CA Grenoble, ch. soc. - B, 18 septembre 2025, n° 23/01292
GRENOBLE
Arrêt
Autre
C9
N° RG 23/01292
N° Portalis DBVM-V-B7H-LYOS
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL FOURNIER AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale - Section B
ARRÊT DU JEUDI 18 SEPTEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 21/00947)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 28 février 2023
suivant déclaration d'appel du 27 mars 2023
APPELANTE :
Madame [W] [U] [F]
née le 1er avril 1993 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FOURNIER AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2024/001842 du 22/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 12])
INTIMEES :
SELARL Bouvet et [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société LIGA TRAITEMENT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 13]
[Localité 7]
non représentée - Signification de la déclaration d'appel le 12 juin 2023 à personne habilitée à recevoir l'acte
Société AGS CGEA D'[Localité 11], n° siret 775 671 878 00756, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Adresse 9]
[Localité 6]
non représentée - Signification de la déclaration d'appel le 12 juin 2023 à personne habilitée à recevoir l'acte
SAS LIGA TRAITEMENT, n° siret 834 473 068 00015, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
non représentée - Signification de la déclaration d'appel le 02 juin 2023 à personne habilitée à recevoir l'acte
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 juin 2025
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président en charge du rapport et Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs observations, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme Laura GUIN, attachée de justice, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la cour.
L'arrêt a été rendu le 18 septembre 2025.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [W] [U] [F] a intégré la société par actions simplifiée (SAS) Liga traitement exerçant sous l'enseigne commerciale 'kids poux' à compter 15 janvier 2019 et jusqu'au 09 mars 2019 dans le cadre d'une Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR), financée par l'établissement public Pôle emploi.
A compter du 11 mars 2019, Mme [U] [F] a été engagée en contrat à durée déterminée à temps plein jusqu'au 10 septembre 2019, puis à durée indéterminée à temps partiel à hauteur de 25 heures par semaine à compter du 11 septembre 2019.
Le contrat de travail est soumis à la convention collective nationale de la coiffure et des professions connexes.
A compter du 18 mai 2020, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 18 septembre 2020.
A partir du 19 septembre 2020, Mme [U] [F] a été en congé maternité puis en arrêt maladie à compter du 20 mars 2021.
Par lettre en date du 1er juin 2021, la société Liga traitement a convoqué Mme [U] [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 juin 2021 auquel la salariée ne s'est pas présentée.
Son employeur lui a adressé un courrier pour lui proposer un contrat de sécurisation professionnelle, en lui fournissant par écrit les motifs économiques de la rupture envisagée.
Par courrier en date du 22 juin 2021, la société a accepté le contrat de sécurisation professionnelle.
Par courrier du 23 juin 2021, l'employeur a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique.
Par correspondance du 11 août 2021, Mme [U] [F] a contesté la rupture de son contrat de travail à raison du fait que le motif économique ne lui semblait pas fondé.
Le 10 septembre 2021, l'employeur lui a répondu que tel était bien le cas.
Par requête enregistrée le 28 octobre 2021, Mme [U] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir des rappels de salaire pour la période AFPR requalifiée en contrat de travail, de prétentions au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'à raison de manquements à l'obligation de loyauté, de prévention et de sécurité et au titre du travail dissimulé, outre une demande de capitalisation des intérêts.
Par jugement en date du 28 février 2023, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :
- dit que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et de sa prise en charge avantageuse par Pôle emploi et n'a pas formé Mme [U] [F] postérieurement au 1er février 2019,
- dit que le licenciement de Mme [U] [F] pour motif économique est justifié,
- dit que la société Liga traitement a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F],
- dit que la société Liga traitement n'a pas manqué à son obligation de sécurité,
- dit que la société Liga traitement ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé,
- condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] les sommes suivantes :
2 164,98 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er février au 10 mars 2019,
216,50 euros brut à titre de congés payés afférents,
Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter du 29 octobre 2021
3 500,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, Ladite somme avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement
1 200,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution en application de l'article R 1454-28 du code du travail dans la limite de 9 mois de salaire, la moyenne mensuelle brute des trois derniers mois de salaire étant de 1 295,65 euros,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire au-delà de l'exécution provisoire de droit,
- débouté Mme [U] [F] du surplus de ses demandes,
- débouté la société Liga traitement de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Liga traitement aux dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception distribuées le 1er mars 2023 pour la société Liga traitement et le 02 mars 2023 pour Mme [U] [F].
Par déclaration en date du 27 mars 2023, Mme [U] [F] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Par jugement en date du 17 avril 2023, le tribunal de commerce d'Annecy a prononcé la liquidation judiciaire de la société Liga traitement.
Par acte en date du 02 juin 2023, Mme [U] [F] a fait signifier la déclaration d'appel à la société Liga traitement.
Par actes en date du 12 juin 2023 remis à des personnes s'étant déclarées habilitées à recevoir l'acte, Mme [U] [F] a appelé en intervention forcée la SELARL Bouvet et [X] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement et l'AGS CGEA d'[Localité 11] et leur a signifié par les mêmes actes la déclaration d'appel et ses conclusions visées ci-dessous.
Mme [U] [F] s'en est remise à des conclusions transmises le 09 juin 2023 et demande à la cour d'appel de :
A titre principal
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et de sa prise en charge très avantageuse par Pôle emploi et n'a pas formé Mme [U] [F] postérieurement au 1er février 2019, et JUGER que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et qu'en conséquence elle aurait dû être embauchée dès le 15 janvier 2019 par contrat de travail à durée indéterminé,
Par conséquent, CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société
Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] les sommes suivantes :
Rappel de salaire 15 janvier 2019 au 10 mars 2019 : 3 247,47 euros b
Congés payés sur rappel de salaire : 324,75 euros b
A titre subsidiaire
CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et de sa prise en charge très avantageuse par Pôle emploi et n'a pas formé Mme [U] [F] postérieurement au 1er février 2019, et par conséquent, CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé les créances salariales au nom de Mme [U] [F] les sommes suivantes de 2 164,98 euros brut à titre de rappel de salaire 1er février 2019 au 10 mars 2019, outre 216,50 euros brut de congés payés afférents,
En tout état de cause
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a :
- CONDAMNE la société Liga traitement à verser à Mme [U] [F] 3 500 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, uniquement sur le quantum de la demande,
- DEBOUTE Mme [C] du surplus de ses demandes
Et par conséquent,
CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] la somme de 246,17 euros net au titre du rappel d'indemnité de licenciement,
JUGER que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F], et CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] la somme de 10 000 euros net,
JUGER que l'employeur a manqué à son obligation sécurité dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F], et CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] la somme de 10 000 euros net,
JUGER que l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé, et par conséquent, CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mm [U] [F] la somme de 9 933,30 euros net
CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] la somme de 1944 euros TTC au titre de l'article 700 du CPC en première instance et de 1 684,80 euros TTC au titre de l'article 700 du CPC en cause d'appel, outre les dépens éventuels,
DECLARER le jugement commun et opposable à l'AGS qui devra sa garantie,
ORDONNER la capitalisation des intérêts.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions de l'appelante, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à ses écritures susvisées.
