CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 18 septembre 2025, n° 21/13236
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 21/13236 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BICX4
[U] [B]
C/
- COMMUNE DE [Localité 8]
Copie exécutoire délivrée
le : 18 Septembre 2025
à :
Me Philippe-laurent SIDER
Me Sandra JUSTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 15] en date du 16 Août 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/03652.
APPELANT
Monsieur [U] [B]
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 14] (84), demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Bruno BERKROUBER de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
COMMUNE DE [Localité 8]
représentée par son Maire en exercice
, demeurant [Adresse 11]
représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Narriman KATTINEH-BORGNAT, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller Rapporteur,
et Madame Gaëlle MARTIN, conseiller- rapporteur,
chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La commune de [Localité 9] est propriétaire d'un bien immobilier, exploité en tant que restaurant à l'enseigne 'le Cabanon' , situé [Adresse 6] à [Localité 2], comportant un local d'une surface d'environ 30 m2, relevant du domaine privé de la commune.
M. [U] [B] a exploité le restaurant le Cabanon dans le cadre de contrats successifs conclus avec la commune de [Localité 8], contrats dont la nature exacte est aujourd'hui discutée.
Plusieurs conventions d'occupation ont ainsi été conclues entre la commune de [Localité 8] et M. [U] [B]:
- le 12 mars 1998 une première convention dite « convention d'occupation du cabanon de la Pointe des Douaniers au lieu-dit [Adresse 16] Douaniers Parcelle AE [Cadastre 4] », entre la commune et M.[R] [B] (frère de M. [U] [B]) et Mme [V] [E] aux termes de laquelle la commune a consenti à ses cocontractants le droit d'exploiter le Cabanon pour une durée de 6 ans à compter du 1 er avril 1998 moyennant une redevance de 38 400 francs par an,
- le 8 mars 2004 une deuxième convention dite « convention d'occupation du cabanon de la Pointe des Douaniers au lieu-dit [Adresse 16] Douaniers Parcelle AE [Cadastre 4] » entre la commune de [Localité 8] le 5 avril 2004 et Messieurs [R] et [U] [B] pour une durée de 6 ans moyennant une redevance de 10 000 euros par an,
- le 31 mars 2010 une troisième convention, dite « Convention d'occupation précaire du cabanon de la Pointe des Douaniers au lieu-dit [Adresse 17] » entre la commune de [Localité 8] et Messieurs [R] et [U] [B] pour une durée de 7 mois moyennant une redevance de 30.000 euros. La convention stipule aussi 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce ni d'un droit au bail',
- le 29 octobre 2010, une quatrième convention dite « convention d'occupation précaire du cabanon de la [Adresse 17] au lieu-dit [Adresse 17] », entre la commune de [Localité 8] et Messieurs [R] et [U] [B], autorisant ces derniers à exploiter le bien sous forme de buvette et de restauration, pour une durée de 5 ans, moyennant une redevance annuelle de 45 000 euros. La convention stipule aussi 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce ni d'un droit au bail',
- le 8 octobre 2015, une cinquième et dernière convention, dite « Convention d'occupation précaire du cabanon de la [Adresse 17] au lieu-dit [Adresse 17] », entre la commune de [Localité 8] et la société en participation [U] et [P] [B], à effet du 1er novembre 2015, autorisant ladite société à exploiter le Cabanon pour une durée de 5 ans supplémentaire à compter du 1 er novembre 2015 moyennant une redevance annuelle de 48 000 euros. La convention stipule aussi 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce'.
Il est allégué par M. [U] [B], que, par délibération du 28 septembre 2020, le conseil municipal de la commune de [Localité 8], a approuvé la décision de M. le Maire [W] [H], d'attribuer, à la suite d'un appel d'offres publié le 14 mai 2020, l'occupation du restaurant le Cabanon à la société en cours de constitution Chic By Le Cabanon à partir du 1 er novembre 2020, pour une durée de 6 ans, jusqu'au 30 octobre 2016.
Il était mis un terme à l'exploitation des lieux par M.[U] [B].
Par courrier daté du 5 octobre 2020 réceptionné le 9 octobre 2020, l'avocat de M. [U] [B] estimait que la délibération était inopposable à ce dernier, qui bénéficiait, selon lui, d'un bail commercial produisant ses effets jusqu'au 1er novembre 2024 au minimum. L'avocat indiquait que la commune avait sciemment usé de conventions d'occupation précaires pour tromper son client alors qu'il aurait pu bénéficier d'un bail commercial, précisant que lesdites conventions devaient être requalifiées en baux commerciaux. L'avocat précisait que non seulement les redevances prévues par les conventions d'occupation précaire n'avaient rien de modique et atteignaient le montant de vrais loyers, mais encore que la commune de [Localité 8] ne justifiait aucunement de l'existence d'éléments précaires justifiant le recours à de telles conventions.
La commune de [Localité 10] restait silencieuse.
Par acte d'huissier de justice du 20 octobre 2020, M. [U] [B] faisait assigner la commune de Cap d'Ail devant le tribunal judiciaire de Nice en inopposabilité de toutes les conventions d'occupation précaire et en annulation de la dernière convention d'occupation précaire du 8 octobre 2015, invoquant une fraude commise par la commune, qui aurait souhaité contourner le statut des baux commerciaux.
Dans ses dernières conclusions prises devant le premier juge, M. [U] [B] demandait aussi la reconnaissance d'un bail commercial depuis le 1er novembre 2015 sur son fonds de commerce.
Par jugement du 16 août 2021, le tribunal judiciaire de Nice se prononçait en ces termes :
- dit que M.[U] [B] a intérêt à agir ;
- dit qu'en l'absence de preuve d'une fraude, l'action en requalification en bail commercial engagée par M. [U] [B] le 20 octobre 2020 est atteinte par la prescription biennale ;
- dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 201 5 entre la commune de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation, n'est pas nulle ;
- déboute M. [U] [B] de l'ensemble de ses demandes ;
- dit n'y avoir lieu a article 700 du code de procédure civile ;
- condamne M. [U] [B] aux dépens de l'instance.
Pour juger irrecevable, comme prescrite, l'action de M. [U] [B] en requalification en bail commercial, les premiers juges retenaient que le requérant ne démontrait pas la fraude commise par la commune de [Localité 8], que le délai de la prescription biennale n'était donc pas suspendu, que la dernière convention litigieuse avait été signée le 30 octobre 2015 pour une durée de 5 ans à compter du 1er novembre de la même année, que l'action était donc prescrite depuis le 1er novembre 2017.
M. [U] [B] a formé un appel le 14 septembre 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 mai 2025.
CONCLUSIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2025, M. [U] [B] demande à la cour de :
Vu le principe selon lequel la fraude corrompt tout, les articles L.145-4 et suivants du code de commerce, 565 et 566 du code de procédure civile, 915-2 al 3 du code de procédure civile,les conventions successives des 12 mars 1998, 5 avril 2004, 31 mars 2010, 1er novembre 2010, et 30 octobre 2015,
- réformer le jugement du 16 août 2021 du tribunal judiciaire de Nice en ce qu'il a :
- dit qu'en l'absence de preuve d'une fraude, l'action en requalification en bail commercial engagée par M. [U] [B] le 20 octobre 2020 est atteinte par la prescription biennale,
- dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 2015 entre la commune
de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation n'est pas nulle,
- débouté M. [U] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu a` article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [U] [B] aux dépens de l'instance.
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a :
- dit que M. [U] [B] a intérêt à agir,
et statuant à nouveau :
- juger M. [U] [B] recevable et bien fondé en ses demandes ;
- débouter la commune de [Localité 8] de ses demandes ;
sur la qualification de bail commercial
- juger que M. [U] [B] a été victime d'une fraude commise par la commune de [Localité 8] à raison de la conclusion des cinq conventions d'occupation précaire conclues les 12 mars 1998, 5 avril 2004, 31 mars 2010, 1er novembre 2010, et 30 octobre 2015 pour l'exploitation du restaurant le Cabanon ;
- juger que la fraude suspend la prescription biennale relative à l'action en qualification de bail commercial ;
- juger que les cinq conventions d'occupation précaire conclues, comme la délibération du 28 juin 2020 du Conseil général de la commune de [Localité 8] sont inopposables, sinon nulles, à raison de la fraude commise ;
- juger que M. [U] [B] est titulaire d'un bail commercial relatif à ce fonds de commerce à compter du 1er novembre 2015 ;
sur le fonds de commerce de M. [U] [B]
- juger que les clauses de renonciation à la propriété commerciale présentes dans les conventions conclues par M. [U] [B] sont réputées non écrites ;
- juger que M. [U] [B] est propriétaire du fonds de commerce le Cabanon situé AE118 commune de [Adresse 13] [Localité 3] ;
- juger que les opérations de modification et de destruction du Cabanon par la commune de [Localité 8] sont attentatoires au droit de propriété de M. [U] [B] et obligent La commune à réparer le préjudice en résultant ;
- désigner, avant dire droit, tout expert aux fins d'évaluation du préjudice subi par M. [B] du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce ;
sur les mesures réparatrices financières
- condamner la commune [Localité 8] à verser à M. [U] [B] la somme de 1.550.041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024 ;
- condamner la commune de [Localité 8] à verser à M. [U] [B] la somme de 500.000 euros à titre provisionnel en réparation du préjudice subi à raison de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce, à parfaire au vu du rapport d'expertise ;
sur les frais irrépétibles
- condamner la commune de [Localité 8] à verser à M. [U] [B] la somme de 35.000 euros au titre dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la commune de [Localité 8] aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 mai 2025, la commune de [Localité 8] demande à la cour de :
vu les articles 122 du code de procédure civile,564 du code de procédure civile,910-4 du code de procédure civile, 915-2 du code de procédure civile, L. 145-60 du code de commerce,31 du code de procédure civile, 1871, al. 1du code civil,L. 145-2-ll du code de commerce, 2224 du code civil, L. 2221-1 du CGEP,
- juger irrecevable la demande tendant à la condamnation de la commune de [Localité 8] à la somme de 1.550 041, 20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023, 2024,
à titre principal,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- juger que la succession des conventions d'occupation précaire n'est pas constitutive de fraude,
- juger que l'action engagée par M.[U] [B] tendant à lui voir reconnaître un bail commercial est atteinte par la prescription biennale,
- juger en tout état de cause que l'action de M. [U] [B] tendant à voir prononcer la nullité de la convention du 30 octobre 2015 et des conventions antérieures est atteinte par la prescription,
- le débouter de l'intégralité de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire,
- juger que la convention du 30 octobre 2015 n'est pas un bail commercial,
- débouter en conséquence M.[U] [B] de sa demande tendant à lui voir reconnaître le bénéfice du statut des baux commerciaux à compter du 18' novembre 2015,
- le débouter en conséquence de sa demande de désignation d'un expert en vue d'évaluer son prétendu préjudice,
- débouter M. [U] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
en tout état de cause,
- débouter M. [U] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner à la somme de 8000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
En l'absence de demande par l'intimée d'infirmation du jugement sur ce point et compte tenu de la demande en ce sens de l'appelant, la cour confirme d'abord le jugement en ce qu'il dit que M. [U] [B] a intérêt à agir.
