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Décisions

CA Versailles, ch.protection soc. 4-7, 18 septembre 2025, n° 23/03456

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/03456

18 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88G

Ch.protection sociale 4-7

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 18 SEPTEMBRE 2025

N° RG 23/03456 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WHTS

AFFAIRE :

S.A.R.L. [15]

C/

[19]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Avril 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de PONTOISE

N° RG : 20/00638

Copies exécutoires délivrées à :

Me Damien DECOLASSE

[21]

Copies certifiées conformes délivrées à :

S.A.R.L. [15]

[21]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.R.L. [15]

[Adresse 6]

[Localité 8]

représentée par Me Damien DECOLASSE de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701 substituée par Me Martin PERRINEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

APPELANTE

****************

[19]

[Adresse 2]

[Localité 9]

représentée par Mme [G] [W] (Représentant légal) en vertu d'un pouvoir spécial

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente,

Madame Charlotte MASQUART, conseillère,

Madame Julie MOUTY-TARDIEU, conseillère,

Greffière, lors des débats et du prononcé: Madame Juliette DUPONT,

EXPOSÉ DU LITIGE

A la suite d'un contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 dans le cadre d'une commission rogatoire dans un dossier d'instruction du tribunal de grande instance de Pontoise, un procès-verbal a été établi par la gendarmerie concernant un travail dissimulé.

L'[20] (l'URSSAF) a été requise, a pu consulter la procédure et en tirer les conséquences quant au montant des cotisations éludées auprès d'elle, la société [15] (la société) étant suspectée d'utiliser des sociétés présentées comme sous-traitantes afin de blanchir les rémunérations dissimulées versées à plusieurs de ses salariés.

L'URSSAF a signifié, par voie d'huissier le 13 juillet 2017, à la société [15] (la société) une lettre d'observations, émise le 5 juillet 2017, aux termes de laquelle il était envisagé un redressement d'un montant de 2 113 069 euros portant sur six chefs de redressement, outre une majoration de redressement complémentaire pour infraction de travail dissimulé de 818 089 euros.

Le 29 juillet 2017, la société a fait part de ses observations contestant les chefs de redressement n° 1 (travail dissimulé avec verbalisation - dissimulation d'emploi salarié-taxation forfaitaire (concernant la société [18]), 2 (travail dissimulé avec verbalisation- dissimulation d'emploi salarié-taxation forfaitaire (concernant les sociétés [11]/[14]) 5 (travail dissimulé avec verbalisation - dissimulation d'emploi salarié-taxation forfaitaire (concernant la SCI [17]) et 6 (motif non contesté : annulation des réductions générales de cotisations suite au constat de travail dissimulé).

Par courrier du 22 décembre 2017, l'URSSAF a maintenu le redressement.

L'URSSAF a notifié à la société une mise en demeure datée du 13 février 2018 pour le paiement de la somme totale de 3 179 691 euros incluant les majorations de retard provisoires calculées au jour de l'établissement de la mise en demeure.

La société a saisi la commission de recours amiable de l'URSSAF qui a rejeté son recours dans sa séance du 17 décembre 2018. La société a alors saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Pontoise.

Par acte d'huissier de justice en date du 26 mars 2018, l'URSSAF a signifié, à l'étude d'huissier, la contrainte émise le 19 mars 2018 à l'encontre de la société portant sur la somme totale de 3 179 691 euros au titre du redressement.

La société a formé opposition à la contrainte le 12 avril 2018.

Par jugement contradictoire en date du 16 avril 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise a :

- ordonné la jonction des instances enregistrées sous les numéros de répertoire général 20/638 et 20/640 ;

- dit que la présente instance sera désormais enregistrée au répertoire général sous le numéro 20/638 ;

- rejeté l'exception de nullité relative à l'acte de signification du 26 mars 2018 ;

- dit que l'acte de signification du 26 mars 2018 dressé à la demande de l'URSSAF est valable ;

- déclaré irrecevable l'opposition formée par la société à la contrainte émise à son encontre par L'URSSAF le 19 mars 2018 et signifiée le 26 mars 2018 pour un montant de 3 179 691 euros ;

- dit que la contrainte émise par l'URSSAF à 1'encontre de la société le 19 mars 2018 et signifiée le 26 mars 2018 pour un montant de 3 179 691 euros est devenue définitive ;