La société, le liquidateur judiciaire ès qualités et l'AGS CGEA d'[Localité 11] n'ont pas constitué avocat.
La clôture a été prononcée le 10 avril 2025.
EXPOSE DES MOTIFS :
A titre liminaire, il est relevé que la société Liga traitement et les organes de la procédure collective n'ayant pas conclu à hauteur d'appel pour le compte de la société Liga traitement, ils sont réputés s'en remettre aux motifs de la décision entreprise par application de l'article 954 du code de procédure civile.
Sur le détournement des conditions de l'AFPR et la demande de rappel de salaire subséquente :
D'une première part, l'annexe 4 à la délibération n° 2008-04 du 19 décembre 2008 de l'établissement Pôle emploi fixant la nature et les conditions d'attribution des aides et mesures accordées par Pôle emploi et ses délibérations modificatives n° 2009-29 du 30 avril 2009 et n° 2010-41 du 9 juillet 2010 prévoit que :
Article II - Bénéficiaires
§ 1er Employeurs concernés
L'aide peut être accordée aux employeurs qui souhaitent embaucher un demandeur d'emploi à l'issue de la formation préalable au recrutement sous contrat de travail à durée indéterminée, ou à durée déterminée d'au moins 6 mois, ou dans le cadre d'un contrat de professionnalisation, à l'exclusion d'un contrat de travail temporaire visé à l'article L. 1251-1 du code du travail.
Si le contrat de travail est à temps partiel, l'intensité horaire doit être au moins égale à 20 heures hebdomadaires.
Sont concernés tous les employeurs, à l'exclusion de :
- l'Etat et ses établissements publics administratifs nationaux
- les collectivités territoriales, groupements de collectivités territoriales et établissements publics administratifs locaux.
Dans chaque région, le directeur régional du Pôle emploi peut décider de cibler certains secteurs d'activité pour la mise en 'uvre de l'AFPR notamment ceux où la demande d'emploi est insuffisante.
Il peut également refuser le bénéfice de l'aide à un employeur qui aurait bénéficié précédemment de cette aide et n'aurait pas embauché le bénéficiaire sans motif valable.
D'une seconde part, l'existence d'une relation de travail ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité de travail.
L'élément essentiel du contrat de travail est le lien de subordination juridique qui s'établit entre l'employeur et le salarié.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C'est à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence.
Il n'en va autrement qu'en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient alors à celui qui invoque le caractère fictif de celui-ci d'en rapporter la preuve.
Le plus souvent, c'est l'existence d'un contrat de travail écrit, la délivrance de bulletins de paie, la délivrance de l'attestation Assedic, l'établissement d'une déclaration unique d'embauche qui établiront l'existence d'un contrat travail apparent.
Mais la seule circonstance qu'une rémunération soit qualifiée de salaire ne suffit pas à établir l'existence d'un contrat de travail en l'absence de recherche de l'existence, en fait, d'un lien de subordination.
Parmi les différents indices de la subordination et du contrôle, il y a en particulier l'intégration du salarié dans un service organisé et de l'obligation de rendre compte de son activité.
L'appréciation des éléments de faits et de preuve permettant de déterminer l'existence ou l'absence de lien de subordination relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels ne sont pas tenus de s'expliquer sur les pièces qu'ils décident d'écarter ou de retenir, ni sur la portée qu'ils décident de leur accorder.
Par ailleurs, le fait de ne pas dispenser la formation prévue dans une convention tripartite entre un employeur, une personne et Pôle emploi et de faire travailler cette personne entraîne la requalification de la convention en contrat de travail. (Cass. Soc. 19 décembre 2007, pourvoi n° 06-45.139 ; Cass.Soc. 7 juillet 2015, pourvoi n° 13-16.349).
En l'espèce, d'une première part, la circonstance que le motif du recours au contrat à durée déterminée du 11 mars 2019 régularisé entre les parties pour surcroît temporaire d'activité, dont il n'est pas demandé au dispositif des conclusions la requalification en contrat à durée indéterminée, puisse ne pas être fondé comme le prétend Mme [U] [F] ne saurait avoir pour conséquence de disqualifier l'AFPR dont elle a bénéficiée précédemment en contrat de travail à durée indéterminée depuis l'origine dans la mesure où un employeur est éligible à ce dispositif non seulement quand il envisage un embauche subséquente à durée déterminée à l'issue mais encore à durée indéterminée.
D'une seconde part, Mme [U] [F] admet avoir bénéficié dans le cadre de l'AFPR de deux semaines de formation aux termes desquelles elle s'est vu décerner un certificat de formation qu'elle produit aux débats.
Elle affirme en revanche n'avoir bénéficié d'aucune formation à compter du 1er février 2019 et ce jusqu'à la fin de l'AFPR.
Les premiers juges ont relevé que Mme [U] [F] était opérationnelle sur l'établissement de [Localité 12] dès le 1er février 2019 et qu'elle n'a pas bénéficié d'un accompagnement de sa direction.
Mme [U] [F] verse des éléments aux débats mettant en évidence qu'elle était présente dans la boutique avec une autre stagiaire AFPR, Mme [P] [O], qui s'était également plainte de l'absence de toute formation.
La troisième personne présente, Mme [A], embauchée à compter du 15 janvier 2019, occupe un poste d'employée et non de responsable et rien n'indique que M. [M], le gérant de l'entreprise, était présent à tout le moins tous les samedis à la boutique, étant observé que cette présence ponctuelle dans la semaine n'était pas de nature à permettre la mise en 'uvre d'une action de formation utile.
Le planning produit aux débats en pièce n°41 met au demeurant en évidence que Mmes [O] et [U] [F] étaient certains jours (mardi, jeudi et vendredi) seules en magasin dans la mesure où Mme [A] était employée à temps partiel.
Aucune pièce produite ne permet d'objectiver d'actions de formation pour la période postérieure au 1er février 2019 étant observé que le certificat de validation de formation a été délivré dès le 25 janvier 2019.
La cour observe par ailleurs le décalage entre l'emploi préparé au titre de l'action de formation d'agent d'accueil et d'information et le poste sur lequel la salariée a été engagée en contrat à durée déterminée le 11 mars 2019 d'assistante manager.
Il s'ensuit que Mme [U] [F] était intégrée à un service organisé dans lequel elle travaillait selon des conditions classiques dans le cadre de ce qui s'analyse en réalité à compter de cette date en un contrat de travail de droit commun ouvrant droit au paiement d'un salaire.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] la somme de 2164,98 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période du 1er février 2019 au 10 mars 2019, outre celle de 216,50 euros au titre des congés payés afférents et de débouter Mme [U] [F] du surplus de sa demande à ce titre.