Ensuite, compte tenu de la demande de confirmation du jugement sur ce point et en l'absence d'opposition de l'appelant, la cour confirme le jugement, en ce qu'il dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 2015 entre la commune de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation, n'est pas nulle.
1-sur la recevabilité de la demande de M. [U] [B] de requalification du bail précaire du 8 octobre 2015, à effet du 1er novembre 2015, en bail commercial
Selon l'article L145-5-1 du code de commerce :N'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties.
L'article L145-60 du même code ajoute : Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
Au soutien de son action en requalification de la convention d'occupation précaire du 8 octobre 2015, à effet du 1er novembre de la même année, en bail commercial à compter de cette même date, M. [U] [B] soutient que la propriétaire des lieux a délibérément recouru, pendant plus de 20 ans, au régime juridique de la convention d'occupation précaire pour évincer la règle du bail commercial protectrice des intérêts du preneur, se rendant ainsi responsable d'une fraude à ses droits.
M. [U] [B] ajoute que cette fraude de la commune de [Localité 8] est établie tant dans son élément matériel qu'intentionnel. Sur l'élément matériel de la fraude, M. [U] [B] expose que la précarité de la convention résulte de la propre volonté de la commune bailleresse et non de circonstances objectives extérieures indépendantes.
Sur l'élément intentionnel de la fraude à ses droits, M. [U] [B] prétend que la commune de [Localité 8] a voulu contourner le bail commercial, pour éviter de lui faire bénéficier du régime juridique protecteur du bail commercial et également pour protéger son intérêt financier en augmentant exceptionnellement les montants des loyers entre 1998 et 2020.
Enfin, pour dire que son action en requalification de la convention d 'occupation précaire du 1er novembre 2015 en bail commercial à compter de cette même date, n'est pas atteinte par la prescription biennale et est donc recevable, M. [U] [B] affirme :
- si effectivement en vertu de l'article L145-60 du code de commerce, les actions relatives aux baux commerciaux se prescrivent par deux ans, il en va autrement en cas de fraude,
- en cas de fraude, la prescription biennale est suspendue pendant la durée du contrat concerné,
- en l'espèce, il a bien subi une fraude commise par la commune du [Localité 8], qui l'a trompé pendant 22 ans,
- la bailleresse ne lui a jamais révélé le caractère privé du domaine du terrain sur lequel sont érigés les locaux,
- elle a notamment organisé des appels d'offres spécifiques au domaine public,
- ayant cru qu'il occupait le domaine public de la commune, il ne pouvait revendiquer l'application du statut des baux commerciaux, un tel statut étant prohibé sur le domaine public,
- la bailleresse a usé de man'uvres pour contourner le régime du bail commercial.
Pour dire que l'action de M. [U] [B], en requalification de la convention d'occupation précaire du 1er novembre 2015 en bail commercial est atteinte par la prescription biennale et est donc irrecevable, la commune de [Localité 8] soutient que :
- la demande qui tend à la reconnaissance du statut des baux commerciaux est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code commerce,
- le point de départ du délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification de la convention d'occupation précaire en bail commercial est la conclusion du contrat,
- l'action en requalification de M. [U] [B] concerne une convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 à effet du 1er novembre 2015,
- le délai de la prescription biennale a commencé à courir le 18 novembre 2015 pour expirer deux années plus tard, le 18 novembre 2017,
- l'assignation introductive d'instance de M. [U] [B], délivrée le 21 octobre 2020 est tardive.
Pour dire ensuite que le délai de la prescription biennale n'a pas été suspendu et qu'elle n'a commis aucune fraude au statut des baux commerciaux, la commune de [Localité 8] soutient qu'il ne peut lui être imputé aucune ambiguïté frauduleuse sur la signature de ces conventions d'occupation précaire, précisant en ces sens :
- la convention précaire signée le 30 octobre 2015 décrit, en son article18, que l'occupation précaire a pour objet l'exploitation du Cabanon de la pointe des douaniers sous forme de buvette et restaurant,
- l'article II ajoute que cette occupation est consentie pour une duré de 5 ans à compter du 18 novembre 2015 sans possibilité de tacite reconduction à compter de sa signature,
- l'article III stipule que cette occupation ne donne pas lieu à création d'un fonds de commerce,
- l'argumentation de l'appelante sur la prétendue illicéité du recours à des appels d'offre spécifiques du domaine public, qui l'auraient trompé, sont totalement fantaisistes,
- aucune disposition légale n'interdit à une collectivité de recourir à une mise en concurrence pour la gestion de son domaine privé.
Il est de principe que l'action tendant à la requalification d'un contrat en bail commercial est soumise au délai de prescription biennal de l'article'L.'145-60 du code de commerce, lequel peut être néanmoins suspendu par l'effet de la fraude commise dans le but d'éluder le statut des baux commerciaux.
De plus, la précarité de la convention d'occupation ne saurait résulter de la seule volonté des parties d'éluder l'application du statut des baux commerciaux. Elle doit être justifiée par des motifs sérieux et légitimes résultant souvent de circonstances particulières
L'appelant exerce une action en requalification, en un bail commercial, de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, à effet du 1er novembre de la même année.
Le délai de la prescription biennale expirait donc normalement le 30 octobre 2017, sauf si, comme le soutient l'appelant, la commune de [Localité 8] a commis une fraude, qui aurait suspendu le délai de la prescription pendant toute la durée de la convention critiquée (soit jusqu'au 1er novembre 2020).
En l'espèce, la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 ne mentionne pas son motif de recours. Ensuite, la bailleresse allègue, sans plus de précisions, que la précarité de l'occupation de M. [U] [B] est liée à un arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique du 24 février 1962 visé par une délibération du 27 février 1962.
Toutefois, les pièces produites par l'intimée ne sont pas suffisamment précises pour justifier de circonstance particulière de nature à caractériser une précarité d'occupation exclusive du statut des baux commerciaux.
L'arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique n'est pas produit. Il n'est donc pas possible de vérifier son existence et son contenu, ni en tout état de cause, s'il concerne bien les lieux loués.
Ensuite, s'il est produit, par la commune de [Localité 8], un extrait d'une délibération du conseil municipal, datant du 16 novembre 1950, qui fait état de 'l'acquisition du terrain de la pointe des douaniers' par la commune, ce document évoque seulement une demande faite à M. Le Préfet de vouloir 'bien déclarer l'utilité publique de cette acquisition'.
La commune de [Localité 8] verse aussi aux débats un extrait d'une autre délibération du conseil municipal, datant du 28 décembre 1961, évoquant, sans davantage de précisions, le 'terrain de la pointe des douaniers' et énonçant : 'Par arrêté de M. Le Préfet des Alpes Maritimes en date du 24 février 1961, l'acquisition du terrain de [Localité 12] [Adresse 17] en vue de la création d'un terrain d'éducation physique scolaire a été déclarée d'utilité publique'.
Il résulte seulement de ces deux documents versés aux débats par l'appelant que la commune de [Localité 8] a pu faire l'acquisition, suite à un arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique, du terrain de [Localité 12] [Adresse 17].
Ces documents ne démontrent pour autant pas la nécessité d'accorder une occupation précaire à M. [U] [B] et l'impossibilité d'un bail commercial sur les lieux, une fois l'acquisition du terrain réalisée par la commune.
La commune de [Localité 8] ne soutient pas, en particulier, que, une fois acquise la parcelle litigieuse suite à la déclaration d'utilité préfectorale, elle a été obligée de proposer une convention d'occupation précaire parce qu'il s'agissait , par exemple, d'une convention portant sur un immeuble destiné à disparaître ou d'une convention passée dans l'attente de l'expropriation de l'immeuble situé dans un périmètre spécial réglementé.
Si l'extrait de la délibération du conseil municipal du 28 décembre 1961 évoque un projet de création d'un terrain d'éducation physique scolaire, sur le terrain de [Adresse 13], il ne s'agissait que d'une simple déclaration d'intention, faite il y a plus de 60 ans, dont rien ne permet de dire qu'elle aurait été suivie d'actes juridiques ou de démarches concrètes depuis tout ce temps.
Au contraire, les lieux loués font l'objet de plusieurs conventions d'occupation temporaires successives depuis des décennies , dont la dernière au profit de la SARL Chic By le Cabanon, sans que la commune de [Localité 8] ne fournisse aucun élément venant démontrer que le terrain d'éducation physique sociale évoqué en 1961 aurait vu le jour.
Par ailleurs, si la commune intimée expose que, selon elle, les mentions de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 n'étaient pas ambiguës et permettaient au preneur de comprendre qu'il ne pouvait pas bénéficier du statut des baux commerciaux, cela ne signifie pas pour autant que la commune de [Localité 8] avait un motif sérieux et légitime de recourir à une telle convention.
Il convient en effet de rappeler que la précarité ne peut pas être uniquement subjective et qu'elle doit être justifiée, en plus de la volonté des parties, par des motifs sérieux et légitimes.
Par ailleurs, la fraude existe lorsque la volonté d'échapper au statut des baux commerciaux n'est justifiée par aucune circonstance de nature à caractériser une précarité d'occupation exclusive de ce statut.
Ainsi, en l'espèce, conformément à ce qui est soutenu par M. [U] [B], la fraude est bien caractérisée.
Compte tenu de la fraude commise concernant la conclusion de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, pour contourner le statut des baux commerciaux, c'est à juste titre que M. [U] [B] affirme que le délai de la prescription biennale, applicable à son action en requalification, a été suspendu jusqu'au terme de la convention d'occupation précaire le 1er novembre 2020.
Le délai de la prescription biennale ayant été suspendu, l'action de M. [U] [B], en requalification de la convention précaire du 30 octobre 2015,en un bail est commercial, initiée par acte d'huissier de justice du 20 octobre 2020, est recevable.
La cour rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale, opposée par la commune de [Localité 8], à l'action de M. [U] [B] en requalification de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 en un bail commercial.
Le jugement est infirmé à ce titre.
2-sur la demande de M. [U] [B] de dire qu'il est titulaire d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015 ;
Selon l'article L145-5 al 1 et 2 du code de commerce :Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de
cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il convient de rappeler que, au soutien de son action en requalification de la convention d'occupation précaire du 8 octobre 2015, à effet du 1er novembre de la même année, en bail commercial à compter de cette même date, M. [U] [B] soutient que la propriétaire des lieux a délibérément recouru, pendant plus de 20 ans, au régime juridique de la convention d'occupation précaire pour évincer la règle du bail commercial protectrice des intérêts du preneur, se rendant ainsi responsable d'une fraude à ses droits.