- déclaré irrecevable le recours, formé par la société, en contestation de la décision de la commission de recours amiable de l'URSSAF du 17 décembre 2018, notifiée 1e 20 décembre 2018, qui a confirmé la mise en demeure du 13 février 2018 ;

- condamné la société à payer les frais de signification de la contrainte susmentionnée ;

- condamné la société au paiement des dépens ;

- rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Par déclaration du 11 mai 2021, la société a interjeté appel. Après radiation et remise au rôle, les parties ont été convoquées à l'audience du 5 juin 2025.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la Cour :

- d'infirmer le jugement rendu le 16 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Pontoise en toutes ses dispositions ; et statuant à nouveau,

s'agissant de la recevabilité du recours

à titre principal

- d'annuler la signification de la contrainte du 19 mars 2018 faite par acte d'huissier du 26 mars 2018 ;

à titre subsidiaire

- de lui déclarer le délai de recours de 15 jours inopposable ;

à titre infiniment subsidiaire

- de déclarer qu'au cas présent, l'application de l'article R. 133-3 du code de la sécurité sociale constituerait une violation de l'article 6 de la Convention des droits de l'homme ;

en conséquence et en toute hypothèse

- de déclarer son recours recevable ;

sur le fond

à titre principal

- d'annuler la contrainte du 19 mars 2018 notifiée par acte d'huissier du 26 mars 2018 ;

- d'annuler la procédure de contrôle, la mise en demeure du 13 février et l'entier redressement ;

à titre subsidiaire

- d'annuler les chefs de redressements contestés ;

en tout état de cause

- de condamner l'URSSAF à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, l'URSSAF demande à la Cour :

- de confirmer le jugement rendu le 16 avril 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise ; y ajoutant et statuant à nouveau,

à titre principal

- de dire irrecevable le recours pour cause de forclusion ;

à titre subsidiaire si la forclusion n'est pas retenue

- de dire le redressement opéré à bon droit ;

- de constater la validité de la mise en demeure du 13 février 2018 ;

- de valider la contrainte pour son entier montant.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'opposition

L'URSSAF soulève une fin de non-recevoir et estime que l'opposition formée par la société est forclose, la contrainte ayant été régulièrement signifiée.

La société expose que la signification de la contrainte au [Adresse 3] à [Localité 12] est nulle car elle ne demeurait plus à cette adresse, que l'huissier n'a pas accompli de diligences suffisantes pour remettre la signification à personne et que l'acte ne caractérise pas l'impossibilité de signifier à personne ; que les diligences accomplies par l'huissier pour s'assurer du domicile de la société ont été insuffisantes et l'acte n'en donne pas un détail suffisant ; que le tribunal s'est fondé sur un document autre que la signification de la contrainte, les mentions retenues n'y correspondant pas, sans retenir des attestations produites.

Elle ajoute que la signification ne détaille pas les modalités et voies de recours, est donc irrégulière et ne peut faire courir les délais de recours.

A défaut, la société soutient que le délai ne lui est opposable qu'à compter du jour où elle a été informée du délai de recours, n'ayant réceptionné la contrainte que le 30 mars 2018.

Sur ce,

Sur la régularité de la signification de la contrainte

Aux termes de l'article 655 du code de procédure civile,

"Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.

L'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification.

La copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire.

La copie ne peut être laissée qu'à condition que la personne présente l'accepte et déclare ses nom, prénoms et qualité.

L'huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise."

L'article 656 du même code dispose que :

" Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée.

La copie de l'acte est conservée à l'étude pendant trois mois. Passé ce délai, l'huissier de justice en est déchargé.

L'huissier de justice peut, à la demande du destinataire, transmettre la copie de l'acte à une autre étude où celui-ci pourra le retirer dans les mêmes conditions."

Le tribunal a estimé que la signification de la contrainte était valable, aucune procédure en faux n'ayant été diligentée et aucun grief invoqué et que le recours de la société était forclos et donc irrecevable.

En l'espèce, la société a produit un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 30 novembre 2017 décidant de transférer le siège social du [Adresse 4] ([Adresse 10]) vers le [Adresse 5] ([Adresse 7]) de façon rétroactive à compter du 13 novembre 2017.

Ce procès-verbal ,n'a été déposé au registre des commerces et des sociétés que le 4 juin 2018.

