CA Rouen, ch. civ. et com., 18 septembre 2025, n° 24/02143
ROUEN
Arrêt
Autre
N° RG 24/02143 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JV4Z
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
22/000595
Tribunal judiciaire de Dieppe du 08 novembre 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. [O] OPTIQUE
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN, et assistée Me Agnès HAVELETTE, avocat au barreau de ROUEN, plaidant.
INTIMEE :
Madame [M] [K]
née le 16 octobre 2005 à [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Widad CHATRAOUI de la SELAS FIDAL, avocat au barreau du HAVRE, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 mai 2025 sans opposition des avocats en double rapporteur devant Mme VANNIER, présidente de chambre et en présence de M. URBANO, conseiller.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme DE BRIER, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 27 mai 2025, où monsieur Urbano a été entendu en son rapport et l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 18 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte dont il est indiqué qu'il a été établi le 1er avril 2001, M. [X] [Y] et son épouse, Mme [R], épouse [Y], ont donné à bail un local commercial à la société Sedoma portant sur des locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 7].
Mme [Y] est décédée le 4 décembre 2005.
Par acte du 29 décembre 2006, M. [Y] a fait donation de la nue-propriété du local commercial à sa petite-fille mineure, [M] [K].
Le 20 août 2009, le preneur a fait signifier à la nue-propriétaire et à l'usufruitier une demande de renouvellement de bail qui a été renouvelé le 1er avril 2010 par M. [Y] seul par acte du 5 octobre 2010.
La SARL [O] Optique est venue aux droits du preneur initial.
Le 13 novembre 2018, la société [O] Optique a notifié à M. [Y] seul une demande de renouvellement du bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 2019.
Par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Dieppe du 13 septembre 2019, M. [Y], usufruitier du bien objet du bail commercial, a été placé sous tutelle.
Le 29 octobre 2020, les représentants légaux de la nue-propriétaire et le tuteur de l'usufruitier ont fait délivrer un congé à la société [O] Optique, complété par une offre de renouvellement pour le 30 juin 2021, puis ont fait signifier un mémoire en vue de la fixation d'un nouveau prix du bail renouvelé à hauteur de 21 120 euros par an.
Le 19 janvier 2022, les bailleurs ont notifié un mémoire préalable à la saisine du juge des loyers.
M. [Y] est décédé le 4 février 2022.
Le 26 avril 2022, les bailleurs ont fait délivrer une assignation.
Par acte d'huissier du 20 mai 2022, la société [O] Optique a fait assigner Mme [M] [K] devant le tribunal judiciaire de Dieppe afin notamment de voir prononcer la nullité du congé avec offre de renouvellement du 29 octobre 2020 et de voir ordonner que le jugement vaille bail renouvelé à effet du 1er avril 2019.
Par jugement du 8 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Dieppe a :
- prononcé la nullité de la demande de renouvellement adressée par la société [O] Optique à M. [X] [Y] le 13 novembre 2018 ;
- rejeté la demande en nullité du congé avec offre de renouvellement signifié à la société [O] Optique le 29 octobre 2020 ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné la société [O] Optique à payer à Mme [M] [K] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [O] Optique aux entiers dépens de la procédure.
La société [O] Optique a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 17 juin 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Aux termes de ses dernières conclusions du 28 février 2025, la SARL [O] Optique demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société [O] Optique ;
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023 en ce qu'il a prononcé la nullité de la demande de renouvellement adressée par la société [O] Optique à M. [X] [Y] le 13 novembre 2018, et rejeté la demande en nullité du congé avec offre de renouvellement signifié à la société [O] Optique le 29 octobre 2020.
Faisant droit à la demande de la société [O] Optique, et vu l'acceptation par le nu-propriétaire du renouvellement du bail signifié le 13 novembre 2018 par la société [O] Optique,
- prononcer la nullité du congé avec offre de renouvellement signifié le 29 octobre 2020 ;
- ordonner que le jugement à intervenir vaudra bail renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028, que la révision du loyer se fera sur la base de l'ILAC, et que le bailleur devra fournir un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions du bail renouvelé.
A tout le moins,
- déclarer irrecevable, comme étant prescrite, la demande nullité de l'acte de renouvellement du 13 novembre 2018, en tous cas la déclarer mal fondée ;
- prononcer de plus fort la nullité du congé avec offre de renouvellement signifié le 29 octobre 2020 ;
- ordonner que le jugement à intervenir vaudra bail renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028, que la révision du loyer se fera sur la base de l'ILAC, et que le bailleur devra fournir un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions du bail renouvelé ;
- débouter [Localité 8] [K] de l'intégralité de ses demandes.