Sur le travail dissimulé :
Au visa des articles L 8221-3, L 8221-5 et L 8223-1 du code du travail, l'élément matériel du travail dissimulé ayant consisté à ne pas déclarer l'emploi salarié de Mme [U] [F] du 1er février au 10 mars 2019 ainsi que de ne pas lui verser et déclarer le salaire correspondant est démontré.
Cette dernière démontre également l'élément intentionnel du travail dissimulé dans la mesure où l'employeur a, en connaissance de cause, après avoir fait dispenser une brève formation à Mme [U] [F] qui s'est achevée le 25 janvier 2019, fait travailler dans des conditions normales de travail dans le cadre de l'ouverture d'une boutique, à compter du 1er février 2019, la cour ayant observé que les deux stagiaires AFPR étaient, certains jours, seules en boutique.
Il convient en conséquence, par réformation du jugement entrepris, de fixer au passif de la procédure collective suivie contre la société Liga traitement la somme de 9933,30 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé au bénéfice de Mme [U] [F].
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
L'article L 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Celle-ci étant présumée, il appartient en principe au salarié qui se prévaut d'une exécution fautive/déloyale du contrat de travail par son employeur d'en rapporter la preuve.
Les premiers juges ont retenu à ce titre une sous-classification de la salariée jusqu'en décembre 2020 avec une correction apportée par la société en décembre 2020/janvier 2021, la circonstance que l'employeur l'avait engagée à tort initialement sous couvert d'une AFPR et ne lui avait pas réglé le salaire convenu qu'elle a dû demander en justice et le fait que la société Liga traitement n'avait adressé que tardivement les documents de fin de contrat.
Le conseil de prud'hommes a, en revanche, écarté comme fautifs le fait que l'employeur a demandé à la salariée une attestation critiquant le franchisseur, la circonstance que la société Liga traitement aurait tenté à plusieurs reprises de la licencier et une difficulté quant à la portabilité de la prévoyance au motif que les frais de santé exposés par la salariée étaient postérieurs à la fin de la relation de travail.
D'une première part, Mme [U] [F] a perçu un rappel de salaire de 457,07 euros brut en décembre 2020 et de 741,47 euros brut en janvier 2021, son salaire brut à temps partiel étant passé corrélativement de 1223,50 euros à 1295,65 euros brut.
Il est acquis que la société Liga traitement a procédé à ces rappels et à cette hausse de salaire à raison du fait que celui-ci était inférieur aux minima conventionnels pour le poste effectivement occupé.
Aucune pièce produite ne permet d'accréditer une simple erreur de l'employeur, à qui il incombe de respecter la convention collective.
Le manquement est dès lors caractérisé et a été préjudiciable à la salariée.
D'une seconde part, Mme [U] [F] a effectivement été privée de salaire à compter du 1er février 2019 jusqu'au 10 mars 2019 à raison du fait que l'employeur l'a maintenue sous convention AFPR alors même qu'il est jugé qu'un contrat de travail existait dès cette période entre les parties.
Le manquement consistant à ne pas régler le salaire correspondant au poste de travail occupé est caractérisé.
D'une troisième part, Mme [S] [O] a témoigné du fait qu'en décembre 2019, le dirigeant avait accusé les salariées présentes, dont Mme [U] [F], du vol de chèques de clients qui avaient été retrouvés ensuite par le comptable.
Cette attestation circonstanciée est jugée probante, peu important que le témoin puisse être également en conflit avec l'employeur, et caractérise un usage abusif du pouvoir de direction, de contrôle et le cas échéant de sanction de l'employeur, qui doit procéder, en l'absence de toute preuve d'imputabilité, avec prudence et proportionnalité.
Le manquement est retenu.
D'une quatrième part, le courriel envoyé le 13 octobre 2020 par lequel il est demandé à la salariée de témoigner pour le compte de l'employeur à l'encontre du franchisseur à raison des difficultés rencontrées dans les instituts n'est pas considéré comme une pression exercée par la société Liga traitement à l'encontre de Mme [U] [F] dans la mesure où l'expéditrice du courriel, que la salariée indique d'ailleurs ne pas connaître, dans ses conclusions, prend le soin de préciser que les salariés sont libres de faire ou non un témoignage avec la formule « C'est pourquoi je vous demanderai, si vous le souhaitez naturellement, un petit témoignage sous la forme de l'attestation judiciaire (') »
L'exécution fautive du contrat de travail de ce chef n'est pas caractérisée.
D'une cinquième part, les pièces n°15 et 16 de la salariée ne permettent pas avec certitude de caractériser la mauvaise foi de l'employeur quant au fait qu'il a adressé par lettre du 09 avril 2021 à Mme [U] [F] une mise en demeure de justifier de son absence à son poste depuis le 02 avril 2021 dans la mesure où les échanges de SMS entre les parties n'objectivent pas suffisamment que M. [M], le gérant, avait bien reçu l'arrêt de travail que lui avait adressé par ce biais la salariée puisque le MMS comporte la mention 'envoyé', sans preuve de réception et que le gérant lui a indiqué n'avoir jamais reçu celui-ci.
Il ne saurait en conséquence en être déduit plusieurs tentatives de licenciement injustifiées de la salariée.
Le manquement de l'employeur n'est pas retenu.
D'une sixième part, l'employeur a rappelé dans la lettre de licenciement pour motif économique ainsi que dans le certificat de travail la portabilité de la prévoyance pendant 12 mois prévue par l'article L 911-8 du code de la sécurité sociale, étant observé que la convention collective prévoit la mise en place d'une mutuelle d'entreprise par avenant du 18 mars 2005.
Toutefois, Mme [U] [F], qui a définitivement quitté l'entreprise le 05 juillet 2021, a signalé avant même cette date à son employeur l'impossibilité de se faire rembourser des frais médicaux dans la mesure où l'assureur Gan lui avait indiqué que la mutuelle était résiliée depuis le 17 mai 2021, à effet manifestement du 19 juin 2021, d'après un courrier du 21 septembre 2021 de la même société d'assurance. Mme [U] [F] établit son préjudice puisqu'elle a dû s'affilier, dès le 01 juillet 2021, à la complémentaire santé solidaire de la sécurité sociale.
Le manquement est avéré et préjudiciable.
D'une septième part, l'employeur ne justifie avoir adressé l'attestation Pôle emploi que le 02 décembre 2021, en cours d'instance contentieuse ; ce qui a empêché à la salariée de faire immédiatement valoir ses droits à l'assurance chômage.
Le manquement est caractérisé.
D'une huitième part, au vu des manquements à l'exécution fautive/déloyale du contrat de travail, eu égard au préjudice subi tant moral que financier, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] la somme de 3500 euros net à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive/déloyale du contrat de travail et de débouter l'appelante du surplus de sa demande de ce chef.
Sur l'obligation de prévention et de sécurité :
L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L'article R4624-10 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 01 janvier 2017 prévoit que :
Tout travailleur bénéficie d'une visite d'information et de prévention, réalisée par l'un des professionnels de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 4624-1 dans un délai qui n'excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail.