La société ne produit aucun élément justifiant avoir informé avant cette date l'URSSAF de son changement de siège social.

Il convient de relever que la mise en demeure a été adressée par lettre recommandée à cette adresse d'[Localité 12] et l'avis de réception est revenu signé le 16 février 2018.

En conséquence, au jour de la signification de la contrainte, le siège social de la société était encore officiellement à [Localité 12] et il ne peut être reproché à l'huissier de justice d'avoir cherché à signifier la contrainte à cette adresse.

***

Dans le procès-verbal de remise à étude du 26 mars 2018, l"huissier a indiqué "N'ayant pu, lors de mon passage, avoir de précisions suffisantes sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte, le domicile étant certain ainsi qu'il résulte des vérifications suivantes :

le nom est inscrit sur la boîte aux lettres

l'adresse nous a été confirmée par le voisinage."

Le procès-verbal de remise à étude précise encore les circonstances rendant impossible la signification à personne : "Personne n'est présent ou ne répond à mes appels".

La société affirme que l'huissier n'a pas suffisamment relaté les démarches entreprises pour contacter la société. Elle soutient également qu'elle avait déménagé à cette date et avait déjà procédé au transfert de son siège social.

Il ne peut donc être reproché à l'huissier de n'avoir pu signifier à personne habilitée et de n'avoir pas effectué de démarches supplémentaires pour tenter de contacter la société puisque, de fait, celle-ci reconnaît qu'il n'y avait plus de salariés sur le site.

Pour autant, le changement de siège social n'ayant pas été porté à la connaissance de l'URSSAF, la signification de la contrainte à cette adresse, est valable.

En outre, la lettre d'observations a déjà été signifiée par voie d'huissier le 13 juillet 2017, à personne habilitée, au [Adresse 4] [Localité 1], siège social de la société par le même huissier. Celui-ci connaissait donc les lieux et a pu constater l'absence de personne présente pour la société.

La société ajoute qu'elle partageait les lieux avec une autre société, la société [13] et que les salariés étaient habilités à recevoir les courriers destinés à la société [15], que certains se trouvaient dans le bâtiment le jour de la signification de l'acte et que l'huissier aurait pu leur confier l'acte.

Le gérant de la société, M. [Y], a attesté que "le personnel reçoit le courrier et me transmet immédiatement tout courrier recommandé ou acte d'huissier. Le courrier habituel doit être tamponné puis déposé dans une bannette".

Il doit être compris que le personnel dont il est question est celui de la société [13] qui exerce sous l'enseigne [16].

M. [C], salarié de la société [13], atteste qu'"un accord verbal du gérant d'entib de recevoir le courrier avec les instructions suivantes : pour les courriers recommandés et actes d'huissier, nous devons les recevoir et les transmettre immédiatement au gérant. Pour les courriers classiques, les recevoir les tamponner puis les ranger dans une bannette afin que le gérant puisse les récupérer lors de son passage à savoir une ou deux fois par mois. Je confirme avoir été présent le 26/03/2018 et j'atteste qu'à ma connaissance aucun huissier ne s'est présenté ce jour."

Il est cependant curieux que les salariés de la société [13] puissent récupérer des courriers officiels, recommandés ou actes d'huissier sur la simple foi d'un accord verbal.

En outre, les actes d'huissier sont valables jusqu'à inscription de faux. Il n'est pas contradictoire que l'huissier, au moment où il est passé n'ait pas constaté la présence de salariés dans la cour derrière le portail, les deux personnes, qui attestent avoir été présentes sur place, ne confirmant pas être restées dans la cour toute la journée.

La société produit les bulletins de salaires de salariés de la société [13] qui travaillaient le 26 mars 2018. S'agissant d'ouvriers du bâtiment ne travaillant pas sur place, ou de salariés travaillant dans des bureaux et non dans la cour à l'extérieur du bâtiment, il n'est pas certain qu'ils aient pu apercevoir l'huissier qui n'a pas l'obligation d'entrer dans des locaux privés sans autorisation.

Pour justifier de l'insuffisance des diligences accomplies par l'huissier, Maître [M] [R], la société a fait établir un procès-verbal de constat le 20 juin 2018.

Maître [E] [J], huissier de justice, a constaté la présence d'un portail métallique fermé à travers lequel il a vu passer deux personnes, huit boites aux lettres sur lesquelles le nom de la société [15] ne figurait pas.