Subsidiairement :
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023 en ce qu'il a débouté la société [O] Optique de sa demande subsidiaire en condamnation de Melle [K] en paiement de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau et faisant droit à la demande subsidiaire de la société [O] Optique,
- condamner [Localité 8] [K] en sa qualité d'héritière de M. [Y] au paiement de la somme de 90 000 euros au titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par la société [O] Optique ;
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023, en ce qu'il a condamné la société [O] Optique à payer à Mme [K] la somme de
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et mis à sa charge les dépens de la première instance.
Statuant à nouveau :
- condamner la défenderesse au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens de 1er instance et d'appel que la société Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer pour ceux-là concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions du 11 décembre 2024, Mme [M] [K] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 8 novembre 2023 par le tribunal de judiciaire de Dieppe.
Y ajoutant :
- condamner la société [O] Optique à verser à Mademoiselle [M] [K] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société [O] Optique aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2025.
Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Exposé des moyens :
La SARL [O] Optique soutient que :
- la nue-propriétaire, par l'intermédiaire de sa tutrice, a donné tacitement son accord par courrier du 24 mars 2019 au renouvellement du bail en communiquant au preneur un projet du bail renouvelé ;
- cet accord vaut renonciation à se prévaloir de l'absence de signification de la demande de renouvellement alors qu'il vise expressément la signification du 13 novembre 2018 faite au seul usufruitier ;
- l'accord des parties sur le principe du renouvellement couvre la nullité pouvant affecter la procédure ;
- le projet de bail annexé au courrier du 24 mars 2019 portait sur un loyer égal à celui du bail en cours outre la révision triennale ;
- Mme [K], à l'époque tutrice de sa fille, a expressément accepté le renouvellement du bail, par écrit, elle a convenu avec le preneur du prix du loyer ainsi que l'organisation de l'état des lieux, elle a accepté de transmettre les quittances de loyers et de procéder à l'encaissement des loyers ;
- il importe peu que le projet de bail n'ait pas été signé ; les contestations pouvant s'élever sur la valeur du loyer devaient nécessairement donner lieu à la saisine du juge des loyers dans les deux ans ;
- l'argument selon lequel le tuteur de la nue-propriétaire ne connaissait pas l'existence des travaux réalisés dans les lieux par le preneur antérieurement à l'année 2006 ne concerne que la valeur locative mais ne remet pas en cause le principe de l'acceptation du renouvellement du bail ;
- ces travaux n'ont pas modifié la surface de vente ;
- la contestation soulevée est prescrite du fait de l'acceptation intervenue le 24 mars 2019 ;
- le congé délivré le 29 octobre 2020 par le bailleur est dénué d'effet puisque le principe du renouvellement avait été accepté ; ce congé est nul ; le bail a été renouvelé aux conditions antérieures ;
- le renouvellement du bail en 2010 a été demandé à l'usufruitier et à la nue-propriétaire ; dès lors que seul l'usufruitier a signé le bail sans contestation du nu-propriétaire, l'usufruitier doit être considéré comme ayant été le mandataire du nu-propriétaire ;
- dès lors que M. [Y] a consenti au renouvellement du bail, Mme [M] [K] vient aux droits de ce dernier et doit respecter les engagements qu'il a pris ;
- la participation de Mme [M] [K] au renouvellement du bail ne pesait que sur M. [Y] ; il appartenait à ce dernier de s'assurer de cette participation ;
- le manquement imputable à M. [Y] doit être indemnisé et la charge de cette indemnisation pèse sur Mme [M] [K].