Il y a lieu de rappeler également que la commune de [Localité 8] soutient qu'elle n'a commis aucune fraude au statut des baux commerciaux, aucune ambiguïté frauduleuse sur la signature de ces conventions d'occupation précaire ne pouvant lui être reprochée. Elle précise également qu'elle a eu recours à la convention d'occupation précaire en raison d'une déclaration d'utilité publique préfectorale du 24 février 1962.
En l'espèce, il a d'ores et déjà été précédemment jugé que la commune de [Localité 8] ne rapportait pas la preuve de l'existence de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, à effet du 1er novembre suivant.La cour a également estimé qu'une fraude avait été commise par la commune de [Localité 8] dans le seul but de contrevenir aux dispositions d'ordre public du statut.
Ainsi, la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, à effet du 1er novembre suivant, était en réalité un bail dérogatoire à l'issue du quel le preneur a été laissé en possession du local. Cette convention d'occupation précaire frauduleuse était en effet d'une durée réelle de 5 ans, de sorte qu'à l'issue de la durée légale de 3 ans normalement prévue pour les baux dérogatoires, M. [U] [B] a bien été laissé en possession des locaux commerciaux.
A l'issue de ladite convention d'occupation précaire, qui s'analyse en réalité en un bail dérogatoire en l'absence de toute notion de précarité, M. [U] [B] a bénéficié d'un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux, conformément à l' article L. 145-5, alinéa 2, du code de commerce.
La commune de [Localité 8] estime que M. [U] [B], en ayant accepté de conclure plusieurs dérogatoires, après maintien en possession, aurait renoncé au statut des baux commerciaux.
Cependant, en l'espèce, il ne résulte pas suffisamment des pièces produites que M. [U] [B], aurait, sans ambiguïté, souhaité renoncer au statut des baux commerciaux. Il convient de rappeler qu'une fraude a été commise et que les conventions d'occupation précaires ont été conclues dans le seul but de contrevenir aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux. M. [U] [B] a donc été laissé dans l'ignorance de son droit à un tel statut et rien ne permet d'affirmer qu'il aurait conclu les conventions critiquées en connaissance du vice qui les affectait.
Concernant le point de départ de ce nouveau bail commercial, reconnu à l'appelant, la bailleresse ne critique, pas, à titre subsidiaire, la date mise en avant par le preneur, soit le 1er novembre 2015.
Si cette convention d'occupation précaire comprend la stipulation contractuelle particulière suivante : 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce', ladite clause ne peut empêcher l'appelant de bénéficier d'un bail commercial compte tenu de la fraude commise par la commune de [Localité 8].
Par ailleurs, cette clause, qui contrevient aux dispositions de l'article L 145-15 du code de commerce, en ce qu'elle fait échec au droit de renouvellement ou aux dispositions de l'article L 145-4 du code de commerce, sera réputée non écrite.
Enfin, la commune de Cap d'Ail ne conteste pas les allégations de M. [U] [B] selon lesquelles, d'une part, ce dernier est commerçant inscrit au registre du commerce et des sociétés de Nice depuis 1981, d'autre part, le restaurant le Cabanon est enregistré en tant qu'établissement secondaire au RCS en 1998.
Conformément à la demande de M. [U] [B] et infirmant le jugement sur ce point , il y a lieu de juger qu'il est titulaire d'un bail commercial relatif à ce fonds de commerce à compter du 1er novembre 2015.
La cour fait droit également à la demande de M. [U] [B] de dire que la clause suivante, issue de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, est réputée non écrite : 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce'
3-les demandes de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation de la délibération du 28 juin 2020 du conseil municipal de la commune de [Localité 8] et des cinq conventions d'occupation précaire
Tout d'abord, concernant la demande d'annulation de la délibération du 28 juin 2020 du conseil général de la commune de [Localité 8], la cour ne saurait faire droit à une telle demande, M. [U] [B] ne produisant pas la délibération critiquée.
Seul un projet de délibération est produit, ce qui n'est pas pareil.Le projet indique que Monsieur le Maire de la commune de [Localité 8] propose au conseil municipal de bien vouloir approuver le choix d'attribuer au candidat Chic By le [Adresse 7], l'autorisation d'occupation temporaire du restaurant la buvette, pour une durée de 6 ans, à compter du 1er novembre 2020 jusqu'au 30 octobre 2026.
En outre, alors que cette délibération dont l'annulation est demandée par M. [U] [B], concernerait également le candidat Chic By le [Adresse 7] (représenté par M. [F] [X] et par M. [D] [I]), cette dernière n'a jamais été mise en cause dans le cadre cette procédure.
La cour rejette la demande de M. [U] [B] d'annulation et en inopposabilité de la délibération du 28 juin 2020 du conseil municipal de la commune de [Localité 8].
Ensuite, concernant l'action de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation des cinq conventions d'occupation précaires, la commune de [Localité 8] oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale édictée à l'article L 145-60 du code de commerce précédemment reproduit.
M. [U] [B] ne contestant pas que la prescription biennale est applicable à ses actions en annulation et en inopposabilité des cinq conventions d'occupation précaire, la cour est tenue de se prononcer, sur la recevabilité , au regard de ce délai particulier de deux années.
S'agissant de la dernière convention d'occupation précaire, conclue le 30 octobre 2015 (et qui a été requalifiée en un bail commercial), la cour a d'ores et déjà estimé qu'aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale ne pouvait être opposée à M. [U] [B], compte tenu de la fraude commise par la commune de [Localité 8], qui a suspendu le délai de prescription, jusqu'au 1er novembre 2020.
L'action en annulation et en inopposabilité de M. [U] [B] est donc recevable, concernant la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015. Néanmoins, sur le fond, une telle convention n'est ni nulle, ni inopposable, ayant seulement été précédemment requalifiée , par la cour, en un bail commercial à compter du 1er novembre 2015.
La cour rejette donc la demande de M. [U] [B] en annulation et en inopposabilité de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, laquelle est seulement requalifiée en un bail commercial à effet du 1er novembre de la même année.
S'agissant de la recevabilité des demandes de M. [U] [B], en annulation et en inopposabilité des conventions d'occupation précaires des 12 mars 1998 (convention expirée le 1er avril 2004) 8 mars 2004 (expirée le 1er avril 2010), 31 mars 2010 (expirée le 1er avril 2017), 29 octobre 2010 (expirée le 1er novembre 2015), la fraude commise par la commune de [Localité 8] a suspendu la prescription biennale pendant la durée de chaque convention, soit durant le temps de la simulation contestée.
Au moment de l'assignation en annulation et en inopposabilité de M. [U] [B], datant du 20 octobre 2020, la prescription biennale était donc acquise pour toutes les conventions d'occupation précaire antérieures à celle du 30 octobre 2015.
La cour déclare donc irrecevables les demandes de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation des conventions d'occupation précaires, conclues avec la commune de [Localité 8], antérieures à celle du 30 octobre 2015 (conventions conclues les 12 mars 1998, 8 mars 2004, 31 mars 2020, 29 octobre 2010, 1er novembre 2015).
4-sur la demande de M. [U] [B] d'expertise judiciaire
Selon l'article 144 du code de procédure civile :Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.
L'Article 146 du même code ajoute :Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
M. [U] [B] sollicite le bénéfice d'une mesure d'expertise judiciaire pour l'évaluation du préjudice subi du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce, affirmant que les opérations de modification et de destruction des lieux loués par la commune de [Localité 8] ont été attentatoires à son droit de propriété.
Cependant, la cour dispose de suffisamment d'éléments pour statuer, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire, l'appelant versant d'ailleurs aux débats un procès-verbal de constat d'huissier de justice et ayant été en mesure de chiffrer son préjudice.
La cour rejette la demande de M. [U] [B] d'expertise aux fins d'évaluation du préjudice subi du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce.
5-sur les demandes indemnitaires de [U] [B]
5-1 sur la demande de dommages-intérêts pour atteinte au droit de propriété sur le fonds de commerce
Vu l'article 1147 ancien du code civil,
Vu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 544 du code civil,
M. [U] [B] sollicite une indemnité de 500 000 euros, à titre provisionnel, en réparation du préjudice subi à raison de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce. Il fait valoir qu'à la suite de son départ de son établissement, sa propriété commerciale a été modifiée en profondeur et détruite sans attendre les décisions judiciaires.
La commune de [Localité 8] s'oppose à toute indemnisation au titre de la prétendue destruction de l'établissement de M. [U] [B], précisant que ce dernier ne disposait d'aucun fonds de commerce, qu'il n'a pas été contraint de fermer temporairement son établissement étant donné que la dernière convention d'occupation temporaire a expiré le 30 octobre 2020.
En l'espèce, la cour a reconnu que M. [U] [B] avait le droit à un bail commercial, avec la commune de [Localité 8], depuis le 1er novembre 2015.
En outre, la commune de [Localité 8] ne conteste pas qu'il a été procédé à des travaux ayant affecté le fonds de commerce de M. [U] [B], étant précisé que ce dernier produit un constat d'huissier de justice des 10 février, 8 et 31 mars 2021, démontrant la réalité desdits travaux.
S'agissant de l'incidence des travaux sur les locaux anciennement loués à M. [U] [B] et sur son fonds de commerce, le constat d'huissier de justice, produit par ce dernier, met toutefois seulement en évidence que :
- la construction est en travaux et le bâtiment est entouré par une palissade,
- le mur nord, élevé le long du sentier des douaniers, a été enduit,
- une porte a été posée,
- des tuiles d'aspect neuf sont posées à l'extrémité de la toiture nord et à l'extrémité de l'angle nord-ouest.
Cette pièce ne démontre cependant pas en quoi la valeur du fonds de commerce du preneur aurait été altérée par les travaux réalisés, qui étaient seulement destinés à améliorer les lieux loués (notamment la pose de tuiles à l'aspect neuf et un mur enduit).
En outre, la « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial protégée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce.
Ainsi, l'atteinte alléguée par M. [U] [B] n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1er précité, qui ne s'applique pas lorsqu'est en cause, non pas le droit au renouvellement du bail commercial, mais, comme en l'espèce, la réalisation de travaux non consentis sur les lieux loués.
La cour rejette la demande indemnitaire de M. [U] [B] au titre de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce.
5-2 sur la demande de dommages-intérêts pour manque à gagner
5-2-1-sur la recevabilité de la demande indemnitaire pour manque à gagner
- sur la recevabilité au regard du caractère nouveau de la demande
Selon l'article 564 du code de procédure civile :A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 ajoute :Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
L'article 566 énonce enfin :Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
M. [U] [B] sollicite la condamnation de la commune de [Localité 8] à lui verser une indemnité de 1.550.041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
L'appelant estime que ses demandes indemnitaires sont bien recevables même si elles sont nouvelles à hauteur d'appel, soutenant qu'il était en droit d'ajouter à ses prétentions de première instance, « les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire » en application de l'article 566 du code de procédure civile, précédemment reproduit.
L'appelant ajoute que ces demandes sont d'autant plus recevables qu'elles s'appuient sur la révélation d'un fait postérieur au jugement critiqué, portant sur la réparation d'un manque à gagner se rapportant à une période postérieure au jugement de première instance du 16 août 2021.