Il ajoute qu'un portillon situé en partie médiane de la clôture séparative est ouvert et dépourvu de serrure. Il y est entré pour se rendre au fond de la cour, sous l'enseigne [16]. Il y a rencontré plusieurs personnes et il lui a été donné le nom de personnes présente le 26 mars 2018.

Maître [R] a écrit à l'URSSAF le 3 décembre 2018 : "L'absence de nom sur les boites aux lettres ne justifie pas que le nom ne figurait pas lors de la signification, d'autant que la société [15] possède la boîte aux lettres n° 4, comme le laisse apparaître les photos prises par nos soins le 1er décembre 2018, suite à la réception du courrier distribué par le facteur. De plus, le portillon possède une serrure comme le laisse apparaître la photo ci-jointe, prise également le 01/12/2018.

Lors de ces constatations, l'Huissier interpelle des tiers et recueille des déclarations, ce qui n'est pas possible puisque l'huissier de Justice ne peut recueillir de déclarations de tiers dans le cadre d'un procès-verbal de constat. Il existe une procédure, si besoin, à cet effet...

Par ailleurs, la SARL [15] reconnaît avoir réceptionné le courrier simple en date du 30 mars 2018 et c'est l'assistante en charge de l'ouverture du courrier qui n'a pas vu l'urgence particulière du courrier en question.

Enfin, comme vous l'avez constaté, notre étude a transmis le jour même la contrainte à l'avocat de la société [15], qui nous l'a réclamé par mail le 11 avril 2018."

Le même jour, la SCP d'huissiers a attesté que "le 26/03/2018 le clerc significateur et assermenté en notre étude a tenté de remettre à personne morale la signification de contrainte rendue par l'URSSAF ...

Le clerc assermenté a, le 26/03/2018, constaté que la Sarl [15] possédait une boîte aux lettres 'n°4' et occupait les locaux situés en fond de cour, notamment au premier étage.

L'accès au bâtiment s'effectue par un portillon qui possède une serrure et par un grand portail coulissant, fermé lors des passages et dont l'ouverture est commandée par un boîtier à code. L'accès aux bureaux occupés par la Sarl [15], au 1er étage du bâtiment, s'effectue par une porte de garage.

Il n'existe aucune sonnette ou interphone et aux appels du clerc, aucune personne de la société [15] s'est présentée à lui pour recevoir et accepter la signification de la contrainte."

Le procès-verbal de constat a été réalisé deux mois après la signification de la contrainte, n'est pas en contradiction avec le précédent acte d'huissier, à l'exception de la présence ou non d'une serrure et d'un nom sur une boîte aux lettres.

Il parait cependant étonnant qu'un portail soit fermé à clé alors que le portillon à proximité est dépourvu de serrure, permettant d'entrer dans une cour donnant accès à du matériel professionnel.

Il s'en déduit que, au moment où le clerc assermenté s'est rendu sur place pour signifier la contrainte, aucun personnel d'une société tierce ne circulait dans la cour et que la signification à personne habilitée s'est révélée impossible.

Le procès-verbal de signification précise également qu'un avis de passage a été déposé dans la boîte aux lettres de la société et la copie de l'acte de signification a été envoyée par lettre simple.

Le courrier remis par la Poste a pu être glissé dans une boîte aux lettres au nom de la société puisque la société reconnaît qu'il lui a été remis le 30 mars 2018 par une employée de la société [13]. L'avis de passage a donc bien été déposé le jour même dans une boîte aux lettres au nom de la société.

***

La société a contesté les énonciations faites par le tribunal concernant les éléments portés sur la signification de la contrainte.

Cependant, s'agissant de copies de deux originaux, ces derniers ne sont pas identiques mais contiennent les mêmes informations sur les diligences accomplies.

En conséquence, c'est çà juste titre que le tribunal a estimé que la signification était régulière.

Sur l'opposition à contrainte

Aux termes de l'article R. 133-3 du code de la sécurité sociale,

"Si la mise en demeure ou l'avertissement reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur de l'organisme créancier peut décerner la contrainte mentionnée à l'article L. 244-9 ou celle mentionnée à l'article L. 161-1-5. La contrainte est signifiée au débiteur par acte d'huissier de justice ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A peine de nullité, l'acte d'huissier ou la lettre recommandée mentionne la référence de la contrainte et son montant, le délai dans lequel l'opposition doit être formée, l'adresse du tribunal compétent et les formes requises pour sa saisine.

