CA Paris, Pôle 5 - ch. 7, 25 septembre 2025, n° 21/11889
PARIS
Arrêt
Autre
Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2025
(n° 16, 84 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 21/11889 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD53H
Décision déférée à la Cour: Décision n° 6 (Procédure n° 19-10) de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021
REQUÉRANTES ET DÉFENDERESSES AU RECOURS INCIDENT :
Société [O] [A]
Prise en la personne de sa Présidente Directrice Générale, Madame [T] [AF]
Immatriculée au registe du commerce de MEKNES sous le n° 17 893
Dont le siège social est sis [Adresse 9] (MAROC)
Élisant domicile domicile au cabinet de la SELARL P.D.G.B.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparant en la personne de Mme [T] [AF], Présidente Directrice Générale,
Ayant pour avocat postulant Me Benoît DESCOURS de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS
Assistée de Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
Ayant pour autre avocat plaidant Me Léon DEL FORNO du cabinet Temime, avocat au barreau de Paris
Mme [T] [AF]
Née le 08 novembre 1955 à [Localité 8] (MAROC)
Demeurant au [Adresse 6] (MAROC)
Élisant domicile au cabinet de la SELARL P.D.G.B.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparante
Ayant pour avocat postulant Me Benoît DESCOURS de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS
Assistée de Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
Ayant pour autre avocat plaidant Me Léon DEL FORNO du cabinet Temime, avocat au barreau de Paris
REQUÉRANT :
M. [PB] [K]
Né le 25 mars 1968
Élisant domicile au cabinet de la SELARL P.D.G.B.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Ayant pour avocat postulant Me Benoît DESCOURS de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS
Assisté de Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
Ayant pour autre avocat plaidant Me Léon DEL FORNO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1537
REQUÉRANT INCIDENT
LE PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
En la personne de M. [M] [G] auquel a succédé dans la fonction Mme [Z] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Mesdames [F] [N], [H] [E] et [I] [U] dûment mandatées
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de sa présidente
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Mesdames [F] [N], [H] [E] et [I] [U] dûment mandatées
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 décembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
' Madame Françoise JOLLEC, présidente de chambre, présidente,
' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,
' M. Gildas BARBIER, président de chambre, chargé du rapport,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : M. Valentin HALLOT
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale
ARRÊT PUBLIC :
' contradictoire,
' prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.,
' signé par Mme Françoise JOLLEC, présidente de chambre et par M. Valentin HALLOT, greffier à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.
Vu la décision n° 6 de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021 ;
Vu les déclarations de recours déposées au greffe le 29 juin 2021 par la société [O] [A], par Mme [T] [AF] et par M. [PB] [K] ;
Vu les exposés des moyens déposés au greffe le 13 juillet 2021 par la société [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K] ;
Vu la déclaration de recours incident déposée au greffe le 30 août 2021 et le mémoire subséquent déposé le même jour par le président de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 28 mars 2022 par [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K] par lesquelles elles demandent à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de la Cour de cassation ;
Vu les conclusions déposées au greffe le 18 avril 2023 par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] ;
Vu les observations déposées au greffe le 11 septembre 2023 par l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe le 11 septembre 2023 par la présidente de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les mémoires complémentaires déposés au greffe le 4 décembre 2023 par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] ;
Vu les observations complémentaires déposées au greffe le 12 février 2024 par l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le mémoire n° 3 déposé au greffe le 12 février 2024 par la présidente de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 27 février 2024 par [O] [A] et Mme [AF] par lesquelles elles demandent à la Cour de tenir une audience préliminaire et d'enjoindre l'Autorité des marchés financiers à compléter ses observations ;
Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 6 décembre 2024 par [O] [A] et Mme [AF] par lesquelles elles demandent à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue d'une procédure pénale ;
Vu l'avis du Ministère public en date du 5 décembre 2024 régulièrement communiqué le même jour aux parties ;
Vu les observations en réponse sur la demande de sursis à statuer déposées le 11 décembre 2024 par l'Autorité des marchés financiers ;
Après avoir entendu à l'audience du 12 décembre 2024 le conseil de [O] [A], Mme [AF] et M. [K], qui ont été en mesure de répliquer, le représentant de l'Autorité de marchés financiers et de son président.
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE
§ 1
I. LE CONTEXTE : LA MONTÉE DE [O] [A] AU CAPITAL DE MBWS
§ 1
II. CHRONOLOGIE DES FAITS
§ 12
III. LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE
§ 34
IV. L'ENQUÊTE ET LES NOTIFICATIONS DE GRIEFS DU 20 JUIN 2019
§ 45
V. LA DÉCISION DE L'AMF DU 28 AVRIL 2021
§ 50
VI. LA PROCÉDURE DE SURSIS À EXÉCUTION
§ 54
VII. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
§ 56
MOTIVATION
§ 66
I. SUR LES INCIDENTS
§ 66
II. SUR LE RECOURS DE [O] [A] ET MME [AF] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
§ 77
A. Sur les moyens de procédure développés par [O] [A] et Mme [AF]
§ 77
1. Sur la requête du secrétaire général de l'AMF du 19 avril 2017
§ 77
2. Sur le rapport d'enquête
§ 89
3. Sur la notification de griefs
§ 115
4. Sur le rapport de M. [D] du 30 juillet 2020
§ 132
5. Sur la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021
§ 155
6. Sur la décision de la Commission des sanctions
§ 178
7. Sur les moyens contenus dans le mémoire du 4 décembre 2023
§ 186
a. Remarques préliminaires de la Cour sur l'interprétation de ce mémoire
§ 186
b. Sur le moyen pris de la déloyauté de la procédure
§ 190
c. Sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
§ 198
B. Sur les moyens de fond développés par [O] [A] et Mme [AF]
§ 261
1. Sur le caractère privilégié de l'information du 14 mars 2015 relative à l'EBITDA 2014
§ 261
2. Sur le caractère discrétionnaire du mandat du 3 octobre 2014
§ 311
3. Sur l'utilisation par Mme [AF] de l'information du 14 mars 2015
§ 340
4. Sur l'imputabilité du manquement à [O] [A]
§ 373
5. Sur l'invocation par [O] [A] d'un comportement légitime
§ 394
6. Sur le défaut de déclaration d'opérations par [O] [A]
§ 409
III. SUR LE RECOURS DU PRÉSIDENT DE L'AMF CONTRE [O] [A] ET MME [AF]
§ 441
A. Sur la recevabilité du recours incident
§ 441
B. Sur le bien-fondé du recours incident
§ 452
IV. SUR LE RECOURS DE M. [K] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
§ 503
A. Sur les moyens de procédure proposés par M. [K]
§ 503
1. Sur la visite sur pouvoirs propres du 25 avril 2017 auprès de BD&P
§ 503
2. Sur le rapport d'enquête
§ 510
3. Sur la décision du Collège d'ouvrir une procédure de sanction à l'encontre de M. [K]
§ 521
4. Sur le rapport de M. [D]
§ 533
5. Sur le moyen contenu dans le mémoire de M. [K] du 4 décembre 2023
§ 538
a. Remarques préliminaires sur l'interprétation de ce mémoire
§ 538
b. Sur l'erreur commise par l'AMF pour se procurer certaines pièces
. § 542
c. Sur les erreurs de fait de l'AMF au stade de la poursuite
§ 546
d. Sur les erreurs de droit afférentes à la qualité d'initié primaire ou secondaire de M. [K]
§ 556
e. Sur les erreurs d'appréciation
§ 561
f. Conclusion sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
§ 565
B. Sur les moyens de fond proposés par M. [K]
§ 567
1. Sur le caractère privilégié de l'information détenue par M. [K]
§ 567
2. Sur la connaissance par M. [K] du caractère privilégié de l'information
§ 591
3. Sur la relation entre l'information et les recommandations d'achat
§ 609
V. SUR LES SANCTIONS
§ 633
A. Sanction de [O] [A]
§ 633
B. Sanction de Mme [AF]
§ 650
C. Sanction de M. [K]
§ 667
VI. SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE [O] [A] ET MME [AF]
§ 680
A. Sur la demande à hauteur de 100 000 euros dirigée contre l'auteur du recours incident puis contre l'AMF
§ 680
B. Sur la demande pour abus du droit d'agir à hauteur de 5 millions d'euros dirigée contre l'auteur du recours incident et l'AMF
§ 700
VII. Sur les frais irrépétibles et les dépens
§ 721
PAR CES MOTIFS
§ 721
FAITS ET PROCÉDURE
I. LE CONTEXTE : LA MONTÉE DE [O] [A] AU CAPITAL DE MBWS
1.Le Groupe Marie Brizard Wine & Spirits (ci-après « MBWS ») ' anciennement dénommé Groupe [Localité 5] ' est un groupe créé en 1991, spécialisé dans les vins et spiritueux, implanté principalement en Europe et aux États-Unis. La société anonyme du même nom est cotée sur Euronext Paris depuis 1997.
2.Le groupe MBWS a connu de graves difficultés au cours des années 2008-2014. Il a été placé en procédure de sauvegarde en 2008 puis en procédure de redressement judiciaire en 2012. En 2013, une émission massive d'actions nouvelles a permis de convertir une large partie de sa dette en actions, ce qui a abouti à la dilution des actionnaires historiques, puis à une très forte baisse du cours de l'action (pièce 2, dossier [O] [A], article du Revenu, 20 juillet 2014).
3.Les années 2014-15 étaient dans ce contexte une période charnière pour le redressement du groupe. Le directeur général de MBWS était à l'époque M. [V] [J].
4.Au 31 décembre 2014, MBWS disposait d'un capital social de 26 486 482 actions et avait procédé à plusieurs émissions de bons de souscriptions d'actions (ci-après « BSA »), de différentes natures (BSA 2004, BSA 2006, BSA Actionnaire 1, BSA Actionnaire 2, BSA OS).
5.La société [O] [A] (ci-après, « [O] [A] ») est une société anonyme de droit marocain, au capital de 60 millions MAD, dont le siège social se trouve à [Localité 7], au Maroc. [O] [A] se décrit comme « le vaisseau amiral du groupe familial [AF], premier groupe viticole marocain, situé au 7ème rang des groupes les plus importants du Maroc, opérant majoritairement dans l'agro-industrie, avec plus de 8 000 hectares de terres à vocation agricole et totalisant plus de 6 500 emplois directs » (cf, sa plainte avec constitution de partie civile du 5 décembre 2024). [O] [A] détenait 13.40 % du capital de [Localité 5] au 3 octobre 2014 (pièce 4 de [O] [A], page 2).
6.La PDG de [O] [A] depuis 2013 est Mme [T] [AF] (ci-après, « Mme [AF] »), de nationalité franco-marocaine. Mme [AF] réside au Maroc.
7.C'est dans le contexte des difficultés financières rencontrées par MBWS, sans actionnaire de référence et dont le conseil était composé d'administrateurs indépendants, que [O] [A] a décidé en juillet 2014 de prendre une participation de 15 % dans le capital de MBWS (rapport d'enquête de l'AMF n° 2015-36 du 6 juin 2019, cote R0002, ci-après, « le rapport d'enquête »).
8.[O] [A] a franchi à la hausse le seuil de 5 % du capital et des droits de vote de MBWS le 4 septembre 2014. Lors de l'assemblée générale de MBWS du 16 septembre 2014, Mme [AF] a été nommée administratrice de ladite société.
9.Le 29 septembre 2014, [O] [A] a franchi à la hausse le seuil de 10 % du capital et des droits de vote de MBWS.
10.Monsieur [PB] [K] (ci-après, « M. [K] »), qui était représentant et expert de [O] [A], a été désigné le 24 octobre 2014 comme invité permanent sans voix délibérative au conseil d'administration et au comité d'audit de MBWS.
11.[O] [A] a franchi à la hausse le seuil de 15 % de détention du capital de MBWS le 26 mars 2015 et détenait 17,37 % du capital le 1er avril 2015.
II. CHRONOLOGIE DES FAITS
Faits en rapport avec l'acquisition d'actions et bons de souscription par [O] [A] entre le 16 mars et le 1er avril 2015
12.Le 3 octobre 2014, [O] [A], représentée par Mme [AF], a donné mandat à la société Alterfi, représentée par M. [S] [P], de procéder à l'acquisition d'actions de la société [Localité 5] pour un montant maximal de 15 millions d'euros et de bons de souscription de la même société dans la limite de 1 M euro (pièce 4, [O] [A]).
13.Par un communiqué de presse du 15 octobre 2014, MBWS a annoncé (même pièce, page 4) que :
« l'EBITDA de [Localité 5] est positif et atteint 1.9 M€ au 1er semestre 2014 » (pièce n° 5, [O] [A], communiqué de presse, page 2),
« la mise en 'uvre de l'ensemble de ces chantiers [restructuration du groupe] devrait permettre à [Localité 5] d'enregistrer au second semestre un EBITDA au moins équivalent à celui du premier semestre », « l'EBITDA annuel 2014 (') devrait être en retrait en comparaison de celui de l'exercice 2013 » [qui était de 10,6 M euros].
14.Le 13 février 2015, MBWS a publié un communiqué de presse (rapport d'enquête, R0016, et annexe 3.4 du rapport) indiquant :
« (') À la lumière des premières estimations disponibles, [Localité 5] confirme son double objectif de rentabilité en 2014 :
Un EBITDA au second semestre 2014 au moins égal à celui du premier semestre 2014 (1,9 M€)
Un résultat opérationnel courant positif, hors provision pour dépréciation non récurrente sur stocks et créances clients »
15.Le samedi 14 mars 2015, M. [J], directeur général de MBWS, a indiqué par courriel aux administrateurs, dont Mme [AF] :
« ['] je partage avec vous les premiers résultats consolidés à date reçus de vendredi. Il s'agit de résultats suffisamment proche[s] du résultat final pour que je puisse les partager avec vous, d'autant que les indicateurs sont positifs : / Au 31 décembre 2014 à date : / - EBITDA ; 5,7 MEUR ['] » (rapport d'enquête, R0016, et annexe 4.1 du rapport).
16.Entre le 16 mars et le 1er avril 2015, [O] [A] a acquis 1 050 000 actions MBWS, soit 3,96 % du capital de la société, ainsi des bons de souscription d'action (rapport d'enquête, R 0019).
17.Le 12 mai 2015, MBWS a publié ses résultats annuels au titre de l'année 2014 et a précisé que son EBITDA était de 5,2 millions d'euros (rapport d'enquête, annexe 3.6).
Faits en rapport avec la déclaration d'opérations réalisées sur le titre MBWS
18.[O] [A] n'a pas déclaré à l'AMF les opérations réalisées sur le titre MBWS entre le 16 septembre 2014 et le 11 octobre 2016.
Faits en rapport avec l'acquisition d'actions par la société DF [A] le 13 mai 2015
19.[O] [A] a cherché un partenaire susceptible de lui permettre, dans le cadre d'une action de concert, de prendre le contrôle de MBWS. A cette fin, Mme [AF] a pris l'attache de M. [W] [C] au début du mois de janvier 2015. M. [W] [C] est le dirigeant du groupe [C], qui est un groupe français de premier plan dans le domaine du vin ainsi que dans le secteur de la bière et des boissons gazeuses. La société DF [A] (ci-après, « DFH ») appartient à ce groupe (rapport d'enquête, R0005).
20.Le 27 mars 2015, DFH a mandaté Alterfi pour gérer l'acquisition d'actions et bons de souscriptions de la société [Localité 5], précisant consacrer à ces opérations une somme maximale de 30 millions d'euros, dont un million d'euros pour l'acquisition de BSA. Le cours moyen d'acquisition de l'action ne devait pas dépasser 13,80 € (article 3 du mandat, annexe 10.1 ; rapport, cote R0064).
21.M. [K] est intervenu au cours du mois de mai 2015 dans l'acquisition par DFH d'un bloc de 1 500 000 actions auprès du fonds américain KKR Credit Advisors (ci-après, « KKR ») (rapport d'enquête, cotes R 0005 et R 0069 et suivantes).
22.Le 7 mai 2015, le directeur financier de MBWS a communiqué, en pièce jointe à un courriel adressé ce jour aux membres du comité d'audit de MBWS, dont M. [K], des slides indiquant que l'EBITDA pour l'exercice 2024 s'élevait à 5,2 M euros contre 10,6 M euros pour l'exercice précédent et que les dettes financières nettes au bilan s'élevaient à - 19 127 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2013 et à - 41 549 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2014 (rapport d'enquête, R 0068 et annexe 4.28 au rapport, slides n° 7 et 17).
23.Il en résultait un écart de + 22,4 millions d'euros, ce qui faisait ressortir que la situation financière de MBWS était en nette voie d'amélioration.
24.Le 11 mai 2015, M. [K] a participé à une réunion dans les locaux du groupe [C], avec les représentants de DFH.
25.Le 12 mai 2015, DFH a décidé d'investir dans MBWS.
26.Le même jour, après la clôture des marchés, MBWS a publié un communiqué de presse indiquant que l'EBITDA pour l'année 2014 était de 5,2 millions d'euros et que « la trésorerie nette, largement positive, est en augmentation de +22,4 M€ et s'élève à 41,5 M€ au 31 décembre 2014 » (annexe 3.6 au rapport d'enquête, communiqué de presse du 12 mai 2005, pages 1 et 3).
27.Le 13 mai 2015, à l'ouverture des marchés, DFH a acquis 1 500 000 actions MBWS mises en vente par KKR au prix de 16,80 euros.
28.DFH a ce faisant franchi à la hausse le seuil de 5 % du capital et des droits de vote de MBWS. [O] [A] et DFH ont alors déclaré agir de concert vis-à-vis de MBWS. Le 30 juin 2015, DFH a été nommée au conseil d'administration de MBWS.
Faits en rapport avec l'acquisition de bons de souscription par [O] [A] le 19 novembre 2015
29.MBWS a informé le marché le 16 décembre 2014 de son plan stratégique dénommé « Back in the Game 2018 » (ci-après « BIG 2018 »), visant à atteindre un chiffre d'affaires compris entre 420 et 460 millions d'euros et un EBITDA compris entre 50 et 70 millions d'euros pour l'année 2018 (dossier de l'Autorité des marchés financiers, ci-après « l'AMF », rapport d'enquête, annexe 3.2).
30.En juin 2015, [O] [A] a conçu un projet d'OPE portant sur les BSA qui présentait un caractère relutif. D'abord, en contrepartie de l'apport des BSA historiques à l'OPE, les porteurs recevraient un nouveau BSA. Ensuite, en cas d'exercice par anticipation, avant le 31 mars 2016, de ce nouveau BSA, les porteurs avaient vocation à recevoir gratuitement, en plus de l'action nouvelle, un nouveau BSA dont la maturité était fixée au 31 décembre 2023 (rapport d'enquête, R0007, note de bas de page n° 15, et annexe 5.2, « Assemblée générale extraordinaire du 5 janvier 2016 », page 2, « résumé de la transaction »).
31.Les administrateurs de MBWS, dont Mme [AF], ont eu connaissance lors du conseil d'administration du 3 novembre 2015, puis à nouveau lors de celui du 18 novembre 2015, de données financières chiffrées témoignant de l'actualisation du plan BIG 2018 : le chiffre d'affaires était alors estimé à 488,6 millions d'euros et l'EBIDTA à 73,2 millions d'euros (pièces 16, 17 et 24 du dossier du président de l'AMF).
32.Le 19 novembre 2015, [O] [A] a vendu 40 000 actions MBWS et acquis 1 000 000 de BSA OS de MBWS.
33.Le 23 novembre 2015, MBWS a publié un communiqué de presse portant sur l'actualisation du plan BIG 2018, confirmant à la hausse les objectifs financiers pour 2018 et mentionnant un chiffre d'affaires compris entre 450 et 500 millions d'euros et un EBITDA compris entre 67 et 75 millions d'euros pour l'année 2018 (pièce 9 du dossier du président de l'AMF ; annexe 3.9 du rapport d'enquête).
III. LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE
34.Par ordonnance du 19 avril 2017, le juge des libertés et de la détention (ci-après, le « JLD ») du tribunal de grande instance de Créteil a autorisé les enquêteurs à effectuer une visite domiciliaire au siège de MBWS, à l'occasion du prochain conseil d'administration de la société annoncé comme devant se tenir le 25 avril 2017 et en tant que besoin, aux lieux de résidence temporaire de Mme [AF] et M. [K] ainsi que dans tous locaux sis dans le ressort du tribunal de Créteil occupés par MBWS dont l'existence serait révélée au cours des opérations.
35.Le JLD a autorisé les enquêteurs de l'AMF à procéder à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité et susceptible de caractériser la communication et/ou l'utilisation d'une information privilégiée, et ce, quels qu'en soient la nature et le support, y compris les ordinateurs portables et téléphones mobiles des représentants de [O] [A] au conseil d'administration de MBWS (Mme [AF] et M. [K]) (cf, cotes D 550 à D 561 du dossier de l'AMF).
36.Le 25 avril 2017, une visite domiciliaire a été menée au siège de MBWS, suivie de saisies, dont le téléphone portable de Mme [AF] qui donnait accès à ses messageries.
37.Le 5 mai 2017, une visite « sur pouvoirs propres » a été réalisée dans les locaux de la société BD&P (ci-après, « BD&P »), l'agence de communication prestataire de [O] [A], également suivie de la saisie de courriels.
38.Mme [AF] a relevé appel de l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017 et a exercé un recours en annulation des opérations de visite et saisie (ci-après, « OVS »). [O] [A] est intervenue volontairement à l'instance, à titre accessoire.
39.Par une ordonnance n° 39 du 4 avril 2018, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du JLD en toutes ses dispositions et a déclaré régulières les OVS réalisées le 25 avril 2017.
40.[O] [A] et Mme [AF] ayant formé un pourvoi à l'encontre de ladite ordonnance, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 14 octobre 2020 (n° 18-15.840), a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance du délégué du premier président de la cour d'appel de Paris.
41.La séance de la commission des sanctions de l'AMF s'est tenue le 26 mars 2021, date à laquelle la régularité des saisies était obérée. Elle a rendu sa décision (ci-après, « la décision attaquée ») le 28 avril 2021.
42.Par une ordonnance n° 64 en date du 20 octobre 2021, statuant sur renvoi après cassation, le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017.
43.L'assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Mme [AF] à l'encontre de cette ordonnance par un arrêt du 16 décembre 2022 (n° 21-23.719, publié), étant précisé que [O] [A] était intervenue volontairement devant la Cour.
44.Au mois d'avril 2023, Mme [AF] a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après « CEDH ») d'une requête sur le fondement de la violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après, « CSDH »). Par arrêt du 23 novembre 2023, la CEDH déclaré la requête irrecevable.
IV. L'ENQUÊTE ET LES NOTIFICATIONS DE GRIEFS DU 20 JUIN 2019
45.La direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a établi le rapport d'enquête, daté du 6 juin 2019.
46.Par décision du 20 juin 2019, le collège de l'AMF a notifié des griefs à [O] [A] (dossier de l'AMF, chemise 14, cotes 1657 et suivantes), Mme [AF] (cotes 1672 et suivantes), M. [K] (cotes 1687 et suivantes), notamment.
47.Aux termes de ces griefs, il était notamment reproché à :
' [O] [A] :
' un manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015, ressortant de l'acquisition par elle, entre le 16 mars et le 1er avril 2015, en solde net, de 1.050.000 actions MBWS et 30.000 BSA Actionnaire 2, et ce en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l'AMF (ci-après, « RGAMF ») ;
' un manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS, ressortant de l'acquisition par [O] [A], le 19 novembre 2015, de 1.000.000 BSA OS, en violation des mêmes articles ; et
' un manquement, « en tant que personne liée à Mme [AF] », à l'obligation de déclaration des opérations réalisées sur les titres MBWS à compter du 16 septembre 2014, en violation des articles L. 621-18-2 du code monétaire et financier (ci-après, « le CMF ») et 223-22 du RGAMF.
' Mme [AF] :
' un manquement a l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 ressortant de l'acquisition par [O] [A], entre le 16 mars et le 1er avril 2015, en solde net, de 1 050 000 actions MBWS et 30 000 BSA Actionnaire 2.
' un manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS ressortant de l'acquisition par [O] [A], le 19 novembre 2015, de 1 000 000 BSA OS.
' M. [K] :
' un manquement à l'obligation d'abstention de communication à DF [A] de l'information privilégiée relative au dépassement par MWBS de l'objectif d'EBITDA annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2 millions d'euros) et au renforcement de sa structure financière (trésorerie nette en augmentation de +22,4 millions d'euros par rapport au 31 décembre 2013), ressortant des comptes consolidés 2014 validés par le comité d'audit du 7 mai 2015 ou, à tout le moins, un manquement a l'obligation d'abstention de recommandation a DFH sur la base de cette même information, toutes obligations prévues par les articles 622-1 et 622-2 du RGAMF.
48.La décision du Collège de notifier des griefs a fait l'objet de recours en annulation par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] devant la présente Cour. Par arrêt du 9 juillet 2020, la cour d'appel a déclaré lesdits recours irrecevables (CA Paris, 9 juillet 2020, RG n° 19/19061, auquel sont jointes les arrêts 19/19067 et 19/19069).
49.Par décision du 23 octobre 2019, la présidente de la Commission des sanctions a désigné M. [D] en qualité de rapporteur. Celui-ci a déposé son rapport le 30 juillet 2020 (ci-après, « le rapport de M. [D] », cotes D 2504 à D 2589).
V. LA DÉCISION DE L'AMF DU 28 AVRIL 2021
50.Par la décision attaquée, la Commission des sanctions de l'AMF a déclaré établis :
' à l'encontre de [O] [A], un manquement d'initié, commis du 16 mars au 1er avril 2015, et un manquement à l'obligation déclarative des opérations réalisées sur le titre MBWS, entre le 16 septembre 2014 et le 11 octobre 2016 ;
' à l'encontre de Mme [AF], un manquement d'initié, commis du 16 mars au 1er avril 2015 ;
' à l'encontre de M. [K], un manquement à l'obligation d'abstention de recommandation sur la base d'une information privilégiée, commis le 11 mai 2015.
51.Elle a prononcé à l'encontre de la société [O] [A], de Mme [AF] et de M. [K], respectivement, des amendes de 10 millions, 6 millions et 2 millions d'euros.
52.Elle a également décidé que certains manquements qui leur étaient reprochés, en rapport avec le plan BIG 2018, n'étaient pas établis.
53.Elle a ordonné la publication de la décision.
VI. LA PROCÉDURE DE SURSIS À EXÉCUTION
54.Par ordonnance du 3 novembre 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris a ordonné le sursis à exécution de la décision de la Commission des sanctions concernant Mme [AF] et M. [K] jusqu'à ce que la cour d'appel statue sur le bien-fondé du recours formé contre cette décision (dossier de [O] [A], pièce 57).
55.Il a rejeté la demande de [O] [A] tendant à la même fin.
VII. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
56.Le 29 juin 2021, [O] [A] et Mme [AF], d'une part, et M. [K], d'autre part, ont chacun formé un recours en annulation à l'encontre de la décision de l'AMF.
57.Par déclaration du 30 août 2021, le président de l'AMF a, après accord du Collège, formé un recours incident contre ladite décision, dirigé contre [O] [A] et Mme [AF].
58.Il résulte de leurs différents mémoires, dont aucun n'est récapitulatif, que [O] [A] et Mme [AF] demandent à la Cour d'annuler :
' la procédure administrative conduite par l'AMF à leur encontre ;
' tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation des pièces irrégulièrement obtenues, le 25 avril 2017, auprès de Mme [AF], et en particulier, le rapport d'enquête et la notification de griefs adressée le 14 octobre 2019 à [O] [A] et Mme [AF] ;
' les actes préparatoires de la décision de la commission des sanctions de l'AMF qui sont illicites, et en particulier : la décision du collège de l'AMF en date du 20 juin 2019 relative à l'ouverture d'une procédure de sanction à l'encontre de [O] [A] et Mme [AF] ; le rapport de M. [D] en date du 30 juillet 2020 ; l'audience du 26 mars 2021 devant la Commission des sanctions de l'AMF ;
' la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021.
59.À défaut, elles demandent à la Cour de réformer la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021, qui a prononcé une sanction à l'encontre de [O] [A] et Mme [AF], en les condamnant solidairement à une amende d'un (1) euro symbolique.
60.À titre infiniment subsidiaire, les requérantes demandent à la Cour :
' de condamner l'auteur du recours incident à indemniser [O] [A] à hauteur de 100 000 euros
et en tout état de cause :
' de rejeter le recours formé à titre incident par le président de l'AMF ;
' de condamner solidairement, à titre reconventionnel, l'auteur du recours incident et l'Autorité des Marchés Financiers, à verser à [O] [A] et Mme [AF], la somme globale de 5 millions d'euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
' d'ordonner la publication de son arrêt sur le site de l'Autorité des marchés financiers selon les mêmes formes que celles utilisées pour publier la décision de la Commission des sanctions,
' d'ordonner le versement de la somme de 482 162,05 euros à [O] [A] et Mme [AF] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
61.Aux termes de ses dernières écritures, la présidente de l'AMF demande à la Cour de :
' dire recevable son recours incident ;
' réformer la décision entreprise en tant qu'elle a écarté le manquement tiré de l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 et s'agissant du quantum des amendes ;
' prononcer une sanction pécuniaire de 17 millions d'euros à l'encontre de [O] [A] et de 7,5 millions d'euros à l'encontre de Mme [AF] ;
' juger irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de condamnation de l'AMF à payer à [O] [A] et à Mme [AF] une indemnité de 100 000 euros ;
' juger irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de condamnation de l'AMF à leur payer une somme de 5 millions d'euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
' juger irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande formée par [O] [A] et Mme [AF] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
62.M. [K] demande à la Cour, aux termes de ses différents mémoires, dont aucun n'est récapitulatif, d'annuler :
' tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation des pièces irrégulièrement obtenues le 25 avril 2017 auprès de Madame [AF], et en particulier : la remise volontaire de documents sollicitée le 5 mai 2017 auprès de la société BD&P ; la notification de griefs adressée le 14 octobre 2019 à M. [K] ;
' les actes préparatoires de la décision de la commission des sanctions de l'AMF qui sont illicites, et en particulier : la décision du Collège de l'Autorité des marchés financiers en date du 20 juin 2019 relative à l'ouverture d'une procédure de sanction à l'encontre de M. [K] ; le rapport de Monsieur [D] en date du 30 juillet 2020 ;
' la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021, qui a prononcé une sanction à l'encontre de M. [K],
63.À défaut, il demande à la Cour de réformer la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021, qui a prononcé une sanction à l'encontre de M. [K] en le condamnant à une amende d'un (1) euro symbolique.
64.Aux termes de ses observations, l'AMF considère que les recours formés par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] contre la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021 doivent être rejetés, sans préjudice du recours incident formé par son président contre cette même décision.
65.Le ministère public invite la Cour à :
' rejeter les recours formés par [O] [A] et Mme [AF] et M. [K] ;
' déclarer recevable le recours incident de la présidente de l'AMF ;
' réformer la décision attaquée en ce qu'elle a écarté le manquement tiré de l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS notifié à [O] [A] et Mme [AF], et juger que ce manquement est caractérisé ;
' réformer en conséquence à la hausse le quantum des sanctions prononcées à l'encontre de la société [O] [A] et de Mme [AF] ;
' déclarer irrecevables les demandes de condamnation de l'AMF à payer à [O] [A] SA et à Mme [AF] une indemnité de 100 000 euros et une somme de 5 millions d'euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I. SUR LES INCIDENTS
' Sur l'incident du 28 mars 2022
66.Par conclusions d'incident déposées au greffe le 28 mars 2022, [O] [A] et Mme [AF] ont demandé à la Cour de surseoir à statuer
« dans l'attente de la décision de la Cour de cassation (pourvoi n° R 21-23.685) à intervenir à l'encontre de l'ordonnance du Premier président de la Cour d'appel de Paris rendue le 20 octobre 2021 (RG n° 20/16012) et ce, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ».
Sur ce, la Cour :
67.L'assemblée plénière de la Cour de cassation ayant, par un arrêt du 16 décembre 2022, n° 21-23.719, rejeté le pourvoi formé par [O] [A] et Mme [AF] contre cette ordonnance, la demande de sursis à statuer est devenue sans objet.
' Sur l'incident du 27 février 2024
68.Par conclusions d'incident déposées au greffe le 27 février 2024, [O] [A] et Mme [AF] ont demandé à la Cour de :
« TENIR une audience préliminaire consacrée à la question de la régularité des pièces, en particulier le courriel d'Alterfi en date du 16 mars 2015, sur lesquelles se sont fondées les poursuites et la décision de sanction ;
ENJOINDRE à l'AMF de compléter ses observations, pour éclaircir les points qui demeurent obscurs et exposer ses propres arguments en faveur de la régularité de la partie de la décision qui est attaquée par le recours incident de son président » ;
69.Le même jour, l'AMF s'est opposée à ces demandes devant le magistrat délégué du Premier président.
70.Le magistrat a pris une ordonnance, d'une part, fixant la date de plaidoiries au 12 décembre 2024 et, d'autre part, précisant que l'incident soulevé par les requérantes était joint au principal.
Sur ce, la Cour :
71.Cet incident ayant été joint au fond par le délégué du premier président et les observations écrites de l'AMF étant suffisamment développées, ces demandes ne peuvent qu'être rejetées.
' Sur l'incident du 6 décembre 2024
72.Par conclusions déposées au greffe le 6 décembre 2024, quelques jours avant l'audience de plaidoirie, [O] [A] et Mme [AF] ont demandé à la Cour de surseoir à statuer
« dans l'attente de l'issue de la procédure pénale qui sera ouverte devant le tribunal judiciaire de Paris, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 5 décembre 2024 » ;
73.[O] [A] et Mme [AF] exposent avoir déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile pour crime de faux en écriture publique et pour crime d'usage de faux en écriture publique, à l'encontre de l'AMF, ainsi que de toute personne ayant participé à la commission des faits objets de ladite plainte.Elles font valoir que le sursis peut être ordonné dès lors que la décision du juge pénal est susceptible d'exercer directement ou indirectement une influence sur la solution du procès civil en application du troisième alinéa de l'article 4 du code de procédure pénale, et qu'en l'espèce, la condamnation pénale de l'AMF conduirait à remettre en cause la légalité de la décision à l'encontre de laquelle un recours a été formé.
74.Par observations déposées le 11 décembre 2024, la Présidente de l'AMF, en sa qualité de partie à la présente instance, ainsi que l'AMF, en sa qualité d'observant, s'opposent à cette demande de sursis.
Sur ce, la Cour :
75.Le troisième alinéa de l'article 4 du code de procédure pénale dispose que « [l]a mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. ».
76.Cette demande, qui tend à postuler le contraire et méconnaît en outre les exigences du délai raisonnable découlant de l'article 6 de la CSDH, n'est pas fondée.
II. SUR LE RECOURS DE [O] [A] ET MME [AF] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
A. Sur les moyens de procédure développés par [O] [A] et Mme [AF]
1. Sur la requête du secrétaire général de l'AMF du 19 avril 2017
77.Dans la décision attaquée (§ 107 et 108), l'AMF indique qu'il n'appartient pas à la Commission des sanctions de se prononcer sur le moyen tiré de l'atteinte à la présomption d'innocence qui résulterait de la requête du secrétaire général de l'AMF du 19 avril 2017, aux fins de saisine du JLD, du fait de l'emploi du mode indicatif pour constater la culpabilité de [O] [A]. Elle précise que l'ordonnance du JLD est susceptible d'un recours propre, qui a été mis en 'uvre et qui est toujours pendant.
78.[O] [A] et Mme [AF] exposent que dans sa requête au JLD en date du 19 avril 2017 [pièce 28, requête, page 7], le secrétaire général de l'AMF a porté atteinte à la présomption d'innocence de Mme [AF], en méconnaissance de l'article 6.2 de la CSDH, en utilisant le mode indicatif pour évoquer la prétendue violation par elle de son devoir d'abstention de communiquer une information privilégiée à des tiers au conseil d'administration de MBWS (« [O] [A] détenait, par l'intermédiaire de son PDG, Mme [T] [AF], administratrice de MBWS, l'information privilégiée susvisée »).
79.Les requérantes ajoutent qu'il en est de même à l'égard de [O] [A], puisque le secrétaire général de l'AMF a indiqué à l'indicatif dans cette même requête que « [O] [A] était considérée comme une personne morale liée à Madame [T] [AF] et était, à ce titre, tenue de déclarer toutes les opérations réalisées sur les titres MBWS, en application des articles L 621-18-2 et R 621-43-1 du CMF. (') [O] [A] n'a déclaré aucune transaction (') Ce défaut de déclaration présente une particulière gravité (') ».
80.Dans ses observations, l'AMF expose que la requête dont il est question était soumise au JLD préalablement à toute notification de griefs et à toute poursuite, dans le but d'établir la matérialité d'agissements non prouvés. Elle ne comporte ainsi aucune déclaration de culpabilité et ne peut porter atteinte à la présomption d'innocence.
81.L'AMF relève qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le fait de mentionner des présomptions de manquements visés par la loi pour justifier des visites domiciliaires ne méconnaît ni la présomption d'innocence, ni les droits de la défense.
82.Elle rappelle qu'en tout état de cause, les requérants, qui disposaient d'une voie de recours contre l'ordonnance du JLD, ne sauraient sous couvert d'un tel moyen, pallier leur négligence à l'exercer.
Sur ce, la Cour :
83.L'article 6, § 2 de la CSDH, invoqué par les requérantes, énonce que toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
84.En l'espèce, la requête du secrétaire général de l'AMF (pièce 28 du dossier [O] [A]) comporte plusieurs passages rédigés à l'indicatif, tels que ceux mentionnés par les requérantes :
« [O] [A] détenait, par l'intermédiaire de son PDG, Mme [T] [AF], administratrice de MBWS, l'information privilégiée susvisée ». (page 7)
« [O] [A] était considérée comme une personne morale liée à Madame [T] [AF] et était, à ce titre, tenue de déclarer toutes les opérations réalisées sur les titres MBWS, en application des articles L 621-18-2 et R621-43-1 du CMF ('). (page 15)
(') [O] [A] n'a déclaré aucune transaction au titre de l'article L 621-18-2 du CMF (') Ce défaut de déclaration présente une particulière gravité compte tenu du caractère suspect des opérations susvisées réalisées par [O] [A] en mars 2015 et en novembre 2015 ». (page 15)
85.Comme l'a indiqué de manière pertinente le magistrat délégué du premier président de la cour d'appel, dans son ordonnance n° 64 du 20 octobre 2021 (définitive depuis les arrêts de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022), « dans son ordonnance le JLD emploie le mode indicatif concernant les faits objectifs établis ('le DG de MBWS a communiqué.., DH était représentée au conseil d'administration..., le cours de l'action a clôturé.., DH a acquis...et a vendu..., DH par l'intermédiaire de son PDG madame [AF] détenait l'information...'.), alors que concernant les soupçons d'utilisation d'information privilégiée, le JLD utilise la forme du conditionnel ( 'DH a pu utiliser cette information..., DH a pu transmettre..., les preuves d'une éventuelle commission des infractions ..'), le JLD dans sa rédaction a pris le soin de préciser que 's'ils sont établis, ces faits sont susceptibles de constituer un délit au sens de l'article L 465-1 du CMF' ['] » (page 26).
86.Loin de donner le sentiment que [O] [A] a commis un manquement, qui serait pleinement établi, la requête, qui ne se prononce pas sur le bien-fondé de l'accusation qu'elle contient, précise la matérialité des faits reprochés, la qualification envisagée et le fondement textuel de celle-ci.
87.Au demeurant, et en tout état de cause, la requête du secrétaire général de l'AMF, qui a pour finalité l'obtention par le JLD d'une autorisation de procéder à des OVS, n'emporte ni déclaration de culpabilité ni préjugement.
88.Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
2. Sur le rapport d'enquête
89.Dans la décision attaquée (§ 24), l'AMF a indiqué que les éléments saisis dans le téléphone portable de Mme [AF] le 25 avril 2017, dont la liste figure dans le procès-verbal de constatation du 16 mai 2019 adressé à Mme [AF] (cotes D590 à D592), et qui comprennent les éléments de la chaîne de courriels des 15 et 16 mars 2016 dont l'objet concerne l'« entrée DNCA », devaient être écartés des débats.
90.Elle a ajouté que les éléments de la chaîne de courriels précités ont également été recueillis au cours de la visite sur pouvoirs propres diligentée au siège de l'agence de communication prestataire de [O] [A] le 5 mai 2017 et sont mentionnés sur le procès-verbal de constatation du 16 mai 2019 adressé à cette agence de communication (cotes D73 à D75). Elle a décidé qu'ils devaient être conservés, sans que le fait qu'un exemplaire unique de ces documents soit coté au dossier ait une quelconque incidence.
91.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent que le rapport d'enquête, annexé à la notification de griefs, doit être annulé pour la raison qu'il contient de nombreuses références à des pièces irrégulièrement obtenues par les enquêteurs, le 25 avril 2017, à savoir des courriels adressés à une enquêtrice de l'AMF par Mme [AF] en réponse à une sollicitation qui n'avait pas été précédée d'une renonciation expresse au délai de convocation. Cette nullité vicie l'ensemble de la procédure de sanction et doit entraîner l'annulation de la décision de la Commission des sanctions.
92.Elles expliquent que la nullité qu'elles soulèvent résulte de ce que lors des opérations de visite domiciliaire du 25 avril 2017, Mme [PL], qui était présente mais seulement de passage dans les locaux de MBWS, a fourni aux enquêteurs, sur leur demande, les informations leur permettant de consulter à distance sa messagerie professionnelle, ce qui leur a permis de procéder à la revue de la messagerie par l'utilisation de mots-clés, puis a transféré 113 courriels (cotes D 589 à D 592 dossier AMF) à l'adresse professionnelle d'une enquêtrice. Les documents ainsi transmis n'étaient ainsi pas accessibles depuis les locaux visités et ne s'y trouvaient pas. Dès lors, le consentement de Mme [AF] devait être recueilli et, conformément aux dispositions de l'article L. 621-12 du CMF, son droit de se faire assister du conseil de son choix et la possibilité de renoncer au délai de huit jours prévus en cas de convocation devaient lui être notifiés.
93.Les requérantes précisent enfin que les arrêts de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022, éclairés par le communiqué officiel publié à la suite, n'ont eu pour seul objet que de valider la saisie, à l'exclusion de la régularité des opérations réalisées concomitamment à la visite domiciliaire. Ces arrêts ne sauraient ainsi constituer une validation du transfert des courriels en cause.
94.[O] [A] et Mme [AF] exposent encore, au sujet de la communication par Mme [AF] aux enquêteurs de ses login et mot de passe permettant l'accès à sa messagerie externe et du transfert qui a suivi de 113 courriels en marge des opérations de visite domiciliaire du 25 avril 2017, que ladite communication s'analyse en des explications et déclarations, au sens des articles L. 621-10 à L. 621-12, R 621-34 et R 651-35 du CMF, et suppose le respect des droits de la défense prévus par ces textes. Les requérantes ajoutent que ces textes doivent être interprétés par analogie avec l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et à la lumière de la jurisprudence à laquelle ce texte a donné lieu (Com., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-16.900). Elles concluent que ces agissements relèvent d'une déloyauté.
95.Par ailleurs, [O] [A] et Mme [AF] dénoncent le manque de loyauté de l'AMF en ce que le rapport d'enquête ne dit rien du comportement de M. [V] [J], qui s'est avéré être l'informateur de l'AMF, ni de celui des quatre administrateurs indépendants de MBWS qui ont procédé à des acquisitions le 13 mars 2015.
96.Elles reprochent encore au rapport d'enquête de mentionner, de façon erronée, que les fonds issus de l'emprunt de 15 millions d'euros n'auraient été débloqués en trois fois qu'à compter du 15 mars 2015, alors que la première tranche de 5 millions d'euros avait été versée sur le compte Interactive Broker dès le vendredi 13 mars 2015.
97.L'AMF, dans ses observations, expose d'abord que l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022 ' qui n'a pas pris position sur la qualité d'occupant des lieux de Mme [AF], considérant que le moyen la contestant était inopérant ' n'a pas validé uniquement la saisie des documents, ordinateurs et téléphones des personnes de passage qui se trouvent dans les lieux visités. En accord avec des jurisprudences antérieures, l'arrêt a autorisé la saisie de documents accessibles sur les lieux visités ou depuis ceux-ci.
98.L'AMF en déduit que les données contenues sur le téléphone portable de Mme [AF] pouvaient être collectées, quand bien même elles étaient stockées sur un serveur étranger. Elle ajoute que le transfert de 113 courriels par Mme [AF] à une enquêtrice de l'AMF constitue une simple modalité alternative de recueil de ces données, qui ne pouvaient matériellement pas être extraites de sa messagerie ; qu'en aucun cas ce transfert ne constitue des « explications » données par Mme [AF] au sens de l'article R. 621-34 du CMF, et, partant, qu'il n'avait pas à être précédé de l'information de Mme [AF] de ses droits mentionnés par ce même texte.
99.Elle relève enfin que la même argumentation, soutenue à hauteur de cassation par [O] [A] et Mme [AF], a fait l'objet d'une non-admission au visa de l'article 1014, alinéa 2 du code de procédure civile (arrêt précité de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022). Elle en conclut que l'ordonnance du magistrat délégué par le Premier président, en date du 20 octobre 2021, est devenue définitive et que l'argumentation développée par les requérantes se heurte à l'autorité de la chose jugée.
100.L'AMF observe encore que les circonstances d'espèce qui ont donné lieu à l'arrêt du 11 mai 2023, que citent les requérantes, sont différentes de celles de la procédure suivie dans le cas présent. En effet, dans l'affaire à laquelle il est fait référence, les agents des impôts ont recueilli des informations (codes d'accès à des comptes et titulaires des comptes) de la part des personnes sur place, et pas seulement des documents.
Sur ce, la Cour :
' Sur la régularité du recueil par l'AMF des courriels en cause
101.Saisi sur renvoi après cassation, à la suite des recours exercés par [O] [A] et Mme [AF] contre l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017, le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris, par une ordonnance n° 64 du 20 octobre 2021, a confirmé l'ordonnance du JLD précitée et s'est prononcé sur la demande des requérantes tendant à l'annulation des opérations de visite et de saisies.
102.Le dispositif de l'ordonnance n° 64 précitée contient le passage suivant : « Déclarons régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 4] et [Adresse 3] ».
103.Par arrêt n° 661 du 16 décembre 2022 (pourvoi n° 21-23.719, publié), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, y compris le troisième moyen.
104.Plus précisément, ce troisième moyen « faisait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 4] et [Adresse 3] ; ».
105.Le chef précité de dispositif de l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017, devenu irrévocable, est donc revêtu de l'autorité de la chose jugée.
106.Or, devant la présente Cour, les requérantes forment une demande similaire qui tend aux mêmes fins que la demande présentée devant le JLD. Elle est par suite irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée.
107.Ainsi, les courriels communiqués par Mme [AF], dont le courriel « Alterfi » en date du 16 mars 2015, se trouvent régulièrement au dossier d'enquête de l'AMF.
' Sur la déloyauté ressortant du rapport d'enquête
108.La position développée par les requérantes afférente à la déloyauté de l'AMF ressortant du rapport d'enquête, constitue l'un des arguments développés au soutien du moyen plus général pris de la déloyauté de l'AMF, contenu dans le mémoire du 4 décembre 2023 des intéressées.
109.Comme il sera dit ultérieurement (§ 192 du présent arrêt), ce moyen est irrecevable en raison de sa tardiveté.
110.Cette irrecevabilité implique celle de l'ensemble des développements en rapport avec la déloyauté prétendue de l'AMF, en ce compris ceux qui concernent le rapport d'enquête.
' Sur l'inexactitude du rapport de l'enquêteur
111.Le rapport d'enquête (cote 31 du dossier de l'AMF) contient en page 31/210 les passages suivants :
« Sur les raisons pour lesquelles [O] [A] a accéléré ses acquisitions à partir du 16 mars 2015 :
Mme [T] [AF] a indiqué :
' Comme je l'ai déjà expliqué dans ma déclaration préliminaire, la seule raison pour laquelle les achats ont commencé le lundi 16 mars est que les fonds faisant objet du second prêt ont commencé à arriver (en 3 tranches successives comme indiqué sur le relevé d'Interactive Brokers) le vendredi 13 mars. / (') Les 15 millions ont été versés en plusieurs fois. Tout était une question de liquidités. / Une fois que l'argent arrivait, les achats reprenaient.' (note de bas de page 77) ».
112.À la note de bas de page n° 77, il est indiqué : « Ce point est confirmé par les relevés du compte ouvert chez Interactive Brokers : 5 M€ le 13 mars 2015, 5 M€ le 19 mars 2015 et 4,5 M € le 23 mars 2015 » (soulignement ajouté par la Cour)
113.L'allégation des requérantes est donc erronée. Le moyen n'est ainsi pas fondé.
' Conclusion sur le rapport d'enquête
114.Il résulte de ces développements que le moyen pris de la nullité du rapport d'enquête sera rejeté.
3. Sur la notification de griefs
115.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent en premier lieu que la notification de grief, en tant qu'acte de poursuite, ne peut se référer à des pièces annulées. En conséquence, le collège de l'AMF ne pouvait notifier des griefs qui avaient pour support des pièces irrégulièrement obtenues. Tel est le cas, en l'espèce, notamment, de plusieurs courriels en date des 15 et 16 mars 2015, transférés sur sollicitation des enquêteurs en marge des OVS du 25 avril 2017 dans les conditions déjà exposées précédemment (§ 91 du présent arrêt), qui sont nécessaires à la caractérisation des griefs (pièce 6 annexée au procès-verbal du 16 mai 2019, pièce 37 du dossier AMF).
116.Les requérantes ajoutent que les décisions de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022, qui ne portent pas sur cet aspect des OVS, ne permettent pas de régulariser la communication de ces courriels.
117.En deuxième lieu, les requérantes exposent que le Collège a commis une erreur de fait au sujet de la prétendue information privilégiée du 7 mai 2015, en faisant allusion à un « dépassement » des objectifs « annoncés » au marché le 13 février 2015.
118.Elles précisent sur ce point que le communiqué de presse du 13 février 2015 confirmait les perspectives déjà annoncées par le précédent communiqué du 15 octobre 2014 et ne constituait donc pas une annonce et qu'ainsi, la rédaction du communiqué du 12 mai 2015 était fausse, voire trompeuse, ce que les agents de l'AMF auraient dû réaliser. En outre, les objectifs d'EBITDA n'ont pas été dépassés.
119.En troisième lieu, [O] [A] et Mme [AF] font valoir que la notification de griefs contient une erreur de droit en ce qu'elle affirme que « [l]es personnes morales étant réputées détenir les informations privilégiées qui sont en possession de leurs représentants légaux, la société [O] [A], dont vous étiez à l'époque des faits le PDG, était également détentrice ['] par votre intermédiaire, de l'information privilégiée en cause et dès lors tenue l'obligation d'abstention résultant de l'article 622-1 du RGAMF ».
120.Pour l'ensemble de ces raisons, la nullité de la notification de griefs est encourue, la saisine de la Commission des sanctions est illégale, et toute la procédure de sanction suivie devant l'organe de jugement de l'AMF doit être annulée.
121.Dans ses observations, l'AMF renvoie, s'agissant du moyen d'annulation tiré de ce que la notification de griefs se fonderait sur des pièces irrégulièrement obtenues, à ses observations concernant le rapport d'enquête, à l'encontre duquel ce même moyen a été soulevé.
122.S'agissant du moyen d'annulation tiré de ce que la notification de griefs commettrait une erreur de fait en considérant que l'information qualifiée de privilégiée portait sur un « dépassement » des objectifs d'EBITDA, l'AMF indique que quand bien même une telle erreur aurait été commise (quod non), elle n'affecterait pas la validité de la notification de griefs. En effet, celle-ci a pour but unique de notifier les mis en cause de manquements qui leur sont reprochés, et ouvre la voie, justement, à d'éventuelles contestations de leur part s'ils constatent des erreurs.
123.Pour les mêmes raisons, l'AMF considère inopérant le moyen d'annulation tiré de ce que la notification de griefs commettrait une erreur de droit en affirmant que [O] [A] était réputée détenir les informations privilégiées en possession de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
' Sur la mention de pièces prétendument annulées
124.Ainsi qu'il a été dit précédemment (§ 103 et suivants du présent arrêt), il résulte de l'arrêt du 16 décembre 2022 de l'assemblée plénière (n° 21-23.719) de la Cour de cassation que c'est régulièrement que les courriels communiqués par Mme [AF] à l'occasion des OVS du 25 avril 2017 ont été versés à la procédure.
125.Les requérants ne sont en conséquence pas fondés à reprocher à la notification de griefs de mentionner les pièces ainsi communiquées dont, par exemple, les courriels en date des 15 et 16 mars 2015.
' Sur l'erreur de fait concernant la présentation par l'AMF du communiqué de presse du 13 février 2015
126.La caractérisation de la portée du communiqué du 13 février 2015 relève d'une question de fond, qui sera discutée ultérieurement dans le présent arrêt (cf, § 289 du présent arrêt).
127.Il est encore rappelé qu'il ne saurait être utilement argué en l'espèce de la déloyauté des enquêteurs.
' Sur l'erreur de droit selon laquelle les personnes morales seraient réputées détenir les informations privilégiées qui sont en possession de leurs représentants légaux
128.La question en cause, qui relève du fond, sera discutée ultérieurement dans le présent arrêt (cf, § 360 du présent arrêt).
' Conclusion sur la notification de griefs
129.En tout état de cause, une notification de griefs a vocation à contenir une argumentation en fait et en droit à l'appui des griefs qu'elle retient et la Commission des sanctions est en charge de décider de son bien-fondé sous le contrôle de la cour d'appel.
130.Une éventuelle divergence d'appréciation de la Commission des sanctions ou de la Cour sur le droit tel que présenté par les enquêteurs ne saurait emporter, en soi, l'annulation d'une notification de griefs.
131.Il résulte de ces développements que le moyen pris de la nullité de la notification de griefs sera rejeté.
4. Sur le rapport de M. [D] du 30 juillet 2020
132.[O] [A] et Mme [AF] exposent, en premier lieu que dans son rapport, M. [D], membre de la Commission des sanctions chargé de rapporter l'affaire, fait de nombreuses références aux pièces recueillies le 25 avril 2017 auprès de Mme [AF], en particulier au courriel Alterfi du 16 mars 2015, si bien que ledit rapport encourt la nullité de ce seul fait.
133.En deuxième lieu, les requérantes soulignent que le rapporteur, en dépit de leurs relances et alors qu'il disposait du temps nécessaire, n'a pas complété son rapport afin de prendre position sur les critiques émises sur la légalité de la notification de griefs qu'il revenait à la Commission des sanctions d'examiner, la cour d'appel ayant déclaré leur recours irrecevable (CA Paris, 9 juillet 2020, RG n° 19/19067 et 19/19069).
134.En troisième lieu, [O] [A] et Mme [AF] reprochent au rapport de contenir une erreur de fait en indiquant en page 34 que « Mme [AF] a passé des ordres d'achat d'actions MBWS et de BSA Actionnaire 2 pour le compte de [O] [A] », alors qu'il s'agit d'une contre-vérité flagrante.
135.Elles concluent que la nullité du rapport entraînera celle de la décision de la Commission des sanctions.
136.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie, s'agissant d'abord du moyen d'annulation tiré de ce que le rapport de M. [D] se fonderait sur des pièces irrégulièrement obtenues, à ses observations concernant le rapport d'enquête, à l'encontre duquel ce même moyen a été soulevé.
137.S'agissant ensuite du moyen d'annulation tiré de ce que le rapport de M. [D] ne répond pas aux critiques émises par les requérantes à l'encontre de la notification de griefs, l'AMF rappelle que le rapporteur a considéré que ces critiques ne figurant pas dans la réponse à cette notification de griefs mais en annexe de celle-ci, il n'a pas considéré qu'il en était saisi. Par la suite, son rapport ayant déjà été déposé quand les requérantes lui ont reproché cette lacune, il n'avait pas à en rédiger un second en l'absence de demande en ce sens de la Commission des sanctions.
138.L'AMF ajoute qu'aucun texte n'oblige le rapporteur à prendre position sur l'ensemble des moyens invoqués par les mis en cause, conformément à la jurisprudence de la cour d'appel qui a rappelé qu'il lui incombe seulement, en application de l'article R. 621-39 du CMF, de consigner le résultat de ses diligences et auditions (Paris, 24 novembre 2009, RG n° 2009/05552).
139.S'agissant enfin du moyen d'annulation tiré de ce que le rapport de M. [D] comporterait une erreur de fait en attribuant à Mme [AF] des ordres d'achat d'actions MBWS passés par M. [P], l'AMF rappelle que n'étant qu'un des éléments du dossier sur lesquels se fonde la Commission des sanctions, ce rapport ne peut être annulé du fait d'une telle erreur.
Sur ce, la Cour :
140.Il résulte de l'article R. 621-39 du CMF que le rapporteur procède à toutes diligences utiles et qu'il consigne par écrit le résultat des opérations qu'il a menées dans un rapport.
141.La Cour rappelle qu'il appartient au rapporteur, en application de ce texte, de procéder à l'étude, l'analyse et la discussion des questions posées par l'affaire, et d'indiquer, selon son opinion, la solution qu'elles appellent. Il apprécie souverainement s'il y a lieu ou non de réaliser des investigations complémentaires à la demande des personnes mises en cause. Enfin, le contenu et les conclusions du rapport (voir la pièce 31 du dossier de [O] [A] et Mme [AF] et les cotes D 2504 à 2589 du dossier de l'AMF) ne constituent qu'un des éléments de la procédure soumis, à l'issue d'un débat contradictoire, à l'appréciation de la Commission des sanctions.
' Sur la mention de pièces prétendument annulées
142.Ainsi qu'il a été dit, les pièces en cause figurant régulièrement à la procédure (§ 103 et suivants du présent arrêt), il ne saurait être reproché au rapport d'en faire mention.
' Sur l'absence de prise de position du rapporteur sur les critiques concernant la légalité de la notification de griefs
143.La page 8 du rapport contient le passage suivant :
« Il convient de souligner que dans leurs observations écrites, [O] [A], Mme [AF] et M, [K] indiquent :
' Pour une présentation exhaustive des faits, il sera renvoyé à la réponse qu'avait faite la société [O] [A]/ Monsieur [K]/Madame [AF] à la lettre circonstanciée que Ia direction des enquêtes de I'AMF lui avait adressée le 17 janvier 2019 (Annexe A).
À titre préliminaire, la société [O] [A]/Monsieur [K]/Madame [AF] rappelle que Ia procédure de sanction ouverte à son encontre est irrégulière, dans la mesure où la décision prise par la commission spécialisée du Collège est illicite, pour toutes les raisons qu'elle/il a d'ailleurs exposées devant la cour d'appel de Paris qu'elle/il a saisie d'un recours en annulation /et en réparation (Annexe B).
Si toutefois la Commission des sanctions estimait devoir examiner quand même le bien-fondé des griefs notifiés à la société [O] [A]/Monsieur [K]/Madame [AF], elle serait nécessairement conduite à les écarter, dans la mesure où leurs éléments constitutifs sont absents ou ne sont pas établis (Annexe C).'.
Aussi, dans le présent rapport, il sera considéré que seules les pages consacrées à la présentation des faits des trois 'Annexes A', ainsi que les trois 'Annexes C' , constituent les observations en réponse aux notifications de griefs. Les 'Annexes B', quant à elles, correspondent à des mémoires produits par les mis en cause devant la cour d'appel de Paris dans le cadre d'un contentieux distinct, de telle sorte qu'elles ont manifestement été versées à la présente procédure pour simple information. »
144.Les courriers du 16 décembre 2019 de [O] [A], Mme [AF] et M. [K] (cotes D 1850, 1929, 2014), tous similaires, correspondent à la présentation qu'en a faite le rapporteur.
145.Les annexes B de ces courriers sont constituées d'une copie des « exposé des moyens » produit par le conseil des requérantes devant la cour d'appel de Paris tendant à l'annulation des notifications de griefs concernant respectivement [O] [A], M. [K] et Mme [AF] (cotes D 1881 et suivantes, D 1945 s., D 2036 s.).
146.La Cour considère en l'espèce que le rapporteur était fondé à considérer à la lecture de ces courriers et annexes B, qu'il ne lui était pas demandé, dans le cadre du rapport qu'il lui incombait d'établir, de se prononcer sur la régularité des notifications de griefs émanant du collège de l'AMF.
147.En effet, il appartenait aux requérantes de le saisir explicitement d'une demande en ce sens, ce qui n'est pas le cas d'une référence « à titre préliminaire » à l'irrégularité prétendue de la procédure assortie d'une copie d'un exposé des moyens déposé devant une juridiction.