L'article R4624-11 du même code énonce que :
La visite d'information et de prévention dont bénéficie le travailleur est individuelle. Elle a notamment pour objet :
1° D'interroger le salarié sur son état de santé ;
2° De l'informer sur les risques éventuels auxquels l'expose son poste de travail ;
3° De le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en 'uvre ;
4° D'identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail ;
5° De l'informer sur les modalités de suivi de son état de santé par le service et sur la possibilité dont il dispose, à tout moment, de bénéficier d'une visite à sa demande avec le médecin du travail.
En l'espèce, l'employeur ne justifie pas d'avoir fait bénéficier à Mme [U] [F] non d'une visite médicale d'embauche mais à tout le moins d'une visite d'information et de prévention.
La première visite médicale a eu lieu au retour de congé maternité de la salariée, le 22 mars 2021, soit plus de 2 ans après l'entrée dans l'entreprise.
Si Mme [U] [F] a été déclarée apte sans restriction à l'issue de cette visite, force est néanmoins de constater qu'elle n'a pas repris le travail puisqu'elle a été en arrêt maladie de manière ininterrompue jusqu'à la rupture du contrat de travail pour un motif économique.
Par ailleurs, si la salariée produit divers éléments médicaux mettant en évidence un lien possible entre l'aggravation de l'asthme dont elle souffrait et son exposition à des huiles essentielles employées dans l'institut, il convient de rappeler qu'il n'appartient pas à la juridiction prud'homale de se prononcer sur l'existence ou non d'une maladie professionnelle éventuelle qui relève d'une procédure et d'une juridiction spécifiques et encore moins de l'indemniser.
Pour autant, Mme [U] [F] objective que le médecin du travail a certes déclaré Mme [U] [F] apte le 22 mars 2021 mais qu'il a dans le même temps adressé au médecin traitant de la salariée un courrier dans lequel il évoque son asthme, le fait qu'il est en l'état difficile de faire un lien avec son métier, les problèmes relationnels avec son employeur et que si cela n'allait pas, il fallait l'arrêter en attendant une éventuelle rupture du contrat de travail avant sa mise en inaptitude.
Il apparaît également que le Dr [N] qui effectue des consultations pour des pathologies professionnelles et environnementales au CHU de [Localité 12] Alpes a écrit le 11 juin 2021 au médecin du travail pour le tenir informer de ses investigations sur les problèmes respiratoires de la salariée en considérant que les huiles essentielles manipulées par la salariée dans le cadre de son emploi étaient propices à une aggravation d'une hyper-réactivité bronchique.
Il s'ensuit qu'indépendamment de l'existence ou non d'une maladie professionnelle déclarée par la salariée, celle-ci a subi un préjudice à raison du manquement de l'employeur à son obligation de bénéficier d'une visite d'information et d'orientation qui lui aurait permis dès l'embauche de faire état de sa pathologie d'asthme, d'être sensibilisée aux risques pour sa santé à raison de l'utilisation d'huiles essentielles et le cas échéant d'être orientée vers le médecin du travail.
Il apparaît également que lors de la visite de pré-reprise du 23 juin 2021 dont l'avis a été communiqué à l'employeur avec l'accord de la salariée, le médecin du travail a préconisé une étude de poste et des conditions de travail, des échanges avec l'employeur et l'établissement de la fiche entreprise.
Il s'ensuit que ce dernier document était inexistant de sorte que l'employeur n'avait pas fait évaluer avant cette date par le service de santé au travail les conditions d'exercice par les salariés de leurs missions et les impacts possibles sur leur santé et ce, en méconnaissance de l'article R 4624-47 du code du travail.
Sans indemniser les conséquences d'une éventuelle maladie professionnelle, le manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité a causé à Mme [U] [F] un préjudice qu'il convient d'évaluer à 2000 euros net à titre de dommages et intérêts, somme fixée au passif de la procédure collective suivie contre la société Liga traitement par réformation du jugement entrepris, le surplus de la demande à ce titre n'étant pas accueilli.
Sur le rappel d'indemnité de licenciement :
En l'espèce, il a été jugé précédemment que Mme [U] [F] était liée par un contrat de travail de droit commun avec la société Liga traitement dès le 1er février 2019, étant observé que le contrat à durée déterminée régularisé pour la période du 11 mars au 10 septembre 2019 s'en trouve dépourvu de tout effet juridique dans la mesure où la relation était nécessairement à durée indéterminée dès l'origine.
L'indemnité légale de licenciement doit être calculée dès le 1er février 2019 en tenant compte des périodes à temps plein (7 mois et 11 jours) et à temps partiel (1 an et 8 mois et 24 jours).
Elle ressort à 851,65 euros net.
L'employeur a versé la somme de 643,09 euros net.
Il convient par réformation du jugement entrepris de fixer au passif de la société Liga traitement au bénéfice de Mme [U] [F] un reliquat d'indemnité de licenciement de 208,56 euros net.
Sur l'intervention forcée de l'AGS CGEA [Localité 11] :
Il convient de déclarer le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 11].
Sur les demandes accessoires :
L'équité et la situation économique des parties commandent de confirmer l'indemnité de procédure de 1200 euros allouée par les premiers juges à Mme [U] [F] et de ne pas faire application complémentaire des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Liga traitement, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS ;
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, dans les limites de l'appel, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que la société Liga traitement a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F],
- condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] les sommes suivantes :
2 164,98 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er février au 10 mars 2019,
216,50 euros brut à titre de congés payés afférents,
Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter du 29 octobre 2021
3 500,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, Ladite somme avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement
1 200,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- condamné la société Liga traitement aux dépens.
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la société Liga traitement a manqué à son obligation de prévention et de sécurité
FIXE au passif de la procédure collective suivie contre la société Liga traitement au bénéfice de Mme [U] [F] les sommes suivantes :
- deux cent huit euros et cinquante-six centimes (208,56 euros) net à titre de reliquat d'indemnité de licenciement
Outre intérêts au taux légal du 29 octobre 2021 au 17 avril 2023
- neuf mille neuf cent trente-trois euros et trente centimes (9933,30 euros) net à titre d'indemnité pour travail dissimulé
- deux mille euros (2000 euros) net à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité
Sans intérêts sur ces deux sommes à raison de l'ouverture de la procédure collective
DÉBOUTE Mme [U] [F] du surplus de ses prétentions au principal
DÉCLARE le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 11]
DIT n'y avoir lieu à application complémentaire des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel
CONDAMNE la société Liga traitement aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président
N° RG 23/01292
N° Portalis DBVM-V-B7H-LYOS
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL FOURNIER AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale - Section B
ARRÊT DU JEUDI 18 SEPTEMBRE 2025
Appel d'une décision (N° RG 21/00947)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 28 février 2023
suivant déclaration d'appel du 27 mars 2023
APPELANTE :
Madame [W] [U] [F]
née le 1er avril 1993 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Virginie FOURNIER de la SELARL FOURNIER AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2024/001842 du 22/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 12])
INTIMEES :
SELARL Bouvet et [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société LIGA TRAITEMENT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 13]
[Localité 7]
non représentée - Signification de la déclaration d'appel le 12 juin 2023 à personne habilitée à recevoir l'acte
Société AGS CGEA D'[Localité 11], n° siret 775 671 878 00756, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Adresse 9]
[Localité 6]
non représentée - Signification de la déclaration d'appel le 12 juin 2023 à personne habilitée à recevoir l'acte
SAS LIGA TRAITEMENT, n° siret 834 473 068 00015, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
non représentée - Signification de la déclaration d'appel le 02 juin 2023 à personne habilitée à recevoir l'acte
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 juin 2025
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président en charge du rapport et Monsieur Jean-Yves POURRET, Conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs observations, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme Laura GUIN, attachée de justice, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 18 septembre 2025, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la cour.
