salaire moyen de M. [R] s'élève à 8 315,37 € ( salaire de base augmenté du 13ème mois et des heures supplémentaires proratisés).
Tenant compte, au moment de la rupture, de l'âge du salarié ( né en 1969 ), de son ancienneté (remontant au 22 janvier 2018 ), de son salaire moyen mensuel brut, des justificatifs fournis de sa situation précaire après la rupture, il y a lieu de lui allouer 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L.1235-3 du code du travail.
En l'état des sommes perçues par le salarié au titre de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, il y a lieu d'accueillir ses demandes de rappel, comme indiqué au dispositif du présent arrêt.
Sur l'obligation de sécurité:
Le salarié fait valoir qu'en s'affranchissant des obligations de son propre accord collectif, en ne tenant même pas compte du système d'auto-déclaration des heures de travail, les manquements de l'employeur qui ont eu des conséquences en termes de santé pour lui doivent conduire à des dommages-intérêts à hauteur de 50'000 €.
Le GIE relève l'augmentation du montant de la demande, passé de 20'000 € en première instance à 50'000 € en cause d'appel, souligne l'absence de tout manquement à son obligation de sécurité, pour conclure au rejet de la demande, d'autant que le salarié n'apporte aucun élément sur la réalité du préjudice subi.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1) des actions de prévention des risques professionnels,
2) des actions d'information et de formation,
3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L.4121-2 du code du travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en 'uvre.
Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles sus-visés.
En l'état d'un certificat médical faisant état d'un épuisement professionnel, et en l'absence de toute mesure prise par l'employeur au titre du contrôle de la charge de travail du salarié et de l'équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, le manquement de l'employeur à ce titre doit être sanctionné par une condamnation à hauteur de 2 000 €.
Sur les intérêts:
Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels d' indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, d'indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.
Sur la remise de documents:
La remise d'une attestation France Travail, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance du GIE Agrica Gestion n'étant versé aux débats.
Sur le remboursement des indemnités de chômage:
Les dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d'espèce, le licenciement de M. [R] étant sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par le GIE des indemnités de chômage perçues par l'intéressé, dans la limite de six mois d'indemnités.
Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l'article R.1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.
L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 4 000 € au salarié, à la charge de l'employeur - dont les demandes à ce titre sont rejetées-.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à la convention de forfait-jours, aux heures supplémentaires, aux rappels d'indemnités de rupture, au montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au montant du salaire moyen, à l'obligation de sécurité, à la restitution de la valeur des jours de repos indus, lesquelles sont infirmées,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la nullité de la convention de forfait-jours,
CONDAMNE le GIE Agrica Gestion à payer à M. [G] [R] les sommes de:
- 11 848,56 € à titre de rappel d'heures supplémentaires,
- 1 184,85 € au titre des congés payés y afférents,
- 1 257,82 € à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
- 125,78 € au titre des congés payés y afférents,
- 1 111,75 € à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
- 30 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 000 € de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [R] à rembourser au GIE Agrica Gestion la somme de 11 471,69 euros au titre des jours de repos pris au titre de la convention de forfait annulée,
DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,
ORDONNE la remise par le GIE Agrica Gestion à M. [R] d'une attestation France Travail, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans les deux mois suivant sa signification,
ORDONNE le remboursement par le GIE Agrica Gestion aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage payées à M. [R] dans la limite de six mois,
ORDONNE l'envoi par le greffe d'une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de France Travail,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE le GIE Agrica Gestion aux dépens d'appel
LE GREFFIER LE PRESIDENT