CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 18 septembre 2025, n° 23/03292
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
(n° , 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03292 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHUKJ
Décision déférée à la cour : jugement du 06 avril 2023 -conseil de prud'hommes - formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/02713
APPELANTE
Madame [H] [E] épouse [M]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMEE
S.A.S. [Localité 6] MOUNTAIN ENTERTAINMENT SERVICES FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Eva DA SILVA GOMETZ
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente, et par Madame Hanane KHARRAT, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [H] [E] a été engagée par la société Capital Vision, fondée par M. [M], spécialisée dans l'archivage, la restauration, la numérisation et la conservation de fonds audio-visuels, sans contrat écrit, à compter du 16 septembre 1991 selon elle, à compter du 15 septembre 1992, selon l'avenant du 23 avril 2007 la promouvant rétractivement, à compter du 1er janvier 2007, directrice d'exploitation.
Dans l'intervalle, le 30 décembre 1993, Mme [E] est entrée au capital de la société, en devenant actionnaire minoritaire.
Elle a épousé M. [M] en 1994.
Les époux [M] ont créé la société Archive TV en avril 2007 et le 27 avril 2007, ils ont cédé au groupe Bonded Services la société Capital Vision, à la tête de laquelle ils sont restés.
Par lettre en date du 23 avril 2007, Mme [E] épouse [M] a été libérée de toute obligation de non-concurrence.
En octobre 2017, le groupe [Localité 6] Mountain a racheté le Groupe Bonded et plus particulièrement la société Capital Vision, dont Mme [M] était la directrice générale depuis 2013.
Par lettre remise en main propre le 14 décembre 2018, Mme [E] épouse [M] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 décembre 2018 et mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée du 27 décembre 2018, Mme [M] a été licenciée pour faute lourde, l'employeur lui reprochant d'avoir notamment abusé des moyens et du personnel de la société Capital Vision au bénéfice de sociétés du groupe Archive TV, exercé pendant son activité au sein de la société une activité concurrente et instauré au sein de Capital Vision un « régime de terreur ».
Sollicitant la nullité de son licenciement, Mme [M] a saisi le 1er avril 2019 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 6 avril 2023, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens, rejetant également la demande reconventionnelle de la société Capital Vision, devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services France.
Mme [E] épouse [M] a interjeté appel de ce jugement le 12 mai 2023.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 janvier 2024, l'appelante demande à la cour de :
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France, anciennement dénommée Capital Vision, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a jugé qu'elle avait le statut de cadre dirigeant et que les dispositions relatives à la durée du travail ne lui étaient pas applicables,
et en conséquence
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation à
169 595,60 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2017,
185 736,26 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2018,
35 533,16 euros à titre de congés payés afférents au rappel d'heures supplémentaires au titre des années 2017 et 2018, 118 326 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, 50 000 euros de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au forfait annuel en jours,
- infirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a jugé que la faute lourde était caractérisée,
et en conséquence
- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à lui verser 4 983,85 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied non rémunérée, 498,38 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel de mise à pied, 78 884 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, 7 888,40 euros à titre de rappel de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis, 237 916,67 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement, 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail, 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire, 709 956 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, aux entiers dépens de première instance et aux intérêts au jour de la saisine avec anatocisme,
- infirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné Mme [M] au paiement des entiers dépens de première instance,
statuant à nouveau en cause d'appel
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de sa demande de juger que Mme [M] était cadre dirigeant au sens des dispositions de l'article L.3111-2 du code du travail,
et en conséquence
- juger que Mme [E] épouse [M] n'avait pas le statut de cadre dirigeante,
- juger que Mme [E] épouse [M] avait le statut de cadre autonome au forfait,
- juger la convention de forfait inopposable faute de contrôle de la charge de travail par l'employeur,
- juger que la règlementation relative à la durée du travail s'appliquait à Mme [M],
en conséquence
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [E] épouse [M] les sommes de :
- 169 595,60 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2017,
- 185 736,26 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2018,
- 35 533,16 euros à titre de congés payés afférents au rappel d'heures supplémentaires au titre des années 2017 et 2018,
- 118 326 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- 50 000 euros de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au forfait annuel en jours,
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France, anciennement dénommée Capital Vision, de ses demandes tendant à dire que Mme [M] n'est pas fondée à solliciter la nullité de son licenciement au motif qu'il aurait pour cause la dénonciation d'agissements illicites au titre de laquelle elle aurait dû bénéficier de la protection du lanceur d'alerte, juger qu'[T] [J] avait qualité pour mener la procédure de licenciement et signer la lettre de licenciement, juger que les motifs invoqués sont constitutifs d'une faute lourde, juger que la procédure de licenciement n'a pas été conduite de manière vexatoire, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [E] épouse [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, à titre principal juger le licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse car il a pour cause la dénonciation d'agissements graves contraires à l'intérêt social sur le fondement de l'article L.1132-3-3 du code du travail, car il a été notifié par une personne ne disposant pas des pouvoirs correspondants, car il repose sur des faits prescrits sur le fondement de l'article L.1332-4 du code du travail, car il a été décidé dès avant l'entretien préalable et notifié à l'ensemble des salariés réunis aux fins de les informer de cette mesure le jour de la mise à pied conservatoire, car l'employeur transforme en griefs des faits dont il avait connaissance depuis des mois, car la faute lourde suppose l'intention de nuire qui n'est pas caractérisée, car les griefs ne sont pas caractérisés, car la preuve de la faute lourde incombe à l'employeur et si un doute subsiste, il profite au salarié en application de l'article L.1235-1 du code du travail,
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de ses demandes tendant à juger que l'indemnité contractuelle de licenciement était connue et librement négociée, que l'indemnité contractuelle de licenciement est licite, que l'indemnité de licenciement n'a pas la nature d'une clause pénale, en tout état de cause que l'indemnité de licenciement ne revêt pas un caractère excessif, que l'indemnité contractuelle de licenciement est nulle ou à défaut s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] les sommes de:
- 4 983,85 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied non rémunérée,
- 498,38 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel de mise à pied,
- 78 884 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
- 7 888,40 euros à titre de rappel de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
- 237 916,67 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
- 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle de licenciement sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail,
- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
- 709 956 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire
- juger que ni la faute grave, ni la faute lourde ne sont caractérisées, et que le licenciement ne repose pas sur une faute lourde, ni sur une faute grave mais seulement sur une cause réelle et sérieuse,
en conséquence
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] les sommes de:
- 4 983,85 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied non rémunérée,
- 498,38 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel de mise à pied,
- 78 884 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
- 7 888,40 euros à titre de rappel de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
- 237 916,67 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
- 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle de licenciement sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail,
- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
à titre infiniment subsidiaire
- juger que la faute lourde n'est pas caractérisée et que le licenciement ne repose pas sur une faute lourde mais seulement sur une faute grave,
en conséquence
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France anciennement dénommée Capital Vision à verser à Mme [M] les sommes de:
- 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle de licenciement sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail,
- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
en tout état de cause
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France aux entiers dépens de première instance,
- juger que les condamnations porteront intérêts au jour de la saisine avec anatocisme,
- confirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes de Paris, en ce qu'il a débouté la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France anciennement dénommée Capital Vision aux entiers dépens d'appel.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 janvier 2025, la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France demande à la cour de :
à titre principal
- juger que Mme [E] épouse [M] n'est pas fondée à solliciter la nullité de son licenciement au motif qu'il aurait pour cause la dénonciation d'agissements illicites au titre de laquelle elle aurait dû bénéficier de la protection du lanceur d'alerte et du droit à la liberté d'expression et l'en débouter,
- juger que M. [T] [J] avait bien qualité pour mener la procédure de licenciement de Mme [E] épouse [M] et signer la lettre de licenciement,
- juger que les motifs invoqués par la société Capital Vision à l'appui du licenciement de Mme [M] sont constitutifs d'une faute lourde,
- juger que les agissements lourdement fautifs de Mme [E] épouse [M] ont causé à la société Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France un important préjudice financier et moral,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [E] épouse [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
- juger que Mme [E] épouse [M] était cadre dirigeant au sens des dispositions de l'article L.3111-2 du code du travail,
en conséquence
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mme [E] épouse [M] de l'ensemble de ses demandes et condamné Mme [E] épouse [M] aux dépens, - faire droit à l'appel incident de la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de ses demandes,
et statuant à nouveau
- condamner Mme [M] à verser à [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France la somme de 2 317 322,09 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice subi par la société en conséquence de ses agissements justifiant son licenciement pour faute lourde, ou à tout le moins à hauteur de 302 254 euros,
- condamner Mme [M] au paiement de la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France,
- la condamner à payer à Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France la somme de 50 000 euros au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
à titre subsidiaire
si par extraordinaire la cour devait considérer que les agissements reprochés à Mme [M] ne sont pas constitutifs d'une faute lourde,
- juger que les motifs invoqués par Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à l'appui du licenciement sont à tout le moins constitutifs d'une faute grave,
- juger que l'indemnité contractuelle de rupture prévue à l'article 12 du contrat de travail du 23 avril 2007 est nulle, ou à défaut, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
en conséquence
- débouter Mme [M] de l'intégralité de ses demandes formulées au titre de la rupture de son contrat de travail,
si par extraordinaire la cour jugeait que Mme [E] épouse [M] n'exerçait pas des fonctions de cadre dirigeant,
- juger que Mme [E] épouse [M] n'est pas fondée en ses demandes de rappels d'heures supplémentaires,
en conséquence
- débouter Mme [E] épouse [M] de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires et congés afférents, de dommages et intérêts pour travail dissimulé, manquements à l'obligation de sécurité et violation du forfait annuel en jours,
à titre encore plus subsidiaire
si par extraordinaire la cour devait considérer que les agissements reprochés à Mme [E] épouse [M] ne sont constitutifs ni d'une faute lourde ni d'une faute grave,
- juger que les motifs invoqués par la société à l'appui du licenciement de Mme [M] sont à tout le moins constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement,
- juger que l'indemnité contractuelle de rupture prévue à l'article 12 du contrat de travail du 23 avril 2007 est nulle, ou à défaut, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
- juger que Mme [M] ne justifie d'aucun préjudice et la débouter de sa demande en paiement de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 12-2 de son contrat de travail,
- débouter Mme [E] épouse [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
- limiter l'indemnisation de Mme [E] épouse [M] au montant minimal de 3 mois de salaires prévu à l'article L.1235-3 du code du travail, soit 59 163 euros (19 721 euros x 3),
dans toutes les hypothèses ci-dessus
- condamner Mme [M] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer à Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France la somme de 5 000 euros au titre des frais de 1ère instance, et 5 000 euros au titre des frais d'appel,
- condamner Mme [E] épouse [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que les agissements reprochés à Mme [E] épouse [M] ne sont pas constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement
- juger que l'indemnité contractuelle de rupture prévue à l'article 12-2 du contrat de travail du 23 avril 2007 est nulle, ou à défaut, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [E] épouse [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
- juger que Mme [E] épouse [M] ne justifie d'aucun préjudice,
en conséquence
- débouter Mme [E] épouse [M] de sa demande en paiement de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 12-2 de son contrat de travail,
- débouter Mme [E] épouse [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
- limiter l'indemnisation de Mme [E] épouse [M] à 3 mois de salaire 59 163 euros (19 721 euros x 3) correspondant (sic).