L'intimée soutient que les demandes indemnitaires de l'appelant sont irrecevables, s'agissant de demandes nouvelles qui n'avaient pas été formulées en première instance. La commune intimée précise que M. [U] [B] est informé depuis au moins le 9 septembre 2020 que la candidature de la société Cap d'Aglio n'avait pas été retenue pour la passation d'une nouvelle convention d'occupation précaire et qu'en conséquence, il n'exploiterait plus le cabanon.
En l'espèce, les demandes de dommages-intérêts de M. [U] [B], d'un manque à gagner, pour les années 2022, 2023, 2024, sont effectivement nouvelles, n'ayant pas été formulées en première instance.
Toutefois, d'une part, M. [U] [B] avait déjà présenté des demandes indemnitaires,en première instance, puisqu'il sollicitait alors une somme de 500 000 euros de dommages-intérêts provisionnels en réparation du préjudice subi du fait de la destruction de sa propriété commerciale.
En ajoutant de nouvelles demandes indemnitaires à hauteur d'appel, tout en invoquant un préjudice différent (un manque à gagner), l'appelant présente en réalité une demande tendant aux mêmes fins qu'en première instance (au sens de l'article 565 du code de procédure civile), à savoir l'indemnisation complète de son préjudice en lien avec la faute commise par la commune de [Localité 8] (laquelle a mis un terme à la dernière convention d'occupation précaire et ne lui a pas permis de bénéficier d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015).
En outre, ces nouvelles demandes indemnitaires présentées à hauteur d'appel, s'appuient sur des faits révélés postérieurement au jugement critiqué prononcé le 16 août 2021, à savoir un manque à gagner pour les années 2022, 2023, 2024.
La cour écarte les fins non-recevoir, soulevées par la commune de [Localité 8], tirées du caractère nouveau des demandes indemnitaires de l'appelant, au titre d'un manque à gagner pour les années 2022, 2023, 2024.
- sur la recevabilité au regard des articles 910-4 et 915-2 du code de procédure civile
Selon l'article 910-4 du code de procédure civile :A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 915-2 du même code, invoqué par les parties, n'est pas en l'espèce applicable. En effet, lesdites dispositions entrent en vigueur le 1er septembre 2024. Elles sont uniquement applicables aux instances d'appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d'appel à la suite d'un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date.
Toujours pour voir déclarer irrecevable la demande indemnitaire de M. [U] [B], à hauteur de 1 550 041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023, 2024, l'intimée invoque les articles 910-4 et 915-2 du code de procédure civile, faisant valoir :
- la demande de condamnation à la somme de 1 033 360,80 euros a été présentée pour la première fois par voie de conclusions le 18 avril 2023 c'est à dire postérieurement aux premières conclusions d'appelant du 10 décembre 2021,
- l'appelant ne peut soutenir que cette prétention est répliquée à destiner aux prétentions de l'intimée, ni qu'elle se rapporte à une postérieure à ses premières conclusions d'appelant, s'agissant d'un artifice destiné à contourner l'irrecevabilité de ses prétentions,
- M. [U] [B] est informé depuis au moins le 9 septembre 2020 que la candidature de la société Cap d'Aglio n'a pas été retenue pour la passation d'une nouvelle convention d'occupation précaire et qu'en conséquence, il n'exploiterait plus le cabanon,
- ce fait n'est pas survenu postérieurement à ses premières conclusions d'appelant du 10 décembre 2021.
Pour s'opposer à la fin de non-recevoir opposée par l'intimée, tirée de la violation de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'appelant rétorque que l'article 915-2 dernier alinéa du code de procédure civile prévoit que demeurent recevables les prétentions destinées à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de la révélation d'un fait nouveau. M. [U] [B] ajoute qu'il ne pouvait pas se prévaloir, au stade de ses premières conclusions de décembre 2021, d'un préjudice subi postérieurement à celles-ci sur les années 2022, 2023, 2024.
En l'espèce, il est exact que dans ses premières conclusions d'appelant, notifiées le 10 décembre 2021, à l'intimée, l'appelant n'avait pas encore présenté une demande de dommages-intérêts en lien avec un manque à gagner, s'étant limité à une demande indemnitaire pour 'destruction de sa propriété commerciale à parfaire au vu du rapport d'expertise'.
Ce n'est que dans des conclusions d'appelant, notifiées le 18 avril 2023, à l'intimée, que M [U] [B] a présenté, pour la première fois, une demande indemnitaire fondée sur un manque à gagner au titre des années 2022 et 2023.
Toutefois, c'est à juste titre que l'appelant fait valoir que cette demande indemnitaire, qui repose sur un fait révéré postérieurement aux premières conclusions est recevable, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, précédemment reproduit, en sa version applicable. .
La cour écarte la fin de non-recevoir, soulevées par la commune de [Localité 8], tirée de la violation des règles édictées aux articles 910-4 et 915-2 du code de procédure civile.
En conséquence, la cour déclare recevables les demandes indemnitaires de M. [U] [B] fondées sur un manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
5-2-2 sur le bien-fondé de la demande en réparation d'un manque à gagner
M.. [U] [B] sollicite la condamnation de la commune de [Localité 8] à lui verser une indemnité de 1.550.041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
Au soutien de cette demande, l'appelant précise :
- du fait de son départ des lieux loués, il a dû supporter des coûts indus, à savoir des coûts de services comptables et juridiques pour apprécier la faisabilité du maintien des contrats de travail des salariés le temps de la procédure actuellement pendante, des coûts de personnel mobilisés pour évacuer les biens de l'établissement, des coûts de transport, de stockage de marchandise importants,
- cela fait près de 4 ans qu'il est privé du droit d'exploiter son établissement, ce qui le conduit à être privé du chiffre d'affaires de l'entreprise qu'il a dirigée pendant plus de 20 ans.,
- entre 2015 et 2020, son établissement réalisait chaque années un chiffre d'affaires annuel moyen de près de 727 426 euros et une marge brute moyenne de 516 680,40 euros,
- il est donc raisonnable et cohérent de retenir un manque à gagner, pour lui, sur trois exercices, soit sur les années 2022, 2023 et 2024, une marge brute de 1 550 041, 20 euros.
En l'espèce, le préjudice subi par M. [U] [B] est en lien avec le fait que la dernière convention d'occupation précaire a expiré le 1er novembre 2020 alors qu'il aurait dû bénéficier d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015 d'une durée minimale de 9 années.
M. [U] [B] aurait donc pu continuer à exploiter son établissement et percevoir des bénéfices, au-delà du terme de la convention d'occupation précaire (1er novembre 2015) s'il avait bénéficié du bail commercial auquel il avait droit, ce qui n'a pas été le cas.
De plus, pour évaluer le préjudice subi par l'appelant, la cour est tenue de se prononcer au regard de celui invoqué par ce dernier, soit strictement le manque à gagner allégué.
Par ailleurs, l'indemnité qui sera accordée par la cour, au titre du manque à gagner, ne peut concerner que la seule période qui aurait été couverte par le bail commercial reconnu, soit en théorie : 2022, 2023 outre la période ayant couru de janvier 2024 au 1er novembre 2024.
S'agissant du manque à gagner, la cour observe d'abord que c'est la société en participation '[U] et [P] [B]' qui a conclu la dernière convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 (requalifiée en un bail commercial), de sorte qu'il y a lieu de considérer, à défaut d'explications sur ce point, que les bénéfices auraient été partagés entre l'appelant et son associé.
M [U] [B] ne peut donc venir réclamer que sa seule part de bénéfices dont il a fautivement été privé. Il produit une attestation du 28 mars 2023, de l'expert-comptable de la société en participation '[U] et [P] [B]', dont il résulte que, entre les années 2015 et 2020, les marges brutes réalisées ont été les suivantes :
- 531 017 euros en 2015,
- 550 953 euros en 2016,
- 526 381 euros en 2017,
- 524 179 euros en 2018,
- 521 685 euros en 2019,
- 460 204 euros en 2020.
Au regard de l'ensemble des pièces produites de part et d'autres et des débats, une indemnité de 208 000 euros réparera entièrement le préjudice en lien avec le manque à gagner subi par M. [U] [B], étant précisé que ce manque à gagner diffère de la marge brute.
La cour condamne la commune de [Localité 8] à payer à M. [U] [B] la somme de 208.000 euros au titre du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
6-sur les frais du procès
Au regard de la solution apportée au litige, la cour infirme le jugement en ce qu'il condamne M. [U] [B] aux dépens et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau, la cour condamne la commune de [Localité 8] aux entiers dépens exposés M. [U] [B] (en première instance et à hauteur d'appel) ainsi qu'à payer au même une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel)
La commune de [Localité 8] est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera la charge de ses entiers dépens exposés en première instance et à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement :
- infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il dit que M. [U] [B] a intérêt à agir et sauf en ce qu'il dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 2015 entre la commune de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation, n'est pas nulle,
statuant à nouveau et y ajoutant,
- rejette la demande de M. [U] [B] d'annulation et en inopposabilité de la délibération du 28 juin 2020 du conseil municipal de la commune de [Localité 8] :
- rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale, opposée par la commune de [Localité 8], à l'action de M. [U] [B] en requalification de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 en un bail commercial.
- déclare recevable l'action de M. [U] [B] en requalification de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 en un bail commercial.
- dit que M. [U] [B] est titulaire d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015 sur le cabanon de la [Adresse 17] au lieu-dit [Adresse 17] Parcelle AE [Cadastre 4],
- dit que la clause suivante, issue de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, est réputée non écrite : 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce'
- déclare recevable l'action en annulation et en inopposabilité de M. [U] [B] concernant la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015,
- rejette la demande de M. [U] [B] en annulation et en inopposabilité de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, laquelle est seulement requalifiée en un bail commercial à effet du 1er novembre de la même année,
- déclare irrecevables les demandes de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation des conventions d'occupation précaires, conclues avec la commune de [Localité 8], antérieures à celle du 30 octobre 2015 (conventions conclues les 12 mars 1998, 8 mars 2004, 31 mars 2020, 29 octobre 2010, 1er novembre 2015),
- rejette la demande de M. [U] [B] d'expertise aux fins d'évaluation du préjudice subi du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce,
- rejette la demande indemnitaire de M. [U] [B] au titre de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce,
- déclare recevable la demande indemnitaire de M. [U] [B] fondées sur un manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
- condamne la commune de [Localité 8] à payer à M. [U] [B] la somme de 208 000 euros au titre du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024,
- rejette les demandes de la commune de [Localité 8] au titre de l'article 700 et des dépens,
- condamne la commune de [Localité 8] à payer à M. [U] [B] une une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel).
Le Greffier, La Présidente,
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 21/13236 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BICX4
[U] [B]
C/
- COMMUNE DE [Localité 8]
Copie exécutoire délivrée
le : 18 Septembre 2025
à :
Me Philippe-laurent SIDER
Me Sandra JUSTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 15] en date du 16 Août 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 20/03652.