148.Le rapporteur était encore fondé à ne pas donner suite aux relances des requérantes après le dépôt de son rapport : outre que ces demandes pouvaient apparaître comme dilatoires après le dépôt de son rapport, le rapporteur n'a pu que constater, comme la Cour, que les « exposés des moyens » précités, sous couvert d'irrégularité de la procédure, tendaient pour l'essentiel à contester l'affaire au fond, en sorte que leur discussion apparaissait redondante.
' Sur l'erreur de fait contenue dans le rapport
149.Le passage litigieux se trouve au bas de la page 34 du rapport de M. [D]. Il y est indiqué : « Or, Mme [AF] a passé des ordres d'achat d'actions MBWS et de BSA Actionnaire 2 pour le compte de [O] [A] ».
150.Il convient de restituer cette phrase dans son contexte.
151.M. [D] indique à la suite qu'il : « résulte en effet du relevé de compte Interactive Brokers de [O] [A] versé à la procédure, que celle-ci a acquis entre le 16 mars et le 1er avril 2015, en solde net, 1 050 000 actions MBWS et 30 000 BSA Actionnaire 2 », que « [O] [A] considère que les ordres litigieux ont été passés par Alterfi dans le cadre d'un mandat discrétionnaire, de sorte que son comportement devrait être qualifie de légitime au sens de l'article 9 du règlement MAR », qu'« il peut donc être considéré, au vu de ces courriels [du 15 mars 2015 contenant notamment le texte « ne pas traîner, voilà le maître mot »], que Mme [AF] a donné à M. [P] l'instruction d'acquérir des actions MBWS ».
152.Ainsi, la phrase critiquée s'avère être une expression concise et figurée de la pensée de l'auteur mais non une description erronée des faits qu'il avance : le rédacteur du rapport ne prétend nullement que Mme [AF] aurait passé elle-même les ordres d'achat sur le plan matériel ; il conteste qu'Alterfi ait pu constituer un écran utile entre l'expression de la volonté de Mme [AF] par courriel et le passage des ordres.
153.En tout état de cause, les requérantes n'ont pas pu se méprendre sur la portée du passage en cause.
' Conclusion sur le rapport de M. [D]
154.Il résulte de l'ensemble de ces développements que le moyen pris de la nullité du rapport de M. [D] sera rejeté.
5. Sur la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021
155.Dans la décision attaquée (pages 7 et 8), l'AMF relate les faits suivants.
156.Initialement, la séance à laquelle l'affaire devait être appelée avait été fixée au 16 octobre 2020. Elle a été reportée « à titre exceptionnel » par la présidente de la Commission des sanctions à la demande de Mme [AF].
157.L'intéressée a ensuite été convoquée à la séance de la commission du 26 mars 2021 par lettre du 29 janvier 2021. Son conseil, par lettre du 9 février 2021, a sollicité un sursis à statuer « tant que [sa] cliente ne pourra pas se rendre en France dans des conditions sanitaires satisfaisantes ['] », précisant que les frontières marocaines étaient fermées.
158.Par lettre du 19 mars 2021, la présidente de la Commission des sanctions, après avoir constaté qu'aucun justificatif de l'impossibilité de se rendre à la séance n'avait été produit et indiqué que les conditions en vigueur permettaient l'entrée sur le territoire français de citoyens de pays non membres de l'Union Européenne en cas de motif impérieux, a confirmé le maintien de la séance prévue le 26 mars 2021. Le jour même, ce conseil a, dans un courrier adressé à la présidente de la Commission des sanctions, répondu que Mme [AF] « serait ['] dans l'impossibilité d'assister physiquement à cette audience compte tenu des restrictions sanitaires en vigueur » et sollicité en conséquence son report « à une date où [sa] cliente pourra voyager sans mettre sa santé en danger ».
159.Par lettre du 22 mars 2021, la présidente de la Commission des sanctions a confirmé le maintien de la séance prévue le 26 mars 2021. Par courriel du 23 mars 2021, le conseil de Mme [AF] a produit un certificat médical daté du 19 mars 2021 qui « confirme que [l'] état de santé [de Mme [AF]] ne lui permet toujours pas de prendre l'avion et ce pour une durée indéterminée ».
160.Mme [AF] n'était pas présente lors de la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021.
161.Mme [AF] soutient que s'étant trouvée dans l'impossibilité matérielle d'être physiquement présente à l'audience, ce dont elle a justifié par la production d'éléments (pièces 34, 35, 36 et 49 de son dossier), compte tenu des contraintes sanitaires dues à l'épidémie de covid-19, il incombait à la Commission des sanctions de faire droit à ses nombreuses demandes d'ajournement. Faute pour la commission d'y avoir consenti, sa décision encourt l'annulation en raison de la grave violation des droits fondamentaux de la requérante, ainsi qu'il résulte des articles 6.1 et 3(c) de la CSDH et de la jurisprudence afférente et étant rappelé que l'intervention de son avocat ne pouvait pas pallier l'absence physique de la requérante.
162.Dans ses observations, l'AMF observe que les contraintes sanitaires liées à l'épidémie de covid-19 ont été prises en compte par la présidente de la Commission des sanctions, qui a accepté de reporter la séance initialement prévue le 16 octobre 2020, au 26 mars 2021. Mme [AF] pouvait se rendre en France malgré les restrictions sanitaires en justifiant du motif impérieux de se rendre à la séance du 26 mars.
163.L'AMF relève que ce n'est que par courriel du 23 mars que le conseil de Mme [AF] a déclaré que l'état de santé de sa cliente l'empêchait de paraître à la séance, alors qu'il n'avait jusqu'alors invoqué que des restrictions sanitaires.
164.L'AMF ajoute qu'en tout état de cause, rien n'obligeait la Commission des sanctions à statuer en présence de Mme [AF], dès lors que son conseil était présent à la séance, ainsi que le prévoit l'article L. 621-15 du CMF.
165.S'agissant de la jurisprudence de la CEDH invoquée par les requérants, l'AMF en conteste la pertinence et rappelle que la possibilité pour l'intéressée d'exercer un recours de plein contentieux devant la cour d'appel, devant laquelle elle peut être entendue en ses observations, suffit à assurer le respect de l'article 6 de la CSDH.
166.Mme [AF] expose encore que la possibilité pour un prévenu de se faire représenter par ses conseils ne saurait être considérée comme équivalente à la présence physique du mis en cause à l'audience, et qu'au surplus un prévenu, empêché de comparaître en personne pour raison médicale, ne saurait être jugé en son absence.
167.Elle précise qu'en mars 2021, les développements de l'épidémie de la covid avaient entraîné de sévères restrictions de déplacement et qu'une quarantaine de sept jours était imposée aux personnes entrant en France en provenance d'un pays non-européen, et ajoute qu'elle a communiqué un certificat médical en date du 19 mars 2021 lui interdisant formellement de prendre l'avion pour se rendre en Ile de France.
168.Elle conclut que la présidente de la Commission des sanctions a commis une erreur d'appréciation en confirmant la tenue de la séance moins de huit jours avant le 26 mars 2021 et en maintenant sa décision en dépit de l'ampleur des sanctions requises contre elle, et ce faisant a fait preuve de déloyauté.
169.L'AMF considère dans ses dernières écritures que les éléments invoqués par les requérantes portant sur deux décisions individuelles, l'une d'avoir attendu le 19 mars 2021 pour confirmer la tenue de la séance de la commission, l'autre d'avoir maintenu sa décision en dépit des contraintes portées à sa connaissance, constituent des moyens nouveaux, irrecevables en application de l'article R. 621-46 du CMF, outre qu'ils sont dirigés contre deux « décisions individuelles » qui ne sont pas visées par les recours.
Sur ce, la Cour :
170.L'article L. 621-15, IV, du CMF dispose que « [l]a Commission des sanctions statue par décision motivée, hors la présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment appelé ».
171.Il résulte de ce texte, d'une part, que la personne concernée et son représentant sont placés sur le même plan, aucune différence n'étant faite entre eux sous l'angle de la régularité de la procédure, d'autre part, que dans le cas où la personne concernée a été dûment appelée et où son représentant a été entendu, la Commission des sanctions peut prononcer une sanction.
172.En l'espèce, Mme [AF] était informée depuis le 29 janvier 2021 de la fixation de la date de la séance au 26 mars 2021 et son conseil l'a représentée lors de la séance.
173.Dans le contexte de la pandémie, qui avait vu se succéder plusieurs périodes de confinement depuis le mois de mars 2020, des mesures de restriction aux entrées et sorties du territoire national ou encore de mise en quarantaine n'étaient ni improbables, ni imprévisibles.
174.Alors que les mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre la pandémie étaient en constante évolution, il appartenait donc à Mme [AF] de prendre ses dispositions afin de parer à toute éventualité dès le 29 janvier 2021 si elle tenait à assister à la séance. Au demeurant, elle n'a pas prétendu s'être vu refuser l'entrée sur le territoire national au motif que sa présence à la séance du 26 mars 2021 n'aurait pas constitué un motif impérieux.
175.Enfin, la Cour rappelle que l'AMF, en ce compris la Commission des sanctions, a pour mission de réguler les marchés financiers. Cette mission, qui concourt au maintien de la paix sociale, est d'ordre public. L'AMF ne pouvait dès lors suspendre son action pour une durée indéterminée jusqu'à ce que la pandémie soit jugulée.
176.La décision de la présidente de maintenir la séance était ainsi proportionnée au regard des enjeux qui s'attachent au bon accomplissement de la mission de l'AMF, nonobstant la production d'un certificat médical par Mme [AF], celle-ci étant représentée par son conseil lors de la séance, ce qui a permis l'exercice des droits de la défense, conformément aux dispositions de l'article L. 621-15, IV, du CMF.
177.Le moyen sera rejeté.
6. Sur la décision de la Commission des sanctions
178.Dans la décision attaquée, l'AMF mentionne au § 63, dans la partie portant sur « l'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 », un échange de courriels du 16 mars 2015.
179.Au § 91, dans la partie consacrée à « l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS », la décision fait référence à un échange de courriels du 19 novembre 2015 entre la mandataire de [O] [A] et un salarié de cette société. Mme [AF] était en outre en copie de la réponse du salarié.
180.[O] [A] et Mme [AF] exposent que la décision de la Commission des sanctions, au paragraphe 24, a écarté des débats une série de pièces listées dans le procès-verbal de constatation en date du 16 mai 2019 adressé à Mme [AF], tout en citant explicitement au paragraphe 63 le mail du 16 mars 2015 sur lequel elle se fonde pour caractériser le manquement reproché aux requérantes (pièce 6 visée dans le procès-verbal du 16 mai 2019), et en se référant encore au paragraphe 91 à d'autres pièces figurant sur la liste précitée (pièces 12 et 13 visées dans le procès-verbal du 16 mai 2019).
181.En conséquence, la décision de la Commission des sanctions est entachée d'un vice qui entraîne son annulation, et empêchera la Cour de faire usage de son pouvoir d'évocation, indépendamment même du fait que les pièces en cause ont été irrégulièrement obtenues.
182.Dans ses observations, l'AMF oppose le défaut d'intérêt des requérantes à critiquer la prise en compte de ces pièces dans le cadre de l'examen du manquement relatif à l'utilisation de l'information privilégiée portant sur l'actualisation du plan BIG 2018, dès lors que la Commission des sanctions a estimé que ce manquement n'était pas caractérisé à leur encontre.
Sur ce, la Cour :
183.En premier lieu, ainsi qu'il a été dit, la mention du courriel du 16 mars 2015 au § 63 de la décision attaquée ne saurait être utilement contestée dès lors que les OVS du 25 avril 2017 et les remises de pièces afférentes ont été régulières (cf. § 103 et suivants du présent arrêt).
184.En second lieu, la mention de certaines pièces au § 91 de la décision attaquée, n'est pas susceptible de porter atteinte aux intérêts de [O] [A] ou Mme [AF], dès lors qu'au § 94, l'AMF conclut que le manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée n'est caractérisé ni à l'encontre de Mme [AF] ni à l'encontre de la société [O] [A].
185.Le moyen sera rejeté.
7. Sur les moyens contenus dans le mémoire du 4 décembre 2023
a. Remarques préliminaires de la Cour sur l'interprétation de ce mémoire
186.En préambule de leur mémoire du 4 décembre 2023, [O] [A] et Mme [AF] précisent qu'il a pour objet de répondre aux dernières écritures de l'AMF et qu'il ne remplace pas les conclusions du 18 avril 2023, auxquelles il vient « simplement » s'ajouter.
187.Dans ce mémoire, les requérantes font valoir, d'une part, le manque de loyauté de la part de l'AMF (partie B.1b, pages 19 à 25), d'autre part, que l'accumulation d'erreurs justifie l'annulation de la décision.
188.Elles concluent que la Cour de céans « n'aura pas d'autre choix que de tirer les conséquences de cette accumulation d'erreurs à tous les stades de la procédure administrative suivie par l'AMF, pour annuler la Décision, sans se prononcer sur le fond de l'affaire ['] ».
189.La Cour, considère, d'une part, que le moyen pris de la déloyauté est autonome, d'autre part, se fiant à la présentation de la page 2 du mémoire, que dans la perspective de leur auteur, chaque développement portant sur une « erreur » constitue un argument à l'appui du moyen, dont la teneur consiste à soutenir que l'accumulation d'erreurs doit entraîner l'annulation de la décision.
b. Sur le moyen pris de la déloyauté de la procédure
190.[O] [A] et Mme [AF] font valoir, d'une façon générale, que l'enquête a été menée de façon déloyale, ce qui ressort par exemple de l'analyse erronée ayant conduit les enquêteurs à retenir l'existence d'une information privilégiée au plus tard le 14 mars 2015. Elles stigmatisent le rapporteur à qui elles reprochent des oublis, des imprécisions, l'absence de pièces au dossier ou leur dissimulation par relégation « dans les profondeurs d'un dossier comptant plus de 1 200 pages ». Elles affirment que les enquêteurs ont admis des mensonges en connaissance de cause et ont fait preuve de partialité envers [V] [J]. Elles concluent à un « mélange d'erreur de fait et de déloyauté de la part des agents et membres de l'AMF », justifiant l'annulation de la décision.
191.L'AMF invoque l'irrecevabilité du moyen tiré de son prétendu manque de loyauté, comme tardif en application de l'article R. 621-46 du CMF, dès lors qu'il ne constitue pas une réponse à un argument de l'AMF.
Sur ce, la Cour :
192.Aux termes de l'article R.621-46, I du CMF, lorsque la déclaration de recours faite au greffe de la cour d'appel ne comporte pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, déposer cet exposé au greffe dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration.
193.Il en résulte que sont irrecevables tous les moyens développés dans les mémoires successivement déposés à l'appui du recours lorsqu'ils ne figurent ni dans la déclaration de recours ni dans l'exposé des moyens, lesquels fixent les termes du litige. Ne sont recevables que les moyens nouveaux qui n'ont d'autre objet que de répondre aux observations de l'AMF.
194.En l'espèce, l'exposé des moyens déposé au greffe le 13 juillet 2021 ne contient aucun moyen pris de la déloyauté de l'AMF.
195.Le moyen d'annulation pris de la déloyauté (de la procédure et des agents de l'AMF, de la Commission des sanctions), a ainsi été présenté pour la première fois dans le mémoire du 4 décembre 2023.
196.Contrairement à ce qu'allèguent les requérantes en page 2 de ce mémoire du 4 décembre 2023, ce moyen ne peut être regardé comme visant à répondre à une quelconque argumentation que l'AMF aurait opposée aux précédentes écritures des requérantes. Il est donc nouveau.
197.Déposé postérieurement au délai de quinze jours prévu à l'article R621-46, I, du CMF, il est dès lors irrecevable.
c. Sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
198.Le mémoire comporte des développements portant sur une erreur relative au versement en procédure du courriel d'Alterfi, ainsi que sur des erreurs de fait, de droit, d'appréciation, en rapport avec les manquements qui ont été retenus et sanctionnés par l'Autorité.
199.Il comporte également, au fil du texte, des incises portant sur le recours incident exercé par le président de l'AMF.
' Sur l'erreur commise par l'AMF pour se procurer le contenu du courriel d'Alterfi en date du 16 mars 2015
200.[O] [A] et Mme [AF] par ces développements poursuivent leur argumentation portant sur l'irrégularité de la communication des courriels de Mme [AF] au cours des OVS du 25 avril 2017.
201.La Cour répond à l'ensemble de ces développements dans la partie du présent arrêt consacrée au rapport d'enquête. (§ 103 et suivants du présent arrêt)
' Sur l'erreur d'appréciation portant sur l'opportunité de reporter la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021
202.[O] [A] et Mme [AF] par ces développements poursuivent leur argumentation portant sur l'irrégularité de la séance du 26 mars 2021.
203.La Cour répond à l'ensemble de ces développements dans la partie du présent arrêt consacrée à ladite séance. (§ 170 et suivants du présent arrêt)
' Sur les erreurs de fait
204.Le mémoire comporte aux pages 15 à 19 et 26 à 33 des développements portant sur l'information du 14 mars 2015, la chronologie des faits, la nature du message « ne pas traîner ».
205.[O] [A] et Mme [AF], critiquent la portée accordée par la Commission des sanctions à l'information du 14 mars 2015, considérant que la communication du 13 février 2015, par rapport à laquelle l'information du 14 mars est analysée, ne constituait pas une annonce, au contraire de la communication du 15 octobre 2014.
206.Les requérantes contestent la chronologie des faits retenue par les enquêteurs et l'absence de mention par eux de certains faits, faisant ressortir que les décisions d'investissement ont été prises avant la communication en date du 14 mars 2015, si bien qu'il n'y avait pas lieu de suspecter un manquement d'initié.
207.Elles critiquent encore l'analyse qui a été faite par la Commission des sanctions du message « ne pas traîner ».
208.Dans ses observations en réponse, l'AMF considère que les développements consacrés à ces prétendues erreurs n'apportent rien de nouveau en substance, à ceux contenus dans les précédentes écritures des requérantes, et renvoie à ses précédentes observations.
209.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire « récapitulatif » contient.
' Sur les erreurs de droit
210.Le mémoire comporte aux pages 34 à 66 des développements portant sur cinq erreurs.
' Sur l'erreur prise de ce que [O] [A] relèverait de la catégorie des « initiés primaires »
211.[O] [A] et Mme [AF] exposent qu'au stade de l'instruction, les enquêteurs ont considéré que [O] [A] relevait de la catégorie des initiés primaires, et invoquent à cette fin divers actes de la procédure.
212.Les requérantes concluent que « force est de constater qu'en dehors de certains actes de procédure, dont la formulation n'est cependant pas reprise par les notifications de grief adressées aux requérantes, ce n'est plus [O] [A], mais Mme [AF] qui est désormais qualifiée d'initiée primaire ['] ».
213.Dans ses observations en réponse, l'AMF rappelle que la Cour est saisie de recours contre la décision et non contre les actes de la procédure d'instruction. Elle indique encore que ladite décision a considéré au § 60 que Mme [AF] était une initiée primaire et qu'elle seule s'est vu reconnaître cette qualité. Dès lors, la prétendue erreur manque en fait.
Sur ce, la Cour :
214.La critique ne précise pas en quoi cette prétendue erreur au stade de l'instruction aurait une quelconque incidence sur la validité de la décision de la Commission des sanctions.
215.En outre, en tout état de cause, il ne ressort d'aucun développement de la décision attaquée que [O] [A] serait qualifiée d'initiée primaire.
216.La Cour n'aperçoit dès lors pas en quoi la décision serait entachée de l'erreur invoquée, étant rappelé que le recours dont elle est saisie ne porte que sur ladite décision.
' Sur l'erreur selon laquelle Mme [AF] aurait procédé aux opérations litigieuses « indirectement » via [O] [A]
217.[O] [A] et Mme [AF] exposent qu'à la lecture de certains actes de la procédure, Mme [AF] « était alors soupçonnée par les agents de l'AMF d'avoir utilisé une information privilégiée pour son propre compte, mais en achetant des titres MBWS 'indirectement', via l'interposition d'une entité (DH) qui serait de facto regardée comme 'transparente', soit par ce qu'elle serait 'contrôlée' par Mme [AF] (ce qui n'est pas le cas, contrairement à ce que croyaient peut-être les agents de l'AMF), soit parce que RZ en serait le 'bénéficiaire économique' ».
218.Elles concluent en rappelant que la poursuite a reproché à Mme [AF] d' « avoir utilisé l'information privilégiée ['] pour acquérir, pour le compte de [O] [A], société que vous dirigez et contrôlez de concert avec votre famille, [des actions et BSA] ».
219.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique qu'il résulte clairement des motifs de la décision attaquée que Mme [AF] a réalisé les opérations litigieuses pour le compte d'un tiers.
Sur ce, la Cour :
220.Cette critique ne précise pas davantage en quoi cette prétendue erreur au stade de l'instruction aurait une quelconque incidence sur la validité de la décision de la Commission des sanctions.
221.En outre, en tout état de cause, Force est de constater que les développements des requérants, ne permettent pas de retenir une « erreur » à l'encontre de la décision attaquée, puisqu'elle indique, au § 66, que le manquement à l'obligation d'abstention à l'utilisation de l'information privilégiée est caractérisé à l'encontre de Mme [AF] et est également imputable à la société [O] [A] « au nom et pour le compte de laquelle » il a été commis.
' Sur l'erreur prise de ce que Mme [AF] aurait réalisé les opérations litigieuses pour le compte d'un « tiers » ;
222.[O] [A] et Mme [AF] développent une analyse des articles 8.1, 8.5 et 9.1 du règlement MAR dont elles tirent que Mme [AF] ne saurait être considérée, sur le fondement de l'article 8.1 précité, comme ayant réalisé les opérations litigieuses pour le compte d'un « tiers » ([O] [A]) à raison d'une décision qu'elle aurait prise « au nom et pour le compte » de ladite société. En effet, quand une personne physique est représentante légale d'une personne morale, comme Mme [AF] à l'égard de [O] [A], dont elle est le PDG, juridiquement, la personne morale ne peut être considérée comme un tiers par rapport à des acquisitions qui sont faites en son nom par ce représentant légal. Les faits, à les supposer établis, ne pourraient en conséquence être poursuivis que sur le fondement de l'article 8.5, portant sur la participation d'une personne physique à la décision de la personne morale.
223.Elles demandent à toutes fins à la Cour de poser une question préjudicielle ainsi rédigée : « Le dirigeant d'une personne morale agissant pour le compte de celle-ci peut-il être considéré comme une personne physique agissant pour le compte d'un tiers, au sens de l'article 8.1 du règlement MAR, ou bien sa responsabilité ne peut-elle exclusivement être recherchée qu'à raison de sa participation à la prise de décision pour le compte de la personne morale, conformément à l'article 8.5 du règlement MAR ' ».
224.Dans ses observations, l'AMF indique que les requérants ne font que répéter une argumentation déjà produite, et renvoie à ses précédentes écritures. Elle ajoute qu'en tout état de cause, il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle au sujet du règlement MAR, les textes étant clairs. Enfin, elle rappelle que « si, à l'évidence, la personne morale ne peut être considérée comme un tiers par rapport à des acquisitions qui sont faites en son nom, elle peut parfaitement être considérée comme autrui au sens et pour l'application de l'article 622-1 du RGAMF ou comme un tiers au sens et pour l'application de l'article 8.1 du règlement MAR ».
Sur ce, la Cour :
225.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire « récapitulatif » contient (cf., § 360 et suivants du présent arrêt).
' Sur l'erreur prise de la qualité d'« initiée secondaire » de [O] [A]
226.[O] [A] et Mme [AF] exposent que la décision attaquée ne consacre pas de développements à l'éventuelle qualité d'initiée secondaire de [O] [A], sachant qu'elle ne relève pas non plus que la catégorie des initiés primaires.
227.Elles estiment que constituerait une erreur de droit, la validation du principe défendu par l'AMF selon lequel il conviendrait de « retenir que par l'effet de cette représentation, alors que le représentant légal de la personne morale agit pour son compte et dans l'intérêt de cette dernière, le manquement est nécessairement dans le même temps imputable à la personne morale, et ce sans qu'il soit notamment besoin de caractériser autrement la détention et l'utilisation de l'information privilégiée par cette dernière ».
228.Elles demandent à toutes fins à la Cour de poser une question préjudicielle ainsi rédigée : « Une personne morale peut-elle entrer dans le champ d'application des articles 8.1 et 9.1 du règlement MAR, et faire l'objet de sanctions à raison de la violation de l'interdiction posée par l'article 15 du règlement MAR, sans qu'il soit établi qu'elle était en possession d'une information privilégiée lors des opérations d'initié qu'elle aurait effectuées pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers ' ».
229.Les requérantes reprochent encore à la décision attaquée de n'avoir pas pris le soin d'établir que [O] [A] « possède une information privilégiée dans des circonstances autres que celles visées au premier alinéa [relatif aux initiés primaires] lorsque cette personne sait ou devrait savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée » (art. L. 622-1 du RGAMF, art. 8.4 du règlement MAR).
230.Elles rappellent que Mme [AF] ne représentait pas en droit [O] [A] au conseil d'administration de MBWS et qu'elle n'a donc pu avoir connaissance de l'information litigieuse qu'à titre personnel, voire privé.
231.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que la Commission des sanctions ne s'est nullement fondée sur la qualité d'initiée secondaire de [O] [A] pour retenir le manquement à son encontre, puisqu'elle a considéré que « [l]e manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée analysée ci-dessus est donc caractérisé à l'encontre de Mme [AF]. Ce manquement est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, ainsi, caractérisé à son encontre » (§ 66 de la décision).
Sur ce, la Cour :
232.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire récapitulatif contient (cf, § 390 du présent arrêt).
' Sur l'erreur portant sur le caractère discrétionnaire du mandat d'Alterfi.
233.[O] [A] et Mme [AF] exposent les raisons pour lesquelles elles considèrent que le mandat d'Alterfi du 2 avril 2015 était un mandat discrétionnaire, en sorte que Mme [AF] ne pouvait être regardée comme s'étant immiscée dans la gestion d'Alterfi (décision attaquée, § 64).
234.En réponse, l'AMF rappelle que les requérantes ne font, sous couvert d'erreur de droit, que remettre en cause les éléments purement factuels sur lesquels la Commission des sanctions s'est fondée pour retenir l'absence de caractère discrétionnaire du mandat litigieux.
Sur ce, la Cour :
235.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire récapitulatif contient (cf, § 321 du présent arrêt).
' Sur les erreurs d'appréciation
236.Le mémoire comporte aux pages 67 à 97 des développements soutenant quatre erreurs d'appréciation de la Commission des sanctions.
' Sur l'erreur portant sur la possibilité pour la Commission des sanctions de sanctionner [O] [A] en qualité de « personne étroitement liée » à Mme [AF]
237.[O] [A] et Mme [AF] exposent que la Cour n'aura pas d'autre choix que d'annuler ou à tout le moins, de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a prononcé une sanction à l'encontre de [O] [A] à raison d'un prétendu manquement aux dispositions de l'article L. 621-18-2 du CMF.
238.Elle considère en effet que la Commission des sanctions, tenue par les termes de la notification de griefs, devait vérifier que [O] [A] remplissait la condition d'avoir agi dans l'intérêt de Mme [AF], en application de l'article L. 621-18-2 du CMF, et conformément à la Position Doc 2006-14. Elle soutient encore que la Cour de cassation n'a pas dit autre chose dans son arrêt du 21 avril 2022 (Com., pourvoi n° 20-21.753).
239.En réponse, l'AMF rappelle que son analyse de l'article R. 621-43-1 est conforme à la doctrine de la Cour de cassation (Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
Sur ce, la Cour :
240.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond (cf, § 428 du présent arrêt).
' Sur l'erreur portant sur le caractère « privilégié » de l'information du 14 mars 2015
241.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent que l'information du 14 mars 2015 ne remplit pas les conditions d'une information privilégiée, qu'il s'agisse du caractère « non public » de l'information, de son caractère précis, de son caractère sensible.
242.Les requérantes considèrent que la première condition n'était pas remplie dans la mesure où la fourchette prévisionnelle de l'EBITDA 2014 avait été communiquée au marché par MBWS le 15 octobre 2014 et qu'il est dans la logique d'une présentation sous forme de fourchette que le résultat final se situe au-dessus de la borne basse, puisque celle-ci ne constitue ' par définition ' qu'un montant minimum, dont le public pouvait donc être certain (dès l'annonce initiale de la fourchette) qu'il serait « dépassé » par MBWS.
243.Elles exposent qu'au 15 octobre 2014, le public pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la rentabilité s'améliore au second semestre, grâce aux mesures mises en place par MBWS en faveur de ses activités les plus rentables au détriment de celles qui le seraient moins, si bien que le niveau d'EBITDA du S2 2014 serait par conséquent supérieur ' et non pas seulement « au moins égal » ' à son niveau du premier semestre (1,9 ME).
244.Dans ses observations en réponse, l'AMF observe que, pour la première fois, les requérantes viennent prétendre que l'information aurait été publique. Elle invoque l'article R. 621-46 du CMF pour demander à la Cour de déclarer ce moyen irrecevable.
245.Sur le fond, elle conteste le caractère public de l'information litigieuse, rappelant que celle-ci portait sur l'atterrissage de l'EBITDA 2014 à 5,7 M euros et le dépassement de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 (au moins 3,8 M euros).
Sur ce, la Cour :
246.La Cour relève, comme l'AMF l'y invite, que l'argumentation contenue par le mémoire du 4 décembre 2023, par laquelle il est soutenu que l'information du 14 mars 2015 ne présentait pas un caractère non public, constitue un moyen nouveau.
247.En outre, Ce moyen ne répond pas aux observations en réponse de l'AMF du 11 septembre 2023 qui, se bornant à répondre aux moyens jusqu'alors soulevés par les requérantes, ne discutait pas le caractère public ou non de l'information privilégiée.
248.Partant, il est irrecevable en application des dispositions de l'article R. 621-46 du CMF.
249.La Cour caractérisera le caractère privilégié de l'information à l'occasion de la discussion des moyens de fond (cf, § 289 et suivants du suivant arrêt).
' Sur les erreurs portant sur la gravité des manquements reprochés aux requérantes, la quantification des « avantages » retirés par [O] [A] des opérations litigieuses, le caractère proportionné des sanctions prononcées à l'encontre des requérantes
250.[O] [A] et Mme [AF] consacrent des développements à la gravité des faits, au profit qu'elles ont pu en retirer, à la sanction prononcée.
251.Dans ses observations en réponse, l'AMF rappelle qu'elle a fait application des dispositions de l'article L. 621-15, III, ter, du CMF, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016 (décision attaquée, § 233).
252.Elle ajoute que les requérantes n'ont pas soutenu, dans l'exposé des motifs de leur recours, ni dans leurs conclusions, que les manquements retenus n'auraient pas été d'une particulière gravité, en sorte que par application de l'article R. 621-46 du CMF, le moyen est irrecevable.
253.Sur le fond, elle considère que les sanctions prononcées sont individualisées et proportionnées.
Sur ce, la Cour :
254.Une éventuelle divergence d'appréciation entre la Cour et l'AMF sur ces questions, à supposer les manquements établis, ne saurait justifier l'annulation de la décision.
255.Au regard du moyen tendant à l'annulation de la décision attaquée en conséquence de l'accumulation d'erreurs, la discussion sur les erreurs en cause est inopérante.
256.Les développements en cause sont discutés avec les autres moyens de fond concernant la sanction, dans la suite du présent arrêt (cf, infra, § 633 et suivants du présent arrêt ).
' Sur les développements du mémoire relatif au recours incident du président de l'AMF
257.Le mémoire du 4 décembre 2023 contient un ensemble d'incises tendant à combattre le recours incident du président de l'AMF.
258.Ces développements, qui ne critiquent aucune partie de la décision attaquée, sont inopérants au regard du moyen tendant à l'annulation de ladite décision par accumulation d'erreurs.
' Conclusion sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
259.Il résulte des développements qui précèdent qu'aucune accumulation d'erreurs propre à justifier l'annulation de la décision n'a lieu d'être relevée à l'encontre de la décision attaquée.
260.Le moyen sera en conséquence rejeté.
B. Sur les moyens de fond développés par [O] [A] et Mme [AF]
1. Sur le caractère privilégié de l'information du 14 mars 2015 relative à l'EBITDA 2014
261.Dans la décision attaquée, l'AMF indique (§ 37 et suivants) que par communiqué de presse du 13 février 2015, « MBWS a annoncé » au marché « [u]ne confirmation des objectifs d'un EBITDA S2 2014 au moins égal à celui du S1 2014 » et « [u]n EBITDA au second semestre 2014 au moins égal à celui du premier semestre 2014 (1,9 M€) ».
262.L'Autorité précise que l'objectif d'un EBITDA S2 2014 mentionné dans le communiqué ne pouvait s'entendre que comme un chiffre établi sur la base de premières estimations disponibles après la clôture de l'exercice et devant encore être affiné puis audité.
263.Elle rappelle également que le directeur financier a écrit par courriel au directeur général de MBWS : « ['] Comme discuté, tu trouveras ci-dessous les résultats au 31 décembre 2014 à date : / - EBITDA : 5,7 MEUR ['] Ces résultats sont bien entendu toujours en cours d'audit. ['] ».
264.Elle considère que le dépassement de l'objectif d'EBITDA par rapport au niveau confirmé au marché le 13 février 2015, soit + 37 %, était un évènement susceptible de se produire dont il était possible de tirer une conclusion, en l'occurrence positive, sur le cours de l'action MBWS, de sorte que l'information doit être regardée comme précise, au sens de l'article 621-1 du RGAMF, au plus tard le 14 mars 2015.
265.Elle précise que les estimations précédemment communiquées aux administrateurs de MBWS en décembre 2014 (5,1 millions d'euros) et janvier 2015 (6,1 millions d'euros), avant la confirmation de l'objectif d'EBITDA 2014 le 13 février 2015, ne remettent pas en cause le caractère privilégié de l'information, celui-ci devant être apprécié en prenant en compte les éléments postérieurs à la dernière communication faite au public.
266.Elle conclut que le marché ne pouvait anticiper cette augmentation significative (+37 %), que l'information pouvait être de nature à surprendre les investisseurs et qu'elle était donc telle qu'un investisseur raisonnable était susceptible de l'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement. Partant, elle revêtait un caractère sensible.
267.[O] [A] soutient que l'information communiquée aux administrateurs le 14 mars 2015 n'était pas, à cette date, privilégiée au sens de l'article 621-1 du RGAMF.
268.En premier lieu, elle expose que la référence à un « EBITDA égal à 5,7 MEUR » ne saurait être qualifiée de « dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 », en sorte que faute d'évènement « qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire », l'information en cause ne peut être « réputée précise » au sens du texte précité. En substance, c'est une fourchette située entre 4 et 10 millions d'euros (bornes arrondies) qui avait été « annoncée » au marché par communiqué de presse du 15 octobre 2014, et le communiqué du 13 février 2015 n'a fait que confirmer cette information. Ainsi, la véritable information communiquée le 14 mars 2015 aux membres du conseil d'administration de MBWS porte simplement sur un EBITDA 2014 estimé à 5,7 millions d'euros et non sur le « dépassement des objectifs annoncés au marché le 13 février 2015 », comme l'indique, de façon erronée, le communiqué de presse du 12 mai 2015.
269.[O] [A] ajoute que le fait que le montant de l'EBITDA (5,7 millions d'euros) soit supérieur à 3,8 millions d'euros ne constitue pas une information substantiellement différente des estimations qui avaient cours à l'époque : 5,1 millions d'euros en décembre 2014 et le 20 février 2015 ; 6,1 millions d'euros fin janvier 2015 ; 5,7 millions d'euros les 28 février et 14 mars 2015 ; 5,2 millions d'euros le 12 mai 2015.
270.Elle relève encore que selon M. [J], directeur général de MBWS à l'époque, ces différentes estimations n'étaient pas suffisamment fiables pour être communiquées au public. [O] [A] indique à ce propos que la direction des enquêtes de l'AMF, convaincue par ces explications, avait indiqué dans son rapport qu'il ne semblait pas opportun, au vu des circonstances de l'espèce, de caractériser un possible manquement concernant le délai qui s'est écoulé entre la communication de ces informations aux administrateurs le 14 mars 2015 et leur publication le 12 mai 2015 après clôture.
271.En deuxième lieu, elle soutient que l'information litigieuse pouvait parfaitement être anticipée par le marché à partir des données publiques disponibles et que la Commission des sanctions a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'il était possible d'en tirer une conclusion positive sur le cours de bourse.
272.Elle indique ainsi que l'ordre de grandeur du montant de l'EBITDA en cause (5,7 millions d'euros) était négligeable au regard d'autres grandeurs concernant MBWS (plan de continuation avec un endettement de 84 millions d'euros ; capitalisation boursière avoisinant 350 millions d'euros), et qu'il ne s'analysait en aucun cas en une « bonne » nouvelle susceptible d'avoir une influence positive sur le cours, puisqu'il était, par exemple, très inférieur au montant de l'année précédente (10,6 millions d'euros). Ainsi, un observateur actif sur le forum Boursorama anticipait un EBITDA 2014 autour de 7 millions d'euros. En tout état de cause, on ne saurait parler d'« augmentation significative » comme la décision attaquée le fait (§ 50).
273.En troisième lieu, elle considère qu'aucun investisseur raisonnable n'aurait fondé ses décisions sur une telle information et que la hausse du cours dans la journée du 13 mai 2015 n'a rien à voir avec la publication la veille.
274.Elle précise ainsi que c'est après la clôture de la bourse, le 12 mai 2015, que MBWS a publié ses résultats, et qu'ils étaient donc connus à l'ouverture le lendemain. Or, les cours de MWBS de clôture et de préouverture étaient très proches (16,91, cours observé à la clôture, 16,91, cours théorique une minute avant ouverture le lendemain ou 17,20 après retraitement par l'AMF en retirant les ordres de DF [A], [O] [A] et KKR), ce qui implique que le communiqué de presse n'a pas eu d'incidence sur le cours.
275.En revanche, la cession par le célèbre fonds KKR de son bloc de 5 % au prix de 16,80 euros (prix proposé dès le 7 mai 2015, donc avant la publication des chiffres de l'EBITDA 2014), peu après ouverture, explique la flambée spéculative qui a provoqué une hausse de 10 % du titre MBWS dans la journée du 13 mai 2015, le marché ayant pu croire à une montée au capital de [O] [A] susceptible de provoquer une OPA prochaine.
276.Dans ses observations en réponse, s'agissant de la précision de l'information, l'AMF rappelle d'abord que selon la jurisprudence de la cour d'appel, des informations relatives à l'amélioration de la situation financière d'une entreprise reposant sur des documents provisoires et non encore vérifiés par des commissaires aux comptes n'en revêtent pas moins le cas échéant un caractère précis et fiable. Elle note que la publication finale de l'EBITDA le 12 mai 2015 a révélé un montant très proche des 5,7 millions d'euros communiqués aux administrateurs.
277.L'AMF précise que le dépassement de l'objectif d'EBITDA devrait être apprécié par rapport à la dernière publication à la date d'initiation des administrateurs, c'est-à-dire celle du 13 février 2015 qui annonce un objectif d'EBITDA 2014 d'au moins 3,8 millions d'euros, et non celle du 15 octobre 2014 qui annonce une fourchette comprise entre 3,8 et 10 millions d'euros. Elle ajoute que c'est bien comme tel qu'ont été présentés par MBWS les résultats 2014 dans son communiqué du 12 mai 2015.
278.De plus, elle ajoute que le fait qu'aucun grief relatif au délai de publication de l'information n'ait été notifié est dépourvu de toute signification.
279.L'AMF indique qu'une augmentation de 37 % par rapport à l'objectif d'EBITDA annoncé ne peut être qualifié de « négligeable ». Elle ajoute que la question de l'aptitude d'une telle annonce à exercer une influence sensible sur le cours est étrangère à la caractérisation de la précision de l'information.
280.S'agissant de la sensibilité de l'information, l'AMF soutient que l'argument selon lequel l'information n'était pas sensible car elle pouvait être anticipée par le marché, ne s'appuie pas sur des publications officielles et fiables de MBWS et doit être écarté. Elle rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que l'information selon laquelle une société ne pourra pas atteindre ses objectifs financiers est susceptible d'influencer son cours, et en déduit qu'il en va de même lorsque l'information porte sur un dépassement de ces objectifs.
281.Selon elle, l'EBITDA est un indicateur important des performances financières, et particulièrement pour MBWS qui le met en exergue dans ses publications.
282.Enfin, la référence au comportement du fonds KKR n'est pas pertinente dans la mesure où il s'agit de l'un des fonds d'investissement les plus importants au monde, en sorte qu'il ne saurait être considéré comme correspondant au standard de l'investisseur raisonnable.
283.Enfin, l'AMF rappelle qu'il n'est pas nécessaire que la publication de l'information ait été effectivement suivie d'une variation du cours pour caractériser la sensibilité de l'information, qui s'apprécie a priori.
284.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent encore que l'information du 14 mars 2015 ne remplit pas les conditions d'une information privilégiée, au regard du caractère « non public » de l'information.
285.Les requérantes considèrent que la première condition n'était pas remplie dans la mesure où la fourchette prévisionnelle de l'EBITDA 2014 avait été communiquée au marché par MBWS le 15 octobre 2014 et qu'il est dans la logique d'une présentation sous forme de fourchette que le résultat final se situe au-dessus de la borne basse, puisque celle-ci ne constitue ' par définition ' qu'un montant minimum, dont le public pouvait donc être certain (dès l'annonce initiale de la fourchette) qu'il serait « dépassé » par MBWS.
286.Elles exposent qu'au 15 octobre 2014, le public pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la rentabilité s'améliore au second semestre, grâce aux mesures mises en place par MBWS en faveur de ses activités les plus rentables au détriment de celles qui le seraient moins, si bien que le niveau d'EBITDA du S2 2014 serait par conséquent supérieur ' et non pas seulement « au moins égal » ' à son niveau du premier semestre (1,9 ME).
287.Dans ses observations en réponse, l'AMF conteste le caractère public de l'information litigieuse, rappelant que celle-ci portait sur l'atterrissage de l'EBITDA 2014 à 5,7 millions d'euros et le dépassement de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 (au moins 3,8 millions d'euros).
288.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
289.L'article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016 disposait :
« Une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.
Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement [']. ».
290.Ces dispositions, en vigueur pendant la période du manquement reproché, sont applicables en l'espèce.
291.En effet, l'article 7 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après, « le règlement MAR »), entré en application le 3 juillet 2016 (aux termes de l'article 39 dudit règlement), définit l'information privilégiée en ses § 1, a), 2 et 4 dans des termes équivalents à l'article 621-1 du RGAMF. Il ne s'applique dès lors pas rétroactivement. Ce point n'est au demeurant pas contesté.
292.En l'espèce, ainsi qu'il a été dit (cf, § 15), le samedi 14 mars 2015, M. [J], directeur général de MBWS, a indiqué par courriel aux administrateurs, dont Mme [AF] :
« ['] je partage avec vous les premiers résultats consolidés à date reçus de vendredi. Il s'agit de résultats suffisamment proche[s] du résultat final pour que je puisse les partager avec vous, d'autant que les indicateurs sont positifs : / Au 31 décembre 2014 à date : / - EBITDA ; 5,7 MEUR ['] » (rapport d'enquête, R0016).
293.Le tableau suivant résume certaines des données chiffrées mentionnées précédemment ou qui s'en déduisent.
Date de l'information
S1 2014 (en millions d'euros)
S2 2014
Année 2014
Statut de la donnée chiffrée
13/02/2015
1,9
« au moins égal » à 1,9
« au moins égal » à 3,8
Doc. public
Estimation
14/03/2015
1,9
Env. 3,8
Env. 5,7
Doc. interne MBWS, Estimation
12/05/2015
1,9
3,3
5,2
Doc. Public
Constatation
294.Ces données permettent de reconstituer les taux d'écart mentionnés dans la décision attaquée aux § 41 et 43 :
' entre l'EBITDA constaté le 12 mai 2015 et l'EBITDA estimé au 13 février 2015 :
(5,2 - 3,8) x 100 / 3,8 = 37 %
(5,2 - 5,7) x 100 / 5,7 = - 8,77 %
295.S'agissant du caractère précis de l'information, la Cour relève que le courriel du 14 mars 2015 aux membres du conseil d'administration de MBWS, dont Mme [AF], présentait un EBITDA de 5,7 millions d'euros comme un résultat proche du résultat final pour l'année 2014. Il s'agit d'une quantification chiffrée et précise d'un indicateur clé de MBWS.
296.Il était possible d'en déduire que par rapport à un EBITDA de 3,8 millions d'euros, les résultats envisagés comme réalistes le 14 mars 2015 marqueraient une hausse de près de 37 %, donc une forte hausse. C'est dans cette déduction que réside l'intérêt de l'information du 14 mars.
297.L'intérêt d'une telle précision de l'information du 14 mars 2015 s'apprécie au regard de la communication publique la plus récente à l'époque, à savoir le communiqué de presse du 13 février 2015.
298.S'il est vrai que la teneur de ce communiqué ne différait pas substantiellement de celle du communiqué précédent du 15 octobre 2014, en ce qu'il anticipait l'EBITDA du second semestre comme « au moins équivalent » à celui du premier semestre, le moment de sa diffusion (février 2015) constituait en soi un événement, puisqu'une telle date, proche de la clôture de l'exercice, permettait de conclure à la fiabilité de l'information qu'il contenait.
299.Or, l'indication d'un EBITDA « au moins égal » au second semestre à celui du premier semestre, s'il permettait de conclure à un EBITDA « au moins égal » à 3,8 millions d'euros pour l'année 2014, ne permettait nullement d'anticiper un EBITDA proche de 5,7 millions d'euros, et ce d'autant que le communiqué de presse du 15 octobre 2014 précisait que l'EBITDA 2014 « devrait être en retrait » en comparaison de celui de l'exercice 2013, qui avait été de 10,6 millions d'euros.
300.L'information contenue dans le courriel du 14 mars 2015 traduisait ainsi une amélioration de la situation de MBWS par rapport à la connaissance que le marché pouvait en avoir au 13 février 2015, peu important que ce niveau soit inférieur à celui de l'année 2013.
301.Par ailleurs, il n'importe que le communiqué de presse du 13 février 2015 n'ait pas explicitement précisé qu'il contenait une « annonce », l'effet d'annonce ressortant de la date du communiqué et de la teneur de son contenu, comme déjà indiqué. MBWS a indiqué en première page de son communiqué du 12 mai 2015 : « Résultats annuels 2014 supérieurs aux objectifs annoncés - EBITDA* 2014 : 5,2 M€ (vs. > 3,8 M€ annoncé) » (dossier [O] [A], pièce 27), ce qui corrobore l'analyse selon laquelle le communiqué du 13 février 2015 constituait en lui-même une annonce.
302.C'est ainsi à juste titre que l'AMF a retenu le caractère privilégié de l'information du 14 mars 2015 par rapport au communiqué de presse du 13 février 2015.
303.S'agissant du caractère non public de l'information, qui n'est pas valablement contesté, faute de recevabilité du moyen sur ce point (cf, § 246 du présent arrêt), la Cour précise, en tout état de cause , qu'il est établi. En effet, le courriel du 14 mars 2015 a fait l'objet d'une diffusion restreinte, en sorte que l'information qu'il contenait n'était pas publique. Cette information, ainsi qu'il a été dit, n'était pas non plus déjà diffusée dans le public, lequel ne pouvait anticiper un EBITDA proche de 5,7 millions d'euros sur la base du communiqué de presse du 13 février 2015.
304.S'agissant du caractère sensible de l'information, et compte tenu du contexte dans lequel elle s'inscrit, à savoir la situation de redressement de MBWS, précédemment décrite, une conclusion pouvait être tirée d'un EBITDA proche de 5,7 millions d'euros quant à son effet possible sur le cours des actions et autres instruments financiers liés à MBWS.
305.En effet, un investisseur raisonnable était susceptible d'utiliser une telle information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement dès lors que l'EBITDA constitue un indicateur pertinent de la qualité des résultats d'une entreprise, point qui n'est pas contesté par les requérantes.
306.Il n'importe qu'un observateur familier du site « boursorama », mentionné par les requérantes, ait pu aboutir à des conclusions qui lui étaient propres (dossier [O] [A], pièce n° 21), à partir d'une analyse des résultats régionaux déjà publiés de filiales de MBWS, un tel niveau d'analyse n'étant pas nécessairement celui de tous les épargnants, même dans le cas d'investisseurs raisonnables.
307.Il n'importe enfin que le lendemain de la publication des résultats effectifs de MBWS par un communiqué de presse du 12 mai 2015, les cours aient connu une hausse qui peut s'expliquer par d'autres facteurs que la seule communication de la hausse de l'EBITDA (5,2 millions d'euros).
308.En effet, l'aptitude à influer de manière sensible sur le cours d'un instrument financier doit s'apprécier a priori, à la lumière du contenu de l'information en cause et du contexte dans lequel elle s'inscrit. Il n'est donc pas nécessaire, afin de déterminer si une information est privilégiée, d'examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte (CJUE, 23 décembre 2009, affaire C-45/08, Spector Photo Group NV, § 69, ci-après, « l'arrêt Spector »).
309.Il n'est par ailleurs pas contesté que l'information privilégiée en cause concernait directement un émetteur d'instruments financiers, à savoir MBWS.
310.En conclusion de ces développements, la Cour estime que c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que l'information contenue dans le courriel du 14 mars 2015 revêtait, à cette date, un caractère privilégié.
2. Sur le caractère discrétionnaire du mandat du 3 octobre 2014
311.Dans la décision attaquée (§ 54 à 64), l'AMF indique, ainsi que le relèvent les notifications de griefs, que l'information privilégiée portant sur l'atterrissage des résultats 2014 a été communiquée aux administrateurs de cette société par un courriel du 14 mars 2015 émanant de son directeur général ; que Mme [AF], en sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS depuis le 16 septembre 2014, détenait l'information privilégiée et était, donc, tenue à une obligation d'abstention ; que [O] [A] était également détentrice de l'information dans la mesure où les personnes morales sont réputées détenir les informations privilégiées en possession de leurs représentants légaux.
312.La décision précise ainsi que dans un courriel du 15 mars 2015 adressé par Mme [AF] à M. [K], avec en copie le représentant d'Alterfi, a écrit « Ne pas traîner ! Voilà le maître mot [!] » ; qu'il résulte des pièces du dossier que Mme [AF] a donné instruction, pour le compte de [O] [A], d'acquérir, entre le 16 mars et le 1er avril 2015, 1 050 000 d'actions MBWS et 30 000 de BSA Actionnaire 2 (en solde net) ; que les acquisitions litigieuses, intervenues entre ces deux dates, ont été réalisées dans le cadre du mandat donné à Alterfi le 3 octobre 2014 ; que Mme [AF] s'est ainsi, à tout le moins, immiscée dans la gestion d'Alterfi, pour le compte de [O] [A], de sorte que le mandat n'était pas discrétionnaire.
313.[O] [A] expose que ce n'est pas elle qui a procédé aux opérations litigieuses « pour son propre compte », comme l'exige la lettre de l'article 622-1 du RGAMF, dès lors qu'elle avait pris la précaution d'externaliser la gestion de ses opérations sur les titres MBWS auprès d'Alterfi, dans le cadre de plusieurs mandats successifs, dont celui du 3 octobre 2014. C'est Alterfi qui a réalisé les opérations sur les titres MBWS « pour le compte d'un tiers », à savoir [O] [A], suivant la distinction de l'article 622-1 du RGAMF.
314.Elle précise que le mandat était discrétionnaire, à savoir que la composition du portefeuille devait varier selon la politique jugée pertinente par le gérant, et qu'il ne prévoyait pas la possibilité d'une immixtion, même à titre exceptionnel, du mandant, pourtant autorisée par la doctrine de l'AMF (Revue mensuelle n° 35, avril 2007) dans le cadre d'un tel mandat. En l'espèce, Alterfi était soumise à une obligation de résultat consistant à dépenser la somme globale de 15 millions d'euros pour acquérir des titres MBWS, indépendamment du nombre de titres achetés et du prix payé. En outre, la mise en 'uvre automatique du mandat ne supposait que l'accord de l'office des changes du Maroc, sans qu'il y ait besoin d'une réitération des instructions initiales du 4 octobre 2014.
315.Elle expose encore que dans le cadre des échanges/contacts entre [O] [A] (Mme [AF]) et Alterfi (M. [S] [P]), le courriel de Mme [AF] du 15 mars 2015 contenant l'expression « Ne pas traîner ! Voilà le maître [!] », qui ne faisait que reprendre une expression de M. [K] dans un précédent mail, n'a pas pu constituer une instruction, ni par voie de conséquence une immixtion, Mme [AF] n'ayant pris aucune décision et ayant seulement exprimé une impatience bien naturelle après cinq mois de fonctionnement au ralenti du mandat confié en octobre 2014. Elle relève que les fonds destinés à l'acquisition de titres ont été reçus avant le mail du 15 mars 2015.
316.[O] [A] conclut qu'il n'y avait aucune raison de ne pas tenir compte de l'interposition d'Alterfi, à l'instar de celle résultant d'un mandat de gestion programmée, laquelle est incompatible avec l'utilisation de l'information privilégiée par la mandante.
317.L'AMF observe d'abord que le moyen tiré de l'absence d'opération effectuée par [O] [A] sur les titres MBWS est inopérant dans la mesure où le manquement étant caractérisé à l'encontre de [T] [AF], il est imputable à [O] [A] « au nom et pour le compte de laquelle il a été commis ». Il ne peut être utilement fait valoir qu'en pratique l'initié secondaire doit avoir effectué une opération d'acquisition ou de cession.
318.S'agissant du mandat confié à Alterfi en date du 3 octobre 2014, si la recommandation AMF n° 2010-07 relève que la mise en place d'un mandat de gestion discrétionnaire permet de démontrer que des transactions effectuées par un dirigeant n'ont pas été déterminées par la connaissance d'une information privilégiée mais par des instructions données antérieurement, alors que le dirigeant ne se trouvait pas en situation d'initié, tel n'est pas le cas en l'espèce.
319.En effet, la Commission des sanctions a mis au jour une telle immixtion de Mme [AF] dans le mandat de gestion confié à Alterfi : la séquence des échanges (le courriel du 15 mars 2015 ayant été adressé dès le lendemain de la réception par Mme [AF] de l'information privilégiée), la proximité entre les différents protagonistes qu'ils révèlent, l'affirmation par Mme [AF], s'apparentant à une consigne, qu'il ne fallait pas trainer, enfin, la confirmation par Mme [AF] elle-même que les opérations effectuées auraient été conformes à « notre stratégie » du début jusqu'à la fin, sont radicalement incompatibles avec le caractère prétendument discrétionnaire du mandat conclu avec Alterfi, du moins tel qu'il a effectivement été mis en 'uvre.
320.Il s'ensuit que le moyen tiré par [O] [A] de l'existence du mandat confié à Alterfi s'avère radicalement sans emport.
Sur ce, la Cour :
321.Le mandat du 3 octobre 2014 confié par [O] [A] à Alterfi a été signé, pour le compte de ces personnes morales, respectivement, par Mme [T] [AF] (dénommée « le Client ») et par M. [S] [P] (dossier [O] [A], pièce 4).
322.Ce document expose notamment :
' en préambule que « Le Client a transmis à l'AMF, en date du 3 octobre 2014, une déclaration de franchissement de seuils et déclaration d'intention ['] stipulant, entre autres, 'qu'elle envisage de poursuivre ses acquisitions d'actions [Localité 5] en fonction des conditions de marché, notamment pour conforter sa position d'actionnaire de référence détenant à ce jour un peu plus de 13 % du capital de [Localité 5]' » ;
' toujours en préambule, que « le Client doit obtenir l'autorisation de l'Office des Changes du Maroc de poursuivre ses acquisitions préalablement à la mise en 'uvre du Mandat par Alterfi »,
' à l'article 3, que le Client mandate Alterfi pour gérer l'acquisition d'actions de la société [Localité 5] / consacre à l'acquisition d'actions une somme maximale de 15 000 000 d'euros (quinze millions), rémunération d'Alterfi incluse / consacre à l'acquisition de bons de souscription une somme maximale de 1 000 000 d'euros (un million), rémunération d'Alterfi incluse / que les obligations d'Alterfi sont de résultat ;
' toujours à l'article 3, que le Client peut instruire Alterfi par écrit d'ajuster la quantité maximale d'actions et bons de souscription à acquérir ainsi que la somme maximale consacrée à l'acquisition en cas de « modification des caractéristiques de la société [Localité 5], d'un changement dans l'évolution du marché boursier du titre ou, de façon générale, de tout évènement susceptible de modifier la stratégie de gestion définie » précédemment ;
' à l'article 13, qu'Alterfi fournit un rapport hebdomadaire au Client.
323.Afin de procéder aux opérations d'acquisitions mentionnées dans le mandat précité, [O] [A] a souscrit un prêt pour un montant de 15 millions d'euros auprès de la société BMCE OFFSHORE, et ce « dans le cadre de l'acquisition de 3 % des actions de la société BELVEDERE SA sur la bourse de Paris », ainsi qu'il ressort d'une lettre émanant de l'office des changes du Maroc en date du 6 mars 2015, adressée à [O] [A] (dossier [O] [A], pièce 3).
324.Cette lettre contenait une autorisation qui portait sur la réalisation des opérations suivantes :
' l'acquisition de 3 % des actions de la société [Localité 5] à la bourse de Paris, pour un montant global de 15 millions d'euros ;
' la mobilisation par [O] [A] d'un prêt de 15 millions d'euros auprès de BMCE OFFSHORE ;
' l'ouverture d'un compte au nom de ladite société sur les livres de ladite banque pour la gestion du prêt susvisé ;
' le nantissement de 6 9702 actions de la société de droit marocain « Les Celliers de Meknès » à hauteur de 150 millions de dirhams en garantie du prêt.
325.C'est à une telle autorisation que le mandat du 3 octobre 2014 se référait dans son préambule précité.
326.Il résulte de ces pièces que le principe de l'acquisition par Alterfi d'actions [Localité 5] (devenu MBWS) était posé dès la signature du mandat du 3 octobre 2014 et que la possibilité pratique de procéder à ces acquisitions, ou de les poursuivre, dépendait du déblocage de fonds empruntés.
327.Une première somme de 5 millions d'euros a été versée sur un compte ouvert auprès de la société Interactive Broker, société domiciliée dans le Connecticut aux États-Unis (cf, annexe 9.1 au rapport d'enquête ; pièce 76 de [O] [A], avis de crédit), au nom de [O] [A] le vendredi 13 mars 2015, une deuxième somme de 5 millions d'euros le 19 mars 2015, une troisième somme de 4.5 millions d'euros, le 23 mars 2015 (rapport d'enquête de l'AMF, note de bas de page n° 77 et la pièce 76 de [O] [A] précitée).
328.Il a été exposé en quoi l'information que contenait le courriel du 14 mars 2015 adressé aux membres du conseil d'administration de MBWS, dont Mme [AF], présentant un EBITDA de 5,7 millions d'euros comme un résultat proche du résultat final pour l'année 2014, constituait une information privilégiée.
329.Le dimanche 15 mars 2015 à 8 h 47, M. [K] a adressé à Mme [AF] ainsi, parmi d'autres, qu'à M. [S] [P] (Alterfi), un courriel (annexe 4.7 du rapport d'enquête de l'AMF) faisant état, notamment, de la forte hausse des marchés actions, de la présence de levées de volumes par des fonds indiciels, du suivi prochain de [Localité 5] par les analystes de la Société générale. Son auteur concluait par ces mots « En résumé, je pense qu'il ne faut pas traîner' ».
330.Répondant à ce courriel à 12 h 18, le même jour, Mme [AF] en a adressé un autre (le « courriel Alterfi », annexe 4.8 du rapport d'enquête de l'AMF), destiné à M. [K] mais dont M. [P] (Alterfi) était destinataire en copie, ainsi rédigé :
« Bonjour,
Ne pas traîner ! Voilà le maître mot [!]
Bon weekend à tous.
[T] [Y] [AF]
Présidente Directrice Générale
[O] [A] »
331.Dans le cadre de l'audition de Mme [AF], le 14 mars 2018 (rapport d'enquête de l'AMF, Annexe 1.14 et pièce 19 du dossier de [O] [A]), les enquêteurs ont indiqué qu'il « apparaît qu'à partir du 16 mars 2015, et jusqu'au 1er avril 2015, le rythme d'acquisition d'actions MBWS par [O] [A] s'est accéléré par rapport à celui ressortant de ses interventions antérieures ». Ils ont ajouté que [O] [A] avait acquis, en solde net, 321 537 actions MBWS le 16 mars 2015 ; 850 000 actions MBWS entre le 16 et le 26 mars 2015 ; 1 409 295 actions entre le 16 mars et le 1er avril 2015 (question 88).
