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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. a, 18 septembre 2025, n° 23/04666

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 23/04666

18 septembre 2025

N° RG 23/04666 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PATG

Décisions:

- Tribunal de Grande Instance de Bourg En Bresse du 19 novembre 2012

RG 10/211

- Cour d'Appel de Lyon du 15 juin 2021

(1ère chambre civile B)

RG 20/1099

- Cour de Cassation du 05 avril 2023

Pourvoi n K 21-21.184

Arrêt n 257 F-B

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 18 Septembre 2025

statuant sur renvoi après cassation

APPELANTS :

M. [U] [O] [C]

né le [Date naissance 5] 1965 à [Localité 17]

[Adresse 8]

[Localité 1]

Représenté par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1102

Et ayant pour avocat plaidant la SELAS GOBERT & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Mme [X] [Z] [I] épouse [C]

née le [Date naissance 6] 1965 à [Localité 17]

[Adresse 8]

[Localité 1]

Représentée par la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1102

Et ayant pour avocat plaidant la SELAS GOBERT & ASSOCIES Me Jacques GOBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES :

S.A. COMPAGNIE EUROPEENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS

[Adresse 4]

[Localité 11]

Représentée par la SCP AXIOJURIS LEXIENS, avocat au barreau de LYON, toque : 673

S.A. MY MONEY BANK, nouvelle dénomination de la SOCIETE GE MONEY BANK

[Adresse 18]

[Localité 10]

Représentée par la SELARL ADK, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1086

Et ayant pour avocat plaidant Me François VERRIELE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0421

INTERVENANTS :

M. [V] [J]

né le [Date naissance 7] 1948 à [Localité 12]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représenté par la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1813

Et ayant pour avocat plaidant la SCP RIBON - KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, toque : 205

S.A.S. LCS & ASSOCIÉS - NOTAIRES DU [Adresse 14]

[Adresse 16]

[Adresse 15]

[Localité 2]

Représentée par la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1813

Et ayant pour avocat plaidant la SCP RIBON - KLEIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, toque : 205

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 02 Janvier 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Janvier 2025

Date de mise à disposition : 3 avril 2025 prorogée au 18 septembre 2025 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Anne WYON, président

- Julien SEITZ, conseiller

- Françoise CLEMENT, magistrat honoraire

assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Julien SEITZ, conseiller pour le président empêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

La société Apollonia a entrepris, dans le courant des années 2000, de proposer aux particuliers un placement financier assorti d'avantages fiscaux, sous la forme d'un produit « clé en main » comprenant l'acquisition en l'état futur d'achèvement de biens immobiliers destinés à être donnés à bail commercial à des exploitants de résidence de tourisme.

Elle s'est occupée de rechercher les financements nécessaires à l'opération, en servant d'intermédiaire entre les investisseurs et les banques consentant les emprunts immobiliers.

Démarchés par la société Apollonia, M. [K] [C] et Mme [X] [I] épouse [C] ont placé 12 contrats de réservation et contracté de nombreux prêts auprès de différentes banques.

La société GE Moneybank, devenue My Moneybank (la banque), leur a octroyé dans ce cadre un prêt immobilier portant sur une somme de 330.450 euros remboursable en 324 échéances mensuelles, selon offre émise le 16 avril 2007 et acceptée le 30 avril 2007.

Ce prêt a été cautionné par la société Compagnie européenne de garanties et cautions (la société CEGC) selon contrat cadre du 05 février 2007.

Par lettre du 15 mai 2009 la société GE Moneybank a mis les époux [C] en demeure de régler les échéances échues et impayées de l'emprunt, avant d'en prononcer la déchéance du terme le 15 juin 2009.

Actionnée par la société GE Moneybank, la société CEGC lui a versé la somme de 331.886,88 euros le 20 août 2009.

Par actes d'huissier de justice du 12 janvier 2010, la société CEGC a fait citer les époux devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse aux fins d'obtenir leur condamnation à lui payer les sommes de 357.205,76 euros en remboursements des montants versés pour leur compte et 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance.

Par acte d'huissier du 15 mars 2011, la société CEGC a appelé la société GE Moneybank en intervention forcée devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse.

La jonction des deux instances a été ordonnée le 12 mai 2011.