L'arrêt a été rendu le 18 septembre 2025.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [W] [U] [F] a intégré la société par actions simplifiée (SAS) Liga traitement exerçant sous l'enseigne commerciale 'kids poux' à compter 15 janvier 2019 et jusqu'au 09 mars 2019 dans le cadre d'une Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR), financée par l'établissement public Pôle emploi.
A compter du 11 mars 2019, Mme [U] [F] a été engagée en contrat à durée déterminée à temps plein jusqu'au 10 septembre 2019, puis à durée indéterminée à temps partiel à hauteur de 25 heures par semaine à compter du 11 septembre 2019.
Le contrat de travail est soumis à la convention collective nationale de la coiffure et des professions connexes.
A compter du 18 mai 2020, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 18 septembre 2020.
A partir du 19 septembre 2020, Mme [U] [F] a été en congé maternité puis en arrêt maladie à compter du 20 mars 2021.
Par lettre en date du 1er juin 2021, la société Liga traitement a convoqué Mme [U] [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 juin 2021 auquel la salariée ne s'est pas présentée.
Son employeur lui a adressé un courrier pour lui proposer un contrat de sécurisation professionnelle, en lui fournissant par écrit les motifs économiques de la rupture envisagée.
Par courrier en date du 22 juin 2021, la société a accepté le contrat de sécurisation professionnelle.
Par courrier du 23 juin 2021, l'employeur a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique.
Par correspondance du 11 août 2021, Mme [U] [F] a contesté la rupture de son contrat de travail à raison du fait que le motif économique ne lui semblait pas fondé.
Le 10 septembre 2021, l'employeur lui a répondu que tel était bien le cas.
Par requête enregistrée le 28 octobre 2021, Mme [U] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir des rappels de salaire pour la période AFPR requalifiée en contrat de travail, de prétentions au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'à raison de manquements à l'obligation de loyauté, de prévention et de sécurité et au titre du travail dissimulé, outre une demande de capitalisation des intérêts.
Par jugement en date du 28 février 2023, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :
- dit que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et de sa prise en charge avantageuse par Pôle emploi et n'a pas formé Mme [U] [F] postérieurement au 1er février 2019,
- dit que le licenciement de Mme [U] [F] pour motif économique est justifié,
- dit que la société Liga traitement a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F],
- dit que la société Liga traitement n'a pas manqué à son obligation de sécurité,
- dit que la société Liga traitement ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé,
- condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] les sommes suivantes :
2 164,98 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er février au 10 mars 2019,
216,50 euros brut à titre de congés payés afférents,
Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter du 29 octobre 2021
3 500,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, Ladite somme avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement
1 200,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- rappelé que les sommes à caractère salarial bénéficient de l'exécution provisoire de droit, nonobstant appel et sans caution en application de l'article R 1454-28 du code du travail dans la limite de 9 mois de salaire, la moyenne mensuelle brute des trois derniers mois de salaire étant de 1 295,65 euros,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire au-delà de l'exécution provisoire de droit,
- débouté Mme [U] [F] du surplus de ses demandes,
- débouté la société Liga traitement de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Liga traitement aux dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception distribuées le 1er mars 2023 pour la société Liga traitement et le 02 mars 2023 pour Mme [U] [F].
Par déclaration en date du 27 mars 2023, Mme [U] [F] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Par jugement en date du 17 avril 2023, le tribunal de commerce d'Annecy a prononcé la liquidation judiciaire de la société Liga traitement.
Par acte en date du 02 juin 2023, Mme [U] [F] a fait signifier la déclaration d'appel à la société Liga traitement.
Par actes en date du 12 juin 2023 remis à des personnes s'étant déclarées habilitées à recevoir l'acte, Mme [U] [F] a appelé en intervention forcée la SELARL Bouvet et [X] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement et l'AGS CGEA d'[Localité 11] et leur a signifié par les mêmes actes la déclaration d'appel et ses conclusions visées ci-dessous.
Mme [U] [F] s'en est remise à des conclusions transmises le 09 juin 2023 et demande à la cour d'appel de :
A titre principal
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et de sa prise en charge très avantageuse par Pôle emploi et n'a pas formé Mme [U] [F] postérieurement au 1er février 2019, et JUGER que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et qu'en conséquence elle aurait dû être embauchée dès le 15 janvier 2019 par contrat de travail à durée indéterminé,
Par conséquent, CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société
Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] les sommes suivantes :
Rappel de salaire 15 janvier 2019 au 10 mars 2019 : 3 247,47 euros b
Congés payés sur rappel de salaire : 324,75 euros b
A titre subsidiaire
CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a jugé que la société Liga traitement a manifestement détourné les conditions pour bénéficier de l'AFPR et de sa prise en charge très avantageuse par Pôle emploi et n'a pas formé Mme [U] [F] postérieurement au 1er février 2019, et par conséquent, CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé les créances salariales au nom de Mme [U] [F] les sommes suivantes de 2 164,98 euros brut à titre de rappel de salaire 1er février 2019 au 10 mars 2019, outre 216,50 euros brut de congés payés afférents,
En tout état de cause
INFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a :
- CONDAMNE la société Liga traitement à verser à Mme [U] [F] 3 500 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, uniquement sur le quantum de la demande,
- DEBOUTE Mme [C] du surplus de ses demandes
Et par conséquent,
CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] la somme de 246,17 euros net au titre du rappel d'indemnité de licenciement,
JUGER que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F], et CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] la somme de 10 000 euros net,
JUGER que l'employeur a manqué à son obligation sécurité dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F], et CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] [F] la somme de 10 000 euros net,
JUGER que l'employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé, et par conséquent, CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mm [U] [F] la somme de 9 933,30 euros net
CONDAMNER M. [X] es qualités de liquidateur judiciaire de la société Liga traitement à inscrire sur le relevé des créances salariales au nom de Mme [U] la somme de 1944 euros TTC au titre de l'article 700 du CPC en première instance et de 1 684,80 euros TTC au titre de l'article 700 du CPC en cause d'appel, outre les dépens éventuels,
DECLARER le jugement commun et opposable à l'AGS qui devra sa garantie,
ORDONNER la capitalisation des intérêts.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions de l'appelante, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à ses écritures susvisées.