332.Mme [AF] a déclaré, lors de cette même audition :
' « la seule raison pour laquelle les achats ont commencé le lundi 16 mars est que les fonds (') ont commencé à arriver (en 3 tranches successives comme indiqué sur le relevé d'Interactive Broker) le vendredi 13 mars » (question 88),
' « tout était une question de liquidité, une fois que l'argent arrivait, les achats reprenaient » (question 89),
' « on était bloqués par la mise à disposition de l'argent et le cours était en train de flamber » (question 103),
' [les échanges du 15 mars 2015] « n'ont absolument pas modifié notre stratégie qui est restée inchangée du début jusqu'à la fin » (question 106),
' « on attendait impatiemment que l'argent arrive pour pouvoir reprendre nos achats avant que le cours ne flambe encore plus » (même pièce, question 104),
' [la stratégie de [O] [A]] « n'a pas été accélérée. Elle a juste été poursuivie de façon accélérée à partir du moment où les derniers fonds ont été reçus » (même pièce, question 110).
333.Il reste que Mme [AF], signant son courriel en sa qualité de PDG de [O] [A], a, par l'emploi de la locution « Ne pas traîner ! Voilà le maître mot [!] », donné à Alterfi une instruction très claire tendant à l'accélération du rythme des achats de titres [Localité 5]. Il n'importe, incidemment, que M. [P] n'ait reçu le courriel qu'en qualité de destinataire en copie, seuls étant déterminants la transmission et la réception du message.
334.La Cour ajoute que détenant depuis la veille, 14 mars 2015, une information privilégiée portant sur l'amélioration de la situation de MBWS, Mme [AF] pouvait effectivement s'attendre à une hausse prochaine du cours de l'action.
335.Lors de son audition du 12 janvier 2018, M. [S] [P] a précisé (rapport d'enquête de l'AMF, annexe 1.12, page 17, question 36) que « l'on définit une stratégie, un plan d'action en fonction des données du marché. La stratégie est une chose, la mise en pratique est une autre, c'est le marché qui décide. Si le marché ne vend pas ou si les volumes sont réduits, la stratégie est mise en suspens en fonction des données du marché. C'est dans cet esprit aussi que, dans les mandats, il était indiqué que j'envoyais un compte rendu hebdomadaire, si mes souvenirs sont bons (art.12) mais en pratique, je tenais informé, chaque jour d'opération [O] [A] du niveau de la position, du prix de revient de la position ».
336.La Cour considère, au regard de ces différentes déclarations et du contexte, en particulier des relations et des échanges suivis entre Mme [AF], [O] [A] et Alterfi (M. [P]), qu'en adressant ce message, Mme [AF] est intervenue dans l'exécution de son mandat par Alterfi, et ce dans des conditions que l'article 3 du mandat ne prévoyait pas.
337.Cette intervention, si elle n'a pas eu pour objet de modifier la stratégie déjà en place, a néanmoins influé sur sa mise en 'uvre en ce que M. [P] a reçu instruction d'accélérer le rythme de ses acquisitions d'actions MBWS au profit de [O] [A] à compter du 16 mars 2015.
338.Elle a par ce seul fait privé ledit mandat de son caractère discrétionnaire, à tout le moins à compter du 15 mars 2015.
339.La discussion du point de savoir si cette instruction a été donnée par Mme [AF] à titre personnel ou par [O] [A] pour son propre compte fera l'objet des développements qui suivent.
3. Sur l'utilisation par Mme [AF] de l'information du 14 mars 2015
340.Dans la décision attaquée, l'AMF indique (§ 54 à 66) que Mme [AF], en sa qualité d'administrateur de MBWS depuis le 16 septembre 2014, était une initiée primaire. Elle ajoute qu'en sa qualité d'initiée primaire, elle est présumée avoir utilisé, pour le compte de [O] [A], l'information privilégiée précitée à l'occasion des opérations litigieuses, à charge pour elle de rapporter des éléments de preuve propres à écarter cette présomption en démontrant qu'elle n'a pas exploité de manière indue l'avantage que lui conférait la détention de ladite information. Elle conclut que le manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée est caractérisé à l'encontre de Mme [AF]. Elle ajoute encore que ce manquement est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, ainsi, caractérisé à son encontre.
341.Mme [AF] expose, en premier lieu, que le manquement qui lui a été notifié, à savoir « l'utilisation » d'une information privilégiée en acquérant des titres « pour le compte d'un tiers », selon l'article 622-1, alinéa 1, du RGAMF, repris en substance à l'article 8.1 du règlement MAR, n'est pas caractérisé.
342.En effet, la Commission des sanctions a décidé que les opérations litigieuses avaient été effectuées par Mme [AF] « au nom et pour le compte » de la société [O] [A], dont elle était le PDG. Il en résulte que celui qui agit « au nom et pour le compte » d'un autre s'efface derrière ce dernier, qu'il ne fait que représenter vis-à-vis des tiers (pour un exemple, Cass., Com., 10 février 2021, pourvoi n° 19-10.006). De même, en matière pénale, la responsabilité de la personne morale est engagée en tant qu'auteur (principal) du manquement commis par ses organes ou représentants (art. 121-2 du code pénal), c'est-à-dire ceux qui agissent « en son nom et pour son compte » vis-à-vis des « tiers ».
343.Elle ajoute qu'il ne faut pas se laisser abuser par l'approximation linguistique de la version française de l'article 8.1 de la directive 2014/57/UE relative aux abus de marché (ci-après, « la directive MAD »), où l'expression « for their benefit » est traduite par « pour leur compte », ce qui invite à la confusion avec les termes « for their account » utilisés à l'article 3.2 de la directive MAD.
344.Il en résulte que la personne physique agissant « au nom et pour le compte » d'une personne morale, si elle peut être poursuivie en qualité de complice ou d'incitateur de la personne morale, conformément à l'article 6.1 de la directive MAD, ne saurait l'être en qualité d'auteur (principal) de l'« abus de marché » défini à l'article 3.2 de la directive MAD.
345.La définition du manquement administratif étant identique à celle de l'infraction pénale, il ne peut en tout état de cause y avoir qu'un seul auteur pour une opération donnée, à savoir l'initié qui a acheté ou vendu pour son propre compte ou pour celui d'un tiers (mandant). Au demeurant, la Cour a déjà retenu une telle analyse (CA Paris, 26 novembre 2008, RG n° 2007/14613).
346.Au cas d'espèce, Mme [AF] soutient n'avoir pris aucune décision d'acquisition de titres MBWS, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, et n'a donc réalisé aucune « opération d'initié » au sens de la réglementation applicable.
347.Dès lors, c'est à tort que la Commission des sanctions a considéré que Mme [AF] avait la qualité d'initiée primaire et qu'il en découlait à son encontre une présomption d'utilisation de l'information conformément à l'arrêt Spector, puisque l'intéressée n'a jamais « effectué d'opération de marché » sur le titre MBWS.
348.Enfin, Mme [AF] expose qu'aucun grief ne lui a été notifié sur le fondement du 7ème alinéa de l'article 621-1 du RGAMF, qui dispose que « lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations d'abstention s'appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision (') ». Elle soutient que l'article 8.5 du règlement MAR reprend la substance de ce 7ème alinéa de l'article 621-1 du RGAMF, en sorte que le fondement de la poursuite ne saurait être trouvé à l'article 8.1 dudit règlement, qui traite du manquement commis par toute personne, morale ou physique, qui procède à une opération « pour le compte » d'un tiers. En cas de doute de la Cour sur la nette différence qu'il convient de faire entre les articles 8.1 et 8.5, la requérante suggère de poser une question préjudicielle à la CJUE.
349.En second lieu, l'intéressée soutient qu'un manquement qui ne lui a pas été notifié mais aurait pu l'être sur le fondement de l'article 8.5 du règlement MAR, consistant en sa « participation », pour le compte d'une personne morale initiée, à la décision d'acquisition prise par les « organes ou représentants », n'est pas plus établi.
350.Elle rappelle que si le grief de « participation » suppose que la personne morale soit initiée, ce n'est pas le cas en l'espèce de la société [O] [A] (cf. supra).
351.Elle ajoute que l'article 8.5 du règlement MAR n'est pas encore applicable en France, faute de texte fixant le mécanisme d'imputabilité, ainsi qu'il ressort du considérant 40 du règlement. Le 7ème alinéa de l'article 621-1 du RGAMF ayant été abrogé, les personnes physiques doivent en conséquence bénéficier du principe de la rétroactivité in mitius.
352.Elle rappelle enfin qu'aucune preuve n'existe de la participation de Mme [AF] aux décisions prises par M. [S] [P] en sa qualité de dirigeant d'Alterfi et dans le cadre du mandat d'octobre 2014 (cf. supra).
353.Le cas échéant, [O] [A] invite la Cour à poser à la CJUE une question préjudicielle qui pourrait être ainsi rédigée : « le dirigeant d'une personne morale agissant pour le compte de celle-ci peut-il être considéré comme un personne physique agissant pour le compte d'un tiers, au sens de l'article 8.1 du règlement MAR, ou bien sa participation ne peut-elle exclusivement être recherchée qu'à raison de sa participation à la prise de décision pour le compte de la personne morale, conformément à l'article 8.5 du règlement MAR ' ».
354.Dans ses observations en réponse, l'AMF expose que les termes « autrui », qui se trouve à l'article 622-2 du RGAMF, et « tiers », qui se trouve à l'article 8.1 du règlement MAR, désignent tous deux « l'autre », par opposition à la personne qui acquiert, cède, tente d'acquérir ou de céder « pour son propre compte ». Ainsi, au sens de ces deux textes, l'acquisition ou la cession réalisée par une personne détenant l'information privilégiée pour le compte d'autrui ou pour le compte d'un tiers est l'acquisition ou la cession qui n'est pas faite pour elle-même.
355.Elle ajoute qu'aucun principe ne s'oppose à ce que le manquement puisse être concurremment imputé à la personne physique et à la personne morale. Ainsi, en matière pénale, l'article 121-3, alinéa 3 du code pénal permet de retenir la responsabilité de la personne physique en qualité d'auteur, en plus de celle de la personne morale.
356.L'AMF considère que l'article 8.1 du règlement MAR constitue le fondement pertinent de la poursuite du dirigeant d'une personne morale ayant réalisé des opérations d'initié pour le compte de celle-ci. Contrairement à ce qu'avancent les requérantes, ce n'est pas l'article 8.5 qui aurait dû être choisi, celui-ci s'appliquant à toute personne qui « participe » à une opération d'initié, mais non à son initiateur et principal auteur.
357.Elle rappelle enfin que c'est vainement que Mme [AF] soutient que les conditions d'application de l'article 8.5 précité ne seraient pas remplies dans la mesure où un tel grief n'a été ni notifié ni retenu à son encontre.
358.Tout à fait subsidiairement, l'AMF précise qu'aucune mesure de transposition n'a lieu d'être faite par suite de la référence que l'article 8.5 du règlement MAR contient au droit national pour la détermination des personnes physiques qui « participent » à la décision litigieuse.
359.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
360.L'article 622-1 du RGAMF, sur le fondement duquel le grief consistant à avoir manqué « à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 » a été notifié à Mme [AF], était ainsi rédigé dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016 (abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016), applicable pendant la période des faits reprochés :
« Toute personne mentionnée à l'article 622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers ['] auxquels se rapporte cette information ['] ».
361.L'article 622-2 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016, précise que les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
« 1° Sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ».
362.La Cour observe que les dispositions de l'article 8 du règlement MAR reprennent le contenu des dispositions précitées du RGAMF. Cet article 8 est entré en application le 3 juillet 2016, aux termes de l'article 39.2 dudit règlement, et ne suppose aucune mesure d'adaptation des législations nationales, ainsi qu'il résulte de l'article 39.3. Ce dernier texte énumère en effet les articles pour lesquels les États membres doivent prendre des mesures afin de s'y conformer. Or, l'article 8 du règlement ne figure pas au nombre de ces dispositions. En conséquence, l'article 8 du règlement MAR n'a pas lieu de faire l'objet d'une application rétroactive.
363.En l'espèce, seul l'article 622-1 du RGAMF, visé par la notification des griefs, est applicable.
364.L'article 8 du règlement MAR n'étant pas applicable en l'espèce, il n'y a pas lieu de transmettre la question préjudicielle proposée par les requérantes qui porte sur l'interprétation dudit article (cf, § 223 du présent arrêt).
365.En revanche, il convient d'interpréter le droit national au regard du droit de l'Union, en l'espèce la directive 2003/06 telle qu'interprétée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Spector.
366.En l'espèce, comme cela a déjà été indiqué, Mme [AF] a détenu l'information privilégiée à compter du 14 mars 2015 en raison de sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS. À ce titre, elle était initiée primaire.
367.Elle était dès lors tenue de s'abstenir d'utiliser ladite information en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les actions et bons de souscription de MBWS et ce en application de l'article 622-1 du RGAMF, visé par la notification des griefs.
368.En sa qualité d'initiée primaire, Mme [AF] est présumée avoir utilisé l'information privilégiée qu'elle détenait (arrêt Spector, § 62) lorsqu'elle s'est immiscée dans l'exécution du mandat confié à Alterfi.
369.Or, elle ne justifie pas de circonstances de nature à renverser la présomption. Au demeurant, le fait qu'une somme de 5 millions d'euros ait été versée sur le compte de [O] [A] tenu par la société Interactive Brokers le vendredi 13 mars ne suffit pas à renverser cette présomption.
370.Dès lors, Mme [AF] succombe à écarter la présomption qui pèse sur elle.
371.Enfin, en faisant acquérir à [O] [A] des titres MBWS par l'intermédiaire d'Alterfi, Mme [AF] a fait usage d'une information privilégiée pour le compte d'autrui au sens de l'article 622-1 du RGAMF.
372.En conclusion de ces développements, la Cour retient, comme la Commission des sanctions de l'AMF, que Mme [AF] a manqué à son obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée qu'elle détenait.
4. Sur l'imputabilité du manquement à [O] [A]
373.Dans la décision attaquée, l'AMF indique (§ 66) que le manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée étant caractérisé à l'encontre de Mme [AF], ce manquement est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, qu'il est ainsi caractérisé à son encontre.
374.[O] [A] rappelle à titre liminaire qu'elle n'est pas un initié primaire au sens de l'article 622-2 du RGAMF et qu'elle n'est donc pas concernée par la présomption de détention résultant d'une opération en période de fenêtre négative, telle que posée par l'arrêt Spector.
375.Dans le cas d'un initié secondaire, comme elle, il incombe à l'AMF d'établir qu'il savait ou aurait dû savoir que l'information était privilégiée, conformément à l'alinéa 6 du texte précité.
376.Elle expose en premier lieu que ce n'est pas la détention de l'information privilégiée (quod non) qui explique ses acquisitions de titres MBWS à partir du 16 mars 2015 dans la mesure où, si Mme [AF] était présente au conseil d'administration de MBWS, ce que l'AMF retient contre elle, d'autres circonstances expliquent le comportement de la requérante sur le marché. [O] [A] indique ainsi, d'une part, que le marché était très favorable le 16 mars 2015 du fait de la présence d'un gros vendeur (200 000 titres vendus en deux minutes), d'autre part, qu'elle avait reçu dès le vendredi 13 mars (et non le dimanche 15 mars comme l'indique le rapport d'enquête en page 27 - pièce 41) un premier versement de 5 millions d'euros issus de l'emprunt de 15 millions d'euros qu'elle avait contracté, en sorte qu'elle disposait de fonds le lundi 16 mars. L'accélération du rythme de ses acquisitions courant mars 2015 ne s'explique donc pas autrement que par l'arrivée de ces nouveaux fonds. Corrélativement, c'est de façon tout à fait erronée que la décision attaquée retient qu'aucune pièce du dossier ne corrobore le fait que la réception de ces fonds explique ses acquisitions à compter du 16 mars 2015 (§ 65).
377.Elle conclut sur ce point qu'aucun faisceau d'indices univoques ne permet de déduire du calendrier des opérations qu'elle détenait l'information litigieuse, laquelle n'est pas présumée. Elle rappelle encore que l'arrivée des fonds le 13 mars 2015 l'emporte manifestement sur le courriel reçu le 14 mars par Mme [AF].
378.Elle considère en deuxième lieu, à supposer qu'elle ait détenu l'information, qu'il n'y a aucune raison de penser qu'elle savait ou aurait dû savoir que celle-ci pouvait être privilégiée. Elle relève ainsi que l'estimation de l'EBITDA a varié entre décembre 2014 et mars 2015, et que l'estimation de 5,7 millions d'euros a été communiquée au directeur général de MBWS dès le 28 février 2015 ainsi qu'aux organes sociaux. Des stock-options ayant été attribuées le 12 mars 2015, pratique interdite en période de fenêtre négative en application de l'article L. 225-177 du code de commerce, et quatre de ses administrateurs ayant procédé à des achats dès le 13 mars, il en résulte que MBWS ne considérait pas que l'information litigieuse relative à un EBITDA strictement supérieur à 3,8 millions d'euros était privilégiée. Elle relève encore que l'estimation de 5,7 millions d'euros n'était pas particulièrement bonne et que Mme [AF] a indiqué, lors de son audition, ne pas y avoir prêté attention.
379.En troisième lieu, [O] [A] invite la Cour à poser une question préjudicielle ainsi rédigée : « Une personne morale peut-elle entrer dans le champ d'application des articles 8.1 et 9.1 du règlement MAR, et faire l'objet de sanctions à raison de la violation de l'interdiction posée par l'article 15 du règlement MAR, sans qu'il soit établi qu'elle était en possession d'une information privilégiée lors des opérations d'initié qu'elle aurait effectuée pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers ' ».
380.L'AMF indique dans ses observations en réponse que l'argumentation développée par [O] [A], tirée de sa qualité d'initiée secondaire, est inopérante car le manquement retenu à l'encontre de Mme [AF], président directeur général et représentant légal de [O] [A], pouvait être imputé à la personne morale sans qu'il fût nécessaire de faire la démonstration demandée.
381.Elle rappelle qu'au titre des mécanismes particuliers d'imputation d'un manquement à la personne morale, figurent au premier chef « les cas où l'agissement fautif est directement imputable à la personne morale dans la mesure où les actes litigieux ont été commis en son nom et pour son compte par celui ou ceux qui la représentent légalement », selon une technique d'imputation proche de celle de l'article 121-2 du code pénal.
382.Ainsi, en matière commerciale, les manquements commis par le dirigeant de la personne morale sont imputables à cette dernière dès lors « que le dirigeant agissant dans l'exercice de ses fonctions incarne la société au nom pour le compte de laquelle il s'exprime » (Com., 19 décembre 2006, pourvoi n° 05-18833).
383.L'AMF considère que ces mêmes mécanismes doivent être transposés mutatis mutandis à l'ensemble des manquements administratifs susceptibles d'être commis par une personne agissant au nom et pour le compte de la personne morale, et notamment aux manquements d'initiés, ce que la cour d'appel a déjà admis dans le cas des dirigeants sociaux (Paris, 17 septembre 2020, RG n° 19/11033) sans qu'il y ait lieu de caractériser la détention des informations privilégiées par la société elle-même (moyen déclaré non-admis, Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
384.En l'espèce, elle conclut que le manquement étant caractérisé à l'encontre de Mme [AF], initiée primaire (cf, infra), la Commission des sanctions a retenu à bon droit que le manquement « est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, ainsi, caractérisé à son encontre ».
385.L'AMF ajoute qu'il résulte d'une jurisprudence constante que les personnes morales sont réputées détenir les informations privilégiées en possession de leurs représentants légaux, et précise que [O] [A] a directement reçu l'information privilégiée par les trois administrateurs qui la représentaient au conseil d'administration de MBWS en tant qu'actionnaire de référence.
386.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
387.La Cour relève que la notion de personne morale procède d'une fiction. Une telle personne n'agit pas directement, mais seulement par l'entremise d'une personne physique qui agit pour son compte et qui doit, afin d'incarner celle-ci, avoir une qualité d'organe ou de représentant.
388.Il n'existe en outre aucune incompatibilité à ce que les mêmes faits soient imputables à une personne physique et à la personne morale dont la première est l'organe ou le représentant et qui agit pour son compte. Tel est le cas, au demeurant, en matière pénale (article 121-2 du code pénal).
389.Ces considérations ne sont en rien incompatibles avec le règlement MAR, dont le considérant 40 du règlement précise « Afin de garantir la responsabilité tant de la personne morale que de toute personne physique participant à la prise de décision de la personne morale, il est nécessaire de reconnaître les différents mécanismes juridiques nationaux des États membres. Ces mécanismes devraient concerner directement les méthodes d'imputation de la responsabilité dans le droit national », étant précisé que l'objectif de ce règlement est de « mettre en place un cadre plus uniforme et plus fort, en vue de préserver l'intégrité du marché » (considérant 4).
390.La Cour considère ainsi que dans le cas de manquements d'initiés, le comportement d'une société ne peut être dissocié de celui de ses organes ou représentants dès lors que ces derniers, détenteurs d'une information privilégiée, ont exercé pour son compte une influence sur la décision d'acquisition d'instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte.
391.En l'espèce, Mme [AF] était à l'époque PDG de [O] [A]. C'est elle qui a signé le mandat donné à Alterfi en date du 3 octobre 2014 pour le compte de [O] [A] et qui s'est immiscée dans l'exécution de ce mandat par un courriel du 15 mars 2015 qu'elle a signé en mentionnant sa qualité de « Présidente Directrice Générale / [O] [A] » (cf D4). Ce sont les fonds détenus par [O] [A] qui ont permis à Alterfi d'acquérir les actions et bons de souscription en exécution du mandat, et c'est [O] [A] qui a acquis une participation de près de 15 % dans MBWS.
392.Agissant pour le compte de [O] [A], Mme [AF] a manqué à son obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée qu'elle détenait en qualité de membre du conseil d'administration de MBWS. Il s'ensuit que le même manquement est imputable à [O] [A]. Corrélativement, dans ce contexte, la considération que [O] [A] ne soit pas une initiée primaire au sens du droit de l'Union est inopérante.
393.Il n'y a pas lieu, par suite, de transmettre la question préjudicielle proposée par les requérantes (cf, § 228 du présent arrêt).
5. Sur l'invocation par [O] [A] d'un comportement légitime
394.Dans la décision attaquée (§ 32, 33, 62), l'AMF a indiqué qu'elle examinait les faits reprochés à la lumière des dispositions des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du RGAMF ainsi que de celles de l'article 9.1 du règlement MAR, ces dernières dispositions relatives à un éventuel comportement dit légitime étant moins sévères et devant donc s'appliquer rétroactivement.
395.Elle a précisé qu'en sa qualité d'initiée primaire, Mme [AF] est présumée avoir utilisé, pour le compte de [O] [A], l'information privilégiée précitée à l'occasion des opérations litigieuses, à charge pour elle de rapporter des éléments de preuve propres à écarter cette présomption en démontrant qu'elle n'a pas exploité de manière indue l'avantage que lui conférait la détention de ladite information.
396.[O] [A] soutient qu'en tout état de cause, elle a vocation à bénéficier des dispositions de l'article 9.1 du règlement MAR, dont l'AMF convient qu'elles sont d'application rétroactive.
397.Considérant que ces dispositions s'appliquent à elle, [O] [A] soutient que les conditions qu'elles posent sont réunies puisque :
' [O] [A] n'a pas influencé d'une quelconque manière M. [S] [P], dirigeant d'Alterfi, autrement qu'en lui confiant un mandat et des fonds,
' le destinataire du mail de Mme [AF] du 15 mars 2015 n'était pas Alterfi, M. [P] n'étant qu'en copie,
' Alterfi a vendu des titres pendant la période du 16 mars au 1er avril 2015, et ce pour près de 5 millions d'euros, et ne s'est donc pas contenté d'en acheter, ce qui est contradictoire avec la prétendue injonction de Mme [AF] de « ne pas traîner »,
' M. [P] aurait pu s'acquitter plus rapidement qu'il ne l'a fait de sa mission (dépenser 15 millions d'euros pour acquérir des titres MBWS), ce qui confirme le caractère discrétionnaire du mandat,
' M. [P] n'a considéré les échanges pendant la pause du week-end du 14 au 15 mars 2015 que comme un simple échange de vues consécutif à l'alimentation du compte espèces ouvert chez Interactive Brokers, sur lequel la somme de 5 millions d'euros était arrivée le 13 mars et portant sur le positionnement de nouveaux investisseurs qui risquaient de provoquer des tensions sur le marché,
' la prise en compte du courriel de Mme [AF] du 15 mars est en réalité indifférente, une telle instruction n'étant pas établie dans le cas du prétendu manquement afférent au plan BIG 2018 qui fait l'objet du recours incident du président de l'AMF.
398.[O] [A] conclut de ces développements et de ceux qui précèdent que le manquement reproché n'est pas établi à son encontre et qu'elle doit en conséquence être mise hors de cause.
399.L'AMF répond que la Commission des sanctions a retenu que l'article 9.1 du Règlement MAR pouvait faire l'objet d'une application rétroactive.
400.Elle observe en premier lieu que [O] [A], loin de revendiquer l'application du texte précité, en a exclu l'application motif pris que celle-ci aurait supposé que des acquisitions de titres MBWS eussent été effectuées par elle pour son propre compte, ce qu'elle contestait.
401.L'AMF ajoute, en second lieu, que les requérantes n'allèguent pas ni n'établissent, que les deux conditions cumulatives prévues à l'article 9.1 précité ont été remplies. Ainsi, [O] [A] n'a pas démontré qu'elle n'a pas fait une utilisation indue de l'avantage que lui procurait l'information.
402.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
403.L'article 9.1 du règlement MAR, intitulé « comportement légitime », dispose que :
« Aux fins des articles 8 et 14, il ne doit pas être considéré que le simple fait qu'une personne morale est en possession ou a été en possession d'une information privilégiée signifie que cette personne a utilisé cette information et a ainsi effectué une opération d'initié sur la base d'une acquisition ou d'une cession, lorsque cette personne morale :
a) a établi, mis en 'uvre et maintenu à jour des mesures et procédures internes appropriées et efficaces pour garantir de manière effective que ni la personne physique qui a pris la décision pour son compte d'acquérir ou de céder des instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte ni aucune autre personne physique qui aurait pu exercer une quelconque influence sur cette décision n'étaient en possession de l'information privilégiée ; et
b) n'a pas encouragé, recommandé, incité ou influencé d'une quelconque manière la personne physique qui a, pour le compte de la personne morale, acquis ou cédé des instruments financiers auxquels se rapporte l'information ».
404.La Commission des sanctions comme les requérants considèrent que ces dispositions sont d'application rétroactive dès lors qu'elles sont plus favorables que les dispositions antérieures issues du RGAMF. La Cour partage cette analyse.
405.En l'espèce, il a été exposé que Mme [AF], personne physique qui a pris la décision d'acquérir ou de céder des instruments financiers pour le compte de [O] [A], était en possession de l'information privilégiée qui se rapportait auxdits instruments. Pour ce faire, elle s'est immiscée dans l'exécution du mandat confié par [O] [A] à Alterfi.
406.Ces circonstances révèlent que la société [O] [A] n'a pas établi, mis en 'uvre et maintenu à jour des mesures et procédures internes appropriées et efficaces pour garantir de manière effective que l'opération d'initié ne puisse survenir.
407.Ce faisant, la première des deux conditions cumulatives prévues par l'article 9.1 du règlement MAR fait défaut.
408.C'est dès lors vainement que [O] [A] invoque ces dispositions.
6. Sur le défaut de déclaration d'opérations par [O] [A]
409.Dans la décision attaquée (§ 116 et 117), l'AMF indique que [O] [A] étant dirigée par Mme [AF], membre du conseil d'administration de MBWS, elle est une personne morale « dont la direction ['] est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ». Elle ajoute qu'il n'y a pas lieu de rechercher si [O] [A] agissait dans l'intérêt de Mme [AF].
410.Elle conclut qu'en application du I. c) de l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier, [O] [A] était tenue de déclarer à l'AMF les opérations réalisées sur le titre MBWS.
411.[O] [A] soutient dans son mémoire du 18 avril 2023 (pp. 69-73) que s'agissant des déclarations prévues par l'article L. 621-18-2 du CMF, elle s'est conformée à la doctrine officielle de l'AMF, telle qu'elle ressort de la position DOC n° 2006-16, qui, interprétant l'article R. 621-43-1 du CMF (dans sa version en vigueur du 5 mars 2006 au 5 juillet 2018), considérait qu'aucune déclaration n'était requise lorsque la société, dont le dirigeant concerné par la déclaration est administrateur, agit pour son compte propre et non dans l'intérêt personnel de son dirigeant.
412.En outre, le site internet de l'AMF précise que ladite position constitue une interprétation des dispositions législatives et réglementaires entrant dans le champ de la compétence de l'AMF et qu'elle est communiquée dans un souci de transparence et de prévisibilité.
413.En substance, il résulte de cette position 2006-16 que la condition relative au fait d'agir « dans l'intérêt de l'une de ces personnes » ne s'applique pas seulement aux « personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° » de l'article R. 621-43-1, 4°, a), c'est-à-dire aux personnes physiques (conjoint, enfant, parent) ayant des liens personnels étroits avec les « personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 », mais aussi à ces dernières elles-mêmes, c'est-à-dire les dirigeants.
414.[O] [A] observe que la doctrine que soutenait le collège de l'AMF dans la notification de griefs était également contraire à celle retenue par la décision attaquée, puisqu'il tentait de soutenir que [O] [A] agissait « dans l'intérêt » de Mme [AF]. Elle relève encore que l'arrêt de la Cour de cassation du 21 avril 2022 (n° 20-21.753), qui, interprétant l'article R. 621-1, 4°, a), rejoint la thèse retenue par la décision attaquée, est postérieure à cette décision.
415.[O] [A] était donc légitime à se prévaloir du bénéfice de l'interprétation retenue par l'organe de poursuite de l'AMF.
416.Enfin, la requérante relève que la gestion de son portefeuille ayant été externalisée auprès d'un mandataire professionnel (Alterfi), Mme [AF] n'était pas en position d'influencer ou de prendre part aux décisions relatives à l'achat ou à la vente de titres MBWS qui seraient prises par M. [S] [P].
417.Il en résulte, conformément par ailleurs à la doctrine de l'ESMA relative à l'interprétation du règlement MAR, qu'aucune obligation déclarative n'aurait pesé sur [O] [A].
418.Celle-ci en conclut qu'il y a lieu de tenir compte de ces circonstances atténuantes pour réviser à la baisse le quantum de la peine prononcée.
419.L'AMF, dans ses observations en réponse, indique que l'article R. 621-43-1 du CMF, dans sa version du 5 mars 2006 au 5 juillet 2018, impose de démontrer, lorsque la personne morale est dirigée par un conjoint (visé au 1°), par un enfant (visé au 2°) ou par tout autre parent (visé au 3°), que celui-ci « agit dans l'intérêt » du dirigeant de la société cotée (« les personnes mentionnées aux a) et b) de l'article L. 621-18-2 »), et ce aux fins de caractériser le « lien étroit » entre la personne morale et le dirigeant de la société cotée. La Cour de cassation a confirmé cette lecture (Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
420.En l'espèce, à l'époque des opérations litigieuses, Mme [AF], en sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS était une personne mentionnée au a) de l'article L. 621-18-2 du CMF. Elle était également président-directeur-général de [O] [A], ce dont il résulte que cette société avait « des liens étroits », au sens du c) du même texte, avec l'une des personnes mentionnées au a) de l'article L. 621-18-2.
421.Faute de déclarations, la Commission des sanctions était fondée à retenir ce manquement à l'encontre de [O] [A].
422.S'agissant de la Position Doc 2006-14, l'Autorité observe que [O] [A] n'en a jamais fait état jusqu'à ses conclusions et ne peut sérieusement affirmer qu'elle aurait entendu s'y conformer.
423.En conclusion, l'AMF considère qu'aucun élément pertinent ne devrait conduire la Cour à tenir compte de « circonstances atténuantes » pour réduire à 1 euro la sanction prononcée à son encontre au titre de ce manquement.
424.[O] [A] expose ensuite dans son mémoire du 4 décembre 2023, (pp 67-75) que la Cour n'aura pas d'autre choix que d'annuler ou à tout le moins, de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a prononcé une sanction à l'encontre de [O] [A] à raison d'un prétendu manquement aux dispositions de l'article L. 621-18-2 du CMF.
425.Elle considère en effet que la Commission des sanctions, tenue par les termes de la notification de griefs, devait vérifier que [O] [A] remplissait la condition d'avoir agi dans l'intérêt de Mme [AF], en application de l'article L. 621-18-2 du CMF, et conformément à la Position Doc 2006-14. Elle soutient encore que la Cour de cassation n'a pas dit autre chose dans son arrêt du 21 avril 2022 (Com., pourvoi n° 20-21.753).
426.En réponse, l'AMF rappelle que son analyse de l'article R. 621-43-1 est conforme à la doctrine de la Cour de cassation (Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753) éclairée par l'avis de l'avocat général près la Cour de cassation.
427.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
428.L'article L. 621-18-2 du CMF, dans sa version en vigueur du 24 mars 2012 au 2 juillet 2016, applicable pendant la période du manquement reproché, énonce notamment que :
« I-Sont communiqués par les personnes mentionnées aux a à c à l'Autorité des marchés financiers, ['] les acquisitions, cessions, souscriptions ou échanges d'actions d'une société ainsi que les transactions opérées sur des instruments financiers qui leur sont liés, lorsque ces opérations sont réalisées par :
a) Les membres du conseil d'administration, du directoire, du conseil de surveillance, le directeur général, le directeur général unique, le directeur général délégué ou le gérant de cette personne ;
b) [']
c) Des personnes ayant, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, des liens personnels étroits avec les personnes mentionnées aux a et b. »
429.L'article R. 621-43-1 du CMF, dans sa version en vigueur du 5 mars 2006 au 5 juillet 2018, applicable pendant la période du manquement reproché, précise que (soulignement ajouté par la Cour) :
« Les personnes mentionnées au c de l'article L. 621-18-2, qui ont des liens personnels étroits avec l'une des personnes mentionnées aux a ou b du même article, sont :
1° Son conjoint non séparé de corps ou le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité ;
2° Les enfants sur lesquels elle exerce l'autorité parentale, ou résidant chez elle habituellement ou en alternance, ou dont elle a la charge effective et permanente ;
3° Tout autre parent ou allié résidant à son domicile depuis au moins un an à la date de la transaction concernée ;
4° Toute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et :
a) Dont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes ;
b) Ou qui est contrôlée, directement ou indirectement, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ;
c) Ou qui est constituée au bénéfice de l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou de l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ;
d) Ou pour laquelle l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2, ou l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3°, bénéficie au moins de la majorité des avantages économiques. ».
430.Aux termes de l'article R. 621-43-1, 4°, a, du CMF, font partie des personnes ayant des liens personnels étroits avec les personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 du même code :
' d'une part, « [t]oute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et [... d]ont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 »,
' d'autre part « [t]oute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et [... d]ont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes. ».
431.Ainsi, à l'article R. 621-43-1 du CMF, l'expression « et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes » se rapporte aux seules personnes désignées par la locution « par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° », le texte ne comportant pas de virgule entre ces deux ensembles de mots (voir en ce sens, Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
432.Ce texte n'implique donc pas que pour que ladite personne morale soit considérée comme « étroitement liée », elle agisse « dans l'intérêt » de son dirigeant, membre par ailleurs du conseil d'administration de l'émetteur du titre financier.
433.Il résulte des textes précités que [O] [A] est une personne « étroitement liée » dès lors qu'elle était dirigée à la date des faits par Mme [AF], laquelle était également membre du conseil d'administrations de MBWS.
434.Il résulte des textes précités que [O] [A], en cette qualité, devait procéder aux déclarations omises puisqu'elle a acquis des titres de MBWS.
435.Par ailleurs, l'article 223-23 du règlement général de l'AMF, dans sa version en vigueur du 1er avril 2009 au 23 septembre 2016, dispose notamment que « [p]ar dérogation aux dispositions de l'article 223-22, ne donnent pas lieu à déclaration les opérations réalisées par une personne mentionnée à l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier lorsque le montant cumulé desdites opérations n'excède pas 5 000 euros pour l'année civile en cours [ultérieurement 20 000 euros] ['] ».
436.Il n'est pas contesté que ce cas de dérogation ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce.
437.Il ne saurait non plus être reproché à la Commission des sanctions d'avoir justement analysé les textes applicables, étant rappelé qu'elle ne saurait être liée par l'interprétation des textes retenue par les services d'instruction.
438.Il reste que le document publié par l'AMF en 2006 intitulé « position AMF n° 2006-14 » (pièce 43 de [O] [A]) contient l'interprétation erronée de l'article R. 621-43-1 du CMF dont [O] [A] se prévalait dans le premier état de son argumentation en défense, ce qui ressort clairement de la note de bas de page n° 6 qui précise que « si la société ' dont est administrateur le dirigeant concernée par la déclaration ' agit pour compte propre et non dans l'intérêt personnel du dirigeant, aucune déclaration n'est requise ».
439.S'il n'appartient pas à la Cour, au regard de cette interprétation de l'article R. 621-43-1 du CMF, de trancher le point de savoir si en l'espèce [O] [A] agissait dans l'intérêt personnel de Mme [AF] et non pour compte propre, il n'en demeure pas moins que l'interprétation que contenait la position de l'AMF précitée a pu donner à croire à [O] [A] qu'elle pouvait ne pas être tenue de procéder aux déclarations litigieuses.
440.Il en sera tenu compte dans la détermination du montant de la sanction.
III. SUR LE RECOURS DU PRÉSIDENT DE L'AMF CONTRE [O] [A] ET MME [AF]
A. Sur la recevabilité du recours incident
441.Dans la décision attaquée (§ 24), l'AMF a décidé que les éléments saisis dans le téléphone portable de Mme [AF] le 25 avril 2017, dont la liste figure dans le procès-verbal de constatation du 16 mai 2019 adressé à Mme [AF] (cotes D590 à D592), devaient être écartés des débats.
442.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent que la production par la présidente de l'AMF, au soutien de son recours incident, de pièces écartées par la Commission des sanctions, rend ce recours irrecevable. Elles considèrent que la décision attaquée est définitive sur ce point et que la tentative de production des pièces en cause devant la Cour constitue une manifestation de déloyauté.
443.En réponse, la présidente de l'AMF expose qu'il lui est permis de verser aux débats les pièces précédemment écartées par la Commission des sanctions, en l'occurrence deux courriels des 19 et 20 novembre 2015, ces pièces ayant été obtenues régulièrement à l'occasion des OVS du 25 avril 2017, ainsi qu'en a décidé l'assemblée plénière de la Cour de cassation par ses arrêts du 16 décembre 2022 (n° 21-23.719 et 21-23.685), étant rappelé que la décision de la Commission des sanctions avait été rendue en considération des arrêts antérieurs de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2020.
444.Elle ajoute qu'à supposer irrégulière la production de ces pièces, l'irrecevabilité du recours incident ne saurait en être la conséquence, seule la preuve du manquement étant susceptible d'en être affectée.
Sur ce, la Cour :
445.Les deux chaînes de courriels des 19 et 20 novembre 2015 en cause sont respectivement dénommées par les intitulés « ' Fwd : Panic Buy !' et 'Fwd : Urgence' ».
446.Elles ont été initialement communiquées par Mme [AF] aux agents de l'AMF dans le cadre des OVS du 27 avril 2017 et sont explicitement mentionnées comme telles dans le procès-verbal de constatation du 5 juin 2019 (cotes D 589 et suivantes du dossier de l'enquête).
447.Elles ont été produites devant la Cour par la présidente de l'AMF à l'appui de son recours incident (pièces 14 et 15).
448.Ainsi qu'il a déjà été dit (§ 103 du présent arrêt), le moyen pris de l'irrégularité de la communication par Mme [AF] des courriels litigieux lors des OVS du 25 avril 2017 au regard des dispositions de l'article L. 621-12 du CMF a été définitivement rejeté. Ces pièces figurent donc valablement à la procédure.
449.La présidente de l'AMF est dès lors en droit d'utiliser ces pièces à l'appui de son recours devant la Cour, dans la double limite du respect du principe du contradictoire et de la qualification retenue par la notification de griefs. Tel est le cas en l'espèce.
450.La Cour étant saisie d'un recours de plein contentieux, il lui est loisible de connaître de l'ensemble des pièces ainsi communiquées, sans que l'analyse contenue dans la décision attaquée justifiant d'écarter ces pièces, fondée sur un état de la jurisprudence caduc, ne puisse lui être opposée.
451.Le moyen sera rejeté.
B. Sur le bien-fondé du recours incident
452.Dans la décision attaquée, la Commission des sanctions a considéré que l'information afférente à l'actualisation du plan BIG 2018 présentait les caractères d'une information privilégiée, que Mme [AF] la détenait en sa qualité d'initiée primaire et qu'elle s'est immiscée dans la gestion du mandataire, ainsi qu'il résulte d'un courriel du 19 novembre 2015 (§ 91).
453.Elle a cependant écarté le manquement reproché à [O] [A] et Mme [AF] (§ 92 à 94) aux motifs que le mandataire connaissait parfaitement les caractéristiques de l'OPE envisagée sur les BSA et son mécanisme puisqu'il a eu lui-même l'idée du projet, et que les cessions concomitantes d'actions MBWS s'inscrivaient dans une stratégie de [O] [A] consistant à céder des actions pour obtenir des liquidités permettant de financer l'acquisition de BSA devant être apportés à l'OPE et payer les intérêts de la dette contractée pour l'achat des actions MBWS.
454.La présidente de l'AMF soutient que ce manquement est avéré.
455.En premier lieu, elle rappelle que l'information relative à l'actualisation du plan « BIG 2018 » ne portait pas sur des prévisions chiffrées, mais sur le fait même de l'actualisation du plan pour tenir compte de la hausse des objectifs financiers.
456.Elle expose que l'information était privilégiée et présentait les caractères requis de précision, à compter du 3 novembre 2015, de non-publicité, entre le 3 novembre et le 23 novembre 2015, enfin de sensibilité, l'EBITDA constituant de façon générale l'indicateur privilégié de performance de MBWS, et faisant à l'époque l'objet d'une attention particulière dans le contexte d'une entreprise en redressement.
457.En deuxième lieu, la présidente de l'AMF soutient que Mme [AF] détenait l'information privilégiée pour avoir participé aux conseils d'administrations des 3 et 18 novembre 2015, au cours desquels l'information et les éléments chiffrés ont été communiqués. Mme [AF] était ainsi une initiée primaire (pièce 24 du PAMF).
458.En troisième lieu, l'auteure du recours incident expose que Mme [AF] doit être présumée, en sa qualité d'initiée primaire, avoir utilisé l'information en cause, conformément à la jurisprudence de la CJUE (arrêt du 23 décembre 2009, affaire Spector, n° C-45/08), et qu'elle succombe à écarter cette présomption dès lors qu'il résulte de l'analyse des courriels échangés avec Alterfi (courriels des 19 et 20 novembre 2015) qu'elle s'est immiscée dans la gestion du mandat, privant celui-ci de tout éventuel caractère discrétionnaire.
459.La présidente de l'AMF, pour contester l'analyse de la Commission des sanctions, ajoute, d'une part, que si Alterfi a participé à la conception du projet d'OPE pour les besoins duquel ont été réalisées les acquisitions litigieuses, c'est [O] [A] qui l'a décidé et qui l'a présenté au conseil d'administration de MBWS, d'autre part, que Mme [AF] ne se trouvait pas dans l'impossibilité absolue d'interrompre ses interventions sur le titre jusqu'à ce que l'information fût rendue publique, peu important la circonstance, à la supposer avérée, que le mandataire chargé de passer les ordres eût ignoré ladite information.
460.Elle conclut que le caractère discrétionnaire d'un mandat ne résulte pas de l'absence de stratégie décidée en amont avec le mandant, mais des conditions réelles d'exécution du mandat et précise que les courriels sur lesquels elle se fonde, quoique postérieurs aux opérations sur les titres de MBWS, révèlent la proximité entre Mme [AF] et le mandataire, lequel rendait des comptes précis sur ses actions passées et à venir.
461.En quatrième et dernier lieu, la présidente de l'AMF indique que le manquement de Mme [AF] est imputable à [O] [A], cette société étant réputée détenir les informations privilégiées qui sont en possession de sa représentante légale, Mme [AF], outre que ladite société disposait de trois administrateurs au conseil d'administration de MBWS, également destinataires de l'information privilégiée.
462.Enfin, si [O] [A] invoque l'article 9.1 du Règlement MAR, qui réserve le cas du comportement légitime de la personne morale, la présidente de l'AMF considère qu'elle n'établit pas satisfaire aux deux conditions cumulatives prévues par ce texte.
463.En réponse, [O] [A] et Mme [AF] exposent, en premier lieu, que l'information en cause n'était pas précise, ses prévisions chiffrées présentant un caractère fantaisiste, faux et trompeur, ainsi que l'évolution ultérieure de la situation de MBWS l'a révélé, et les objectifs du plan à trois ans n'étant pas crédibles.
464.Elles contestent son caractère non-public, considérant que le principe de la « nouvelle » version du plan était déjà intégré par le marché depuis le mois d'octobre 2015, un communiqué de presse du 30 septembre 2015 annonçant le « doublement de l'EBITDA en 2015 » et le dévoilement de nouvelles opportunités de développement « à l'occasion d'une communication 'BIG 2.0' en décembre prochain ».
465.Elles font encore valoir que l'information ne présentait aucun caractère sensible, aucun investisseur raisonnable n'ayant pu utiliser l'information en cause pour fonder une décision d'investissement.
466.Elles précisent en deuxième lieu que [O] [A] ne peut être regardée comme une initiée primaire.
467.En troisième lieu, elles exposent qu'elles n'ont pas réalisé les opérations litigieuses, celles-ci ayant été réalisées par Alterfi (M. [S] [P]), qui disposait d'un mandat en date du 1er avril 2015 à cette fin et soutiennent que la présidente de l'AMF, opérant une confusion avec la notion de mandat de gestion programmée, n'aperçoit pas le sens de la notion de mandat discrétionnaire.
468.Elles ajoutent que les opérations en cause se sont inscrites dans la stratégie décrite par la notification de griefs (cote 1664), à savoir financer l'acquisition de BSA en vue de l'OPE envisagée et payer les intérêts de la dette contractée pour l'achat des actions MBWS, et non pas afin de réaliser rapidement une plus-value en revendant les actions issues de l'exercice des BSA à un cours supérieur au cours d'exercice en profitant de la hausse prévisible du cours de l'action à la suite de l'annonce de la mise à jour du plan.
469.Elles expliquent enfin que les trois personnes physiques qui siégeaient au conseil d'administration de MBWS n'y étaient pas, juridiquement, les « représentants » (permanents) de [O] [A] et que cette dernière société n'était pas administrateur de MBWS.
470.Le ministère public partage l'analyse du président de l'Autorité. Il demande à la Cour de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a écarté le manquement tiré de l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS, et juger que ce manquement est caractérisé.
Sur ce, la Cour :
' Sur le caractère privilégié de l'information
471.Les dispositions de l'article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016, ont été rappelées précédemment (§ 289 et suivants du présent arrêt).
472.Ainsi qu'il a été dit (cf, § 29 à § 33 du présent arrêt), le 3 novembre 2015, Mme [AF] a été informée, en sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS, de données chiffrées témoignant de l'amélioration des résultats de la société et de l'actualisation du plan BIG 2018.
473.Le tableau suivant résume les informations successives contenues dans les documents mentionnés précédemment (A2 à A3).
Prévision financière pour 2008
Au 16/12/2014
Au 03/11/2015
Au 23/11/2015
Estim. CA
420 à 460 M€
488.6
450 à 500
Estim. EBITDA
50 à 70
73.2
67 à 75
Statut information
C. Presse MWBS
Comm. interne cons. Adm. MBWS « BIG 2.0 »
C. Presse MWBS
474.S'agissant du caractère précis de l'information, la Cour relève que les données financières contenues dans la communication aux administrateurs le 3 novembre 2015 étaient précises et relatives notamment à un indicateur clé de MBWS, à savoir l'EBITDA. Le fait même que le plan BIG 2018 fasse l'objet d'une actualisation positive constituait en soi une information précise.
475.S'agissant du caractère non public de l'information communiquée aux membres du conseil d'administration le 3 novembre, la Cour relève que le communiqué de presse du 30 septembre 2015 (annexe 3.7 du rapport d'enquête), que les requérantes invoquent, s'il mentionne des résultats en hausse en 2015, ne contient aucune information relative aux perspectives de 2018, ce qui constituait en revanche tout l'intérêt de l'information du 3 novembre puis du communiqué de presse du 23 novembre. L'information communiquée au conseil d'administration n'était donc nullement publique.
476.S'agissant du caractère sensible de l'information, et compte tenu du contexte dans lequel elle s'inscrit, à savoir la situation de redressement de MBWS, précédemment décrite, une conclusion pouvait être tirée de la réévaluation à la hausse des effets du plan BIG 2018 quant au cours des actions et autres instruments financiers liés à MBWS.
477.En effet, un investisseur raisonnable était susceptible d'utiliser une telle information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement.
478.Un courriel de M. [P] daté du 19 novembre 2015 à 16:16 confirme ce point. L'intéressé y indiquait que « [l]a publication de l'analyse d'Oddo fait de l'effet, c'est le moins que l'on puisse dire, avec une hausse ce jour de plus de 5 %. Cela ressemble à un 'panic buy' à l'approche de la présentation de l'actualisation de Big 2018 » (pièce 14 du président de l'AMF, soulignement ajouté).
479.Il est par ailleurs indifférent que le cours de l'action de MBWS n'ait par la suite pas tenu les promesses des communiqués de presse de MBWS de 2015.
480.En conclusion de ces développements, la Cour estime que c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que l'information communiquée à Mme [AF] le 3 novembre 2015 revêtait, à cette date, un caractère privilégié.
' Sur la détention de l'information privilégiée par Mme [AF]
481.Mme [AF], membre du conseil d'administration de MBWS, a participé au conseil du 3 novembre 2015, lequel s'est au demeurant tenu à [Localité 8] dans les locaux de [O] [A] (cf, le procès-verbal du conseil d'administration, pièce 16 du dossier du président de l'AMF, 1ère page).
482.Le procès-verbal indique au point 2 que M. [J] a présenté la mise à jour du plan BIG 2018 « 2.0 » et qu'une documentation a été remise aux administrateurs. Cette documentation figure au dossier, et contient les données chiffrées déjà citées (pièce 24 du dossier du président de l'AMF).
483.Il résulte de ces considérations que Mme [AF] était une initiée primaire.
' Sur l'utilisation de l'information par Mme [AF]
484.La prohibition de l'utilisation d'une information privilégiée était énoncée aux articles 622-1 du RGAMF et suivants, pendant la période des faits reprochés.
485.Il reste qu'il est permis à un initié primaire de rapporter la preuve de ce qu'il n'a pas indûment utilisé l'information qu'il détenait (arrêt Spector, § 54, précité).
486.Le mandat signé entre Mme [AF], pour le compte de [O] [A], et M. [S] [P], pour d'Alterfi, le 2 avril 2015 (pièce 23 du dossier du président de l'AMF) indique notamment :
' en préambule, que « [l]e Client souhaite optimiser le prix de revient global de son portefeuille par la gestion active d'une fraction de celui-ci. / Le Client envisage de procéder à des cessions d'actions et bons de souscription en fonction des opportunités de marché » ;
' à l'article 3, que le Client mandate Alterfi pour gérer les opérations d'optimisation et cession sur les actions et les bons de souscription de la société [Localité 5].
487.Comme il a été indiqué, il est constant que le 19 novembre 2015, [O] [A] a vendu 40 000 actions MBWS et acquis 1 000 000 de BSA OS de MBWS. Le grief notifié à Mme [AF] et [O] [A] porte sur la seule acquisition par [O] [A], le 19 novembre 2015, de 1 000 000 BSA OS.
488.La Cour considère, à l'instar du rapport d'enquête (R 0007), que ces cessions d'actions et acquisitions de BSA concomitantes s'expliquent par le souci de [O] [A] de disposer de liquidités lui permettant, d'une part, de financer l'acquisition de BSA OS en vue de l'OPE, d'autre part, de payer les intérêts des emprunts souscrits pour l'acquisition d'actions MBWS.
489.Le bien-fondé de ces explications ressort notamment des déclarations de Mme [AF] (réponses n° 4 et 5 aux questions des enquêteurs n° 4 et 5, pièce 25 du dossier du président de l'AMF) et de leur cohérence au regard de la teneur des mandats successifs donnés à Alterfi (qui portaient en octobre 2014 sur l'acquisition d'actions à l'aide de fonds nouveaux dans le cadre d'une montée de [O] [A] au capital de MBWS (cf, § 321 du présent arrêt), puis à compter d'avril 2015, sur des opérations d'arbitrage sur les actions et bons de souscription de MBWS afin d'aborder dans les meilleurs conditions l'OPE en projet), et de leur cohérence, enfin, avec la stratégie globale de [O] [A] tendant à s'imposer comme un actionnaire de référence de MBWS à la faveur du redressement de l'entreprise.
490.Ces opérations s'inscrivent donc pleinement dans le mandat donné à Alterfi le 2 avril 2015.
491.Le courriel de M. [P] daté du 19 novembre 2015 à 16:16, invoqué par le président de l'AMF à l'appui de son recours, contient le passage suivant :
« ' [l]a publication de l'analyse d'Oddo fait de l'effet, c'est le moins que l'on puisse dire, avec une hausse ce jour de plus de 5 %. Cela ressemble à un 'panic buy' à l'approche de la présentation de l'actualisation de Big 2018.
J'ai profité de la situation pour vendre 40 000 titres à environ 19.50 € de moyenne, ce qui veut dire que le concert se situe ce soir juste au-dessus de la limite statutaire de 22.50 % du capital. J'ai, en contrepartie, acheté 1 000 000 MBWBX à 0.13 € de moyenne, qui, apportés à l'OPE et exercés par anticipation, permettraient la souscription d'environ 28 000 titres. ['] ».
(pièce 14 du président de l'AMF, soulignement ajouté).
492.Ce courriel figure au sein d'une chaine d'échanges ayant eu lieu entre le 19 novembre à partir de 16 h 16 et dont Mme [AF] a été destinataire.
493.S'il résulte de ces propos, ainsi que de courriels ultérieurs du lendemain (pièce 15 du dossier du président de l'AMF) que M. [P] entretenait une proximité certaine avec Mme [AF] et d'autres membres de [O] [A], la Cour relève néanmoins qu'il ressort également de ces propos que M. [P] a procédé de lui-même aux cessions et acquisitions dont il rend compte.
494.Le grief ne visant que l'acquisition de 1 000 000 BSA OS le 19 novembre 2015, il n'y a pas lieu non plus pour la Cour de rechercher si une telle immixtion a pu survenir postérieurement.
495.Il résulte de ces considérations que la Cour considère que la preuve que Mme [AF] se serait immiscée dans l'exécution du mandat d'Alterfi du 2 avril 2015 entre le 3 novembre 2015 (date de la communication de l'information) et le 19 novembre 2015 (date des acquisitions supposées révéler l'utilisation indue de l'information), n'est pas établie.
496.Les opérations en cause s'expliquant par le mandat donné à Alterfi, la Cour considère que la présomption d'utilisation de l'information privilégiée qui pesait sur Mme [AF] en sa qualité d'initiée primaire doit être écartée.
497.En conclusion, la Cour considère qu'il n'est pas établi que Mme [AF] a manqué à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS.
' Sur l'utilisation de l'information par [O] [A]
498.Comme il a été indiqué (cf, § 390 du présent arrêt), dans le cas de manquements d'initiés, le comportement d'une société ne peut être dissocié de celui de ses organes ou représentants dès lors que ces derniers, détenteurs d'une information privilégiée, ont exercé pour son compte une influence sur la décision d'acquisition d'instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte.
499.Par suite des développements qui précèdent, la Cour considère qu'en l'espèce, il n'est nullement établi que les organes ou représentants de [O] [A], détenteurs d'une information privilégiée, auraient exercé pour son compte une influence sur la décision d'acquisition des instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte.
500.Par ailleurs, il résulte du mandat du 2 avril 2015 et de sa mise en 'uvre, que [O] [A] a satisfait aux conditions posées par l'article 9.1 du règlement MAR, rappelées supra (cf, § 403 du présent arrêt), à tout le moins entre le 3 et le 19 novembre 2015 à 16h16.
501.En conséquence, il n'est pas établi que [O] [A] aurait manqué à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS.
' Conclusion
502.Il résulte des développements qui précèdent que le recours du président de l'AMF sera rejeté.
IV. SUR LE RECOURS DE M. [K] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
A. Sur les moyens de procédure proposés par M. [K]
1. Sur la visite sur pouvoirs propres du 25 avril 2017 auprès de BD&P
503.Dans la décision attaquée, l'AMF indique que si la visite « sur pouvoirs propres » du 5 mai 2017 effectuée dans les locaux de l'agence de communication prestataire de [O] [A] est postérieure à la visite domiciliaire litigieuse du 25 avril 2017 dans les locaux de MBWS, il ne résulte pas des éléments du dossier que cette visite domiciliaire a constitué le fondement nécessaire de la visite sur pouvoirs propres intervenue dix jours après dans les locaux de BD&P. Elle ajoute que les enquêteurs avaient connaissance de l'intervention de l'agence de communication aux côtés de [O] [A] dès avant la visite domiciliaire dans les locaux de MBWS, cette information ressortant d'un communiqué de presse du 16 juin 2015 et étant publique.
504.M. [K] expose que la nullité de la remise de courriels par Mme [AF] en marge des OVS du 25 avril 2017 entraîne l'irrégularité de la remise volontaire des courriels dans le cadre de la visite sur « pouvoirs propres » du 5 mai 2017 dans la mesure où les enquêteurs n'auraient pas eu l'idée d'effectuer la visite du 5 mai s'ils n'avaient pas pris connaissance de la teneur des courriels remis par Mme [AF].
505.En réponse, l'AMF indique, d'abord, que c'est par pure pétition que le requérant fait valoir que la remise volontaire de documents n'aurait pas eu lieu sans l'exploitation des éléments précédemment saisis le 25 avril 2017, alors qu'il était de notoriété publique que BD&P intervenait aux cotés de [O] [A], ce qui permettait de conjecturer que sa messagerie puisse être une source d'informations intéressantes.
506.Elle ajoute que les opérations de visite domiciliaire ont été régulières, en sorte que le moyen, qui implique l'irrégularité des OVS, ne saurait prospérer.
Sur ce, la Cour :
507.Ainsi qu'il a été dit, les OVS du 25 avril 2017 et les remises de courriels afférentes, ont été régulières (§ 103 et suivants du présent arrêt).
508.Il en résulte qu'à supposer que les enquêteurs aient eu connaissance des relations d'affaires existant entre [O] [A] et BD&P par la seule consultation de ces courriels, ce qui n'est pas établi dès lors que ces relations étaient déjà à l'époque de notoriété publique, il ne saurait en être tiré de conclusion quant à l'irrégularité de la visite sur pouvoirs propres du 5 mai 2017.
509.Le moyen sera rejeté.
2. Sur le rapport d'enquête
510.M. [K] expose, en premier lieu, que le rapport d'enquête fait de nombreuses références aux pièces que l'AMF a obtenues de M. [B], dirigeant de BD&P, une semaine après le 25 avril 2017, en ayant eu le temps d'exploiter les courriels de Mme [AF], en sorte que, par analogie avec la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le rapport doit être annulé.
511.Il ajoute, en second lieu, que le rapport d'enquête porte atteinte à la présomption d'innocence de M. [K], puisque les enquêteurs ont utilisé le mode indicatif pour évoquer la prétendue transmission d'informations privilégiées à des tiers dont se serait rendu coupable M. [K]. Il précise qu'il n'est jamais fait usage du conditionnel.
512.En réponse, l'AMF indique, en premier lieu, que les OVS et saisies de pièces ont été régulières, en sorte que la mention de ces pièces dans le rapport n'est en rien irrégulière.
513.En second lieu, elle considère, d'abord, que le rapport d'enquête qui, par nature, n'emporte ni déclaration de culpabilité, ni préjugement de la décision à intervenir, ne peut, en lui-même, porter atteinte à la présomption d'innocence.
514.Elle ajoute que dans le rapport, la direction des enquêtes a adopté un point de vue situé (selon elle') et a fait référence à un faisceau d'indices (rapport, p. 94), en sorte que les formulations du document, aussi maladroites soient elles, ne sauraient caractériser une atteinte à la présomption d'innocence.