Mme [M] [K] fait valoir que :
- la demande de renouvellement du bail du 13 novembre 2018 n'a été adressée qu'à l'usufruitier et non à Mme [M] [K], nue-propriétaire ; elle est nulle au visa de l'article 595 du code civil ;
- la SARL [O] Optique connaissait parfaitement l'existence de la nue-propriétaire ;
- le congé qui a été délivré au preneur est valable ;
- la demande adressée au seul usufruitier est nulle comme affectée d'une irrégularité de fond ;
- elle n'a pas été couverte, M. [Y] n'ayant pas accepté le renouvellement pas plus que Mme [M] [K] ; le projet de bail annexé au courrier du 24 mars 2019 n'a pas été signé ; les représentants légaux de Mme [M] [K] ignoraient que les lieux avaient été transformés de sorte que le montant du loyer proposé dans le projet ne correspondait pas à la valeur locative ;
- la nullité de la demande de renouvellement a été demandée par voie d'exception ; la prescription n'a pas couru aux termes de l'article 1185 du code civil ;
- M. [Y] n'ayant commis aucune faute dès lors qu'il était atteint de la maladie d'Alzheimer et qu'il a été placé sous tutelle sur requête déposée le 5 avril 2019.
Réponse de la cour :
Selon l'article 595 du code civil, l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte.
Selon l'article L145-10 du code de commerce, dans les trois mois de la notification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.
Il est constant que :
- courant avril 2001, M. [X] [Y] et son épouse, Mme [R], épouse [Y], propriétaires de lieux, ont donné à bail un local commercial à la société Sedoma portant sur des locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 7],
- Mme [Y] est décédée le 4 décembre 2005 ;
- par acte du 29 décembre 2006, M. [Y] a fait donation de la nue-propriété du local commercial à sa petite-fille mineure, [M] [K] née le 16 octobre 2005 et M. [Y] est demeuré usufruitier du bien ;
- le 20 août 2009, le preneur a fait signifier à la nue-propriétaire et à l'usufruitier une demande de renouvellement de bail qui a été renouvelé le 1er avril 2010 par M. [Y] seul par acte du 5 octobre 2010 ;
- le 13 novembre 2018, la société [O] Optique, venant aux droits du preneur initial, a signifié à M. [Y] seul, une demande de renouvellement du bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 2019 « aux mêmes charges et conditions ».
- par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Dieppe du 13 septembre 2019, M. [Y], usufruitier du bien objet du bail commercial, a été placé sous tutelle.
- le 29 octobre 2020, M. [U] [K] et Mme [C] [K], représentants légaux de la jeune [M] [K], et le tuteur de M. [Y] ont fait délivrer un congé à la société [O] Optique, complété par une offre de renouvellement pour le 30 juin 2021, puis ont fait signifier un mémoire en vue de la fixation d'un nouveau prix du bail renouvelé à hauteur de 21 120 euros par an ;
- M. [Y] est décédé le 4 février 2022.
La SARL [O] Optique verse aux débats un courrier du 24 mars 2019 émanant de Mme [C] [K] adressé à « M. [O] » faisant suite à un entretien téléphonique préalable. Dans ce courrier, Mme [C] [K] a transmis à M. [O] un projet de bail commercial établi au nom de M. [Y], représenté expressément par Mme [C] [K] munie d'un pouvoir et au nom de la jeune [M] [K], également représentée par Mme [C] [K] et de la SARL [O] Optique et portant bien sur les lieux objets du bail initial.
La SARL [O] Optique verse également aux débats un courrier électronique du 28 mars 2019 émanant également de Mme [C] [K] adressé à M. [O] lui indiquant que le loyer figurant dans le projet de bail qui lui avait été antérieurement communiqué correspondait à la révision triennale et qu'elle mandatait un huissier de justice pour établir l'état des lieux. Il s'ensuit que le projet de bail commercial qui a été adressé à la SARL [O] Optique était conforme à la demande formée par cette dernière le 13 novembre 2018 d'un renouvellement du bail aux mêmes charges et conditions antérieures.
La SARL [O] Optique verse aux débats un autre courrier électronique du 5 avril 2019 émanant toujours de Mme [C] [K] indiquant à M. [O] qu si son père ne délivrait plus de quittances de loyer depuis plusieurs mois, elle allait prendre le relais et lui délivrer ces quittances.
Enfin , la SARL [O] Optique produit un procès-verbal de constat d'état des lieux du 12 avril 2019 portant sur les locaux objets du bail commercial qui a été établi par Me [G], huissier de justice à [Localité 7], sur réquisition de M. [Y] dont l'huissier indique « qu'il a consenti un renouvellement de bail à la SARL [O] » pour les lieux considérés.