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 avril 2025 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 16 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET:
Sur le statut de cadre dirigeant :
Mme [E] épouse [M] soutient avoir eu, en dépit du titre 'ronflant' de
'directrice générale', des prérogatives limitées, puisque les dispositifs de contrôle lui imposaient un reporting hebdomadaire et l'autorisation expresse du groupe pour toute opération susceptible d'être réalisée à des conditions prétendument défavorables pour la société. Ne disposant en outre d'aucun mandat social, d'aucune autonomie budgétaire et d'aucune signature sur les comptes bancaires, elle fait valoir qu'elle n'était pas cadre dirigeant, mais bénéficiait d'un forfait en jours, étant placée sous la responsabilité directe du président directeur général.
Elle critique cependant la clause de forfait qui lui est inopposable et réclame diverses sommes au titre des heures supplémentaires accomplies, d'un travail dissimulé, du préjudice subi du fait de la violation du forfait en jours et des manquements à l'obligation de sécurité (durée de travail, droit au repos et à des congés payés).
La société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France relève que la salariée, directrice générale de Capital Vision, n'a jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires, que le fait de ne pas pouvoir effectuer des règlements pour le compte de la société n'est pas un critère de nature à exclure la qualité de cadre dirigeant, que la salariée reconnaît être la plus haute dirigeante de la société et qu'elle exerçait de fait ses fonctions dans tous les domaines de la gestion et du fonctionnement de cette dernière.
Elle conclut au rejet de la demande de rappel d'heures supplémentaires et des congés payés y afférents, ainsi que des demandes de dommages- intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et pour violation du forfait annuel en jours.
Aux termes de l'article L .3111-2 du code du travail, 'sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement'.
Ces critères cumulatifs, qui impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise, doivent être analysés au regard des fonctions réellement occupées par le salarié.
Il résulte en l'espèce des pièces produites qu'après avoir été nommée 'directrice d'exploitation', 'statut cadre dirigeant' par avenant du 23 avril 2007, Mme [M] a été promue 'directrice générale' en 2013 par le groupe Bonded Services qui venait de racheter la société Capital Vision, que par courriel du 17 septembre 2013, l'intéressée a listé ses interventions, principalement de supervision, d'organisation, de gestion, d'animation et de suivi, dans les domaines de la gestion de l'activité, des locaux, de la communication, du personnel, des ventes, des finances de la société, assistant au comité stratégique, que cette liste a été décrite comme non exhaustive par [N] [V], président de la société, lui-même basé en Grande-Bretagne et chargé de superviser les marchés en Europe et en Asie du groupe Bonded Services, ajoutant que le poste de Mme [M] inclut 'tous les domaines de la gestion et du fonctionnement de la société'.
Il est démontré, au vu des pièces produites, que Mme [M] recrutait les nouveaux salariés, signait les contrats de travail, procédait à l'évaluation du personnel, fixait les objectifs, signait les contrats commerciaux les plus importants, même après l'arrivée d'[T] [J], répondait aux appels d'offres, représentait la société et la dirigeait, comme le montrent d'ailleurs ses propres conclusions soulignant ses efforts et sa réussite à la 'direction' de l'entreprise ainsi que ses questions posées au groupe sur la régularité d'opérations comptables.
Si elle affirme ne pas avoir bénéficié d'une signature bancaire, le message dont elle se prévaut en date du 3 octobre 2018 de M. [R] [W], contrôleur financier Europe de [Localité 6] Mountain, tend à montrer que les identifiants bancaires devaient lui être transmis.
En outre, il est justifié notamment d'un document du président de la société lui donnant pouvoir largement ' pour agir en tant que représentante légale de Capital Vision SAS, vis-à-vis de la société Certinomis' et de références aux contrôles faits sur la société au niveau du groupe notamment par les services 'légal' et 'audit'; ces éléments ne sont pas antinomiques avec le statut de cadre dirigeant, qui d'une part, peut concerner des fonctions de directrice générale, intrinsèquement distinctes de celles de président, mais susceptibles de lui attribuer une large autonomie dans les décisions à prendre, comme en l'espèce, au moyen des délégations ou procurations citées, et d'autre part, n'est pas exclusif d'une soumission aux dispositifs de contrôles et d'alertes mis en place.
Il n'est pas valablement contesté en outre que Mme [M] n'était astreinte à aucun horaire de travail et bénéficiait de la plus large autonomie dans l'organisation de son emploi du temps, que son salaire de base fixé à 12'000 €, s'élevait - compte tenu de ses autres éléments de rémunération - en moyenne à 19'721 € en 2018, constituant le plus haut salaire de l'entreprise, très significativement supérieur à ceux de l'ensemble des autres salariés.
Si Mme [M] se prévaut de la convention de forfait-jours stipulée à l'avenant du 23 avril 2007, incompatible, selon elle, avec un statut de cadre dirigeant, force est de constater que cette clause, consécutive à l'article 1er du même document contractuel qui précise son statut de cadre dirigeant, s'avère surtout antérieure à sa nomination comme 'directrice générale' de la société après son rachat, statut lui conférant les pleins pouvoirs de direction de l'entreprise, en l'absence d'un représentant du groupe Bonded Services, puis d'[Localité 6] Mountain sur place en permanence.
Par conséquent, au-delà du contrat du 23 avril 2007 qui stipule expressément son statut de cadre dirigeant en son article 1er, du courriel du 17 septembre 2013 par lequel l'intéressée a fixé elle-même ses prérogatives et le périmètre de ses fonctions et du courriel de réponse du 20 septembre suivant de M. [V], divers éléments du débat quant à la réalité des fonctions exercées caractérisent la grande indépendance de la salariée dans l'organisation de son emploi du temps, la direction de l'entreprise par elle grâce à son pouvoir décisionnaire largement autonome, nonobstant la délégation ensuite de l'exécution des décisions prises, ainsi qu'une rémunération, la plus élevée de l'entreprise, critères du statut de cadre dirigeant.
Ce statut exclut donc l'applicabilité des dispositions légales relatives à la durée du travail et les demandes d'heures supplémentaires, de congés payés y afférents, d'indemnité pour travail dissimulé sanctionnant un nombre d'heures de travail mentionné sur les bulletins de salaire inférieur à celui réellement accompli et de dommages-intérêts pour dépassement des durées maximales de travail ou manquements au titre des repos.
Toutefois, la qualité de cadre dirigeant n'exonère pas l'entreprise de son obligation de sécurité vis-à-vis de l'intéressée.
Il incombe en effet à l'employeur de faire en sorte que les conditions de travail de ses cadres dirigeants ne portent pas atteinte à leur santé, conformément aux dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, qui lui imposent de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et prévenir tout risque en ce domaine.
Alors que la salariée n'est pas valablement démentie quand elle affirme ne pas avoir pu prendre certains jours de congés et que quelques messages électroniques révèlent des manquements à son droit à la déconnexion, la société ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention notamment prévues par ces textes.
En l'état des éléments de préjudice recueillis, il convient d'accueillir la demande d'indemnisation à hauteur de 5 000 €.
Sur la rupture du contrat de travail :
La lettre de licenciement, notifiée par courrier du 27 décembre 2018 à Mme [E] épouse [M] contient les motifs suivants :
[...] 'Or, des éléments dont nous avons eu récemment connaissance, il est apparu que vous étiez également fortement impliquée dans le développement de plusieurs sociétés du groupe Archive TV au plus grand préjudice des intérêts de Capital Vision.
Le groupe Archive TV est dirigé par votre époux, Monsieur [X] [M], et vous en êtes avec lui les principaux actionnaires.
Alertés par plusieurs salariés de faits graves vous concernant, nous avons procédé à des investigations et avons découvert que pour privilégier vos intérêts et ceux de votre époux au sein du groupe Archive TV, vous avez fait preuve d'une totale déloyauté dans le cadre de l'exécution de vos fonctions au sein de Capital Vision, dont les conséquences sont gravement préjudiciables aux intérêts de la société.
1. Vous avez gravement abusé des moyens et du personnel de Capital Vision au bénéfice de sociétés du groupe Archive TV
Lors de nos investigations, nous avons découvert que vous avez profité de votre statut de Directrice Générale de Capital Vision pour imposer à des salariés de Capital Vision placés sous votre autorité de travailler pour le compte d'autres sociétés du groupe Archive TV, voire à se présenter vis-à-vis des clients de sociétés du groupe Archive TV et à échanger avec ces clients comme s'ils étaient salariés du groupe Archive TV, accréditant cette fausse qualité par la création d'adresses e-mails professionnelles au nom de sociétés du groupe Archive TV.
Nos investigations ont aussi révélé que vous avez ordonné que des travaux soient réalisés par des salariés de Capital Vision avec du matériel appartenant à Capital Vision pour le compte de sociétés du groupe Archive TV sans jamais que ces travaux soient facturés, ou alors des conditions décidées par Archive TV. (sic)
Nous avons également été informés que lors d'entretiens dans les locaux de Capital Vision avec des clients ou prospects de Capital Vision, vous vous attachiez essentiellement à valoriser les prestations proposées par les entreprises du groupe Archive TV.
2. Vous avez participé activement au développement au sein de la société LTC Patrimoine (appartenant au groupe Archive TV) d'une activité concurrente à celle de Capital Vision
[...] Vous avez d'ailleurs confirmé lors de l'entretien préalable que LTC Patrimoine exerçait bien désormais une activité concurrente à celle de Capital Vision.
Et nous constatons aujourd'hui que la création de cette activité concurrente a eu un impact direct sur le chiffre d'affaires de Capital Vision.
3. Vous avez instauré au sein de Capital Vision un « régime de terreur », vraisemblablement pour maintenir l'omerta sur votre contribution et celle (forcée) de certains salariés de Capital Vision aux activités du groupe Archive TV et sur la désorganisation qui en résulte pour Capital Vision
De nombreux salariés se sont plaints de la violence de vos propos et de vos gestes et du traitement humiliant que vous infligiez à certains, coups de poings sur les bureaux, coups de pieds dans les portes, hurlements, insultes, « mise au placard » de certains auxquels vous pouviez ne pas adresser la parole pendant plusieurs jours.
À cela s'ajoutaient des instructions contradictoires, les interdictions faites aux salariés de répondre aux clients qui exprimaient leur mécontentement, des engagements de votre part de le faire et vous ne le faisiez pas, et la surveillance par vous-même et à leur insu des emails reçus et adressés par les salariés de la société.
Enfin, il nous a été rapporté que dans la semaine du 3 au 7 décembre dernier, vous avez procédé à de très nombreuses photocopies de dossiers et à l'enlèvement de plusieurs cartons de dossiers que vous chargiez dans votre véhicule.
À cette date, aucune convocation à entretien préalable ne vous avait encore été signifiée qui aurait pu vous inciter à effectuer ce déménagement, sauf la pleine conscience du caractère frauduleux de vos agissements et de la nécessité de dissimuler des éléments de preuve des faits qui pouvaient vous être reprochés.
Il résulte de ce qui précède un important préjudice pour la Société :
' absence de développement des activités de la Société
' absence de suivi des clients qui exprimaient pourtant leur mécontentement,
' désorganisation de la société,
' chiffre d'affaires en baisse,
' salariés très éprouvés et très démotivés par la situation que vous avez créée,
' trop forte rotation des effectifs.
De tels faits, outre qu'ils sont de nature à engager la responsabilité de la société et de ses dirigeants, traduisent votre désengagement des activités de Capital Vision et une volonté manifeste de votre part pendant le temps où vous êtes payée par Capital Vision, et avec les moyens humains et matériels de Capital Vision, de favoriser le développement des activités du groupe Archive TV. [...]
Par ces agissements d'une gravité exceptionnelle, vous avez intentionnellement nui aux intérêts de l'entreprise et de ses salariés.'
Mme [E] épouse [M] soutient que :
- la procédure de licenciement est une mesure de représailles à son encontre, ayant dénoncé à peine quinze jours avant sa convocation à entretien préalable des irrégularités comptables (refacturations à la charge de la société Capital Vision des rémunérations d'[T] [J] pour une époque où il n'était ni mandataire social, ni salarié), et exercé son droit d'expression en sa qualité de lanceur d'alerte,
- que M. [J] n'avait pas qualité pour la licencier,
- que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits,
- que le licenciement avait été décidé dès avant l'entretien préalable et notifié à l'ensemble du personnel,
- que le délai pris pour la licencier exclut toute faute lourde ou grave,
- que les griefs ne sont pas constitués,
raisons pour lesquelles son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France fait valoir que Mme [M] n'a dénoncé aucune illicéité commise, que M. [J] avait compétence pour signer la lettre de licenciement en sa qualité de vice-président d'[Localité 6] Mountain Entertainment Services Western Europe, que les faits fondant le licenciement ne sont pas prescrits, ayant été découverts après la dénonciation de Mme [S], le 29 octobre 2018, de faits très graves imputés à Mme [M], que la démonstration d'un licenciement décidé avant l'entretien préalable n'est pas faite par les attestations adverses produites, au plus haut point critiquables, que les faits sont constitutifs d'une faute lourde et que les demandes d'indemnisation du licenciement doivent donc être rejetées.
En ce qui concerne le statut de lanceur d'alerte, aux termes de l'article L.1132-3-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. [...]'
Les articles 6 à 8 de la loi nº2016-1691 du 9 décembre 2016 disposent :
. article 6 : ' un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.'
. article 7 : ' le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-9 ainsi rédigé : « n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »'
. article 8 : ' I. - le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.[...]
IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte.'
En vertu de l'article L.1132-3-3 alinéa 3 du code du travail, ' en cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'
Mme [M] se prévaut, au titre de l'alerte qu'elle dit avoir lancée, de trois messages, le premier (pièce n °41) en date du 15 juin 2018 relatif à une discussion avec M. [J], vice-président d'[Localité 6] Mountain Entertainment Services Western Europe sur le devenir de Capital Vision comme simple unité business d'[Localité 6] Mountain, le second ( pièce n°42) présenté comme un 'e-mail colère sur contrôle URSSAF' dans lequel la salariée reproche à Mme [L] [S], comptable, de ne pas l'avoir informée d'un tel contrôle prévu pour le mois de novembre suivant et le troisième au sujet d'un échange de courriels du 27 septembre 2018 ( pièce n°43).
Eu égard à la teneur des deux autres messages ne contenant aucune information pouvant recevoir une qualification pénale ou constituer notamment la révélation d'actes, de violations, de menace ou d'un préjudice graves pour l'intérêt général, c'est manifestement ce dernier échange d'e-mails qui pourrait prétendre à la qualification d'alerte.
Dans cet échange avec notamment M. [B], nouveau responsable comptable d'[Localité 6] Mountain France, [R] [W], contrôleur financier Europe, [F] [I], directeur financierd'[Localité 6] Mountain France et [L] [S], comptable de Capital Vision, Mme [M] indique, en réponse à la demande qui lui est faite du numéro de TVA intracommunautaire de Capital Vision pour la facturation Interco des salaires d'[T] [J],
'M. [B] [Y]
[...]A la suite de notre conversation téléphonique, nous allons comptabiliser ça dans nos livres conformément aux instructions. Veuillez s'il vous plaît retirer de vos communications toutes informations à caractère personnel concernant notre Président, à moins qu'elles ne soient impératives.
Par ailleurs, et pour anticiper les questions relatives à l'audit réglementaire, voudriez-vous contacter [R] ou un autre interlocuteur clé pour confirmer si un contrat de service intersociétés officiel est ou non requis dans notre cas.
Dans l'affirmative, veuillez indiquer si un service est disponible de votre côté pour le rédiger; à défaut, nous ferons préparer un contrat type par notre comptable', le message se terminant par des instructions notamment à la comptable de la société, puis dans un message quelques minutes plus tard:
« il semble que cette facture aurait dû être envoyée à [R] uniquement, [R] devant la répartir au sein des entités européennes. Par conséquent, Capital Vision et Capital Vision Holdings ignorent la facture et comptabiliseront les montants concernant la France selon les instructions deTosh [W].
[R],
Auriez-vous l'amabilité de donner par courriel à [O] [B] les instructions concernant ce qui suit :
' quelle entité doit recevoir cette facture, de manière à modifier l'adresse dans la facture;
' quel est le numéro de TVA de cette entité, car il s'agira apparemment d'une entité européenne'
[L],
Soyez prête à comptabiliser les montants intersociétés à venir conformément aux instructions de [R].
Merci.'
Il est établi que cet échange qui a eu lieu le 27 septembre 2018 et non, comme indiqué par la salariée, 15 jours avant son licenciement, s'inscrit dans le contexte d'un changement de statut de M. [J], ses salaires et les charges correspondantes initialement supportés par la société [Localité 6] Mountain France dont il était le président, devant être répartis au sein des entités de la division Entertainment Europe du groupe [Localité 6] Mountain , dont il était devenu le vice-président à compter du 1er janvier 2018, via les comptes de Capital Vision, à charge pour elle de les refacturer aux autres filiales.
Si Mme [M] pose des questions sur le formalisme et la répartition desdites refacturations, elle n'apporte aucun élément permettant de présumer qu'elle dénonce de bonne foi des faits qu'elle juge illicites ou constitutifs d'une qualification pénale ou d'une menace grave à l'intérêt général, d'autant qu'après obtention des renseignements sollicités, elle donne dans ces messages des instructions pour l'exécution desdites opérations en comptabilité.
Elle ne saurait donc se prévaloir du statut de lanceur d'alerte, ni d'un licenciement
( intervenu trois mois plus tard) en représailles à la prétendue alerte, ni en violation de la protection correspondante.
Relativement à la qualité du signataire de la lettre de licenciement, il est constant que celle-ci doit être signée et émaner de la personne ayant qualité pour prononcer le licenciement ou par une personne mandatée pour ce faire.
L'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Il incombe à celui qui conteste l'authenticité de la signature ou la capacité du signataire de démontrer l'irrégularité alléguée.
Si M. [J], à la date de la signature de la lettre de licenciement, n'était ni salarié ni mandataire social de Capital Vision, il est démontré par divers documents versés aux débats qu'il était, depuis le 1er janvier 2018, salarié de la société [Localité 6] Mountain Participations et vice-président d'[Localité 6] Mountain Entertainment Services Western Europe (vice-président de la division Entertainment pour l'Europe de l'Ouest), qu' à ce titre, il avait la responsabilité des filiales du groupe situé en Europe de l'Ouest -dont celles de la France- et par conséquent celle de Capital Vision.
Au surplus, dans la mesure où le pouvoir de licencier délégué par l'employeur à son représentant n'exige pas de délégation de pouvoir écrite et où le groupe mandant a expressément ratifié cette rupture du lien contractuel, le moyen soulevé par l'appelante doit être rejeté.
Au titre de la prescription des faits fautifs, l'article L.1332-4 du code du travail dispose que
'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'
Ce délai débute le jour où l'agissement fautif est personnalisé, c'est-à-dire quand l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Il n'est pas contesté, en l'espèce, que la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France avait connaissance, dès l'audit d'acquisition, des relations commerciales croisées entre le groupe Archive TV et Capital Vision; toutefois, il est démontré qu'en l'absence de justificatif de transmissions des grilles tarifaires, les éléments audités ne pouvaient permettre d'établir le profond déséquilibre des relations commerciales entre ces deux entités, découvert à l'occasion de la dénonciation le 29 octobre 2018 par Mme [S], comptable, de faits commis par la directrice générale au préjudice de Capital Vision.
Dans son attestation, Mme [S] indique qu' 'interrogée par la direction Europe de la section Entertainement du groupe [Localité 6] Mountain à propos de questions de loyauté au sein de Capital Vision, j'ai signalé avoir observé à plusieurs reprises les faits suivants :
1 ' Parasitisme: À chaque visite de nos locaux par des clients existants ou prospects, Mme [G] fait visiter le local et présente les membres de l'équipe ainsi que nos activités. Après quelques minutes, la présentation s'oriente systématiquement sur les prestations offertes par les sociétés du groupe de M. [M] et Mme [G], 'Archive TV'.
2 ' Absence de facturation au groupe 'Archive TV' : a - A plusieurs reprises, Monsieur [X] [M] a fait appel aux services de [U] [D], responsable de la régie technique de Capital Vision. Celui-ci s'est déplacé en leurs locaux pour réaliser des interventions. Malgré ma demande, je n'en ai pas trouvé de trace dans la facturation. b- J'ai découvert en recevant une facture de 2.6K€ que du matériel de Capital Vision dont nous devions payer la réparation était en fait utilisé par les sociétés du groupe 'Archive TV'. Or, Capital Vision n'émet aucune facture pour de la location de matériel au groupe 'Archive TV'. c- Compte tenu de la proximité des locaux de Capital Vision et du groupe 'Archive TV', leur personnel vient régulièrement déposer des cassettes en vue de réaliser des travaux. Or, celles-ci sont déposées (...) sans faire l'objet d'une prise en charge par l'administration des ventes, contrairement à toute cassette d'autre provenance qui permette ainsi le suivi des processus et la mise en facturation.
3' Favoritisme : Capital Vision a régulièrement besoin de sous-traiter des travaux. Hormis le sous-titrage, ceux-ci sont confiés aux sociétés du groupe 'Archive TV' sans mise en concurrence.'
Les différentes attestations produites par la société Capital Vision, faisant état des faits reprochés dans la lettre de licenciement à Mme [M], datent de décembre 2018, celle de Mme [S] ayant été rédigée le 11 décembre 2018, comme le témoignage de Mme [A].
Alors que les différents griefs mis au jour par ces attestations, toutes rédigées dans la foulée de faits relatés et des questions posées par le groupe, ne pouvaient être découverts à l'occasion des communications de la directrice générale et des audits, même réguliers, des comptes, le moyen tiré de la prescription des faits fautifs ne saurait prospérer, la procédure de licenciement ayant été déclenchée dans les deux mois des informations plus complètes reçues par l'employeur.
En ce qui concerne la notification du licenciement, il est constant que l'employeur qui décide de licencier doit notifier la rupture par lettre recommandée avec avis de réception, comportant l'énoncé du ou des motifs invoqués, la décision devant être prise après l'entretien préalable et notifiée plus de deux jours ouvrables après la date prévue pour l'entretien préalable auquel le salarié a été convoqué.
Au soutien d'un licenciement décidé avant même l'entretien préalable, puisqu'annoncé verbalement au personnel de l'entreprise concomitamment à sa mise à pied à titre conservatoire, l'appelante verse aux débats plusieurs attestations qui font état d'une demande de modification de ses mots de passe et accès et de ne pas prendre contact avec elle, ainsi que d'une présentation de la mesure de mise à pied conservatoire.
Si plusieurs attestations relèvent que des explications ont été données sur le « renvoi définitif » de Mme [G] ' [M], elles relatent la même 'réunion' informelle du personnel pour explication de la situation et l'imprécision des termes rapportés, qui ne sont pas repris textuellement, traduit une incompréhension de certains salariés sur les effets de la mise à pied conservatoire; ces témoignages, discordants et imprécis, ne sauraient être suffisamment probants d'une annonce du licenciement.
Quant à la désactivation des accès numériques de la salariée, ils sont la conséquence de la mise à pied conservatoire décidée et ne peuvent être mis sur le compte d'un licenciement d'ores et déjà décidé.
S'agissant du délai pris pour la notification du licenciement, l'argument est inopérant, dans la mesure où la mise à pied conservatoire a été effective dès l'obtention d'informations de la part de membres du personnel et vérifications sommaires, avant même l'enquête interne décidée pour déterminer l'ampleur des préjudices subis.
Par ailleurs, il est constant que la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.
Pour démontrer le comportement intentionnel de la salariée ayant gravement nui à ses intérêts, la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France, anciennement Capital Vision, verse aux débats notamment:
- un tableau analysant les résultats de Capital Vision, divers courriels internes ou émanant de Mme [M]
* montrant que dans le cadre de prestations entièrement sous-traitées par Archive TV à Capital Vision, les facturations par cette dernière ( sans intervention de [Localité 6] Mountain) correspondaient au prix facturé par Archive TV au client final diminué a minima de 20 %, voire de 40 %, assurant ainsi cette marge systématique aux sociétés du groupe Archive TV, ce qui ne peut être comparé aux offres promotionnelles faites conjoncturellement par Capital Vision,
* montrant également de bons résultats pour la société les années où Mme [M] était susceptible de percevoir en fonction desdits résultats et de l'atteinte de ses objectifs, soit un complément de prix d'achat de Capital Vision par le groupe Bonded ( 2008 et 2009), soit une prime de transaction de 45 000 € sous réserve d'un certain niveau d'EBITDA avant la cession ( 2018),
* montrant, en général, sans que des justifications objectives les expliquent, des résultats très en-dessous de ceux atteints lors desdits exercices, avec pourtant une masse salariale augmentée puis stabilisée à un niveau élevé,
- diverses pièces ( avis, notes techniques, factures et courriels ) relatives à la 'prestation pour la numérisation d'archives audiovisuelles, enregistrés entre 1995 et 2011 sur cassette betacam pour le Sénat à [Localité 7]', montrant que la société [Adresse 5], dirigée par M. [M], ayant formulé une offre concurremment à celle de Capital Vision, a été attributaire du marché - son offre ayant été appréciée comme économiquement plus avantageuse- mais a sous-traité son exécution dans son intégralité à Capital Vision à un prix minoré de 20 %, privant ainsi de marge la société intimée - alors que le prix horaire de la numérisation proposé par Capital Vision dans son appel d'offre était bien supérieur à celui qu'elle a facturé ensuite- et en violation des dispositions régissant les marchés publics, à défaut de toute déclaration de sous-traitance, situation ayant fait écrire à la chargée de mission de la société [Adresse 5] 'officiellement cependant Cité de Mémoire ne sous-traite pas ce marché à Capital Vision',
- différents courriels et témoignages des salariés de la société Capital Vision qui se voyaient confier des dossiers supplémentaires de sous-traitance pour la société [Adresse 5], à qui il était demandé de se présenter comme employés de Cité de Mémoire lors de réunions avec des clients et partenaires, qui effectuaient des 'missions' pour une société du groupe Archive TV, sans facturation, qui devaient, avant de déterminer un prix horaire, prendre attache avec M. [M] pour qu'il fixe ses ' devis en rapport',
- des documents montrant l'absence de facturation par Capital Vision de prestations de conservation et de sortie de matériels appartenant à la société LTC Patrimoine,
- un tableau, des analyses et courriels montrant le développement par la société LTC Patrimoine, appartenant au groupe Archive TV, d'une activité concurrente à celle de la société Capital Vision ( stockage de fonds audio-visuels),
- des attestations de salariées montrant diverses rétentions d'informations et dissimulations de la part de l'appelante ( cf la pièce n°16 du dossier de la société intimée: 'elle bloque totalement la communication avec le groupe [Localité 6] Mountain'),
- des témoignages et courriels faisant état de négligences dans le traitement des demandes et doléances, de plus en plus nombreuses, de clients de Capital Vision, éléments permettant de relever que Mme [M] se livrait à des pratiques professionnelles préjudiciables à la société Capital Vision, au profit du groupe Archive TV dans lequel elle avait des intérêts ( cf le témoignage de Mme [A], chargée d'exploitation au sein de Capital Vision, indiquant 'ce jour-là, après avoir dit à [K] qu'elle devait se rendre chez le client, en se présentant au nom de [Adresse 5], elle a téléphoné à son mari [X] [M] et lui a dit qu'ils devaient faire attention car là, il risquaient gros'').
Sont produits également différents témoignages faisant état:
- de conditions de travail inacceptables du fait de Mme [M], 'rarement un bonjour, même pas un regard, souvent aussi l'interdiction de lui parler, des reproches et des accusations, des cris, des humiliations', soulignant son manque de respect, son mépris pour l'équipe et pour les clients 'rendant difficiles les journées à Capital Vision', 'ses mensonges et son agressivité devenus insupportables' et 'l'ambiance pesante', 'tout le monde est tendu. Il y a parfois des larmes. Nous ne savons jamais, à son arrivée, à quoi nous devons nous attendre',
- d'un harcèlement moral qui se 'traduit par un suivi excessif de notre travail, par de nombreux mails où elle nous demande de justifier de tous nos actes'. Elle ' m'a ouvertement dit qu'elle regardait nos mails' , ' a souvent des accès de colère. Je l'ai déjà vu mettre un violent coup de pied dans un pot de fleurs en métal qui s'est renversé par terre. Elle tape violemment des poings sur la table. Elle a déjà cassé des objets comme une calculatrice en l'explosant par terre. Elle hurle très souvent sur nous et dénigre les collègues et les anciens employés dans leur dos'.
Ces éléments, nonobstant le classement sans suite de la plainte déposée pour des faits distincts d'abus de biens sociaux notamment, les versements de bonus décidés en méconnaissance des éléments découverts en décembre 2018 et les stipulations contractuelles contradictoires relatives à l'exercice d'activités concurrentes, sont de nature à démontrer de multiples manquements aux obligations contractuelles de la salariée, avec pour certains, une intention de nuire à l'employeur.
Le licenciement pour faute lourde était donc justifié; les demandes présentées au titre de la rupture doivent donc être rejetées, par confirmation du jugement entrepris, y compris celle tendant au versement de l'indemnité prévue par l'article 12.2 du contrat de travail ' quel que soit le motif de la rupture du contrat de travail sauf démission de la salariée et licenciement pour faute lourde'.
Sur la procédure vexatoire:
La salariée soutient qu'ayant été mise à pied à titre conservatoire et humiliée par la publication dans les états financiers au titre de l'exercice 2018 de l'information relative à son licenciement pour faute lourde et au dépôt d'une plainte à son encontre, message prévenant les tiers qu'elle serait indigne de confiance et aurait délibérément nui à l'entreprise, elle a subi un préjudice important du fait de cette procédure vexatoire et sollicite 60'000 € à titre de dommages-intérêts.
La société fait valoir que la note apposée sur le compte de résultat 2018 n'a pas été rédigée par elle mais par les commissaires aux comptes à qui il incombe de préciser, selon leur appréciation de la situation, les faits de l'exercice pouvant avoir une influence sur les comptes publiés. Elle conclut au rejet de la demande.
En l'état des éléments recueillis aux débats, il est manifeste que la mesure de mise à pied à titre conservatoire, non vexatoire de façon intrinsèque, n'a pas été entourée de circonstances humiliantes et que les mentions apposées sur les comptes de résultat 2018 par les commissaires aux comptes ne sauraient être reprochées à l'employeur lui-même.
La demande à ce titre doit donc être rejetée.
Sur le remboursement de l'intégralité des salaires perçus :
La société fait valoir que la salariée ayant poursuivi ses activités déloyales et travaillé pour le compte d'entités tierces à son détriment, tout en étant rémunérée, doit être condamnée à rembourser les salaires qu'elle a perçus et réclame à ce titre 861'998,09 euros correspondant aux salaires bruts et aux charges patronales versées pour son compte de 2016 à 2018.
La salariée conclut au rejet de la demande.
Le licenciement de Mme [M] pour faute lourde n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de la relation de travail, convenue entre les parties moyennant une rémunération qui avait été contractualisée.
La demande doit donc être rejetée.
Sur la dégradation des résultats :
La société fait valoir qu'une réparation de la baisse de ses résultats résultant des agissements de Mme [M] doit lui être octroyée et, sur la base du résultat moyen des années 2008, 2009 et 2017 ( correspondant aux exercices pendant lesquels la salariée a bénéficié de boni calculés sur les résultats), elle sollicite la somme de 1'455'324 € de dommages-intérêts.
À titre subsidiaire, elle sollicite que Mme [M] soit condamnée à indemniser la perte subie au titre de la sous-traitance du marché Sénat, au titre du préjudice qu'elle a subi à raison des pratiques tarifaires imposées à Capital Vision par les sociétés du groupe Archive TV et au titre de la perte du contrat Fondation Cousteau par sa faute et réclame respectivement la somme de 49'042,58 €, celles de 242'182,80 € et de 11 029,41 €.
Les éléments recueillis aux débats établissent que la dégradation des résultats invoquée par la société est d'origine multifactorielle et que le préjudice résultant des agissements de Mme [M] à ce titre et au titre de la perte de clients, eu égard aux objectifs fixés qu'elle a atteints et en l'état notamment des interventions concomitantes des sociétés du groupe Archive TV , doit être réparé à hauteur de 20 000 €.
Sur le préjudice moral :
La société se dit en droit de réclamer l'indemnisation de son préjudice moral, distinct des autres chefs de demandes reconventionnelles, qu'elle estime à hauteur de 200'000 €, eu égard à l'atteinte portée à sa réputation tant sur le marché que vis-à-vis de ses salariés.
Les agissements de la salariée, en qui les dirigeants du groupe [Localité 6] Mountain avaient placé leur confiance, ont été préjudiciables à l'image de l'entreprise, indépendamment de la dégradation des résultats ; il y a lieu d'accueillir la demande d'indemnisation à hauteur de 5 000 €.
Sur la procédure abusive :
Faisant état du montant astronomique des demandes équivalant à près de 10 années de salaire et à 1,5 fois les bénéfices cumulés de Capital Vision de 2008 à 2018, la société relève la mauvaise foi de son adversaire qui n'a subi aucun préjudice en poursuivant ses fonctions au sein d'Archive TV et qui a manifestement agi abusivement en justice en contestant son licenciement.
La salariée conclut au rejet de la demande.
L'exercice d'une action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas de mauvaise foi ou d'intention malicieuse.
Alors que la salariée, licenciée pour faute lourde privative d'indemnités de rupture avait le droit d'agir en justice pour obtenir réparation de préjudices qu'elle estimait avoir subis et eu égard à la condamnation de l'employeur au titre de l'obligation de sécurité, aucune mauvaise foi dans la saisine du conseil de prud'hommes et le recours exercé ensuite n'est démontrée.
La demande doit donc être rejetée.
Sur les intérêts:
Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances indemnitaires à compter de la décision qui les fixe.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
Les parties, qui succombent tour à tour, doivent être tenues aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel, chacune pour moitié.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties ni pour la procédure de première instance, par confirmation du jugement entrepris, ni pour celle d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l'obligation de sécurité, au préjudice moral de la société intimée et aux dépens, lesquelles sont infirmées,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France à payer à Mme [H] [E] épouse [M] les sommes de 5 000 euros de dommages-intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité,
CONDAMNE Mme [M] à payer à la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France les sommes de :
- 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de préjudice moral,
- 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de la dégradation des résultats,
DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter du présent arrêt,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE Mme [M] et la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France aux dépens de première instance et d'appel, chacune pour moitié.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
(n° , 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03292 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHUKJ
Décision déférée à la cour : jugement du 06 avril 2023 -conseil de prud'hommes - formation paritaire de PARIS - RG n° F 19/02713
APPELANTE
Madame [H] [E] épouse [M]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMEE
S.A.S. [Localité 6] MOUNTAIN ENTERTAINMENT SERVICES FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre
Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre
Madame Sandrine MOISAN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Eva DA SILVA GOMETZ
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente, et par Madame Hanane KHARRAT, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [H] [E] a été engagée par la société Capital Vision, fondée par M. [M], spécialisée dans l'archivage, la restauration, la numérisation et la conservation de fonds audio-visuels, sans contrat écrit, à compter du 16 septembre 1991 selon elle, à compter du 15 septembre 1992, selon l'avenant du 23 avril 2007 la promouvant rétractivement, à compter du 1er janvier 2007, directrice d'exploitation.
Dans l'intervalle, le 30 décembre 1993, Mme [E] est entrée au capital de la société, en devenant actionnaire minoritaire.
Elle a épousé M. [M] en 1994.
Les époux [M] ont créé la société Archive TV en avril 2007 et le 27 avril 2007, ils ont cédé au groupe Bonded Services la société Capital Vision, à la tête de laquelle ils sont restés.
Par lettre en date du 23 avril 2007, Mme [E] épouse [M] a été libérée de toute obligation de non-concurrence.
En octobre 2017, le groupe [Localité 6] Mountain a racheté le Groupe Bonded et plus particulièrement la société Capital Vision, dont Mme [M] était la directrice générale depuis 2013.
Par lettre remise en main propre le 14 décembre 2018, Mme [E] épouse [M] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 décembre 2018 et mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée du 27 décembre 2018, Mme [M] a été licenciée pour faute lourde, l'employeur lui reprochant d'avoir notamment abusé des moyens et du personnel de la société Capital Vision au bénéfice de sociétés du groupe Archive TV, exercé pendant son activité au sein de la société une activité concurrente et instauré au sein de Capital Vision un « régime de terreur ».
Sollicitant la nullité de son licenciement, Mme [M] a saisi le 1er avril 2019 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 6 avril 2023, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens, rejetant également la demande reconventionnelle de la société Capital Vision, devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services France.
Mme [E] épouse [M] a interjeté appel de ce jugement le 12 mai 2023.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 janvier 2024, l'appelante demande à la cour de :
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France, anciennement dénommée Capital Vision, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a jugé qu'elle avait le statut de cadre dirigeant et que les dispositions relatives à la durée du travail ne lui étaient pas applicables,
et en conséquence
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation à
169 595,60 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2017,
185 736,26 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2018,
35 533,16 euros à titre de congés payés afférents au rappel d'heures supplémentaires au titre des années 2017 et 2018, 118 326 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, 50 000 euros de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au forfait annuel en jours,
- infirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a jugé que la faute lourde était caractérisée,
et en conséquence
- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à lui verser 4 983,85 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied non rémunérée, 498,38 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel de mise à pied, 78 884 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis, 7 888,40 euros à titre de rappel de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis, 237 916,67 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement, 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail, 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire, 709 956 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, aux entiers dépens de première instance et aux intérêts au jour de la saisine avec anatocisme,
- infirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné Mme [M] au paiement des entiers dépens de première instance,
statuant à nouveau en cause d'appel
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de sa demande de juger que Mme [M] était cadre dirigeant au sens des dispositions de l'article L.3111-2 du code du travail,
et en conséquence
- juger que Mme [E] épouse [M] n'avait pas le statut de cadre dirigeante,
- juger que Mme [E] épouse [M] avait le statut de cadre autonome au forfait,
- juger la convention de forfait inopposable faute de contrôle de la charge de travail par l'employeur,
- juger que la règlementation relative à la durée du travail s'appliquait à Mme [M],
en conséquence
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [E] épouse [M] les sommes de :
- 169 595,60 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2017,
- 185 736,26 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires au titre de l'année 2018,
- 35 533,16 euros à titre de congés payés afférents au rappel d'heures supplémentaires au titre des années 2017 et 2018,
- 118 326 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- 50 000 euros de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au forfait annuel en jours,
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France, anciennement dénommée Capital Vision, de ses demandes tendant à dire que Mme [M] n'est pas fondée à solliciter la nullité de son licenciement au motif qu'il aurait pour cause la dénonciation d'agissements illicites au titre de laquelle elle aurait dû bénéficier de la protection du lanceur d'alerte, juger qu'[T] [J] avait qualité pour mener la procédure de licenciement et signer la lettre de licenciement, juger que les motifs invoqués sont constitutifs d'une faute lourde, juger que la procédure de licenciement n'a pas été conduite de manière vexatoire, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [E] épouse [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, à titre principal juger le licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse car il a pour cause la dénonciation d'agissements graves contraires à l'intérêt social sur le fondement de l'article L.1132-3-3 du code du travail, car il a été notifié par une personne ne disposant pas des pouvoirs correspondants, car il repose sur des faits prescrits sur le fondement de l'article L.1332-4 du code du travail, car il a été décidé dès avant l'entretien préalable et notifié à l'ensemble des salariés réunis aux fins de les informer de cette mesure le jour de la mise à pied conservatoire, car l'employeur transforme en griefs des faits dont il avait connaissance depuis des mois, car la faute lourde suppose l'intention de nuire qui n'est pas caractérisée, car les griefs ne sont pas caractérisés, car la preuve de la faute lourde incombe à l'employeur et si un doute subsiste, il profite au salarié en application de l'article L.1235-1 du code du travail,
- débouter la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de ses demandes tendant à juger que l'indemnité contractuelle de licenciement était connue et librement négociée, que l'indemnité contractuelle de licenciement est licite, que l'indemnité de licenciement n'a pas la nature d'une clause pénale, en tout état de cause que l'indemnité de licenciement ne revêt pas un caractère excessif, que l'indemnité contractuelle de licenciement est nulle ou à défaut s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] les sommes de:
- 4 983,85 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied non rémunérée,
- 498,38 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel de mise à pied,
- 78 884 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
- 7 888,40 euros à titre de rappel de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
- 237 916,67 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
- 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle de licenciement sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail,
- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
- 709 956 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire
- juger que ni la faute grave, ni la faute lourde ne sont caractérisées, et que le licenciement ne repose pas sur une faute lourde, ni sur une faute grave mais seulement sur une cause réelle et sérieuse,
en conséquence
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] les sommes de:
- 4 983,85 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied non rémunérée,
- 498,38 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel de mise à pied,
- 78 884 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,
- 7 888,40 euros à titre de rappel de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
- 237 916,67 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
- 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle de licenciement sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail,
- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
à titre infiniment subsidiaire
- juger que la faute lourde n'est pas caractérisée et que le licenciement ne repose pas sur une faute lourde mais seulement sur une faute grave,
en conséquence
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France anciennement dénommée Capital Vision à verser à Mme [M] les sommes de:
- 354 978 euros à titre de rappel d'indemnité contractuelle de licenciement sur le fondement de l'article 12-2 du contrat de travail,
- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
en tout état de cause
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France aux entiers dépens de première instance,
- juger que les condamnations porteront intérêts au jour de la saisine avec anatocisme,
- confirmer le jugement prononcé le 6 avril 2023 par le conseil de prud'hommes de Paris, en ce qu'il a débouté la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à verser à Mme [M] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France anciennement dénommée Capital Vision aux entiers dépens d'appel.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 janvier 2025, la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France demande à la cour de :
à titre principal
- juger que Mme [E] épouse [M] n'est pas fondée à solliciter la nullité de son licenciement au motif qu'il aurait pour cause la dénonciation d'agissements illicites au titre de laquelle elle aurait dû bénéficier de la protection du lanceur d'alerte et du droit à la liberté d'expression et l'en débouter,
- juger que M. [T] [J] avait bien qualité pour mener la procédure de licenciement de Mme [E] épouse [M] et signer la lettre de licenciement,
- juger que les motifs invoqués par la société Capital Vision à l'appui du licenciement de Mme [M] sont constitutifs d'une faute lourde,
- juger que les agissements lourdement fautifs de Mme [E] épouse [M] ont causé à la société Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France un important préjudice financier et moral,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [E] épouse [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
- juger que Mme [E] épouse [M] était cadre dirigeant au sens des dispositions de l'article L.3111-2 du code du travail,
en conséquence
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mme [E] épouse [M] de l'ensemble de ses demandes et condamné Mme [E] épouse [M] aux dépens, - faire droit à l'appel incident de la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France de ses demandes,
et statuant à nouveau
- condamner Mme [M] à verser à [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France la somme de 2 317 322,09 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice subi par la société en conséquence de ses agissements justifiant son licenciement pour faute lourde, ou à tout le moins à hauteur de 302 254 euros,
- condamner Mme [M] au paiement de la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France,
- la condamner à payer à Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France la somme de 50 000 euros au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
à titre subsidiaire
si par extraordinaire la cour devait considérer que les agissements reprochés à Mme [M] ne sont pas constitutifs d'une faute lourde,
- juger que les motifs invoqués par Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France à l'appui du licenciement sont à tout le moins constitutifs d'une faute grave,
- juger que l'indemnité contractuelle de rupture prévue à l'article 12 du contrat de travail du 23 avril 2007 est nulle, ou à défaut, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
en conséquence
- débouter Mme [M] de l'intégralité de ses demandes formulées au titre de la rupture de son contrat de travail,
si par extraordinaire la cour jugeait que Mme [E] épouse [M] n'exerçait pas des fonctions de cadre dirigeant,
- juger que Mme [E] épouse [M] n'est pas fondée en ses demandes de rappels d'heures supplémentaires,
en conséquence
- débouter Mme [E] épouse [M] de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires et congés afférents, de dommages et intérêts pour travail dissimulé, manquements à l'obligation de sécurité et violation du forfait annuel en jours,
à titre encore plus subsidiaire
si par extraordinaire la cour devait considérer que les agissements reprochés à Mme [E] épouse [M] ne sont constitutifs ni d'une faute lourde ni d'une faute grave,
- juger que les motifs invoqués par la société à l'appui du licenciement de Mme [M] sont à tout le moins constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement,
- juger que l'indemnité contractuelle de rupture prévue à l'article 12 du contrat de travail du 23 avril 2007 est nulle, ou à défaut, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
- juger que Mme [M] ne justifie d'aucun préjudice et la débouter de sa demande en paiement de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 12-2 de son contrat de travail,
- débouter Mme [E] épouse [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
- limiter l'indemnisation de Mme [E] épouse [M] au montant minimal de 3 mois de salaires prévu à l'article L.1235-3 du code du travail, soit 59 163 euros (19 721 euros x 3),
dans toutes les hypothèses ci-dessus
- condamner Mme [M] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer à Capital Vision devenue [Localité 6] Mountain Entertainment Services (IMES) France la somme de 5 000 euros au titre des frais de 1ère instance, et 5 000 euros au titre des frais d'appel,
- condamner Mme [E] épouse [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que les agissements reprochés à Mme [E] épouse [M] ne sont pas constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement
- juger que l'indemnité contractuelle de rupture prévue à l'article 12-2 du contrat de travail du 23 avril 2007 est nulle, ou à défaut, s'analyse en une clause pénale dont le montant est manifestement excessif et le réduire à néant,
- juger que la procédure de licenciement de Mme [E] épouse [M] n'a pas été conduite de manière vexatoire,
- juger que Mme [E] épouse [M] ne justifie d'aucun préjudice,
en conséquence
- débouter Mme [E] épouse [M] de sa demande en paiement de l'indemnité contractuelle prévue à l'article 12-2 de son contrat de travail,
- débouter Mme [E] épouse [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
- limiter l'indemnisation de Mme [E] épouse [M] à 3 mois de salaire 59 163 euros (19 721 euros x 3) correspondant (sic).
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 avril 2025 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 16 mai 2025.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L'ARRET:
Sur le statut de cadre dirigeant :
Mme [E] épouse [M] soutient avoir eu, en dépit du titre 'ronflant' de
'directrice générale', des prérogatives limitées, puisque les dispositifs de contrôle lui imposaient un reporting hebdomadaire et l'autorisation expresse du groupe pour toute opération susceptible d'être réalisée à des conditions prétendument défavorables pour la société. Ne disposant en outre d'aucun mandat social, d'aucune autonomie budgétaire et d'aucune signature sur les comptes bancaires, elle fait valoir qu'elle n'était pas cadre dirigeant, mais bénéficiait d'un forfait en jours, étant placée sous la responsabilité directe du président directeur général.
Elle critique cependant la clause de forfait qui lui est inopposable et réclame diverses sommes au titre des heures supplémentaires accomplies, d'un travail dissimulé, du préjudice subi du fait de la violation du forfait en jours et des manquements à l'obligation de sécurité (durée de travail, droit au repos et à des congés payés).
La société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France relève que la salariée, directrice générale de Capital Vision, n'a jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires, que le fait de ne pas pouvoir effectuer des règlements pour le compte de la société n'est pas un critère de nature à exclure la qualité de cadre dirigeant, que la salariée reconnaît être la plus haute dirigeante de la société et qu'elle exerçait de fait ses fonctions dans tous les domaines de la gestion et du fonctionnement de cette dernière.
Elle conclut au rejet de la demande de rappel d'heures supplémentaires et des congés payés y afférents, ainsi que des demandes de dommages- intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et pour violation du forfait annuel en jours.
Aux termes de l'article L .3111-2 du code du travail, 'sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement'.
Ces critères cumulatifs, qui impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise, doivent être analysés au regard des fonctions réellement occupées par le salarié.
Il résulte en l'espèce des pièces produites qu'après avoir été nommée 'directrice d'exploitation', 'statut cadre dirigeant' par avenant du 23 avril 2007, Mme [M] a été promue 'directrice générale' en 2013 par le groupe Bonded Services qui venait de racheter la société Capital Vision, que par courriel du 17 septembre 2013, l'intéressée a listé ses interventions, principalement de supervision, d'organisation, de gestion, d'animation et de suivi, dans les domaines de la gestion de l'activité, des locaux, de la communication, du personnel, des ventes, des finances de la société, assistant au comité stratégique, que cette liste a été décrite comme non exhaustive par [N] [V], président de la société, lui-même basé en Grande-Bretagne et chargé de superviser les marchés en Europe et en Asie du groupe Bonded Services, ajoutant que le poste de Mme [M] inclut 'tous les domaines de la gestion et du fonctionnement de la société'.
Il est démontré, au vu des pièces produites, que Mme [M] recrutait les nouveaux salariés, signait les contrats de travail, procédait à l'évaluation du personnel, fixait les objectifs, signait les contrats commerciaux les plus importants, même après l'arrivée d'[T] [J], répondait aux appels d'offres, représentait la société et la dirigeait, comme le montrent d'ailleurs ses propres conclusions soulignant ses efforts et sa réussite à la 'direction' de l'entreprise ainsi que ses questions posées au groupe sur la régularité d'opérations comptables.
Si elle affirme ne pas avoir bénéficié d'une signature bancaire, le message dont elle se prévaut en date du 3 octobre 2018 de M. [R] [W], contrôleur financier Europe de [Localité 6] Mountain, tend à montrer que les identifiants bancaires devaient lui être transmis.
En outre, il est justifié notamment d'un document du président de la société lui donnant pouvoir largement ' pour agir en tant que représentante légale de Capital Vision SAS, vis-à-vis de la société Certinomis' et de références aux contrôles faits sur la société au niveau du groupe notamment par les services 'légal' et 'audit'; ces éléments ne sont pas antinomiques avec le statut de cadre dirigeant, qui d'une part, peut concerner des fonctions de directrice générale, intrinsèquement distinctes de celles de président, mais susceptibles de lui attribuer une large autonomie dans les décisions à prendre, comme en l'espèce, au moyen des délégations ou procurations citées, et d'autre part, n'est pas exclusif d'une soumission aux dispositifs de contrôles et d'alertes mis en place.
Il n'est pas valablement contesté en outre que Mme [M] n'était astreinte à aucun horaire de travail et bénéficiait de la plus large autonomie dans l'organisation de son emploi du temps, que son salaire de base fixé à 12'000 €, s'élevait - compte tenu de ses autres éléments de rémunération - en moyenne à 19'721 € en 2018, constituant le plus haut salaire de l'entreprise, très significativement supérieur à ceux de l'ensemble des autres salariés.
Si Mme [M] se prévaut de la convention de forfait-jours stipulée à l'avenant du 23 avril 2007, incompatible, selon elle, avec un statut de cadre dirigeant, force est de constater que cette clause, consécutive à l'article 1er du même document contractuel qui précise son statut de cadre dirigeant, s'avère surtout antérieure à sa nomination comme 'directrice générale' de la société après son rachat, statut lui conférant les pleins pouvoirs de direction de l'entreprise, en l'absence d'un représentant du groupe Bonded Services, puis d'[Localité 6] Mountain sur place en permanence.
Par conséquent, au-delà du contrat du 23 avril 2007 qui stipule expressément son statut de cadre dirigeant en son article 1er, du courriel du 17 septembre 2013 par lequel l'intéressée a fixé elle-même ses prérogatives et le périmètre de ses fonctions et du courriel de réponse du 20 septembre suivant de M. [V], divers éléments du débat quant à la réalité des fonctions exercées caractérisent la grande indépendance de la salariée dans l'organisation de son emploi du temps, la direction de l'entreprise par elle grâce à son pouvoir décisionnaire largement autonome, nonobstant la délégation ensuite de l'exécution des décisions prises, ainsi qu'une rémunération, la plus élevée de l'entreprise, critères du statut de cadre dirigeant.
Ce statut exclut donc l'applicabilité des dispositions légales relatives à la durée du travail et les demandes d'heures supplémentaires, de congés payés y afférents, d'indemnité pour travail dissimulé sanctionnant un nombre d'heures de travail mentionné sur les bulletins de salaire inférieur à celui réellement accompli et de dommages-intérêts pour dépassement des durées maximales de travail ou manquements au titre des repos.
Toutefois, la qualité de cadre dirigeant n'exonère pas l'entreprise de son obligation de sécurité vis-à-vis de l'intéressée.
Il incombe en effet à l'employeur de faire en sorte que les conditions de travail de ses cadres dirigeants ne portent pas atteinte à leur santé, conformément aux dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, qui lui imposent de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et prévenir tout risque en ce domaine.
Alors que la salariée n'est pas valablement démentie quand elle affirme ne pas avoir pu prendre certains jours de congés et que quelques messages électroniques révèlent des manquements à son droit à la déconnexion, la société ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention notamment prévues par ces textes.
En l'état des éléments de préjudice recueillis, il convient d'accueillir la demande d'indemnisation à hauteur de 5 000 €.
Sur la rupture du contrat de travail :
La lettre de licenciement, notifiée par courrier du 27 décembre 2018 à Mme [E] épouse [M] contient les motifs suivants :
[...] 'Or, des éléments dont nous avons eu récemment connaissance, il est apparu que vous étiez également fortement impliquée dans le développement de plusieurs sociétés du groupe Archive TV au plus grand préjudice des intérêts de Capital Vision.
Le groupe Archive TV est dirigé par votre époux, Monsieur [X] [M], et vous en êtes avec lui les principaux actionnaires.
Alertés par plusieurs salariés de faits graves vous concernant, nous avons procédé à des investigations et avons découvert que pour privilégier vos intérêts et ceux de votre époux au sein du groupe Archive TV, vous avez fait preuve d'une totale déloyauté dans le cadre de l'exécution de vos fonctions au sein de Capital Vision, dont les conséquences sont gravement préjudiciables aux intérêts de la société.
1. Vous avez gravement abusé des moyens et du personnel de Capital Vision au bénéfice de sociétés du groupe Archive TV
Lors de nos investigations, nous avons découvert que vous avez profité de votre statut de Directrice Générale de Capital Vision pour imposer à des salariés de Capital Vision placés sous votre autorité de travailler pour le compte d'autres sociétés du groupe Archive TV, voire à se présenter vis-à-vis des clients de sociétés du groupe Archive TV et à échanger avec ces clients comme s'ils étaient salariés du groupe Archive TV, accréditant cette fausse qualité par la création d'adresses e-mails professionnelles au nom de sociétés du groupe Archive TV.
Nos investigations ont aussi révélé que vous avez ordonné que des travaux soient réalisés par des salariés de Capital Vision avec du matériel appartenant à Capital Vision pour le compte de sociétés du groupe Archive TV sans jamais que ces travaux soient facturés, ou alors des conditions décidées par Archive TV. (sic)
Nous avons également été informés que lors d'entretiens dans les locaux de Capital Vision avec des clients ou prospects de Capital Vision, vous vous attachiez essentiellement à valoriser les prestations proposées par les entreprises du groupe Archive TV.
2. Vous avez participé activement au développement au sein de la société LTC Patrimoine (appartenant au groupe Archive TV) d'une activité concurrente à celle de Capital Vision
[...] Vous avez d'ailleurs confirmé lors de l'entretien préalable que LTC Patrimoine exerçait bien désormais une activité concurrente à celle de Capital Vision.
Et nous constatons aujourd'hui que la création de cette activité concurrente a eu un impact direct sur le chiffre d'affaires de Capital Vision.
3. Vous avez instauré au sein de Capital Vision un « régime de terreur », vraisemblablement pour maintenir l'omerta sur votre contribution et celle (forcée) de certains salariés de Capital Vision aux activités du groupe Archive TV et sur la désorganisation qui en résulte pour Capital Vision
De nombreux salariés se sont plaints de la violence de vos propos et de vos gestes et du traitement humiliant que vous infligiez à certains, coups de poings sur les bureaux, coups de pieds dans les portes, hurlements, insultes, « mise au placard » de certains auxquels vous pouviez ne pas adresser la parole pendant plusieurs jours.
À cela s'ajoutaient des instructions contradictoires, les interdictions faites aux salariés de répondre aux clients qui exprimaient leur mécontentement, des engagements de votre part de le faire et vous ne le faisiez pas, et la surveillance par vous-même et à leur insu des emails reçus et adressés par les salariés de la société.
Enfin, il nous a été rapporté que dans la semaine du 3 au 7 décembre dernier, vous avez procédé à de très nombreuses photocopies de dossiers et à l'enlèvement de plusieurs cartons de dossiers que vous chargiez dans votre véhicule.
À cette date, aucune convocation à entretien préalable ne vous avait encore été signifiée qui aurait pu vous inciter à effectuer ce déménagement, sauf la pleine conscience du caractère frauduleux de vos agissements et de la nécessité de dissimuler des éléments de preuve des faits qui pouvaient vous être reprochés.
Il résulte de ce qui précède un important préjudice pour la Société :
' absence de développement des activités de la Société
' absence de suivi des clients qui exprimaient pourtant leur mécontentement,
' désorganisation de la société,
' chiffre d'affaires en baisse,
' salariés très éprouvés et très démotivés par la situation que vous avez créée,
' trop forte rotation des effectifs.
De tels faits, outre qu'ils sont de nature à engager la responsabilité de la société et de ses dirigeants, traduisent votre désengagement des activités de Capital Vision et une volonté manifeste de votre part pendant le temps où vous êtes payée par Capital Vision, et avec les moyens humains et matériels de Capital Vision, de favoriser le développement des activités du groupe Archive TV. [...]
Par ces agissements d'une gravité exceptionnelle, vous avez intentionnellement nui aux intérêts de l'entreprise et de ses salariés.'
Mme [E] épouse [M] soutient que :
- la procédure de licenciement est une mesure de représailles à son encontre, ayant dénoncé à peine quinze jours avant sa convocation à entretien préalable des irrégularités comptables (refacturations à la charge de la société Capital Vision des rémunérations d'[T] [J] pour une époque où il n'était ni mandataire social, ni salarié), et exercé son droit d'expression en sa qualité de lanceur d'alerte,
- que M. [J] n'avait pas qualité pour la licencier,
- que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits,
- que le licenciement avait été décidé dès avant l'entretien préalable et notifié à l'ensemble du personnel,
- que le délai pris pour la licencier exclut toute faute lourde ou grave,
- que les griefs ne sont pas constitués,
raisons pour lesquelles son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France fait valoir que Mme [M] n'a dénoncé aucune illicéité commise, que M. [J] avait compétence pour signer la lettre de licenciement en sa qualité de vice-président d'[Localité 6] Mountain Entertainment Services Western Europe, que les faits fondant le licenciement ne sont pas prescrits, ayant été découverts après la dénonciation de Mme [S], le 29 octobre 2018, de faits très graves imputés à Mme [M], que la démonstration d'un licenciement décidé avant l'entretien préalable n'est pas faite par les attestations adverses produites, au plus haut point critiquables, que les faits sont constitutifs d'une faute lourde et que les demandes d'indemnisation du licenciement doivent donc être rejetées.
En ce qui concerne le statut de lanceur d'alerte, aux termes de l'article L.1132-3-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. [...]'
Les articles 6 à 8 de la loi nº2016-1691 du 9 décembre 2016 disposent :
. article 6 : ' un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.'
. article 7 : ' le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-9 ainsi rédigé : « n'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »'
. article 8 : ' I. - le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.[...]
IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte.'
En vertu de l'article L.1132-3-3 alinéa 3 du code du travail, ' en cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi nº 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'
Mme [M] se prévaut, au titre de l'alerte qu'elle dit avoir lancée, de trois messages, le premier (pièce n °41) en date du 15 juin 2018 relatif à une discussion avec M. [J], vice-président d'[Localité 6] Mountain Entertainment Services Western Europe sur le devenir de Capital Vision comme simple unité business d'[Localité 6] Mountain, le second ( pièce n°42) présenté comme un 'e-mail colère sur contrôle URSSAF' dans lequel la salariée reproche à Mme [L] [S], comptable, de ne pas l'avoir informée d'un tel contrôle prévu pour le mois de novembre suivant et le troisième au sujet d'un échange de courriels du 27 septembre 2018 ( pièce n°43).
Eu égard à la teneur des deux autres messages ne contenant aucune information pouvant recevoir une qualification pénale ou constituer notamment la révélation d'actes, de violations, de menace ou d'un préjudice graves pour l'intérêt général, c'est manifestement ce dernier échange d'e-mails qui pourrait prétendre à la qualification d'alerte.
Dans cet échange avec notamment M. [B], nouveau responsable comptable d'[Localité 6] Mountain France, [R] [W], contrôleur financier Europe, [F] [I], directeur financierd'[Localité 6] Mountain France et [L] [S], comptable de Capital Vision, Mme [M] indique, en réponse à la demande qui lui est faite du numéro de TVA intracommunautaire de Capital Vision pour la facturation Interco des salaires d'[T] [J],
'M. [B] [Y]
[...]A la suite de notre conversation téléphonique, nous allons comptabiliser ça dans nos livres conformément aux instructions. Veuillez s'il vous plaît retirer de vos communications toutes informations à caractère personnel concernant notre Président, à moins qu'elles ne soient impératives.
Par ailleurs, et pour anticiper les questions relatives à l'audit réglementaire, voudriez-vous contacter [R] ou un autre interlocuteur clé pour confirmer si un contrat de service intersociétés officiel est ou non requis dans notre cas.
Dans l'affirmative, veuillez indiquer si un service est disponible de votre côté pour le rédiger; à défaut, nous ferons préparer un contrat type par notre comptable', le message se terminant par des instructions notamment à la comptable de la société, puis dans un message quelques minutes plus tard:
« il semble que cette facture aurait dû être envoyée à [R] uniquement, [R] devant la répartir au sein des entités européennes. Par conséquent, Capital Vision et Capital Vision Holdings ignorent la facture et comptabiliseront les montants concernant la France selon les instructions deTosh [W].
[R],
Auriez-vous l'amabilité de donner par courriel à [O] [B] les instructions concernant ce qui suit :
' quelle entité doit recevoir cette facture, de manière à modifier l'adresse dans la facture;
' quel est le numéro de TVA de cette entité, car il s'agira apparemment d'une entité européenne'
[L],
Soyez prête à comptabiliser les montants intersociétés à venir conformément aux instructions de [R].
Merci.'
Il est établi que cet échange qui a eu lieu le 27 septembre 2018 et non, comme indiqué par la salariée, 15 jours avant son licenciement, s'inscrit dans le contexte d'un changement de statut de M. [J], ses salaires et les charges correspondantes initialement supportés par la société [Localité 6] Mountain France dont il était le président, devant être répartis au sein des entités de la division Entertainment Europe du groupe [Localité 6] Mountain , dont il était devenu le vice-président à compter du 1er janvier 2018, via les comptes de Capital Vision, à charge pour elle de les refacturer aux autres filiales.
Si Mme [M] pose des questions sur le formalisme et la répartition desdites refacturations, elle n'apporte aucun élément permettant de présumer qu'elle dénonce de bonne foi des faits qu'elle juge illicites ou constitutifs d'une qualification pénale ou d'une menace grave à l'intérêt général, d'autant qu'après obtention des renseignements sollicités, elle donne dans ces messages des instructions pour l'exécution desdites opérations en comptabilité.
Elle ne saurait donc se prévaloir du statut de lanceur d'alerte, ni d'un licenciement
( intervenu trois mois plus tard) en représailles à la prétendue alerte, ni en violation de la protection correspondante.
Relativement à la qualité du signataire de la lettre de licenciement, il est constant que celle-ci doit être signée et émaner de la personne ayant qualité pour prononcer le licenciement ou par une personne mandatée pour ce faire.
L'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Il incombe à celui qui conteste l'authenticité de la signature ou la capacité du signataire de démontrer l'irrégularité alléguée.
Si M. [J], à la date de la signature de la lettre de licenciement, n'était ni salarié ni mandataire social de Capital Vision, il est démontré par divers documents versés aux débats qu'il était, depuis le 1er janvier 2018, salarié de la société [Localité 6] Mountain Participations et vice-président d'[Localité 6] Mountain Entertainment Services Western Europe (vice-président de la division Entertainment pour l'Europe de l'Ouest), qu' à ce titre, il avait la responsabilité des filiales du groupe situé en Europe de l'Ouest -dont celles de la France- et par conséquent celle de Capital Vision.
Au surplus, dans la mesure où le pouvoir de licencier délégué par l'employeur à son représentant n'exige pas de délégation de pouvoir écrite et où le groupe mandant a expressément ratifié cette rupture du lien contractuel, le moyen soulevé par l'appelante doit être rejeté.
Au titre de la prescription des faits fautifs, l'article L.1332-4 du code du travail dispose que
'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'
Ce délai débute le jour où l'agissement fautif est personnalisé, c'est-à-dire quand l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Il n'est pas contesté, en l'espèce, que la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France avait connaissance, dès l'audit d'acquisition, des relations commerciales croisées entre le groupe Archive TV et Capital Vision; toutefois, il est démontré qu'en l'absence de justificatif de transmissions des grilles tarifaires, les éléments audités ne pouvaient permettre d'établir le profond déséquilibre des relations commerciales entre ces deux entités, découvert à l'occasion de la dénonciation le 29 octobre 2018 par Mme [S], comptable, de faits commis par la directrice générale au préjudice de Capital Vision.
Dans son attestation, Mme [S] indique qu' 'interrogée par la direction Europe de la section Entertainement du groupe [Localité 6] Mountain à propos de questions de loyauté au sein de Capital Vision, j'ai signalé avoir observé à plusieurs reprises les faits suivants :
1 ' Parasitisme: À chaque visite de nos locaux par des clients existants ou prospects, Mme [G] fait visiter le local et présente les membres de l'équipe ainsi que nos activités. Après quelques minutes, la présentation s'oriente systématiquement sur les prestations offertes par les sociétés du groupe de M. [M] et Mme [G], 'Archive TV'.
2 ' Absence de facturation au groupe 'Archive TV' : a - A plusieurs reprises, Monsieur [X] [M] a fait appel aux services de [U] [D], responsable de la régie technique de Capital Vision. Celui-ci s'est déplacé en leurs locaux pour réaliser des interventions. Malgré ma demande, je n'en ai pas trouvé de trace dans la facturation. b- J'ai découvert en recevant une facture de 2.6K€ que du matériel de Capital Vision dont nous devions payer la réparation était en fait utilisé par les sociétés du groupe 'Archive TV'. Or, Capital Vision n'émet aucune facture pour de la location de matériel au groupe 'Archive TV'. c- Compte tenu de la proximité des locaux de Capital Vision et du groupe 'Archive TV', leur personnel vient régulièrement déposer des cassettes en vue de réaliser des travaux. Or, celles-ci sont déposées (...) sans faire l'objet d'une prise en charge par l'administration des ventes, contrairement à toute cassette d'autre provenance qui permette ainsi le suivi des processus et la mise en facturation.
3' Favoritisme : Capital Vision a régulièrement besoin de sous-traiter des travaux. Hormis le sous-titrage, ceux-ci sont confiés aux sociétés du groupe 'Archive TV' sans mise en concurrence.'
Les différentes attestations produites par la société Capital Vision, faisant état des faits reprochés dans la lettre de licenciement à Mme [M], datent de décembre 2018, celle de Mme [S] ayant été rédigée le 11 décembre 2018, comme le témoignage de Mme [A].
Alors que les différents griefs mis au jour par ces attestations, toutes rédigées dans la foulée de faits relatés et des questions posées par le groupe, ne pouvaient être découverts à l'occasion des communications de la directrice générale et des audits, même réguliers, des comptes, le moyen tiré de la prescription des faits fautifs ne saurait prospérer, la procédure de licenciement ayant été déclenchée dans les deux mois des informations plus complètes reçues par l'employeur.
En ce qui concerne la notification du licenciement, il est constant que l'employeur qui décide de licencier doit notifier la rupture par lettre recommandée avec avis de réception, comportant l'énoncé du ou des motifs invoqués, la décision devant être prise après l'entretien préalable et notifiée plus de deux jours ouvrables après la date prévue pour l'entretien préalable auquel le salarié a été convoqué.
Au soutien d'un licenciement décidé avant même l'entretien préalable, puisqu'annoncé verbalement au personnel de l'entreprise concomitamment à sa mise à pied à titre conservatoire, l'appelante verse aux débats plusieurs attestations qui font état d'une demande de modification de ses mots de passe et accès et de ne pas prendre contact avec elle, ainsi que d'une présentation de la mesure de mise à pied conservatoire.
Si plusieurs attestations relèvent que des explications ont été données sur le « renvoi définitif » de Mme [G] ' [M], elles relatent la même 'réunion' informelle du personnel pour explication de la situation et l'imprécision des termes rapportés, qui ne sont pas repris textuellement, traduit une incompréhension de certains salariés sur les effets de la mise à pied conservatoire; ces témoignages, discordants et imprécis, ne sauraient être suffisamment probants d'une annonce du licenciement.
Quant à la désactivation des accès numériques de la salariée, ils sont la conséquence de la mise à pied conservatoire décidée et ne peuvent être mis sur le compte d'un licenciement d'ores et déjà décidé.
S'agissant du délai pris pour la notification du licenciement, l'argument est inopérant, dans la mesure où la mise à pied conservatoire a été effective dès l'obtention d'informations de la part de membres du personnel et vérifications sommaires, avant même l'enquête interne décidée pour déterminer l'ampleur des préjudices subis.
Par ailleurs, il est constant que la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.
Pour démontrer le comportement intentionnel de la salariée ayant gravement nui à ses intérêts, la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France, anciennement Capital Vision, verse aux débats notamment:
- un tableau analysant les résultats de Capital Vision, divers courriels internes ou émanant de Mme [M]
* montrant que dans le cadre de prestations entièrement sous-traitées par Archive TV à Capital Vision, les facturations par cette dernière ( sans intervention de [Localité 6] Mountain) correspondaient au prix facturé par Archive TV au client final diminué a minima de 20 %, voire de 40 %, assurant ainsi cette marge systématique aux sociétés du groupe Archive TV, ce qui ne peut être comparé aux offres promotionnelles faites conjoncturellement par Capital Vision,
* montrant également de bons résultats pour la société les années où Mme [M] était susceptible de percevoir en fonction desdits résultats et de l'atteinte de ses objectifs, soit un complément de prix d'achat de Capital Vision par le groupe Bonded ( 2008 et 2009), soit une prime de transaction de 45 000 € sous réserve d'un certain niveau d'EBITDA avant la cession ( 2018),
* montrant, en général, sans que des justifications objectives les expliquent, des résultats très en-dessous de ceux atteints lors desdits exercices, avec pourtant une masse salariale augmentée puis stabilisée à un niveau élevé,
- diverses pièces ( avis, notes techniques, factures et courriels ) relatives à la 'prestation pour la numérisation d'archives audiovisuelles, enregistrés entre 1995 et 2011 sur cassette betacam pour le Sénat à [Localité 7]', montrant que la société [Adresse 5], dirigée par M. [M], ayant formulé une offre concurremment à celle de Capital Vision, a été attributaire du marché - son offre ayant été appréciée comme économiquement plus avantageuse- mais a sous-traité son exécution dans son intégralité à Capital Vision à un prix minoré de 20 %, privant ainsi de marge la société intimée - alors que le prix horaire de la numérisation proposé par Capital Vision dans son appel d'offre était bien supérieur à celui qu'elle a facturé ensuite- et en violation des dispositions régissant les marchés publics, à défaut de toute déclaration de sous-traitance, situation ayant fait écrire à la chargée de mission de la société [Adresse 5] 'officiellement cependant Cité de Mémoire ne sous-traite pas ce marché à Capital Vision',
- différents courriels et témoignages des salariés de la société Capital Vision qui se voyaient confier des dossiers supplémentaires de sous-traitance pour la société [Adresse 5], à qui il était demandé de se présenter comme employés de Cité de Mémoire lors de réunions avec des clients et partenaires, qui effectuaient des 'missions' pour une société du groupe Archive TV, sans facturation, qui devaient, avant de déterminer un prix horaire, prendre attache avec M. [M] pour qu'il fixe ses ' devis en rapport',
- des documents montrant l'absence de facturation par Capital Vision de prestations de conservation et de sortie de matériels appartenant à la société LTC Patrimoine,
- un tableau, des analyses et courriels montrant le développement par la société LTC Patrimoine, appartenant au groupe Archive TV, d'une activité concurrente à celle de la société Capital Vision ( stockage de fonds audio-visuels),
- des attestations de salariées montrant diverses rétentions d'informations et dissimulations de la part de l'appelante ( cf la pièce n°16 du dossier de la société intimée: 'elle bloque totalement la communication avec le groupe [Localité 6] Mountain'),
- des témoignages et courriels faisant état de négligences dans le traitement des demandes et doléances, de plus en plus nombreuses, de clients de Capital Vision, éléments permettant de relever que Mme [M] se livrait à des pratiques professionnelles préjudiciables à la société Capital Vision, au profit du groupe Archive TV dans lequel elle avait des intérêts ( cf le témoignage de Mme [A], chargée d'exploitation au sein de Capital Vision, indiquant 'ce jour-là, après avoir dit à [K] qu'elle devait se rendre chez le client, en se présentant au nom de [Adresse 5], elle a téléphoné à son mari [X] [M] et lui a dit qu'ils devaient faire attention car là, il risquaient gros'').
Sont produits également différents témoignages faisant état:
- de conditions de travail inacceptables du fait de Mme [M], 'rarement un bonjour, même pas un regard, souvent aussi l'interdiction de lui parler, des reproches et des accusations, des cris, des humiliations', soulignant son manque de respect, son mépris pour l'équipe et pour les clients 'rendant difficiles les journées à Capital Vision', 'ses mensonges et son agressivité devenus insupportables' et 'l'ambiance pesante', 'tout le monde est tendu. Il y a parfois des larmes. Nous ne savons jamais, à son arrivée, à quoi nous devons nous attendre',
- d'un harcèlement moral qui se 'traduit par un suivi excessif de notre travail, par de nombreux mails où elle nous demande de justifier de tous nos actes'. Elle ' m'a ouvertement dit qu'elle regardait nos mails' , ' a souvent des accès de colère. Je l'ai déjà vu mettre un violent coup de pied dans un pot de fleurs en métal qui s'est renversé par terre. Elle tape violemment des poings sur la table. Elle a déjà cassé des objets comme une calculatrice en l'explosant par terre. Elle hurle très souvent sur nous et dénigre les collègues et les anciens employés dans leur dos'.
Ces éléments, nonobstant le classement sans suite de la plainte déposée pour des faits distincts d'abus de biens sociaux notamment, les versements de bonus décidés en méconnaissance des éléments découverts en décembre 2018 et les stipulations contractuelles contradictoires relatives à l'exercice d'activités concurrentes, sont de nature à démontrer de multiples manquements aux obligations contractuelles de la salariée, avec pour certains, une intention de nuire à l'employeur.
Le licenciement pour faute lourde était donc justifié; les demandes présentées au titre de la rupture doivent donc être rejetées, par confirmation du jugement entrepris, y compris celle tendant au versement de l'indemnité prévue par l'article 12.2 du contrat de travail ' quel que soit le motif de la rupture du contrat de travail sauf démission de la salariée et licenciement pour faute lourde'.
Sur la procédure vexatoire:
La salariée soutient qu'ayant été mise à pied à titre conservatoire et humiliée par la publication dans les états financiers au titre de l'exercice 2018 de l'information relative à son licenciement pour faute lourde et au dépôt d'une plainte à son encontre, message prévenant les tiers qu'elle serait indigne de confiance et aurait délibérément nui à l'entreprise, elle a subi un préjudice important du fait de cette procédure vexatoire et sollicite 60'000 € à titre de dommages-intérêts.
La société fait valoir que la note apposée sur le compte de résultat 2018 n'a pas été rédigée par elle mais par les commissaires aux comptes à qui il incombe de préciser, selon leur appréciation de la situation, les faits de l'exercice pouvant avoir une influence sur les comptes publiés. Elle conclut au rejet de la demande.
En l'état des éléments recueillis aux débats, il est manifeste que la mesure de mise à pied à titre conservatoire, non vexatoire de façon intrinsèque, n'a pas été entourée de circonstances humiliantes et que les mentions apposées sur les comptes de résultat 2018 par les commissaires aux comptes ne sauraient être reprochées à l'employeur lui-même.
La demande à ce titre doit donc être rejetée.
Sur le remboursement de l'intégralité des salaires perçus :
La société fait valoir que la salariée ayant poursuivi ses activités déloyales et travaillé pour le compte d'entités tierces à son détriment, tout en étant rémunérée, doit être condamnée à rembourser les salaires qu'elle a perçus et réclame à ce titre 861'998,09 euros correspondant aux salaires bruts et aux charges patronales versées pour son compte de 2016 à 2018.
La salariée conclut au rejet de la demande.
Le licenciement de Mme [M] pour faute lourde n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de la relation de travail, convenue entre les parties moyennant une rémunération qui avait été contractualisée.
La demande doit donc être rejetée.
Sur la dégradation des résultats :
La société fait valoir qu'une réparation de la baisse de ses résultats résultant des agissements de Mme [M] doit lui être octroyée et, sur la base du résultat moyen des années 2008, 2009 et 2017 ( correspondant aux exercices pendant lesquels la salariée a bénéficié de boni calculés sur les résultats), elle sollicite la somme de 1'455'324 € de dommages-intérêts.
À titre subsidiaire, elle sollicite que Mme [M] soit condamnée à indemniser la perte subie au titre de la sous-traitance du marché Sénat, au titre du préjudice qu'elle a subi à raison des pratiques tarifaires imposées à Capital Vision par les sociétés du groupe Archive TV et au titre de la perte du contrat Fondation Cousteau par sa faute et réclame respectivement la somme de 49'042,58 €, celles de 242'182,80 € et de 11 029,41 €.
Les éléments recueillis aux débats établissent que la dégradation des résultats invoquée par la société est d'origine multifactorielle et que le préjudice résultant des agissements de Mme [M] à ce titre et au titre de la perte de clients, eu égard aux objectifs fixés qu'elle a atteints et en l'état notamment des interventions concomitantes des sociétés du groupe Archive TV , doit être réparé à hauteur de 20 000 €.
Sur le préjudice moral :
La société se dit en droit de réclamer l'indemnisation de son préjudice moral, distinct des autres chefs de demandes reconventionnelles, qu'elle estime à hauteur de 200'000 €, eu égard à l'atteinte portée à sa réputation tant sur le marché que vis-à-vis de ses salariés.
Les agissements de la salariée, en qui les dirigeants du groupe [Localité 6] Mountain avaient placé leur confiance, ont été préjudiciables à l'image de l'entreprise, indépendamment de la dégradation des résultats ; il y a lieu d'accueillir la demande d'indemnisation à hauteur de 5 000 €.
Sur la procédure abusive :
Faisant état du montant astronomique des demandes équivalant à près de 10 années de salaire et à 1,5 fois les bénéfices cumulés de Capital Vision de 2008 à 2018, la société relève la mauvaise foi de son adversaire qui n'a subi aucun préjudice en poursuivant ses fonctions au sein d'Archive TV et qui a manifestement agi abusivement en justice en contestant son licenciement.
La salariée conclut au rejet de la demande.
L'exercice d'une action en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas de mauvaise foi ou d'intention malicieuse.
Alors que la salariée, licenciée pour faute lourde privative d'indemnités de rupture avait le droit d'agir en justice pour obtenir réparation de préjudices qu'elle estimait avoir subis et eu égard à la condamnation de l'employeur au titre de l'obligation de sécurité, aucune mauvaise foi dans la saisine du conseil de prud'hommes et le recours exercé ensuite n'est démontrée.
La demande doit donc être rejetée.
Sur les intérêts:
Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances indemnitaires à compter de la décision qui les fixe.
Sur les dépens et les frais irrépétibles:
Les parties, qui succombent tour à tour, doivent être tenues aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel, chacune pour moitié.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties ni pour la procédure de première instance, par confirmation du jugement entrepris, ni pour celle d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à l'obligation de sécurité, au préjudice moral de la société intimée et aux dépens, lesquelles sont infirmées,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France à payer à Mme [H] [E] épouse [M] les sommes de 5 000 euros de dommages-intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité,
CONDAMNE Mme [M] à payer à la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France les sommes de :
- 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de préjudice moral,
- 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de la dégradation des résultats,
DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter du présent arrêt,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE Mme [M] et la société [Localité 6] Mountain Entertainment Services France aux dépens de première instance et d'appel, chacune pour moitié.
LE GREFFIER LE PRESIDENT