515.Elle relève enfin que la Commission des sanctions, à rebours de l'analyse de la direction des enquêtes, a estimé que la preuve du manquement de communication d'une information privilégiée n'était pas rapportée, en sorte que le requérant ne saurait se faire un grief de l'atteinte à la présomption d'innocence dont il se prévaut.
Sur ce, la Cour :
516.En premier lieu, les remises de pièces effectuées à l'occasion des opérations de visite du 25 avril 2017 et du 5 mai 2017 sont régulières pour les raisons qui ont été indiquées précédemment (§ 103 et suivants pour les OVS du 25 avril 2017 ; § 508 pour les opérations sur pouvoirs propres du 5 mai 2017).
517.Il ne saurait en conséquence être reproché au rapport d'enquête de mentionner certaines pièces communiquées à l'occasion de ces opérations.
518.En second lieu, un rapport d'enquête ne s'analyse ni en un préjugement ni en une déclaration de culpabilité.
519.Le rapport en cause ne saurait ainsi , en lui-même, porter atteinte à la présomption d'innocence, peu important qu'il soit rédigé en des termes pouvant, par l'usage du présent de l'indicatif, tenir pour établis les faits dont il fait état.
520.Le moyen, pris en chacune de ses deux branches, sera rejeté.
3. Sur la décision du Collège d'ouvrir une procédure de sanction à l'encontre de M. [K]
521.M. [K] expose, en premier lieu, que la notification de griefs mentionne expressément l'une des pièces irrégulièrement obtenues auprès de M. [B] (BD&P), à savoir un courriel du 30 avril 2015 qu'il avait adressé à Mme [AF], ce qui entraîne sa nullité.
522.En deuxième lieu, il indique que la notification de griefs comporte une erreur de fait en ce qu'elle affirme qu'il est un initié primaire, ce qui entraîne une présomption d'utilisation de l'information privilégiée. Il y a en conséquence lieu d'annuler la notification de griefs pour défaut de base légale.
523.En troisième lieu, M. [K] considère que la notification de griefs comporte une autre erreur de fait dans l'identification de l'information prétendument privilégiée en date du 7 mai 2015, qui n'est pas relative à un « dépassement » des objectifs « annoncés » le 13 février 2015, sur la base de laquelle M. [K] est censé avoir recommandé l'achat de titres MBWS. Cette erreur prive la notification de griefs de base légale.
524.Il conclut que la nullité de la notification de griefs entraine l'illégalité de la saisine de la Commission des sanctions et par conséquent l'annulation de toute la procédure de sanction de l'AMF.
525.En réponse, l'AMF indique, en premier lieu, que la mention d'un courriel de M. [K] communiquée par M. [B] ne saurait justifier l'annulation de la notification de griefs, la communication du document en cause étant régulière.
526.Elle ajoute que la notification de griefs a pour seule finalité de porter à la connaissance des mises en cause les faits qui leur sont reprochés. La circonstance qu'une notification de griefs procède d'une erreur de fait (quod non) n'affecte en rien sa régularité. Il appartient seulement à la personne mise en cause de faire valoir que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis.
Sur ce, la Cour :
527.En premier lieu, les remises de pièces effectuées à l'occasion des opérations de visite du 25 avril 2017 et du 5 mai 2017 sont régulières pour les raisons qui ont été indiquées précédemment (§ 103 et suivants pour les OVS du 25 avril 2017 ; § 508 pour les opérations sur pouvoirs propres du 5 mai 2017).
528.Il ne saurait en conséquence être reproché à la notification de griefs de mentionner une des pièces obtenues auprès de BD&P.
529.En deuxième lieu, la discussion de la qualité d'initié primaire de M. [K] et celle du caractère privilégié de l'information litigieuse relèvent toutes deux de l'analyse du fond de l'affaire en droit et en fait.
530.Une divergence d'analyse sur ces questions entre le Collège et la Commission des sanctions ou la cour d'appel ne saurait constituer un motif propre à justifier en elle-même l'annulation de la notification de griefs.
531.Ces questions seront discutées ultérieurement dans le présent arrêt (§ 600 pour la qualité d'initié primaire, § 579 pour le caractère privilégié de l'information).
532.Le moyen sera rejeté.
4. Sur le rapport de M. [D]
533.M. [K] expose que la nullité de ce rapport est encourue dans la mesure où, malgré les multiples demandes des mis en cause, il n'a pas été complété par le rapporteur de la Commission des sanctions pour prendre position sur les critiques émises sur la légalité de la notification de griefs. Il revenait en effet à la Commission des sanctions de les examiner dès lors que la cour d'appel de Paris avait déclaré leur recours irrecevable.
534.M. [K] conclut que l'annulation de la décision de la Commission des sanctions pour vice de procédure empêche la cour d'appel de Paris de faire usage de son pouvoir d'évocation.
535.En réponse, l'AMF renvoie aux développements qu'elle a consacré précédemment au même moyen, soutenu par Mme [AF] et [O] [A].
Sur ce, la Cour :
536.Pour les raisons indiquées précédemment (§ 143 du présent arrêt), il n'y a pas lieu de reprocher au rapporteur désigné par la Commission des sanctions de n'avoir pas pris position sur les critiques émises sur la légalité de la notification de griefs.
537.Le moyen sera rejeté.
5. Sur le moyen contenu dans le mémoire de M. [K] du 4 décembre 2023
a. Remarques préliminaires sur l'interprétation de ce mémoire
538.En préambule de son mémoire du 4 décembre 2023, M. [K] précise qu'il a pour objet de répondre aux dernières écritures de l'AMF et qu'il ne remplace pas les conclusions du 18 avril 2023, auxquelles il vient « simplement » s'ajouter.
539.Le requérant entend démontrer que « les agents de l'AMF (enquêteurs, secrétaire général), ainsi que ses membres agissant à titre individuel (rapporteur, représentant du Collège) et ses organes collectifs (Collège, Commission des sanctions) ont commis de multiples erreurs (fait, droit, appréciation) » et que ces erreurs « ont été commises tant au niveau des actes préparatoires de la décision attaquée, au stade des investigations (demande de coopération internationale, requête adressée au Juge des Libertés et de la Détention, lettres circonstanciées, rapport d'enquête) comme à celui des poursuites (notifications des griefs, observations écrites) et de l'instruction (rapport à la Commission des sanctions), mais aussi au niveau de la décision attaquée elle-même (refus de report de la séance, motivation, montant des sanctions, conclusions), voire postérieurement (écritures devant la Cour) ».
540.Il en déduit que la Cour de céans « n'aura pas d'autre choix que de tirer les conséquences de cette accumulation d'erreurs à tous les stades de la procédure administrative suivie par l'AMF, pour annuler la Décision, sans se prononcer sur le fond de l'affaire ['] » (soulignement ajouté).
541.À la lumière de cette présentation, la Cour identifie un unique moyen, pris de l'accumulation d'erreurs de toutes natures : s'agissant de ce moyen, la Cour, se fiant à la présentation de la page 2 du mémoire, conclut que dans la perspective de son auteur, chaque développement portant sur une « erreur » constitue un argument à l'appui du moyen, dont la teneur consiste à soutenir que l'accumulation d'erreurs doit entraîner l'annulation de la décision.
b. Sur l'erreur commise par l'AMF pour se procurer certaines pièces
542.M. [K] expose que c'est de façon irrégulière que certaines pièces sur lesquelles les poursuites sont fondées proviennent de la visite sur pouvoirs propres à laquelle l'AMF a procédé en mai 2017. Il renvoie à ses précédents développements.
543.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations et, le cas échéant, à celles qui ont répondu au mémoire complémentaire de [O] [A] et de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
544.Les remises de pièces effectuées à l'occasion des opérations de visite du 25 avril 2017 et du 5 mai 2017 sont régulières pour les raisons qui ont été indiquées précédemment (§ 103 et suivants pour les OVS du 25 avril 2017 ; § 508 pour les opérations sur pouvoirs propres du 5 mai 2017).
545.Aucune erreur du chef invoqué n'a donc lieu d'être retenue.
c. Sur les erreurs de fait de l'AMF au stade de la poursuite
' Sur les erreurs portant sur l'information du 7 mai 2015
546.Dans la mesure où l'une des deux composantes de l'information du 7 mai 2015 est identique à l'information du 14 mars 2015, M. [K] renvoie la Cour aux développements du mémoire complémentaire de [O] [A] et son PDG qui sont consacrés aux erreurs de fait commises par l'AMF ainsi qu'à la déloyauté dont a fait preuve l'AMF s'agissant de son contenu. Il ajoute que l'autre composante de l'information du 7 mai 2015 semble dépourvue d'erreur de fait.
547.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations et, le cas échéant, à celles qui ont répondu au mémoire complémentaire de [O] [A] et de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
548.Il résulte des précédentes analyses de la Cour (cf, § 289 et suivants du présent arrêt) qu'aucune erreur de fait portant sur l'information du 7 mai 2015 n'a lieu d'être retenue.
' Sur les erreurs portant sur la communication par M. [K] de l'information du 7 mai 2015
549.M. [K] expose que le rapport d'enquête contient de nombreux passages rédigés à l'indicatif, dont il est résulté une atteinte à sa présomption d'innocence, nonobstant sa mise hors de cause pour le manquement de communication à DF [A] de l'information litigieuse.
550.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations et, le cas échéant, à celles qui ont répondu au mémoire complémentaire de [O] [A] et de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
551.Aucune faute n'a lieu d'être retenue de ce chef, ainsi qu'il résulte des précédents développements de la Cour (§ 518 et suivants du présent arrêt).
' Sur les erreurs portant sur la chronologie des recommandations émises par M. [K] à destination de DF [A]
552.M. [K] expose que dans le cas d'une opération de vente, il ne peut pas y avoir de manquement d'initié relatif à une « recommandation » lorsqu'il s'avère qu'au moment du contact (courrier électronique invitant son destinatoire à respecter une fourchette de prix) entre l'initié et le vendeur, la décision de vendre les titres avait déjà été prise par ce dernier (Paris, 5-7, 7 février 2019, RG 18/04069).
553.En l'espèce, au 7 mai 2015, date de la réunion du comité d'audit de MBWS lors de laquelle l'information a été donnée à M. [K], non seulement la décision de principe avait été définitivement prise par M. [C] (11 mars 2015), mais les fonds correspondants à l'achat de 5 % du capital avaient été versés à Interactive Brokers (5 mai 2015) et le prix final du bloc de KKR (16,80 euros) avait même été arrêté entre les parties à la transaction (6 mai 2015). Le reste n'était donc plus qu'une question de temps et l'AMF ne pouvait pas faire autrement que d'en tirer les conséquences logiques qui s'imposaient sur l'absence de tout manquement d'initié. Faute de l'avoir fait, elle a manifesté une déloyauté.
554.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations.
Sur ce, la Cour :
555.Ainsi qu'il sera exposé ultérieurement, la Cour a retenu qu'il résulte de la chronologie des évènements que le manquement est établi (§ 615 et suivants du présent arrêt).
d. Sur les erreurs de droit afférentes à la qualité d'initié primaire ou secondaire de M. [K]
556.M. [K] expose, en premier lieu, que les dispositions de l'article 622-2 du RGAMF, comme celles de l'article 8 du règlement MAR qui l'a désormais remplacé à compter du 3 juillet 2016, sont d'interprétation stricte, en sorte que la qualité d'invité permanent de M. [K] au conseil d'administration de MBWS en mai 2015 n'en faisait pas un initié primaire. Il ajoute que la décision n'explique pas en quoi il pourrait être considéré comme un initié primaire, et que par ailleurs, la qualité d'invité permanent ne peut être regardée comme une fonction correspondant au 3° de l'article 622-2 du règlement général de I'AMF.
557.Le requérant ajoute, en second lieu, que s'il détenait l'information, il ne pouvait savoir qu'elle était privilégiée, et cela que l'on considère l'une ou l'autre des deux composantes de l'information. Compte tenu de sa qualité d'initié secondaire, la caractérisation du manquement sanctionné n'est pas établie.
558.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que M. [K] était bien un initié primaire, en sorte que l'argumentation tirée de ce qu'il n'aurait pas su ou dû savoir que l'information litigieuse était privilégiée est inopérante.
559.Elle précise que l'intéressé n'a pas contesté sa qualité d'initié primaire dans sa réponse à la lettre circonstanciée et dans ses observations sur le rapport. Elle ajoute que la qualification de « fonctions » mentionnée au 3° de l'article 622-2 du règlement général de I'AMF n'implique pas l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée, ni même une activité professionnelle non rémunérée, seul important l'accès à l'information que permettent le travail, la profession et, en l'espèce, les fonctions de la personne en cause.
Sur ce, la Cour :
560.Ainsi qu'il sera exposé ultérieurement, la Cour a retenu que M. [K] avait la qualité d'initié primaire (§ 600 et suivants du présent arrêt).
e. Sur les erreurs d'appréciation
' Sur les erreurs portant sur la gravité des manquements reprochés au requérant, la quantification des « avantages » ou « profits » qui en auraient été retirés, le caractère proportionné de la sanction prononcée à l'encontre du requérant
561.M. [K] consacre des développements à la gravité des faits, au profit qu'il a pu en retirer, à la sanction prononcée.
562.Dans ses observations en réponse, l'AMF rappelle qu'elle a fait application des dispositions de l'article L. 621-15, III, ter, du CMF, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016 (décision attaquée, § 233), et précise que ces dispositions ne sont pas plus sévères que la loi ancienne. Sur le fond, elle renvoie pour l'essentiel à ses précédentes observations.
Sur ce, la Cour :
563.Pour les motifs mentionnés précédemment (§ 254 du présent arrêt), au regard du moyen tendant à l'annulation de la décision attaquée en conséquence de l'accumulation d'erreurs, la discussion des erreurs ici invoquées est inopérante.
564.Les développements en cause sont discutés avec les autres moyen de fond concernant la sanction, dans la suite du présent arrêt (cf, infra, § 633 et suivants du présent arrêt).
f. Conclusion sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
565.Il résulte des développements qui précèdent qu'aucune accumulation d'erreurs propre à justifier l'annulation de la décision n'a lieu d'être relevée à l'encontre de la décision attaquée.
566.Le moyen sera en conséquence rejeté.
B. Sur les moyens de fond proposés par M. [K]
1. Sur le caractère privilégié de l'information détenue par M. [K]
567.Dans la décision attaquée (§ 37, 133, 136, 137, 139, 141 à 145, 178), la Commission des sanctions expose en substance en quoi l'information en cause, prise en chacune de ses deux composantes, présentait les caractères d'une information privilégiée (non publique, précise, sensible).
568.M. [K] soutient que l'information communiquée le 7 mai 2015 n'était pas privilégiée au sens de l'article 621-1 du RGAMF.
569.En premier lieu, un « EBITDA égal à 5,2 ME » ne saurait être qualifié de « dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 ». Cette première composante ne constitue en effet pas « un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire », dans la mesure où MBWS n'a connu aucun « dépassement » de l'objectif « annoncé » au marché le 13 février 2015, la véritable annonce ayant eu lieu par communiqué de presse du 15 octobre 2014. Sur ce point, le requérant reprend à son compte l'argumentation déjà développée par [O] [A] et Mme [AF].
570.En deuxième lieu, les deux composantes de l'information privilégiée pouvaient être anticipées par le marché à partir des données publiques disponibles et il n'y avait pas lieu de considérer qu'il était possible d'en tirer une conclusion positive sur le cours de bourse (pièce 44, expertise 8 Advisory).
571.L'information relative au niveau de trésorerie n'était pas vraiment non publique, pouvait être anticipée par le marché et n'a pu avoir qu'un impact relatif compte tenu de l'existence à l'époque du plan de continuation et de dettes financières de plus 84 M euros.
572.L'ordre de grandeur de l'information relative à l'« EBITDA égal à 5,2 ME » rendait le chiffre négligeable compte tenu du plan de continuation et d'une capitalisation boursière de près de 350 M euros. Ce chiffre ne pouvait pas non plus avoir une influence positive sur le cours, étant rappelé qu'il était inférieur à la médiane de la fourchette annoncée le 15 octobre 2014, médiane qui correspondait aux anticipations de certains investisseurs avertis publiant sur le site Boursorama.
573.En troisième lieu, aucun investisseur n'aurait fondé ses décisions sur de telles informations et la hausse du cours dans la journée du 13 mai 2015 n'a rien à voir avec la publication la veille. Le niveau élevé du cours de clôture (+10 %) de la séance du 13 mai 2015 s'explique par le passage du bloc KKR qui a provoqué une flambée spéculative. En revanche, le cours théorique de l'action à l'ouverture de la séance (16,81 euros) était très proche du cours de clôture de la veille (16,80 euros), alors que le communiqué de presse du 12 mai avait déjà été publié.
574.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique, en premier lieu, que l'information, en chacune de ses deux composantes, était précise.
575.S'agissant de la première composante de l'information, elle renvoie à ses précédentes observations en réponse à la même argumentation développée par [O] [A] et Mme [AF].
576.S'agissant de la seconde composante, afférente au renforcement de la structure financière de MBWS, elle indique que la circonstance que des analyses financières ayant précédé la publication de l'information privilégiée aient été dans le même sens ne permet pas de regarder comme publique l'information détenue ; de telles analyses relèvent d'appréciations subjectives. [CA Paris, 15 mai 2008, 07/09505 ; 19 décembre 2019, 19/03007]. Elle ajoute que le fait que le marché soit en mesure d'anticiper une information n'affecte pas son caractère précis et que, par nature, il est possible de tirer d'une information portant sur l'amélioration de la situation financière de l'émetteur, une conclusion quant à son effet possible sur le cours.
577.En second lieu, l'Autorité expose que l'information présentait un caractère sensible. Elle renvoie à ses précédents développements, en réponse au mémoire de [O] [A] et Mme [AF], s'agissant de la cession d'un bloc par KKR. Elle ajoute que l'appréciation de l'influence sensible d'une information doit s'apprécier a priori et qu'il n'importe que la divulgation ait effectivement influé de façon sensible sur le cours. Elle conclue que le moyen est inopérant.
578.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
579.Les dispositions de l'article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016, ont été rappelées précédemment (§ 289 et suivants du présent arrêt).
580.Ainsi qu'il a été dit (§ 22 du présent arrêt), le directeur financier de MBWS a communiqué, en pièce jointe à un courriel adressé le 7 mai 2015 aux membres du comité d'audit de MBWS, dont M. [K], des « slides » indiquant que l'EBITDA pour l'exercice 2024 s'élevait à 5,2 M euros contre 10,6 M euros pour l'exercice précédent et que les dettes financières nettes au bilan s'élevaient à - 19 127 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2013 et à - 41 549 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2014 (rapport d'enquête, R 0068 et annexe 4.28 au rapport, slides n° 7 et 17).
581.L'information privilégiée qui aurait pu faire l'objet du manquement qui lui est reproché était décrite par la notification de griefs comme étant « relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2M€) et au renforcement de sa structure financière (trésorerie nette en augmentation de +22,4M€ par rapport au 31 décembre 2013), ressortant des comptes consolidés 2014 validés par le comité d'audit du 7 mai 2015 » (dossier de l'AMF, chemise 14, cote 1687).
582.S'agissant de la composante relative « au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2M€) », la Cour a déjà répondu à une argumentation identique précédemment (cf, § 289 et suivants du présent arrêt) et elle y renvoie. Cette composante constitue ainsi une information privilégiée.
583.S'agissant de l'autre composante, la Cour relève que les données chiffrées qu'elle contient sont précises.
584.Elles n'étaient pas non plus publiques le 7 mai 2015, le courriel qui contenait ces données chiffrées n'ayant fait l'objet que d'une diffusion restreinte au comité d'audit.
585.Enfin, cette composante présentait un caractère sensible, notamment en ce qu'elle induisait le redressement de l'entreprise et son retour à une meilleure solvabilité. Un investisseur raisonnable était susceptible d'utiliser une telle information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement.
586.Il n'importe à cet égard que des analystes aient pu conjecturer l'amélioration de la trésorerie de MBWS à partir de l'étude des choix faits par la direction de MBWS en vue de son redressement depuis 2014 (pièce 44 du dossier de [O] [A], Etude Advisory, pages 11 à 14), un tel retraitement, nécessairement empreint de subjectivité, de données éparses n'équivalant nullement à la publication des données afférentes à la trésorerie de MBWS par le communiqué de presse du 12 mai 2015 (« la trésorerie nette, largement positive, est en augmentation de +22,4 M€ et s'élève à 41,5 M€ au 31 décembre 2014 ») et à l'information plus précise encore communiquée aux membres du comité d'audit le 7 mai 2015.
587.En outre, l'aptitude à influer de manière sensible sur le cours d'un instrument financier doit s'apprécier a priori, à la lumière du contenu de l'information en cause et du contexte dans lequel elle s'inscrit.
588.Il n'est pas nécessaire, afin de déterminer si une information est privilégiée, d'examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte (arrêt Spector, § 69).
589.Il est donc sans emport que le lendemain de la publication des résultats effectifs de MBWS par un communiqué de presse du 12 mai 2015, les cours aient connu une hausse qui peut s'expliquer par d'autres facteurs que la communication de la hausse de l'EBITDA (5.2 millions d'euros) et de l'information portant sur le caractère largement positif de la trésorerie nette (en augmentation de +22,4 M d'euros, portée à 41,5 M d'euros au 31 décembre 2014).
590.Il résulte de ces développements que l'information en cause présentait un caractère privilégié dans ses deux composantes.
2. Sur la connaissance par M. [K] du caractère privilégié de l'information
591.Dans la décision attaquée, la Commission des sanctions indique que par courriel du 7 mai 2015 du directeur financier de MBWS aux membres du comité d'audit, y compris M. [K], celui-ci a eu connaissance du montant d'EBITDA 2014 de 5,2 M euros et du montant de la trésorerie (disponibilités financières nettes de 41,549 M euros au 31 décembre 2014 contre 19,127 M euros au 31 décembre 2013), de sorte qu'il est établi par preuve directe qu'il détenait l'information privilégiée, ce qu'il ne conteste pas.
592.M. [K] soutient qu'il ne pouvait pas se douter que l'information était potentiellement privilégiée.
593.Il rappelle qu'il doit être considéré comme un initié secondaire et que c'est l'alinéa 6 de l'article 622-2 du RGAMF qui est susceptible de lui être applicable, puisqu'à l'époque des faits, il n'était encore qu'un « invité permanent » au conseil d'administration de MBWS et non pas l'un de ses membres.
594.Il ajoute qu'il n'avait pas conscience du caractère privilégié de l'information, puisque l'information relative à un EBITDA 2014 du même ordre de grandeur circulait déjà en interne chez MBWS depuis plusieurs mois. Le requérant développe sur ce point des arguments analogues à ceux avancés par [O] [A] et Mme [AF].
595.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que ce qui caractérise l'initié primaire est l'accès aux informations de l'émetteur que lui confère son statut ou ses fonctions. Seule importe donc son appartenance aux organes visés au 1° de l'article 622-2 du RGAMF. Ainsi, ne fût-il qu'un « invité permanent » du conseil d'administration, il n'en était pas moins membre.
596.Elle ajoute qu'à supposer que l'on retienne la définition restrictive que M. [K] propose, il n'en demeurerait pas moins qu'il relèverait en sa qualité d'invité permanent au conseil d'administration, de la catégorie des personnes détenant une information privilégiée en raison de son accès à l'information du fait de ses fonctions (art. 622-2, 3° du RGAMF).
597.Ainsi, dans tous les cas, M. [K] avait la qualité d'initié primaire.
598.M. [K] et l'AMF ont échangé des arguments supplémentaires dont la teneur a été rappelée au (§ 579 du présent arrêt).
599.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
600.L'article 622-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016, abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016, disposait notamment que :
« Toute personne mentionnée à l'article 622-2 ['] doit également s'abstenir de :
1° [']
2° Recommander à une autre personne d'acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d'une information privilégiée, les instruments financiers ['] auxquels se rapporte cette information [']. »
601.L'article 622-2 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016, précisait que :
« Les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
1° Sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ; [']
3° Son accès à l'information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l'exécution d'une opération financière ; [']
Ces obligations d'abstention s'appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ['] ».
602.M. [K] a été « coopté » en tant qu'« invité permanent » du conseil d'administration et du comité d'audit de MBWS, à la suite de la réunion du conseil d'administration de MBWS du 14 octobre 2014, ainsi qu'il ressort du procès-verbal du conseil d'administration de MBWS du 24 octobre 2014 (points 4, « cooptation d'administrateurs et pouvoirs pour effectuer les formalités », et 6, annexe 5.5 au rapport d'enquête).
603.Il ressort de ce procès-verbal (point 4) que M. [K] a ainsi été désigné en raison de « sa qualité de représentant et d'expert de [O] [A] ».
604.Au mois de mai 2015, M. [K] était toujours membre du conseil d'administration et du comité d'audit de MBWS en qualité d'invité permanent.
605.Il a été nommé administrateur de MBWS lors de l'assemblée générale de MBWS du 30 juin 2015, sur « recommandation du conseil d'administration de voter pour suite à l'accord du 29 juin 2015 » (résolution I, page 20, annexe 5.10 du rapport d'enquête).
606.Il s'ensuit que M. [K] a été « coopté » aux conseil d'administration et comité d'audit de MBWS pour y remplir une fonction et un travail au sens du 3° de l'article 622-2 du RGAMF, à savoir ceux, de « représentant et d'expert de [O] [A] ».
607.Il avait en conséquence la qualité d'initié primaire et était astreint aux obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 du RGAMF par suite de l'accès aux informations que lui conférait son statut d'invité permanent aux conseil d'administration et comité d'audit de MBWS.
608.À titre surabondant, et afin de purger tous les aspects de la question de la qualité d'initié primaire ou secondaire de M. [K], la Cour rappelle que l'intéressé a « obtenu un diplôme supérieur en comptabilité finances puis un diplôme d'état d'expert financier » et qu'il a exercé des responsabilités de haut niveau dans différents établissements bancaires. Il se décrit lui-même comme « banquier d'affaires » (son audition, pages 2 et 3, annexe 15 au rapport d'enquête). Il ne saurait dès lors sérieusement soutenir qu'il pouvait ne pas savoir que l'information relative à l'EBITDA 2014 présentait un caractère privilégié (ainsi que la Cour l'a démontré précédemment, cf, § 297 et suivants du présent arrêt).
3. Sur la relation entre l'information et les recommandations d'achat
609.Dans la décision attaquée (§ 176), l'AMF indique que s'il ressort des pièces du dossier que la décision de principe d'investir de DF [A] pourrait avoir été prise dès mars 2015, il n'en demeure pas moins que sa décision définitive a été prise le 12 mai 2015, de sorte que la chronologie mise en avant par M. [K] est sans incidence sur la caractérisation du grief.
610.M. [K] soutient que M. [C] (DF [A]) avait pris sa décision d'investir dans MBWS au cours du mois de mars 2015 et que la réunion du 11 mai n'avait eu pour objet que de lever les dernières hésitations de M. [L] (intervenant à la demande de M. [C]). Le conseil de M. [K] d'acquérir des actions de MBWS était largement antérieur à l'information prétendument privilégiée (7 mai). Or, la cour d'appel juge que « lorsqu'il s'avère qu'au moment du contact entre l'initié et le vendeur », « la décision de vendre les titres avait déjà été prise par ce dernier », « il ne peut pas y avoir de manquement de recommandation à la vente » (Paris, 5-7, 7 février 2019, RG n° 18/04069). Ainsi, les recommandations d'achat que M. [K] a pu émettre ne se basent pas sur l'information en cause.
611.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que la circonstance que M. [K] ait préalablement au 11 mai 2015 recommandé à DF [A] d'investir dans les titres MBWS n'exclut pas qu'il ait renouvelé cette recommandation sur la base d'une information privilégiée dès lors que cet investissement n'avait pas encore été réalisé.
612.Elle ajoute que la décision prise antérieurement au 11 mai était conditionnelle et dépendait du prix des actions, étant rappelé qu'initialement, le prix d'acquisition moyen consenti par DF [A] était de 13,80 euros. L'objet de la réunion du 11 mai était ainsi pour M. [K] de convaincre les représentants de DF [A] que le cours de l'action n'allait pas chuter après la publication du communiqué de presse en dessous du prix de cession fixé à 16,80 euros. À la suite de cette entrevue, le mandat donné à Alterfi a été modifié en conséquence.
613.M. [K] et l'AMF ont échangé des arguments supplémentaires dont la teneur a été rappelée au § 552 du présent arrêt.
614.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
615.Il résulte des dispositions de l'article 622-1 du RGAMF, rappelées supra (cf, § 600 du présent arrêt), que M. [K], devenu initié depuis le 7 mai 2015, devait s'abstenir de recommander l'acquisition des actions de MBWS.
616.Ainsi qu'il a été indiqué (cf, § 20 du présent arrêt), DFH a mandaté Alterfi le 27 mars 2015 pour gérer l'acquisition d'actions au cours moyen de 13,80 euros (article 3 du mandat, annexe 10.1 ; rapport, cote R0064).
617.M. [K] a joué ensuite un rôle d'intermédiaire entre DFH et KKR.
618.Le 6 mai 2015, M. [L], président de DFH a accepté le principe de l'acquisition auprès de KKR d'un bloc d'actions au prix unitaire de 16,80 euros représentant 5 % du capital de MBWS (courriel du 6 mai 2015, 17h38, annexe 4.30 du rapport d'enquête). À cette date, l'accord de DFH n'était encore que de principe, il ne s'agissait pas d'un ordre d'achat ferme immédiatement applicable.
619.Le 11 mai, M. [K] (initié depuis le 7 mai) a participé à une réunion avec des représentants du groupe [C], dans les locaux dudit groupe.
620.À la suite de cette réunion, le 12 mai, à 9 h 41 (annexe 4.33 au rapport d'enquête), M. [L] a donné l'instruction à Alterfi de procéder à l'acquisition du bloc de KKR à l'ouverture des marchés le mercredi 13 mai.
621.La publication du communiqué de presse par MBWS est intervenue le 12 mai 2015 en fin de journée, après la clôture des marchés, juste avant l'acquisition du bloc de KKR, le lendemain matin.
622.L'analyse des échanges de courriels et des auditions des protagonistes permet de préciser la portée de la réunion du 11 mai.
623.M. [K] expose lui-même dans ses conclusions (mémoire du 18 avril 2023, page 36) que cette réunion a eu pour objet de « lever les dernières hésitations » de M. [L] relatives au prix de 16,80 euros.
624.Interrogé sur la portée de cette réunion et sur le comportement de M. [K], M. [L] a indiqué dans son audition du 15 novembre 2017 (annexe 1.8 du rapport d'enquête, soulignements ajoutés) :
« M. [PB] [K] ['] nous a mis beaucoup de pression pour qu'on réalise cette acquisition et pour nous convaincre de la faire ['] », « [d]e mon côté, j'ai freiné sa réalisation même si le principe était acquis » (question 11) ; « cette pression m'horripilait » (question 34).
« Je souhaitais attendre pour voir l'évolution du cours de l'action MBWS puisqu'il était en train de baisser. Mme [R] [représentante de DFH au conseil d'administration de MBWS, cf, procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires de MBWS du 30 juin 2015, annexe 5.10 au rapport d'enquête] m'avait dit qu'il y aurait un conseil d'administration de MBWS devant approuver les comptes ; je voulais m'assurer que le cours ne baisserait pas de manière importante à la suite de la publication des comptes. En particulier, M. [W] [C] et moi souhaitions vérifier que le niveau d'endettement n'allait pas augmenter. Nous avions pris la décision de principe d'acheter en mars, à la suite de la réunion avec Mme [AF], mais il n'y avait pas d'urgence pour nous. » (question 34)
[au sujet de la réunion du 11 mai], « Il [M. [K]] a souhaité nous rassurer sur le fait que les résultats de MBWS devant être annoncés le lendemain seraient bons et n'auguraient pas une baisse significative des cours, et donc qu'acheter des titres supposait d'accepter un prix de 16,80 €, bien qu'il soit nettement supérieur aux 13,50 € initiaux » (question 35).
625.À la question 38, « pourquoi M. [PB] [K] souhaitait-il réaliser l'opération le 13 mai 2015 à l'ouverture, c'est-à-dire après la publication du communiqué de MBWS annonçant les résultats de l'exercice 2014 ' », M. [L] a répondu « [p]arce que je l'ai exigé pour être sûr que ses bonnes paroles étaient pleines de vérité et que le cours ne chuterait pas après la publication des comptes de l'exercice 2014 ».
626.Il a encore exposé :
« je n'avais pas confiance en M. [K] et que j'avais besoin d'y réfléchir encore. Les comptes allaient être publiés le 12 mai et nous souhaitions prendre connaissance du communiqué et pouvoir apprécier l'impact sur le cours, pour être certains que ce qui nous avait été dit était exact » (question 39).
627.Il a encore précisé que l'ordre d'achat donné le 12 mai à 9 h 41 pouvait être retiré avant l'ouverture de la bourse, au moment où il devait être exécuté et que « [l]e 11 mai, M. [K] nous a dit que, compte tenu des résultats à venir, le cours ne pouvait pas s'effondrer et que nous n'aurions pas l'opportunité d'acheter à moins de 16,80 € » (question 41).
628.Il résulte de cette chronologie et de l'ensemble de ces déclarations que le 11 mai 2011, la décision de DFH d'acquérir le bloc de KKR n'était pas encore prise et que c'était là l'enjeu de la réunion.
629.Il se déduit de la qualité d'initié (primaire) de M. [K], que celui-ci, pour emporter la décision du président de DFH, qui était encore hésitant, a recommandé l'acquisition du bloc de KKR au prix de 16,80 euros l'action sur la base de l'information privilégiée relative au dépassement par MWBS de l'objectif d'EBITDA annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2 millions d'euros) et au renforcement de sa structure financière (trésorerie nette en augmentation de +22,4 millions d'euros par rapport au 31 décembre 2013), ressortant des comptes consolides 2014 validés par le comité d'audit du 7 mai 2015.
630.Il a ainsi manqué à l'obligation d'abstention de recommandation qui lui incombait.
631.La Cour précise encore que le manquement en cause est autonome, en sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si la recommandation a été déterminante des opérations effectuées (Conseil d'Etat, 10 juillet 2015, n° 369454). Il n'y a pas lieu d'examiner si elle a été suivie d'effet.
632.Le recours de M. [K] sera rejeté.
V. SUR LES SANCTIONS
A. Sanction de [O] [A]
633.Dans la décision attaquée (§ 234 à 238), l'Autorité, qui prononce à l'encontre de [O] [A] une amende de 10 millions d'euros, rappelle que le manquement retenu à son encontre a eu lieu du 16 mars au 1er avril 2015 pour le manquement d'initiée et à compter du 16 septembre 2014 pour le manquement à l'obligation déclarative des opérations réalisées sur le titre MBWS.
634.Elle ajoute que ces manquements ont été commis par un des plus importants groupes privés au Maroc, et acteur majeur de l'industrie agroalimentaire, de sorte qu'ils revêtent une particulière gravité. Elle estime que [O] [A] a réalisé une économie de 4 966 500 euros s'agissant des acquisitions d'actions et une économie de 9 300 euros s'agissant des acquisitions de BSA, outre des plus-values postérieures respectives de 3 421 975 euros et 8 400 euros.
635.Elle indique que selon Mme [AF], le groupe a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 340 millions d'euros en 2019 et que son résultat avait été négatif de 13 millions d'euros.
636.La présidente de l'AMF demande l'aggravation des sanctions prononcées en application des dispositions de l'article L. 621-15 du CMF et que le quantum des sanctions passe de 10 à 17 millions d'euros pour [O] [A].
637.[O] [A] critique la méthodologie retenue par l'AMF pour évaluer l'avantage économique qu'elle aurait obtenu, indique que nombre des actions acquises ont été revendues et le produit de la vente réinvesti dans le cadre de l'OPE, ce qui a permis à MBWS, dont [O] [A] était l'actionnaire de référence, de sortir de son plan de continuation. Elle considère que la Commission des sanctions n'a pas suffisamment individualisé la sanction infligée et que celle-ci n'est pas proportionnée.
638.Elle indique encore que sa situation financière est structurellement dégradée depuis plusieurs années et conteste disposer des actifs disponibles pour faire face à une sanction de 10 millions d'euros.
639.Dans ses observations en réponse, l'AMF expose que les sanctions prononcées doivent être effectives, proportionnées et dissuasives et met en exergue le manque de transparence flagrant de la part de [O] [A]. Elle rappelle que le montant de la sanction prononcée est très largement inférieur au plafond de la sanction encourue en l'absence de prise en compte des profits réalisés. Elle partage en tous points les analyses de la décision attaquée.
640.Le ministère public demande à la Cour de réformer à la hausse le quantum des sanctions prononcées à l'encontre de [O] [A], le recours du président de l'AMF étant fondé.
Sur ce, la Cour :
641.Il résulte de l'article L. 621-15, III, du CMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016, rétroactivement applicable aux faits comme étant plus favorable que le précédent texte, que le montant de la sanction doit être fixé en tenant compte notamment :
' de la gravité et de la durée du manquement ;
' de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;
' de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;
' de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
' des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
' du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;
' des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
' de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement.
642.La loi encadre la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
643.Il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de [O] [A] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionnée et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères précités.
644.S'agissant du manquement d'initié, la Cour estime qu'il est d'une gravité certaine eu égard à la taille et à l'importance de ce groupe : il se décrivait en décembre 2024 comme « le vaisseau amiral du groupe familial [AF], 1er groupe viticole marocain, situé au 7ème rang des groupes les plus importants du Maroc, opérant majoritairement dans l'agro-industrie, avec plus de 8 000 hectares de terres à vocation agricole et totalisant plus de 6 500 emplois directs » (mémoire du 18 avril 2022, page 5).
645.La mise en 'uvre du manquement s'est étendue du 16 mars au 1er avril 2015. Celle-ci n'ayant nullement été ponctuelle, cette durée revêt un caractère aggravant.
646.S'agissant des gains financiers qui ont pu être réalisés, il ne saurait être sérieusement prétendu que le manquement d'initié n'a pas généré d'avantage économique au profit de [O] [A], dès lors qu'Alterfi a eu pour comportement constant de tenter de réduire le coût moyen des acquisitions de titres de MBWS par de très nombreux mouvements d'achat/vente.
647.Si [O] [A] faisait en 2021 état d'une structure financière anormalement surendettée (pièce 85, dossier de [O] [A]), la Cour relève que la requérante a déjà versé la somme de 10 millions d'euros puisque la sanction que la Commission des sanctions lui a infligée n'a pas fait l'objet, en ce qui la concerne, d'une mesure de sursis à exécution (pièce 57 du dossier de [O] [A], ordonnance n° 66 du délégué du Premier président de la cour d'appel de Paris, 3 novembre 2021). Au demeurant, la proportionnalité de la sanction financière s'apprécie au regard de la situation de la personne concernée à la date où la Cour l'examine. Or, force est de constater l'absence au dossier de [O] [A] de documentation actualisée.
648.S'agissant du manquement à l'obligation de déclarer des opérations, il a été indiqué (cf, § 438 et suivants du présent arrêt) qu'il serait tenu compte du fait que l'interprétation que contenait la position de l'AMF n° 2006-14 a pu donner à croire à [O] [A] qu'elle pouvait ne pas être tenue de procéder aux déclarations litigieuses.
649.Au regard de l'ensemble de ces considérations, la Cour réformera la décision attaquée sur la sanction prononcée et ramènera ladite sanction à neuf millions neuf cent vingt mille euros (9,920 M euros).
B. Sanction de Mme [AF]
650.Dans la décision attaquée (§ 240 à 244), l'Autorité, qui prononce à l'encontre de Mme [AF] une amende de 6 millions d'euros, rappelle que le manquement retenu à son encontre a eu lieu du 16 mars au 1er avril 2015.
651.Elle ajoute que le manquement commis par Mme [AF] revêt une particulière gravité en raison de sa qualité d'administrateur de la société MBWS, sur laquelle portait l'information privilégiée. Elle précise encore que l'avantage économique retiré du manquement est le même que celui mentionné dans le cas de [O] [A].
652.Elle indique encore que Mme [AF] n'a produit aucun justificatif et a déclaré que l'essentiel de son patrimoine était constitué de sa participation en nue-propriété dans le capital de [O] [A] à hauteur de 32,20 %.
653.La présidente de l'AMF demande l'aggravation des sanctions prononcées en application des dispositions de l'article L. 621-15 du CMF et que le quantum des sanctions passe de 6 à 7,5 millions d'euros pour Mme [AF].
654.Mme [AF] reprend à son compte les développements de [O] [A] et ajoute qu'elle n'a retiré strictement aucun avantage économique ou financier de l'investissement de [O] [A] en titres MBWS.
655.Elle ajoute que sa qualité d'administrateur de MBWS ne suffit pas à caractériser la gravité du manquement d'initié.
656.S'agissant de ses ressources, elle indique avoir communiqué ses relevés bancaires, ce dont il ressort qu'elle n'est pas en mesure de faire face à une sanction de 6 millions d'euros. En outre, [O] [A] ne distribue plus de dividendes à la suite de l'effondrement survenu depuis lors de la valeur de son portefeuille de titres MBWS. Elle rappelle que le magistrat délégué par le Premier président a suspendu l'exécution de la décision, en ce qui la concerne, tenant ainsi compte de son argumentation.
657.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique qu'elle s'est heurtée au manque de transparence de Mme [AF] et partage les analyses de la décision attaquée.
658.Le ministère public demande à la Cour de réformer à la hausse le quantum des sanctions prononcées à l'encontre de Mme [AF], le recours du président de l'AMF étant fondé.
Sur ce, la Cour :
659.Les dispositions pertinentes de l'article L. 621-15, III, du CMF ont été rappelées supra.
660.Ainsi qu'il a été indiqué, la loi encadre la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
661.Il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de Mme [AF] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionné et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères contenus à l'article L. 621-15, III, du CMF.
662.S'agissant du manquement d'initié, la Cour estime qu'il est d'une gravité certaine en raison de la qualité d'initiée primaire de Mme [AF], celle-ci étant initiée en sa qualité d'administratrice de MBWS. Au surplus, elle est une femme d'affaires expérimentée et reconnue en tant que telle, ainsi qu'il ressort, par exemple, de sa participation au sommet « Choose France » du 28 juin 2021 (pièce 54 du dossier de [O] [A]).
663.La mise en 'uvre du manquement s'est étendue du 16 mars au 1er avril 2015. Celle-ci n'ayant nullement été ponctuelle, cette durée revêt un caractère aggravant.
664.S'agissant des gains financiers qui ont pu être réalisés, il ne saurait être sérieusement prétendu que le manquement d'initié n'a pas généré d'avantage économique au profit de [O] [A], ainsi qu'il a été dit supra. Mme [AF] étant à la tête de ce groupe, ultimement détenu par la famille [AF] (cf, mémoire du 18 avril 2022, page 5, précité), elle a nécessairement bénéficié, indirectement, de cet avantage économique.
665.Par ailleurs, la proportionnalité de la sanction financière s'apprécie au regard de la situation de la personne concernée à la date où la Cour l'examine. Or, force est de constater l'absence au dossier de Mme [AF] de documentation actualisée.
666.Au regard de ces considérations, la Cour considère que la sanction prononcée par la Commission des sanctions est proportionnée et dissuasive. Il n'y a pas lieu de réformer la décision attaquée de ce chef.
C. Sanction de M. [K]
667.Dans la décision attaquée (§ 245 à 250), l'Autorité, qui prononce à l'encontre de M. [K] une amende de deux millions d'euros, rappelle que l'intéressé est un professionnel des marchés et qu'il était un invité permanent du conseil d'administration de MBWS, en sorte que le manquement revêt une particulière gravité.
668.Elle relève qu'aucun avantage ou perte retiré du manquement ne ressort du dossier. Elle ajoute que M. [K] a déclaré ne pas toucher de revenu fixe, ni jeton de présence de MBWS.
669.M. [K] expose que le montant de l'amende prononcée à son encontre est disproportionné, qu'il est identique au montant requis, alors que le grief de communication d'information privilégiée a été écarté et qu'aucun profit n'a été retiré par personne de la recommandation retenue à son encontre.
670.Il ajoute qu'il ne dispose pas de biens immobiliers, que ses comptes bancaires sont peu approvisionnés, qu'il n'est pas imposable et qu'il n'est pas en mesure de payer une amende de 2 M euros, ce que le magistrat délégué du Premier président a parfaitement compris.
671.S'il devait être condamné à payer une amende, il demande que celle-ci soit ramenée à 1 euro.
672.Dans ses observations en réponse, l'AMF demande la confirmation de la décision attaquée.
673.Le ministère public invite la Cour à rejeter le moyen de M. [K].
Sur ce, la Cour :
674.Les dispositions pertinentes de l'article L. 621-15, III, du CMF ont été rappelées supra.
675.Ainsi qu'il a été indiqué, la loi encadre la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
676.Il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. [K] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionné et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères contenus à l'article L. 621-15, III, du CMF.
677.La Cour relève que M. [K] est un initié primaire et un professionnel averti, ainsi qu'il ressort de ses propres déclarations. Il a ainsi indiqué avoir « obtenu un diplôme supérieur en comptabilité finances puis un diplôme d'état d'expert financier » et avoir exercé des responsabilités de haut niveau dans différents établissements bancaires. Il se décrit lui-même comme « banquier d'affaires » (son audition, pages 2 et 3, annexe 15 au rapport d'enquête).
678.En outre, la proportionnalité de la sanction financière s'apprécie au regard de la situation de la personne concernée à la date où la Cour l'examine. Or, force est de constater l'absence au dossier de M. [K] de documentation actualisée.
679.Au regard de ces considérations, la Cour considère que la sanction prononcée par la Commission des sanctions est proportionnée et dissuasive. Il n'y a pas lieu de réformer la décision attaquée de ce chef.
VI. SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE [O] [A] ET MME [AF]
A. Sur la demande à hauteur de 100 000 euros dirigée contre l'auteur du recours incident puis contre l'AMF
680.[O] [A] demande à la Cour, dans ses conclusions du 18 avril 2023, page 73, la condamnation de « l'auteur du recours incident » à lui verser cette même somme dès lors (sauf à ce que la Cour ramène la sanction qui lui sera infligée pour ce manquement à un euro symbolique), compte tenu « de la responsabilité du Collège de l'AMF dont il était le Président, cet organe étant l'auteur de la doctrine (Position DOC n° 2006-16) à laquelle la société [O] [A] s'est conformée, lui faisant confiance pour connaître l'interprétation que faisait le régulateur des dispositions de l'article R. 621-43-1 du CMF ».
681.[O] [A] fait valoir que la somme de 100 000 euros correspond à l'amende infligée à la société DF [A] pour le même manquement.
682.En réponse, la présidente de l'AMF oppose, en premier lieu, l'irrecevabilité de la demande en ce qu'elle est tardive, puisque formée après l'expiration du délai de 15 jours prévu par l'article R. 621-46, I, du CMF.
683.En deuxième lieu, elle fait valoir que la Cour, en application des dispositions de l'article R. 621-46, VI, du CMF, ne saurait excéder ses pouvoirs, bornés à l'annulation ou la réformation en tout ou partie de la décision de la Commission des sanctions, en statuant sur une demande indemnitaire détachable de la procédure et de ladite décision. Elle considère qu'en l'espèce, la demande indemnitaire reposant sur l'interprétation, qualifiée de fautive, qu'a faite l'AMF de l'article R. 621-43-1 du CMF dans sa Position DOC n° 2006-14, elle est détachable du litige.
684.En troisième lieu, elle précise que la demande, en ce qu'elle est dirigée contre « l'auteur du recours incident » est irrecevable car elle devrait être dirigée contre l'AMF, et non contre sa présidente, celle-ci n'étant pas l'auteure de la Position DOC n° 2006-14.
685.Enfin, elle expose que la demande d'indemnisation est mal fondée en ce qu'aucun lien de causalité n'est établi entre la faute et le préjudice allégués. Un tel lien supposerait en effet d'établir que [O] [A] se soit abstenue de procéder aux déclarations requises en raison de l'interprétation des dispositions légales contenues dans la Position, ce que les requérantes n'établissent pas.
686.Dans son mémoire complémentaire du 4 décembre 2013, en page 104, [O] [A] dirige désormais sa demande contre « l'Autorité des marchés financiers », « compte tenu de la responsabilité de l'auteur de la doctrine (Position DOC n°2006-16) ».
687.Dans son mémoire n° 3 du 12 février 2024, la présidente de l'AMF observe que cette demande est irrecevable sur le fondement de l'article R. 621-46, I, du CMF.
688.Le ministère public demande à la Cour de déclarer cette demande irrecevable.
Sur ce, la Cour :
689.En premier lieu, la Cour considère que [O] [A], en dirigeant son recours contre l'AMF dans ses dernières écritures, a implicitement mais nécessairement abandonné son recours dirigé initialement contre « l'auteur du recours incident », à savoir le président de l'AMF.
690.L'article L. 621-30 du CMF réserve à l'autorité judiciaire la compétence pour connaître des recours formés contre les décisions individuelles de l'AMF, autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 du même code. Par suite, il en va de même pour les actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions (en ce sens, Tribunal des conflits, 2 mai 2011, C 3766, dans le même sens que Tribunal des conflits, 22 juin 1992, n° 02671).
691.Dans la mesure où une demande indemnitaire présentée à la Cour est rattachée aux conséquences dommageables, alléguées, de la décision de sanction, il doit être admis qu'une telle demande ne présente pas un degré d'autonomie suffisant par rapport à la décision de sanction pour en être détachable et donner lieu à un contentieux distinct de celui engagé devant la Cour.
692.Cependant, en l'espèce, la requérante reproche à l'AMF d'avoir publié un document intitulé « Position DOC n° 2006-16 » contenant une doctrine contraire à celle retenue par la Commission des sanctions quant à la portée de l'article L. 621-18-2 du CMF (cf, § 438 du présent arrêt).
693.Sa demande présente ainsi un large degré d'autonomie par rapport à la décision de sanction elle-même, en sorte qu'elle en est détachable. Elle devait donc être formée dans le cadre d'un contentieux distinct de celui engagé devant la Cour.
694.Elle est dès lors irrecevable dans le cadre du présent contentieux.
695.En second lieu, conformément à l'article R. 621-45 du CMF, « par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l'article R. 621-46 du présent code ».
696.Aux termes de l'article R. 621-46 du CMF, « [à] peine d'irrecevabilité prononcée d'office, [la déclaration de recours] comporte les mentions prescrites par l'article 648 du code de procédure civile et précise l'objet du recours. Lorsque la déclaration ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, sous la même sanction, déposer cet exposé au greffe dans les 15 jours qui suivent le dépôt de la déclaration ».
697.En l'espèce, la demande indemnitaire, présentée comme un subsidiaire dans le cas où la Cour ne ramènerait pas à 1 euro la sanction du manquement de [O] [A] à ses obligations déclaratives, constitue un développement accessoire à un moyen de défense au fond.
698.Elle pouvait donc être formée en même temps que l'exposé des moyens au soutien du recours contre la décision de la Commission des sanctions. La Cour constate que tel n'a pas été le cas.
699.Dès lors, cette demande, tardive, est en tout état de cause irrecevable.
B. Sur la demande pour abus du droit d'agir à hauteur de 5 millions d'euros dirigée contre l'auteur du recours incident et l'AMF
700.[O] [A] et Mme [AF] demandent, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, à la Cour de condamner solidairement, à titre reconventionnel, l'auteur du recours incident et l'AMF à leur verser la somme globale de 5 000 000 euros, en réparation de leur préjudice moral d'anxiété qui résulte d'un abus du droit d'agir de Monsieur [M] [G].
701.[O] [A] et Mme [AF] font valoir qu'en « réitérant l'engagement d'une (seconde) procédure » contre elles « sur la base d'éléments rigoureusement identiques à ceux qu'il avait déjà soulevés en première instance, alors que l'organe de jugement de l'AMF l'avait jugée mal-fondée, M. [G] a abusé de son droit d'agir ». Elles ajoutent que « le comportement de M. [G] s'inscrit pleinement dans la typologie des fautes retenues par la jurisprudence, lesquelles vont du manque de discernement à l'intention de nuire, celle-ci pouvant notamment se manifester au travers d'affirmations mensongères, d'accusations malveillantes, d'insinuations tendancieuses, ou encore de procédés vexatoires ». Elles arguent d'un préjudice d'anxiété qu'elles évaluent à « 50 % du montant (10 ME) qui apparaît mathématiquement injustifié, à la lecture des termes mêmes du recours incident abusivement formé ». Elles précisent enfin que cette demande s'adresse « solidairement à l'AMF et à son (ancien) président ».
702.En réponse, la présidente de l'AMF soutient, en premier lieu, que l'article 32-1 du code de procédure civile, qui sanctionne les abus du droit d'agir, n'est pas applicable à la procédure devant la commission des sanctions de l'AMF et dans le cadre des recours formés contre ses décisions, faute d'être compatible avec la nature de ce contentieux. Elle ajoute que les pouvoirs de la Cour d'appel de Paris sont strictement définis par l'article R. 621-46, VI du CMF.
703.En deuxième lieu, elle fait valoir que les demandes indemnitaires nommément dirigées contre M. [G], qui n'est plus président de l'AMF et qui n'a pas formé de recours incident à titre personnel mais en qualité de président de l'AMF, sont irrecevables.
704.Elle ajoute que l'AMF n'étant pas elle-même à l'initiative d'un recours incident, qui relève des pouvoirs propres de son président, il ne saurait lui être reproché un abus dans l'exercice d'une voie de recours qu'elle n'exerce pas (Paris, 29 juin 2023, RG 21/13507).
705.En troisième lieu, la présidente de l'AMF soutient qu'aucun abus ne peut être établi. Il lui est permis de contester l'analyse de la Commission des sanctions, qui a jugé que la circonstance que les opérations litigieuses se sont inscrites dans le cadre d'une stratégie préétablie, permettrait de renverser la présomption d'utilisation indue de l'information privilégiée. Il est en outre inopérant d'invoquer le montant des sanctions prononcées par la Commission des sanctions ou demandées par la présidente de l'AMF (dans les limites permises par la loi) pour justifier du caractère abusif du recours incident. Enfin, le « préjudice d'anxiété » allégué par les défenderesses à ce recours n'est étayé par aucune pièce.
706.Enfin, en quatrième lieu, il lui était loisible de produire les pièces issues des OVS, dès lors que ces pièces ont été régulièrement obtenues, ainsi que la Cour de cassation l'a jugé en assemblée plénière.
707.Le ministère public demande à la Cour de déclarer cette demande irrecevable.
Sur ce, la Cour :
' Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle pour abus du droit d'ester
708.L'article 32-1 du code de procédure civile énonce que :
« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
709.Il résulte de l'article R. 621-45 du CMF, dont les dispositions ont été rappelées précédemment (§ 695 du présent arrêt), que les dispositions du code de procédure civile applicables à la procédure suivie devant la Cour sont celles auxquelles il n'est pas expressément dérogé.
710.L'article 32-1 du code de procédure civile ne figurant pas au nombre des dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile (« Dispositions particulières à la cour d'appel ») visées par l'article R. 621-45 du CMF, son application n'est pas exclue.
711.L'article R. 621-46, VI du CMF est ainsi rédigé :
« VI. - Le recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers prévu à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 621-30 doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification à l'Autorité des marchés financiers du recours de la personne sanctionnée. Ce recours est formé dans les conditions prévues au I du présent article, par une déclaration contenant l'exposé des moyens invoqués ; il est notifié aux parties par le greffe de la cour d'appel. En tant que de besoin, le délai prévu pour les échanges peut être modifié par le premier président ou son délégué.
La cour d'appel peut, sur le recours principal ou incident du président de l'Autorité des marchés financiers, soit confirmer la décision de la commission des sanctions, soit l'annuler ou la réformer en tout ou en partie, dans un sens favorable ou défavorable à la personne mise en cause. ».
712.Il résulte d'abord de ce texte qu'il est permis à la Cour, dans le seul cas d'un recours incident du président de l'AMF, de réformer la décision de la Commission des sanctions dans un sens défavorable à la personne mise en cause.
713.Il en résulte ensuite que l'article 621-46 du CMF ne déroge pas expressément à l'article 32-1 du code de procédure civile. Ce texte est donc applicable.
714.La demande reconventionnelle est dès lors recevable dans son principe.
' Sur le bien-fondé de la demande
715.Il convient de rappeler que l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.
716.Lorsqu'il exerce le recours visé à l'article L. 621-30, alinéa 3, du CMF, le président de l'AMF, qui représente l'autorité de poursuite, agit après accord du Collège. Dès lors, la responsabilité de l'AMF est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, en cas de faute lourde.
717.En l'espèce, la Cour observe que les développements du président de l'AMF à l'appui de son recours contiennent des analyses factuelles et juridiques qui ne procèdent nullement d'erreurs grossières équipollentes à un dol, la Cour partageant au demeurant l'essentiel de ces analyses, à l'exception, principalement, de celles portant sur les conséquences qu'il convient de tirer du courriel de M. [P] du 19 novembre 2015 à 16:16 (cf, § 491 du présent arrêt).
718.L'exercice de ce recours ne procède en outre en rien d'une intention malicieuse ou d'un acharnement procédural qui aurait nécessairement été voué à l'échec.
719.Enfin, outre l'absence de démonstration d'une telle faute lourde, force est de constater que le montant des dommages-intérêts demandés n'est pas rattaché à l'existence d'un préjudice subi, dans le respect du principe de réparation intégrale, mais à une exégèse des sanctions infligées par la Commission des sanctions et demandées par le président de l'AMF.
720.Pour l'ensemble de ces motifs, la demande indemnitaire fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile sera rejetée.
VII. Sur les frais irrépétibles et les dépens
721.[O] [A] et Mme [AF] demandent le versement de la somme de 482 162,05 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
722.M. [K] ne forme pas de demande au titre des frais irrépétibles et dépens.
723.Les requérants succombant en leur recours, il y a lieu de rejeter leurs demandes et de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
REJETTE les incidents ;
Sur les recours formés contre la décision n° 6 de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021, à titre principal, par la société [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K] :
DÉCLARE irrecevable le moyen pris de la déloyauté de la procédure soulevé par la société [O] [A] et Mme [T] [AF] ;
DÉCLARE irrecevable le moyen pris du caractère public de l'information privilégiée du 14 mars 2015 ;
DÉCLARE irrecevable la demande d'annulation de tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation des pièces obtenues, le 25 avril 2017, auprès de Mme [AF], et en particulier, le rapport d'enquête et la notification de griefs adressée le 14 octobre 2019 à [O] [A] et Mme [AF] ;
DIT n'y avoir lieu à transmettre de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
REJETTE les recours formés contre la décision n° 6 de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021, à titre principal, par la société [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K], sauf en ce qui concerne la sanction prononcée par la Commission des sanctions à l'encontre de la société [O] [A] ;
RÉFORME partiellement la décision en ce qui concerne le montant de la sanction infligée à la société [O] [A] ;
INFLIGE à la société [O] [A] une sanction de 9,920 millions d'euros (neuf millions neuf cent vingt mille euros) pour manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation d'une information privilégiée et manquement à l'obligation de déclaration d'opérations ;
Sur le recours formé par le président de l'Autorité des marchés financiers :
Le REJETTE ;
Sur les autres demandes formées par Mme [AF] et la société [O] [A] :
DÉCLARE irrecevable la demande de la société [O] [A] à hauteur de 100 000 euros dirigée contre l'auteur du recours incident puis contre l'Autorité des marchés financiers ;
DÉCLARE recevable mais mal fondée la demande reconventionnelle de la société [O] [A] et de Mme [T] [AF] fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande présentée par la société [O] [A] et Mme [T] [AF] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER,
Valentin HALLOT
LA PRÉSIDENTE,
Françoise JOLLEC
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2025
(n° 16, 84 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 21/11889 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD53H
Décision déférée à la Cour: Décision n° 6 (Procédure n° 19-10) de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021
REQUÉRANTES ET DÉFENDERESSES AU RECOURS INCIDENT :
Société [O] [A]
Prise en la personne de sa Présidente Directrice Générale, Madame [T] [AF]
Immatriculée au registe du commerce de MEKNES sous le n° 17 893
Dont le siège social est sis [Adresse 9] (MAROC)
Élisant domicile domicile au cabinet de la SELARL P.D.G.B.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparant en la personne de Mme [T] [AF], Présidente Directrice Générale,
Ayant pour avocat postulant Me Benoît DESCOURS de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS
Assistée de Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
Ayant pour autre avocat plaidant Me Léon DEL FORNO du cabinet Temime, avocat au barreau de Paris
Mme [T] [AF]
Née le 08 novembre 1955 à [Localité 8] (MAROC)
Demeurant au [Adresse 6] (MAROC)
Élisant domicile au cabinet de la SELARL P.D.G.B.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparante
Ayant pour avocat postulant Me Benoît DESCOURS de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS
Assistée de Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
Ayant pour autre avocat plaidant Me Léon DEL FORNO du cabinet Temime, avocat au barreau de Paris
REQUÉRANT :
M. [PB] [K]
Né le 25 mars 1968
Élisant domicile au cabinet de la SELARL P.D.G.B.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Ayant pour avocat postulant Me Benoît DESCOURS de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS
Assisté de Me Frank MARTIN LAPRADE de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04
Ayant pour autre avocat plaidant Me Léon DEL FORNO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1537
REQUÉRANT INCIDENT
LE PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
En la personne de M. [M] [G] auquel a succédé dans la fonction Mme [Z] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Mesdames [F] [N], [H] [E] et [I] [U] dûment mandatées
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de sa présidente
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Mesdames [F] [N], [H] [E] et [I] [U] dûment mandatées
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 décembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
' Madame Françoise JOLLEC, présidente de chambre, présidente,
' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,
' M. Gildas BARBIER, président de chambre, chargé du rapport,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : M. Valentin HALLOT
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale
ARRÊT PUBLIC :
' contradictoire,
' prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.,
' signé par Mme Françoise JOLLEC, présidente de chambre et par M. Valentin HALLOT, greffier à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.