Il résulte de ces courriers et pièces que, d'une part, M. [Y], à l'époque usufruitier et bailleur, a expressément accepté le renouvellement et, qu'en tous cas, il n'a signifié aucun refus de renouvellement à la SARL [O] Optique dans les trois mois du 13 novembre 2018. Il convient d'observer que si Mme [K] affirme que son grand-père n'était plus en état de consentir à quoi que ce soit à l'époque eu égard à l'affaiblissement de ses facultés mentales, il n'a été placé sous tutelle que le 13 septembre 2019 et que les pièces médicales produites par elle sont insuffisantes à démontrer que durant les trois mois suivants le 13 novembre 2018, il n'a pas été en mesure de refuser le renouvellement demandé. Enfin, la cour constate que Mme [C] [K] a expressément géré les affaires de son père en adressant un projet de bail à la SARL [O] Optique faisant état de ce qu'elle était sa mandataire et en délivrant à la place de son père les quittances de loyer à la SARL [O] Optique.
Il résulte également de ces courriers que, d'autre part, Mme [C] [K], en qualité de représentante légale de sa fille mineure [M] [K], a manifestement accepté le principe du renouvellement du bail tel que sollicité par la SARL [O] Optique en adressant un projet de bail au preneur, en lui proposant un loyer conforme au bail initial, révision triennale comprise, en se substituant à M. [Y] pour la délivrance des quittances et en souhaitant requérir un huissier de justice pour procéder à l'établissement d'un état des lieux. Il importe peu que le projet de bail annexé au courrier du 24 mars 2019 n'ait pas été signé eu égard au désaccord survenu postérieurement entre les parties sur le montant du loyer dès lors qu'aucune disposition du statut des baux commerciaux ne soumet le renouvellement du bail à la condition de la fixation préalable du nouveau loyer (Cassation Civ. 3ème , 15 mai 1996, 94-16.407).
Par ailleurs, l'accord des parties sur le principe du renouvellement ayant couvert la nullité des formalités préalables à la convention (même arrêt), il s'ensuit que :
- le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2019 par l'acceptation de Mme [C] [K] ès qualités de représentante légale de la jeune [M] [K], mineure à l'époque et par l'acceptation de M. [Y] ou son absence de refus du renouvellement ;
- l'irrégularité portant sur l'absence de demande de renouvellement adressée à la nue-propriétaire a été couverte par l'acceptation du principe du renouvellement émanant de sa représentante légale ;
- plus aucune nullité ne subsiste de sorte que l'examen d'une quelconque prescription même soulevée à titre d'exception ne présente plus aucun intérêt ;
- le congé avec offre de renouvellement qui a été signifié le 29 octobre 2020 pour le 30 juin 2021 à la requête du tuteur de M. [Y] et des parents de la jeune [M] [K], à l'époque mineure, aux motifs que la demande de renouvellement du 13 novembre 2018 n'avait pas été acceptée par M. [Y] du fait de son incapacité et n'avait pas été adressée à la nue-propriétaire, est fondé sur des motifs inexacts et doit dès lors être annulé comme se heurtant à l'acceptation de la demande telle qu'elle a été motivée plus haut.
Le jugement entrepris sera infirmé et :
- il sera dit que le bail commercial liant les parties a été renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail du 5 octobre 2010, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028
- il sera enjoint au bailleur de fournir un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions de l'article L145-40-2 du code de commerce,
- il sera dit que la révision du loyer se fera sur la base de l'indice des loyers commerciaux conformément aux dispositions de l'article L145-38 du code de commerce ;
- le congé délivré le 29 octobre 2020 sera annulé.
Les dépens de la procédure de première instance et d'appel seront supportés par Mme [M] [K] avec droit de recouvrement direct accordé à la SELARL Gray Scolan et l'intimée sera condamnée au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que le bail commercial liant désormais la SARL [O] Optique à Mme [M] [K] a été renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail du 5 octobre 2010, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028 ;
Dit que la révision du loyer se fera sur la base de l'indice des loyers commerciaux conformément aux dispositions de l'article L145-38 du code de commerce ;
Enjoint à Mme [M] [K] de fournir à la SARL [O] Optique un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions de l'article L145-40-2 du code de commerce,
Annule le congé délivré le 29 octobre 2020 à la SARL [O] Optique ;
Condamne Mme [M] [K] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct accordé à la SELARL Gray Scolan ;
Condamne Mme [M] [K] à payer la somme de 3000 euros à la SARL [O] Optique au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
22/000595
Tribunal judiciaire de Dieppe du 08 novembre 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. [O] OPTIQUE
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN, et assistée Me Agnès HAVELETTE, avocat au barreau de ROUEN, plaidant.