APPELANT
Monsieur [U] [B]
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 14] (84), demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Bruno BERKROUBER de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
COMMUNE DE [Localité 8]
représentée par son Maire en exercice
, demeurant [Adresse 11]
représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Narriman KATTINEH-BORGNAT, avocat au barreau de NICE
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COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller Rapporteur,
et Madame Gaëlle MARTIN, conseiller- rapporteur,
chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
La commune de [Localité 9] est propriétaire d'un bien immobilier, exploité en tant que restaurant à l'enseigne 'le Cabanon' , situé [Adresse 6] à [Localité 2], comportant un local d'une surface d'environ 30 m2, relevant du domaine privé de la commune.
M. [U] [B] a exploité le restaurant le Cabanon dans le cadre de contrats successifs conclus avec la commune de [Localité 8], contrats dont la nature exacte est aujourd'hui discutée.
Plusieurs conventions d'occupation ont ainsi été conclues entre la commune de [Localité 8] et M. [U] [B]:
- le 12 mars 1998 une première convention dite « convention d'occupation du cabanon de la Pointe des Douaniers au lieu-dit [Adresse 16] Douaniers Parcelle AE [Cadastre 4] », entre la commune et M.[R] [B] (frère de M. [U] [B]) et Mme [V] [E] aux termes de laquelle la commune a consenti à ses cocontractants le droit d'exploiter le Cabanon pour une durée de 6 ans à compter du 1 er avril 1998 moyennant une redevance de 38 400 francs par an,
- le 8 mars 2004 une deuxième convention dite « convention d'occupation du cabanon de la Pointe des Douaniers au lieu-dit [Adresse 16] Douaniers Parcelle AE [Cadastre 4] » entre la commune de [Localité 8] le 5 avril 2004 et Messieurs [R] et [U] [B] pour une durée de 6 ans moyennant une redevance de 10 000 euros par an,
- le 31 mars 2010 une troisième convention, dite « Convention d'occupation précaire du cabanon de la Pointe des Douaniers au lieu-dit [Adresse 17] » entre la commune de [Localité 8] et Messieurs [R] et [U] [B] pour une durée de 7 mois moyennant une redevance de 30.000 euros. La convention stipule aussi 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce ni d'un droit au bail',
- le 29 octobre 2010, une quatrième convention dite « convention d'occupation précaire du cabanon de la [Adresse 17] au lieu-dit [Adresse 17] », entre la commune de [Localité 8] et Messieurs [R] et [U] [B], autorisant ces derniers à exploiter le bien sous forme de buvette et de restauration, pour une durée de 5 ans, moyennant une redevance annuelle de 45 000 euros. La convention stipule aussi 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce ni d'un droit au bail',
- le 8 octobre 2015, une cinquième et dernière convention, dite « Convention d'occupation précaire du cabanon de la [Adresse 17] au lieu-dit [Adresse 17] », entre la commune de [Localité 8] et la société en participation [U] et [P] [B], à effet du 1er novembre 2015, autorisant ladite société à exploiter le Cabanon pour une durée de 5 ans supplémentaire à compter du 1 er novembre 2015 moyennant une redevance annuelle de 48 000 euros. La convention stipule aussi 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce'.
Il est allégué par M. [U] [B], que, par délibération du 28 septembre 2020, le conseil municipal de la commune de [Localité 8], a approuvé la décision de M. le Maire [W] [H], d'attribuer, à la suite d'un appel d'offres publié le 14 mai 2020, l'occupation du restaurant le Cabanon à la société en cours de constitution Chic By Le Cabanon à partir du 1 er novembre 2020, pour une durée de 6 ans, jusqu'au 30 octobre 2016.
Il était mis un terme à l'exploitation des lieux par M.[U] [B].
Par courrier daté du 5 octobre 2020 réceptionné le 9 octobre 2020, l'avocat de M. [U] [B] estimait que la délibération était inopposable à ce dernier, qui bénéficiait, selon lui, d'un bail commercial produisant ses effets jusqu'au 1er novembre 2024 au minimum. L'avocat indiquait que la commune avait sciemment usé de conventions d'occupation précaires pour tromper son client alors qu'il aurait pu bénéficier d'un bail commercial, précisant que lesdites conventions devaient être requalifiées en baux commerciaux. L'avocat précisait que non seulement les redevances prévues par les conventions d'occupation précaire n'avaient rien de modique et atteignaient le montant de vrais loyers, mais encore que la commune de [Localité 8] ne justifiait aucunement de l'existence d'éléments précaires justifiant le recours à de telles conventions.
La commune de [Localité 10] restait silencieuse.
Par acte d'huissier de justice du 20 octobre 2020, M. [U] [B] faisait assigner la commune de Cap d'Ail devant le tribunal judiciaire de Nice en inopposabilité de toutes les conventions d'occupation précaire et en annulation de la dernière convention d'occupation précaire du 8 octobre 2015, invoquant une fraude commise par la commune, qui aurait souhaité contourner le statut des baux commerciaux.
Dans ses dernières conclusions prises devant le premier juge, M. [U] [B] demandait aussi la reconnaissance d'un bail commercial depuis le 1er novembre 2015 sur son fonds de commerce.
Par jugement du 16 août 2021, le tribunal judiciaire de Nice se prononçait en ces termes :
- dit que M.[U] [B] a intérêt à agir ;
- dit qu'en l'absence de preuve d'une fraude, l'action en requalification en bail commercial engagée par M. [U] [B] le 20 octobre 2020 est atteinte par la prescription biennale ;
- dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 201 5 entre la commune de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation, n'est pas nulle ;
- déboute M. [U] [B] de l'ensemble de ses demandes ;
- dit n'y avoir lieu a article 700 du code de procédure civile ;
- condamne M. [U] [B] aux dépens de l'instance.
Pour juger irrecevable, comme prescrite, l'action de M. [U] [B] en requalification en bail commercial, les premiers juges retenaient que le requérant ne démontrait pas la fraude commise par la commune de [Localité 8], que le délai de la prescription biennale n'était donc pas suspendu, que la dernière convention litigieuse avait été signée le 30 octobre 2015 pour une durée de 5 ans à compter du 1er novembre de la même année, que l'action était donc prescrite depuis le 1er novembre 2017.
M. [U] [B] a formé un appel le 14 septembre 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 mai 2025.
CONCLUSIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2025, M. [U] [B] demande à la cour de :
Vu le principe selon lequel la fraude corrompt tout, les articles L.145-4 et suivants du code de commerce, 565 et 566 du code de procédure civile, 915-2 al 3 du code de procédure civile,les conventions successives des 12 mars 1998, 5 avril 2004, 31 mars 2010, 1er novembre 2010, et 30 octobre 2015,
- réformer le jugement du 16 août 2021 du tribunal judiciaire de Nice en ce qu'il a :
- dit qu'en l'absence de preuve d'une fraude, l'action en requalification en bail commercial engagée par M. [U] [B] le 20 octobre 2020 est atteinte par la prescription biennale,
- dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 2015 entre la commune
de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation n'est pas nulle,
- débouté M. [U] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu a` article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [U] [B] aux dépens de l'instance.
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a :
- dit que M. [U] [B] a intérêt à agir,
et statuant à nouveau :
- juger M. [U] [B] recevable et bien fondé en ses demandes ;
- débouter la commune de [Localité 8] de ses demandes ;
sur la qualification de bail commercial
- juger que M. [U] [B] a été victime d'une fraude commise par la commune de [Localité 8] à raison de la conclusion des cinq conventions d'occupation précaire conclues les 12 mars 1998, 5 avril 2004, 31 mars 2010, 1er novembre 2010, et 30 octobre 2015 pour l'exploitation du restaurant le Cabanon ;
- juger que la fraude suspend la prescription biennale relative à l'action en qualification de bail commercial ;
- juger que les cinq conventions d'occupation précaire conclues, comme la délibération du 28 juin 2020 du Conseil général de la commune de [Localité 8] sont inopposables, sinon nulles, à raison de la fraude commise ;
- juger que M. [U] [B] est titulaire d'un bail commercial relatif à ce fonds de commerce à compter du 1er novembre 2015 ;
sur le fonds de commerce de M. [U] [B]
- juger que les clauses de renonciation à la propriété commerciale présentes dans les conventions conclues par M. [U] [B] sont réputées non écrites ;
- juger que M. [U] [B] est propriétaire du fonds de commerce le Cabanon situé AE118 commune de [Adresse 13] [Localité 3] ;
- juger que les opérations de modification et de destruction du Cabanon par la commune de [Localité 8] sont attentatoires au droit de propriété de M. [U] [B] et obligent La commune à réparer le préjudice en résultant ;
- désigner, avant dire droit, tout expert aux fins d'évaluation du préjudice subi par M. [B] du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce ;
sur les mesures réparatrices financières
- condamner la commune [Localité 8] à verser à M. [U] [B] la somme de 1.550.041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024 ;
- condamner la commune de [Localité 8] à verser à M. [U] [B] la somme de 500.000 euros à titre provisionnel en réparation du préjudice subi à raison de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce, à parfaire au vu du rapport d'expertise ;
sur les frais irrépétibles
- condamner la commune de [Localité 8] à verser à M. [U] [B] la somme de 35.000 euros au titre dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la commune de [Localité 8] aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 mai 2025, la commune de [Localité 8] demande à la cour de :
vu les articles 122 du code de procédure civile,564 du code de procédure civile,910-4 du code de procédure civile, 915-2 du code de procédure civile, L. 145-60 du code de commerce,31 du code de procédure civile, 1871, al. 1du code civil,L. 145-2-ll du code de commerce, 2224 du code civil, L. 2221-1 du CGEP,
- juger irrecevable la demande tendant à la condamnation de la commune de [Localité 8] à la somme de 1.550 041, 20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023, 2024,
à titre principal,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- juger que la succession des conventions d'occupation précaire n'est pas constitutive de fraude,
- juger que l'action engagée par M.[U] [B] tendant à lui voir reconnaître un bail commercial est atteinte par la prescription biennale,
- juger en tout état de cause que l'action de M. [U] [B] tendant à voir prononcer la nullité de la convention du 30 octobre 2015 et des conventions antérieures est atteinte par la prescription,
- le débouter de l'intégralité de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire,
- juger que la convention du 30 octobre 2015 n'est pas un bail commercial,
- débouter en conséquence M.[U] [B] de sa demande tendant à lui voir reconnaître le bénéfice du statut des baux commerciaux à compter du 18' novembre 2015,
- le débouter en conséquence de sa demande de désignation d'un expert en vue d'évaluer son prétendu préjudice,
- débouter M. [U] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
en tout état de cause,
- débouter M. [U] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner à la somme de 8000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
En l'absence de demande par l'intimée d'infirmation du jugement sur ce point et compte tenu de la demande en ce sens de l'appelant, la cour confirme d'abord le jugement en ce qu'il dit que M. [U] [B] a intérêt à agir.