La société, le liquidateur judiciaire ès qualités et l'AGS CGEA d'[Localité 11] n'ont pas constitué avocat.
La clôture a été prononcée le 10 avril 2025.
EXPOSE DES MOTIFS :
A titre liminaire, il est relevé que la société Liga traitement et les organes de la procédure collective n'ayant pas conclu à hauteur d'appel pour le compte de la société Liga traitement, ils sont réputés s'en remettre aux motifs de la décision entreprise par application de l'article 954 du code de procédure civile.
Sur le détournement des conditions de l'AFPR et la demande de rappel de salaire subséquente :
D'une première part, l'annexe 4 à la délibération n° 2008-04 du 19 décembre 2008 de l'établissement Pôle emploi fixant la nature et les conditions d'attribution des aides et mesures accordées par Pôle emploi et ses délibérations modificatives n° 2009-29 du 30 avril 2009 et n° 2010-41 du 9 juillet 2010 prévoit que :
Article II - Bénéficiaires
§ 1er Employeurs concernés
L'aide peut être accordée aux employeurs qui souhaitent embaucher un demandeur d'emploi à l'issue de la formation préalable au recrutement sous contrat de travail à durée indéterminée, ou à durée déterminée d'au moins 6 mois, ou dans le cadre d'un contrat de professionnalisation, à l'exclusion d'un contrat de travail temporaire visé à l'article L. 1251-1 du code du travail.
Si le contrat de travail est à temps partiel, l'intensité horaire doit être au moins égale à 20 heures hebdomadaires.
Sont concernés tous les employeurs, à l'exclusion de :
- l'Etat et ses établissements publics administratifs nationaux
- les collectivités territoriales, groupements de collectivités territoriales et établissements publics administratifs locaux.
Dans chaque région, le directeur régional du Pôle emploi peut décider de cibler certains secteurs d'activité pour la mise en 'uvre de l'AFPR notamment ceux où la demande d'emploi est insuffisante.
Il peut également refuser le bénéfice de l'aide à un employeur qui aurait bénéficié précédemment de cette aide et n'aurait pas embauché le bénéficiaire sans motif valable.
D'une seconde part, l'existence d'une relation de travail ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité de travail.
L'élément essentiel du contrat de travail est le lien de subordination juridique qui s'établit entre l'employeur et le salarié.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
C'est à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence.
Il n'en va autrement qu'en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient alors à celui qui invoque le caractère fictif de celui-ci d'en rapporter la preuve.
Le plus souvent, c'est l'existence d'un contrat de travail écrit, la délivrance de bulletins de paie, la délivrance de l'attestation Assedic, l'établissement d'une déclaration unique d'embauche qui établiront l'existence d'un contrat travail apparent.
Mais la seule circonstance qu'une rémunération soit qualifiée de salaire ne suffit pas à établir l'existence d'un contrat de travail en l'absence de recherche de l'existence, en fait, d'un lien de subordination.
Parmi les différents indices de la subordination et du contrôle, il y a en particulier l'intégration du salarié dans un service organisé et de l'obligation de rendre compte de son activité.
L'appréciation des éléments de faits et de preuve permettant de déterminer l'existence ou l'absence de lien de subordination relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels ne sont pas tenus de s'expliquer sur les pièces qu'ils décident d'écarter ou de retenir, ni sur la portée qu'ils décident de leur accorder.
Par ailleurs, le fait de ne pas dispenser la formation prévue dans une convention tripartite entre un employeur, une personne et Pôle emploi et de faire travailler cette personne entraîne la requalification de la convention en contrat de travail. (Cass. Soc. 19 décembre 2007, pourvoi n° 06-45.139 ; Cass.Soc. 7 juillet 2015, pourvoi n° 13-16.349).
En l'espèce, d'une première part, la circonstance que le motif du recours au contrat à durée déterminée du 11 mars 2019 régularisé entre les parties pour surcroît temporaire d'activité, dont il n'est pas demandé au dispositif des conclusions la requalification en contrat à durée indéterminée, puisse ne pas être fondé comme le prétend Mme [U] [F] ne saurait avoir pour conséquence de disqualifier l'AFPR dont elle a bénéficiée précédemment en contrat de travail à durée indéterminée depuis l'origine dans la mesure où un employeur est éligible à ce dispositif non seulement quand il envisage un embauche subséquente à durée déterminée à l'issue mais encore à durée indéterminée.
D'une seconde part, Mme [U] [F] admet avoir bénéficié dans le cadre de l'AFPR de deux semaines de formation aux termes desquelles elle s'est vu décerner un certificat de formation qu'elle produit aux débats.
Elle affirme en revanche n'avoir bénéficié d'aucune formation à compter du 1er février 2019 et ce jusqu'à la fin de l'AFPR.
Les premiers juges ont relevé que Mme [U] [F] était opérationnelle sur l'établissement de [Localité 12] dès le 1er février 2019 et qu'elle n'a pas bénéficié d'un accompagnement de sa direction.
Mme [U] [F] verse des éléments aux débats mettant en évidence qu'elle était présente dans la boutique avec une autre stagiaire AFPR, Mme [P] [O], qui s'était également plainte de l'absence de toute formation.
La troisième personne présente, Mme [A], embauchée à compter du 15 janvier 2019, occupe un poste d'employée et non de responsable et rien n'indique que M. [M], le gérant de l'entreprise, était présent à tout le moins tous les samedis à la boutique, étant observé que cette présence ponctuelle dans la semaine n'était pas de nature à permettre la mise en 'uvre d'une action de formation utile.
Le planning produit aux débats en pièce n°41 met au demeurant en évidence que Mmes [O] et [U] [F] étaient certains jours (mardi, jeudi et vendredi) seules en magasin dans la mesure où Mme [A] était employée à temps partiel.
Aucune pièce produite ne permet d'objectiver d'actions de formation pour la période postérieure au 1er février 2019 étant observé que le certificat de validation de formation a été délivré dès le 25 janvier 2019.
La cour observe par ailleurs le décalage entre l'emploi préparé au titre de l'action de formation d'agent d'accueil et d'information et le poste sur lequel la salariée a été engagée en contrat à durée déterminée le 11 mars 2019 d'assistante manager.
Il s'ensuit que Mme [U] [F] était intégrée à un service organisé dans lequel elle travaillait selon des conditions classiques dans le cadre de ce qui s'analyse en réalité à compter de cette date en un contrat de travail de droit commun ouvrant droit au paiement d'un salaire.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] la somme de 2164,98 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période du 1er février 2019 au 10 mars 2019, outre celle de 216,50 euros au titre des congés payés afférents et de débouter Mme [U] [F] du surplus de sa demande à ce titre.