INTIMEE :
Madame [M] [K]
née le 16 octobre 2005 à [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON - CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Widad CHATRAOUI de la SELAS FIDAL, avocat au barreau du HAVRE, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 mai 2025 sans opposition des avocats en double rapporteur devant Mme VANNIER, présidente de chambre et en présence de M. URBANO, conseiller.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme VANNIER, présidente de chambre
M. URBANO, conseiller
Mme DE BRIER, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 27 mai 2025, où monsieur Urbano a été entendu en son rapport et l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 18 septembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte dont il est indiqué qu'il a été établi le 1er avril 2001, M. [X] [Y] et son épouse, Mme [R], épouse [Y], ont donné à bail un local commercial à la société Sedoma portant sur des locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 7].
Mme [Y] est décédée le 4 décembre 2005.
Par acte du 29 décembre 2006, M. [Y] a fait donation de la nue-propriété du local commercial à sa petite-fille mineure, [M] [K].
Le 20 août 2009, le preneur a fait signifier à la nue-propriétaire et à l'usufruitier une demande de renouvellement de bail qui a été renouvelé le 1er avril 2010 par M. [Y] seul par acte du 5 octobre 2010.
La SARL [O] Optique est venue aux droits du preneur initial.
Le 13 novembre 2018, la société [O] Optique a notifié à M. [Y] seul une demande de renouvellement du bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 2019.
Par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Dieppe du 13 septembre 2019, M. [Y], usufruitier du bien objet du bail commercial, a été placé sous tutelle.
Le 29 octobre 2020, les représentants légaux de la nue-propriétaire et le tuteur de l'usufruitier ont fait délivrer un congé à la société [O] Optique, complété par une offre de renouvellement pour le 30 juin 2021, puis ont fait signifier un mémoire en vue de la fixation d'un nouveau prix du bail renouvelé à hauteur de 21 120 euros par an.
Le 19 janvier 2022, les bailleurs ont notifié un mémoire préalable à la saisine du juge des loyers.
M. [Y] est décédé le 4 février 2022.
Le 26 avril 2022, les bailleurs ont fait délivrer une assignation.
Par acte d'huissier du 20 mai 2022, la société [O] Optique a fait assigner Mme [M] [K] devant le tribunal judiciaire de Dieppe afin notamment de voir prononcer la nullité du congé avec offre de renouvellement du 29 octobre 2020 et de voir ordonner que le jugement vaille bail renouvelé à effet du 1er avril 2019.
Par jugement du 8 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Dieppe a :
- prononcé la nullité de la demande de renouvellement adressée par la société [O] Optique à M. [X] [Y] le 13 novembre 2018 ;
- rejeté la demande en nullité du congé avec offre de renouvellement signifié à la société [O] Optique le 29 octobre 2020 ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné la société [O] Optique à payer à Mme [M] [K] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [O] Optique aux entiers dépens de la procédure.
La société [O] Optique a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 17 juin 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Aux termes de ses dernières conclusions du 28 février 2025, la SARL [O] Optique demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel de la société [O] Optique ;
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023 en ce qu'il a prononcé la nullité de la demande de renouvellement adressée par la société [O] Optique à M. [X] [Y] le 13 novembre 2018, et rejeté la demande en nullité du congé avec offre de renouvellement signifié à la société [O] Optique le 29 octobre 2020.
Faisant droit à la demande de la société [O] Optique, et vu l'acceptation par le nu-propriétaire du renouvellement du bail signifié le 13 novembre 2018 par la société [O] Optique,
- prononcer la nullité du congé avec offre de renouvellement signifié le 29 octobre 2020 ;
- ordonner que le jugement à intervenir vaudra bail renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028, que la révision du loyer se fera sur la base de l'ILAC, et que le bailleur devra fournir un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions du bail renouvelé.
A tout le moins,
- déclarer irrecevable, comme étant prescrite, la demande nullité de l'acte de renouvellement du 13 novembre 2018, en tous cas la déclarer mal fondée ;
- prononcer de plus fort la nullité du congé avec offre de renouvellement signifié le 29 octobre 2020 ;
- ordonner que le jugement à intervenir vaudra bail renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028, que la révision du loyer se fera sur la base de l'ILAC, et que le bailleur devra fournir un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions du bail renouvelé ;
- débouter [Localité 8] [K] de l'intégralité de ses demandes.