Ensuite, compte tenu de la demande de confirmation du jugement sur ce point et en l'absence d'opposition de l'appelant, la cour confirme le jugement, en ce qu'il dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 2015 entre la commune de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation, n'est pas nulle.
1-sur la recevabilité de la demande de M. [U] [B] de requalification du bail précaire du 8 octobre 2015, à effet du 1er novembre 2015, en bail commercial
Selon l'article L145-5-1 du code de commerce :N'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties.
L'article L145-60 du même code ajoute : Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans.
Au soutien de son action en requalification de la convention d'occupation précaire du 8 octobre 2015, à effet du 1er novembre de la même année, en bail commercial à compter de cette même date, M. [U] [B] soutient que la propriétaire des lieux a délibérément recouru, pendant plus de 20 ans, au régime juridique de la convention d'occupation précaire pour évincer la règle du bail commercial protectrice des intérêts du preneur, se rendant ainsi responsable d'une fraude à ses droits.
M. [U] [B] ajoute que cette fraude de la commune de [Localité 8] est établie tant dans son élément matériel qu'intentionnel. Sur l'élément matériel de la fraude, M. [U] [B] expose que la précarité de la convention résulte de la propre volonté de la commune bailleresse et non de circonstances objectives extérieures indépendantes.
Sur l'élément intentionnel de la fraude à ses droits, M. [U] [B] prétend que la commune de [Localité 8] a voulu contourner le bail commercial, pour éviter de lui faire bénéficier du régime juridique protecteur du bail commercial et également pour protéger son intérêt financier en augmentant exceptionnellement les montants des loyers entre 1998 et 2020.
Enfin, pour dire que son action en requalification de la convention d 'occupation précaire du 1er novembre 2015 en bail commercial à compter de cette même date, n'est pas atteinte par la prescription biennale et est donc recevable, M. [U] [B] affirme :
- si effectivement en vertu de l'article L145-60 du code de commerce, les actions relatives aux baux commerciaux se prescrivent par deux ans, il en va autrement en cas de fraude,
- en cas de fraude, la prescription biennale est suspendue pendant la durée du contrat concerné,
- en l'espèce, il a bien subi une fraude commise par la commune du [Localité 8], qui l'a trompé pendant 22 ans,
- la bailleresse ne lui a jamais révélé le caractère privé du domaine du terrain sur lequel sont érigés les locaux,
- elle a notamment organisé des appels d'offres spécifiques au domaine public,
- ayant cru qu'il occupait le domaine public de la commune, il ne pouvait revendiquer l'application du statut des baux commerciaux, un tel statut étant prohibé sur le domaine public,
- la bailleresse a usé de man'uvres pour contourner le régime du bail commercial.
Pour dire que l'action de M. [U] [B], en requalification de la convention d'occupation précaire du 1er novembre 2015 en bail commercial est atteinte par la prescription biennale et est donc irrecevable, la commune de [Localité 8] soutient que :
- la demande qui tend à la reconnaissance du statut des baux commerciaux est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code commerce,
- le point de départ du délai de prescription biennale applicable à l'action en requalification de la convention d'occupation précaire en bail commercial est la conclusion du contrat,
- l'action en requalification de M. [U] [B] concerne une convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 à effet du 1er novembre 2015,
- le délai de la prescription biennale a commencé à courir le 18 novembre 2015 pour expirer deux années plus tard, le 18 novembre 2017,
- l'assignation introductive d'instance de M. [U] [B], délivrée le 21 octobre 2020 est tardive.
Pour dire ensuite que le délai de la prescription biennale n'a pas été suspendu et qu'elle n'a commis aucune fraude au statut des baux commerciaux, la commune de [Localité 8] soutient qu'il ne peut lui être imputé aucune ambiguïté frauduleuse sur la signature de ces conventions d'occupation précaire, précisant en ces sens :
- la convention précaire signée le 30 octobre 2015 décrit, en son article18, que l'occupation précaire a pour objet l'exploitation du Cabanon de la pointe des douaniers sous forme de buvette et restaurant,
- l'article II ajoute que cette occupation est consentie pour une duré de 5 ans à compter du 18 novembre 2015 sans possibilité de tacite reconduction à compter de sa signature,
- l'article III stipule que cette occupation ne donne pas lieu à création d'un fonds de commerce,
- l'argumentation de l'appelante sur la prétendue illicéité du recours à des appels d'offre spécifiques du domaine public, qui l'auraient trompé, sont totalement fantaisistes,
- aucune disposition légale n'interdit à une collectivité de recourir à une mise en concurrence pour la gestion de son domaine privé.
Il est de principe que l'action tendant à la requalification d'un contrat en bail commercial est soumise au délai de prescription biennal de l'article'L.'145-60 du code de commerce, lequel peut être néanmoins suspendu par l'effet de la fraude commise dans le but d'éluder le statut des baux commerciaux.
De plus, la précarité de la convention d'occupation ne saurait résulter de la seule volonté des parties d'éluder l'application du statut des baux commerciaux. Elle doit être justifiée par des motifs sérieux et légitimes résultant souvent de circonstances particulières
L'appelant exerce une action en requalification, en un bail commercial, de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, à effet du 1er novembre de la même année.
Le délai de la prescription biennale expirait donc normalement le 30 octobre 2017, sauf si, comme le soutient l'appelant, la commune de [Localité 8] a commis une fraude, qui aurait suspendu le délai de la prescription pendant toute la durée de la convention critiquée (soit jusqu'au 1er novembre 2020).
En l'espèce, la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 ne mentionne pas son motif de recours. Ensuite, la bailleresse allègue, sans plus de précisions, que la précarité de l'occupation de M. [U] [B] est liée à un arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique du 24 février 1962 visé par une délibération du 27 février 1962.
Toutefois, les pièces produites par l'intimée ne sont pas suffisamment précises pour justifier de circonstance particulière de nature à caractériser une précarité d'occupation exclusive du statut des baux commerciaux.
L'arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique n'est pas produit. Il n'est donc pas possible de vérifier son existence et son contenu, ni en tout état de cause, s'il concerne bien les lieux loués.
Ensuite, s'il est produit, par la commune de [Localité 8], un extrait d'une délibération du conseil municipal, datant du 16 novembre 1950, qui fait état de 'l'acquisition du terrain de la pointe des douaniers' par la commune, ce document évoque seulement une demande faite à M. Le Préfet de vouloir 'bien déclarer l'utilité publique de cette acquisition'.
La commune de [Localité 8] verse aussi aux débats un extrait d'une autre délibération du conseil municipal, datant du 28 décembre 1961, évoquant, sans davantage de précisions, le 'terrain de la pointe des douaniers' et énonçant : 'Par arrêté de M. Le Préfet des Alpes Maritimes en date du 24 février 1961, l'acquisition du terrain de [Localité 12] [Adresse 17] en vue de la création d'un terrain d'éducation physique scolaire a été déclarée d'utilité publique'.
Il résulte seulement de ces deux documents versés aux débats par l'appelant que la commune de [Localité 8] a pu faire l'acquisition, suite à un arrêté préfectoral de déclaration d'utilité publique, du terrain de [Localité 12] [Adresse 17].
Ces documents ne démontrent pour autant pas la nécessité d'accorder une occupation précaire à M. [U] [B] et l'impossibilité d'un bail commercial sur les lieux, une fois l'acquisition du terrain réalisée par la commune.
La commune de [Localité 8] ne soutient pas, en particulier, que, une fois acquise la parcelle litigieuse suite à la déclaration d'utilité préfectorale, elle a été obligée de proposer une convention d'occupation précaire parce qu'il s'agissait , par exemple, d'une convention portant sur un immeuble destiné à disparaître ou d'une convention passée dans l'attente de l'expropriation de l'immeuble situé dans un périmètre spécial réglementé.
Si l'extrait de la délibération du conseil municipal du 28 décembre 1961 évoque un projet de création d'un terrain d'éducation physique scolaire, sur le terrain de [Adresse 13], il ne s'agissait que d'une simple déclaration d'intention, faite il y a plus de 60 ans, dont rien ne permet de dire qu'elle aurait été suivie d'actes juridiques ou de démarches concrètes depuis tout ce temps.
Au contraire, les lieux loués font l'objet de plusieurs conventions d'occupation temporaires successives depuis des décennies , dont la dernière au profit de la SARL Chic By le Cabanon, sans que la commune de [Localité 8] ne fournisse aucun élément venant démontrer que le terrain d'éducation physique sociale évoqué en 1961 aurait vu le jour.
Par ailleurs, si la commune intimée expose que, selon elle, les mentions de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 n'étaient pas ambiguës et permettaient au preneur de comprendre qu'il ne pouvait pas bénéficier du statut des baux commerciaux, cela ne signifie pas pour autant que la commune de [Localité 8] avait un motif sérieux et légitime de recourir à une telle convention.
Il convient en effet de rappeler que la précarité ne peut pas être uniquement subjective et qu'elle doit être justifiée, en plus de la volonté des parties, par des motifs sérieux et légitimes.
Par ailleurs, la fraude existe lorsque la volonté d'échapper au statut des baux commerciaux n'est justifiée par aucune circonstance de nature à caractériser une précarité d'occupation exclusive de ce statut.
Ainsi, en l'espèce, conformément à ce qui est soutenu par M. [U] [B], la fraude est bien caractérisée.
Compte tenu de la fraude commise concernant la conclusion de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, pour contourner le statut des baux commerciaux, c'est à juste titre que M. [U] [B] affirme que le délai de la prescription biennale, applicable à son action en requalification, a été suspendu jusqu'au terme de la convention d'occupation précaire le 1er novembre 2020.
Le délai de la prescription biennale ayant été suspendu, l'action de M. [U] [B], en requalification de la convention précaire du 30 octobre 2015,en un bail est commercial, initiée par acte d'huissier de justice du 20 octobre 2020, est recevable.
La cour rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale, opposée par la commune de [Localité 8], à l'action de M. [U] [B] en requalification de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 en un bail commercial.
Le jugement est infirmé à ce titre.
2-sur la demande de M. [U] [B] de dire qu'il est titulaire d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015 ;
Selon l'article L145-5 al 1 et 2 du code de commerce :Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de
cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il convient de rappeler que, au soutien de son action en requalification de la convention d'occupation précaire du 8 octobre 2015, à effet du 1er novembre de la même année, en bail commercial à compter de cette même date, M. [U] [B] soutient que la propriétaire des lieux a délibérément recouru, pendant plus de 20 ans, au régime juridique de la convention d'occupation précaire pour évincer la règle du bail commercial protectrice des intérêts du preneur, se rendant ainsi responsable d'une fraude à ses droits.
Il y a lieu de rappeler également que la commune de [Localité 8] soutient qu'elle n'a commis aucune fraude au statut des baux commerciaux, aucune ambiguïté frauduleuse sur la signature de ces conventions d'occupation précaire ne pouvant lui être reprochée. Elle précise également qu'elle a eu recours à la convention d'occupation précaire en raison d'une déclaration d'utilité publique préfectorale du 24 février 1962.