Par jugement du 19 novembre 2012, rectifié le 14 février 2013, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a :

- condamné solidairement M. et Mme [C] à payer à la société CEGC la somme de 331.886,88 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 20 août 2009 ;

- dit que les intérêts échus seront capitalisés conformément aux modalités prévues par le 1154 du code civil ;

- débouté la société CEGC du surplus de ses demandes ;

- débouté les époux [C] de l'intégralité de leurs demandes ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement M. et Madame [C] au paiement des dépens de l'instance, comprenant notamment les frais d'assignation, avec distraction au profit de la société Fauck-Le Bartz, avocats, pour ce ceux dont elle a fait l'avance en d'en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les époux [C] ont relevé appel de ce jugement selon déclaration enregistrée le 13 mars 2013.

Par arrêt du 15 juin 2021, la cour d'appel de Lyon a :

- confirmé le jugement déféré ;

- condamné M. et Mme [C] in solidum à payer la somme de 2.000 euros à la société CEGC et celle de 1500 euros à la société GE Moneybank, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné les mêmes in solidum aux dépens, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les époux [C] ont formé pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 5 avril 2023, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de Lyon, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts formés par M. et Madame [C] contre la société My Moneybank ;

- remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt en les renvoyant devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

La Cour de cassation a retenu :

- qu'en vertu de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ;

- que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formés par M. et Mme [C] contre la société My Moneybank, l'arrêt énonce qu'ils ne présentent aucune demande contre le prêteur pourtant attrayant la cause ;

- qu'en statuant ainsi, alors que M. et Madame [C] demandaient, dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, la condamnation de la société My Moneybank, in solidum avec la société CEGC, alors payer à titre de dommages-intérêts les sommes de 331.886 euros et 173.558 euros, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.

M. et Mme [C] ont saisi la présente cour de renvoi par déclaration enregistrée le 07 juin 2023.

Par assignation signifiée le 25 août 2023, ils ont appelé M. [V] [J], notaire ayant reçu l'acte de vente des lots de copropriété acquis au moyen du prêt litigieux, et la société LCS et associés, notaires du [Adresse 14], en intervention forcée, afin que l'arrêt à intervenir leur soit déclaré commun et opposable.

Par conclusions déposées le 30 août 2023, ils se sont désistés de l'appel en tant que dirigé contre la société CEGC.

***

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives, déposées le 13 juin 2024, les époux [C] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement 19 novembre 2012 rectifié par jugement du 14 février 2013 du tribunal

de grande instance de [Localité 13], en ce qu'il les a déboutés de leur demande de condamnation de GE Moneybank, devenue My Money Bank par changement de nom, à leur payer la somme de 355.119,96 euros outre les intérêts conventionnels réclamés au titre du prêt,

statuant à nouveau :

- condamner My Money Bank à leur communiquer sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 8 jours courant à compter de la signification de l'arrêt à rendre :

'les pages 4, 5, 6, 7 de la demande de prêt,

'le relevé d'identité bancaire des époux [C] remis dans le cadre de la demande de prêt,

'la fiche de renseignements bancaires,

en tout état de cause :

- condamner la société My Money Bank à leur payer la somme de 340.000 euros, provisoirement arrêtée au 31 décembre 2023 et à parfaire après le 31 décembre 2023, outre les intérêts légaux courant au taux légal à compter du 18 mai 2019,

à titre subsidiaire :

- condamner la société My Money Bank à leur payer la somme de 340.000 euros provisoirement arrêtée au 31 décembre 2023 et à parfaire après le 31 décembre 2023, outre les intérêts légaux courant au taux légal à compter du 18 mai 2019,

- condamner la société My Money Bank à leur payer la somme la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société My Money Bank aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 27 juin 2024, la société My Moneybank demande à la cour de:

sur l'intervention volontaire (sic) :

- disjoindre la cause principale du renvoi après cassation de l'intervention forcée,

sur le fond du renvoi après cassation :

- débouter les époux [C] de leur demande de dommages et intérêts comme infondée,

- débouter les époux [C] de toutes leurs fins, prétentions et demandes,

- condamner solidairement M. [U] [C] et Mme [X] [I] épouse [C] à lui payer une indemnité de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux dépens, qui seront recouvrés par Me Florence Charvolin dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 24 octobre 2023, M. [J] et la société LCS et associés notaires du [Adresse 14] demandent à la cour de :

- débouter les époux [C] de leur demande de jonction,

- dire n'y avoir lieu à déclarer commun aux concluants l'arrêt à intervenir,

- condamner les époux [C] à payer à chacun des concluants la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- condamner les époux [C] aux entiers dépens de l'instance d'appel, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société CEGC n'a pas conclu, bien qu'ayant constitué ministère d'avocat.