Subsidiairement :
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023 en ce qu'il a débouté la société [O] Optique de sa demande subsidiaire en condamnation de Melle [K] en paiement de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau et faisant droit à la demande subsidiaire de la société [O] Optique,
- condamner [Localité 8] [K] en sa qualité d'héritière de M. [Y] au paiement de la somme de 90 000 euros au titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par la société [O] Optique ;
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023, en ce qu'il a condamné la société [O] Optique à payer à Mme [K] la somme de
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et mis à sa charge les dépens de la première instance.
Statuant à nouveau :
- condamner la défenderesse au paiement de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens de 1er instance et d'appel que la société Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer pour ceux-là concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions du 11 décembre 2024, Mme [M] [K] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 8 novembre 2023 par le tribunal de judiciaire de Dieppe.
Y ajoutant :
- condamner la société [O] Optique à verser à Mademoiselle [M] [K] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société [O] Optique aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2025.
Pour un exposé détaillé des demandes et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Exposé des moyens :
La SARL [O] Optique soutient que :
- la nue-propriétaire, par l'intermédiaire de sa tutrice, a donné tacitement son accord par courrier du 24 mars 2019 au renouvellement du bail en communiquant au preneur un projet du bail renouvelé ;
- cet accord vaut renonciation à se prévaloir de l'absence de signification de la demande de renouvellement alors qu'il vise expressément la signification du 13 novembre 2018 faite au seul usufruitier ;
- l'accord des parties sur le principe du renouvellement couvre la nullité pouvant affecter la procédure ;
- le projet de bail annexé au courrier du 24 mars 2019 portait sur un loyer égal à celui du bail en cours outre la révision triennale ;
- Mme [K], à l'époque tutrice de sa fille, a expressément accepté le renouvellement du bail, par écrit, elle a convenu avec le preneur du prix du loyer ainsi que l'organisation de l'état des lieux, elle a accepté de transmettre les quittances de loyers et de procéder à l'encaissement des loyers ;
- il importe peu que le projet de bail n'ait pas été signé ; les contestations pouvant s'élever sur la valeur du loyer devaient nécessairement donner lieu à la saisine du juge des loyers dans les deux ans ;
- l'argument selon lequel le tuteur de la nue-propriétaire ne connaissait pas l'existence des travaux réalisés dans les lieux par le preneur antérieurement à l'année 2006 ne concerne que la valeur locative mais ne remet pas en cause le principe de l'acceptation du renouvellement du bail ;
- ces travaux n'ont pas modifié la surface de vente ;
- la contestation soulevée est prescrite du fait de l'acceptation intervenue le 24 mars 2019 ;
- le congé délivré le 29 octobre 2020 par le bailleur est dénué d'effet puisque le principe du renouvellement avait été accepté ; ce congé est nul ; le bail a été renouvelé aux conditions antérieures ;
- le renouvellement du bail en 2010 a été demandé à l'usufruitier et à la nue-propriétaire ; dès lors que seul l'usufruitier a signé le bail sans contestation du nu-propriétaire, l'usufruitier doit être considéré comme ayant été le mandataire du nu-propriétaire ;
- dès lors que M. [Y] a consenti au renouvellement du bail, Mme [M] [K] vient aux droits de ce dernier et doit respecter les engagements qu'il a pris ;
- la participation de Mme [M] [K] au renouvellement du bail ne pesait que sur M. [Y] ; il appartenait à ce dernier de s'assurer de cette participation ;
- le manquement imputable à M. [Y] doit être indemnisé et la charge de cette indemnisation pèse sur Mme [M] [K].
Mme [M] [K] fait valoir que :
- la demande de renouvellement du bail du 13 novembre 2018 n'a été adressée qu'à l'usufruitier et non à Mme [M] [K], nue-propriétaire ; elle est nulle au visa de l'article 595 du code civil ;
- la SARL [O] Optique connaissait parfaitement l'existence de la nue-propriétaire ;
- le congé qui a été délivré au preneur est valable ;
- la demande adressée au seul usufruitier est nulle comme affectée d'une irrégularité de fond ;
- elle n'a pas été couverte, M. [Y] n'ayant pas accepté le renouvellement pas plus que Mme [M] [K] ; le projet de bail annexé au courrier du 24 mars 2019 n'a pas été signé ; les représentants légaux de Mme [M] [K] ignoraient que les lieux avaient été transformés de sorte que le montant du loyer proposé dans le projet ne correspondait pas à la valeur locative ;
- la nullité de la demande de renouvellement a été demandée par voie d'exception ; la prescription n'a pas couru aux termes de l'article 1185 du code civil ;
- M. [Y] n'ayant commis aucune faute dès lors qu'il était atteint de la maladie d'Alzheimer et qu'il a été placé sous tutelle sur requête déposée le 5 avril 2019.