Sur le travail dissimulé :
Au visa des articles L 8221-3, L 8221-5 et L 8223-1 du code du travail, l'élément matériel du travail dissimulé ayant consisté à ne pas déclarer l'emploi salarié de Mme [U] [F] du 1er février au 10 mars 2019 ainsi que de ne pas lui verser et déclarer le salaire correspondant est démontré.
Cette dernière démontre également l'élément intentionnel du travail dissimulé dans la mesure où l'employeur a, en connaissance de cause, après avoir fait dispenser une brève formation à Mme [U] [F] qui s'est achevée le 25 janvier 2019, fait travailler dans des conditions normales de travail dans le cadre de l'ouverture d'une boutique, à compter du 1er février 2019, la cour ayant observé que les deux stagiaires AFPR étaient, certains jours, seules en boutique.
Il convient en conséquence, par réformation du jugement entrepris, de fixer au passif de la procédure collective suivie contre la société Liga traitement la somme de 9933,30 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé au bénéfice de Mme [U] [F].
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
L'article L 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Celle-ci étant présumée, il appartient en principe au salarié qui se prévaut d'une exécution fautive/déloyale du contrat de travail par son employeur d'en rapporter la preuve.
Les premiers juges ont retenu à ce titre une sous-classification de la salariée jusqu'en décembre 2020 avec une correction apportée par la société en décembre 2020/janvier 2021, la circonstance que l'employeur l'avait engagée à tort initialement sous couvert d'une AFPR et ne lui avait pas réglé le salaire convenu qu'elle a dû demander en justice et le fait que la société Liga traitement n'avait adressé que tardivement les documents de fin de contrat.
Le conseil de prud'hommes a, en revanche, écarté comme fautifs le fait que l'employeur a demandé à la salariée une attestation critiquant le franchisseur, la circonstance que la société Liga traitement aurait tenté à plusieurs reprises de la licencier et une difficulté quant à la portabilité de la prévoyance au motif que les frais de santé exposés par la salariée étaient postérieurs à la fin de la relation de travail.
D'une première part, Mme [U] [F] a perçu un rappel de salaire de 457,07 euros brut en décembre 2020 et de 741,47 euros brut en janvier 2021, son salaire brut à temps partiel étant passé corrélativement de 1223,50 euros à 1295,65 euros brut.
Il est acquis que la société Liga traitement a procédé à ces rappels et à cette hausse de salaire à raison du fait que celui-ci était inférieur aux minima conventionnels pour le poste effectivement occupé.
Aucune pièce produite ne permet d'accréditer une simple erreur de l'employeur, à qui il incombe de respecter la convention collective.
Le manquement est dès lors caractérisé et a été préjudiciable à la salariée.
D'une seconde part, Mme [U] [F] a effectivement été privée de salaire à compter du 1er février 2019 jusqu'au 10 mars 2019 à raison du fait que l'employeur l'a maintenue sous convention AFPR alors même qu'il est jugé qu'un contrat de travail existait dès cette période entre les parties.
Le manquement consistant à ne pas régler le salaire correspondant au poste de travail occupé est caractérisé.
D'une troisième part, Mme [S] [O] a témoigné du fait qu'en décembre 2019, le dirigeant avait accusé les salariées présentes, dont Mme [U] [F], du vol de chèques de clients qui avaient été retrouvés ensuite par le comptable.
Cette attestation circonstanciée est jugée probante, peu important que le témoin puisse être également en conflit avec l'employeur, et caractérise un usage abusif du pouvoir de direction, de contrôle et le cas échéant de sanction de l'employeur, qui doit procéder, en l'absence de toute preuve d'imputabilité, avec prudence et proportionnalité.
Le manquement est retenu.
D'une quatrième part, le courriel envoyé le 13 octobre 2020 par lequel il est demandé à la salariée de témoigner pour le compte de l'employeur à l'encontre du franchisseur à raison des difficultés rencontrées dans les instituts n'est pas considéré comme une pression exercée par la société Liga traitement à l'encontre de Mme [U] [F] dans la mesure où l'expéditrice du courriel, que la salariée indique d'ailleurs ne pas connaître, dans ses conclusions, prend le soin de préciser que les salariés sont libres de faire ou non un témoignage avec la formule « C'est pourquoi je vous demanderai, si vous le souhaitez naturellement, un petit témoignage sous la forme de l'attestation judiciaire (') »
L'exécution fautive du contrat de travail de ce chef n'est pas caractérisée.
D'une cinquième part, les pièces n°15 et 16 de la salariée ne permettent pas avec certitude de caractériser la mauvaise foi de l'employeur quant au fait qu'il a adressé par lettre du 09 avril 2021 à Mme [U] [F] une mise en demeure de justifier de son absence à son poste depuis le 02 avril 2021 dans la mesure où les échanges de SMS entre les parties n'objectivent pas suffisamment que M. [M], le gérant, avait bien reçu l'arrêt de travail que lui avait adressé par ce biais la salariée puisque le MMS comporte la mention 'envoyé', sans preuve de réception et que le gérant lui a indiqué n'avoir jamais reçu celui-ci.
Il ne saurait en conséquence en être déduit plusieurs tentatives de licenciement injustifiées de la salariée.
Le manquement de l'employeur n'est pas retenu.
D'une sixième part, l'employeur a rappelé dans la lettre de licenciement pour motif économique ainsi que dans le certificat de travail la portabilité de la prévoyance pendant 12 mois prévue par l'article L 911-8 du code de la sécurité sociale, étant observé que la convention collective prévoit la mise en place d'une mutuelle d'entreprise par avenant du 18 mars 2005.
Toutefois, Mme [U] [F], qui a définitivement quitté l'entreprise le 05 juillet 2021, a signalé avant même cette date à son employeur l'impossibilité de se faire rembourser des frais médicaux dans la mesure où l'assureur Gan lui avait indiqué que la mutuelle était résiliée depuis le 17 mai 2021, à effet manifestement du 19 juin 2021, d'après un courrier du 21 septembre 2021 de la même société d'assurance. Mme [U] [F] établit son préjudice puisqu'elle a dû s'affilier, dès le 01 juillet 2021, à la complémentaire santé solidaire de la sécurité sociale.
Le manquement est avéré et préjudiciable.
D'une septième part, l'employeur ne justifie avoir adressé l'attestation Pôle emploi que le 02 décembre 2021, en cours d'instance contentieuse ; ce qui a empêché à la salariée de faire immédiatement valoir ses droits à l'assurance chômage.
Le manquement est caractérisé.
D'une huitième part, au vu des manquements à l'exécution fautive/déloyale du contrat de travail, eu égard au préjudice subi tant moral que financier, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] la somme de 3500 euros net à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive/déloyale du contrat de travail et de débouter l'appelante du surplus de sa demande de ce chef.