Il est renvoyé aux conclusions des parties, pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.

Mme la présidente de chambre a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 02 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 09 janvier 2025, à laquelle elle a été mise en délibéré au 03 avril 2025. Le délibéré a été prorogé au 18 septembre 2025.

MOTIFS

Sur le désistement d'appel :

Vu l'article 400 du code de procédure civile ;

Les époux [C] se sont désistés de leur appel en tant que dirigé contre la société CEGC.

Ce désistement a été exprimé après que l'appel incident formé par la société CEGC, en amont du pourvoi en cassation, s'est trouvé dépourvu d'objet en absence de cassation sur le taux d'intérêt appliqué à la condamnation. Il revêt en conséquence un caractère parfait.

Il convient de leur en donner acte.

Sur l'intervention forcée :

Vu l'article 331 du code de procédure civile ;

Les époux [C] reprochent à Me [J] et à la société notariale constituée pour l'exploitation de son étude d'avoir reçu plusieurs des ventes en l'état futur d'achèvement souscrites par leurs soins dans des conditions frauduleuses et d'avoir ce faisant contribué de manière fautive à la création d'un passif excessif les ayant acculés au surendettement.

Ils expliquent avoir agi en responsabilité à l'encontre de cet officier public et de sa société, dans le cadre d'une instance distincte, et avoir intérêt à ce titre à ce que le présent arrêt leur soit déclaré opposable et commun, dans la mesure où ils feront entrer les condamnations prononcées au profit de CEGC dans l'assiette des réparations demandées à Me [R] et son étude, dans l'hypothèse où la cour rejetterait l'action en responsabilité contre la banque objet de la présente instance.

Me [J] et la société notariale font valoir en retour qu'ils n'ont pas reçu communication des pièces sur lesquelles les époux [C] fondent leur demande.

Ils ajoutent que les condamnations prononcées au bénéfice de la société CEGC ont acquis un caractère définitif en amont de leur appel en cause et que celui-ci ne présente plus aucun intérêt, puisque les sommes que les époux [C] entendent leur imputer dans le cadre de l'instance distincte en responsabilité du notaire se trouvent déja fixées, sans qu'ils aient pu faire valoir quelque observation que ce soit à cet égard.

Ils exposent surtout que le prêt litigieux a été souscrit sous seing privé en dehors de toute intervention de Me [J] et de son étude.

Ils sollicitent par l'ensemble de ces motifs que la demande de jonction soit rejetée et que la demande en déclaration de jugement commun soit rejetée.

La société My Moneybank conclut à la disjonction de l'appel en cause. Elle fait essentiellement valoir qu'il n'a pas été formé en temps utile, qu'il risque de retarder à l'excès la décision à intervenir sur renvoi après cassation et qu'il n'entretient pas de lien suffisant avec l'action en responsabilité objet de la présente instance.

Elle soutient à cet égard que la présente instance n'intéresse que sa responsabilité alléguée, laquelle demeure sans incidence sur celle du notaire. Elle ajoute que la condamnation prononcée au profit de la société CEGC revêt un caractère définitif, sans qu'elle puisse être remise en cause par l'intervention tardive du notaire et rappelle que le prêt litigieux a été conclu sous seing privé, sans concours de Me [J] et de son étude.

Sur ce :

L'appel en intervention forcé ne crée pas d'instance distincte, susceptible de jonction avec l'instance initiale l'ayant motivé. Il a pour effet d'attraire la partie intervenante à l'instance déja existante.

La demande de jonction formée par les époux [C] se trouve en conséquence dépourvue d'objet.

En vertu de l'article 331 du code de procédure civile, un tiers à l'instance peut être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commune la décision à intervenir.

Les époux [C] soutiennent qu'ils pourraient être conduits à intégrer les sommes dues à la société CEGC en exécution de l'arrêt prononcé le 15 janvier 2021 dans l'assiette des montants réclamés à Me [J] et sa société d'exploitation, dans le cadre d'une instance en responsabilité professionnelle distincte de la présente.