Réponse de la cour :
Selon l'article 595 du code civil, l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte.
Selon l'article L145-10 du code de commerce, dans les trois mois de la notification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.
Il est constant que :
- courant avril 2001, M. [X] [Y] et son épouse, Mme [R], épouse [Y], propriétaires de lieux, ont donné à bail un local commercial à la société Sedoma portant sur des locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 2] à [Localité 7],
- Mme [Y] est décédée le 4 décembre 2005 ;
- par acte du 29 décembre 2006, M. [Y] a fait donation de la nue-propriété du local commercial à sa petite-fille mineure, [M] [K] née le 16 octobre 2005 et M. [Y] est demeuré usufruitier du bien ;
- le 20 août 2009, le preneur a fait signifier à la nue-propriétaire et à l'usufruitier une demande de renouvellement de bail qui a été renouvelé le 1er avril 2010 par M. [Y] seul par acte du 5 octobre 2010 ;
- le 13 novembre 2018, la société [O] Optique, venant aux droits du preneur initial, a signifié à M. [Y] seul, une demande de renouvellement du bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er avril 2019 « aux mêmes charges et conditions ».
- par jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Dieppe du 13 septembre 2019, M. [Y], usufruitier du bien objet du bail commercial, a été placé sous tutelle.
- le 29 octobre 2020, M. [U] [K] et Mme [C] [K], représentants légaux de la jeune [M] [K], et le tuteur de M. [Y] ont fait délivrer un congé à la société [O] Optique, complété par une offre de renouvellement pour le 30 juin 2021, puis ont fait signifier un mémoire en vue de la fixation d'un nouveau prix du bail renouvelé à hauteur de 21 120 euros par an ;
- M. [Y] est décédé le 4 février 2022.
La SARL [O] Optique verse aux débats un courrier du 24 mars 2019 émanant de Mme [C] [K] adressé à « M. [O] » faisant suite à un entretien téléphonique préalable. Dans ce courrier, Mme [C] [K] a transmis à M. [O] un projet de bail commercial établi au nom de M. [Y], représenté expressément par Mme [C] [K] munie d'un pouvoir et au nom de la jeune [M] [K], également représentée par Mme [C] [K] et de la SARL [O] Optique et portant bien sur les lieux objets du bail initial.
La SARL [O] Optique verse également aux débats un courrier électronique du 28 mars 2019 émanant également de Mme [C] [K] adressé à M. [O] lui indiquant que le loyer figurant dans le projet de bail qui lui avait été antérieurement communiqué correspondait à la révision triennale et qu'elle mandatait un huissier de justice pour établir l'état des lieux. Il s'ensuit que le projet de bail commercial qui a été adressé à la SARL [O] Optique était conforme à la demande formée par cette dernière le 13 novembre 2018 d'un renouvellement du bail aux mêmes charges et conditions antérieures.
La SARL [O] Optique verse aux débats un autre courrier électronique du 5 avril 2019 émanant toujours de Mme [C] [K] indiquant à M. [O] qu si son père ne délivrait plus de quittances de loyer depuis plusieurs mois, elle allait prendre le relais et lui délivrer ces quittances.
Enfin , la SARL [O] Optique produit un procès-verbal de constat d'état des lieux du 12 avril 2019 portant sur les locaux objets du bail commercial qui a été établi par Me [G], huissier de justice à [Localité 7], sur réquisition de M. [Y] dont l'huissier indique « qu'il a consenti un renouvellement de bail à la SARL [O] » pour les lieux considérés.