Vu la décision n° 6 de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021 ;
Vu les déclarations de recours déposées au greffe le 29 juin 2021 par la société [O] [A], par Mme [T] [AF] et par M. [PB] [K] ;
Vu les exposés des moyens déposés au greffe le 13 juillet 2021 par la société [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K] ;
Vu la déclaration de recours incident déposée au greffe le 30 août 2021 et le mémoire subséquent déposé le même jour par le président de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 28 mars 2022 par [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K] par lesquelles elles demandent à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de la Cour de cassation ;
Vu les conclusions déposées au greffe le 18 avril 2023 par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] ;
Vu les observations déposées au greffe le 11 septembre 2023 par l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe le 11 septembre 2023 par la présidente de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les mémoires complémentaires déposés au greffe le 4 décembre 2023 par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] ;
Vu les observations complémentaires déposées au greffe le 12 février 2024 par l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le mémoire n° 3 déposé au greffe le 12 février 2024 par la présidente de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 27 février 2024 par [O] [A] et Mme [AF] par lesquelles elles demandent à la Cour de tenir une audience préliminaire et d'enjoindre l'Autorité des marchés financiers à compléter ses observations ;
Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 6 décembre 2024 par [O] [A] et Mme [AF] par lesquelles elles demandent à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue d'une procédure pénale ;
Vu l'avis du Ministère public en date du 5 décembre 2024 régulièrement communiqué le même jour aux parties ;
Vu les observations en réponse sur la demande de sursis à statuer déposées le 11 décembre 2024 par l'Autorité des marchés financiers ;
Après avoir entendu à l'audience du 12 décembre 2024 le conseil de [O] [A], Mme [AF] et M. [K], qui ont été en mesure de répliquer, le représentant de l'Autorité de marchés financiers et de son président.
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE
§ 1
I. LE CONTEXTE : LA MONTÉE DE [O] [A] AU CAPITAL DE MBWS
§ 1
II. CHRONOLOGIE DES FAITS
§ 12
III. LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE
§ 34
IV. L'ENQUÊTE ET LES NOTIFICATIONS DE GRIEFS DU 20 JUIN 2019
§ 45
V. LA DÉCISION DE L'AMF DU 28 AVRIL 2021
§ 50
VI. LA PROCÉDURE DE SURSIS À EXÉCUTION
§ 54
VII. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
§ 56
MOTIVATION
§ 66
I. SUR LES INCIDENTS
§ 66
II. SUR LE RECOURS DE [O] [A] ET MME [AF] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
§ 77
A. Sur les moyens de procédure développés par [O] [A] et Mme [AF]
§ 77
1. Sur la requête du secrétaire général de l'AMF du 19 avril 2017
§ 77
2. Sur le rapport d'enquête
§ 89
3. Sur la notification de griefs
§ 115
4. Sur le rapport de M. [D] du 30 juillet 2020
§ 132
5. Sur la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021
§ 155
6. Sur la décision de la Commission des sanctions
§ 178
7. Sur les moyens contenus dans le mémoire du 4 décembre 2023
§ 186
a. Remarques préliminaires de la Cour sur l'interprétation de ce mémoire
§ 186
b. Sur le moyen pris de la déloyauté de la procédure
§ 190
c. Sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
§ 198
B. Sur les moyens de fond développés par [O] [A] et Mme [AF]
§ 261
1. Sur le caractère privilégié de l'information du 14 mars 2015 relative à l'EBITDA 2014
§ 261
2. Sur le caractère discrétionnaire du mandat du 3 octobre 2014
§ 311
3. Sur l'utilisation par Mme [AF] de l'information du 14 mars 2015
§ 340
4. Sur l'imputabilité du manquement à [O] [A]
§ 373
5. Sur l'invocation par [O] [A] d'un comportement légitime
§ 394
6. Sur le défaut de déclaration d'opérations par [O] [A]
§ 409
III. SUR LE RECOURS DU PRÉSIDENT DE L'AMF CONTRE [O] [A] ET MME [AF]
§ 441
A. Sur la recevabilité du recours incident
§ 441
B. Sur le bien-fondé du recours incident
§ 452
IV. SUR LE RECOURS DE M. [K] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
§ 503
A. Sur les moyens de procédure proposés par M. [K]
§ 503
1. Sur la visite sur pouvoirs propres du 25 avril 2017 auprès de BD&P
§ 503
2. Sur le rapport d'enquête
§ 510
3. Sur la décision du Collège d'ouvrir une procédure de sanction à l'encontre de M. [K]
§ 521
4. Sur le rapport de M. [D]
§ 533
5. Sur le moyen contenu dans le mémoire de M. [K] du 4 décembre 2023
§ 538
a. Remarques préliminaires sur l'interprétation de ce mémoire
§ 538
b. Sur l'erreur commise par l'AMF pour se procurer certaines pièces
. § 542
c. Sur les erreurs de fait de l'AMF au stade de la poursuite
§ 546
d. Sur les erreurs de droit afférentes à la qualité d'initié primaire ou secondaire de M. [K]
§ 556
e. Sur les erreurs d'appréciation
§ 561
f. Conclusion sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
§ 565
B. Sur les moyens de fond proposés par M. [K]
§ 567
1. Sur le caractère privilégié de l'information détenue par M. [K]
§ 567
2. Sur la connaissance par M. [K] du caractère privilégié de l'information
§ 591
3. Sur la relation entre l'information et les recommandations d'achat
§ 609
V. SUR LES SANCTIONS
§ 633
A. Sanction de [O] [A]
§ 633
B. Sanction de Mme [AF]
§ 650
C. Sanction de M. [K]
§ 667
VI. SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE [O] [A] ET MME [AF]
§ 680
A. Sur la demande à hauteur de 100 000 euros dirigée contre l'auteur du recours incident puis contre l'AMF
§ 680
B. Sur la demande pour abus du droit d'agir à hauteur de 5 millions d'euros dirigée contre l'auteur du recours incident et l'AMF
§ 700
VII. Sur les frais irrépétibles et les dépens
§ 721
PAR CES MOTIFS
§ 721
FAITS ET PROCÉDURE
I. LE CONTEXTE : LA MONTÉE DE [O] [A] AU CAPITAL DE MBWS
1.Le Groupe Marie Brizard Wine & Spirits (ci-après « MBWS ») ' anciennement dénommé Groupe [Localité 5] ' est un groupe créé en 1991, spécialisé dans les vins et spiritueux, implanté principalement en Europe et aux États-Unis. La société anonyme du même nom est cotée sur Euronext Paris depuis 1997.
2.Le groupe MBWS a connu de graves difficultés au cours des années 2008-2014. Il a été placé en procédure de sauvegarde en 2008 puis en procédure de redressement judiciaire en 2012. En 2013, une émission massive d'actions nouvelles a permis de convertir une large partie de sa dette en actions, ce qui a abouti à la dilution des actionnaires historiques, puis à une très forte baisse du cours de l'action (pièce 2, dossier [O] [A], article du Revenu, 20 juillet 2014).
3.Les années 2014-15 étaient dans ce contexte une période charnière pour le redressement du groupe. Le directeur général de MBWS était à l'époque M. [V] [J].
4.Au 31 décembre 2014, MBWS disposait d'un capital social de 26 486 482 actions et avait procédé à plusieurs émissions de bons de souscriptions d'actions (ci-après « BSA »), de différentes natures (BSA 2004, BSA 2006, BSA Actionnaire 1, BSA Actionnaire 2, BSA OS).
5.La société [O] [A] (ci-après, « [O] [A] ») est une société anonyme de droit marocain, au capital de 60 millions MAD, dont le siège social se trouve à [Localité 7], au Maroc. [O] [A] se décrit comme « le vaisseau amiral du groupe familial [AF], premier groupe viticole marocain, situé au 7ème rang des groupes les plus importants du Maroc, opérant majoritairement dans l'agro-industrie, avec plus de 8 000 hectares de terres à vocation agricole et totalisant plus de 6 500 emplois directs » (cf, sa plainte avec constitution de partie civile du 5 décembre 2024). [O] [A] détenait 13.40 % du capital de [Localité 5] au 3 octobre 2014 (pièce 4 de [O] [A], page 2).
6.La PDG de [O] [A] depuis 2013 est Mme [T] [AF] (ci-après, « Mme [AF] »), de nationalité franco-marocaine. Mme [AF] réside au Maroc.
7.C'est dans le contexte des difficultés financières rencontrées par MBWS, sans actionnaire de référence et dont le conseil était composé d'administrateurs indépendants, que [O] [A] a décidé en juillet 2014 de prendre une participation de 15 % dans le capital de MBWS (rapport d'enquête de l'AMF n° 2015-36 du 6 juin 2019, cote R0002, ci-après, « le rapport d'enquête »).
8.[O] [A] a franchi à la hausse le seuil de 5 % du capital et des droits de vote de MBWS le 4 septembre 2014. Lors de l'assemblée générale de MBWS du 16 septembre 2014, Mme [AF] a été nommée administratrice de ladite société.
9.Le 29 septembre 2014, [O] [A] a franchi à la hausse le seuil de 10 % du capital et des droits de vote de MBWS.
10.Monsieur [PB] [K] (ci-après, « M. [K] »), qui était représentant et expert de [O] [A], a été désigné le 24 octobre 2014 comme invité permanent sans voix délibérative au conseil d'administration et au comité d'audit de MBWS.
11.[O] [A] a franchi à la hausse le seuil de 15 % de détention du capital de MBWS le 26 mars 2015 et détenait 17,37 % du capital le 1er avril 2015.
II. CHRONOLOGIE DES FAITS
Faits en rapport avec l'acquisition d'actions et bons de souscription par [O] [A] entre le 16 mars et le 1er avril 2015
12.Le 3 octobre 2014, [O] [A], représentée par Mme [AF], a donné mandat à la société Alterfi, représentée par M. [S] [P], de procéder à l'acquisition d'actions de la société [Localité 5] pour un montant maximal de 15 millions d'euros et de bons de souscription de la même société dans la limite de 1 M euro (pièce 4, [O] [A]).
13.Par un communiqué de presse du 15 octobre 2014, MBWS a annoncé (même pièce, page 4) que :
« l'EBITDA de [Localité 5] est positif et atteint 1.9 M€ au 1er semestre 2014 » (pièce n° 5, [O] [A], communiqué de presse, page 2),
« la mise en 'uvre de l'ensemble de ces chantiers [restructuration du groupe] devrait permettre à [Localité 5] d'enregistrer au second semestre un EBITDA au moins équivalent à celui du premier semestre », « l'EBITDA annuel 2014 (') devrait être en retrait en comparaison de celui de l'exercice 2013 » [qui était de 10,6 M euros].
14.Le 13 février 2015, MBWS a publié un communiqué de presse (rapport d'enquête, R0016, et annexe 3.4 du rapport) indiquant :
« (') À la lumière des premières estimations disponibles, [Localité 5] confirme son double objectif de rentabilité en 2014 :
Un EBITDA au second semestre 2014 au moins égal à celui du premier semestre 2014 (1,9 M€)
Un résultat opérationnel courant positif, hors provision pour dépréciation non récurrente sur stocks et créances clients »
15.Le samedi 14 mars 2015, M. [J], directeur général de MBWS, a indiqué par courriel aux administrateurs, dont Mme [AF] :
« ['] je partage avec vous les premiers résultats consolidés à date reçus de vendredi. Il s'agit de résultats suffisamment proche[s] du résultat final pour que je puisse les partager avec vous, d'autant que les indicateurs sont positifs : / Au 31 décembre 2014 à date : / - EBITDA ; 5,7 MEUR ['] » (rapport d'enquête, R0016, et annexe 4.1 du rapport).
16.Entre le 16 mars et le 1er avril 2015, [O] [A] a acquis 1 050 000 actions MBWS, soit 3,96 % du capital de la société, ainsi des bons de souscription d'action (rapport d'enquête, R 0019).
17.Le 12 mai 2015, MBWS a publié ses résultats annuels au titre de l'année 2014 et a précisé que son EBITDA était de 5,2 millions d'euros (rapport d'enquête, annexe 3.6).
Faits en rapport avec la déclaration d'opérations réalisées sur le titre MBWS
18.[O] [A] n'a pas déclaré à l'AMF les opérations réalisées sur le titre MBWS entre le 16 septembre 2014 et le 11 octobre 2016.
Faits en rapport avec l'acquisition d'actions par la société DF [A] le 13 mai 2015
19.[O] [A] a cherché un partenaire susceptible de lui permettre, dans le cadre d'une action de concert, de prendre le contrôle de MBWS. A cette fin, Mme [AF] a pris l'attache de M. [W] [C] au début du mois de janvier 2015. M. [W] [C] est le dirigeant du groupe [C], qui est un groupe français de premier plan dans le domaine du vin ainsi que dans le secteur de la bière et des boissons gazeuses. La société DF [A] (ci-après, « DFH ») appartient à ce groupe (rapport d'enquête, R0005).
20.Le 27 mars 2015, DFH a mandaté Alterfi pour gérer l'acquisition d'actions et bons de souscriptions de la société [Localité 5], précisant consacrer à ces opérations une somme maximale de 30 millions d'euros, dont un million d'euros pour l'acquisition de BSA. Le cours moyen d'acquisition de l'action ne devait pas dépasser 13,80 € (article 3 du mandat, annexe 10.1 ; rapport, cote R0064).
21.M. [K] est intervenu au cours du mois de mai 2015 dans l'acquisition par DFH d'un bloc de 1 500 000 actions auprès du fonds américain KKR Credit Advisors (ci-après, « KKR ») (rapport d'enquête, cotes R 0005 et R 0069 et suivantes).
22.Le 7 mai 2015, le directeur financier de MBWS a communiqué, en pièce jointe à un courriel adressé ce jour aux membres du comité d'audit de MBWS, dont M. [K], des slides indiquant que l'EBITDA pour l'exercice 2024 s'élevait à 5,2 M euros contre 10,6 M euros pour l'exercice précédent et que les dettes financières nettes au bilan s'élevaient à - 19 127 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2013 et à - 41 549 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2014 (rapport d'enquête, R 0068 et annexe 4.28 au rapport, slides n° 7 et 17).
23.Il en résultait un écart de + 22,4 millions d'euros, ce qui faisait ressortir que la situation financière de MBWS était en nette voie d'amélioration.
24.Le 11 mai 2015, M. [K] a participé à une réunion dans les locaux du groupe [C], avec les représentants de DFH.
25.Le 12 mai 2015, DFH a décidé d'investir dans MBWS.
26.Le même jour, après la clôture des marchés, MBWS a publié un communiqué de presse indiquant que l'EBITDA pour l'année 2014 était de 5,2 millions d'euros et que « la trésorerie nette, largement positive, est en augmentation de +22,4 M€ et s'élève à 41,5 M€ au 31 décembre 2014 » (annexe 3.6 au rapport d'enquête, communiqué de presse du 12 mai 2005, pages 1 et 3).
27.Le 13 mai 2015, à l'ouverture des marchés, DFH a acquis 1 500 000 actions MBWS mises en vente par KKR au prix de 16,80 euros.
28.DFH a ce faisant franchi à la hausse le seuil de 5 % du capital et des droits de vote de MBWS. [O] [A] et DFH ont alors déclaré agir de concert vis-à-vis de MBWS. Le 30 juin 2015, DFH a été nommée au conseil d'administration de MBWS.
Faits en rapport avec l'acquisition de bons de souscription par [O] [A] le 19 novembre 2015
29.MBWS a informé le marché le 16 décembre 2014 de son plan stratégique dénommé « Back in the Game 2018 » (ci-après « BIG 2018 »), visant à atteindre un chiffre d'affaires compris entre 420 et 460 millions d'euros et un EBITDA compris entre 50 et 70 millions d'euros pour l'année 2018 (dossier de l'Autorité des marchés financiers, ci-après « l'AMF », rapport d'enquête, annexe 3.2).
30.En juin 2015, [O] [A] a conçu un projet d'OPE portant sur les BSA qui présentait un caractère relutif. D'abord, en contrepartie de l'apport des BSA historiques à l'OPE, les porteurs recevraient un nouveau BSA. Ensuite, en cas d'exercice par anticipation, avant le 31 mars 2016, de ce nouveau BSA, les porteurs avaient vocation à recevoir gratuitement, en plus de l'action nouvelle, un nouveau BSA dont la maturité était fixée au 31 décembre 2023 (rapport d'enquête, R0007, note de bas de page n° 15, et annexe 5.2, « Assemblée générale extraordinaire du 5 janvier 2016 », page 2, « résumé de la transaction »).
31.Les administrateurs de MBWS, dont Mme [AF], ont eu connaissance lors du conseil d'administration du 3 novembre 2015, puis à nouveau lors de celui du 18 novembre 2015, de données financières chiffrées témoignant de l'actualisation du plan BIG 2018 : le chiffre d'affaires était alors estimé à 488,6 millions d'euros et l'EBIDTA à 73,2 millions d'euros (pièces 16, 17 et 24 du dossier du président de l'AMF).
32.Le 19 novembre 2015, [O] [A] a vendu 40 000 actions MBWS et acquis 1 000 000 de BSA OS de MBWS.
33.Le 23 novembre 2015, MBWS a publié un communiqué de presse portant sur l'actualisation du plan BIG 2018, confirmant à la hausse les objectifs financiers pour 2018 et mentionnant un chiffre d'affaires compris entre 450 et 500 millions d'euros et un EBITDA compris entre 67 et 75 millions d'euros pour l'année 2018 (pièce 9 du dossier du président de l'AMF ; annexe 3.9 du rapport d'enquête).
III. LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE
34.Par ordonnance du 19 avril 2017, le juge des libertés et de la détention (ci-après, le « JLD ») du tribunal de grande instance de Créteil a autorisé les enquêteurs à effectuer une visite domiciliaire au siège de MBWS, à l'occasion du prochain conseil d'administration de la société annoncé comme devant se tenir le 25 avril 2017 et en tant que besoin, aux lieux de résidence temporaire de Mme [AF] et M. [K] ainsi que dans tous locaux sis dans le ressort du tribunal de Créteil occupés par MBWS dont l'existence serait révélée au cours des opérations.
35.Le JLD a autorisé les enquêteurs de l'AMF à procéder à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité et susceptible de caractériser la communication et/ou l'utilisation d'une information privilégiée, et ce, quels qu'en soient la nature et le support, y compris les ordinateurs portables et téléphones mobiles des représentants de [O] [A] au conseil d'administration de MBWS (Mme [AF] et M. [K]) (cf, cotes D 550 à D 561 du dossier de l'AMF).
36.Le 25 avril 2017, une visite domiciliaire a été menée au siège de MBWS, suivie de saisies, dont le téléphone portable de Mme [AF] qui donnait accès à ses messageries.
37.Le 5 mai 2017, une visite « sur pouvoirs propres » a été réalisée dans les locaux de la société BD&P (ci-après, « BD&P »), l'agence de communication prestataire de [O] [A], également suivie de la saisie de courriels.
38.Mme [AF] a relevé appel de l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017 et a exercé un recours en annulation des opérations de visite et saisie (ci-après, « OVS »). [O] [A] est intervenue volontairement à l'instance, à titre accessoire.
39.Par une ordonnance n° 39 du 4 avril 2018, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du JLD en toutes ses dispositions et a déclaré régulières les OVS réalisées le 25 avril 2017.
40.[O] [A] et Mme [AF] ayant formé un pourvoi à l'encontre de ladite ordonnance, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 14 octobre 2020 (n° 18-15.840), a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance du délégué du premier président de la cour d'appel de Paris.
41.La séance de la commission des sanctions de l'AMF s'est tenue le 26 mars 2021, date à laquelle la régularité des saisies était obérée. Elle a rendu sa décision (ci-après, « la décision attaquée ») le 28 avril 2021.
42.Par une ordonnance n° 64 en date du 20 octobre 2021, statuant sur renvoi après cassation, le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017.
43.L'assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Mme [AF] à l'encontre de cette ordonnance par un arrêt du 16 décembre 2022 (n° 21-23.719, publié), étant précisé que [O] [A] était intervenue volontairement devant la Cour.
44.Au mois d'avril 2023, Mme [AF] a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après « CEDH ») d'une requête sur le fondement de la violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après, « CSDH »). Par arrêt du 23 novembre 2023, la CEDH déclaré la requête irrecevable.
IV. L'ENQUÊTE ET LES NOTIFICATIONS DE GRIEFS DU 20 JUIN 2019
45.La direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a établi le rapport d'enquête, daté du 6 juin 2019.
46.Par décision du 20 juin 2019, le collège de l'AMF a notifié des griefs à [O] [A] (dossier de l'AMF, chemise 14, cotes 1657 et suivantes), Mme [AF] (cotes 1672 et suivantes), M. [K] (cotes 1687 et suivantes), notamment.
47.Aux termes de ces griefs, il était notamment reproché à :
' [O] [A] :
' un manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015, ressortant de l'acquisition par elle, entre le 16 mars et le 1er avril 2015, en solde net, de 1.050.000 actions MBWS et 30.000 BSA Actionnaire 2, et ce en violation des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l'AMF (ci-après, « RGAMF ») ;
' un manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS, ressortant de l'acquisition par [O] [A], le 19 novembre 2015, de 1.000.000 BSA OS, en violation des mêmes articles ; et
' un manquement, « en tant que personne liée à Mme [AF] », à l'obligation de déclaration des opérations réalisées sur les titres MBWS à compter du 16 septembre 2014, en violation des articles L. 621-18-2 du code monétaire et financier (ci-après, « le CMF ») et 223-22 du RGAMF.
' Mme [AF] :
' un manquement a l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 ressortant de l'acquisition par [O] [A], entre le 16 mars et le 1er avril 2015, en solde net, de 1 050 000 actions MBWS et 30 000 BSA Actionnaire 2.
' un manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS ressortant de l'acquisition par [O] [A], le 19 novembre 2015, de 1 000 000 BSA OS.
' M. [K] :
' un manquement à l'obligation d'abstention de communication à DF [A] de l'information privilégiée relative au dépassement par MWBS de l'objectif d'EBITDA annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2 millions d'euros) et au renforcement de sa structure financière (trésorerie nette en augmentation de +22,4 millions d'euros par rapport au 31 décembre 2013), ressortant des comptes consolidés 2014 validés par le comité d'audit du 7 mai 2015 ou, à tout le moins, un manquement a l'obligation d'abstention de recommandation a DFH sur la base de cette même information, toutes obligations prévues par les articles 622-1 et 622-2 du RGAMF.
48.La décision du Collège de notifier des griefs a fait l'objet de recours en annulation par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] devant la présente Cour. Par arrêt du 9 juillet 2020, la cour d'appel a déclaré lesdits recours irrecevables (CA Paris, 9 juillet 2020, RG n° 19/19061, auquel sont jointes les arrêts 19/19067 et 19/19069).
49.Par décision du 23 octobre 2019, la présidente de la Commission des sanctions a désigné M. [D] en qualité de rapporteur. Celui-ci a déposé son rapport le 30 juillet 2020 (ci-après, « le rapport de M. [D] », cotes D 2504 à D 2589).
V. LA DÉCISION DE L'AMF DU 28 AVRIL 2021
50.Par la décision attaquée, la Commission des sanctions de l'AMF a déclaré établis :
' à l'encontre de [O] [A], un manquement d'initié, commis du 16 mars au 1er avril 2015, et un manquement à l'obligation déclarative des opérations réalisées sur le titre MBWS, entre le 16 septembre 2014 et le 11 octobre 2016 ;
' à l'encontre de Mme [AF], un manquement d'initié, commis du 16 mars au 1er avril 2015 ;
' à l'encontre de M. [K], un manquement à l'obligation d'abstention de recommandation sur la base d'une information privilégiée, commis le 11 mai 2015.
51.Elle a prononcé à l'encontre de la société [O] [A], de Mme [AF] et de M. [K], respectivement, des amendes de 10 millions, 6 millions et 2 millions d'euros.
52.Elle a également décidé que certains manquements qui leur étaient reprochés, en rapport avec le plan BIG 2018, n'étaient pas établis.
53.Elle a ordonné la publication de la décision.
VI. LA PROCÉDURE DE SURSIS À EXÉCUTION
54.Par ordonnance du 3 novembre 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris a ordonné le sursis à exécution de la décision de la Commission des sanctions concernant Mme [AF] et M. [K] jusqu'à ce que la cour d'appel statue sur le bien-fondé du recours formé contre cette décision (dossier de [O] [A], pièce 57).
55.Il a rejeté la demande de [O] [A] tendant à la même fin.
VII. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
56.Le 29 juin 2021, [O] [A] et Mme [AF], d'une part, et M. [K], d'autre part, ont chacun formé un recours en annulation à l'encontre de la décision de l'AMF.
57.Par déclaration du 30 août 2021, le président de l'AMF a, après accord du Collège, formé un recours incident contre ladite décision, dirigé contre [O] [A] et Mme [AF].
58.Il résulte de leurs différents mémoires, dont aucun n'est récapitulatif, que [O] [A] et Mme [AF] demandent à la Cour d'annuler :
' la procédure administrative conduite par l'AMF à leur encontre ;
' tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation des pièces irrégulièrement obtenues, le 25 avril 2017, auprès de Mme [AF], et en particulier, le rapport d'enquête et la notification de griefs adressée le 14 octobre 2019 à [O] [A] et Mme [AF] ;
' les actes préparatoires de la décision de la commission des sanctions de l'AMF qui sont illicites, et en particulier : la décision du collège de l'AMF en date du 20 juin 2019 relative à l'ouverture d'une procédure de sanction à l'encontre de [O] [A] et Mme [AF] ; le rapport de M. [D] en date du 30 juillet 2020 ; l'audience du 26 mars 2021 devant la Commission des sanctions de l'AMF ;
' la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021.
59.À défaut, elles demandent à la Cour de réformer la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021, qui a prononcé une sanction à l'encontre de [O] [A] et Mme [AF], en les condamnant solidairement à une amende d'un (1) euro symbolique.
60.À titre infiniment subsidiaire, les requérantes demandent à la Cour :
' de condamner l'auteur du recours incident à indemniser [O] [A] à hauteur de 100 000 euros
et en tout état de cause :
' de rejeter le recours formé à titre incident par le président de l'AMF ;
' de condamner solidairement, à titre reconventionnel, l'auteur du recours incident et l'Autorité des Marchés Financiers, à verser à [O] [A] et Mme [AF], la somme globale de 5 millions d'euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
' d'ordonner la publication de son arrêt sur le site de l'Autorité des marchés financiers selon les mêmes formes que celles utilisées pour publier la décision de la Commission des sanctions,
' d'ordonner le versement de la somme de 482 162,05 euros à [O] [A] et Mme [AF] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
61.Aux termes de ses dernières écritures, la présidente de l'AMF demande à la Cour de :
' dire recevable son recours incident ;
' réformer la décision entreprise en tant qu'elle a écarté le manquement tiré de l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 et s'agissant du quantum des amendes ;
' prononcer une sanction pécuniaire de 17 millions d'euros à l'encontre de [O] [A] et de 7,5 millions d'euros à l'encontre de Mme [AF] ;
' juger irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de condamnation de l'AMF à payer à [O] [A] et à Mme [AF] une indemnité de 100 000 euros ;
' juger irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de condamnation de l'AMF à leur payer une somme de 5 millions d'euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
' juger irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande formée par [O] [A] et Mme [AF] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
62.M. [K] demande à la Cour, aux termes de ses différents mémoires, dont aucun n'est récapitulatif, d'annuler :
' tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation des pièces irrégulièrement obtenues le 25 avril 2017 auprès de Madame [AF], et en particulier : la remise volontaire de documents sollicitée le 5 mai 2017 auprès de la société BD&P ; la notification de griefs adressée le 14 octobre 2019 à M. [K] ;
' les actes préparatoires de la décision de la commission des sanctions de l'AMF qui sont illicites, et en particulier : la décision du Collège de l'Autorité des marchés financiers en date du 20 juin 2019 relative à l'ouverture d'une procédure de sanction à l'encontre de M. [K] ; le rapport de Monsieur [D] en date du 30 juillet 2020 ;
' la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021, qui a prononcé une sanction à l'encontre de M. [K],
63.À défaut, il demande à la Cour de réformer la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021, qui a prononcé une sanction à l'encontre de M. [K] en le condamnant à une amende d'un (1) euro symbolique.
64.Aux termes de ses observations, l'AMF considère que les recours formés par [O] [A], Mme [AF] et M. [K] contre la décision de la Commission des sanctions du 28 avril 2021 doivent être rejetés, sans préjudice du recours incident formé par son président contre cette même décision.
65.Le ministère public invite la Cour à :
' rejeter les recours formés par [O] [A] et Mme [AF] et M. [K] ;
' déclarer recevable le recours incident de la présidente de l'AMF ;
' réformer la décision attaquée en ce qu'elle a écarté le manquement tiré de l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS notifié à [O] [A] et Mme [AF], et juger que ce manquement est caractérisé ;
' réformer en conséquence à la hausse le quantum des sanctions prononcées à l'encontre de la société [O] [A] et de Mme [AF] ;
' déclarer irrecevables les demandes de condamnation de l'AMF à payer à [O] [A] SA et à Mme [AF] une indemnité de 100 000 euros et une somme de 5 millions d'euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I. SUR LES INCIDENTS
' Sur l'incident du 28 mars 2022
66.Par conclusions d'incident déposées au greffe le 28 mars 2022, [O] [A] et Mme [AF] ont demandé à la Cour de surseoir à statuer
« dans l'attente de la décision de la Cour de cassation (pourvoi n° R 21-23.685) à intervenir à l'encontre de l'ordonnance du Premier président de la Cour d'appel de Paris rendue le 20 octobre 2021 (RG n° 20/16012) et ce, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ».
Sur ce, la Cour :
67.L'assemblée plénière de la Cour de cassation ayant, par un arrêt du 16 décembre 2022, n° 21-23.719, rejeté le pourvoi formé par [O] [A] et Mme [AF] contre cette ordonnance, la demande de sursis à statuer est devenue sans objet.
' Sur l'incident du 27 février 2024
68.Par conclusions d'incident déposées au greffe le 27 février 2024, [O] [A] et Mme [AF] ont demandé à la Cour de :
« TENIR une audience préliminaire consacrée à la question de la régularité des pièces, en particulier le courriel d'Alterfi en date du 16 mars 2015, sur lesquelles se sont fondées les poursuites et la décision de sanction ;
ENJOINDRE à l'AMF de compléter ses observations, pour éclaircir les points qui demeurent obscurs et exposer ses propres arguments en faveur de la régularité de la partie de la décision qui est attaquée par le recours incident de son président » ;
69.Le même jour, l'AMF s'est opposée à ces demandes devant le magistrat délégué du Premier président.
70.Le magistrat a pris une ordonnance, d'une part, fixant la date de plaidoiries au 12 décembre 2024 et, d'autre part, précisant que l'incident soulevé par les requérantes était joint au principal.
Sur ce, la Cour :
71.Cet incident ayant été joint au fond par le délégué du premier président et les observations écrites de l'AMF étant suffisamment développées, ces demandes ne peuvent qu'être rejetées.
' Sur l'incident du 6 décembre 2024
72.Par conclusions déposées au greffe le 6 décembre 2024, quelques jours avant l'audience de plaidoirie, [O] [A] et Mme [AF] ont demandé à la Cour de surseoir à statuer
« dans l'attente de l'issue de la procédure pénale qui sera ouverte devant le tribunal judiciaire de Paris, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 5 décembre 2024 » ;
73.[O] [A] et Mme [AF] exposent avoir déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile pour crime de faux en écriture publique et pour crime d'usage de faux en écriture publique, à l'encontre de l'AMF, ainsi que de toute personne ayant participé à la commission des faits objets de ladite plainte.Elles font valoir que le sursis peut être ordonné dès lors que la décision du juge pénal est susceptible d'exercer directement ou indirectement une influence sur la solution du procès civil en application du troisième alinéa de l'article 4 du code de procédure pénale, et qu'en l'espèce, la condamnation pénale de l'AMF conduirait à remettre en cause la légalité de la décision à l'encontre de laquelle un recours a été formé.
74.Par observations déposées le 11 décembre 2024, la Présidente de l'AMF, en sa qualité de partie à la présente instance, ainsi que l'AMF, en sa qualité d'observant, s'opposent à cette demande de sursis.
Sur ce, la Cour :
75.Le troisième alinéa de l'article 4 du code de procédure pénale dispose que « [l]a mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil. ».
76.Cette demande, qui tend à postuler le contraire et méconnaît en outre les exigences du délai raisonnable découlant de l'article 6 de la CSDH, n'est pas fondée.
II. SUR LE RECOURS DE [O] [A] ET MME [AF] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
A. Sur les moyens de procédure développés par [O] [A] et Mme [AF]
1. Sur la requête du secrétaire général de l'AMF du 19 avril 2017
77.Dans la décision attaquée (§ 107 et 108), l'AMF indique qu'il n'appartient pas à la Commission des sanctions de se prononcer sur le moyen tiré de l'atteinte à la présomption d'innocence qui résulterait de la requête du secrétaire général de l'AMF du 19 avril 2017, aux fins de saisine du JLD, du fait de l'emploi du mode indicatif pour constater la culpabilité de [O] [A]. Elle précise que l'ordonnance du JLD est susceptible d'un recours propre, qui a été mis en 'uvre et qui est toujours pendant.
78.[O] [A] et Mme [AF] exposent que dans sa requête au JLD en date du 19 avril 2017 [pièce 28, requête, page 7], le secrétaire général de l'AMF a porté atteinte à la présomption d'innocence de Mme [AF], en méconnaissance de l'article 6.2 de la CSDH, en utilisant le mode indicatif pour évoquer la prétendue violation par elle de son devoir d'abstention de communiquer une information privilégiée à des tiers au conseil d'administration de MBWS (« [O] [A] détenait, par l'intermédiaire de son PDG, Mme [T] [AF], administratrice de MBWS, l'information privilégiée susvisée »).
79.Les requérantes ajoutent qu'il en est de même à l'égard de [O] [A], puisque le secrétaire général de l'AMF a indiqué à l'indicatif dans cette même requête que « [O] [A] était considérée comme une personne morale liée à Madame [T] [AF] et était, à ce titre, tenue de déclarer toutes les opérations réalisées sur les titres MBWS, en application des articles L 621-18-2 et R 621-43-1 du CMF. (') [O] [A] n'a déclaré aucune transaction (') Ce défaut de déclaration présente une particulière gravité (') ».
80.Dans ses observations, l'AMF expose que la requête dont il est question était soumise au JLD préalablement à toute notification de griefs et à toute poursuite, dans le but d'établir la matérialité d'agissements non prouvés. Elle ne comporte ainsi aucune déclaration de culpabilité et ne peut porter atteinte à la présomption d'innocence.
81.L'AMF relève qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le fait de mentionner des présomptions de manquements visés par la loi pour justifier des visites domiciliaires ne méconnaît ni la présomption d'innocence, ni les droits de la défense.
82.Elle rappelle qu'en tout état de cause, les requérants, qui disposaient d'une voie de recours contre l'ordonnance du JLD, ne sauraient sous couvert d'un tel moyen, pallier leur négligence à l'exercer.
Sur ce, la Cour :
83.L'article 6, § 2 de la CSDH, invoqué par les requérantes, énonce que toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
84.En l'espèce, la requête du secrétaire général de l'AMF (pièce 28 du dossier [O] [A]) comporte plusieurs passages rédigés à l'indicatif, tels que ceux mentionnés par les requérantes :
« [O] [A] détenait, par l'intermédiaire de son PDG, Mme [T] [AF], administratrice de MBWS, l'information privilégiée susvisée ». (page 7)
« [O] [A] était considérée comme une personne morale liée à Madame [T] [AF] et était, à ce titre, tenue de déclarer toutes les opérations réalisées sur les titres MBWS, en application des articles L 621-18-2 et R621-43-1 du CMF ('). (page 15)
(') [O] [A] n'a déclaré aucune transaction au titre de l'article L 621-18-2 du CMF (') Ce défaut de déclaration présente une particulière gravité compte tenu du caractère suspect des opérations susvisées réalisées par [O] [A] en mars 2015 et en novembre 2015 ». (page 15)
85.Comme l'a indiqué de manière pertinente le magistrat délégué du premier président de la cour d'appel, dans son ordonnance n° 64 du 20 octobre 2021 (définitive depuis les arrêts de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022), « dans son ordonnance le JLD emploie le mode indicatif concernant les faits objectifs établis ('le DG de MBWS a communiqué.., DH était représentée au conseil d'administration..., le cours de l'action a clôturé.., DH a acquis...et a vendu..., DH par l'intermédiaire de son PDG madame [AF] détenait l'information...'.), alors que concernant les soupçons d'utilisation d'information privilégiée, le JLD utilise la forme du conditionnel ( 'DH a pu utiliser cette information..., DH a pu transmettre..., les preuves d'une éventuelle commission des infractions ..'), le JLD dans sa rédaction a pris le soin de préciser que 's'ils sont établis, ces faits sont susceptibles de constituer un délit au sens de l'article L 465-1 du CMF' ['] » (page 26).
86.Loin de donner le sentiment que [O] [A] a commis un manquement, qui serait pleinement établi, la requête, qui ne se prononce pas sur le bien-fondé de l'accusation qu'elle contient, précise la matérialité des faits reprochés, la qualification envisagée et le fondement textuel de celle-ci.
87.Au demeurant, et en tout état de cause, la requête du secrétaire général de l'AMF, qui a pour finalité l'obtention par le JLD d'une autorisation de procéder à des OVS, n'emporte ni déclaration de culpabilité ni préjugement.
88.Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
2. Sur le rapport d'enquête
89.Dans la décision attaquée (§ 24), l'AMF a indiqué que les éléments saisis dans le téléphone portable de Mme [AF] le 25 avril 2017, dont la liste figure dans le procès-verbal de constatation du 16 mai 2019 adressé à Mme [AF] (cotes D590 à D592), et qui comprennent les éléments de la chaîne de courriels des 15 et 16 mars 2016 dont l'objet concerne l'« entrée DNCA », devaient être écartés des débats.
90.Elle a ajouté que les éléments de la chaîne de courriels précités ont également été recueillis au cours de la visite sur pouvoirs propres diligentée au siège de l'agence de communication prestataire de [O] [A] le 5 mai 2017 et sont mentionnés sur le procès-verbal de constatation du 16 mai 2019 adressé à cette agence de communication (cotes D73 à D75). Elle a décidé qu'ils devaient être conservés, sans que le fait qu'un exemplaire unique de ces documents soit coté au dossier ait une quelconque incidence.
91.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent que le rapport d'enquête, annexé à la notification de griefs, doit être annulé pour la raison qu'il contient de nombreuses références à des pièces irrégulièrement obtenues par les enquêteurs, le 25 avril 2017, à savoir des courriels adressés à une enquêtrice de l'AMF par Mme [AF] en réponse à une sollicitation qui n'avait pas été précédée d'une renonciation expresse au délai de convocation. Cette nullité vicie l'ensemble de la procédure de sanction et doit entraîner l'annulation de la décision de la Commission des sanctions.
92.Elles expliquent que la nullité qu'elles soulèvent résulte de ce que lors des opérations de visite domiciliaire du 25 avril 2017, Mme [PL], qui était présente mais seulement de passage dans les locaux de MBWS, a fourni aux enquêteurs, sur leur demande, les informations leur permettant de consulter à distance sa messagerie professionnelle, ce qui leur a permis de procéder à la revue de la messagerie par l'utilisation de mots-clés, puis a transféré 113 courriels (cotes D 589 à D 592 dossier AMF) à l'adresse professionnelle d'une enquêtrice. Les documents ainsi transmis n'étaient ainsi pas accessibles depuis les locaux visités et ne s'y trouvaient pas. Dès lors, le consentement de Mme [AF] devait être recueilli et, conformément aux dispositions de l'article L. 621-12 du CMF, son droit de se faire assister du conseil de son choix et la possibilité de renoncer au délai de huit jours prévus en cas de convocation devaient lui être notifiés.
93.Les requérantes précisent enfin que les arrêts de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022, éclairés par le communiqué officiel publié à la suite, n'ont eu pour seul objet que de valider la saisie, à l'exclusion de la régularité des opérations réalisées concomitamment à la visite domiciliaire. Ces arrêts ne sauraient ainsi constituer une validation du transfert des courriels en cause.
94.[O] [A] et Mme [AF] exposent encore, au sujet de la communication par Mme [AF] aux enquêteurs de ses login et mot de passe permettant l'accès à sa messagerie externe et du transfert qui a suivi de 113 courriels en marge des opérations de visite domiciliaire du 25 avril 2017, que ladite communication s'analyse en des explications et déclarations, au sens des articles L. 621-10 à L. 621-12, R 621-34 et R 651-35 du CMF, et suppose le respect des droits de la défense prévus par ces textes. Les requérantes ajoutent que ces textes doivent être interprétés par analogie avec l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et à la lumière de la jurisprudence à laquelle ce texte a donné lieu (Com., 11 mai 2023, pourvoi n° 21-16.900). Elles concluent que ces agissements relèvent d'une déloyauté.
95.Par ailleurs, [O] [A] et Mme [AF] dénoncent le manque de loyauté de l'AMF en ce que le rapport d'enquête ne dit rien du comportement de M. [V] [J], qui s'est avéré être l'informateur de l'AMF, ni de celui des quatre administrateurs indépendants de MBWS qui ont procédé à des acquisitions le 13 mars 2015.
96.Elles reprochent encore au rapport d'enquête de mentionner, de façon erronée, que les fonds issus de l'emprunt de 15 millions d'euros n'auraient été débloqués en trois fois qu'à compter du 15 mars 2015, alors que la première tranche de 5 millions d'euros avait été versée sur le compte Interactive Broker dès le vendredi 13 mars 2015.
97.L'AMF, dans ses observations, expose d'abord que l'arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022 ' qui n'a pas pris position sur la qualité d'occupant des lieux de Mme [AF], considérant que le moyen la contestant était inopérant ' n'a pas validé uniquement la saisie des documents, ordinateurs et téléphones des personnes de passage qui se trouvent dans les lieux visités. En accord avec des jurisprudences antérieures, l'arrêt a autorisé la saisie de documents accessibles sur les lieux visités ou depuis ceux-ci.
98.L'AMF en déduit que les données contenues sur le téléphone portable de Mme [AF] pouvaient être collectées, quand bien même elles étaient stockées sur un serveur étranger. Elle ajoute que le transfert de 113 courriels par Mme [AF] à une enquêtrice de l'AMF constitue une simple modalité alternative de recueil de ces données, qui ne pouvaient matériellement pas être extraites de sa messagerie ; qu'en aucun cas ce transfert ne constitue des « explications » données par Mme [AF] au sens de l'article R. 621-34 du CMF, et, partant, qu'il n'avait pas à être précédé de l'information de Mme [AF] de ses droits mentionnés par ce même texte.
99.Elle relève enfin que la même argumentation, soutenue à hauteur de cassation par [O] [A] et Mme [AF], a fait l'objet d'une non-admission au visa de l'article 1014, alinéa 2 du code de procédure civile (arrêt précité de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022). Elle en conclut que l'ordonnance du magistrat délégué par le Premier président, en date du 20 octobre 2021, est devenue définitive et que l'argumentation développée par les requérantes se heurte à l'autorité de la chose jugée.
100.L'AMF observe encore que les circonstances d'espèce qui ont donné lieu à l'arrêt du 11 mai 2023, que citent les requérantes, sont différentes de celles de la procédure suivie dans le cas présent. En effet, dans l'affaire à laquelle il est fait référence, les agents des impôts ont recueilli des informations (codes d'accès à des comptes et titulaires des comptes) de la part des personnes sur place, et pas seulement des documents.
Sur ce, la Cour :
' Sur la régularité du recueil par l'AMF des courriels en cause
101.Saisi sur renvoi après cassation, à la suite des recours exercés par [O] [A] et Mme [AF] contre l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017, le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris, par une ordonnance n° 64 du 20 octobre 2021, a confirmé l'ordonnance du JLD précitée et s'est prononcé sur la demande des requérantes tendant à l'annulation des opérations de visite et de saisies.
102.Le dispositif de l'ordonnance n° 64 précitée contient le passage suivant : « Déclarons régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 4] et [Adresse 3] ».
103.Par arrêt n° 661 du 16 décembre 2022 (pourvoi n° 21-23.719, publié), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, y compris le troisième moyen.
104.Plus précisément, ce troisième moyen « faisait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et saisies effectuées en date du 25 avril 2017 dans les locaux de la société MBWS [Adresse 4] et [Adresse 3] ; ».
105.Le chef précité de dispositif de l'ordonnance du JLD du 19 avril 2017, devenu irrévocable, est donc revêtu de l'autorité de la chose jugée.
106.Or, devant la présente Cour, les requérantes forment une demande similaire qui tend aux mêmes fins que la demande présentée devant le JLD. Elle est par suite irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée.
107.Ainsi, les courriels communiqués par Mme [AF], dont le courriel « Alterfi » en date du 16 mars 2015, se trouvent régulièrement au dossier d'enquête de l'AMF.
' Sur la déloyauté ressortant du rapport d'enquête
108.La position développée par les requérantes afférente à la déloyauté de l'AMF ressortant du rapport d'enquête, constitue l'un des arguments développés au soutien du moyen plus général pris de la déloyauté de l'AMF, contenu dans le mémoire du 4 décembre 2023 des intéressées.
109.Comme il sera dit ultérieurement (§ 192 du présent arrêt), ce moyen est irrecevable en raison de sa tardiveté.
110.Cette irrecevabilité implique celle de l'ensemble des développements en rapport avec la déloyauté prétendue de l'AMF, en ce compris ceux qui concernent le rapport d'enquête.
' Sur l'inexactitude du rapport de l'enquêteur
111.Le rapport d'enquête (cote 31 du dossier de l'AMF) contient en page 31/210 les passages suivants :
« Sur les raisons pour lesquelles [O] [A] a accéléré ses acquisitions à partir du 16 mars 2015 :
Mme [T] [AF] a indiqué :
' Comme je l'ai déjà expliqué dans ma déclaration préliminaire, la seule raison pour laquelle les achats ont commencé le lundi 16 mars est que les fonds faisant objet du second prêt ont commencé à arriver (en 3 tranches successives comme indiqué sur le relevé d'Interactive Brokers) le vendredi 13 mars. / (') Les 15 millions ont été versés en plusieurs fois. Tout était une question de liquidités. / Une fois que l'argent arrivait, les achats reprenaient.' (note de bas de page 77) ».
112.À la note de bas de page n° 77, il est indiqué : « Ce point est confirmé par les relevés du compte ouvert chez Interactive Brokers : 5 M€ le 13 mars 2015, 5 M€ le 19 mars 2015 et 4,5 M € le 23 mars 2015 » (soulignement ajouté par la Cour)
113.L'allégation des requérantes est donc erronée. Le moyen n'est ainsi pas fondé.
' Conclusion sur le rapport d'enquête
114.Il résulte de ces développements que le moyen pris de la nullité du rapport d'enquête sera rejeté.
3. Sur la notification de griefs
115.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent en premier lieu que la notification de grief, en tant qu'acte de poursuite, ne peut se référer à des pièces annulées. En conséquence, le collège de l'AMF ne pouvait notifier des griefs qui avaient pour support des pièces irrégulièrement obtenues. Tel est le cas, en l'espèce, notamment, de plusieurs courriels en date des 15 et 16 mars 2015, transférés sur sollicitation des enquêteurs en marge des OVS du 25 avril 2017 dans les conditions déjà exposées précédemment (§ 91 du présent arrêt), qui sont nécessaires à la caractérisation des griefs (pièce 6 annexée au procès-verbal du 16 mai 2019, pièce 37 du dossier AMF).
116.Les requérantes ajoutent que les décisions de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 décembre 2022, qui ne portent pas sur cet aspect des OVS, ne permettent pas de régulariser la communication de ces courriels.
117.En deuxième lieu, les requérantes exposent que le Collège a commis une erreur de fait au sujet de la prétendue information privilégiée du 7 mai 2015, en faisant allusion à un « dépassement » des objectifs « annoncés » au marché le 13 février 2015.
118.Elles précisent sur ce point que le communiqué de presse du 13 février 2015 confirmait les perspectives déjà annoncées par le précédent communiqué du 15 octobre 2014 et ne constituait donc pas une annonce et qu'ainsi, la rédaction du communiqué du 12 mai 2015 était fausse, voire trompeuse, ce que les agents de l'AMF auraient dû réaliser. En outre, les objectifs d'EBITDA n'ont pas été dépassés.
119.En troisième lieu, [O] [A] et Mme [AF] font valoir que la notification de griefs contient une erreur de droit en ce qu'elle affirme que « [l]es personnes morales étant réputées détenir les informations privilégiées qui sont en possession de leurs représentants légaux, la société [O] [A], dont vous étiez à l'époque des faits le PDG, était également détentrice ['] par votre intermédiaire, de l'information privilégiée en cause et dès lors tenue l'obligation d'abstention résultant de l'article 622-1 du RGAMF ».
120.Pour l'ensemble de ces raisons, la nullité de la notification de griefs est encourue, la saisine de la Commission des sanctions est illégale, et toute la procédure de sanction suivie devant l'organe de jugement de l'AMF doit être annulée.
121.Dans ses observations, l'AMF renvoie, s'agissant du moyen d'annulation tiré de ce que la notification de griefs se fonderait sur des pièces irrégulièrement obtenues, à ses observations concernant le rapport d'enquête, à l'encontre duquel ce même moyen a été soulevé.
122.S'agissant du moyen d'annulation tiré de ce que la notification de griefs commettrait une erreur de fait en considérant que l'information qualifiée de privilégiée portait sur un « dépassement » des objectifs d'EBITDA, l'AMF indique que quand bien même une telle erreur aurait été commise (quod non), elle n'affecterait pas la validité de la notification de griefs. En effet, celle-ci a pour but unique de notifier les mis en cause de manquements qui leur sont reprochés, et ouvre la voie, justement, à d'éventuelles contestations de leur part s'ils constatent des erreurs.
123.Pour les mêmes raisons, l'AMF considère inopérant le moyen d'annulation tiré de ce que la notification de griefs commettrait une erreur de droit en affirmant que [O] [A] était réputée détenir les informations privilégiées en possession de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
' Sur la mention de pièces prétendument annulées
124.Ainsi qu'il a été dit précédemment (§ 103 et suivants du présent arrêt), il résulte de l'arrêt du 16 décembre 2022 de l'assemblée plénière (n° 21-23.719) de la Cour de cassation que c'est régulièrement que les courriels communiqués par Mme [AF] à l'occasion des OVS du 25 avril 2017 ont été versés à la procédure.
125.Les requérants ne sont en conséquence pas fondés à reprocher à la notification de griefs de mentionner les pièces ainsi communiquées dont, par exemple, les courriels en date des 15 et 16 mars 2015.
' Sur l'erreur de fait concernant la présentation par l'AMF du communiqué de presse du 13 février 2015
126.La caractérisation de la portée du communiqué du 13 février 2015 relève d'une question de fond, qui sera discutée ultérieurement dans le présent arrêt (cf, § 289 du présent arrêt).
127.Il est encore rappelé qu'il ne saurait être utilement argué en l'espèce de la déloyauté des enquêteurs.
' Sur l'erreur de droit selon laquelle les personnes morales seraient réputées détenir les informations privilégiées qui sont en possession de leurs représentants légaux
128.La question en cause, qui relève du fond, sera discutée ultérieurement dans le présent arrêt (cf, § 360 du présent arrêt).
' Conclusion sur la notification de griefs
129.En tout état de cause, une notification de griefs a vocation à contenir une argumentation en fait et en droit à l'appui des griefs qu'elle retient et la Commission des sanctions est en charge de décider de son bien-fondé sous le contrôle de la cour d'appel.
130.Une éventuelle divergence d'appréciation de la Commission des sanctions ou de la Cour sur le droit tel que présenté par les enquêteurs ne saurait emporter, en soi, l'annulation d'une notification de griefs.
131.Il résulte de ces développements que le moyen pris de la nullité de la notification de griefs sera rejeté.
4. Sur le rapport de M. [D] du 30 juillet 2020
132.[O] [A] et Mme [AF] exposent, en premier lieu que dans son rapport, M. [D], membre de la Commission des sanctions chargé de rapporter l'affaire, fait de nombreuses références aux pièces recueillies le 25 avril 2017 auprès de Mme [AF], en particulier au courriel Alterfi du 16 mars 2015, si bien que ledit rapport encourt la nullité de ce seul fait.
133.En deuxième lieu, les requérantes soulignent que le rapporteur, en dépit de leurs relances et alors qu'il disposait du temps nécessaire, n'a pas complété son rapport afin de prendre position sur les critiques émises sur la légalité de la notification de griefs qu'il revenait à la Commission des sanctions d'examiner, la cour d'appel ayant déclaré leur recours irrecevable (CA Paris, 9 juillet 2020, RG n° 19/19067 et 19/19069).
134.En troisième lieu, [O] [A] et Mme [AF] reprochent au rapport de contenir une erreur de fait en indiquant en page 34 que « Mme [AF] a passé des ordres d'achat d'actions MBWS et de BSA Actionnaire 2 pour le compte de [O] [A] », alors qu'il s'agit d'une contre-vérité flagrante.
135.Elles concluent que la nullité du rapport entraînera celle de la décision de la Commission des sanctions.
136.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie, s'agissant d'abord du moyen d'annulation tiré de ce que le rapport de M. [D] se fonderait sur des pièces irrégulièrement obtenues, à ses observations concernant le rapport d'enquête, à l'encontre duquel ce même moyen a été soulevé.
137.S'agissant ensuite du moyen d'annulation tiré de ce que le rapport de M. [D] ne répond pas aux critiques émises par les requérantes à l'encontre de la notification de griefs, l'AMF rappelle que le rapporteur a considéré que ces critiques ne figurant pas dans la réponse à cette notification de griefs mais en annexe de celle-ci, il n'a pas considéré qu'il en était saisi. Par la suite, son rapport ayant déjà été déposé quand les requérantes lui ont reproché cette lacune, il n'avait pas à en rédiger un second en l'absence de demande en ce sens de la Commission des sanctions.
138.L'AMF ajoute qu'aucun texte n'oblige le rapporteur à prendre position sur l'ensemble des moyens invoqués par les mis en cause, conformément à la jurisprudence de la cour d'appel qui a rappelé qu'il lui incombe seulement, en application de l'article R. 621-39 du CMF, de consigner le résultat de ses diligences et auditions (Paris, 24 novembre 2009, RG n° 2009/05552).
139.S'agissant enfin du moyen d'annulation tiré de ce que le rapport de M. [D] comporterait une erreur de fait en attribuant à Mme [AF] des ordres d'achat d'actions MBWS passés par M. [P], l'AMF rappelle que n'étant qu'un des éléments du dossier sur lesquels se fonde la Commission des sanctions, ce rapport ne peut être annulé du fait d'une telle erreur.
Sur ce, la Cour :
140.Il résulte de l'article R. 621-39 du CMF que le rapporteur procède à toutes diligences utiles et qu'il consigne par écrit le résultat des opérations qu'il a menées dans un rapport.
141.La Cour rappelle qu'il appartient au rapporteur, en application de ce texte, de procéder à l'étude, l'analyse et la discussion des questions posées par l'affaire, et d'indiquer, selon son opinion, la solution qu'elles appellent. Il apprécie souverainement s'il y a lieu ou non de réaliser des investigations complémentaires à la demande des personnes mises en cause. Enfin, le contenu et les conclusions du rapport (voir la pièce 31 du dossier de [O] [A] et Mme [AF] et les cotes D 2504 à 2589 du dossier de l'AMF) ne constituent qu'un des éléments de la procédure soumis, à l'issue d'un débat contradictoire, à l'appréciation de la Commission des sanctions.
' Sur la mention de pièces prétendument annulées
142.Ainsi qu'il a été dit, les pièces en cause figurant régulièrement à la procédure (§ 103 et suivants du présent arrêt), il ne saurait être reproché au rapport d'en faire mention.
' Sur l'absence de prise de position du rapporteur sur les critiques concernant la légalité de la notification de griefs
143.La page 8 du rapport contient le passage suivant :
« Il convient de souligner que dans leurs observations écrites, [O] [A], Mme [AF] et M, [K] indiquent :
' Pour une présentation exhaustive des faits, il sera renvoyé à la réponse qu'avait faite la société [O] [A]/ Monsieur [K]/Madame [AF] à la lettre circonstanciée que Ia direction des enquêtes de I'AMF lui avait adressée le 17 janvier 2019 (Annexe A).
À titre préliminaire, la société [O] [A]/Monsieur [K]/Madame [AF] rappelle que Ia procédure de sanction ouverte à son encontre est irrégulière, dans la mesure où la décision prise par la commission spécialisée du Collège est illicite, pour toutes les raisons qu'elle/il a d'ailleurs exposées devant la cour d'appel de Paris qu'elle/il a saisie d'un recours en annulation /et en réparation (Annexe B).
Si toutefois la Commission des sanctions estimait devoir examiner quand même le bien-fondé des griefs notifiés à la société [O] [A]/Monsieur [K]/Madame [AF], elle serait nécessairement conduite à les écarter, dans la mesure où leurs éléments constitutifs sont absents ou ne sont pas établis (Annexe C).'.
Aussi, dans le présent rapport, il sera considéré que seules les pages consacrées à la présentation des faits des trois 'Annexes A', ainsi que les trois 'Annexes C' , constituent les observations en réponse aux notifications de griefs. Les 'Annexes B', quant à elles, correspondent à des mémoires produits par les mis en cause devant la cour d'appel de Paris dans le cadre d'un contentieux distinct, de telle sorte qu'elles ont manifestement été versées à la présente procédure pour simple information. »
144.Les courriers du 16 décembre 2019 de [O] [A], Mme [AF] et M. [K] (cotes D 1850, 1929, 2014), tous similaires, correspondent à la présentation qu'en a faite le rapporteur.
145.Les annexes B de ces courriers sont constituées d'une copie des « exposé des moyens » produit par le conseil des requérantes devant la cour d'appel de Paris tendant à l'annulation des notifications de griefs concernant respectivement [O] [A], M. [K] et Mme [AF] (cotes D 1881 et suivantes, D 1945 s., D 2036 s.).
146.La Cour considère en l'espèce que le rapporteur était fondé à considérer à la lecture de ces courriers et annexes B, qu'il ne lui était pas demandé, dans le cadre du rapport qu'il lui incombait d'établir, de se prononcer sur la régularité des notifications de griefs émanant du collège de l'AMF.
147.En effet, il appartenait aux requérantes de le saisir explicitement d'une demande en ce sens, ce qui n'est pas le cas d'une référence « à titre préliminaire » à l'irrégularité prétendue de la procédure assortie d'une copie d'un exposé des moyens déposé devant une juridiction.
148.Le rapporteur était encore fondé à ne pas donner suite aux relances des requérantes après le dépôt de son rapport : outre que ces demandes pouvaient apparaître comme dilatoires après le dépôt de son rapport, le rapporteur n'a pu que constater, comme la Cour, que les « exposés des moyens » précités, sous couvert d'irrégularité de la procédure, tendaient pour l'essentiel à contester l'affaire au fond, en sorte que leur discussion apparaissait redondante.
' Sur l'erreur de fait contenue dans le rapport
149.Le passage litigieux se trouve au bas de la page 34 du rapport de M. [D]. Il y est indiqué : « Or, Mme [AF] a passé des ordres d'achat d'actions MBWS et de BSA Actionnaire 2 pour le compte de [O] [A] ».
150.Il convient de restituer cette phrase dans son contexte.