Sur l'obligation de prévention et de sécurité :
L'employeur a une obligation s'agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s'exonérer que s'il établit qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L'article R4624-10 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 01 janvier 2017 prévoit que :
Tout travailleur bénéficie d'une visite d'information et de prévention, réalisée par l'un des professionnels de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 4624-1 dans un délai qui n'excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail.
L'article R4624-11 du même code énonce que :
La visite d'information et de prévention dont bénéficie le travailleur est individuelle. Elle a notamment pour objet :
1° D'interroger le salarié sur son état de santé ;
2° De l'informer sur les risques éventuels auxquels l'expose son poste de travail ;
3° De le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en 'uvre ;
4° D'identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail ;
5° De l'informer sur les modalités de suivi de son état de santé par le service et sur la possibilité dont il dispose, à tout moment, de bénéficier d'une visite à sa demande avec le médecin du travail.
En l'espèce, l'employeur ne justifie pas d'avoir fait bénéficier à Mme [U] [F] non d'une visite médicale d'embauche mais à tout le moins d'une visite d'information et de prévention.
La première visite médicale a eu lieu au retour de congé maternité de la salariée, le 22 mars 2021, soit plus de 2 ans après l'entrée dans l'entreprise.
Si Mme [U] [F] a été déclarée apte sans restriction à l'issue de cette visite, force est néanmoins de constater qu'elle n'a pas repris le travail puisqu'elle a été en arrêt maladie de manière ininterrompue jusqu'à la rupture du contrat de travail pour un motif économique.
Par ailleurs, si la salariée produit divers éléments médicaux mettant en évidence un lien possible entre l'aggravation de l'asthme dont elle souffrait et son exposition à des huiles essentielles employées dans l'institut, il convient de rappeler qu'il n'appartient pas à la juridiction prud'homale de se prononcer sur l'existence ou non d'une maladie professionnelle éventuelle qui relève d'une procédure et d'une juridiction spécifiques et encore moins de l'indemniser.
Pour autant, Mme [U] [F] objective que le médecin du travail a certes déclaré Mme [U] [F] apte le 22 mars 2021 mais qu'il a dans le même temps adressé au médecin traitant de la salariée un courrier dans lequel il évoque son asthme, le fait qu'il est en l'état difficile de faire un lien avec son métier, les problèmes relationnels avec son employeur et que si cela n'allait pas, il fallait l'arrêter en attendant une éventuelle rupture du contrat de travail avant sa mise en inaptitude.
Il apparaît également que le Dr [N] qui effectue des consultations pour des pathologies professionnelles et environnementales au CHU de [Localité 12] Alpes a écrit le 11 juin 2021 au médecin du travail pour le tenir informer de ses investigations sur les problèmes respiratoires de la salariée en considérant que les huiles essentielles manipulées par la salariée dans le cadre de son emploi étaient propices à une aggravation d'une hyper-réactivité bronchique.
Il s'ensuit qu'indépendamment de l'existence ou non d'une maladie professionnelle déclarée par la salariée, celle-ci a subi un préjudice à raison du manquement de l'employeur à son obligation de bénéficier d'une visite d'information et d'orientation qui lui aurait permis dès l'embauche de faire état de sa pathologie d'asthme, d'être sensibilisée aux risques pour sa santé à raison de l'utilisation d'huiles essentielles et le cas échéant d'être orientée vers le médecin du travail.
Il apparaît également que lors de la visite de pré-reprise du 23 juin 2021 dont l'avis a été communiqué à l'employeur avec l'accord de la salariée, le médecin du travail a préconisé une étude de poste et des conditions de travail, des échanges avec l'employeur et l'établissement de la fiche entreprise.
Il s'ensuit que ce dernier document était inexistant de sorte que l'employeur n'avait pas fait évaluer avant cette date par le service de santé au travail les conditions d'exercice par les salariés de leurs missions et les impacts possibles sur leur santé et ce, en méconnaissance de l'article R 4624-47 du code du travail.
Sans indemniser les conséquences d'une éventuelle maladie professionnelle, le manquement de l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité a causé à Mme [U] [F] un préjudice qu'il convient d'évaluer à 2000 euros net à titre de dommages et intérêts, somme fixée au passif de la procédure collective suivie contre la société Liga traitement par réformation du jugement entrepris, le surplus de la demande à ce titre n'étant pas accueilli.
Sur le rappel d'indemnité de licenciement :
En l'espèce, il a été jugé précédemment que Mme [U] [F] était liée par un contrat de travail de droit commun avec la société Liga traitement dès le 1er février 2019, étant observé que le contrat à durée déterminée régularisé pour la période du 11 mars au 10 septembre 2019 s'en trouve dépourvu de tout effet juridique dans la mesure où la relation était nécessairement à durée indéterminée dès l'origine.
L'indemnité légale de licenciement doit être calculée dès le 1er février 2019 en tenant compte des périodes à temps plein (7 mois et 11 jours) et à temps partiel (1 an et 8 mois et 24 jours).
Elle ressort à 851,65 euros net.
L'employeur a versé la somme de 643,09 euros net.
Il convient par réformation du jugement entrepris de fixer au passif de la société Liga traitement au bénéfice de Mme [U] [F] un reliquat d'indemnité de licenciement de 208,56 euros net.
Sur l'intervention forcée de l'AGS CGEA [Localité 11] :
Il convient de déclarer le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 11].
Sur les demandes accessoires :
L'équité et la situation économique des parties commandent de confirmer l'indemnité de procédure de 1200 euros allouée par les premiers juges à Mme [U] [F] et de ne pas faire application complémentaire des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Liga traitement, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS ;
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, dans les limites de l'appel, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que la société Liga traitement a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail de Mme [U] [F],
- condamné la société Liga traitement à payer à Mme [U] [F] les sommes suivantes :
2 164,98 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er février au 10 mars 2019,
216,50 euros brut à titre de congés payés afférents,
Lesdites sommes avec intérêts de droit à compter du 29 octobre 2021
3 500,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté, Ladite somme avec intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement
1 200,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- condamné la société Liga traitement aux dépens.
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la société Liga traitement a manqué à son obligation de prévention et de sécurité
FIXE au passif de la procédure collective suivie contre la société Liga traitement au bénéfice de Mme [U] [F] les sommes suivantes :
- deux cent huit euros et cinquante-six centimes (208,56 euros) net à titre de reliquat d'indemnité de licenciement
Outre intérêts au taux légal du 29 octobre 2021 au 17 avril 2023
- neuf mille neuf cent trente-trois euros et trente centimes (9933,30 euros) net à titre d'indemnité pour travail dissimulé
- deux mille euros (2000 euros) net à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité
Sans intérêts sur ces deux sommes à raison de l'ouverture de la procédure collective
DÉBOUTE Mme [U] [F] du surplus de ses prétentions au principal
DÉCLARE le présent arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 11]
DIT n'y avoir lieu à application complémentaire des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel
CONDAMNE la société Liga traitement aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président