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CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 17 septembre 2025, n° 23/05466

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/05466

17 septembre 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 17 SEPTEMBRE 2025

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05466 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHKVP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2023 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 8] - RG n° 21/02645

APPELANTS

Me [H] [B], mandataire judiciaire

[Adresse 3]

[Localité 4]

S.E.L.A.R.L. AXYME prise en la personne de Me [H] [B]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Immatriculée au RCS de [Localité 9] sous le numéro 830 793 972

Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Assistée par Me Timothée DE HEAULME DE BOUTSOCQ de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R44

INTIMÉE

S.C.I. CHALETTE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Immatriculée au RCS de [Localité 7] METROPOLE sous le numéro 402 667 182

Représentée par Me François MEURIN de la SELARL TOURAUT AVOCATS, avocat au barreau de MEAUX

Assistée par Me Thomas CHINAGLIA, avocat au barreau de LILLE, toque : 275

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Sophie MOLLAT, Présidente

Caroline TABOUROT, Conseillère

Isabelle ROHART, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. COUDERC, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Caroline TABOUROT, Conseillère pour la présidente empêchée, et par Yvonne TRINCA, greffier présent lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

Par acte du 20 octobre 2016, la SCI [Adresse 5] a consenti un bail commercial portant sur des locaux commerciaux d'environ 900 m² sis à Chalette sur Loing (45) à la société Desmazieres.

Faisant l'objet d'une procédure collective, la société Desmazieres a, dans le cadre de cette procédure, cédé ses éléments d'actif, dont son droit au bail à la société Métivier .

La société Métivier [Localité 9] a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 novembre 2019, nommant comme liquidateur judiciaire la SERLARL Axyme prise en la personne de Me [H] [B].

Le 11 décembre 2019, la SCI Chalette a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société Métivier [Localité 9].

A la même date, la SCI bailleresse a interrogé le liquidateur pour savoir s'il disposait des fonds lui permettant de régler les loyers d'un montant trimestriel de 18.474,12 euros.

Le commissaire-priseur a effectué une prisée le 19 décembre 2020, mais ne l'a transmis au liquidateur que le 21 janvier 2021. Par requête du 28 janvier suivant, le liquidateur a sollicité du juge commissaire l'autorisation de vendre aux enchères les stocks et actifs figurant sur la prisée.

Par ordonnance du 6 février 2020, le juge commissaire a autorisé la vente aux enchères et commis Me [V], commissaire-priseur pour y procéder.

Alors que la vente devait se dérouler dans les locaux de la société débitrice le 13 mars 2020, le commissaire-priseur n'a pas pu y procéder car l'entrée des lieux était protégée par un rideau de fer électrique et le courant avait été coupé.

Le 17 mars 2020 le confinement général a été décidé à la suite de la pandémie de Covid19, jusqu'au 11 mai 2020.

Dans ce contexte de confinement, ce n'est que le 14 avril 2020 que le commissaire-priseur a informé uniquement le bailleur de ce que la vente n'avait pu avoir lieu.

Ce n'est qu'après avoir interrogé le commissaire-priseur, une fois le confinement levé que le liquidateur judiciaire, a été informé du défaut de vente aux enchères en raison de la coupure de courant et il a été procédé au rétablissement du courant.

Le commissaire- priseur a alors réalisé immédiatement la vente aux enchères le 16 juin 2020 et les clés ont été restituées le 19 juin suivant au bailleur.

Les loyers tant antérieurs que postérieurs n'ont pu être payés à l'issue de la procédure collective, la clôture pour insuffisance d'actif ayant été prononcée.

Par acte d'huissier du 14 août 2020, la SCI Chalette a fait assigner en responsabilité la SELARL Axyme et Me [B] devant le tribunal judiciaire de Meaux. Il demandait alors leur condamnation au paiement en principal de la somme de 41.165,16 euros correspondant au montant des loyers ayant couru entre le jugement d'ouverture et la remise des clés.

Par jugement en date du 19 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Meaux a :

- dit que le liquidateur judiciaire a commis une faute, engageant sa responsabilité à l'égard de la SCI Chalette, en poursuivant le contrat de bail aux fins de vente aux enchères des stocks et éléments d'actif sans s'assurer de la poursuite du contrat d'électricité ;

- condamné in solidum la SELARL Axyme et Me [H] [B], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Métivier [Localité 9], à payer 14357,60 € à la SCI Chalette en indemnisation de son préjudice financier, correspondant à la perte de chance d'avoir obtenu restitution des clés le 13 mars 2020 et de n'avoir pu trouver un nouveau preneur à bail à qui les relouer jusqu'au 19 juin 2020,

- rejeté toute demande autre,

- condamné in solidum la SELARL Axyme et Me [H] [B], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Métivier [Localité 9], à payer 3000 € à la SCI Chalette sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné in solidum la SELARL Axyme et Me [H] [B], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Métivier [Localité 9], aux dépens de l'instance ;

- rappelé que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit.

Par déclaration en date du 17 mars 2023, la SELARL Axyme et Me [H] [B] ont interjeté appel du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 octobre 2024.

Vu les conclusions déposées par RPVA le 18 septembre 2023, par lesquelles la SELARL Axyme et Me [H] [B], appelants, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

- débouter la SCI Chalette ;

Reconventionnellement :

- condamner la SCI Chalette à payer à la SELARL Axyme et à Maître [B] la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Vu les conclusions déposées par RPVA le 17 juillet 2023, par lesquelles la SCI Chalette, intimée, demande à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux le 19 janvier 2023, en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause :

- débouter la SELARL Axyme et Maître [H] [B], de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

En toutes hypothèses :

- condamner solidairement la SELARL Axyme et Maître [H] [B] à payer à la société Chalette une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner solidairement la SELARL Axyme et Maître [H] [B] aux entiers dépens de la présente instance.

MOTIFS DE LA DECISION

La SELARL Axyme et Maître [H] [B] exposent que dans le cadre d'une action en responsabilité civile professionnelle intentée à l'encontre d'un mandataire judiciaire, il appartient au demandeur de rapporter la triple preuve cumulative de l'existence d'une faute commise par le mandataire dans l'exercice de sa mission, en lien causal direct avec un préjudice indemnisable, né, actuel et certain, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Ils font valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le liquidateur judiciaire peut seulement exiger la poursuite du contrat de bail, en l'absence d'une telle exigence celui-ci se poursuit dans les termes du droit commun, sans qu'il puisse être imputé à faute au liquidateur judiciaire une quelconque continuation prétendument tacite.

Ils reprochent au tribunal d'avoir dénaturé le courrier produit par le commissaire-priseur en considérant que ce dernier l'avait averti quant à la coupure des services d'électricité et en omettant de mentionner l'interdiction de procéder aux ventes aux enchères entre le 17 mars 2020 jusqu'au 11 mai 2020.

Ils soulignent qu'à aucun moment le bailleur n'a estimé devoir prendre l'initiative de faire rétablir le courant dans son propre le local, alors que cela aurait été dans son intérêt et les organes de la liquidation ont dû souscrire sur leurs fonds propres un nouveau contrat.

Ils soulignent que le bailleur ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un candidat à la reprise du local afin de justifier de sa demande de perte de chance de procéder à la relocation et ce d'autant plus qu'ils ont mis en place les diligences nécessaires afin de libérer au plus vite les locaux.

Ils mentionnent qu'ils n'ont jamais exigé la poursuite du contrat de bail au visa de l'article L. 641-11-1 II du code de commerce, de telle sorte que le contrat s'est poursuivi dans les termes du droit commun. Ils font valoir que la bailleresse n'a pas sollicité la résiliation du bail ni mis le liquidateur en demeure.

La bailleresse soutient que le liquidateur, qui ne disposait d'aucune perspective de cession du fonds, ni de capacité de payer le loyer, que ce soit à partir de la trésorerie de son administrée ou de la vente de ses actifs, devait résilier le bail, déménager les actifs et restituer les clés. Elle considère que la connaissance de la poursuite de la résiliation du bail par le bailleur et la volonté de se maintenir dans les lieux loués sans perspective concrète et raisonnable de redressement sont suffisants pour engager la responsabilité du liquidateur sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.

Selon elle, il revenait au liquidateur de s'assurer de la poursuite du contrat d'électricité, dont la résiliation ne pouvait intervenir qu'à son initiative.

Elle expose qu'en retardant la remise des clés et ne s'assurant pas du maintien des contrats nécessaires à la vente aux enchères publiques, le liquidateur a commis une faute engageant sa responsabilité.

Elle considère, comme l'a relevé le jugement, que son préjudice s'assimile à un préjudice de perte de chance, d'avoir obtenu la restitution des clés et des locaux le 13 mars 2020, et d'avoir trouvé un nouveau preneur à bail à qui les relouer en l'état.

Sur ce,

Il convient de relever que la bailleresse demande la confirmation du jugement, de sorte qu'elle ne poursuit la responsabilité des appelants qu'en raison du défaut de résiliation du bail et de remise des clés depuis le 13 mars 2020 jusqu'au 19 juin 2020.

Le liquidateur judiciaire engage sa responsabilité dans les conditions de droit commun, c'est-à-dire en cas de faute ayant causé un dommage.

En l'espèce il est reproché au liquidateur judiciaire de ne pas s'être préoccupé de ce que le courant de l'immeuble loué par la société débitrice à [Localité 6] (45) n'était pas coupé, ce qui aurait ainsi permis la vente aux enchères et l'enlèvement des marchandises sises en ces locaux.

La bailleresse soutient qu'il revenait au liquidateur de s'assurer de la poursuite du contrat d'électricité et que s'il l'avait fait, les opérations de vente des biens mobiliers auraient eu lieu le 13 mars 2020 et les clés lui auraient été remises le même jour.

Or, il résulte de l'article L.641-11 du code de commerce que les contrats en cours se poursuivent de plein droit après l'ouverture de la liquidation judiciaire, même en cas d'impayés antérieurs au jugement d'ouverture. Ainsi, le contrat d'électricité, comme tout contrat en cours, devait se poursuivre de plein droit, et aucun élément ne démontre que le fournisseur d'électricité ait demandé au juge commissaire la résiliation du contrat ou ait mis le liquidateur judiciaire en demeure d'opter ou non pour la poursuite du contrat en cours, seules hypothèses permettant la résiliation du contrat d'électricité à l'initiative du cocontractant.

Il s'ensuit que le liquidateur judiciaire ne peut se voir imputer l'ignorance de la coupure du courant.

Par ailleurs, il ne peut davantage être reproché au liquidateur le fait que la vente aux enchères, l'enlèvement des marchandises et la remise des clés n'aient eu lieu que les 16 et 19 juin 2020.

En effet, les faits sont déroulés au moment du premier confinement suite à la pandémie de Covid19, qui a débuté le 17 mars 2020, jusqu'au 11 mai 2020 à une époque où toute vente aux enchères et tout rassemblement de plus de 10 personnes était interdit.

Dans ce contexte de confinement, ce n'est que le 14 avril 2020 que le commissaire-priseur a informé uniquement le bailleur et non le liquidateur de ce que la vente n'avait pu avoir lieu.

Ce n'est qu'après avoir interrogé le commissaire-priseur, une fois le confinement levé, que le liquidateur judiciaire, a été informé du défaut de vente aux enchères en raison de la coupure de courant et que le courant a été immédiatement rétabli.

La vente a été organisée dès le 16 juin 2020 et les clés remises en mains propres, par le commissaire-priseur au bailleur, le 19 juin 2020

.

Il s'ensuit que le liquidateur judiciaire a fait toute diligence, dans ce contexte de crise sanitaire, et qu'aucune faute ne peut être caractérisée à son encontre.

Ce n'est que de façon surabondante qu'il sera relevé qu'alors que le jugement d'ouverture était du 28 novembre 2019, la bailleresse s'est abstenue de demander la constatation de la résiliation du bail, ce qu'elle aurait pu faire dès début mars 2020 en raison du défaut de paiement des loyers postérieurs, en application de l'article L 641-12 du Code de Commerce

En conséquence, le jugement sera infirmé et la SCI Chalette déboutée de ses demandes.

La SCI Chalette sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Déboute la SCI Chalette de ses demandes,

La condamne aux dépens de première instance et d'appel,

Rejette les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA CONSEILLERE POUR LA PRESIDENTE EMPECHEE

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