151.M. [D] indique à la suite qu'il : « résulte en effet du relevé de compte Interactive Brokers de [O] [A] versé à la procédure, que celle-ci a acquis entre le 16 mars et le 1er avril 2015, en solde net, 1 050 000 actions MBWS et 30 000 BSA Actionnaire 2 », que « [O] [A] considère que les ordres litigieux ont été passés par Alterfi dans le cadre d'un mandat discrétionnaire, de sorte que son comportement devrait être qualifie de légitime au sens de l'article 9 du règlement MAR », qu'« il peut donc être considéré, au vu de ces courriels [du 15 mars 2015 contenant notamment le texte « ne pas traîner, voilà le maître mot »], que Mme [AF] a donné à M. [P] l'instruction d'acquérir des actions MBWS ».
152.Ainsi, la phrase critiquée s'avère être une expression concise et figurée de la pensée de l'auteur mais non une description erronée des faits qu'il avance : le rédacteur du rapport ne prétend nullement que Mme [AF] aurait passé elle-même les ordres d'achat sur le plan matériel ; il conteste qu'Alterfi ait pu constituer un écran utile entre l'expression de la volonté de Mme [AF] par courriel et le passage des ordres.
153.En tout état de cause, les requérantes n'ont pas pu se méprendre sur la portée du passage en cause.
' Conclusion sur le rapport de M. [D]
154.Il résulte de l'ensemble de ces développements que le moyen pris de la nullité du rapport de M. [D] sera rejeté.
5. Sur la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021
155.Dans la décision attaquée (pages 7 et 8), l'AMF relate les faits suivants.
156.Initialement, la séance à laquelle l'affaire devait être appelée avait été fixée au 16 octobre 2020. Elle a été reportée « à titre exceptionnel » par la présidente de la Commission des sanctions à la demande de Mme [AF].
157.L'intéressée a ensuite été convoquée à la séance de la commission du 26 mars 2021 par lettre du 29 janvier 2021. Son conseil, par lettre du 9 février 2021, a sollicité un sursis à statuer « tant que [sa] cliente ne pourra pas se rendre en France dans des conditions sanitaires satisfaisantes ['] », précisant que les frontières marocaines étaient fermées.
158.Par lettre du 19 mars 2021, la présidente de la Commission des sanctions, après avoir constaté qu'aucun justificatif de l'impossibilité de se rendre à la séance n'avait été produit et indiqué que les conditions en vigueur permettaient l'entrée sur le territoire français de citoyens de pays non membres de l'Union Européenne en cas de motif impérieux, a confirmé le maintien de la séance prévue le 26 mars 2021. Le jour même, ce conseil a, dans un courrier adressé à la présidente de la Commission des sanctions, répondu que Mme [AF] « serait ['] dans l'impossibilité d'assister physiquement à cette audience compte tenu des restrictions sanitaires en vigueur » et sollicité en conséquence son report « à une date où [sa] cliente pourra voyager sans mettre sa santé en danger ».
159.Par lettre du 22 mars 2021, la présidente de la Commission des sanctions a confirmé le maintien de la séance prévue le 26 mars 2021. Par courriel du 23 mars 2021, le conseil de Mme [AF] a produit un certificat médical daté du 19 mars 2021 qui « confirme que [l'] état de santé [de Mme [AF]] ne lui permet toujours pas de prendre l'avion et ce pour une durée indéterminée ».
160.Mme [AF] n'était pas présente lors de la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021.
161.Mme [AF] soutient que s'étant trouvée dans l'impossibilité matérielle d'être physiquement présente à l'audience, ce dont elle a justifié par la production d'éléments (pièces 34, 35, 36 et 49 de son dossier), compte tenu des contraintes sanitaires dues à l'épidémie de covid-19, il incombait à la Commission des sanctions de faire droit à ses nombreuses demandes d'ajournement. Faute pour la commission d'y avoir consenti, sa décision encourt l'annulation en raison de la grave violation des droits fondamentaux de la requérante, ainsi qu'il résulte des articles 6.1 et 3(c) de la CSDH et de la jurisprudence afférente et étant rappelé que l'intervention de son avocat ne pouvait pas pallier l'absence physique de la requérante.
162.Dans ses observations, l'AMF observe que les contraintes sanitaires liées à l'épidémie de covid-19 ont été prises en compte par la présidente de la Commission des sanctions, qui a accepté de reporter la séance initialement prévue le 16 octobre 2020, au 26 mars 2021. Mme [AF] pouvait se rendre en France malgré les restrictions sanitaires en justifiant du motif impérieux de se rendre à la séance du 26 mars.
163.L'AMF relève que ce n'est que par courriel du 23 mars que le conseil de Mme [AF] a déclaré que l'état de santé de sa cliente l'empêchait de paraître à la séance, alors qu'il n'avait jusqu'alors invoqué que des restrictions sanitaires.
164.L'AMF ajoute qu'en tout état de cause, rien n'obligeait la Commission des sanctions à statuer en présence de Mme [AF], dès lors que son conseil était présent à la séance, ainsi que le prévoit l'article L. 621-15 du CMF.
165.S'agissant de la jurisprudence de la CEDH invoquée par les requérants, l'AMF en conteste la pertinence et rappelle que la possibilité pour l'intéressée d'exercer un recours de plein contentieux devant la cour d'appel, devant laquelle elle peut être entendue en ses observations, suffit à assurer le respect de l'article 6 de la CSDH.
166.Mme [AF] expose encore que la possibilité pour un prévenu de se faire représenter par ses conseils ne saurait être considérée comme équivalente à la présence physique du mis en cause à l'audience, et qu'au surplus un prévenu, empêché de comparaître en personne pour raison médicale, ne saurait être jugé en son absence.
167.Elle précise qu'en mars 2021, les développements de l'épidémie de la covid avaient entraîné de sévères restrictions de déplacement et qu'une quarantaine de sept jours était imposée aux personnes entrant en France en provenance d'un pays non-européen, et ajoute qu'elle a communiqué un certificat médical en date du 19 mars 2021 lui interdisant formellement de prendre l'avion pour se rendre en Ile de France.
168.Elle conclut que la présidente de la Commission des sanctions a commis une erreur d'appréciation en confirmant la tenue de la séance moins de huit jours avant le 26 mars 2021 et en maintenant sa décision en dépit de l'ampleur des sanctions requises contre elle, et ce faisant a fait preuve de déloyauté.
169.L'AMF considère dans ses dernières écritures que les éléments invoqués par les requérantes portant sur deux décisions individuelles, l'une d'avoir attendu le 19 mars 2021 pour confirmer la tenue de la séance de la commission, l'autre d'avoir maintenu sa décision en dépit des contraintes portées à sa connaissance, constituent des moyens nouveaux, irrecevables en application de l'article R. 621-46 du CMF, outre qu'ils sont dirigés contre deux « décisions individuelles » qui ne sont pas visées par les recours.
Sur ce, la Cour :
170.L'article L. 621-15, IV, du CMF dispose que « [l]a Commission des sanctions statue par décision motivée, hors la présence du rapporteur. Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la personne concernée ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment appelé ».
171.Il résulte de ce texte, d'une part, que la personne concernée et son représentant sont placés sur le même plan, aucune différence n'étant faite entre eux sous l'angle de la régularité de la procédure, d'autre part, que dans le cas où la personne concernée a été dûment appelée et où son représentant a été entendu, la Commission des sanctions peut prononcer une sanction.
172.En l'espèce, Mme [AF] était informée depuis le 29 janvier 2021 de la fixation de la date de la séance au 26 mars 2021 et son conseil l'a représentée lors de la séance.
173.Dans le contexte de la pandémie, qui avait vu se succéder plusieurs périodes de confinement depuis le mois de mars 2020, des mesures de restriction aux entrées et sorties du territoire national ou encore de mise en quarantaine n'étaient ni improbables, ni imprévisibles.
174.Alors que les mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre la pandémie étaient en constante évolution, il appartenait donc à Mme [AF] de prendre ses dispositions afin de parer à toute éventualité dès le 29 janvier 2021 si elle tenait à assister à la séance. Au demeurant, elle n'a pas prétendu s'être vu refuser l'entrée sur le territoire national au motif que sa présence à la séance du 26 mars 2021 n'aurait pas constitué un motif impérieux.
175.Enfin, la Cour rappelle que l'AMF, en ce compris la Commission des sanctions, a pour mission de réguler les marchés financiers. Cette mission, qui concourt au maintien de la paix sociale, est d'ordre public. L'AMF ne pouvait dès lors suspendre son action pour une durée indéterminée jusqu'à ce que la pandémie soit jugulée.
176.La décision de la présidente de maintenir la séance était ainsi proportionnée au regard des enjeux qui s'attachent au bon accomplissement de la mission de l'AMF, nonobstant la production d'un certificat médical par Mme [AF], celle-ci étant représentée par son conseil lors de la séance, ce qui a permis l'exercice des droits de la défense, conformément aux dispositions de l'article L. 621-15, IV, du CMF.
177.Le moyen sera rejeté.
6. Sur la décision de la Commission des sanctions
178.Dans la décision attaquée, l'AMF mentionne au § 63, dans la partie portant sur « l'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 », un échange de courriels du 16 mars 2015.
179.Au § 91, dans la partie consacrée à « l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS », la décision fait référence à un échange de courriels du 19 novembre 2015 entre la mandataire de [O] [A] et un salarié de cette société. Mme [AF] était en outre en copie de la réponse du salarié.
180.[O] [A] et Mme [AF] exposent que la décision de la Commission des sanctions, au paragraphe 24, a écarté des débats une série de pièces listées dans le procès-verbal de constatation en date du 16 mai 2019 adressé à Mme [AF], tout en citant explicitement au paragraphe 63 le mail du 16 mars 2015 sur lequel elle se fonde pour caractériser le manquement reproché aux requérantes (pièce 6 visée dans le procès-verbal du 16 mai 2019), et en se référant encore au paragraphe 91 à d'autres pièces figurant sur la liste précitée (pièces 12 et 13 visées dans le procès-verbal du 16 mai 2019).
181.En conséquence, la décision de la Commission des sanctions est entachée d'un vice qui entraîne son annulation, et empêchera la Cour de faire usage de son pouvoir d'évocation, indépendamment même du fait que les pièces en cause ont été irrégulièrement obtenues.
182.Dans ses observations, l'AMF oppose le défaut d'intérêt des requérantes à critiquer la prise en compte de ces pièces dans le cadre de l'examen du manquement relatif à l'utilisation de l'information privilégiée portant sur l'actualisation du plan BIG 2018, dès lors que la Commission des sanctions a estimé que ce manquement n'était pas caractérisé à leur encontre.
Sur ce, la Cour :
183.En premier lieu, ainsi qu'il a été dit, la mention du courriel du 16 mars 2015 au § 63 de la décision attaquée ne saurait être utilement contestée dès lors que les OVS du 25 avril 2017 et les remises de pièces afférentes ont été régulières (cf. § 103 et suivants du présent arrêt).
184.En second lieu, la mention de certaines pièces au § 91 de la décision attaquée, n'est pas susceptible de porter atteinte aux intérêts de [O] [A] ou Mme [AF], dès lors qu'au § 94, l'AMF conclut que le manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée n'est caractérisé ni à l'encontre de Mme [AF] ni à l'encontre de la société [O] [A].
185.Le moyen sera rejeté.
7. Sur les moyens contenus dans le mémoire du 4 décembre 2023
a. Remarques préliminaires de la Cour sur l'interprétation de ce mémoire
186.En préambule de leur mémoire du 4 décembre 2023, [O] [A] et Mme [AF] précisent qu'il a pour objet de répondre aux dernières écritures de l'AMF et qu'il ne remplace pas les conclusions du 18 avril 2023, auxquelles il vient « simplement » s'ajouter.
187.Dans ce mémoire, les requérantes font valoir, d'une part, le manque de loyauté de la part de l'AMF (partie B.1b, pages 19 à 25), d'autre part, que l'accumulation d'erreurs justifie l'annulation de la décision.
188.Elles concluent que la Cour de céans « n'aura pas d'autre choix que de tirer les conséquences de cette accumulation d'erreurs à tous les stades de la procédure administrative suivie par l'AMF, pour annuler la Décision, sans se prononcer sur le fond de l'affaire ['] ».
189.La Cour, considère, d'une part, que le moyen pris de la déloyauté est autonome, d'autre part, se fiant à la présentation de la page 2 du mémoire, que dans la perspective de leur auteur, chaque développement portant sur une « erreur » constitue un argument à l'appui du moyen, dont la teneur consiste à soutenir que l'accumulation d'erreurs doit entraîner l'annulation de la décision.
b. Sur le moyen pris de la déloyauté de la procédure
190.[O] [A] et Mme [AF] font valoir, d'une façon générale, que l'enquête a été menée de façon déloyale, ce qui ressort par exemple de l'analyse erronée ayant conduit les enquêteurs à retenir l'existence d'une information privilégiée au plus tard le 14 mars 2015. Elles stigmatisent le rapporteur à qui elles reprochent des oublis, des imprécisions, l'absence de pièces au dossier ou leur dissimulation par relégation « dans les profondeurs d'un dossier comptant plus de 1 200 pages ». Elles affirment que les enquêteurs ont admis des mensonges en connaissance de cause et ont fait preuve de partialité envers [V] [J]. Elles concluent à un « mélange d'erreur de fait et de déloyauté de la part des agents et membres de l'AMF », justifiant l'annulation de la décision.
191.L'AMF invoque l'irrecevabilité du moyen tiré de son prétendu manque de loyauté, comme tardif en application de l'article R. 621-46 du CMF, dès lors qu'il ne constitue pas une réponse à un argument de l'AMF.
Sur ce, la Cour :
192.Aux termes de l'article R.621-46, I du CMF, lorsque la déclaration de recours faite au greffe de la cour d'appel ne comporte pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, déposer cet exposé au greffe dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration.
193.Il en résulte que sont irrecevables tous les moyens développés dans les mémoires successivement déposés à l'appui du recours lorsqu'ils ne figurent ni dans la déclaration de recours ni dans l'exposé des moyens, lesquels fixent les termes du litige. Ne sont recevables que les moyens nouveaux qui n'ont d'autre objet que de répondre aux observations de l'AMF.
194.En l'espèce, l'exposé des moyens déposé au greffe le 13 juillet 2021 ne contient aucun moyen pris de la déloyauté de l'AMF.
195.Le moyen d'annulation pris de la déloyauté (de la procédure et des agents de l'AMF, de la Commission des sanctions), a ainsi été présenté pour la première fois dans le mémoire du 4 décembre 2023.
196.Contrairement à ce qu'allèguent les requérantes en page 2 de ce mémoire du 4 décembre 2023, ce moyen ne peut être regardé comme visant à répondre à une quelconque argumentation que l'AMF aurait opposée aux précédentes écritures des requérantes. Il est donc nouveau.
197.Déposé postérieurement au délai de quinze jours prévu à l'article R621-46, I, du CMF, il est dès lors irrecevable.
c. Sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
198.Le mémoire comporte des développements portant sur une erreur relative au versement en procédure du courriel d'Alterfi, ainsi que sur des erreurs de fait, de droit, d'appréciation, en rapport avec les manquements qui ont été retenus et sanctionnés par l'Autorité.
199.Il comporte également, au fil du texte, des incises portant sur le recours incident exercé par le président de l'AMF.
' Sur l'erreur commise par l'AMF pour se procurer le contenu du courriel d'Alterfi en date du 16 mars 2015
200.[O] [A] et Mme [AF] par ces développements poursuivent leur argumentation portant sur l'irrégularité de la communication des courriels de Mme [AF] au cours des OVS du 25 avril 2017.
201.La Cour répond à l'ensemble de ces développements dans la partie du présent arrêt consacrée au rapport d'enquête. (§ 103 et suivants du présent arrêt)
' Sur l'erreur d'appréciation portant sur l'opportunité de reporter la séance de la Commission des sanctions du 26 mars 2021
202.[O] [A] et Mme [AF] par ces développements poursuivent leur argumentation portant sur l'irrégularité de la séance du 26 mars 2021.
203.La Cour répond à l'ensemble de ces développements dans la partie du présent arrêt consacrée à ladite séance. (§ 170 et suivants du présent arrêt)
' Sur les erreurs de fait
204.Le mémoire comporte aux pages 15 à 19 et 26 à 33 des développements portant sur l'information du 14 mars 2015, la chronologie des faits, la nature du message « ne pas traîner ».
205.[O] [A] et Mme [AF], critiquent la portée accordée par la Commission des sanctions à l'information du 14 mars 2015, considérant que la communication du 13 février 2015, par rapport à laquelle l'information du 14 mars est analysée, ne constituait pas une annonce, au contraire de la communication du 15 octobre 2014.
206.Les requérantes contestent la chronologie des faits retenue par les enquêteurs et l'absence de mention par eux de certains faits, faisant ressortir que les décisions d'investissement ont été prises avant la communication en date du 14 mars 2015, si bien qu'il n'y avait pas lieu de suspecter un manquement d'initié.
207.Elles critiquent encore l'analyse qui a été faite par la Commission des sanctions du message « ne pas traîner ».
208.Dans ses observations en réponse, l'AMF considère que les développements consacrés à ces prétendues erreurs n'apportent rien de nouveau en substance, à ceux contenus dans les précédentes écritures des requérantes, et renvoie à ses précédentes observations.
209.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire « récapitulatif » contient.
' Sur les erreurs de droit
210.Le mémoire comporte aux pages 34 à 66 des développements portant sur cinq erreurs.
' Sur l'erreur prise de ce que [O] [A] relèverait de la catégorie des « initiés primaires »
211.[O] [A] et Mme [AF] exposent qu'au stade de l'instruction, les enquêteurs ont considéré que [O] [A] relevait de la catégorie des initiés primaires, et invoquent à cette fin divers actes de la procédure.
212.Les requérantes concluent que « force est de constater qu'en dehors de certains actes de procédure, dont la formulation n'est cependant pas reprise par les notifications de grief adressées aux requérantes, ce n'est plus [O] [A], mais Mme [AF] qui est désormais qualifiée d'initiée primaire ['] ».
213.Dans ses observations en réponse, l'AMF rappelle que la Cour est saisie de recours contre la décision et non contre les actes de la procédure d'instruction. Elle indique encore que ladite décision a considéré au § 60 que Mme [AF] était une initiée primaire et qu'elle seule s'est vu reconnaître cette qualité. Dès lors, la prétendue erreur manque en fait.
Sur ce, la Cour :
214.La critique ne précise pas en quoi cette prétendue erreur au stade de l'instruction aurait une quelconque incidence sur la validité de la décision de la Commission des sanctions.
215.En outre, en tout état de cause, il ne ressort d'aucun développement de la décision attaquée que [O] [A] serait qualifiée d'initiée primaire.
216.La Cour n'aperçoit dès lors pas en quoi la décision serait entachée de l'erreur invoquée, étant rappelé que le recours dont elle est saisie ne porte que sur ladite décision.
' Sur l'erreur selon laquelle Mme [AF] aurait procédé aux opérations litigieuses « indirectement » via [O] [A]
217.[O] [A] et Mme [AF] exposent qu'à la lecture de certains actes de la procédure, Mme [AF] « était alors soupçonnée par les agents de l'AMF d'avoir utilisé une information privilégiée pour son propre compte, mais en achetant des titres MBWS 'indirectement', via l'interposition d'une entité (DH) qui serait de facto regardée comme 'transparente', soit par ce qu'elle serait 'contrôlée' par Mme [AF] (ce qui n'est pas le cas, contrairement à ce que croyaient peut-être les agents de l'AMF), soit parce que RZ en serait le 'bénéficiaire économique' ».
218.Elles concluent en rappelant que la poursuite a reproché à Mme [AF] d' « avoir utilisé l'information privilégiée ['] pour acquérir, pour le compte de [O] [A], société que vous dirigez et contrôlez de concert avec votre famille, [des actions et BSA] ».
219.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique qu'il résulte clairement des motifs de la décision attaquée que Mme [AF] a réalisé les opérations litigieuses pour le compte d'un tiers.
Sur ce, la Cour :
220.Cette critique ne précise pas davantage en quoi cette prétendue erreur au stade de l'instruction aurait une quelconque incidence sur la validité de la décision de la Commission des sanctions.
221.En outre, en tout état de cause, Force est de constater que les développements des requérants, ne permettent pas de retenir une « erreur » à l'encontre de la décision attaquée, puisqu'elle indique, au § 66, que le manquement à l'obligation d'abstention à l'utilisation de l'information privilégiée est caractérisé à l'encontre de Mme [AF] et est également imputable à la société [O] [A] « au nom et pour le compte de laquelle » il a été commis.
' Sur l'erreur prise de ce que Mme [AF] aurait réalisé les opérations litigieuses pour le compte d'un « tiers » ;
222.[O] [A] et Mme [AF] développent une analyse des articles 8.1, 8.5 et 9.1 du règlement MAR dont elles tirent que Mme [AF] ne saurait être considérée, sur le fondement de l'article 8.1 précité, comme ayant réalisé les opérations litigieuses pour le compte d'un « tiers » ([O] [A]) à raison d'une décision qu'elle aurait prise « au nom et pour le compte » de ladite société. En effet, quand une personne physique est représentante légale d'une personne morale, comme Mme [AF] à l'égard de [O] [A], dont elle est le PDG, juridiquement, la personne morale ne peut être considérée comme un tiers par rapport à des acquisitions qui sont faites en son nom par ce représentant légal. Les faits, à les supposer établis, ne pourraient en conséquence être poursuivis que sur le fondement de l'article 8.5, portant sur la participation d'une personne physique à la décision de la personne morale.
223.Elles demandent à toutes fins à la Cour de poser une question préjudicielle ainsi rédigée : « Le dirigeant d'une personne morale agissant pour le compte de celle-ci peut-il être considéré comme une personne physique agissant pour le compte d'un tiers, au sens de l'article 8.1 du règlement MAR, ou bien sa responsabilité ne peut-elle exclusivement être recherchée qu'à raison de sa participation à la prise de décision pour le compte de la personne morale, conformément à l'article 8.5 du règlement MAR ' ».
224.Dans ses observations, l'AMF indique que les requérants ne font que répéter une argumentation déjà produite, et renvoie à ses précédentes écritures. Elle ajoute qu'en tout état de cause, il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle au sujet du règlement MAR, les textes étant clairs. Enfin, elle rappelle que « si, à l'évidence, la personne morale ne peut être considérée comme un tiers par rapport à des acquisitions qui sont faites en son nom, elle peut parfaitement être considérée comme autrui au sens et pour l'application de l'article 622-1 du RGAMF ou comme un tiers au sens et pour l'application de l'article 8.1 du règlement MAR ».
Sur ce, la Cour :
225.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire « récapitulatif » contient (cf., § 360 et suivants du présent arrêt).
' Sur l'erreur prise de la qualité d'« initiée secondaire » de [O] [A]
226.[O] [A] et Mme [AF] exposent que la décision attaquée ne consacre pas de développements à l'éventuelle qualité d'initiée secondaire de [O] [A], sachant qu'elle ne relève pas non plus que la catégorie des initiés primaires.
227.Elles estiment que constituerait une erreur de droit, la validation du principe défendu par l'AMF selon lequel il conviendrait de « retenir que par l'effet de cette représentation, alors que le représentant légal de la personne morale agit pour son compte et dans l'intérêt de cette dernière, le manquement est nécessairement dans le même temps imputable à la personne morale, et ce sans qu'il soit notamment besoin de caractériser autrement la détention et l'utilisation de l'information privilégiée par cette dernière ».
228.Elles demandent à toutes fins à la Cour de poser une question préjudicielle ainsi rédigée : « Une personne morale peut-elle entrer dans le champ d'application des articles 8.1 et 9.1 du règlement MAR, et faire l'objet de sanctions à raison de la violation de l'interdiction posée par l'article 15 du règlement MAR, sans qu'il soit établi qu'elle était en possession d'une information privilégiée lors des opérations d'initié qu'elle aurait effectuées pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers ' ».
229.Les requérantes reprochent encore à la décision attaquée de n'avoir pas pris le soin d'établir que [O] [A] « possède une information privilégiée dans des circonstances autres que celles visées au premier alinéa [relatif aux initiés primaires] lorsque cette personne sait ou devrait savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée » (art. L. 622-1 du RGAMF, art. 8.4 du règlement MAR).
230.Elles rappellent que Mme [AF] ne représentait pas en droit [O] [A] au conseil d'administration de MBWS et qu'elle n'a donc pu avoir connaissance de l'information litigieuse qu'à titre personnel, voire privé.
231.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que la Commission des sanctions ne s'est nullement fondée sur la qualité d'initiée secondaire de [O] [A] pour retenir le manquement à son encontre, puisqu'elle a considéré que « [l]e manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée analysée ci-dessus est donc caractérisé à l'encontre de Mme [AF]. Ce manquement est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, ainsi, caractérisé à son encontre » (§ 66 de la décision).
Sur ce, la Cour :
232.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire récapitulatif contient (cf, § 390 du présent arrêt).
' Sur l'erreur portant sur le caractère discrétionnaire du mandat d'Alterfi.
233.[O] [A] et Mme [AF] exposent les raisons pour lesquelles elles considèrent que le mandat d'Alterfi du 2 avril 2015 était un mandat discrétionnaire, en sorte que Mme [AF] ne pouvait être regardée comme s'étant immiscée dans la gestion d'Alterfi (décision attaquée, § 64).
234.En réponse, l'AMF rappelle que les requérantes ne font, sous couvert d'erreur de droit, que remettre en cause les éléments purement factuels sur lesquels la Commission des sanctions s'est fondée pour retenir l'absence de caractère discrétionnaire du mandat litigieux.
Sur ce, la Cour :
235.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond, le mémoire du 4 décembre 2023 ne faisant en substance que reprendre dans une présentation différente ce que le précédent mémoire récapitulatif contient (cf, § 321 du présent arrêt).
' Sur les erreurs d'appréciation
236.Le mémoire comporte aux pages 67 à 97 des développements soutenant quatre erreurs d'appréciation de la Commission des sanctions.
' Sur l'erreur portant sur la possibilité pour la Commission des sanctions de sanctionner [O] [A] en qualité de « personne étroitement liée » à Mme [AF]
237.[O] [A] et Mme [AF] exposent que la Cour n'aura pas d'autre choix que d'annuler ou à tout le moins, de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a prononcé une sanction à l'encontre de [O] [A] à raison d'un prétendu manquement aux dispositions de l'article L. 621-18-2 du CMF.
238.Elle considère en effet que la Commission des sanctions, tenue par les termes de la notification de griefs, devait vérifier que [O] [A] remplissait la condition d'avoir agi dans l'intérêt de Mme [AF], en application de l'article L. 621-18-2 du CMF, et conformément à la Position Doc 2006-14. Elle soutient encore que la Cour de cassation n'a pas dit autre chose dans son arrêt du 21 avril 2022 (Com., pourvoi n° 20-21.753).
239.En réponse, l'AMF rappelle que son analyse de l'article R. 621-43-1 est conforme à la doctrine de la Cour de cassation (Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
Sur ce, la Cour :
240.La Cour répondra à l'ensemble de ces développements à l'occasion de la discussion des moyens de fond (cf, § 428 du présent arrêt).
' Sur l'erreur portant sur le caractère « privilégié » de l'information du 14 mars 2015
241.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent que l'information du 14 mars 2015 ne remplit pas les conditions d'une information privilégiée, qu'il s'agisse du caractère « non public » de l'information, de son caractère précis, de son caractère sensible.
242.Les requérantes considèrent que la première condition n'était pas remplie dans la mesure où la fourchette prévisionnelle de l'EBITDA 2014 avait été communiquée au marché par MBWS le 15 octobre 2014 et qu'il est dans la logique d'une présentation sous forme de fourchette que le résultat final se situe au-dessus de la borne basse, puisque celle-ci ne constitue ' par définition ' qu'un montant minimum, dont le public pouvait donc être certain (dès l'annonce initiale de la fourchette) qu'il serait « dépassé » par MBWS.
243.Elles exposent qu'au 15 octobre 2014, le public pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la rentabilité s'améliore au second semestre, grâce aux mesures mises en place par MBWS en faveur de ses activités les plus rentables au détriment de celles qui le seraient moins, si bien que le niveau d'EBITDA du S2 2014 serait par conséquent supérieur ' et non pas seulement « au moins égal » ' à son niveau du premier semestre (1,9 ME).
244.Dans ses observations en réponse, l'AMF observe que, pour la première fois, les requérantes viennent prétendre que l'information aurait été publique. Elle invoque l'article R. 621-46 du CMF pour demander à la Cour de déclarer ce moyen irrecevable.
245.Sur le fond, elle conteste le caractère public de l'information litigieuse, rappelant que celle-ci portait sur l'atterrissage de l'EBITDA 2014 à 5,7 M euros et le dépassement de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 (au moins 3,8 M euros).
Sur ce, la Cour :
246.La Cour relève, comme l'AMF l'y invite, que l'argumentation contenue par le mémoire du 4 décembre 2023, par laquelle il est soutenu que l'information du 14 mars 2015 ne présentait pas un caractère non public, constitue un moyen nouveau.
247.En outre, Ce moyen ne répond pas aux observations en réponse de l'AMF du 11 septembre 2023 qui, se bornant à répondre aux moyens jusqu'alors soulevés par les requérantes, ne discutait pas le caractère public ou non de l'information privilégiée.
248.Partant, il est irrecevable en application des dispositions de l'article R. 621-46 du CMF.
249.La Cour caractérisera le caractère privilégié de l'information à l'occasion de la discussion des moyens de fond (cf, § 289 et suivants du suivant arrêt).
' Sur les erreurs portant sur la gravité des manquements reprochés aux requérantes, la quantification des « avantages » retirés par [O] [A] des opérations litigieuses, le caractère proportionné des sanctions prononcées à l'encontre des requérantes
250.[O] [A] et Mme [AF] consacrent des développements à la gravité des faits, au profit qu'elles ont pu en retirer, à la sanction prononcée.
251.Dans ses observations en réponse, l'AMF rappelle qu'elle a fait application des dispositions de l'article L. 621-15, III, ter, du CMF, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016 (décision attaquée, § 233).
252.Elle ajoute que les requérantes n'ont pas soutenu, dans l'exposé des motifs de leur recours, ni dans leurs conclusions, que les manquements retenus n'auraient pas été d'une particulière gravité, en sorte que par application de l'article R. 621-46 du CMF, le moyen est irrecevable.
253.Sur le fond, elle considère que les sanctions prononcées sont individualisées et proportionnées.
Sur ce, la Cour :
254.Une éventuelle divergence d'appréciation entre la Cour et l'AMF sur ces questions, à supposer les manquements établis, ne saurait justifier l'annulation de la décision.
255.Au regard du moyen tendant à l'annulation de la décision attaquée en conséquence de l'accumulation d'erreurs, la discussion sur les erreurs en cause est inopérante.
256.Les développements en cause sont discutés avec les autres moyens de fond concernant la sanction, dans la suite du présent arrêt (cf, infra, § 633 et suivants du présent arrêt ).
' Sur les développements du mémoire relatif au recours incident du président de l'AMF
257.Le mémoire du 4 décembre 2023 contient un ensemble d'incises tendant à combattre le recours incident du président de l'AMF.
258.Ces développements, qui ne critiquent aucune partie de la décision attaquée, sont inopérants au regard du moyen tendant à l'annulation de ladite décision par accumulation d'erreurs.
' Conclusion sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
259.Il résulte des développements qui précèdent qu'aucune accumulation d'erreurs propre à justifier l'annulation de la décision n'a lieu d'être relevée à l'encontre de la décision attaquée.
260.Le moyen sera en conséquence rejeté.
B. Sur les moyens de fond développés par [O] [A] et Mme [AF]
1. Sur le caractère privilégié de l'information du 14 mars 2015 relative à l'EBITDA 2014
261.Dans la décision attaquée, l'AMF indique (§ 37 et suivants) que par communiqué de presse du 13 février 2015, « MBWS a annoncé » au marché « [u]ne confirmation des objectifs d'un EBITDA S2 2014 au moins égal à celui du S1 2014 » et « [u]n EBITDA au second semestre 2014 au moins égal à celui du premier semestre 2014 (1,9 M€) ».
262.L'Autorité précise que l'objectif d'un EBITDA S2 2014 mentionné dans le communiqué ne pouvait s'entendre que comme un chiffre établi sur la base de premières estimations disponibles après la clôture de l'exercice et devant encore être affiné puis audité.
263.Elle rappelle également que le directeur financier a écrit par courriel au directeur général de MBWS : « ['] Comme discuté, tu trouveras ci-dessous les résultats au 31 décembre 2014 à date : / - EBITDA : 5,7 MEUR ['] Ces résultats sont bien entendu toujours en cours d'audit. ['] ».
264.Elle considère que le dépassement de l'objectif d'EBITDA par rapport au niveau confirmé au marché le 13 février 2015, soit + 37 %, était un évènement susceptible de se produire dont il était possible de tirer une conclusion, en l'occurrence positive, sur le cours de l'action MBWS, de sorte que l'information doit être regardée comme précise, au sens de l'article 621-1 du RGAMF, au plus tard le 14 mars 2015.
265.Elle précise que les estimations précédemment communiquées aux administrateurs de MBWS en décembre 2014 (5,1 millions d'euros) et janvier 2015 (6,1 millions d'euros), avant la confirmation de l'objectif d'EBITDA 2014 le 13 février 2015, ne remettent pas en cause le caractère privilégié de l'information, celui-ci devant être apprécié en prenant en compte les éléments postérieurs à la dernière communication faite au public.
266.Elle conclut que le marché ne pouvait anticiper cette augmentation significative (+37 %), que l'information pouvait être de nature à surprendre les investisseurs et qu'elle était donc telle qu'un investisseur raisonnable était susceptible de l'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement. Partant, elle revêtait un caractère sensible.
267.[O] [A] soutient que l'information communiquée aux administrateurs le 14 mars 2015 n'était pas, à cette date, privilégiée au sens de l'article 621-1 du RGAMF.
268.En premier lieu, elle expose que la référence à un « EBITDA égal à 5,7 MEUR » ne saurait être qualifiée de « dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 », en sorte que faute d'évènement « qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire », l'information en cause ne peut être « réputée précise » au sens du texte précité. En substance, c'est une fourchette située entre 4 et 10 millions d'euros (bornes arrondies) qui avait été « annoncée » au marché par communiqué de presse du 15 octobre 2014, et le communiqué du 13 février 2015 n'a fait que confirmer cette information. Ainsi, la véritable information communiquée le 14 mars 2015 aux membres du conseil d'administration de MBWS porte simplement sur un EBITDA 2014 estimé à 5,7 millions d'euros et non sur le « dépassement des objectifs annoncés au marché le 13 février 2015 », comme l'indique, de façon erronée, le communiqué de presse du 12 mai 2015.
269.[O] [A] ajoute que le fait que le montant de l'EBITDA (5,7 millions d'euros) soit supérieur à 3,8 millions d'euros ne constitue pas une information substantiellement différente des estimations qui avaient cours à l'époque : 5,1 millions d'euros en décembre 2014 et le 20 février 2015 ; 6,1 millions d'euros fin janvier 2015 ; 5,7 millions d'euros les 28 février et 14 mars 2015 ; 5,2 millions d'euros le 12 mai 2015.
270.Elle relève encore que selon M. [J], directeur général de MBWS à l'époque, ces différentes estimations n'étaient pas suffisamment fiables pour être communiquées au public. [O] [A] indique à ce propos que la direction des enquêtes de l'AMF, convaincue par ces explications, avait indiqué dans son rapport qu'il ne semblait pas opportun, au vu des circonstances de l'espèce, de caractériser un possible manquement concernant le délai qui s'est écoulé entre la communication de ces informations aux administrateurs le 14 mars 2015 et leur publication le 12 mai 2015 après clôture.
271.En deuxième lieu, elle soutient que l'information litigieuse pouvait parfaitement être anticipée par le marché à partir des données publiques disponibles et que la Commission des sanctions a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'il était possible d'en tirer une conclusion positive sur le cours de bourse.
272.Elle indique ainsi que l'ordre de grandeur du montant de l'EBITDA en cause (5,7 millions d'euros) était négligeable au regard d'autres grandeurs concernant MBWS (plan de continuation avec un endettement de 84 millions d'euros ; capitalisation boursière avoisinant 350 millions d'euros), et qu'il ne s'analysait en aucun cas en une « bonne » nouvelle susceptible d'avoir une influence positive sur le cours, puisqu'il était, par exemple, très inférieur au montant de l'année précédente (10,6 millions d'euros). Ainsi, un observateur actif sur le forum Boursorama anticipait un EBITDA 2014 autour de 7 millions d'euros. En tout état de cause, on ne saurait parler d'« augmentation significative » comme la décision attaquée le fait (§ 50).
273.En troisième lieu, elle considère qu'aucun investisseur raisonnable n'aurait fondé ses décisions sur une telle information et que la hausse du cours dans la journée du 13 mai 2015 n'a rien à voir avec la publication la veille.
274.Elle précise ainsi que c'est après la clôture de la bourse, le 12 mai 2015, que MBWS a publié ses résultats, et qu'ils étaient donc connus à l'ouverture le lendemain. Or, les cours de MWBS de clôture et de préouverture étaient très proches (16,91, cours observé à la clôture, 16,91, cours théorique une minute avant ouverture le lendemain ou 17,20 après retraitement par l'AMF en retirant les ordres de DF [A], [O] [A] et KKR), ce qui implique que le communiqué de presse n'a pas eu d'incidence sur le cours.
275.En revanche, la cession par le célèbre fonds KKR de son bloc de 5 % au prix de 16,80 euros (prix proposé dès le 7 mai 2015, donc avant la publication des chiffres de l'EBITDA 2014), peu après ouverture, explique la flambée spéculative qui a provoqué une hausse de 10 % du titre MBWS dans la journée du 13 mai 2015, le marché ayant pu croire à une montée au capital de [O] [A] susceptible de provoquer une OPA prochaine.
276.Dans ses observations en réponse, s'agissant de la précision de l'information, l'AMF rappelle d'abord que selon la jurisprudence de la cour d'appel, des informations relatives à l'amélioration de la situation financière d'une entreprise reposant sur des documents provisoires et non encore vérifiés par des commissaires aux comptes n'en revêtent pas moins le cas échéant un caractère précis et fiable. Elle note que la publication finale de l'EBITDA le 12 mai 2015 a révélé un montant très proche des 5,7 millions d'euros communiqués aux administrateurs.
277.L'AMF précise que le dépassement de l'objectif d'EBITDA devrait être apprécié par rapport à la dernière publication à la date d'initiation des administrateurs, c'est-à-dire celle du 13 février 2015 qui annonce un objectif d'EBITDA 2014 d'au moins 3,8 millions d'euros, et non celle du 15 octobre 2014 qui annonce une fourchette comprise entre 3,8 et 10 millions d'euros. Elle ajoute que c'est bien comme tel qu'ont été présentés par MBWS les résultats 2014 dans son communiqué du 12 mai 2015.
278.De plus, elle ajoute que le fait qu'aucun grief relatif au délai de publication de l'information n'ait été notifié est dépourvu de toute signification.
279.L'AMF indique qu'une augmentation de 37 % par rapport à l'objectif d'EBITDA annoncé ne peut être qualifié de « négligeable ». Elle ajoute que la question de l'aptitude d'une telle annonce à exercer une influence sensible sur le cours est étrangère à la caractérisation de la précision de l'information.
280.S'agissant de la sensibilité de l'information, l'AMF soutient que l'argument selon lequel l'information n'était pas sensible car elle pouvait être anticipée par le marché, ne s'appuie pas sur des publications officielles et fiables de MBWS et doit être écarté. Elle rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante que l'information selon laquelle une société ne pourra pas atteindre ses objectifs financiers est susceptible d'influencer son cours, et en déduit qu'il en va de même lorsque l'information porte sur un dépassement de ces objectifs.
281.Selon elle, l'EBITDA est un indicateur important des performances financières, et particulièrement pour MBWS qui le met en exergue dans ses publications.
282.Enfin, la référence au comportement du fonds KKR n'est pas pertinente dans la mesure où il s'agit de l'un des fonds d'investissement les plus importants au monde, en sorte qu'il ne saurait être considéré comme correspondant au standard de l'investisseur raisonnable.
283.Enfin, l'AMF rappelle qu'il n'est pas nécessaire que la publication de l'information ait été effectivement suivie d'une variation du cours pour caractériser la sensibilité de l'information, qui s'apprécie a priori.
284.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent encore que l'information du 14 mars 2015 ne remplit pas les conditions d'une information privilégiée, au regard du caractère « non public » de l'information.
285.Les requérantes considèrent que la première condition n'était pas remplie dans la mesure où la fourchette prévisionnelle de l'EBITDA 2014 avait été communiquée au marché par MBWS le 15 octobre 2014 et qu'il est dans la logique d'une présentation sous forme de fourchette que le résultat final se situe au-dessus de la borne basse, puisque celle-ci ne constitue ' par définition ' qu'un montant minimum, dont le public pouvait donc être certain (dès l'annonce initiale de la fourchette) qu'il serait « dépassé » par MBWS.
286.Elles exposent qu'au 15 octobre 2014, le public pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la rentabilité s'améliore au second semestre, grâce aux mesures mises en place par MBWS en faveur de ses activités les plus rentables au détriment de celles qui le seraient moins, si bien que le niveau d'EBITDA du S2 2014 serait par conséquent supérieur ' et non pas seulement « au moins égal » ' à son niveau du premier semestre (1,9 ME).
287.Dans ses observations en réponse, l'AMF conteste le caractère public de l'information litigieuse, rappelant que celle-ci portait sur l'atterrissage de l'EBITDA 2014 à 5,7 millions d'euros et le dépassement de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 (au moins 3,8 millions d'euros).
288.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
289.L'article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016 disposait :
« Une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.
Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement [']. ».
290.Ces dispositions, en vigueur pendant la période du manquement reproché, sont applicables en l'espèce.
291.En effet, l'article 7 du règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après, « le règlement MAR »), entré en application le 3 juillet 2016 (aux termes de l'article 39 dudit règlement), définit l'information privilégiée en ses § 1, a), 2 et 4 dans des termes équivalents à l'article 621-1 du RGAMF. Il ne s'applique dès lors pas rétroactivement. Ce point n'est au demeurant pas contesté.
292.En l'espèce, ainsi qu'il a été dit (cf, § 15), le samedi 14 mars 2015, M. [J], directeur général de MBWS, a indiqué par courriel aux administrateurs, dont Mme [AF] :
« ['] je partage avec vous les premiers résultats consolidés à date reçus de vendredi. Il s'agit de résultats suffisamment proche[s] du résultat final pour que je puisse les partager avec vous, d'autant que les indicateurs sont positifs : / Au 31 décembre 2014 à date : / - EBITDA ; 5,7 MEUR ['] » (rapport d'enquête, R0016).
293.Le tableau suivant résume certaines des données chiffrées mentionnées précédemment ou qui s'en déduisent.
Date de l'information
S1 2014 (en millions d'euros)
S2 2014
Année 2014
Statut de la donnée chiffrée
13/02/2015
1,9
« au moins égal » à 1,9
« au moins égal » à 3,8
Doc. public
Estimation
14/03/2015
1,9
Env. 3,8
Env. 5,7
Doc. interne MBWS, Estimation
12/05/2015
1,9
3,3
5,2
Doc. Public
Constatation
294.Ces données permettent de reconstituer les taux d'écart mentionnés dans la décision attaquée aux § 41 et 43 :
' entre l'EBITDA constaté le 12 mai 2015 et l'EBITDA estimé au 13 février 2015 :
(5,2 - 3,8) x 100 / 3,8 = 37 %
(5,2 - 5,7) x 100 / 5,7 = - 8,77 %
295.S'agissant du caractère précis de l'information, la Cour relève que le courriel du 14 mars 2015 aux membres du conseil d'administration de MBWS, dont Mme [AF], présentait un EBITDA de 5,7 millions d'euros comme un résultat proche du résultat final pour l'année 2014. Il s'agit d'une quantification chiffrée et précise d'un indicateur clé de MBWS.
296.Il était possible d'en déduire que par rapport à un EBITDA de 3,8 millions d'euros, les résultats envisagés comme réalistes le 14 mars 2015 marqueraient une hausse de près de 37 %, donc une forte hausse. C'est dans cette déduction que réside l'intérêt de l'information du 14 mars.
297.L'intérêt d'une telle précision de l'information du 14 mars 2015 s'apprécie au regard de la communication publique la plus récente à l'époque, à savoir le communiqué de presse du 13 février 2015.
298.S'il est vrai que la teneur de ce communiqué ne différait pas substantiellement de celle du communiqué précédent du 15 octobre 2014, en ce qu'il anticipait l'EBITDA du second semestre comme « au moins équivalent » à celui du premier semestre, le moment de sa diffusion (février 2015) constituait en soi un événement, puisqu'une telle date, proche de la clôture de l'exercice, permettait de conclure à la fiabilité de l'information qu'il contenait.
299.Or, l'indication d'un EBITDA « au moins égal » au second semestre à celui du premier semestre, s'il permettait de conclure à un EBITDA « au moins égal » à 3,8 millions d'euros pour l'année 2014, ne permettait nullement d'anticiper un EBITDA proche de 5,7 millions d'euros, et ce d'autant que le communiqué de presse du 15 octobre 2014 précisait que l'EBITDA 2014 « devrait être en retrait » en comparaison de celui de l'exercice 2013, qui avait été de 10,6 millions d'euros.
300.L'information contenue dans le courriel du 14 mars 2015 traduisait ainsi une amélioration de la situation de MBWS par rapport à la connaissance que le marché pouvait en avoir au 13 février 2015, peu important que ce niveau soit inférieur à celui de l'année 2013.
301.Par ailleurs, il n'importe que le communiqué de presse du 13 février 2015 n'ait pas explicitement précisé qu'il contenait une « annonce », l'effet d'annonce ressortant de la date du communiqué et de la teneur de son contenu, comme déjà indiqué. MBWS a indiqué en première page de son communiqué du 12 mai 2015 : « Résultats annuels 2014 supérieurs aux objectifs annoncés - EBITDA* 2014 : 5,2 M€ (vs. > 3,8 M€ annoncé) » (dossier [O] [A], pièce 27), ce qui corrobore l'analyse selon laquelle le communiqué du 13 février 2015 constituait en lui-même une annonce.
302.C'est ainsi à juste titre que l'AMF a retenu le caractère privilégié de l'information du 14 mars 2015 par rapport au communiqué de presse du 13 février 2015.
303.S'agissant du caractère non public de l'information, qui n'est pas valablement contesté, faute de recevabilité du moyen sur ce point (cf, § 246 du présent arrêt), la Cour précise, en tout état de cause , qu'il est établi. En effet, le courriel du 14 mars 2015 a fait l'objet d'une diffusion restreinte, en sorte que l'information qu'il contenait n'était pas publique. Cette information, ainsi qu'il a été dit, n'était pas non plus déjà diffusée dans le public, lequel ne pouvait anticiper un EBITDA proche de 5,7 millions d'euros sur la base du communiqué de presse du 13 février 2015.
304.S'agissant du caractère sensible de l'information, et compte tenu du contexte dans lequel elle s'inscrit, à savoir la situation de redressement de MBWS, précédemment décrite, une conclusion pouvait être tirée d'un EBITDA proche de 5,7 millions d'euros quant à son effet possible sur le cours des actions et autres instruments financiers liés à MBWS.
305.En effet, un investisseur raisonnable était susceptible d'utiliser une telle information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement dès lors que l'EBITDA constitue un indicateur pertinent de la qualité des résultats d'une entreprise, point qui n'est pas contesté par les requérantes.
306.Il n'importe qu'un observateur familier du site « boursorama », mentionné par les requérantes, ait pu aboutir à des conclusions qui lui étaient propres (dossier [O] [A], pièce n° 21), à partir d'une analyse des résultats régionaux déjà publiés de filiales de MBWS, un tel niveau d'analyse n'étant pas nécessairement celui de tous les épargnants, même dans le cas d'investisseurs raisonnables.
307.Il n'importe enfin que le lendemain de la publication des résultats effectifs de MBWS par un communiqué de presse du 12 mai 2015, les cours aient connu une hausse qui peut s'expliquer par d'autres facteurs que la seule communication de la hausse de l'EBITDA (5,2 millions d'euros).
308.En effet, l'aptitude à influer de manière sensible sur le cours d'un instrument financier doit s'apprécier a priori, à la lumière du contenu de l'information en cause et du contexte dans lequel elle s'inscrit. Il n'est donc pas nécessaire, afin de déterminer si une information est privilégiée, d'examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte (CJUE, 23 décembre 2009, affaire C-45/08, Spector Photo Group NV, § 69, ci-après, « l'arrêt Spector »).
309.Il n'est par ailleurs pas contesté que l'information privilégiée en cause concernait directement un émetteur d'instruments financiers, à savoir MBWS.
310.En conclusion de ces développements, la Cour estime que c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que l'information contenue dans le courriel du 14 mars 2015 revêtait, à cette date, un caractère privilégié.
2. Sur le caractère discrétionnaire du mandat du 3 octobre 2014
311.Dans la décision attaquée (§ 54 à 64), l'AMF indique, ainsi que le relèvent les notifications de griefs, que l'information privilégiée portant sur l'atterrissage des résultats 2014 a été communiquée aux administrateurs de cette société par un courriel du 14 mars 2015 émanant de son directeur général ; que Mme [AF], en sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS depuis le 16 septembre 2014, détenait l'information privilégiée et était, donc, tenue à une obligation d'abstention ; que [O] [A] était également détentrice de l'information dans la mesure où les personnes morales sont réputées détenir les informations privilégiées en possession de leurs représentants légaux.
312.La décision précise ainsi que dans un courriel du 15 mars 2015 adressé par Mme [AF] à M. [K], avec en copie le représentant d'Alterfi, a écrit « Ne pas traîner ! Voilà le maître mot [!] » ; qu'il résulte des pièces du dossier que Mme [AF] a donné instruction, pour le compte de [O] [A], d'acquérir, entre le 16 mars et le 1er avril 2015, 1 050 000 d'actions MBWS et 30 000 de BSA Actionnaire 2 (en solde net) ; que les acquisitions litigieuses, intervenues entre ces deux dates, ont été réalisées dans le cadre du mandat donné à Alterfi le 3 octobre 2014 ; que Mme [AF] s'est ainsi, à tout le moins, immiscée dans la gestion d'Alterfi, pour le compte de [O] [A], de sorte que le mandat n'était pas discrétionnaire.
313.[O] [A] expose que ce n'est pas elle qui a procédé aux opérations litigieuses « pour son propre compte », comme l'exige la lettre de l'article 622-1 du RGAMF, dès lors qu'elle avait pris la précaution d'externaliser la gestion de ses opérations sur les titres MBWS auprès d'Alterfi, dans le cadre de plusieurs mandats successifs, dont celui du 3 octobre 2014. C'est Alterfi qui a réalisé les opérations sur les titres MBWS « pour le compte d'un tiers », à savoir [O] [A], suivant la distinction de l'article 622-1 du RGAMF.
314.Elle précise que le mandat était discrétionnaire, à savoir que la composition du portefeuille devait varier selon la politique jugée pertinente par le gérant, et qu'il ne prévoyait pas la possibilité d'une immixtion, même à titre exceptionnel, du mandant, pourtant autorisée par la doctrine de l'AMF (Revue mensuelle n° 35, avril 2007) dans le cadre d'un tel mandat. En l'espèce, Alterfi était soumise à une obligation de résultat consistant à dépenser la somme globale de 15 millions d'euros pour acquérir des titres MBWS, indépendamment du nombre de titres achetés et du prix payé. En outre, la mise en 'uvre automatique du mandat ne supposait que l'accord de l'office des changes du Maroc, sans qu'il y ait besoin d'une réitération des instructions initiales du 4 octobre 2014.
315.Elle expose encore que dans le cadre des échanges/contacts entre [O] [A] (Mme [AF]) et Alterfi (M. [S] [P]), le courriel de Mme [AF] du 15 mars 2015 contenant l'expression « Ne pas traîner ! Voilà le maître [!] », qui ne faisait que reprendre une expression de M. [K] dans un précédent mail, n'a pas pu constituer une instruction, ni par voie de conséquence une immixtion, Mme [AF] n'ayant pris aucune décision et ayant seulement exprimé une impatience bien naturelle après cinq mois de fonctionnement au ralenti du mandat confié en octobre 2014. Elle relève que les fonds destinés à l'acquisition de titres ont été reçus avant le mail du 15 mars 2015.
316.[O] [A] conclut qu'il n'y avait aucune raison de ne pas tenir compte de l'interposition d'Alterfi, à l'instar de celle résultant d'un mandat de gestion programmée, laquelle est incompatible avec l'utilisation de l'information privilégiée par la mandante.
317.L'AMF observe d'abord que le moyen tiré de l'absence d'opération effectuée par [O] [A] sur les titres MBWS est inopérant dans la mesure où le manquement étant caractérisé à l'encontre de [T] [AF], il est imputable à [O] [A] « au nom et pour le compte de laquelle il a été commis ». Il ne peut être utilement fait valoir qu'en pratique l'initié secondaire doit avoir effectué une opération d'acquisition ou de cession.
318.S'agissant du mandat confié à Alterfi en date du 3 octobre 2014, si la recommandation AMF n° 2010-07 relève que la mise en place d'un mandat de gestion discrétionnaire permet de démontrer que des transactions effectuées par un dirigeant n'ont pas été déterminées par la connaissance d'une information privilégiée mais par des instructions données antérieurement, alors que le dirigeant ne se trouvait pas en situation d'initié, tel n'est pas le cas en l'espèce.
319.En effet, la Commission des sanctions a mis au jour une telle immixtion de Mme [AF] dans le mandat de gestion confié à Alterfi : la séquence des échanges (le courriel du 15 mars 2015 ayant été adressé dès le lendemain de la réception par Mme [AF] de l'information privilégiée), la proximité entre les différents protagonistes qu'ils révèlent, l'affirmation par Mme [AF], s'apparentant à une consigne, qu'il ne fallait pas trainer, enfin, la confirmation par Mme [AF] elle-même que les opérations effectuées auraient été conformes à « notre stratégie » du début jusqu'à la fin, sont radicalement incompatibles avec le caractère prétendument discrétionnaire du mandat conclu avec Alterfi, du moins tel qu'il a effectivement été mis en 'uvre.
320.Il s'ensuit que le moyen tiré par [O] [A] de l'existence du mandat confié à Alterfi s'avère radicalement sans emport.
Sur ce, la Cour :
321.Le mandat du 3 octobre 2014 confié par [O] [A] à Alterfi a été signé, pour le compte de ces personnes morales, respectivement, par Mme [T] [AF] (dénommée « le Client ») et par M. [S] [P] (dossier [O] [A], pièce 4).
322.Ce document expose notamment :
' en préambule que « Le Client a transmis à l'AMF, en date du 3 octobre 2014, une déclaration de franchissement de seuils et déclaration d'intention ['] stipulant, entre autres, 'qu'elle envisage de poursuivre ses acquisitions d'actions [Localité 5] en fonction des conditions de marché, notamment pour conforter sa position d'actionnaire de référence détenant à ce jour un peu plus de 13 % du capital de [Localité 5]' » ;
' toujours en préambule, que « le Client doit obtenir l'autorisation de l'Office des Changes du Maroc de poursuivre ses acquisitions préalablement à la mise en 'uvre du Mandat par Alterfi »,
' à l'article 3, que le Client mandate Alterfi pour gérer l'acquisition d'actions de la société [Localité 5] / consacre à l'acquisition d'actions une somme maximale de 15 000 000 d'euros (quinze millions), rémunération d'Alterfi incluse / consacre à l'acquisition de bons de souscription une somme maximale de 1 000 000 d'euros (un million), rémunération d'Alterfi incluse / que les obligations d'Alterfi sont de résultat ;
' toujours à l'article 3, que le Client peut instruire Alterfi par écrit d'ajuster la quantité maximale d'actions et bons de souscription à acquérir ainsi que la somme maximale consacrée à l'acquisition en cas de « modification des caractéristiques de la société [Localité 5], d'un changement dans l'évolution du marché boursier du titre ou, de façon générale, de tout évènement susceptible de modifier la stratégie de gestion définie » précédemment ;
' à l'article 13, qu'Alterfi fournit un rapport hebdomadaire au Client.
323.Afin de procéder aux opérations d'acquisitions mentionnées dans le mandat précité, [O] [A] a souscrit un prêt pour un montant de 15 millions d'euros auprès de la société BMCE OFFSHORE, et ce « dans le cadre de l'acquisition de 3 % des actions de la société BELVEDERE SA sur la bourse de Paris », ainsi qu'il ressort d'une lettre émanant de l'office des changes du Maroc en date du 6 mars 2015, adressée à [O] [A] (dossier [O] [A], pièce 3).
324.Cette lettre contenait une autorisation qui portait sur la réalisation des opérations suivantes :
' l'acquisition de 3 % des actions de la société [Localité 5] à la bourse de Paris, pour un montant global de 15 millions d'euros ;
' la mobilisation par [O] [A] d'un prêt de 15 millions d'euros auprès de BMCE OFFSHORE ;
' l'ouverture d'un compte au nom de ladite société sur les livres de ladite banque pour la gestion du prêt susvisé ;
' le nantissement de 6 9702 actions de la société de droit marocain « Les Celliers de Meknès » à hauteur de 150 millions de dirhams en garantie du prêt.
325.C'est à une telle autorisation que le mandat du 3 octobre 2014 se référait dans son préambule précité.
326.Il résulte de ces pièces que le principe de l'acquisition par Alterfi d'actions [Localité 5] (devenu MBWS) était posé dès la signature du mandat du 3 octobre 2014 et que la possibilité pratique de procéder à ces acquisitions, ou de les poursuivre, dépendait du déblocage de fonds empruntés.
327.Une première somme de 5 millions d'euros a été versée sur un compte ouvert auprès de la société Interactive Broker, société domiciliée dans le Connecticut aux États-Unis (cf, annexe 9.1 au rapport d'enquête ; pièce 76 de [O] [A], avis de crédit), au nom de [O] [A] le vendredi 13 mars 2015, une deuxième somme de 5 millions d'euros le 19 mars 2015, une troisième somme de 4.5 millions d'euros, le 23 mars 2015 (rapport d'enquête de l'AMF, note de bas de page n° 77 et la pièce 76 de [O] [A] précitée).
328.Il a été exposé en quoi l'information que contenait le courriel du 14 mars 2015 adressé aux membres du conseil d'administration de MBWS, dont Mme [AF], présentant un EBITDA de 5,7 millions d'euros comme un résultat proche du résultat final pour l'année 2014, constituait une information privilégiée.
329.Le dimanche 15 mars 2015 à 8 h 47, M. [K] a adressé à Mme [AF] ainsi, parmi d'autres, qu'à M. [S] [P] (Alterfi), un courriel (annexe 4.7 du rapport d'enquête de l'AMF) faisant état, notamment, de la forte hausse des marchés actions, de la présence de levées de volumes par des fonds indiciels, du suivi prochain de [Localité 5] par les analystes de la Société générale. Son auteur concluait par ces mots « En résumé, je pense qu'il ne faut pas traîner' ».
330.Répondant à ce courriel à 12 h 18, le même jour, Mme [AF] en a adressé un autre (le « courriel Alterfi », annexe 4.8 du rapport d'enquête de l'AMF), destiné à M. [K] mais dont M. [P] (Alterfi) était destinataire en copie, ainsi rédigé :
« Bonjour,
Ne pas traîner ! Voilà le maître mot [!]
Bon weekend à tous.
[T] [Y] [AF]
Présidente Directrice Générale
[O] [A] »
331.Dans le cadre de l'audition de Mme [AF], le 14 mars 2018 (rapport d'enquête de l'AMF, Annexe 1.14 et pièce 19 du dossier de [O] [A]), les enquêteurs ont indiqué qu'il « apparaît qu'à partir du 16 mars 2015, et jusqu'au 1er avril 2015, le rythme d'acquisition d'actions MBWS par [O] [A] s'est accéléré par rapport à celui ressortant de ses interventions antérieures ». Ils ont ajouté que [O] [A] avait acquis, en solde net, 321 537 actions MBWS le 16 mars 2015 ; 850 000 actions MBWS entre le 16 et le 26 mars 2015 ; 1 409 295 actions entre le 16 mars et le 1er avril 2015 (question 88).
332.Mme [AF] a déclaré, lors de cette même audition :
' « la seule raison pour laquelle les achats ont commencé le lundi 16 mars est que les fonds (') ont commencé à arriver (en 3 tranches successives comme indiqué sur le relevé d'Interactive Broker) le vendredi 13 mars » (question 88),
' « tout était une question de liquidité, une fois que l'argent arrivait, les achats reprenaient » (question 89),
' « on était bloqués par la mise à disposition de l'argent et le cours était en train de flamber » (question 103),
' [les échanges du 15 mars 2015] « n'ont absolument pas modifié notre stratégie qui est restée inchangée du début jusqu'à la fin » (question 106),
' « on attendait impatiemment que l'argent arrive pour pouvoir reprendre nos achats avant que le cours ne flambe encore plus » (même pièce, question 104),
' [la stratégie de [O] [A]] « n'a pas été accélérée. Elle a juste été poursuivie de façon accélérée à partir du moment où les derniers fonds ont été reçus » (même pièce, question 110).
333.Il reste que Mme [AF], signant son courriel en sa qualité de PDG de [O] [A], a, par l'emploi de la locution « Ne pas traîner ! Voilà le maître mot [!] », donné à Alterfi une instruction très claire tendant à l'accélération du rythme des achats de titres [Localité 5]. Il n'importe, incidemment, que M. [P] n'ait reçu le courriel qu'en qualité de destinataire en copie, seuls étant déterminants la transmission et la réception du message.
334.La Cour ajoute que détenant depuis la veille, 14 mars 2015, une information privilégiée portant sur l'amélioration de la situation de MBWS, Mme [AF] pouvait effectivement s'attendre à une hausse prochaine du cours de l'action.
335.Lors de son audition du 12 janvier 2018, M. [S] [P] a précisé (rapport d'enquête de l'AMF, annexe 1.12, page 17, question 36) que « l'on définit une stratégie, un plan d'action en fonction des données du marché. La stratégie est une chose, la mise en pratique est une autre, c'est le marché qui décide. Si le marché ne vend pas ou si les volumes sont réduits, la stratégie est mise en suspens en fonction des données du marché. C'est dans cet esprit aussi que, dans les mandats, il était indiqué que j'envoyais un compte rendu hebdomadaire, si mes souvenirs sont bons (art.12) mais en pratique, je tenais informé, chaque jour d'opération [O] [A] du niveau de la position, du prix de revient de la position ».
336.La Cour considère, au regard de ces différentes déclarations et du contexte, en particulier des relations et des échanges suivis entre Mme [AF], [O] [A] et Alterfi (M. [P]), qu'en adressant ce message, Mme [AF] est intervenue dans l'exécution de son mandat par Alterfi, et ce dans des conditions que l'article 3 du mandat ne prévoyait pas.
337.Cette intervention, si elle n'a pas eu pour objet de modifier la stratégie déjà en place, a néanmoins influé sur sa mise en 'uvre en ce que M. [P] a reçu instruction d'accélérer le rythme de ses acquisitions d'actions MBWS au profit de [O] [A] à compter du 16 mars 2015.
338.Elle a par ce seul fait privé ledit mandat de son caractère discrétionnaire, à tout le moins à compter du 15 mars 2015.
339.La discussion du point de savoir si cette instruction a été donnée par Mme [AF] à titre personnel ou par [O] [A] pour son propre compte fera l'objet des développements qui suivent.
3. Sur l'utilisation par Mme [AF] de l'information du 14 mars 2015
340.Dans la décision attaquée, l'AMF indique (§ 54 à 66) que Mme [AF], en sa qualité d'administrateur de MBWS depuis le 16 septembre 2014, était une initiée primaire. Elle ajoute qu'en sa qualité d'initiée primaire, elle est présumée avoir utilisé, pour le compte de [O] [A], l'information privilégiée précitée à l'occasion des opérations litigieuses, à charge pour elle de rapporter des éléments de preuve propres à écarter cette présomption en démontrant qu'elle n'a pas exploité de manière indue l'avantage que lui conférait la détention de ladite information. Elle conclut que le manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée est caractérisé à l'encontre de Mme [AF]. Elle ajoute encore que ce manquement est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, ainsi, caractérisé à son encontre.
341.Mme [AF] expose, en premier lieu, que le manquement qui lui a été notifié, à savoir « l'utilisation » d'une information privilégiée en acquérant des titres « pour le compte d'un tiers », selon l'article 622-1, alinéa 1, du RGAMF, repris en substance à l'article 8.1 du règlement MAR, n'est pas caractérisé.
342.En effet, la Commission des sanctions a décidé que les opérations litigieuses avaient été effectuées par Mme [AF] « au nom et pour le compte » de la société [O] [A], dont elle était le PDG. Il en résulte que celui qui agit « au nom et pour le compte » d'un autre s'efface derrière ce dernier, qu'il ne fait que représenter vis-à-vis des tiers (pour un exemple, Cass., Com., 10 février 2021, pourvoi n° 19-10.006). De même, en matière pénale, la responsabilité de la personne morale est engagée en tant qu'auteur (principal) du manquement commis par ses organes ou représentants (art. 121-2 du code pénal), c'est-à-dire ceux qui agissent « en son nom et pour son compte » vis-à-vis des « tiers ».
343.Elle ajoute qu'il ne faut pas se laisser abuser par l'approximation linguistique de la version française de l'article 8.1 de la directive 2014/57/UE relative aux abus de marché (ci-après, « la directive MAD »), où l'expression « for their benefit » est traduite par « pour leur compte », ce qui invite à la confusion avec les termes « for their account » utilisés à l'article 3.2 de la directive MAD.
344.Il en résulte que la personne physique agissant « au nom et pour le compte » d'une personne morale, si elle peut être poursuivie en qualité de complice ou d'incitateur de la personne morale, conformément à l'article 6.1 de la directive MAD, ne saurait l'être en qualité d'auteur (principal) de l'« abus de marché » défini à l'article 3.2 de la directive MAD.
345.La définition du manquement administratif étant identique à celle de l'infraction pénale, il ne peut en tout état de cause y avoir qu'un seul auteur pour une opération donnée, à savoir l'initié qui a acheté ou vendu pour son propre compte ou pour celui d'un tiers (mandant). Au demeurant, la Cour a déjà retenu une telle analyse (CA Paris, 26 novembre 2008, RG n° 2007/14613).
346.Au cas d'espèce, Mme [AF] soutient n'avoir pris aucune décision d'acquisition de titres MBWS, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, et n'a donc réalisé aucune « opération d'initié » au sens de la réglementation applicable.
347.Dès lors, c'est à tort que la Commission des sanctions a considéré que Mme [AF] avait la qualité d'initiée primaire et qu'il en découlait à son encontre une présomption d'utilisation de l'information conformément à l'arrêt Spector, puisque l'intéressée n'a jamais « effectué d'opération de marché » sur le titre MBWS.
348.Enfin, Mme [AF] expose qu'aucun grief ne lui a été notifié sur le fondement du 7ème alinéa de l'article 621-1 du RGAMF, qui dispose que « lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations d'abstention s'appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision (') ». Elle soutient que l'article 8.5 du règlement MAR reprend la substance de ce 7ème alinéa de l'article 621-1 du RGAMF, en sorte que le fondement de la poursuite ne saurait être trouvé à l'article 8.1 dudit règlement, qui traite du manquement commis par toute personne, morale ou physique, qui procède à une opération « pour le compte » d'un tiers. En cas de doute de la Cour sur la nette différence qu'il convient de faire entre les articles 8.1 et 8.5, la requérante suggère de poser une question préjudicielle à la CJUE.
349.En second lieu, l'intéressée soutient qu'un manquement qui ne lui a pas été notifié mais aurait pu l'être sur le fondement de l'article 8.5 du règlement MAR, consistant en sa « participation », pour le compte d'une personne morale initiée, à la décision d'acquisition prise par les « organes ou représentants », n'est pas plus établi.
350.Elle rappelle que si le grief de « participation » suppose que la personne morale soit initiée, ce n'est pas le cas en l'espèce de la société [O] [A] (cf. supra).
351.Elle ajoute que l'article 8.5 du règlement MAR n'est pas encore applicable en France, faute de texte fixant le mécanisme d'imputabilité, ainsi qu'il ressort du considérant 40 du règlement. Le 7ème alinéa de l'article 621-1 du RGAMF ayant été abrogé, les personnes physiques doivent en conséquence bénéficier du principe de la rétroactivité in mitius.
352.Elle rappelle enfin qu'aucune preuve n'existe de la participation de Mme [AF] aux décisions prises par M. [S] [P] en sa qualité de dirigeant d'Alterfi et dans le cadre du mandat d'octobre 2014 (cf. supra).
353.Le cas échéant, [O] [A] invite la Cour à poser à la CJUE une question préjudicielle qui pourrait être ainsi rédigée : « le dirigeant d'une personne morale agissant pour le compte de celle-ci peut-il être considéré comme un personne physique agissant pour le compte d'un tiers, au sens de l'article 8.1 du règlement MAR, ou bien sa participation ne peut-elle exclusivement être recherchée qu'à raison de sa participation à la prise de décision pour le compte de la personne morale, conformément à l'article 8.5 du règlement MAR ' ».
354.Dans ses observations en réponse, l'AMF expose que les termes « autrui », qui se trouve à l'article 622-2 du RGAMF, et « tiers », qui se trouve à l'article 8.1 du règlement MAR, désignent tous deux « l'autre », par opposition à la personne qui acquiert, cède, tente d'acquérir ou de céder « pour son propre compte ». Ainsi, au sens de ces deux textes, l'acquisition ou la cession réalisée par une personne détenant l'information privilégiée pour le compte d'autrui ou pour le compte d'un tiers est l'acquisition ou la cession qui n'est pas faite pour elle-même.
355.Elle ajoute qu'aucun principe ne s'oppose à ce que le manquement puisse être concurremment imputé à la personne physique et à la personne morale. Ainsi, en matière pénale, l'article 121-3, alinéa 3 du code pénal permet de retenir la responsabilité de la personne physique en qualité d'auteur, en plus de celle de la personne morale.
356.L'AMF considère que l'article 8.1 du règlement MAR constitue le fondement pertinent de la poursuite du dirigeant d'une personne morale ayant réalisé des opérations d'initié pour le compte de celle-ci. Contrairement à ce qu'avancent les requérantes, ce n'est pas l'article 8.5 qui aurait dû être choisi, celui-ci s'appliquant à toute personne qui « participe » à une opération d'initié, mais non à son initiateur et principal auteur.
357.Elle rappelle enfin que c'est vainement que Mme [AF] soutient que les conditions d'application de l'article 8.5 précité ne seraient pas remplies dans la mesure où un tel grief n'a été ni notifié ni retenu à son encontre.
358.Tout à fait subsidiairement, l'AMF précise qu'aucune mesure de transposition n'a lieu d'être faite par suite de la référence que l'article 8.5 du règlement MAR contient au droit national pour la détermination des personnes physiques qui « participent » à la décision litigieuse.
359.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
360.L'article 622-1 du RGAMF, sur le fondement duquel le grief consistant à avoir manqué « à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé au marché le 13 février 2015 » a été notifié à Mme [AF], était ainsi rédigé dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016 (abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016), applicable pendant la période des faits reprochés :
« Toute personne mentionnée à l'article 622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers ['] auxquels se rapporte cette information ['] ».
361.L'article 622-2 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016, précise que les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
« 1° Sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ».
362.La Cour observe que les dispositions de l'article 8 du règlement MAR reprennent le contenu des dispositions précitées du RGAMF. Cet article 8 est entré en application le 3 juillet 2016, aux termes de l'article 39.2 dudit règlement, et ne suppose aucune mesure d'adaptation des législations nationales, ainsi qu'il résulte de l'article 39.3. Ce dernier texte énumère en effet les articles pour lesquels les États membres doivent prendre des mesures afin de s'y conformer. Or, l'article 8 du règlement ne figure pas au nombre de ces dispositions. En conséquence, l'article 8 du règlement MAR n'a pas lieu de faire l'objet d'une application rétroactive.
363.En l'espèce, seul l'article 622-1 du RGAMF, visé par la notification des griefs, est applicable.
364.L'article 8 du règlement MAR n'étant pas applicable en l'espèce, il n'y a pas lieu de transmettre la question préjudicielle proposée par les requérantes qui porte sur l'interprétation dudit article (cf, § 223 du présent arrêt).
365.En revanche, il convient d'interpréter le droit national au regard du droit de l'Union, en l'espèce la directive 2003/06 telle qu'interprétée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Spector.
366.En l'espèce, comme cela a déjà été indiqué, Mme [AF] a détenu l'information privilégiée à compter du 14 mars 2015 en raison de sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS. À ce titre, elle était initiée primaire.
367.Elle était dès lors tenue de s'abstenir d'utiliser ladite information en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les actions et bons de souscription de MBWS et ce en application de l'article 622-1 du RGAMF, visé par la notification des griefs.
368.En sa qualité d'initiée primaire, Mme [AF] est présumée avoir utilisé l'information privilégiée qu'elle détenait (arrêt Spector, § 62) lorsqu'elle s'est immiscée dans l'exécution du mandat confié à Alterfi.
369.Or, elle ne justifie pas de circonstances de nature à renverser la présomption. Au demeurant, le fait qu'une somme de 5 millions d'euros ait été versée sur le compte de [O] [A] tenu par la société Interactive Brokers le vendredi 13 mars ne suffit pas à renverser cette présomption.
370.Dès lors, Mme [AF] succombe à écarter la présomption qui pèse sur elle.
371.Enfin, en faisant acquérir à [O] [A] des titres MBWS par l'intermédiaire d'Alterfi, Mme [AF] a fait usage d'une information privilégiée pour le compte d'autrui au sens de l'article 622-1 du RGAMF.
372.En conclusion de ces développements, la Cour retient, comme la Commission des sanctions de l'AMF, que Mme [AF] a manqué à son obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée qu'elle détenait.
4. Sur l'imputabilité du manquement à [O] [A]
373.Dans la décision attaquée, l'AMF indique (§ 66) que le manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée étant caractérisé à l'encontre de Mme [AF], ce manquement est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, qu'il est ainsi caractérisé à son encontre.
374.[O] [A] rappelle à titre liminaire qu'elle n'est pas un initié primaire au sens de l'article 622-2 du RGAMF et qu'elle n'est donc pas concernée par la présomption de détention résultant d'une opération en période de fenêtre négative, telle que posée par l'arrêt Spector.
375.Dans le cas d'un initié secondaire, comme elle, il incombe à l'AMF d'établir qu'il savait ou aurait dû savoir que l'information était privilégiée, conformément à l'alinéa 6 du texte précité.
376.Elle expose en premier lieu que ce n'est pas la détention de l'information privilégiée (quod non) qui explique ses acquisitions de titres MBWS à partir du 16 mars 2015 dans la mesure où, si Mme [AF] était présente au conseil d'administration de MBWS, ce que l'AMF retient contre elle, d'autres circonstances expliquent le comportement de la requérante sur le marché. [O] [A] indique ainsi, d'une part, que le marché était très favorable le 16 mars 2015 du fait de la présence d'un gros vendeur (200 000 titres vendus en deux minutes), d'autre part, qu'elle avait reçu dès le vendredi 13 mars (et non le dimanche 15 mars comme l'indique le rapport d'enquête en page 27 - pièce 41) un premier versement de 5 millions d'euros issus de l'emprunt de 15 millions d'euros qu'elle avait contracté, en sorte qu'elle disposait de fonds le lundi 16 mars. L'accélération du rythme de ses acquisitions courant mars 2015 ne s'explique donc pas autrement que par l'arrivée de ces nouveaux fonds. Corrélativement, c'est de façon tout à fait erronée que la décision attaquée retient qu'aucune pièce du dossier ne corrobore le fait que la réception de ces fonds explique ses acquisitions à compter du 16 mars 2015 (§ 65).
377.Elle conclut sur ce point qu'aucun faisceau d'indices univoques ne permet de déduire du calendrier des opérations qu'elle détenait l'information litigieuse, laquelle n'est pas présumée. Elle rappelle encore que l'arrivée des fonds le 13 mars 2015 l'emporte manifestement sur le courriel reçu le 14 mars par Mme [AF].
378.Elle considère en deuxième lieu, à supposer qu'elle ait détenu l'information, qu'il n'y a aucune raison de penser qu'elle savait ou aurait dû savoir que celle-ci pouvait être privilégiée. Elle relève ainsi que l'estimation de l'EBITDA a varié entre décembre 2014 et mars 2015, et que l'estimation de 5,7 millions d'euros a été communiquée au directeur général de MBWS dès le 28 février 2015 ainsi qu'aux organes sociaux. Des stock-options ayant été attribuées le 12 mars 2015, pratique interdite en période de fenêtre négative en application de l'article L. 225-177 du code de commerce, et quatre de ses administrateurs ayant procédé à des achats dès le 13 mars, il en résulte que MBWS ne considérait pas que l'information litigieuse relative à un EBITDA strictement supérieur à 3,8 millions d'euros était privilégiée. Elle relève encore que l'estimation de 5,7 millions d'euros n'était pas particulièrement bonne et que Mme [AF] a indiqué, lors de son audition, ne pas y avoir prêté attention.
379.En troisième lieu, [O] [A] invite la Cour à poser une question préjudicielle ainsi rédigée : « Une personne morale peut-elle entrer dans le champ d'application des articles 8.1 et 9.1 du règlement MAR, et faire l'objet de sanctions à raison de la violation de l'interdiction posée par l'article 15 du règlement MAR, sans qu'il soit établi qu'elle était en possession d'une information privilégiée lors des opérations d'initié qu'elle aurait effectuée pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers ' ».
380.L'AMF indique dans ses observations en réponse que l'argumentation développée par [O] [A], tirée de sa qualité d'initiée secondaire, est inopérante car le manquement retenu à l'encontre de Mme [AF], président directeur général et représentant légal de [O] [A], pouvait être imputé à la personne morale sans qu'il fût nécessaire de faire la démonstration demandée.
381.Elle rappelle qu'au titre des mécanismes particuliers d'imputation d'un manquement à la personne morale, figurent au premier chef « les cas où l'agissement fautif est directement imputable à la personne morale dans la mesure où les actes litigieux ont été commis en son nom et pour son compte par celui ou ceux qui la représentent légalement », selon une technique d'imputation proche de celle de l'article 121-2 du code pénal.
382.Ainsi, en matière commerciale, les manquements commis par le dirigeant de la personne morale sont imputables à cette dernière dès lors « que le dirigeant agissant dans l'exercice de ses fonctions incarne la société au nom pour le compte de laquelle il s'exprime » (Com., 19 décembre 2006, pourvoi n° 05-18833).
383.L'AMF considère que ces mêmes mécanismes doivent être transposés mutatis mutandis à l'ensemble des manquements administratifs susceptibles d'être commis par une personne agissant au nom et pour le compte de la personne morale, et notamment aux manquements d'initiés, ce que la cour d'appel a déjà admis dans le cas des dirigeants sociaux (Paris, 17 septembre 2020, RG n° 19/11033) sans qu'il y ait lieu de caractériser la détention des informations privilégiées par la société elle-même (moyen déclaré non-admis, Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
384.En l'espèce, elle conclut que le manquement étant caractérisé à l'encontre de Mme [AF], initiée primaire (cf, infra), la Commission des sanctions a retenu à bon droit que le manquement « est également imputable à la société [O] [A], au nom et pour le compte de laquelle il a été commis, et, ainsi, caractérisé à son encontre ».
385.L'AMF ajoute qu'il résulte d'une jurisprudence constante que les personnes morales sont réputées détenir les informations privilégiées en possession de leurs représentants légaux, et précise que [O] [A] a directement reçu l'information privilégiée par les trois administrateurs qui la représentaient au conseil d'administration de MBWS en tant qu'actionnaire de référence.
386.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
387.La Cour relève que la notion de personne morale procède d'une fiction. Une telle personne n'agit pas directement, mais seulement par l'entremise d'une personne physique qui agit pour son compte et qui doit, afin d'incarner celle-ci, avoir une qualité d'organe ou de représentant.
388.Il n'existe en outre aucune incompatibilité à ce que les mêmes faits soient imputables à une personne physique et à la personne morale dont la première est l'organe ou le représentant et qui agit pour son compte. Tel est le cas, au demeurant, en matière pénale (article 121-2 du code pénal).
389.Ces considérations ne sont en rien incompatibles avec le règlement MAR, dont le considérant 40 du règlement précise « Afin de garantir la responsabilité tant de la personne morale que de toute personne physique participant à la prise de décision de la personne morale, il est nécessaire de reconnaître les différents mécanismes juridiques nationaux des États membres. Ces mécanismes devraient concerner directement les méthodes d'imputation de la responsabilité dans le droit national », étant précisé que l'objectif de ce règlement est de « mettre en place un cadre plus uniforme et plus fort, en vue de préserver l'intégrité du marché » (considérant 4).
390.La Cour considère ainsi que dans le cas de manquements d'initiés, le comportement d'une société ne peut être dissocié de celui de ses organes ou représentants dès lors que ces derniers, détenteurs d'une information privilégiée, ont exercé pour son compte une influence sur la décision d'acquisition d'instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte.
391.En l'espèce, Mme [AF] était à l'époque PDG de [O] [A]. C'est elle qui a signé le mandat donné à Alterfi en date du 3 octobre 2014 pour le compte de [O] [A] et qui s'est immiscée dans l'exécution de ce mandat par un courriel du 15 mars 2015 qu'elle a signé en mentionnant sa qualité de « Présidente Directrice Générale / [O] [A] » (cf D4). Ce sont les fonds détenus par [O] [A] qui ont permis à Alterfi d'acquérir les actions et bons de souscription en exécution du mandat, et c'est [O] [A] qui a acquis une participation de près de 15 % dans MBWS.
392.Agissant pour le compte de [O] [A], Mme [AF] a manqué à son obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée qu'elle détenait en qualité de membre du conseil d'administration de MBWS. Il s'ensuit que le même manquement est imputable à [O] [A]. Corrélativement, dans ce contexte, la considération que [O] [A] ne soit pas une initiée primaire au sens du droit de l'Union est inopérante.
393.Il n'y a pas lieu, par suite, de transmettre la question préjudicielle proposée par les requérantes (cf, § 228 du présent arrêt).
5. Sur l'invocation par [O] [A] d'un comportement légitime
394.Dans la décision attaquée (§ 32, 33, 62), l'AMF a indiqué qu'elle examinait les faits reprochés à la lumière des dispositions des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du RGAMF ainsi que de celles de l'article 9.1 du règlement MAR, ces dernières dispositions relatives à un éventuel comportement dit légitime étant moins sévères et devant donc s'appliquer rétroactivement.
395.Elle a précisé qu'en sa qualité d'initiée primaire, Mme [AF] est présumée avoir utilisé, pour le compte de [O] [A], l'information privilégiée précitée à l'occasion des opérations litigieuses, à charge pour elle de rapporter des éléments de preuve propres à écarter cette présomption en démontrant qu'elle n'a pas exploité de manière indue l'avantage que lui conférait la détention de ladite information.
396.[O] [A] soutient qu'en tout état de cause, elle a vocation à bénéficier des dispositions de l'article 9.1 du règlement MAR, dont l'AMF convient qu'elles sont d'application rétroactive.
397.Considérant que ces dispositions s'appliquent à elle, [O] [A] soutient que les conditions qu'elles posent sont réunies puisque :
' [O] [A] n'a pas influencé d'une quelconque manière M. [S] [P], dirigeant d'Alterfi, autrement qu'en lui confiant un mandat et des fonds,
' le destinataire du mail de Mme [AF] du 15 mars 2015 n'était pas Alterfi, M. [P] n'étant qu'en copie,
' Alterfi a vendu des titres pendant la période du 16 mars au 1er avril 2015, et ce pour près de 5 millions d'euros, et ne s'est donc pas contenté d'en acheter, ce qui est contradictoire avec la prétendue injonction de Mme [AF] de « ne pas traîner »,
' M. [P] aurait pu s'acquitter plus rapidement qu'il ne l'a fait de sa mission (dépenser 15 millions d'euros pour acquérir des titres MBWS), ce qui confirme le caractère discrétionnaire du mandat,
' M. [P] n'a considéré les échanges pendant la pause du week-end du 14 au 15 mars 2015 que comme un simple échange de vues consécutif à l'alimentation du compte espèces ouvert chez Interactive Brokers, sur lequel la somme de 5 millions d'euros était arrivée le 13 mars et portant sur le positionnement de nouveaux investisseurs qui risquaient de provoquer des tensions sur le marché,
' la prise en compte du courriel de Mme [AF] du 15 mars est en réalité indifférente, une telle instruction n'étant pas établie dans le cas du prétendu manquement afférent au plan BIG 2018 qui fait l'objet du recours incident du président de l'AMF.
398.[O] [A] conclut de ces développements et de ceux qui précèdent que le manquement reproché n'est pas établi à son encontre et qu'elle doit en conséquence être mise hors de cause.
399.L'AMF répond que la Commission des sanctions a retenu que l'article 9.1 du Règlement MAR pouvait faire l'objet d'une application rétroactive.
400.Elle observe en premier lieu que [O] [A], loin de revendiquer l'application du texte précité, en a exclu l'application motif pris que celle-ci aurait supposé que des acquisitions de titres MBWS eussent été effectuées par elle pour son propre compte, ce qu'elle contestait.
401.L'AMF ajoute, en second lieu, que les requérantes n'allèguent pas ni n'établissent, que les deux conditions cumulatives prévues à l'article 9.1 précité ont été remplies. Ainsi, [O] [A] n'a pas démontré qu'elle n'a pas fait une utilisation indue de l'avantage que lui procurait l'information.
402.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
403.L'article 9.1 du règlement MAR, intitulé « comportement légitime », dispose que :
« Aux fins des articles 8 et 14, il ne doit pas être considéré que le simple fait qu'une personne morale est en possession ou a été en possession d'une information privilégiée signifie que cette personne a utilisé cette information et a ainsi effectué une opération d'initié sur la base d'une acquisition ou d'une cession, lorsque cette personne morale :
a) a établi, mis en 'uvre et maintenu à jour des mesures et procédures internes appropriées et efficaces pour garantir de manière effective que ni la personne physique qui a pris la décision pour son compte d'acquérir ou de céder des instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte ni aucune autre personne physique qui aurait pu exercer une quelconque influence sur cette décision n'étaient en possession de l'information privilégiée ; et
b) n'a pas encouragé, recommandé, incité ou influencé d'une quelconque manière la personne physique qui a, pour le compte de la personne morale, acquis ou cédé des instruments financiers auxquels se rapporte l'information ».
404.La Commission des sanctions comme les requérants considèrent que ces dispositions sont d'application rétroactive dès lors qu'elles sont plus favorables que les dispositions antérieures issues du RGAMF. La Cour partage cette analyse.
405.En l'espèce, il a été exposé que Mme [AF], personne physique qui a pris la décision d'acquérir ou de céder des instruments financiers pour le compte de [O] [A], était en possession de l'information privilégiée qui se rapportait auxdits instruments. Pour ce faire, elle s'est immiscée dans l'exécution du mandat confié par [O] [A] à Alterfi.
406.Ces circonstances révèlent que la société [O] [A] n'a pas établi, mis en 'uvre et maintenu à jour des mesures et procédures internes appropriées et efficaces pour garantir de manière effective que l'opération d'initié ne puisse survenir.
407.Ce faisant, la première des deux conditions cumulatives prévues par l'article 9.1 du règlement MAR fait défaut.
408.C'est dès lors vainement que [O] [A] invoque ces dispositions.
6. Sur le défaut de déclaration d'opérations par [O] [A]
409.Dans la décision attaquée (§ 116 et 117), l'AMF indique que [O] [A] étant dirigée par Mme [AF], membre du conseil d'administration de MBWS, elle est une personne morale « dont la direction ['] est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ». Elle ajoute qu'il n'y a pas lieu de rechercher si [O] [A] agissait dans l'intérêt de Mme [AF].
410.Elle conclut qu'en application du I. c) de l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier, [O] [A] était tenue de déclarer à l'AMF les opérations réalisées sur le titre MBWS.
411.[O] [A] soutient dans son mémoire du 18 avril 2023 (pp. 69-73) que s'agissant des déclarations prévues par l'article L. 621-18-2 du CMF, elle s'est conformée à la doctrine officielle de l'AMF, telle qu'elle ressort de la position DOC n° 2006-16, qui, interprétant l'article R. 621-43-1 du CMF (dans sa version en vigueur du 5 mars 2006 au 5 juillet 2018), considérait qu'aucune déclaration n'était requise lorsque la société, dont le dirigeant concerné par la déclaration est administrateur, agit pour son compte propre et non dans l'intérêt personnel de son dirigeant.
412.En outre, le site internet de l'AMF précise que ladite position constitue une interprétation des dispositions législatives et réglementaires entrant dans le champ de la compétence de l'AMF et qu'elle est communiquée dans un souci de transparence et de prévisibilité.
413.En substance, il résulte de cette position 2006-16 que la condition relative au fait d'agir « dans l'intérêt de l'une de ces personnes » ne s'applique pas seulement aux « personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° » de l'article R. 621-43-1, 4°, a), c'est-à-dire aux personnes physiques (conjoint, enfant, parent) ayant des liens personnels étroits avec les « personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 », mais aussi à ces dernières elles-mêmes, c'est-à-dire les dirigeants.
414.[O] [A] observe que la doctrine que soutenait le collège de l'AMF dans la notification de griefs était également contraire à celle retenue par la décision attaquée, puisqu'il tentait de soutenir que [O] [A] agissait « dans l'intérêt » de Mme [AF]. Elle relève encore que l'arrêt de la Cour de cassation du 21 avril 2022 (n° 20-21.753), qui, interprétant l'article R. 621-1, 4°, a), rejoint la thèse retenue par la décision attaquée, est postérieure à cette décision.
415.[O] [A] était donc légitime à se prévaloir du bénéfice de l'interprétation retenue par l'organe de poursuite de l'AMF.
416.Enfin, la requérante relève que la gestion de son portefeuille ayant été externalisée auprès d'un mandataire professionnel (Alterfi), Mme [AF] n'était pas en position d'influencer ou de prendre part aux décisions relatives à l'achat ou à la vente de titres MBWS qui seraient prises par M. [S] [P].
417.Il en résulte, conformément par ailleurs à la doctrine de l'ESMA relative à l'interprétation du règlement MAR, qu'aucune obligation déclarative n'aurait pesé sur [O] [A].
418.Celle-ci en conclut qu'il y a lieu de tenir compte de ces circonstances atténuantes pour réviser à la baisse le quantum de la peine prononcée.
419.L'AMF, dans ses observations en réponse, indique que l'article R. 621-43-1 du CMF, dans sa version du 5 mars 2006 au 5 juillet 2018, impose de démontrer, lorsque la personne morale est dirigée par un conjoint (visé au 1°), par un enfant (visé au 2°) ou par tout autre parent (visé au 3°), que celui-ci « agit dans l'intérêt » du dirigeant de la société cotée (« les personnes mentionnées aux a) et b) de l'article L. 621-18-2 »), et ce aux fins de caractériser le « lien étroit » entre la personne morale et le dirigeant de la société cotée. La Cour de cassation a confirmé cette lecture (Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
420.En l'espèce, à l'époque des opérations litigieuses, Mme [AF], en sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS était une personne mentionnée au a) de l'article L. 621-18-2 du CMF. Elle était également président-directeur-général de [O] [A], ce dont il résulte que cette société avait « des liens étroits », au sens du c) du même texte, avec l'une des personnes mentionnées au a) de l'article L. 621-18-2.
421.Faute de déclarations, la Commission des sanctions était fondée à retenir ce manquement à l'encontre de [O] [A].
422.S'agissant de la Position Doc 2006-14, l'Autorité observe que [O] [A] n'en a jamais fait état jusqu'à ses conclusions et ne peut sérieusement affirmer qu'elle aurait entendu s'y conformer.
423.En conclusion, l'AMF considère qu'aucun élément pertinent ne devrait conduire la Cour à tenir compte de « circonstances atténuantes » pour réduire à 1 euro la sanction prononcée à son encontre au titre de ce manquement.
424.[O] [A] expose ensuite dans son mémoire du 4 décembre 2023, (pp 67-75) que la Cour n'aura pas d'autre choix que d'annuler ou à tout le moins, de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a prononcé une sanction à l'encontre de [O] [A] à raison d'un prétendu manquement aux dispositions de l'article L. 621-18-2 du CMF.
425.Elle considère en effet que la Commission des sanctions, tenue par les termes de la notification de griefs, devait vérifier que [O] [A] remplissait la condition d'avoir agi dans l'intérêt de Mme [AF], en application de l'article L. 621-18-2 du CMF, et conformément à la Position Doc 2006-14. Elle soutient encore que la Cour de cassation n'a pas dit autre chose dans son arrêt du 21 avril 2022 (Com., pourvoi n° 20-21.753).
426.En réponse, l'AMF rappelle que son analyse de l'article R. 621-43-1 est conforme à la doctrine de la Cour de cassation (Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753) éclairée par l'avis de l'avocat général près la Cour de cassation.
427.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
428.L'article L. 621-18-2 du CMF, dans sa version en vigueur du 24 mars 2012 au 2 juillet 2016, applicable pendant la période du manquement reproché, énonce notamment que :
« I-Sont communiqués par les personnes mentionnées aux a à c à l'Autorité des marchés financiers, ['] les acquisitions, cessions, souscriptions ou échanges d'actions d'une société ainsi que les transactions opérées sur des instruments financiers qui leur sont liés, lorsque ces opérations sont réalisées par :
a) Les membres du conseil d'administration, du directoire, du conseil de surveillance, le directeur général, le directeur général unique, le directeur général délégué ou le gérant de cette personne ;
b) [']
c) Des personnes ayant, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, des liens personnels étroits avec les personnes mentionnées aux a et b. »
429.L'article R. 621-43-1 du CMF, dans sa version en vigueur du 5 mars 2006 au 5 juillet 2018, applicable pendant la période du manquement reproché, précise que (soulignement ajouté par la Cour) :
« Les personnes mentionnées au c de l'article L. 621-18-2, qui ont des liens personnels étroits avec l'une des personnes mentionnées aux a ou b du même article, sont :
1° Son conjoint non séparé de corps ou le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité ;
2° Les enfants sur lesquels elle exerce l'autorité parentale, ou résidant chez elle habituellement ou en alternance, ou dont elle a la charge effective et permanente ;
3° Tout autre parent ou allié résidant à son domicile depuis au moins un an à la date de la transaction concernée ;
4° Toute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et :
a) Dont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes ;
b) Ou qui est contrôlée, directement ou indirectement, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ;
c) Ou qui est constituée au bénéfice de l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 ou de l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ;
d) Ou pour laquelle l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2, ou l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3°, bénéficie au moins de la majorité des avantages économiques. ».
430.Aux termes de l'article R. 621-43-1, 4°, a, du CMF, font partie des personnes ayant des liens personnels étroits avec les personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 du même code :
' d'une part, « [t]oute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et [... d]ont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux a et b de l'article L. 621-18-2 »,
' d'autre part « [t]oute personne morale ou entité, autre que la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-18-2, constituée sur le fondement du droit français ou d'un droit étranger, et [... d]ont la direction, l'administration ou la gestion est assurée par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes. ».
431.Ainsi, à l'article R. 621-43-1 du CMF, l'expression « et agissant dans l'intérêt de l'une de ces personnes » se rapporte aux seules personnes désignées par la locution « par l'une des personnes mentionnées aux 1°, 2° ou 3° », le texte ne comportant pas de virgule entre ces deux ensembles de mots (voir en ce sens, Com., 21 avril 2022, pourvoi n° 20-21.753).
432.Ce texte n'implique donc pas que pour que ladite personne morale soit considérée comme « étroitement liée », elle agisse « dans l'intérêt » de son dirigeant, membre par ailleurs du conseil d'administration de l'émetteur du titre financier.
433.Il résulte des textes précités que [O] [A] est une personne « étroitement liée » dès lors qu'elle était dirigée à la date des faits par Mme [AF], laquelle était également membre du conseil d'administrations de MBWS.
434.Il résulte des textes précités que [O] [A], en cette qualité, devait procéder aux déclarations omises puisqu'elle a acquis des titres de MBWS.
435.Par ailleurs, l'article 223-23 du règlement général de l'AMF, dans sa version en vigueur du 1er avril 2009 au 23 septembre 2016, dispose notamment que « [p]ar dérogation aux dispositions de l'article 223-22, ne donnent pas lieu à déclaration les opérations réalisées par une personne mentionnée à l'article L. 621-18-2 du code monétaire et financier lorsque le montant cumulé desdites opérations n'excède pas 5 000 euros pour l'année civile en cours [ultérieurement 20 000 euros] ['] ».
436.Il n'est pas contesté que ce cas de dérogation ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce.
437.Il ne saurait non plus être reproché à la Commission des sanctions d'avoir justement analysé les textes applicables, étant rappelé qu'elle ne saurait être liée par l'interprétation des textes retenue par les services d'instruction.
438.Il reste que le document publié par l'AMF en 2006 intitulé « position AMF n° 2006-14 » (pièce 43 de [O] [A]) contient l'interprétation erronée de l'article R. 621-43-1 du CMF dont [O] [A] se prévalait dans le premier état de son argumentation en défense, ce qui ressort clairement de la note de bas de page n° 6 qui précise que « si la société ' dont est administrateur le dirigeant concernée par la déclaration ' agit pour compte propre et non dans l'intérêt personnel du dirigeant, aucune déclaration n'est requise ».
439.S'il n'appartient pas à la Cour, au regard de cette interprétation de l'article R. 621-43-1 du CMF, de trancher le point de savoir si en l'espèce [O] [A] agissait dans l'intérêt personnel de Mme [AF] et non pour compte propre, il n'en demeure pas moins que l'interprétation que contenait la position de l'AMF précitée a pu donner à croire à [O] [A] qu'elle pouvait ne pas être tenue de procéder aux déclarations litigieuses.
440.Il en sera tenu compte dans la détermination du montant de la sanction.
III. SUR LE RECOURS DU PRÉSIDENT DE L'AMF CONTRE [O] [A] ET MME [AF]
A. Sur la recevabilité du recours incident
441.Dans la décision attaquée (§ 24), l'AMF a décidé que les éléments saisis dans le téléphone portable de Mme [AF] le 25 avril 2017, dont la liste figure dans le procès-verbal de constatation du 16 mai 2019 adressé à Mme [AF] (cotes D590 à D592), devaient être écartés des débats.
442.[O] [A] et Mme [AF] soutiennent que la production par la présidente de l'AMF, au soutien de son recours incident, de pièces écartées par la Commission des sanctions, rend ce recours irrecevable. Elles considèrent que la décision attaquée est définitive sur ce point et que la tentative de production des pièces en cause devant la Cour constitue une manifestation de déloyauté.
443.En réponse, la présidente de l'AMF expose qu'il lui est permis de verser aux débats les pièces précédemment écartées par la Commission des sanctions, en l'occurrence deux courriels des 19 et 20 novembre 2015, ces pièces ayant été obtenues régulièrement à l'occasion des OVS du 25 avril 2017, ainsi qu'en a décidé l'assemblée plénière de la Cour de cassation par ses arrêts du 16 décembre 2022 (n° 21-23.719 et 21-23.685), étant rappelé que la décision de la Commission des sanctions avait été rendue en considération des arrêts antérieurs de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2020.
444.Elle ajoute qu'à supposer irrégulière la production de ces pièces, l'irrecevabilité du recours incident ne saurait en être la conséquence, seule la preuve du manquement étant susceptible d'en être affectée.
Sur ce, la Cour :
445.Les deux chaînes de courriels des 19 et 20 novembre 2015 en cause sont respectivement dénommées par les intitulés « ' Fwd : Panic Buy !' et 'Fwd : Urgence' ».
446.Elles ont été initialement communiquées par Mme [AF] aux agents de l'AMF dans le cadre des OVS du 27 avril 2017 et sont explicitement mentionnées comme telles dans le procès-verbal de constatation du 5 juin 2019 (cotes D 589 et suivantes du dossier de l'enquête).
447.Elles ont été produites devant la Cour par la présidente de l'AMF à l'appui de son recours incident (pièces 14 et 15).
448.Ainsi qu'il a déjà été dit (§ 103 du présent arrêt), le moyen pris de l'irrégularité de la communication par Mme [AF] des courriels litigieux lors des OVS du 25 avril 2017 au regard des dispositions de l'article L. 621-12 du CMF a été définitivement rejeté. Ces pièces figurent donc valablement à la procédure.
449.La présidente de l'AMF est dès lors en droit d'utiliser ces pièces à l'appui de son recours devant la Cour, dans la double limite du respect du principe du contradictoire et de la qualification retenue par la notification de griefs. Tel est le cas en l'espèce.
450.La Cour étant saisie d'un recours de plein contentieux, il lui est loisible de connaître de l'ensemble des pièces ainsi communiquées, sans que l'analyse contenue dans la décision attaquée justifiant d'écarter ces pièces, fondée sur un état de la jurisprudence caduc, ne puisse lui être opposée.
451.Le moyen sera rejeté.
B. Sur le bien-fondé du recours incident
452.Dans la décision attaquée, la Commission des sanctions a considéré que l'information afférente à l'actualisation du plan BIG 2018 présentait les caractères d'une information privilégiée, que Mme [AF] la détenait en sa qualité d'initiée primaire et qu'elle s'est immiscée dans la gestion du mandataire, ainsi qu'il résulte d'un courriel du 19 novembre 2015 (§ 91).
453.Elle a cependant écarté le manquement reproché à [O] [A] et Mme [AF] (§ 92 à 94) aux motifs que le mandataire connaissait parfaitement les caractéristiques de l'OPE envisagée sur les BSA et son mécanisme puisqu'il a eu lui-même l'idée du projet, et que les cessions concomitantes d'actions MBWS s'inscrivaient dans une stratégie de [O] [A] consistant à céder des actions pour obtenir des liquidités permettant de financer l'acquisition de BSA devant être apportés à l'OPE et payer les intérêts de la dette contractée pour l'achat des actions MBWS.
454.La présidente de l'AMF soutient que ce manquement est avéré.
455.En premier lieu, elle rappelle que l'information relative à l'actualisation du plan « BIG 2018 » ne portait pas sur des prévisions chiffrées, mais sur le fait même de l'actualisation du plan pour tenir compte de la hausse des objectifs financiers.
456.Elle expose que l'information était privilégiée et présentait les caractères requis de précision, à compter du 3 novembre 2015, de non-publicité, entre le 3 novembre et le 23 novembre 2015, enfin de sensibilité, l'EBITDA constituant de façon générale l'indicateur privilégié de performance de MBWS, et faisant à l'époque l'objet d'une attention particulière dans le contexte d'une entreprise en redressement.
457.En deuxième lieu, la présidente de l'AMF soutient que Mme [AF] détenait l'information privilégiée pour avoir participé aux conseils d'administrations des 3 et 18 novembre 2015, au cours desquels l'information et les éléments chiffrés ont été communiqués. Mme [AF] était ainsi une initiée primaire (pièce 24 du PAMF).
458.En troisième lieu, l'auteure du recours incident expose que Mme [AF] doit être présumée, en sa qualité d'initiée primaire, avoir utilisé l'information en cause, conformément à la jurisprudence de la CJUE (arrêt du 23 décembre 2009, affaire Spector, n° C-45/08), et qu'elle succombe à écarter cette présomption dès lors qu'il résulte de l'analyse des courriels échangés avec Alterfi (courriels des 19 et 20 novembre 2015) qu'elle s'est immiscée dans la gestion du mandat, privant celui-ci de tout éventuel caractère discrétionnaire.
459.La présidente de l'AMF, pour contester l'analyse de la Commission des sanctions, ajoute, d'une part, que si Alterfi a participé à la conception du projet d'OPE pour les besoins duquel ont été réalisées les acquisitions litigieuses, c'est [O] [A] qui l'a décidé et qui l'a présenté au conseil d'administration de MBWS, d'autre part, que Mme [AF] ne se trouvait pas dans l'impossibilité absolue d'interrompre ses interventions sur le titre jusqu'à ce que l'information fût rendue publique, peu important la circonstance, à la supposer avérée, que le mandataire chargé de passer les ordres eût ignoré ladite information.
460.Elle conclut que le caractère discrétionnaire d'un mandat ne résulte pas de l'absence de stratégie décidée en amont avec le mandant, mais des conditions réelles d'exécution du mandat et précise que les courriels sur lesquels elle se fonde, quoique postérieurs aux opérations sur les titres de MBWS, révèlent la proximité entre Mme [AF] et le mandataire, lequel rendait des comptes précis sur ses actions passées et à venir.
461.En quatrième et dernier lieu, la présidente de l'AMF indique que le manquement de Mme [AF] est imputable à [O] [A], cette société étant réputée détenir les informations privilégiées qui sont en possession de sa représentante légale, Mme [AF], outre que ladite société disposait de trois administrateurs au conseil d'administration de MBWS, également destinataires de l'information privilégiée.
462.Enfin, si [O] [A] invoque l'article 9.1 du Règlement MAR, qui réserve le cas du comportement légitime de la personne morale, la présidente de l'AMF considère qu'elle n'établit pas satisfaire aux deux conditions cumulatives prévues par ce texte.
463.En réponse, [O] [A] et Mme [AF] exposent, en premier lieu, que l'information en cause n'était pas précise, ses prévisions chiffrées présentant un caractère fantaisiste, faux et trompeur, ainsi que l'évolution ultérieure de la situation de MBWS l'a révélé, et les objectifs du plan à trois ans n'étant pas crédibles.
464.Elles contestent son caractère non-public, considérant que le principe de la « nouvelle » version du plan était déjà intégré par le marché depuis le mois d'octobre 2015, un communiqué de presse du 30 septembre 2015 annonçant le « doublement de l'EBITDA en 2015 » et le dévoilement de nouvelles opportunités de développement « à l'occasion d'une communication 'BIG 2.0' en décembre prochain ».
465.Elles font encore valoir que l'information ne présentait aucun caractère sensible, aucun investisseur raisonnable n'ayant pu utiliser l'information en cause pour fonder une décision d'investissement.
466.Elles précisent en deuxième lieu que [O] [A] ne peut être regardée comme une initiée primaire.
467.En troisième lieu, elles exposent qu'elles n'ont pas réalisé les opérations litigieuses, celles-ci ayant été réalisées par Alterfi (M. [S] [P]), qui disposait d'un mandat en date du 1er avril 2015 à cette fin et soutiennent que la présidente de l'AMF, opérant une confusion avec la notion de mandat de gestion programmée, n'aperçoit pas le sens de la notion de mandat discrétionnaire.
468.Elles ajoutent que les opérations en cause se sont inscrites dans la stratégie décrite par la notification de griefs (cote 1664), à savoir financer l'acquisition de BSA en vue de l'OPE envisagée et payer les intérêts de la dette contractée pour l'achat des actions MBWS, et non pas afin de réaliser rapidement une plus-value en revendant les actions issues de l'exercice des BSA à un cours supérieur au cours d'exercice en profitant de la hausse prévisible du cours de l'action à la suite de l'annonce de la mise à jour du plan.
469.Elles expliquent enfin que les trois personnes physiques qui siégeaient au conseil d'administration de MBWS n'y étaient pas, juridiquement, les « représentants » (permanents) de [O] [A] et que cette dernière société n'était pas administrateur de MBWS.
470.Le ministère public partage l'analyse du président de l'Autorité. Il demande à la Cour de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a écarté le manquement tiré de l'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS, et juger que ce manquement est caractérisé.
Sur ce, la Cour :
' Sur le caractère privilégié de l'information
471.Les dispositions de l'article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016, ont été rappelées précédemment (§ 289 et suivants du présent arrêt).
472.Ainsi qu'il a été dit (cf, § 29 à § 33 du présent arrêt), le 3 novembre 2015, Mme [AF] a été informée, en sa qualité de membre du conseil d'administration de MBWS, de données chiffrées témoignant de l'amélioration des résultats de la société et de l'actualisation du plan BIG 2018.
473.Le tableau suivant résume les informations successives contenues dans les documents mentionnés précédemment (A2 à A3).
Prévision financière pour 2008
Au 16/12/2014
Au 03/11/2015
Au 23/11/2015
Estim. CA
420 à 460 M€
488.6
450 à 500
Estim. EBITDA
50 à 70
73.2
67 à 75
Statut information
C. Presse MWBS
Comm. interne cons. Adm. MBWS « BIG 2.0 »
C. Presse MWBS
474.S'agissant du caractère précis de l'information, la Cour relève que les données financières contenues dans la communication aux administrateurs le 3 novembre 2015 étaient précises et relatives notamment à un indicateur clé de MBWS, à savoir l'EBITDA. Le fait même que le plan BIG 2018 fasse l'objet d'une actualisation positive constituait en soi une information précise.
475.S'agissant du caractère non public de l'information communiquée aux membres du conseil d'administration le 3 novembre, la Cour relève que le communiqué de presse du 30 septembre 2015 (annexe 3.7 du rapport d'enquête), que les requérantes invoquent, s'il mentionne des résultats en hausse en 2015, ne contient aucune information relative aux perspectives de 2018, ce qui constituait en revanche tout l'intérêt de l'information du 3 novembre puis du communiqué de presse du 23 novembre. L'information communiquée au conseil d'administration n'était donc nullement publique.
476.S'agissant du caractère sensible de l'information, et compte tenu du contexte dans lequel elle s'inscrit, à savoir la situation de redressement de MBWS, précédemment décrite, une conclusion pouvait être tirée de la réévaluation à la hausse des effets du plan BIG 2018 quant au cours des actions et autres instruments financiers liés à MBWS.
477.En effet, un investisseur raisonnable était susceptible d'utiliser une telle information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement.
478.Un courriel de M. [P] daté du 19 novembre 2015 à 16:16 confirme ce point. L'intéressé y indiquait que « [l]a publication de l'analyse d'Oddo fait de l'effet, c'est le moins que l'on puisse dire, avec une hausse ce jour de plus de 5 %. Cela ressemble à un 'panic buy' à l'approche de la présentation de l'actualisation de Big 2018 » (pièce 14 du président de l'AMF, soulignement ajouté).
479.Il est par ailleurs indifférent que le cours de l'action de MBWS n'ait par la suite pas tenu les promesses des communiqués de presse de MBWS de 2015.
480.En conclusion de ces développements, la Cour estime que c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que l'information communiquée à Mme [AF] le 3 novembre 2015 revêtait, à cette date, un caractère privilégié.
' Sur la détention de l'information privilégiée par Mme [AF]
481.Mme [AF], membre du conseil d'administration de MBWS, a participé au conseil du 3 novembre 2015, lequel s'est au demeurant tenu à [Localité 8] dans les locaux de [O] [A] (cf, le procès-verbal du conseil d'administration, pièce 16 du dossier du président de l'AMF, 1ère page).
482.Le procès-verbal indique au point 2 que M. [J] a présenté la mise à jour du plan BIG 2018 « 2.0 » et qu'une documentation a été remise aux administrateurs. Cette documentation figure au dossier, et contient les données chiffrées déjà citées (pièce 24 du dossier du président de l'AMF).
483.Il résulte de ces considérations que Mme [AF] était une initiée primaire.
' Sur l'utilisation de l'information par Mme [AF]
484.La prohibition de l'utilisation d'une information privilégiée était énoncée aux articles 622-1 du RGAMF et suivants, pendant la période des faits reprochés.
485.Il reste qu'il est permis à un initié primaire de rapporter la preuve de ce qu'il n'a pas indûment utilisé l'information qu'il détenait (arrêt Spector, § 54, précité).
486.Le mandat signé entre Mme [AF], pour le compte de [O] [A], et M. [S] [P], pour d'Alterfi, le 2 avril 2015 (pièce 23 du dossier du président de l'AMF) indique notamment :
' en préambule, que « [l]e Client souhaite optimiser le prix de revient global de son portefeuille par la gestion active d'une fraction de celui-ci. / Le Client envisage de procéder à des cessions d'actions et bons de souscription en fonction des opportunités de marché » ;
' à l'article 3, que le Client mandate Alterfi pour gérer les opérations d'optimisation et cession sur les actions et les bons de souscription de la société [Localité 5].
487.Comme il a été indiqué, il est constant que le 19 novembre 2015, [O] [A] a vendu 40 000 actions MBWS et acquis 1 000 000 de BSA OS de MBWS. Le grief notifié à Mme [AF] et [O] [A] porte sur la seule acquisition par [O] [A], le 19 novembre 2015, de 1 000 000 BSA OS.
488.La Cour considère, à l'instar du rapport d'enquête (R 0007), que ces cessions d'actions et acquisitions de BSA concomitantes s'expliquent par le souci de [O] [A] de disposer de liquidités lui permettant, d'une part, de financer l'acquisition de BSA OS en vue de l'OPE, d'autre part, de payer les intérêts des emprunts souscrits pour l'acquisition d'actions MBWS.
489.Le bien-fondé de ces explications ressort notamment des déclarations de Mme [AF] (réponses n° 4 et 5 aux questions des enquêteurs n° 4 et 5, pièce 25 du dossier du président de l'AMF) et de leur cohérence au regard de la teneur des mandats successifs donnés à Alterfi (qui portaient en octobre 2014 sur l'acquisition d'actions à l'aide de fonds nouveaux dans le cadre d'une montée de [O] [A] au capital de MBWS (cf, § 321 du présent arrêt), puis à compter d'avril 2015, sur des opérations d'arbitrage sur les actions et bons de souscription de MBWS afin d'aborder dans les meilleurs conditions l'OPE en projet), et de leur cohérence, enfin, avec la stratégie globale de [O] [A] tendant à s'imposer comme un actionnaire de référence de MBWS à la faveur du redressement de l'entreprise.
490.Ces opérations s'inscrivent donc pleinement dans le mandat donné à Alterfi le 2 avril 2015.
491.Le courriel de M. [P] daté du 19 novembre 2015 à 16:16, invoqué par le président de l'AMF à l'appui de son recours, contient le passage suivant :
« ' [l]a publication de l'analyse d'Oddo fait de l'effet, c'est le moins que l'on puisse dire, avec une hausse ce jour de plus de 5 %. Cela ressemble à un 'panic buy' à l'approche de la présentation de l'actualisation de Big 2018.
J'ai profité de la situation pour vendre 40 000 titres à environ 19.50 € de moyenne, ce qui veut dire que le concert se situe ce soir juste au-dessus de la limite statutaire de 22.50 % du capital. J'ai, en contrepartie, acheté 1 000 000 MBWBX à 0.13 € de moyenne, qui, apportés à l'OPE et exercés par anticipation, permettraient la souscription d'environ 28 000 titres. ['] ».
(pièce 14 du président de l'AMF, soulignement ajouté).
492.Ce courriel figure au sein d'une chaine d'échanges ayant eu lieu entre le 19 novembre à partir de 16 h 16 et dont Mme [AF] a été destinataire.
493.S'il résulte de ces propos, ainsi que de courriels ultérieurs du lendemain (pièce 15 du dossier du président de l'AMF) que M. [P] entretenait une proximité certaine avec Mme [AF] et d'autres membres de [O] [A], la Cour relève néanmoins qu'il ressort également de ces propos que M. [P] a procédé de lui-même aux cessions et acquisitions dont il rend compte.
494.Le grief ne visant que l'acquisition de 1 000 000 BSA OS le 19 novembre 2015, il n'y a pas lieu non plus pour la Cour de rechercher si une telle immixtion a pu survenir postérieurement.
495.Il résulte de ces considérations que la Cour considère que la preuve que Mme [AF] se serait immiscée dans l'exécution du mandat d'Alterfi du 2 avril 2015 entre le 3 novembre 2015 (date de la communication de l'information) et le 19 novembre 2015 (date des acquisitions supposées révéler l'utilisation indue de l'information), n'est pas établie.
496.Les opérations en cause s'expliquant par le mandat donné à Alterfi, la Cour considère que la présomption d'utilisation de l'information privilégiée qui pesait sur Mme [AF] en sa qualité d'initiée primaire doit être écartée.
497.En conclusion, la Cour considère qu'il n'est pas établi que Mme [AF] a manqué à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS.
' Sur l'utilisation de l'information par [O] [A]
498.Comme il a été indiqué (cf, § 390 du présent arrêt), dans le cas de manquements d'initiés, le comportement d'une société ne peut être dissocié de celui de ses organes ou représentants dès lors que ces derniers, détenteurs d'une information privilégiée, ont exercé pour son compte une influence sur la décision d'acquisition d'instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte.
499.Par suite des développements qui précèdent, la Cour considère qu'en l'espèce, il n'est nullement établi que les organes ou représentants de [O] [A], détenteurs d'une information privilégiée, auraient exercé pour son compte une influence sur la décision d'acquisition des instruments financiers auxquels l'information privilégiée se rapporte.
500.Par ailleurs, il résulte du mandat du 2 avril 2015 et de sa mise en 'uvre, que [O] [A] a satisfait aux conditions posées par l'article 9.1 du règlement MAR, rappelées supra (cf, § 403 du présent arrêt), à tout le moins entre le 3 et le 19 novembre 2015 à 16h16.
501.En conséquence, il n'est pas établi que [O] [A] aurait manqué à l'obligation d'abstention d'utilisation de l'information privilégiée relative à l'actualisation du plan BIG 2018 revoyant à la hausse les objectifs financiers de MBWS.
' Conclusion
502.Il résulte des développements qui précèdent que le recours du président de l'AMF sera rejeté.
IV. SUR LE RECOURS DE M. [K] CONTRE LA DÉCISION DE L'AMF
A. Sur les moyens de procédure proposés par M. [K]
1. Sur la visite sur pouvoirs propres du 25 avril 2017 auprès de BD&P
503.Dans la décision attaquée, l'AMF indique que si la visite « sur pouvoirs propres » du 5 mai 2017 effectuée dans les locaux de l'agence de communication prestataire de [O] [A] est postérieure à la visite domiciliaire litigieuse du 25 avril 2017 dans les locaux de MBWS, il ne résulte pas des éléments du dossier que cette visite domiciliaire a constitué le fondement nécessaire de la visite sur pouvoirs propres intervenue dix jours après dans les locaux de BD&P. Elle ajoute que les enquêteurs avaient connaissance de l'intervention de l'agence de communication aux côtés de [O] [A] dès avant la visite domiciliaire dans les locaux de MBWS, cette information ressortant d'un communiqué de presse du 16 juin 2015 et étant publique.
504.M. [K] expose que la nullité de la remise de courriels par Mme [AF] en marge des OVS du 25 avril 2017 entraîne l'irrégularité de la remise volontaire des courriels dans le cadre de la visite sur « pouvoirs propres » du 5 mai 2017 dans la mesure où les enquêteurs n'auraient pas eu l'idée d'effectuer la visite du 5 mai s'ils n'avaient pas pris connaissance de la teneur des courriels remis par Mme [AF].
505.En réponse, l'AMF indique, d'abord, que c'est par pure pétition que le requérant fait valoir que la remise volontaire de documents n'aurait pas eu lieu sans l'exploitation des éléments précédemment saisis le 25 avril 2017, alors qu'il était de notoriété publique que BD&P intervenait aux cotés de [O] [A], ce qui permettait de conjecturer que sa messagerie puisse être une source d'informations intéressantes.
506.Elle ajoute que les opérations de visite domiciliaire ont été régulières, en sorte que le moyen, qui implique l'irrégularité des OVS, ne saurait prospérer.
Sur ce, la Cour :
507.Ainsi qu'il a été dit, les OVS du 25 avril 2017 et les remises de courriels afférentes, ont été régulières (§ 103 et suivants du présent arrêt).
508.Il en résulte qu'à supposer que les enquêteurs aient eu connaissance des relations d'affaires existant entre [O] [A] et BD&P par la seule consultation de ces courriels, ce qui n'est pas établi dès lors que ces relations étaient déjà à l'époque de notoriété publique, il ne saurait en être tiré de conclusion quant à l'irrégularité de la visite sur pouvoirs propres du 5 mai 2017.
509.Le moyen sera rejeté.
2. Sur le rapport d'enquête
510.M. [K] expose, en premier lieu, que le rapport d'enquête fait de nombreuses références aux pièces que l'AMF a obtenues de M. [B], dirigeant de BD&P, une semaine après le 25 avril 2017, en ayant eu le temps d'exploiter les courriels de Mme [AF], en sorte que, par analogie avec la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, le rapport doit être annulé.
511.Il ajoute, en second lieu, que le rapport d'enquête porte atteinte à la présomption d'innocence de M. [K], puisque les enquêteurs ont utilisé le mode indicatif pour évoquer la prétendue transmission d'informations privilégiées à des tiers dont se serait rendu coupable M. [K]. Il précise qu'il n'est jamais fait usage du conditionnel.
512.En réponse, l'AMF indique, en premier lieu, que les OVS et saisies de pièces ont été régulières, en sorte que la mention de ces pièces dans le rapport n'est en rien irrégulière.
513.En second lieu, elle considère, d'abord, que le rapport d'enquête qui, par nature, n'emporte ni déclaration de culpabilité, ni préjugement de la décision à intervenir, ne peut, en lui-même, porter atteinte à la présomption d'innocence.
514.Elle ajoute que dans le rapport, la direction des enquêtes a adopté un point de vue situé (selon elle') et a fait référence à un faisceau d'indices (rapport, p. 94), en sorte que les formulations du document, aussi maladroites soient elles, ne sauraient caractériser une atteinte à la présomption d'innocence.