En l'espèce, il a d'ores et déjà été précédemment jugé que la commune de [Localité 8] ne rapportait pas la preuve de l'existence de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, à effet du 1er novembre suivant.La cour a également estimé qu'une fraude avait été commise par la commune de [Localité 8] dans le seul but de contrevenir aux dispositions d'ordre public du statut.
Ainsi, la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, à effet du 1er novembre suivant, était en réalité un bail dérogatoire à l'issue du quel le preneur a été laissé en possession du local. Cette convention d'occupation précaire frauduleuse était en effet d'une durée réelle de 5 ans, de sorte qu'à l'issue de la durée légale de 3 ans normalement prévue pour les baux dérogatoires, M. [U] [B] a bien été laissé en possession des locaux commerciaux.
A l'issue de ladite convention d'occupation précaire, qui s'analyse en réalité en un bail dérogatoire en l'absence de toute notion de précarité, M. [U] [B] a bénéficié d'un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux, conformément à l' article L. 145-5, alinéa 2, du code de commerce.
La commune de [Localité 8] estime que M. [U] [B], en ayant accepté de conclure plusieurs dérogatoires, après maintien en possession, aurait renoncé au statut des baux commerciaux.
Cependant, en l'espèce, il ne résulte pas suffisamment des pièces produites que M. [U] [B], aurait, sans ambiguïté, souhaité renoncer au statut des baux commerciaux. Il convient de rappeler qu'une fraude a été commise et que les conventions d'occupation précaires ont été conclues dans le seul but de contrevenir aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux. M. [U] [B] a donc été laissé dans l'ignorance de son droit à un tel statut et rien ne permet d'affirmer qu'il aurait conclu les conventions critiquées en connaissance du vice qui les affectait.
Concernant le point de départ de ce nouveau bail commercial, reconnu à l'appelant, la bailleresse ne critique, pas, à titre subsidiaire, la date mise en avant par le preneur, soit le 1er novembre 2015.
Si cette convention d'occupation précaire comprend la stipulation contractuelle particulière suivante : 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce', ladite clause ne peut empêcher l'appelant de bénéficier d'un bail commercial compte tenu de la fraude commise par la commune de [Localité 8].
Par ailleurs, cette clause, qui contrevient aux dispositions de l'article L 145-15 du code de commerce, en ce qu'elle fait échec au droit de renouvellement ou aux dispositions de l'article L 145-4 du code de commerce, sera réputée non écrite.
Enfin, la commune de Cap d'Ail ne conteste pas les allégations de M. [U] [B] selon lesquelles, d'une part, ce dernier est commerçant inscrit au registre du commerce et des sociétés de Nice depuis 1981, d'autre part, le restaurant le Cabanon est enregistré en tant qu'établissement secondaire au RCS en 1998.
Conformément à la demande de M. [U] [B] et infirmant le jugement sur ce point , il y a lieu de juger qu'il est titulaire d'un bail commercial relatif à ce fonds de commerce à compter du 1er novembre 2015.
La cour fait droit également à la demande de M. [U] [B] de dire que la clause suivante, issue de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, est réputée non écrite : 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce'
3-les demandes de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation de la délibération du 28 juin 2020 du conseil municipal de la commune de [Localité 8] et des cinq conventions d'occupation précaire
Tout d'abord, concernant la demande d'annulation de la délibération du 28 juin 2020 du conseil général de la commune de [Localité 8], la cour ne saurait faire droit à une telle demande, M. [U] [B] ne produisant pas la délibération critiquée.
Seul un projet de délibération est produit, ce qui n'est pas pareil.Le projet indique que Monsieur le Maire de la commune de [Localité 8] propose au conseil municipal de bien vouloir approuver le choix d'attribuer au candidat Chic By le [Adresse 7], l'autorisation d'occupation temporaire du restaurant la buvette, pour une durée de 6 ans, à compter du 1er novembre 2020 jusqu'au 30 octobre 2026.
En outre, alors que cette délibération dont l'annulation est demandée par M. [U] [B], concernerait également le candidat Chic By le [Adresse 7] (représenté par M. [F] [X] et par M. [D] [I]), cette dernière n'a jamais été mise en cause dans le cadre cette procédure.
La cour rejette la demande de M. [U] [B] d'annulation et en inopposabilité de la délibération du 28 juin 2020 du conseil municipal de la commune de [Localité 8].
Ensuite, concernant l'action de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation des cinq conventions d'occupation précaires, la commune de [Localité 8] oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale édictée à l'article L 145-60 du code de commerce précédemment reproduit.
M. [U] [B] ne contestant pas que la prescription biennale est applicable à ses actions en annulation et en inopposabilité des cinq conventions d'occupation précaire, la cour est tenue de se prononcer, sur la recevabilité , au regard de ce délai particulier de deux années.
S'agissant de la dernière convention d'occupation précaire, conclue le 30 octobre 2015 (et qui a été requalifiée en un bail commercial), la cour a d'ores et déjà estimé qu'aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale ne pouvait être opposée à M. [U] [B], compte tenu de la fraude commise par la commune de [Localité 8], qui a suspendu le délai de prescription, jusqu'au 1er novembre 2020.
L'action en annulation et en inopposabilité de M. [U] [B] est donc recevable, concernant la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015. Néanmoins, sur le fond, une telle convention n'est ni nulle, ni inopposable, ayant seulement été précédemment requalifiée , par la cour, en un bail commercial à compter du 1er novembre 2015.
La cour rejette donc la demande de M. [U] [B] en annulation et en inopposabilité de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, laquelle est seulement requalifiée en un bail commercial à effet du 1er novembre de la même année.
S'agissant de la recevabilité des demandes de M. [U] [B], en annulation et en inopposabilité des conventions d'occupation précaires des 12 mars 1998 (convention expirée le 1er avril 2004) 8 mars 2004 (expirée le 1er avril 2010), 31 mars 2010 (expirée le 1er avril 2017), 29 octobre 2010 (expirée le 1er novembre 2015), la fraude commise par la commune de [Localité 8] a suspendu la prescription biennale pendant la durée de chaque convention, soit durant le temps de la simulation contestée.
Au moment de l'assignation en annulation et en inopposabilité de M. [U] [B], datant du 20 octobre 2020, la prescription biennale était donc acquise pour toutes les conventions d'occupation précaire antérieures à celle du 30 octobre 2015.
La cour déclare donc irrecevables les demandes de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation des conventions d'occupation précaires, conclues avec la commune de [Localité 8], antérieures à celle du 30 octobre 2015 (conventions conclues les 12 mars 1998, 8 mars 2004, 31 mars 2020, 29 octobre 2010, 1er novembre 2015).
4-sur la demande de M. [U] [B] d'expertise judiciaire
Selon l'article 144 du code de procédure civile :Les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.
L'Article 146 du même code ajoute :Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
M. [U] [B] sollicite le bénéfice d'une mesure d'expertise judiciaire pour l'évaluation du préjudice subi du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce, affirmant que les opérations de modification et de destruction des lieux loués par la commune de [Localité 8] ont été attentatoires à son droit de propriété.
Cependant, la cour dispose de suffisamment d'éléments pour statuer, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire, l'appelant versant d'ailleurs aux débats un procès-verbal de constat d'huissier de justice et ayant été en mesure de chiffrer son préjudice.
La cour rejette la demande de M. [U] [B] d'expertise aux fins d'évaluation du préjudice subi du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce.
5-sur les demandes indemnitaires de [U] [B]
5-1 sur la demande de dommages-intérêts pour atteinte au droit de propriété sur le fonds de commerce
Vu l'article 1147 ancien du code civil,
Vu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 544 du code civil,
M. [U] [B] sollicite une indemnité de 500 000 euros, à titre provisionnel, en réparation du préjudice subi à raison de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce. Il fait valoir qu'à la suite de son départ de son établissement, sa propriété commerciale a été modifiée en profondeur et détruite sans attendre les décisions judiciaires.
La commune de [Localité 8] s'oppose à toute indemnisation au titre de la prétendue destruction de l'établissement de M. [U] [B], précisant que ce dernier ne disposait d'aucun fonds de commerce, qu'il n'a pas été contraint de fermer temporairement son établissement étant donné que la dernière convention d'occupation temporaire a expiré le 30 octobre 2020.
En l'espèce, la cour a reconnu que M. [U] [B] avait le droit à un bail commercial, avec la commune de [Localité 8], depuis le 1er novembre 2015.
En outre, la commune de [Localité 8] ne conteste pas qu'il a été procédé à des travaux ayant affecté le fonds de commerce de M. [U] [B], étant précisé que ce dernier produit un constat d'huissier de justice des 10 février, 8 et 31 mars 2021, démontrant la réalité desdits travaux.
S'agissant de l'incidence des travaux sur les locaux anciennement loués à M. [U] [B] et sur son fonds de commerce, le constat d'huissier de justice, produit par ce dernier, met toutefois seulement en évidence que :
- la construction est en travaux et le bâtiment est entouré par une palissade,
- le mur nord, élevé le long du sentier des douaniers, a été enduit,
- une porte a été posée,
- des tuiles d'aspect neuf sont posées à l'extrémité de la toiture nord et à l'extrémité de l'angle nord-ouest.
Cette pièce ne démontre cependant pas en quoi la valeur du fonds de commerce du preneur aurait été altérée par les travaux réalisés, qui étaient seulement destinés à améliorer les lieux loués (notamment la pose de tuiles à l'aspect neuf et un mur enduit).
En outre, la « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial protégée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce.
Ainsi, l'atteinte alléguée par M. [U] [B] n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1er précité, qui ne s'applique pas lorsqu'est en cause, non pas le droit au renouvellement du bail commercial, mais, comme en l'espèce, la réalisation de travaux non consentis sur les lieux loués.
La cour rejette la demande indemnitaire de M. [U] [B] au titre de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce.
5-2 sur la demande de dommages-intérêts pour manque à gagner
5-2-1-sur la recevabilité de la demande indemnitaire pour manque à gagner
- sur la recevabilité au regard du caractère nouveau de la demande
Selon l'article 564 du code de procédure civile :A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 ajoute :Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
L'article 566 énonce enfin :Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
M. [U] [B] sollicite la condamnation de la commune de [Localité 8] à lui verser une indemnité de 1.550.041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
L'appelant estime que ses demandes indemnitaires sont bien recevables même si elles sont nouvelles à hauteur d'appel, soutenant qu'il était en droit d'ajouter à ses prétentions de première instance, « les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire » en application de l'article 566 du code de procédure civile, précédemment reproduit.
L'appelant ajoute que ces demandes sont d'autant plus recevables qu'elles s'appuient sur la révélation d'un fait postérieur au jugement critiqué, portant sur la réparation d'un manque à gagner se rapportant à une période postérieure au jugement de première instance du 16 août 2021.