Il résulte de ces courriers et pièces que, d'une part, M. [Y], à l'époque usufruitier et bailleur, a expressément accepté le renouvellement et, qu'en tous cas, il n'a signifié aucun refus de renouvellement à la SARL [O] Optique dans les trois mois du 13 novembre 2018. Il convient d'observer que si Mme [K] affirme que son grand-père n'était plus en état de consentir à quoi que ce soit à l'époque eu égard à l'affaiblissement de ses facultés mentales, il n'a été placé sous tutelle que le 13 septembre 2019 et que les pièces médicales produites par elle sont insuffisantes à démontrer que durant les trois mois suivants le 13 novembre 2018, il n'a pas été en mesure de refuser le renouvellement demandé. Enfin, la cour constate que Mme [C] [K] a expressément géré les affaires de son père en adressant un projet de bail à la SARL [O] Optique faisant état de ce qu'elle était sa mandataire et en délivrant à la place de son père les quittances de loyer à la SARL [O] Optique.
Il résulte également de ces courriers que, d'autre part, Mme [C] [K], en qualité de représentante légale de sa fille mineure [M] [K], a manifestement accepté le principe du renouvellement du bail tel que sollicité par la SARL [O] Optique en adressant un projet de bail au preneur, en lui proposant un loyer conforme au bail initial, révision triennale comprise, en se substituant à M. [Y] pour la délivrance des quittances et en souhaitant requérir un huissier de justice pour procéder à l'établissement d'un état des lieux. Il importe peu que le projet de bail annexé au courrier du 24 mars 2019 n'ait pas été signé eu égard au désaccord survenu postérieurement entre les parties sur le montant du loyer dès lors qu'aucune disposition du statut des baux commerciaux ne soumet le renouvellement du bail à la condition de la fixation préalable du nouveau loyer (Cassation Civ. 3ème , 15 mai 1996, 94-16.407).
Par ailleurs, l'accord des parties sur le principe du renouvellement ayant couvert la nullité des formalités préalables à la convention (même arrêt), il s'ensuit que :
- le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2019 par l'acceptation de Mme [C] [K] ès qualités de représentante légale de la jeune [M] [K], mineure à l'époque et par l'acceptation de M. [Y] ou son absence de refus du renouvellement ;
- l'irrégularité portant sur l'absence de demande de renouvellement adressée à la nue-propriétaire a été couverte par l'acceptation du principe du renouvellement émanant de sa représentante légale ;
- plus aucune nullité ne subsiste de sorte que l'examen d'une quelconque prescription même soulevée à titre d'exception ne présente plus aucun intérêt ;
- le congé avec offre de renouvellement qui a été signifié le 29 octobre 2020 pour le 30 juin 2021 à la requête du tuteur de M. [Y] et des parents de la jeune [M] [K], à l'époque mineure, aux motifs que la demande de renouvellement du 13 novembre 2018 n'avait pas été acceptée par M. [Y] du fait de son incapacité et n'avait pas été adressée à la nue-propriétaire, est fondé sur des motifs inexacts et doit dès lors être annulé comme se heurtant à l'acceptation de la demande telle qu'elle a été motivée plus haut.
Le jugement entrepris sera infirmé et :
- il sera dit que le bail commercial liant les parties a été renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail du 5 octobre 2010, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028
- il sera enjoint au bailleur de fournir un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions de l'article L145-40-2 du code de commerce,
- il sera dit que la révision du loyer se fera sur la base de l'indice des loyers commerciaux conformément aux dispositions de l'article L145-38 du code de commerce ;
- le congé délivré le 29 octobre 2020 sera annulé.
Les dépens de la procédure de première instance et d'appel seront supportés par Mme [M] [K] avec droit de recouvrement direct accordé à la SELARL Gray Scolan et l'intimée sera condamnée au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Dieppe du 8 novembre 2023 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que le bail commercial liant désormais la SARL [O] Optique à Mme [M] [K] a été renouvelé aux mêmes conditions que le précédent bail du 5 octobre 2010, à effet du 1er avril 2019 pour se terminer le 1er avril 2028 ;
Dit que la révision du loyer se fera sur la base de l'indice des loyers commerciaux conformément aux dispositions de l'article L145-38 du code de commerce ;
Enjoint à Mme [M] [K] de fournir à la SARL [O] Optique un inventaire précis et limitatif des charges, conforme aux dispositions de l'article L145-40-2 du code de commerce,
Annule le congé délivré le 29 octobre 2020 à la SARL [O] Optique ;
Condamne Mme [M] [K] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct accordé à la SELARL Gray Scolan ;
Condamne Mme [M] [K] à payer la somme de 3000 euros à la SARL [O] Optique au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente,