Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 18 septembre 2025, n° 21/01909

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/01909

18 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 18 SEPTEMBRE 2025

Rôle N° RG 21/01909 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG5MG

[V] [T]

C/

[N] [J]

Copie exécutoire délivrée

le : 18 septembre 2025

à :

Me Valérie CARDONA

Me Antoine FAIN-ROBERT

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 25 Janvier 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2019002607.

APPELANT

Monsieur [V] [T]

Es qualités de Liquidateur judiciaire de Madame [K] [E], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Valérie CARDONA, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Axelle TESTINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉE

Madame [N] [J]

née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 5], de nationalité française, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Antoine FAIN-ROBERT de la SCP ROBERT & FAIN-ROBERT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Muriel VASSAIL, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseillère

Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère

Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par jugement du 6 août 2018, le tribunal de commerce de Fréjus a résolu le plan de redressement et prononcé la liquidation judiciaire de Mme [K] [E] et désigné M. [V] [T] en qualité de liquidateur judiciaire.

Mme [E] exploitait notamment un fonds de commerce de restauration situé [Adresse 4] au titre de deux baux commerciaux :

- l'un concernant une salle de restaurant consenti par la SCI SACHANA,

- l'autre concernant un local, une cuisine et une salle avec mezzanine consenti par Mme [N] [J].

Accusant Mme [J] d'avoir fait échec à la vente du droit au bail qu'elle avait consenti à Mme [E], Me [T], ès qualités, a assigné l'intéressée devant le tribunal de commerce de Fréjus pour obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes.

Par jugement du 25 janvier 2021, le tribunal de commerce de Fréjus s'est déclaré compétent pour trancher le litige et a :

- débouté Me [T] ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné Me [T] ès qualités aux dépens et à payer à Mme [J] 800 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour prendre leur décision les premiers juges ont retenu que :

- le tribunal de la procédure collective est compétent au visa de l'article R.662-3 du code de commerce qui a été édicté pour permettre un traitement collectif, global et cohérent de la procédure dans un but de meilleure efficacité,

- Mme [J] a engagé des actions pour obtenir le paiement des loyers,

- Me [T] ès qualités n'a pas résilié le bail commercial et, du fait de retards répétitifs, n'a pas non plus respecté ses engagements de règlement des loyers,

- ces manquements ont obligé Mme [J] à faire valoir ses droits en justice,

- ce sont ces manquements qui sont en lien direct avec l'échec de la cession du fonds de commerce,

- il n'existe aucun lien de causalité entre les actions de Mme [J] et l'impossibilité de passer l'acte de cession.

Me [T] ès qualités a fait appel de cette décision le 9 février 2021.

Dans ses dernières conclusions, déposées au RPVA le 10 octobre 2022, il demande à la cour de le recevoir en son appel et de :

- confirmer le jugement frappé d'appel en ce que le tribunal s'est déclaré compétent,

- infirmer le jugement frappé d'appel pour le surplus,

- retenir qu'il a fait diligence,

- condamner Mme [J] à lui payer ès qualités 50 000 euros de dommages et intérêts correspondant au prix de cession,

- condamner Mme [J] aux entiers dépens et à lui payer ès qualités au titre de l'article 700 du code de procédure civile 3 000 euros en première instance et 5 000 euros en cause d'appel.

Dans ses dernières écritures, notifiées au RPVA le 13 janvier 2023, Mme [J] demande à la cour de :

- confirmer le jugement frappé d'appel,

- rejeter les demandes, fins et prétentions de Me [T],

- condamner Me [T] ès qualités aux entiers dépens et à lui payer 5 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 29 novembre 2024, les parties ont été avisées de la fixation du dossier à l'audience du 5 juin 2025.

La procédure a été clôturée le 15 mai 2025 avec rappel de la date de fixation.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens de fait et de droit.

MOTIFS DE LA DECISION

1)Alors que l'appel est formellement limité aux dispositions ayant débouté Me [T] ès qualités de sa demande de dommages et intérêts, la cour relève que Mme [J] n'a pas formé appel incident et ne conteste en rien la décision des premiers juges qui ont déclaré compétent le tribunal de la procédure collective pour trancher le litige.

La cour n'est donc pas saisie de ce chef.

2)Conformément à l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code, celui qui par sa faute cause un dommage à autrui est tenu d'en réparer les conséquences.

Pour que l'action de Me [T] ès qualités puisse prospérer il lui incombe, en application de l'article 9 du code de procédure civile, de rapporter la preuve :

- de l'existence d'une faute imputable à Mme [J],

- du préjudice qu'il allègue,

- du lien de causalité qui existe entre les deux.

3)Me [T] reproche aux premiers juges d'avoir retenu que Mme [J] n'avait pas fait un usage abusif de ses droits et que la perte du fonds de commerce de la liquidation judiciaire était directement liée au défaut de paiement des loyers qui était imputable au liquidateur judiciaire.

Il rappelle, ce qui est une évidence, que le liquidateur judiciaire ne peut régler les dettes de la personne en liquidation judiciaire qu'à hauteur de l'actif qu'il détient et en tire pour conséquence que c'est à la suite d'un raisonnement erroné que les premiers juges ont considéré qu'il avait commis des manquements à l'origine de la perte du bail commercial.

Il soutient également qu'il avait obtenu une ordonnance du juge commissaire validant la cession du fonds de commerce incluant le bail commercial pour la somme de 50 000 euros et que, sans son obstination à diligenter des procédures, Mme [J] aurait vu sa créance de loyers entièrement réglée au titre du privilège du bailleur.

Il en conclut que, par son intention manifeste de faire échec à la cession, Mme [J] a commis un véritable abus de droit.

Mme [J] conteste tout abus de droit, faisant remarquer qu'elle n'a fait que défendre ses droits alors que :

- la perception de ce loyer commercial constitue son unique source de revenus,

- elle a subi de nombreux impayés et de multiples retards de paiement y compris pendant l'exécution du plan de redressement de Mme [E],

- c'est le liquidateur judiciaire qui a décidé de poursuivre le bail en cours et qui n'a pas réglé les loyers postérieurs à la liquidation judiciaire,

- dans la mesure où le passif de la liquidation judiciaire n'est pas connu, nul ne peut valablement prétendre qu'elle aurait été totalement désintéressée par la cession du fonds de commerce ni qu'elle n'aurait pas été en concours avec d'autres créanciers super privilégiés,

- l'autre bail commercial de Mme [E] a été résilié judiciairement sans que le liquidateur judiciaire n'en fasse reproche au bailleur.

4)Il ne peut raisonnablement être fait grief à Me [T] ès qualités d'avoir tenté de conserver le bail commercial afférent au fonds de commerce, seul actif de la liquidation judiciaire de Mme [E], afin de le vendre et récupérer des fonds pour désintéresser ses créanciers.

Pour autant, la cour relève, ainsi qu'il l'admet implicitement dans ses écritures, qu'il est patent qu'il ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement régulier des loyers en cours et cela en contravention des articles L641-11-1 et L641-13 du code de commerce.

Il en résulte qu'il est acquis aux débats que pendant plusieurs mois Mme [J] a supporté de nombreux impayés de loyers.

Sur ce point, la cour relève également que les parties ne contestent pas, tout en faisant une analyse divergente, que Mme [J] a été contrainte de faire délivrer d'abord à Mme [E] puis à Me [T] ès qualités, pas moins de quatre commandements de payer visant la clause résolutoire pour obtenir des règlements.

Dans ces conditions, même en présence d'une autorisation de vendre le fonds de commerce dont, à défaut de s'expliquer sur le montant et la consistance du passif de Mme [E], Me [T] ne démontre pas qu'elle aurait été de nature à permettre de la désintéresser en intégralité, il ne saurait être reproché à la bailleresse d'avoir initié des actions pour faire constater la résiliation du bail commercial et récupérer son local.

Dans un tel contexte, alors que sa créance augmentait, la cour estime que Mme [J] n'a pas non plus abusé de ses droits en déposant une requête en résiliation du bail devant le juge commissaire ni en faisant appel de l'ordonnance d'autorisation de vendre le fonds de commerce.

Par ces motifs que la cour substitue à ceux des premiers juges, le jugement frappé d'appel sera confirmé en toutes ses dispositions.

5)Les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [T] ès qualités et employés en frais privilégiés de la procédure collective de Mme [E].

Il en résulte que M. [T] se trouve infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Il serait inéquitable de laisser Mme [J] supporter la charge de l'intégralité des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

M. [T] ès qualités sera condamné à lui payer 2 500 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, après débats publics, dans les limites de sa saisine et par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Fréjus ;

Y ajoutant :

Déclare M. [T] ès qualités infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles ;

Condamne M. [T] ès qualités à payer à Mme [J] la somme de 2 500 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [T] ès qualités aux dépens d'appel et ordonne qu'ils soient employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de Mme [E].

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site