Il est cependant acquis que les condamnations dont s'agit ont acquis un caractère définitif en amont de l'appel en cause litigieux et que la présente action en responsabilité contre la banque n'aura aucune incidence à cet égard.

Elle n'aura de la même façon aucune incidence sur la responsabilité éventuelle du notaire.

Les époux [C] ne démontrent pas, en pareilles circonstances, avoir intérêt à faire déclarer le présent arrêt opposable et commun à Me [J] et à la société LCS et associés - notaires du [Adresse 14].

Il y a lieu en conséquence de déclarer l'intervention forcée Me [J] et de la société LCS et associés irrecevable, ainsi que de de rejeter la demande visant la disjonction de cet appel en cause.

Sur la faute alléguée de la banque fondée sur la violation des dispositions des articles L 519-1 et L. 519-2 du code monétaire et financier et des dispositions du mandat d'intermédiation :

Vu les articles L. 519-1 et L. 519-2 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 ;

Vu l'article L. 341-4, III, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2005-648 du 06 juin 2005 ;

Les époux [C] reprochent à la banque d'avoir émis une offre de prêt à leur intention, en pleine connaissance de ce que son intermédiaire en opérations de banque French Riviera Invest n'avait pas pris leur attache personnelle et ne leur avait prodigué aucune information ni aucun conseil, mais avait laissé le vendeur du promoteur, savoir la société Apollonia, recueillir auprès d'eux les documents permettant d'instruire la demande de prêt.

Ils estiment que la société My Moneybank a violé en cela les dispositions de l'article L. 519-2 du code monétaire et financier et les termes du mandat la liant à son intermédiaire.

Ils reprochent également à la banque de ne pas avoir exigé de la société FRI la présentation d'un mandat de recherche pourtant prévu par la convention qui les liait.

Ils soutiennent que la société My Moneybank a concouru, par ces manquements, à la constitution frauduleuse par la société Apollonia d'une demande ne faisant pas état de l'endettement antérieur, sans laquelle la demande de prêt n'aurait jamais été acceptée.

Ils ajoutent qu'en raison de ces manquements à ses obligations légales ou à ses obligations conventionnelles contractées avec la société French Riviera Invest, la banque a engagé sa responsabilité à leur égard.

Ils estiment qu'elle leur a fait perdre en cela une chance majeure, voire certaine, de ne pas contracter et d'éviter la condamnation prononcée le 15 janvier 2021 au profit de la caution CEGC ainsi que les frais des procès afférents.

La société My Moneybank réplique qu'elle n'a jamais été informée de l'intervention de la société Apollonia dans le processus de souscription du prêt litigieux et n'a entretenu de relation qu'avec son intermédiaire mandataire French Riviera Invest. Elle ajoute avoir appris tardivement les falsifications et manipulations commises par la société Apollonia et avoir été trompée par celle-ci relativement à l'existence de prêts antérieurs, à dessein de la déterminer à apporter son concours financier aux ventes en l'état futur d'achèvement. Elle se prévaut en cela de décisions judiciaires antérieures et de l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction.

A l'inverse des appelants, elle soutient que les rapports d'audit internes établissent, non pas sa connaissance de l'intervention de la société Apollonia dans la constitution de la demande de prêt litigieuse, mais son ignorance de l'intervention de cette société dans les dossiers apportés par son intermédiaire French Riviera Invest, jusqu'en février 2008.

Elle explique en particulier que le rapport 'Buy to let' invoqué par les consorts [C] ne fait ressortir aucune répartion anormale des rôles entre la banque, son intermédiaire mandataire et les promoteurs proposant les biens en défiscalisation aux emprunteurs.

Elle se prévaut notamment de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 15 mars 2023, retenant que si son agence de Cannes savait que la société French Riviera Invest présentait des dossiers en provenance de la société Apollonia, elle ignorait en revanche que les demandes de prêt correspondantes avaient été renseignées par cette société et qu'elles contenaient des indications inexactes destinées à cacher la souscription de prêts antérieurs pour d'autre ventes en l'état futur d'achèvement consenties par ce même promoteur.