L'intimée soutient que les demandes indemnitaires de l'appelant sont irrecevables, s'agissant de demandes nouvelles qui n'avaient pas été formulées en première instance. La commune intimée précise que M. [U] [B] est informé depuis au moins le 9 septembre 2020 que la candidature de la société Cap d'Aglio n'avait pas été retenue pour la passation d'une nouvelle convention d'occupation précaire et qu'en conséquence, il n'exploiterait plus le cabanon.
En l'espèce, les demandes de dommages-intérêts de M. [U] [B], d'un manque à gagner, pour les années 2022, 2023, 2024, sont effectivement nouvelles, n'ayant pas été formulées en première instance.
Toutefois, d'une part, M. [U] [B] avait déjà présenté des demandes indemnitaires,en première instance, puisqu'il sollicitait alors une somme de 500 000 euros de dommages-intérêts provisionnels en réparation du préjudice subi du fait de la destruction de sa propriété commerciale.
En ajoutant de nouvelles demandes indemnitaires à hauteur d'appel, tout en invoquant un préjudice différent (un manque à gagner), l'appelant présente en réalité une demande tendant aux mêmes fins qu'en première instance (au sens de l'article 565 du code de procédure civile), à savoir l'indemnisation complète de son préjudice en lien avec la faute commise par la commune de [Localité 8] (laquelle a mis un terme à la dernière convention d'occupation précaire et ne lui a pas permis de bénéficier d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015).
En outre, ces nouvelles demandes indemnitaires présentées à hauteur d'appel, s'appuient sur des faits révélés postérieurement au jugement critiqué prononcé le 16 août 2021, à savoir un manque à gagner pour les années 2022, 2023, 2024.
La cour écarte les fins non-recevoir, soulevées par la commune de [Localité 8], tirées du caractère nouveau des demandes indemnitaires de l'appelant, au titre d'un manque à gagner pour les années 2022, 2023, 2024.
- sur la recevabilité au regard des articles 910-4 et 915-2 du code de procédure civile
Selon l'article 910-4 du code de procédure civile :A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 915-2 du même code, invoqué par les parties, n'est pas en l'espèce applicable. En effet, lesdites dispositions entrent en vigueur le 1er septembre 2024. Elles sont uniquement applicables aux instances d'appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d'appel à la suite d'un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date.
Toujours pour voir déclarer irrecevable la demande indemnitaire de M. [U] [B], à hauteur de 1 550 041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023, 2024, l'intimée invoque les articles 910-4 et 915-2 du code de procédure civile, faisant valoir :
- la demande de condamnation à la somme de 1 033 360,80 euros a été présentée pour la première fois par voie de conclusions le 18 avril 2023 c'est à dire postérieurement aux premières conclusions d'appelant du 10 décembre 2021,
- l'appelant ne peut soutenir que cette prétention est répliquée à destiner aux prétentions de l'intimée, ni qu'elle se rapporte à une postérieure à ses premières conclusions d'appelant, s'agissant d'un artifice destiné à contourner l'irrecevabilité de ses prétentions,
- M. [U] [B] est informé depuis au moins le 9 septembre 2020 que la candidature de la société Cap d'Aglio n'a pas été retenue pour la passation d'une nouvelle convention d'occupation précaire et qu'en conséquence, il n'exploiterait plus le cabanon,
- ce fait n'est pas survenu postérieurement à ses premières conclusions d'appelant du 10 décembre 2021.
Pour s'opposer à la fin de non-recevoir opposée par l'intimée, tirée de la violation de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'appelant rétorque que l'article 915-2 dernier alinéa du code de procédure civile prévoit que demeurent recevables les prétentions destinées à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de la révélation d'un fait nouveau. M. [U] [B] ajoute qu'il ne pouvait pas se prévaloir, au stade de ses premières conclusions de décembre 2021, d'un préjudice subi postérieurement à celles-ci sur les années 2022, 2023, 2024.
En l'espèce, il est exact que dans ses premières conclusions d'appelant, notifiées le 10 décembre 2021, à l'intimée, l'appelant n'avait pas encore présenté une demande de dommages-intérêts en lien avec un manque à gagner, s'étant limité à une demande indemnitaire pour 'destruction de sa propriété commerciale à parfaire au vu du rapport d'expertise'.
Ce n'est que dans des conclusions d'appelant, notifiées le 18 avril 2023, à l'intimée, que M [U] [B] a présenté, pour la première fois, une demande indemnitaire fondée sur un manque à gagner au titre des années 2022 et 2023.
Toutefois, c'est à juste titre que l'appelant fait valoir que cette demande indemnitaire, qui repose sur un fait révéré postérieurement aux premières conclusions est recevable, en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, précédemment reproduit, en sa version applicable. .
La cour écarte la fin de non-recevoir, soulevées par la commune de [Localité 8], tirée de la violation des règles édictées aux articles 910-4 et 915-2 du code de procédure civile.
En conséquence, la cour déclare recevables les demandes indemnitaires de M. [U] [B] fondées sur un manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
5-2-2 sur le bien-fondé de la demande en réparation d'un manque à gagner
M.. [U] [B] sollicite la condamnation de la commune de [Localité 8] à lui verser une indemnité de 1.550.041,20 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
Au soutien de cette demande, l'appelant précise :
- du fait de son départ des lieux loués, il a dû supporter des coûts indus, à savoir des coûts de services comptables et juridiques pour apprécier la faisabilité du maintien des contrats de travail des salariés le temps de la procédure actuellement pendante, des coûts de personnel mobilisés pour évacuer les biens de l'établissement, des coûts de transport, de stockage de marchandise importants,
- cela fait près de 4 ans qu'il est privé du droit d'exploiter son établissement, ce qui le conduit à être privé du chiffre d'affaires de l'entreprise qu'il a dirigée pendant plus de 20 ans.,
- entre 2015 et 2020, son établissement réalisait chaque années un chiffre d'affaires annuel moyen de près de 727 426 euros et une marge brute moyenne de 516 680,40 euros,
- il est donc raisonnable et cohérent de retenir un manque à gagner, pour lui, sur trois exercices, soit sur les années 2022, 2023 et 2024, une marge brute de 1 550 041, 20 euros.
En l'espèce, le préjudice subi par M. [U] [B] est en lien avec le fait que la dernière convention d'occupation précaire a expiré le 1er novembre 2020 alors qu'il aurait dû bénéficier d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015 d'une durée minimale de 9 années.
M. [U] [B] aurait donc pu continuer à exploiter son établissement et percevoir des bénéfices, au-delà du terme de la convention d'occupation précaire (1er novembre 2015) s'il avait bénéficié du bail commercial auquel il avait droit, ce qui n'a pas été le cas.
De plus, pour évaluer le préjudice subi par l'appelant, la cour est tenue de se prononcer au regard de celui invoqué par ce dernier, soit strictement le manque à gagner allégué.
Par ailleurs, l'indemnité qui sera accordée par la cour, au titre du manque à gagner, ne peut concerner que la seule période qui aurait été couverte par le bail commercial reconnu, soit en théorie : 2022, 2023 outre la période ayant couru de janvier 2024 au 1er novembre 2024.
S'agissant du manque à gagner, la cour observe d'abord que c'est la société en participation '[U] et [P] [B]' qui a conclu la dernière convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 (requalifiée en un bail commercial), de sorte qu'il y a lieu de considérer, à défaut d'explications sur ce point, que les bénéfices auraient été partagés entre l'appelant et son associé.
M [U] [B] ne peut donc venir réclamer que sa seule part de bénéfices dont il a fautivement été privé. Il produit une attestation du 28 mars 2023, de l'expert-comptable de la société en participation '[U] et [P] [B]', dont il résulte que, entre les années 2015 et 2020, les marges brutes réalisées ont été les suivantes :
- 531 017 euros en 2015,
- 550 953 euros en 2016,
- 526 381 euros en 2017,
- 524 179 euros en 2018,
- 521 685 euros en 2019,
- 460 204 euros en 2020.
Au regard de l'ensemble des pièces produites de part et d'autres et des débats, une indemnité de 208 000 euros réparera entièrement le préjudice en lien avec le manque à gagner subi par M. [U] [B], étant précisé que ce manque à gagner diffère de la marge brute.
La cour condamne la commune de [Localité 8] à payer à M. [U] [B] la somme de 208.000 euros au titre du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
6-sur les frais du procès
Au regard de la solution apportée au litige, la cour infirme le jugement en ce qu'il condamne M. [U] [B] aux dépens et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau, la cour condamne la commune de [Localité 8] aux entiers dépens exposés M. [U] [B] (en première instance et à hauteur d'appel) ainsi qu'à payer au même une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel)
La commune de [Localité 8] est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera la charge de ses entiers dépens exposés en première instance et à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement :
- infirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il dit que M. [U] [B] a intérêt à agir et sauf en ce qu'il dit que la convention d'occupation précaire signée le 30 octobre 2015 entre la commune de [Localité 8] et [U] et [P] [B], associés de la société en participation, n'est pas nulle,
statuant à nouveau et y ajoutant,
- rejette la demande de M. [U] [B] d'annulation et en inopposabilité de la délibération du 28 juin 2020 du conseil municipal de la commune de [Localité 8] :
- rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale, opposée par la commune de [Localité 8], à l'action de M. [U] [B] en requalification de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 en un bail commercial.
- déclare recevable l'action de M. [U] [B] en requalification de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015 en un bail commercial.
- dit que M. [U] [B] est titulaire d'un bail commercial à compter du 1er novembre 2015 sur le cabanon de la [Adresse 17] au lieu-dit [Adresse 17] Parcelle AE [Cadastre 4],
- dit que la clause suivante, issue de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, est réputée non écrite : 'cette occupation ne donne pas lieu à la création d'un fonds de commerce'
- déclare recevable l'action en annulation et en inopposabilité de M. [U] [B] concernant la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015,
- rejette la demande de M. [U] [B] en annulation et en inopposabilité de la convention d'occupation précaire du 30 octobre 2015, laquelle est seulement requalifiée en un bail commercial à effet du 1er novembre de la même année,
- déclare irrecevables les demandes de M. [U] [B] en inopposabilité et en annulation des conventions d'occupation précaires, conclues avec la commune de [Localité 8], antérieures à celle du 30 octobre 2015 (conventions conclues les 12 mars 1998, 8 mars 2004, 31 mars 2020, 29 octobre 2010, 1er novembre 2015),
- rejette la demande de M. [U] [B] d'expertise aux fins d'évaluation du préjudice subi du fait de la modification et de la destruction de son fonds de commerce,
- rejette la demande indemnitaire de M. [U] [B] au titre de l'atteinte à son droit de propriété sur son fonds de commerce,
- déclare recevable la demande indemnitaire de M. [U] [B] fondées sur un manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024.
- condamne la commune de [Localité 8] à payer à M. [U] [B] la somme de 208 000 euros au titre du manque à gagner subi du fait de l'inexploitation du Cabanon au cours des années 2022, 2023 et 2024,
- rejette les demandes de la commune de [Localité 8] au titre de l'article 700 et des dépens,
- condamne la commune de [Localité 8] à payer à M. [U] [B] une une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel).
Le Greffier, La Présidente,