L'huissier de justice avise dans les huit jours l'organisme créancier de la date de signification.

Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la signification. L'opposition doit être motivée ; une copie de la contrainte contestée doit lui être jointe. Le secrétariat du tribunal informe l'organisme créancier dans les huit jours de la réception de l'opposition.

La décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire."

L'article 664-1 du code de procédure civile dispose que la date de la signification d'un acte d'huissier de justice, sous réserve de l'article 647-1, est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence ou, dans le cas mentionné à l'article 659, celle de l'établissement du procès-verbal.

En l'espèce, la signification de la contrainte a été faite le 26 mars 2018, à domicile et porte mention des voies et délais de recours.

C'est donc à compter de cette date que le délai de quinze jours doit être calculé. Le délai pour former opposition à contrainte expirait donc le 10 avril 2018 à minuit.

Or elle a été diligentée le 12 avril 2018 et est donc prescrite.

Pour s'opposer à l'écoulement des délais, la société invoque une jurisprudence de la Cour de cassation qui juge "qu'ayant constaté que l'acte de signification de la contrainte ne mentionnait pas que l'opposition devait être motivée à peine d'irrecevabilité, de sorte qu'il n'indiquait pas de manière complète les modalités du recours ouvert à Mme XX, la cour d'appel en a exactement déduit que cette irrégularité faisant grief à l'intéressée, son opposition était recevable" (2e Civ., 23 mars 2004, n° 02-30.119).

La jurisprudence, même plus récente, de la Cour de cassation impose que la mention "à peine d'irrecevabilité" soit indiquée uniquement pour l'obligation de motivation de l'opposition.

Les délais de recours sont nécessairement prévus à peine d'irrecevabilité de ce recours, comme l'a d'ailleurs souligné le tribunal. Si un délai est prévu pour former opposition, le dépassement de ce délai ne permet plus de former régulièrement opposition, nul n'étant censé ignorer la loi.

Le défaut de motivation n'est pas le moyen invoqué à l'appui de l'irrecevabilité de l'opposition à contrainte. Il est donc inopérant en l'espèce.

Il convient d'ailleurs de relever que l'article R. 133-3 du code de la sécurité sociale n'utilise pas les mots "à peine d'irrecevabilité" dans l'intégralité du texte.

La société invoque alors le fait que la contrainte n'ait pas été délivrée au siège social et donc pas à l'employeur.

Cependant, il résulte de ce qui précède que le changement du siège social n'a fait l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés que postérieurement à la délivrance de la contrainte et que ce moyen est inopérant.

La société soulève la violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme qui fonde le droit à un procès équitable et demande un contrôle de proportionnalité in concreto, l'application combinée de plusieurs textes législatifs et réglementaires la privant de son droit à un procès équitable.

L'URSSAF réplique que le justiciable doit s'attendre à ce que les délais de recours soient appliqués.

L'article 6 1 de la déclaration européenne des droits de l'homme dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

Dans un arrêt du 15 octobre 2002 (requête n° 55782/00), la Cour européenne des droits de l'homme a précisé que "la Cour rappelle que c'est au premier chef aux autorités nationales et, notamment, aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter les règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l'introduction de recours (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2796, § 31). Par ailleurs, la réglementation relative aux formalités et aux délais à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s'attendre à ce que ces règles soient appliquées."

Il en résulte que les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont respectées dès lors que l'intéressé a été dûment informé des voies et délais de recours qui lui étaient ouverts devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, et qu'il a été en mesure de respecter le délai imparti.

En l'espèce, la société n'a pas justifié d'une impossibilité pratique de former opposition à la contrainte signifiée le 26 mars 2018 en reconnaissant avoir reçu les documents en mains propres dès le 30 mars 2018.

Il s'ensuit que l'opposition à contrainte formée hors délai par la société est irrecevable.

Sur les dépens et les demandes accessoires

La société, qui succombe à l'instance, est condamnée aux dépens d'appel et corrélativement déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société [15] aux dépens d'appel ;

Déboute la société [15] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, et par Madame Juliette DUPONT, greffière, à laquelle la magistrate signataire a rendu la minute.

La greffière La conseillère

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