Elle justifie sa décision de ne plus demander à la société French Riviera Invest de produire des mandats de recherche de capitaux signés par les emprunteurs potentiels par le fait que ce mandataire avait renoncé à solliciter des honoraires dans le cadre desdites recherches.

Sur ce :

En application de l'article L. 519-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l'espèce, est intermédiaire en opérations de banque toute personne qui, à titre de profession habituelle, met en rapport les parties intéressées à la conclusion d'une opération de banque, sans se porter ducroire.

En vertu de l'article L. 519-2 du même code, l'activité d'intermédiaire en opérations de banque ne peut s'exercer qu'entre deux personnes dont l'une au moins est un établissement de crédit. L'intermédiaire en opérations de banque agit en vertu d'un mandat délivré par cet établissement. Ce mandat mentionne la nature et les conditions des opérations que l'intermédiaire est habilité à accomplir.

Les époux [C] estiment en la présente espèce, que la responsabilité de la banque se trouve engagée pour avoir laissé son mandataire FRI exécuter son mandat de manière incomplète et fautive.

La responsabilité de la banque mandante par suite des agissements de son mandataire démarcheur obéit aux dispositions de l'article L. 341-4, III, du code monétaire et financier, issu de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, aux termes duquel les établissements de crédit sont civilement responsables du fait des démarcheurs, agissant en cette qualité, auxquels ils ont délivré un mandat.

Il résulte de ce texte, dérogeant au droit commun de la responsabilité du mandant du fait de son mandataire, que l'établissement de crédit est responsable de plein droit du fait des démarcheurs, agissant en cette qualité, auxquels il a donné mandat, sans pouvoir s'exonérer par la preuve d'une absence de faute (Cass. Civ. 1ère, 7 mai 2025, n° 2313923).

Il ressort de la convention de collaboration conclue entre la banque et la société FRI que la première a donné mission à la seconde :

- de dispenser à la clientèle prospectée toutes informations sur les caractéristiques des produits, sans procéder à des omissions ou à des déclarations inexactes susceptible d'induire celle-ci en erreur,

- d'analyser les profils des clients et de les sélectionner, puis de transmettre à la banque les demandes de crédit et les justificatifs nécessaires à l'instruction de ces demandes.

Il en ressort également que la banque a fait interdiction à la société FRI de déléguer ces missions à un tiers, reprenant en cela la prohibition légale posée à l'article L. 519-2 du code monétaire et financier.

Un tel mandat s'analyse en un mandat de démarchage au sens des articles L. 341-1 et L. 341-4 du code monétaire et financier, ce dont il suit que la société My Moneybank se trouve responsable de plein droit des conséquences dommageables susceptibles de s'attacher à l'exécution par la société FRI de son mandat à l'égard des époux [C], sans pouvoir valablement opposer n'avoir commis aucune faute.

Or, les époux [C] expliquent n'avoir jamais entretenu de relation avec la société FRI et n'avoir traité que par l'intermédiaire des commerciaux la société Apollonia.

L'ordonnance de renvoi du 15 avril 2022 et l'audit interne 'Buy to let' diligenté par Ge Moneybank (pièce n°9 des appelants) donnent foi à cette affirmation.

Il résulte en particulier de l'ordonnance de renvoi que les dossiers apportés par la société FRI à la société GE Moneybank étaient constitués par la société Apollonia sans que la première n'entretienne le moindre rapport avec les clients. Le responsable de la société FRI a notamment reconnu qu'il avait accédé à la demande de la société Apollonia de 'ne pas rencontrer ni contacter les clients' et de 'recevoir un dossier déja constitué dans lequel il était hors de question de demander un document supplémentaire', son rôle se limitant à la vérification de la cohérence des éléments collectés par la société Apollonia puis de transmettre le dossier à la banque désignée par celle-ci.

Il résulte par ailleurs du rapport d'audit qu'un courriel du 25 septembre 2006 révèle que la société GE Moneybank savait à cette date que la société FRI se déchargeait sur les promoteurs de l'étude du dossier et de la gestion du montage financier, en laissant les vendeurs des promoteurs rencontrer les clients et récupérer les éléments nécessaires à l'étude patrimoniale.

Il s'ensuit que la société FRI a délégué à la société Apollonia le soin de recueillir les informations utiles à l'instruction de la demande de prêt et de sélectionner les emprunteurs potentiels au regard de leur profil et de leur situation patrimoniale.