515.Elle relève enfin que la Commission des sanctions, à rebours de l'analyse de la direction des enquêtes, a estimé que la preuve du manquement de communication d'une information privilégiée n'était pas rapportée, en sorte que le requérant ne saurait se faire un grief de l'atteinte à la présomption d'innocence dont il se prévaut.
Sur ce, la Cour :
516.En premier lieu, les remises de pièces effectuées à l'occasion des opérations de visite du 25 avril 2017 et du 5 mai 2017 sont régulières pour les raisons qui ont été indiquées précédemment (§ 103 et suivants pour les OVS du 25 avril 2017 ; § 508 pour les opérations sur pouvoirs propres du 5 mai 2017).
517.Il ne saurait en conséquence être reproché au rapport d'enquête de mentionner certaines pièces communiquées à l'occasion de ces opérations.
518.En second lieu, un rapport d'enquête ne s'analyse ni en un préjugement ni en une déclaration de culpabilité.
519.Le rapport en cause ne saurait ainsi , en lui-même, porter atteinte à la présomption d'innocence, peu important qu'il soit rédigé en des termes pouvant, par l'usage du présent de l'indicatif, tenir pour établis les faits dont il fait état.
520.Le moyen, pris en chacune de ses deux branches, sera rejeté.
3. Sur la décision du Collège d'ouvrir une procédure de sanction à l'encontre de M. [K]
521.M. [K] expose, en premier lieu, que la notification de griefs mentionne expressément l'une des pièces irrégulièrement obtenues auprès de M. [B] (BD&P), à savoir un courriel du 30 avril 2015 qu'il avait adressé à Mme [AF], ce qui entraîne sa nullité.
522.En deuxième lieu, il indique que la notification de griefs comporte une erreur de fait en ce qu'elle affirme qu'il est un initié primaire, ce qui entraîne une présomption d'utilisation de l'information privilégiée. Il y a en conséquence lieu d'annuler la notification de griefs pour défaut de base légale.
523.En troisième lieu, M. [K] considère que la notification de griefs comporte une autre erreur de fait dans l'identification de l'information prétendument privilégiée en date du 7 mai 2015, qui n'est pas relative à un « dépassement » des objectifs « annoncés » le 13 février 2015, sur la base de laquelle M. [K] est censé avoir recommandé l'achat de titres MBWS. Cette erreur prive la notification de griefs de base légale.
524.Il conclut que la nullité de la notification de griefs entraine l'illégalité de la saisine de la Commission des sanctions et par conséquent l'annulation de toute la procédure de sanction de l'AMF.
525.En réponse, l'AMF indique, en premier lieu, que la mention d'un courriel de M. [K] communiquée par M. [B] ne saurait justifier l'annulation de la notification de griefs, la communication du document en cause étant régulière.
526.Elle ajoute que la notification de griefs a pour seule finalité de porter à la connaissance des mises en cause les faits qui leur sont reprochés. La circonstance qu'une notification de griefs procède d'une erreur de fait (quod non) n'affecte en rien sa régularité. Il appartient seulement à la personne mise en cause de faire valoir que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis.
Sur ce, la Cour :
527.En premier lieu, les remises de pièces effectuées à l'occasion des opérations de visite du 25 avril 2017 et du 5 mai 2017 sont régulières pour les raisons qui ont été indiquées précédemment (§ 103 et suivants pour les OVS du 25 avril 2017 ; § 508 pour les opérations sur pouvoirs propres du 5 mai 2017).
528.Il ne saurait en conséquence être reproché à la notification de griefs de mentionner une des pièces obtenues auprès de BD&P.
529.En deuxième lieu, la discussion de la qualité d'initié primaire de M. [K] et celle du caractère privilégié de l'information litigieuse relèvent toutes deux de l'analyse du fond de l'affaire en droit et en fait.
530.Une divergence d'analyse sur ces questions entre le Collège et la Commission des sanctions ou la cour d'appel ne saurait constituer un motif propre à justifier en elle-même l'annulation de la notification de griefs.
531.Ces questions seront discutées ultérieurement dans le présent arrêt (§ 600 pour la qualité d'initié primaire, § 579 pour le caractère privilégié de l'information).
532.Le moyen sera rejeté.
4. Sur le rapport de M. [D]
533.M. [K] expose que la nullité de ce rapport est encourue dans la mesure où, malgré les multiples demandes des mis en cause, il n'a pas été complété par le rapporteur de la Commission des sanctions pour prendre position sur les critiques émises sur la légalité de la notification de griefs. Il revenait en effet à la Commission des sanctions de les examiner dès lors que la cour d'appel de Paris avait déclaré leur recours irrecevable.
534.M. [K] conclut que l'annulation de la décision de la Commission des sanctions pour vice de procédure empêche la cour d'appel de Paris de faire usage de son pouvoir d'évocation.
535.En réponse, l'AMF renvoie aux développements qu'elle a consacré précédemment au même moyen, soutenu par Mme [AF] et [O] [A].
Sur ce, la Cour :
536.Pour les raisons indiquées précédemment (§ 143 du présent arrêt), il n'y a pas lieu de reprocher au rapporteur désigné par la Commission des sanctions de n'avoir pas pris position sur les critiques émises sur la légalité de la notification de griefs.
537.Le moyen sera rejeté.
5. Sur le moyen contenu dans le mémoire de M. [K] du 4 décembre 2023
a. Remarques préliminaires sur l'interprétation de ce mémoire
538.En préambule de son mémoire du 4 décembre 2023, M. [K] précise qu'il a pour objet de répondre aux dernières écritures de l'AMF et qu'il ne remplace pas les conclusions du 18 avril 2023, auxquelles il vient « simplement » s'ajouter.
539.Le requérant entend démontrer que « les agents de l'AMF (enquêteurs, secrétaire général), ainsi que ses membres agissant à titre individuel (rapporteur, représentant du Collège) et ses organes collectifs (Collège, Commission des sanctions) ont commis de multiples erreurs (fait, droit, appréciation) » et que ces erreurs « ont été commises tant au niveau des actes préparatoires de la décision attaquée, au stade des investigations (demande de coopération internationale, requête adressée au Juge des Libertés et de la Détention, lettres circonstanciées, rapport d'enquête) comme à celui des poursuites (notifications des griefs, observations écrites) et de l'instruction (rapport à la Commission des sanctions), mais aussi au niveau de la décision attaquée elle-même (refus de report de la séance, motivation, montant des sanctions, conclusions), voire postérieurement (écritures devant la Cour) ».
540.Il en déduit que la Cour de céans « n'aura pas d'autre choix que de tirer les conséquences de cette accumulation d'erreurs à tous les stades de la procédure administrative suivie par l'AMF, pour annuler la Décision, sans se prononcer sur le fond de l'affaire ['] » (soulignement ajouté).
541.À la lumière de cette présentation, la Cour identifie un unique moyen, pris de l'accumulation d'erreurs de toutes natures : s'agissant de ce moyen, la Cour, se fiant à la présentation de la page 2 du mémoire, conclut que dans la perspective de son auteur, chaque développement portant sur une « erreur » constitue un argument à l'appui du moyen, dont la teneur consiste à soutenir que l'accumulation d'erreurs doit entraîner l'annulation de la décision.
b. Sur l'erreur commise par l'AMF pour se procurer certaines pièces
542.M. [K] expose que c'est de façon irrégulière que certaines pièces sur lesquelles les poursuites sont fondées proviennent de la visite sur pouvoirs propres à laquelle l'AMF a procédé en mai 2017. Il renvoie à ses précédents développements.
543.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations et, le cas échéant, à celles qui ont répondu au mémoire complémentaire de [O] [A] et de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
544.Les remises de pièces effectuées à l'occasion des opérations de visite du 25 avril 2017 et du 5 mai 2017 sont régulières pour les raisons qui ont été indiquées précédemment (§ 103 et suivants pour les OVS du 25 avril 2017 ; § 508 pour les opérations sur pouvoirs propres du 5 mai 2017).
545.Aucune erreur du chef invoqué n'a donc lieu d'être retenue.
c. Sur les erreurs de fait de l'AMF au stade de la poursuite
' Sur les erreurs portant sur l'information du 7 mai 2015
546.Dans la mesure où l'une des deux composantes de l'information du 7 mai 2015 est identique à l'information du 14 mars 2015, M. [K] renvoie la Cour aux développements du mémoire complémentaire de [O] [A] et son PDG qui sont consacrés aux erreurs de fait commises par l'AMF ainsi qu'à la déloyauté dont a fait preuve l'AMF s'agissant de son contenu. Il ajoute que l'autre composante de l'information du 7 mai 2015 semble dépourvue d'erreur de fait.
547.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations et, le cas échéant, à celles qui ont répondu au mémoire complémentaire de [O] [A] et de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
548.Il résulte des précédentes analyses de la Cour (cf, § 289 et suivants du présent arrêt) qu'aucune erreur de fait portant sur l'information du 7 mai 2015 n'a lieu d'être retenue.
' Sur les erreurs portant sur la communication par M. [K] de l'information du 7 mai 2015
549.M. [K] expose que le rapport d'enquête contient de nombreux passages rédigés à l'indicatif, dont il est résulté une atteinte à sa présomption d'innocence, nonobstant sa mise hors de cause pour le manquement de communication à DF [A] de l'information litigieuse.
550.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations et, le cas échéant, à celles qui ont répondu au mémoire complémentaire de [O] [A] et de Mme [AF].
Sur ce, la Cour :
551.Aucune faute n'a lieu d'être retenue de ce chef, ainsi qu'il résulte des précédents développements de la Cour (§ 518 et suivants du présent arrêt).
' Sur les erreurs portant sur la chronologie des recommandations émises par M. [K] à destination de DF [A]
552.M. [K] expose que dans le cas d'une opération de vente, il ne peut pas y avoir de manquement d'initié relatif à une « recommandation » lorsqu'il s'avère qu'au moment du contact (courrier électronique invitant son destinatoire à respecter une fourchette de prix) entre l'initié et le vendeur, la décision de vendre les titres avait déjà été prise par ce dernier (Paris, 5-7, 7 février 2019, RG 18/04069).
553.En l'espèce, au 7 mai 2015, date de la réunion du comité d'audit de MBWS lors de laquelle l'information a été donnée à M. [K], non seulement la décision de principe avait été définitivement prise par M. [C] (11 mars 2015), mais les fonds correspondants à l'achat de 5 % du capital avaient été versés à Interactive Brokers (5 mai 2015) et le prix final du bloc de KKR (16,80 euros) avait même été arrêté entre les parties à la transaction (6 mai 2015). Le reste n'était donc plus qu'une question de temps et l'AMF ne pouvait pas faire autrement que d'en tirer les conséquences logiques qui s'imposaient sur l'absence de tout manquement d'initié. Faute de l'avoir fait, elle a manifesté une déloyauté.
554.Dans ses observations en réponse, l'AMF renvoie à ses précédentes observations.
Sur ce, la Cour :
555.Ainsi qu'il sera exposé ultérieurement, la Cour a retenu qu'il résulte de la chronologie des évènements que le manquement est établi (§ 615 et suivants du présent arrêt).
d. Sur les erreurs de droit afférentes à la qualité d'initié primaire ou secondaire de M. [K]
556.M. [K] expose, en premier lieu, que les dispositions de l'article 622-2 du RGAMF, comme celles de l'article 8 du règlement MAR qui l'a désormais remplacé à compter du 3 juillet 2016, sont d'interprétation stricte, en sorte que la qualité d'invité permanent de M. [K] au conseil d'administration de MBWS en mai 2015 n'en faisait pas un initié primaire. Il ajoute que la décision n'explique pas en quoi il pourrait être considéré comme un initié primaire, et que par ailleurs, la qualité d'invité permanent ne peut être regardée comme une fonction correspondant au 3° de l'article 622-2 du règlement général de I'AMF.
557.Le requérant ajoute, en second lieu, que s'il détenait l'information, il ne pouvait savoir qu'elle était privilégiée, et cela que l'on considère l'une ou l'autre des deux composantes de l'information. Compte tenu de sa qualité d'initié secondaire, la caractérisation du manquement sanctionné n'est pas établie.
558.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que M. [K] était bien un initié primaire, en sorte que l'argumentation tirée de ce qu'il n'aurait pas su ou dû savoir que l'information litigieuse était privilégiée est inopérante.
559.Elle précise que l'intéressé n'a pas contesté sa qualité d'initié primaire dans sa réponse à la lettre circonstanciée et dans ses observations sur le rapport. Elle ajoute que la qualification de « fonctions » mentionnée au 3° de l'article 622-2 du règlement général de I'AMF n'implique pas l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée, ni même une activité professionnelle non rémunérée, seul important l'accès à l'information que permettent le travail, la profession et, en l'espèce, les fonctions de la personne en cause.
Sur ce, la Cour :
560.Ainsi qu'il sera exposé ultérieurement, la Cour a retenu que M. [K] avait la qualité d'initié primaire (§ 600 et suivants du présent arrêt).
e. Sur les erreurs d'appréciation
' Sur les erreurs portant sur la gravité des manquements reprochés au requérant, la quantification des « avantages » ou « profits » qui en auraient été retirés, le caractère proportionné de la sanction prononcée à l'encontre du requérant
561.M. [K] consacre des développements à la gravité des faits, au profit qu'il a pu en retirer, à la sanction prononcée.
562.Dans ses observations en réponse, l'AMF rappelle qu'elle a fait application des dispositions de l'article L. 621-15, III, ter, du CMF, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016 (décision attaquée, § 233), et précise que ces dispositions ne sont pas plus sévères que la loi ancienne. Sur le fond, elle renvoie pour l'essentiel à ses précédentes observations.
Sur ce, la Cour :
563.Pour les motifs mentionnés précédemment (§ 254 du présent arrêt), au regard du moyen tendant à l'annulation de la décision attaquée en conséquence de l'accumulation d'erreurs, la discussion des erreurs ici invoquées est inopérante.
564.Les développements en cause sont discutés avec les autres moyen de fond concernant la sanction, dans la suite du présent arrêt (cf, infra, § 633 et suivants du présent arrêt).
f. Conclusion sur le moyen pris de l'accumulation d'erreurs
565.Il résulte des développements qui précèdent qu'aucune accumulation d'erreurs propre à justifier l'annulation de la décision n'a lieu d'être relevée à l'encontre de la décision attaquée.
566.Le moyen sera en conséquence rejeté.
B. Sur les moyens de fond proposés par M. [K]
1. Sur le caractère privilégié de l'information détenue par M. [K]
567.Dans la décision attaquée (§ 37, 133, 136, 137, 139, 141 à 145, 178), la Commission des sanctions expose en substance en quoi l'information en cause, prise en chacune de ses deux composantes, présentait les caractères d'une information privilégiée (non publique, précise, sensible).
568.M. [K] soutient que l'information communiquée le 7 mai 2015 n'était pas privilégiée au sens de l'article 621-1 du RGAMF.
569.En premier lieu, un « EBITDA égal à 5,2 ME » ne saurait être qualifié de « dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 ». Cette première composante ne constitue en effet pas « un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire », dans la mesure où MBWS n'a connu aucun « dépassement » de l'objectif « annoncé » au marché le 13 février 2015, la véritable annonce ayant eu lieu par communiqué de presse du 15 octobre 2014. Sur ce point, le requérant reprend à son compte l'argumentation déjà développée par [O] [A] et Mme [AF].
570.En deuxième lieu, les deux composantes de l'information privilégiée pouvaient être anticipées par le marché à partir des données publiques disponibles et il n'y avait pas lieu de considérer qu'il était possible d'en tirer une conclusion positive sur le cours de bourse (pièce 44, expertise 8 Advisory).
571.L'information relative au niveau de trésorerie n'était pas vraiment non publique, pouvait être anticipée par le marché et n'a pu avoir qu'un impact relatif compte tenu de l'existence à l'époque du plan de continuation et de dettes financières de plus 84 M euros.
572.L'ordre de grandeur de l'information relative à l'« EBITDA égal à 5,2 ME » rendait le chiffre négligeable compte tenu du plan de continuation et d'une capitalisation boursière de près de 350 M euros. Ce chiffre ne pouvait pas non plus avoir une influence positive sur le cours, étant rappelé qu'il était inférieur à la médiane de la fourchette annoncée le 15 octobre 2014, médiane qui correspondait aux anticipations de certains investisseurs avertis publiant sur le site Boursorama.
573.En troisième lieu, aucun investisseur n'aurait fondé ses décisions sur de telles informations et la hausse du cours dans la journée du 13 mai 2015 n'a rien à voir avec la publication la veille. Le niveau élevé du cours de clôture (+10 %) de la séance du 13 mai 2015 s'explique par le passage du bloc KKR qui a provoqué une flambée spéculative. En revanche, le cours théorique de l'action à l'ouverture de la séance (16,81 euros) était très proche du cours de clôture de la veille (16,80 euros), alors que le communiqué de presse du 12 mai avait déjà été publié.
574.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique, en premier lieu, que l'information, en chacune de ses deux composantes, était précise.
575.S'agissant de la première composante de l'information, elle renvoie à ses précédentes observations en réponse à la même argumentation développée par [O] [A] et Mme [AF].
576.S'agissant de la seconde composante, afférente au renforcement de la structure financière de MBWS, elle indique que la circonstance que des analyses financières ayant précédé la publication de l'information privilégiée aient été dans le même sens ne permet pas de regarder comme publique l'information détenue ; de telles analyses relèvent d'appréciations subjectives. [CA Paris, 15 mai 2008, 07/09505 ; 19 décembre 2019, 19/03007]. Elle ajoute que le fait que le marché soit en mesure d'anticiper une information n'affecte pas son caractère précis et que, par nature, il est possible de tirer d'une information portant sur l'amélioration de la situation financière de l'émetteur, une conclusion quant à son effet possible sur le cours.
577.En second lieu, l'Autorité expose que l'information présentait un caractère sensible. Elle renvoie à ses précédents développements, en réponse au mémoire de [O] [A] et Mme [AF], s'agissant de la cession d'un bloc par KKR. Elle ajoute que l'appréciation de l'influence sensible d'une information doit s'apprécier a priori et qu'il n'importe que la divulgation ait effectivement influé de façon sensible sur le cours. Elle conclue que le moyen est inopérant.
578.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
579.Les dispositions de l'article 621-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016, ont été rappelées précédemment (§ 289 et suivants du présent arrêt).
580.Ainsi qu'il a été dit (§ 22 du présent arrêt), le directeur financier de MBWS a communiqué, en pièce jointe à un courriel adressé le 7 mai 2015 aux membres du comité d'audit de MBWS, dont M. [K], des « slides » indiquant que l'EBITDA pour l'exercice 2024 s'élevait à 5,2 M euros contre 10,6 M euros pour l'exercice précédent et que les dettes financières nettes au bilan s'élevaient à - 19 127 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2013 et à - 41 549 millions d'euros (trésorerie) au 31 décembre 2014 (rapport d'enquête, R 0068 et annexe 4.28 au rapport, slides n° 7 et 17).
581.L'information privilégiée qui aurait pu faire l'objet du manquement qui lui est reproché était décrite par la notification de griefs comme étant « relative au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2M€) et au renforcement de sa structure financière (trésorerie nette en augmentation de +22,4M€ par rapport au 31 décembre 2013), ressortant des comptes consolidés 2014 validés par le comité d'audit du 7 mai 2015 » (dossier de l'AMF, chemise 14, cote 1687).
582.S'agissant de la composante relative « au dépassement par MBWS de l'objectif d'EBITDA 2014 annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2M€) », la Cour a déjà répondu à une argumentation identique précédemment (cf, § 289 et suivants du présent arrêt) et elle y renvoie. Cette composante constitue ainsi une information privilégiée.
583.S'agissant de l'autre composante, la Cour relève que les données chiffrées qu'elle contient sont précises.
584.Elles n'étaient pas non plus publiques le 7 mai 2015, le courriel qui contenait ces données chiffrées n'ayant fait l'objet que d'une diffusion restreinte au comité d'audit.
585.Enfin, cette composante présentait un caractère sensible, notamment en ce qu'elle induisait le redressement de l'entreprise et son retour à une meilleure solvabilité. Un investisseur raisonnable était susceptible d'utiliser une telle information comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement.
586.Il n'importe à cet égard que des analystes aient pu conjecturer l'amélioration de la trésorerie de MBWS à partir de l'étude des choix faits par la direction de MBWS en vue de son redressement depuis 2014 (pièce 44 du dossier de [O] [A], Etude Advisory, pages 11 à 14), un tel retraitement, nécessairement empreint de subjectivité, de données éparses n'équivalant nullement à la publication des données afférentes à la trésorerie de MBWS par le communiqué de presse du 12 mai 2015 (« la trésorerie nette, largement positive, est en augmentation de +22,4 M€ et s'élève à 41,5 M€ au 31 décembre 2014 ») et à l'information plus précise encore communiquée aux membres du comité d'audit le 7 mai 2015.
587.En outre, l'aptitude à influer de manière sensible sur le cours d'un instrument financier doit s'apprécier a priori, à la lumière du contenu de l'information en cause et du contexte dans lequel elle s'inscrit.
588.Il n'est pas nécessaire, afin de déterminer si une information est privilégiée, d'examiner si sa divulgation a effectivement influé de façon sensible sur le cours des instruments financiers auxquels elle se rapporte (arrêt Spector, § 69).
589.Il est donc sans emport que le lendemain de la publication des résultats effectifs de MBWS par un communiqué de presse du 12 mai 2015, les cours aient connu une hausse qui peut s'expliquer par d'autres facteurs que la communication de la hausse de l'EBITDA (5.2 millions d'euros) et de l'information portant sur le caractère largement positif de la trésorerie nette (en augmentation de +22,4 M d'euros, portée à 41,5 M d'euros au 31 décembre 2014).
590.Il résulte de ces développements que l'information en cause présentait un caractère privilégié dans ses deux composantes.
2. Sur la connaissance par M. [K] du caractère privilégié de l'information
591.Dans la décision attaquée, la Commission des sanctions indique que par courriel du 7 mai 2015 du directeur financier de MBWS aux membres du comité d'audit, y compris M. [K], celui-ci a eu connaissance du montant d'EBITDA 2014 de 5,2 M euros et du montant de la trésorerie (disponibilités financières nettes de 41,549 M euros au 31 décembre 2014 contre 19,127 M euros au 31 décembre 2013), de sorte qu'il est établi par preuve directe qu'il détenait l'information privilégiée, ce qu'il ne conteste pas.
592.M. [K] soutient qu'il ne pouvait pas se douter que l'information était potentiellement privilégiée.
593.Il rappelle qu'il doit être considéré comme un initié secondaire et que c'est l'alinéa 6 de l'article 622-2 du RGAMF qui est susceptible de lui être applicable, puisqu'à l'époque des faits, il n'était encore qu'un « invité permanent » au conseil d'administration de MBWS et non pas l'un de ses membres.
594.Il ajoute qu'il n'avait pas conscience du caractère privilégié de l'information, puisque l'information relative à un EBITDA 2014 du même ordre de grandeur circulait déjà en interne chez MBWS depuis plusieurs mois. Le requérant développe sur ce point des arguments analogues à ceux avancés par [O] [A] et Mme [AF].
595.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que ce qui caractérise l'initié primaire est l'accès aux informations de l'émetteur que lui confère son statut ou ses fonctions. Seule importe donc son appartenance aux organes visés au 1° de l'article 622-2 du RGAMF. Ainsi, ne fût-il qu'un « invité permanent » du conseil d'administration, il n'en était pas moins membre.
596.Elle ajoute qu'à supposer que l'on retienne la définition restrictive que M. [K] propose, il n'en demeurerait pas moins qu'il relèverait en sa qualité d'invité permanent au conseil d'administration, de la catégorie des personnes détenant une information privilégiée en raison de son accès à l'information du fait de ses fonctions (art. 622-2, 3° du RGAMF).
597.Ainsi, dans tous les cas, M. [K] avait la qualité d'initié primaire.
598.M. [K] et l'AMF ont échangé des arguments supplémentaires dont la teneur a été rappelée au (§ 579 du présent arrêt).
599.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
600.L'article 622-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016, abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016, disposait notamment que :
« Toute personne mentionnée à l'article 622-2 ['] doit également s'abstenir de :
1° [']
2° Recommander à une autre personne d'acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d'une information privilégiée, les instruments financiers ['] auxquels se rapporte cette information [']. »
601.L'article 622-2 du RGAMF, dans sa version en vigueur du 25 novembre 2004 au 23 septembre 2016, abrogée par l'arrêté du 14 septembre 2016, précisait que :
« Les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
1° Sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ; [']
3° Son accès à l'information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l'exécution d'une opération financière ; [']
Ces obligations d'abstention s'appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ['] ».
602.M. [K] a été « coopté » en tant qu'« invité permanent » du conseil d'administration et du comité d'audit de MBWS, à la suite de la réunion du conseil d'administration de MBWS du 14 octobre 2014, ainsi qu'il ressort du procès-verbal du conseil d'administration de MBWS du 24 octobre 2014 (points 4, « cooptation d'administrateurs et pouvoirs pour effectuer les formalités », et 6, annexe 5.5 au rapport d'enquête).
603.Il ressort de ce procès-verbal (point 4) que M. [K] a ainsi été désigné en raison de « sa qualité de représentant et d'expert de [O] [A] ».
604.Au mois de mai 2015, M. [K] était toujours membre du conseil d'administration et du comité d'audit de MBWS en qualité d'invité permanent.
605.Il a été nommé administrateur de MBWS lors de l'assemblée générale de MBWS du 30 juin 2015, sur « recommandation du conseil d'administration de voter pour suite à l'accord du 29 juin 2015 » (résolution I, page 20, annexe 5.10 du rapport d'enquête).
606.Il s'ensuit que M. [K] a été « coopté » aux conseil d'administration et comité d'audit de MBWS pour y remplir une fonction et un travail au sens du 3° de l'article 622-2 du RGAMF, à savoir ceux, de « représentant et d'expert de [O] [A] ».
607.Il avait en conséquence la qualité d'initié primaire et était astreint aux obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 du RGAMF par suite de l'accès aux informations que lui conférait son statut d'invité permanent aux conseil d'administration et comité d'audit de MBWS.
608.À titre surabondant, et afin de purger tous les aspects de la question de la qualité d'initié primaire ou secondaire de M. [K], la Cour rappelle que l'intéressé a « obtenu un diplôme supérieur en comptabilité finances puis un diplôme d'état d'expert financier » et qu'il a exercé des responsabilités de haut niveau dans différents établissements bancaires. Il se décrit lui-même comme « banquier d'affaires » (son audition, pages 2 et 3, annexe 15 au rapport d'enquête). Il ne saurait dès lors sérieusement soutenir qu'il pouvait ne pas savoir que l'information relative à l'EBITDA 2014 présentait un caractère privilégié (ainsi que la Cour l'a démontré précédemment, cf, § 297 et suivants du présent arrêt).
3. Sur la relation entre l'information et les recommandations d'achat
609.Dans la décision attaquée (§ 176), l'AMF indique que s'il ressort des pièces du dossier que la décision de principe d'investir de DF [A] pourrait avoir été prise dès mars 2015, il n'en demeure pas moins que sa décision définitive a été prise le 12 mai 2015, de sorte que la chronologie mise en avant par M. [K] est sans incidence sur la caractérisation du grief.
610.M. [K] soutient que M. [C] (DF [A]) avait pris sa décision d'investir dans MBWS au cours du mois de mars 2015 et que la réunion du 11 mai n'avait eu pour objet que de lever les dernières hésitations de M. [L] (intervenant à la demande de M. [C]). Le conseil de M. [K] d'acquérir des actions de MBWS était largement antérieur à l'information prétendument privilégiée (7 mai). Or, la cour d'appel juge que « lorsqu'il s'avère qu'au moment du contact entre l'initié et le vendeur », « la décision de vendre les titres avait déjà été prise par ce dernier », « il ne peut pas y avoir de manquement de recommandation à la vente » (Paris, 5-7, 7 février 2019, RG n° 18/04069). Ainsi, les recommandations d'achat que M. [K] a pu émettre ne se basent pas sur l'information en cause.
611.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique que la circonstance que M. [K] ait préalablement au 11 mai 2015 recommandé à DF [A] d'investir dans les titres MBWS n'exclut pas qu'il ait renouvelé cette recommandation sur la base d'une information privilégiée dès lors que cet investissement n'avait pas encore été réalisé.
612.Elle ajoute que la décision prise antérieurement au 11 mai était conditionnelle et dépendait du prix des actions, étant rappelé qu'initialement, le prix d'acquisition moyen consenti par DF [A] était de 13,80 euros. L'objet de la réunion du 11 mai était ainsi pour M. [K] de convaincre les représentants de DF [A] que le cours de l'action n'allait pas chuter après la publication du communiqué de presse en dessous du prix de cession fixé à 16,80 euros. À la suite de cette entrevue, le mandat donné à Alterfi a été modifié en conséquence.
613.M. [K] et l'AMF ont échangé des arguments supplémentaires dont la teneur a été rappelée au § 552 du présent arrêt.
614.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
615.Il résulte des dispositions de l'article 622-1 du RGAMF, rappelées supra (cf, § 600 du présent arrêt), que M. [K], devenu initié depuis le 7 mai 2015, devait s'abstenir de recommander l'acquisition des actions de MBWS.
616.Ainsi qu'il a été indiqué (cf, § 20 du présent arrêt), DFH a mandaté Alterfi le 27 mars 2015 pour gérer l'acquisition d'actions au cours moyen de 13,80 euros (article 3 du mandat, annexe 10.1 ; rapport, cote R0064).
617.M. [K] a joué ensuite un rôle d'intermédiaire entre DFH et KKR.
618.Le 6 mai 2015, M. [L], président de DFH a accepté le principe de l'acquisition auprès de KKR d'un bloc d'actions au prix unitaire de 16,80 euros représentant 5 % du capital de MBWS (courriel du 6 mai 2015, 17h38, annexe 4.30 du rapport d'enquête). À cette date, l'accord de DFH n'était encore que de principe, il ne s'agissait pas d'un ordre d'achat ferme immédiatement applicable.
619.Le 11 mai, M. [K] (initié depuis le 7 mai) a participé à une réunion avec des représentants du groupe [C], dans les locaux dudit groupe.
620.À la suite de cette réunion, le 12 mai, à 9 h 41 (annexe 4.33 au rapport d'enquête), M. [L] a donné l'instruction à Alterfi de procéder à l'acquisition du bloc de KKR à l'ouverture des marchés le mercredi 13 mai.
621.La publication du communiqué de presse par MBWS est intervenue le 12 mai 2015 en fin de journée, après la clôture des marchés, juste avant l'acquisition du bloc de KKR, le lendemain matin.
622.L'analyse des échanges de courriels et des auditions des protagonistes permet de préciser la portée de la réunion du 11 mai.
623.M. [K] expose lui-même dans ses conclusions (mémoire du 18 avril 2023, page 36) que cette réunion a eu pour objet de « lever les dernières hésitations » de M. [L] relatives au prix de 16,80 euros.
624.Interrogé sur la portée de cette réunion et sur le comportement de M. [K], M. [L] a indiqué dans son audition du 15 novembre 2017 (annexe 1.8 du rapport d'enquête, soulignements ajoutés) :
« M. [PB] [K] ['] nous a mis beaucoup de pression pour qu'on réalise cette acquisition et pour nous convaincre de la faire ['] », « [d]e mon côté, j'ai freiné sa réalisation même si le principe était acquis » (question 11) ; « cette pression m'horripilait » (question 34).
« Je souhaitais attendre pour voir l'évolution du cours de l'action MBWS puisqu'il était en train de baisser. Mme [R] [représentante de DFH au conseil d'administration de MBWS, cf, procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires de MBWS du 30 juin 2015, annexe 5.10 au rapport d'enquête] m'avait dit qu'il y aurait un conseil d'administration de MBWS devant approuver les comptes ; je voulais m'assurer que le cours ne baisserait pas de manière importante à la suite de la publication des comptes. En particulier, M. [W] [C] et moi souhaitions vérifier que le niveau d'endettement n'allait pas augmenter. Nous avions pris la décision de principe d'acheter en mars, à la suite de la réunion avec Mme [AF], mais il n'y avait pas d'urgence pour nous. » (question 34)
[au sujet de la réunion du 11 mai], « Il [M. [K]] a souhaité nous rassurer sur le fait que les résultats de MBWS devant être annoncés le lendemain seraient bons et n'auguraient pas une baisse significative des cours, et donc qu'acheter des titres supposait d'accepter un prix de 16,80 €, bien qu'il soit nettement supérieur aux 13,50 € initiaux » (question 35).
625.À la question 38, « pourquoi M. [PB] [K] souhaitait-il réaliser l'opération le 13 mai 2015 à l'ouverture, c'est-à-dire après la publication du communiqué de MBWS annonçant les résultats de l'exercice 2014 ' », M. [L] a répondu « [p]arce que je l'ai exigé pour être sûr que ses bonnes paroles étaient pleines de vérité et que le cours ne chuterait pas après la publication des comptes de l'exercice 2014 ».
626.Il a encore exposé :
« je n'avais pas confiance en M. [K] et que j'avais besoin d'y réfléchir encore. Les comptes allaient être publiés le 12 mai et nous souhaitions prendre connaissance du communiqué et pouvoir apprécier l'impact sur le cours, pour être certains que ce qui nous avait été dit était exact » (question 39).
627.Il a encore précisé que l'ordre d'achat donné le 12 mai à 9 h 41 pouvait être retiré avant l'ouverture de la bourse, au moment où il devait être exécuté et que « [l]e 11 mai, M. [K] nous a dit que, compte tenu des résultats à venir, le cours ne pouvait pas s'effondrer et que nous n'aurions pas l'opportunité d'acheter à moins de 16,80 € » (question 41).
628.Il résulte de cette chronologie et de l'ensemble de ces déclarations que le 11 mai 2011, la décision de DFH d'acquérir le bloc de KKR n'était pas encore prise et que c'était là l'enjeu de la réunion.
629.Il se déduit de la qualité d'initié (primaire) de M. [K], que celui-ci, pour emporter la décision du président de DFH, qui était encore hésitant, a recommandé l'acquisition du bloc de KKR au prix de 16,80 euros l'action sur la base de l'information privilégiée relative au dépassement par MWBS de l'objectif d'EBITDA annoncé le 13 février 2015 (EBITDA égal à 5,2 millions d'euros) et au renforcement de sa structure financière (trésorerie nette en augmentation de +22,4 millions d'euros par rapport au 31 décembre 2013), ressortant des comptes consolides 2014 validés par le comité d'audit du 7 mai 2015.
630.Il a ainsi manqué à l'obligation d'abstention de recommandation qui lui incombait.
631.La Cour précise encore que le manquement en cause est autonome, en sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si la recommandation a été déterminante des opérations effectuées (Conseil d'Etat, 10 juillet 2015, n° 369454). Il n'y a pas lieu d'examiner si elle a été suivie d'effet.
632.Le recours de M. [K] sera rejeté.
V. SUR LES SANCTIONS
A. Sanction de [O] [A]
633.Dans la décision attaquée (§ 234 à 238), l'Autorité, qui prononce à l'encontre de [O] [A] une amende de 10 millions d'euros, rappelle que le manquement retenu à son encontre a eu lieu du 16 mars au 1er avril 2015 pour le manquement d'initiée et à compter du 16 septembre 2014 pour le manquement à l'obligation déclarative des opérations réalisées sur le titre MBWS.
634.Elle ajoute que ces manquements ont été commis par un des plus importants groupes privés au Maroc, et acteur majeur de l'industrie agroalimentaire, de sorte qu'ils revêtent une particulière gravité. Elle estime que [O] [A] a réalisé une économie de 4 966 500 euros s'agissant des acquisitions d'actions et une économie de 9 300 euros s'agissant des acquisitions de BSA, outre des plus-values postérieures respectives de 3 421 975 euros et 8 400 euros.
635.Elle indique que selon Mme [AF], le groupe a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 340 millions d'euros en 2019 et que son résultat avait été négatif de 13 millions d'euros.
636.La présidente de l'AMF demande l'aggravation des sanctions prononcées en application des dispositions de l'article L. 621-15 du CMF et que le quantum des sanctions passe de 10 à 17 millions d'euros pour [O] [A].
637.[O] [A] critique la méthodologie retenue par l'AMF pour évaluer l'avantage économique qu'elle aurait obtenu, indique que nombre des actions acquises ont été revendues et le produit de la vente réinvesti dans le cadre de l'OPE, ce qui a permis à MBWS, dont [O] [A] était l'actionnaire de référence, de sortir de son plan de continuation. Elle considère que la Commission des sanctions n'a pas suffisamment individualisé la sanction infligée et que celle-ci n'est pas proportionnée.
638.Elle indique encore que sa situation financière est structurellement dégradée depuis plusieurs années et conteste disposer des actifs disponibles pour faire face à une sanction de 10 millions d'euros.
639.Dans ses observations en réponse, l'AMF expose que les sanctions prononcées doivent être effectives, proportionnées et dissuasives et met en exergue le manque de transparence flagrant de la part de [O] [A]. Elle rappelle que le montant de la sanction prononcée est très largement inférieur au plafond de la sanction encourue en l'absence de prise en compte des profits réalisés. Elle partage en tous points les analyses de la décision attaquée.
640.Le ministère public demande à la Cour de réformer à la hausse le quantum des sanctions prononcées à l'encontre de [O] [A], le recours du président de l'AMF étant fondé.
Sur ce, la Cour :
641.Il résulte de l'article L. 621-15, III, du CMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016, rétroactivement applicable aux faits comme étant plus favorable que le précédent texte, que le montant de la sanction doit être fixé en tenant compte notamment :
' de la gravité et de la durée du manquement ;
' de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;
' de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;
' de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
' des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
' du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;
' des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
' de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement.
642.La loi encadre la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
643.Il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de [O] [A] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionnée et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères précités.
644.S'agissant du manquement d'initié, la Cour estime qu'il est d'une gravité certaine eu égard à la taille et à l'importance de ce groupe : il se décrivait en décembre 2024 comme « le vaisseau amiral du groupe familial [AF], 1er groupe viticole marocain, situé au 7ème rang des groupes les plus importants du Maroc, opérant majoritairement dans l'agro-industrie, avec plus de 8 000 hectares de terres à vocation agricole et totalisant plus de 6 500 emplois directs » (mémoire du 18 avril 2022, page 5).
645.La mise en 'uvre du manquement s'est étendue du 16 mars au 1er avril 2015. Celle-ci n'ayant nullement été ponctuelle, cette durée revêt un caractère aggravant.
646.S'agissant des gains financiers qui ont pu être réalisés, il ne saurait être sérieusement prétendu que le manquement d'initié n'a pas généré d'avantage économique au profit de [O] [A], dès lors qu'Alterfi a eu pour comportement constant de tenter de réduire le coût moyen des acquisitions de titres de MBWS par de très nombreux mouvements d'achat/vente.
647.Si [O] [A] faisait en 2021 état d'une structure financière anormalement surendettée (pièce 85, dossier de [O] [A]), la Cour relève que la requérante a déjà versé la somme de 10 millions d'euros puisque la sanction que la Commission des sanctions lui a infligée n'a pas fait l'objet, en ce qui la concerne, d'une mesure de sursis à exécution (pièce 57 du dossier de [O] [A], ordonnance n° 66 du délégué du Premier président de la cour d'appel de Paris, 3 novembre 2021). Au demeurant, la proportionnalité de la sanction financière s'apprécie au regard de la situation de la personne concernée à la date où la Cour l'examine. Or, force est de constater l'absence au dossier de [O] [A] de documentation actualisée.
648.S'agissant du manquement à l'obligation de déclarer des opérations, il a été indiqué (cf, § 438 et suivants du présent arrêt) qu'il serait tenu compte du fait que l'interprétation que contenait la position de l'AMF n° 2006-14 a pu donner à croire à [O] [A] qu'elle pouvait ne pas être tenue de procéder aux déclarations litigieuses.
649.Au regard de l'ensemble de ces considérations, la Cour réformera la décision attaquée sur la sanction prononcée et ramènera ladite sanction à neuf millions neuf cent vingt mille euros (9,920 M euros).
B. Sanction de Mme [AF]
650.Dans la décision attaquée (§ 240 à 244), l'Autorité, qui prononce à l'encontre de Mme [AF] une amende de 6 millions d'euros, rappelle que le manquement retenu à son encontre a eu lieu du 16 mars au 1er avril 2015.
651.Elle ajoute que le manquement commis par Mme [AF] revêt une particulière gravité en raison de sa qualité d'administrateur de la société MBWS, sur laquelle portait l'information privilégiée. Elle précise encore que l'avantage économique retiré du manquement est le même que celui mentionné dans le cas de [O] [A].
652.Elle indique encore que Mme [AF] n'a produit aucun justificatif et a déclaré que l'essentiel de son patrimoine était constitué de sa participation en nue-propriété dans le capital de [O] [A] à hauteur de 32,20 %.
653.La présidente de l'AMF demande l'aggravation des sanctions prononcées en application des dispositions de l'article L. 621-15 du CMF et que le quantum des sanctions passe de 6 à 7,5 millions d'euros pour Mme [AF].
654.Mme [AF] reprend à son compte les développements de [O] [A] et ajoute qu'elle n'a retiré strictement aucun avantage économique ou financier de l'investissement de [O] [A] en titres MBWS.
655.Elle ajoute que sa qualité d'administrateur de MBWS ne suffit pas à caractériser la gravité du manquement d'initié.
656.S'agissant de ses ressources, elle indique avoir communiqué ses relevés bancaires, ce dont il ressort qu'elle n'est pas en mesure de faire face à une sanction de 6 millions d'euros. En outre, [O] [A] ne distribue plus de dividendes à la suite de l'effondrement survenu depuis lors de la valeur de son portefeuille de titres MBWS. Elle rappelle que le magistrat délégué par le Premier président a suspendu l'exécution de la décision, en ce qui la concerne, tenant ainsi compte de son argumentation.
657.Dans ses observations en réponse, l'AMF indique qu'elle s'est heurtée au manque de transparence de Mme [AF] et partage les analyses de la décision attaquée.
658.Le ministère public demande à la Cour de réformer à la hausse le quantum des sanctions prononcées à l'encontre de Mme [AF], le recours du président de l'AMF étant fondé.
Sur ce, la Cour :
659.Les dispositions pertinentes de l'article L. 621-15, III, du CMF ont été rappelées supra.
660.Ainsi qu'il a été indiqué, la loi encadre la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
661.Il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de Mme [AF] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionné et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères contenus à l'article L. 621-15, III, du CMF.
662.S'agissant du manquement d'initié, la Cour estime qu'il est d'une gravité certaine en raison de la qualité d'initiée primaire de Mme [AF], celle-ci étant initiée en sa qualité d'administratrice de MBWS. Au surplus, elle est une femme d'affaires expérimentée et reconnue en tant que telle, ainsi qu'il ressort, par exemple, de sa participation au sommet « Choose France » du 28 juin 2021 (pièce 54 du dossier de [O] [A]).
663.La mise en 'uvre du manquement s'est étendue du 16 mars au 1er avril 2015. Celle-ci n'ayant nullement été ponctuelle, cette durée revêt un caractère aggravant.
664.S'agissant des gains financiers qui ont pu être réalisés, il ne saurait être sérieusement prétendu que le manquement d'initié n'a pas généré d'avantage économique au profit de [O] [A], ainsi qu'il a été dit supra. Mme [AF] étant à la tête de ce groupe, ultimement détenu par la famille [AF] (cf, mémoire du 18 avril 2022, page 5, précité), elle a nécessairement bénéficié, indirectement, de cet avantage économique.
665.Par ailleurs, la proportionnalité de la sanction financière s'apprécie au regard de la situation de la personne concernée à la date où la Cour l'examine. Or, force est de constater l'absence au dossier de Mme [AF] de documentation actualisée.
666.Au regard de ces considérations, la Cour considère que la sanction prononcée par la Commission des sanctions est proportionnée et dissuasive. Il n'y a pas lieu de réformer la décision attaquée de ce chef.
C. Sanction de M. [K]
667.Dans la décision attaquée (§ 245 à 250), l'Autorité, qui prononce à l'encontre de M. [K] une amende de deux millions d'euros, rappelle que l'intéressé est un professionnel des marchés et qu'il était un invité permanent du conseil d'administration de MBWS, en sorte que le manquement revêt une particulière gravité.
668.Elle relève qu'aucun avantage ou perte retiré du manquement ne ressort du dossier. Elle ajoute que M. [K] a déclaré ne pas toucher de revenu fixe, ni jeton de présence de MBWS.
669.M. [K] expose que le montant de l'amende prononcée à son encontre est disproportionné, qu'il est identique au montant requis, alors que le grief de communication d'information privilégiée a été écarté et qu'aucun profit n'a été retiré par personne de la recommandation retenue à son encontre.
670.Il ajoute qu'il ne dispose pas de biens immobiliers, que ses comptes bancaires sont peu approvisionnés, qu'il n'est pas imposable et qu'il n'est pas en mesure de payer une amende de 2 M euros, ce que le magistrat délégué du Premier président a parfaitement compris.
671.S'il devait être condamné à payer une amende, il demande que celle-ci soit ramenée à 1 euro.
672.Dans ses observations en réponse, l'AMF demande la confirmation de la décision attaquée.
673.Le ministère public invite la Cour à rejeter le moyen de M. [K].
Sur ce, la Cour :
674.Les dispositions pertinentes de l'article L. 621-15, III, du CMF ont été rappelées supra.
675.Ainsi qu'il a été indiqué, la loi encadre la mise en 'uvre des sanctions en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
676.Il convient d'examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. [K] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionné et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères contenus à l'article L. 621-15, III, du CMF.
677.La Cour relève que M. [K] est un initié primaire et un professionnel averti, ainsi qu'il ressort de ses propres déclarations. Il a ainsi indiqué avoir « obtenu un diplôme supérieur en comptabilité finances puis un diplôme d'état d'expert financier » et avoir exercé des responsabilités de haut niveau dans différents établissements bancaires. Il se décrit lui-même comme « banquier d'affaires » (son audition, pages 2 et 3, annexe 15 au rapport d'enquête).
678.En outre, la proportionnalité de la sanction financière s'apprécie au regard de la situation de la personne concernée à la date où la Cour l'examine. Or, force est de constater l'absence au dossier de M. [K] de documentation actualisée.
679.Au regard de ces considérations, la Cour considère que la sanction prononcée par la Commission des sanctions est proportionnée et dissuasive. Il n'y a pas lieu de réformer la décision attaquée de ce chef.
VI. SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE [O] [A] ET MME [AF]
A. Sur la demande à hauteur de 100 000 euros dirigée contre l'auteur du recours incident puis contre l'AMF
680.[O] [A] demande à la Cour, dans ses conclusions du 18 avril 2023, page 73, la condamnation de « l'auteur du recours incident » à lui verser cette même somme dès lors (sauf à ce que la Cour ramène la sanction qui lui sera infligée pour ce manquement à un euro symbolique), compte tenu « de la responsabilité du Collège de l'AMF dont il était le Président, cet organe étant l'auteur de la doctrine (Position DOC n° 2006-16) à laquelle la société [O] [A] s'est conformée, lui faisant confiance pour connaître l'interprétation que faisait le régulateur des dispositions de l'article R. 621-43-1 du CMF ».
681.[O] [A] fait valoir que la somme de 100 000 euros correspond à l'amende infligée à la société DF [A] pour le même manquement.
682.En réponse, la présidente de l'AMF oppose, en premier lieu, l'irrecevabilité de la demande en ce qu'elle est tardive, puisque formée après l'expiration du délai de 15 jours prévu par l'article R. 621-46, I, du CMF.
683.En deuxième lieu, elle fait valoir que la Cour, en application des dispositions de l'article R. 621-46, VI, du CMF, ne saurait excéder ses pouvoirs, bornés à l'annulation ou la réformation en tout ou partie de la décision de la Commission des sanctions, en statuant sur une demande indemnitaire détachable de la procédure et de ladite décision. Elle considère qu'en l'espèce, la demande indemnitaire reposant sur l'interprétation, qualifiée de fautive, qu'a faite l'AMF de l'article R. 621-43-1 du CMF dans sa Position DOC n° 2006-14, elle est détachable du litige.
684.En troisième lieu, elle précise que la demande, en ce qu'elle est dirigée contre « l'auteur du recours incident » est irrecevable car elle devrait être dirigée contre l'AMF, et non contre sa présidente, celle-ci n'étant pas l'auteure de la Position DOC n° 2006-14.
685.Enfin, elle expose que la demande d'indemnisation est mal fondée en ce qu'aucun lien de causalité n'est établi entre la faute et le préjudice allégués. Un tel lien supposerait en effet d'établir que [O] [A] se soit abstenue de procéder aux déclarations requises en raison de l'interprétation des dispositions légales contenues dans la Position, ce que les requérantes n'établissent pas.
686.Dans son mémoire complémentaire du 4 décembre 2013, en page 104, [O] [A] dirige désormais sa demande contre « l'Autorité des marchés financiers », « compte tenu de la responsabilité de l'auteur de la doctrine (Position DOC n°2006-16) ».
687.Dans son mémoire n° 3 du 12 février 2024, la présidente de l'AMF observe que cette demande est irrecevable sur le fondement de l'article R. 621-46, I, du CMF.
688.Le ministère public demande à la Cour de déclarer cette demande irrecevable.
Sur ce, la Cour :
689.En premier lieu, la Cour considère que [O] [A], en dirigeant son recours contre l'AMF dans ses dernières écritures, a implicitement mais nécessairement abandonné son recours dirigé initialement contre « l'auteur du recours incident », à savoir le président de l'AMF.
690.L'article L. 621-30 du CMF réserve à l'autorité judiciaire la compétence pour connaître des recours formés contre les décisions individuelles de l'AMF, autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 du même code. Par suite, il en va de même pour les actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions (en ce sens, Tribunal des conflits, 2 mai 2011, C 3766, dans le même sens que Tribunal des conflits, 22 juin 1992, n° 02671).
691.Dans la mesure où une demande indemnitaire présentée à la Cour est rattachée aux conséquences dommageables, alléguées, de la décision de sanction, il doit être admis qu'une telle demande ne présente pas un degré d'autonomie suffisant par rapport à la décision de sanction pour en être détachable et donner lieu à un contentieux distinct de celui engagé devant la Cour.
692.Cependant, en l'espèce, la requérante reproche à l'AMF d'avoir publié un document intitulé « Position DOC n° 2006-16 » contenant une doctrine contraire à celle retenue par la Commission des sanctions quant à la portée de l'article L. 621-18-2 du CMF (cf, § 438 du présent arrêt).
693.Sa demande présente ainsi un large degré d'autonomie par rapport à la décision de sanction elle-même, en sorte qu'elle en est détachable. Elle devait donc être formée dans le cadre d'un contentieux distinct de celui engagé devant la Cour.
694.Elle est dès lors irrecevable dans le cadre du présent contentieux.
695.En second lieu, conformément à l'article R. 621-45 du CMF, « par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l'article R. 621-46 du présent code ».
696.Aux termes de l'article R. 621-46 du CMF, « [à] peine d'irrecevabilité prononcée d'office, [la déclaration de recours] comporte les mentions prescrites par l'article 648 du code de procédure civile et précise l'objet du recours. Lorsque la déclaration ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, sous la même sanction, déposer cet exposé au greffe dans les 15 jours qui suivent le dépôt de la déclaration ».
697.En l'espèce, la demande indemnitaire, présentée comme un subsidiaire dans le cas où la Cour ne ramènerait pas à 1 euro la sanction du manquement de [O] [A] à ses obligations déclaratives, constitue un développement accessoire à un moyen de défense au fond.
698.Elle pouvait donc être formée en même temps que l'exposé des moyens au soutien du recours contre la décision de la Commission des sanctions. La Cour constate que tel n'a pas été le cas.
699.Dès lors, cette demande, tardive, est en tout état de cause irrecevable.
B. Sur la demande pour abus du droit d'agir à hauteur de 5 millions d'euros dirigée contre l'auteur du recours incident et l'AMF
700.[O] [A] et Mme [AF] demandent, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, à la Cour de condamner solidairement, à titre reconventionnel, l'auteur du recours incident et l'AMF à leur verser la somme globale de 5 000 000 euros, en réparation de leur préjudice moral d'anxiété qui résulte d'un abus du droit d'agir de Monsieur [M] [G].
701.[O] [A] et Mme [AF] font valoir qu'en « réitérant l'engagement d'une (seconde) procédure » contre elles « sur la base d'éléments rigoureusement identiques à ceux qu'il avait déjà soulevés en première instance, alors que l'organe de jugement de l'AMF l'avait jugée mal-fondée, M. [G] a abusé de son droit d'agir ». Elles ajoutent que « le comportement de M. [G] s'inscrit pleinement dans la typologie des fautes retenues par la jurisprudence, lesquelles vont du manque de discernement à l'intention de nuire, celle-ci pouvant notamment se manifester au travers d'affirmations mensongères, d'accusations malveillantes, d'insinuations tendancieuses, ou encore de procédés vexatoires ». Elles arguent d'un préjudice d'anxiété qu'elles évaluent à « 50 % du montant (10 ME) qui apparaît mathématiquement injustifié, à la lecture des termes mêmes du recours incident abusivement formé ». Elles précisent enfin que cette demande s'adresse « solidairement à l'AMF et à son (ancien) président ».
702.En réponse, la présidente de l'AMF soutient, en premier lieu, que l'article 32-1 du code de procédure civile, qui sanctionne les abus du droit d'agir, n'est pas applicable à la procédure devant la commission des sanctions de l'AMF et dans le cadre des recours formés contre ses décisions, faute d'être compatible avec la nature de ce contentieux. Elle ajoute que les pouvoirs de la Cour d'appel de Paris sont strictement définis par l'article R. 621-46, VI du CMF.
703.En deuxième lieu, elle fait valoir que les demandes indemnitaires nommément dirigées contre M. [G], qui n'est plus président de l'AMF et qui n'a pas formé de recours incident à titre personnel mais en qualité de président de l'AMF, sont irrecevables.
704.Elle ajoute que l'AMF n'étant pas elle-même à l'initiative d'un recours incident, qui relève des pouvoirs propres de son président, il ne saurait lui être reproché un abus dans l'exercice d'une voie de recours qu'elle n'exerce pas (Paris, 29 juin 2023, RG 21/13507).
705.En troisième lieu, la présidente de l'AMF soutient qu'aucun abus ne peut être établi. Il lui est permis de contester l'analyse de la Commission des sanctions, qui a jugé que la circonstance que les opérations litigieuses se sont inscrites dans le cadre d'une stratégie préétablie, permettrait de renverser la présomption d'utilisation indue de l'information privilégiée. Il est en outre inopérant d'invoquer le montant des sanctions prononcées par la Commission des sanctions ou demandées par la présidente de l'AMF (dans les limites permises par la loi) pour justifier du caractère abusif du recours incident. Enfin, le « préjudice d'anxiété » allégué par les défenderesses à ce recours n'est étayé par aucune pièce.
706.Enfin, en quatrième lieu, il lui était loisible de produire les pièces issues des OVS, dès lors que ces pièces ont été régulièrement obtenues, ainsi que la Cour de cassation l'a jugé en assemblée plénière.
707.Le ministère public demande à la Cour de déclarer cette demande irrecevable.
Sur ce, la Cour :
' Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle pour abus du droit d'ester
708.L'article 32-1 du code de procédure civile énonce que :
« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
709.Il résulte de l'article R. 621-45 du CMF, dont les dispositions ont été rappelées précédemment (§ 695 du présent arrêt), que les dispositions du code de procédure civile applicables à la procédure suivie devant la Cour sont celles auxquelles il n'est pas expressément dérogé.
710.L'article 32-1 du code de procédure civile ne figurant pas au nombre des dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile (« Dispositions particulières à la cour d'appel ») visées par l'article R. 621-45 du CMF, son application n'est pas exclue.
711.L'article R. 621-46, VI du CMF est ainsi rédigé :
« VI. - Le recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers prévu à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 621-30 doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification à l'Autorité des marchés financiers du recours de la personne sanctionnée. Ce recours est formé dans les conditions prévues au I du présent article, par une déclaration contenant l'exposé des moyens invoqués ; il est notifié aux parties par le greffe de la cour d'appel. En tant que de besoin, le délai prévu pour les échanges peut être modifié par le premier président ou son délégué.
La cour d'appel peut, sur le recours principal ou incident du président de l'Autorité des marchés financiers, soit confirmer la décision de la commission des sanctions, soit l'annuler ou la réformer en tout ou en partie, dans un sens favorable ou défavorable à la personne mise en cause. ».
712.Il résulte d'abord de ce texte qu'il est permis à la Cour, dans le seul cas d'un recours incident du président de l'AMF, de réformer la décision de la Commission des sanctions dans un sens défavorable à la personne mise en cause.
713.Il en résulte ensuite que l'article 621-46 du CMF ne déroge pas expressément à l'article 32-1 du code de procédure civile. Ce texte est donc applicable.
714.La demande reconventionnelle est dès lors recevable dans son principe.
' Sur le bien-fondé de la demande
715.Il convient de rappeler que l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.
716.Lorsqu'il exerce le recours visé à l'article L. 621-30, alinéa 3, du CMF, le président de l'AMF, qui représente l'autorité de poursuite, agit après accord du Collège. Dès lors, la responsabilité de l'AMF est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, en cas de faute lourde.
717.En l'espèce, la Cour observe que les développements du président de l'AMF à l'appui de son recours contiennent des analyses factuelles et juridiques qui ne procèdent nullement d'erreurs grossières équipollentes à un dol, la Cour partageant au demeurant l'essentiel de ces analyses, à l'exception, principalement, de celles portant sur les conséquences qu'il convient de tirer du courriel de M. [P] du 19 novembre 2015 à 16:16 (cf, § 491 du présent arrêt).
718.L'exercice de ce recours ne procède en outre en rien d'une intention malicieuse ou d'un acharnement procédural qui aurait nécessairement été voué à l'échec.
719.Enfin, outre l'absence de démonstration d'une telle faute lourde, force est de constater que le montant des dommages-intérêts demandés n'est pas rattaché à l'existence d'un préjudice subi, dans le respect du principe de réparation intégrale, mais à une exégèse des sanctions infligées par la Commission des sanctions et demandées par le président de l'AMF.
720.Pour l'ensemble de ces motifs, la demande indemnitaire fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile sera rejetée.
VII. Sur les frais irrépétibles et les dépens
721.[O] [A] et Mme [AF] demandent le versement de la somme de 482 162,05 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
722.M. [K] ne forme pas de demande au titre des frais irrépétibles et dépens.
723.Les requérants succombant en leur recours, il y a lieu de rejeter leurs demandes et de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
REJETTE les incidents ;
Sur les recours formés contre la décision n° 6 de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021, à titre principal, par la société [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K] :
DÉCLARE irrecevable le moyen pris de la déloyauté de la procédure soulevé par la société [O] [A] et Mme [T] [AF] ;
DÉCLARE irrecevable le moyen pris du caractère public de l'information privilégiée du 14 mars 2015 ;
DÉCLARE irrecevable la demande d'annulation de tous les actes qui auraient pu résulter de l'exploitation des pièces obtenues, le 25 avril 2017, auprès de Mme [AF], et en particulier, le rapport d'enquête et la notification de griefs adressée le 14 octobre 2019 à [O] [A] et Mme [AF] ;
DIT n'y avoir lieu à transmettre de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
REJETTE les recours formés contre la décision n° 6 de l'Autorité des marchés financiers du 28 avril 2021, à titre principal, par la société [O] [A], Mme [T] [AF] et M. [PB] [K], sauf en ce qui concerne la sanction prononcée par la Commission des sanctions à l'encontre de la société [O] [A] ;
RÉFORME partiellement la décision en ce qui concerne le montant de la sanction infligée à la société [O] [A] ;
INFLIGE à la société [O] [A] une sanction de 9,920 millions d'euros (neuf millions neuf cent vingt mille euros) pour manquement à l'obligation d'abstention d'utilisation d'une information privilégiée et manquement à l'obligation de déclaration d'opérations ;
Sur le recours formé par le président de l'Autorité des marchés financiers :
Le REJETTE ;
Sur les autres demandes formées par Mme [AF] et la société [O] [A] :
DÉCLARE irrecevable la demande de la société [O] [A] à hauteur de 100 000 euros dirigée contre l'auteur du recours incident puis contre l'Autorité des marchés financiers ;
DÉCLARE recevable mais mal fondée la demande reconventionnelle de la société [O] [A] et de Mme [T] [AF] fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande présentée par la société [O] [A] et Mme [T] [AF] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER,
Valentin HALLOT
LA PRÉSIDENTE,
Françoise JOLLEC