Force est de constater que les éléments recueillis par la société Apollonia ne sont pas pertinents mais revêtent au contraire un caractère trompuer.

L'examen de la demande de prêt (pièce 22 de la société My Moneybank) témoigne en effet de ce que les prêts immobiliers antérieurement souscrits par les appelants dans le cadre des investissements Apollonia n'ont pas été repris dans la fiche de renseignement patrimoniale, alors pourtant qu'ils représentaient un montant en capital de plus de 3.600.000 euros et portaient le taux d'endettement des époux [C] à plus de 100 %.

L'ordonnance de renvoi révèle que cette omission n'est pas propre au dossier des époux [C], mais qu'elle s'inscrit dans une pratique généralisée, imputable à la société Apollonia, ayant consisté à remplir elle-même les fiches de renseignement relatives à la situation patrimoniale des emprunteurs, et de taire sciemment, en cette occasion, l'existence de l'endettement antérieur, dans l'intention vraisemblable de tromper la vigilance des banques et de faciliter la conclusion de nouveaux prêts.

La cour relève à cet égard que la demande de prêt communiquée par la société My Moneybank, se trouve constituée de trois pages dont la dernière porte la signature des époux [C]. Or, cette dernière page est numérotée 8 alors que les deux premières pages ne sont pas numérotées. L'incohérence dans le nombre de pages du document et la présence sur la dernière d'une numérotation absente des deux premières tend à démontrer que la fiche de renseignement a été remplie par la société Apollonia sans contrôle effectif des appelants, qui ont apposé leur signature sur un autre document, ultérieurement amalgamé.

Cette circonstance démontre suffisamment que le dossier des époux [C] s'inscrit dans la pratique précédemment décrite et que l'omission des emprunts immobiliers antérieurs est imputable à la société Apollonia plutôt qu'aux appelants.

En l'absence d'une telle omission, la fiche de renseignement aurait fait apparaître la situation suivante :

ressources :

'revenus du travail : 11.489 euros par mois

'revenus fonciers générés par les achats Apollonia antérieurs : 6.674 euros par mois

'restitution TVA : 1.488 euros

total 19.651 euros par mois

charges :

'emprunts (hors Apollonia) : 3.747 euros

'emprunts Apollonia y compris le prêt litigieux : 16.051 euros

total : 19.798 euros

taux d'endettement supérieur à 100 %

actifs patrimoiniaux :

'résidence principale : 381.000 euros nets

'immeuble secondaire détenu via une société civile et résidence secondaire : 182.000 euros nets

'valeur à l'achat des immeubles Apollonia : 2.572.909 euros

total : 3.135.909 euros

passif patrimonial :

'prêts : 4.282.258 euros

passif supérieur à l'actif de plus de 1.000.000 euros.

Il est certain qu'au regard d'une telle situation, la banque n'aurait pas octroyé le concours litigieux aux époux [C] si ce n'avait été l'omission des prêts antérieurs dans la fiche de renseignement, imputable à la société Apollonia.

La cour retient à l'inverse que si la société FRI avait correctement exécuté la convention de collaboration conclue avec GE Moneybank, en s'abstenant de déléguer son rôle d'intermédiaire en violation des dispositions conventionnelles et de celles de l'article L. 519-2 du code monétaire et financier, en recueillant personnellement les renseignements patrimoniaux utiles auprès des époux [C] et en s'assurant de ce que leur profil était adapté à la souscription d'un prêt d'investissement, ainsi que l'y obligeait son mandat, le prêt litigieux n'aurait jamais été souscrit.

En application de l'article L. 341-4 III du code monétaire et financier, ces manquements fautifs de la société FRI dans l'exécution de son mandat engagent la responsabilité de la société My Moneybank à l'égard des époux [C] et l'obligent à réparer les conséquences dommageables nées de la souscription de l'emprunt litigieux, sans que l'appelante puisse valablement exciper de son absence de faute.

Les éléments précédemment exposés témoignent de ce que ces conséquences dommageables s'entendent de la perte d'une chance pour les époux [C] de ne pas souscrire l'emprunt litigieux - ou plutôt de se le voir refuser - et de ne pas se trouver par la suite contraints de régler la somme de 331.886,88 euros, entre les mains de la caution institutionnelle, augmentée des intérêts au taux légal capitalisés, ainsi que les frais irrépétibles dus à la caution suite au procès au fond et au pourvoi en cassation, soit la somme de 5.500 euros.

Reste à quantifier le taux de cette perte de chance.

Il a été précédemment retenu à cet égard que la chance d'obtenir le concours aurait été quasi nulle si la fiche de renseignement n'avait été renseignée de manière trompeuse par la société Apollonia, indépendamment de la volonté des consorts [C].

C'est à juste titre en revanche que la société My Moneybank fait observer qu'à la réception de l'offre de prêt et des documents annexes, les époux [C] ont signé une fiche résumant leur situation patrimoniale de manière grossièrement inexacte, pour ne pas faire mention des prêts souscrits dans le cadre des opérations Apollonia antérieures.

Rien ne permet d'affirmer que cette signature aurait été obtenue par surprise ou tromperie.

En signant ce document, qui révélait que l'offre de prêt avait été émise en contemplation de renseignements manifestement erronés, pour accepter concomitament l'offre de prêt, les époux [C] ont concouru à la survenance de la perte de chance dont ils réclament réparation.

Cette implication ne revêt cependant pas de caractère prépondérant, dans la mesure où aucune offre ne leur aurait été adressée au premier chef si ce n'avait été de l'omission intentionnelle et originelle entachant la fiche de renseignements patrimoniaux, exclusivement imputable à la société Apollonia.

La cour retient en conséquence un taux de perte de chance de 70 %, conduisant à liquider l'indemnité au montant de :

378.872,11 euros (sommes dues à la société CEGC au 31 décembre 2023) + 5.500 euros = 384.372,11 euros sur lesquels est appliqué la perte de chance de 70 % pour un total de 269.060,47 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 31 décembre 2023.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande des époux [C] tendant à la condamnation de la banque à leur verser des dommages-intérêts et de condamner la société My Moneybank à payer aux époux [C] la somme de 269.060,47 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 31 décembre 2023.

Sur la demande de communication forcée de pièces :

La cour a été en mesure de trancher le litige en l'absence même des pièces dont les époux [C] sollicitent la communication et il y a lieu partant de rejeter la demande afférente.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Vu les articles 639, 696 et 700 du code de procédure civile ;

En vertu de l'article 639 susvisé, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

La société My Moneybank succombe à l'instance. Il convient partant de la condamner à supporter les dépens de 1ère instance, ainsi que l'ensemble de ceux exposés devant la cour d'appel de Lyon, avant et après l'arrêt de cassation.

L'équité commande de la condamner en sus à payer aux époux [C] la somme de 6.000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles et de rejeter le surplus des demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé en dernier ressort,

Vu l'arrêt de cassation du 05 avril 2023 ;

- Infirme le jugement prononcé le 14 février 2013 par le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse sous le numéro RG 12/04010 en ce qu'il rejette la demande indemnitaire dirigée par M. [U] [C] et Mme [X] [I] épouse [C] contre la société GE Moneybank ;

Statuant à nouveau du chef de jugement infirmé et y ajoutant :

- Donne acte à M. [U] [C] et Mme [X] [I] épouse [C] de ce qu'ils se désistent de leur appel en tant que dirigé contre la société Compagnie européenne de garanties et cautions ;

- Déclare irrecevable l'intervention forcée de Me [V] [J] et de la société LCS et associés - notaires du [Adresse 14] ;

- Dit que la demande de jonction de cet appel en cause se trouve dépourvue d'objet et rejette la demande visant sa disjonction ;

- Rejette la demande de production forcée de pièces formée par M. [U] [C] et Mme [X] [I] épouse [C] ;

- Condamne la société My Moneybank à payer à M. [U] [C] et Mme [X] [I] épouse [C], ensemble, la somme de 269.060,47 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 31 décembre 2023 ;

- Condamne la société My Moneybank aux dépens de 1ère instance et d'appel, en ce inclus les dépens exposés devant la cour 'appel de [Localité 17] en amont de la cassation du 05 avril 2023;

- Condamne la société My Moneybank à payer à M. [U] [C] et Mme [X] [I] épouse [C], ensemble, la somme de 6.000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles;

- Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER LE CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ

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