CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 18 septembre 2025, n° 21/12936
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 21/12936 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIBMR
[Z] [X]
S.A.R.L. [X] [18]
S.A.S. [15]
C/
[Y] [X]
[R] [X]
[S] [X]
Copie exécutoire délivrée
le : 18 Septembre 2025
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Géraldine PUCHOL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TARASCON en date du 16 Août 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2020003311.
APPELANTS
Monsieur [Z] [X]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 10] (84), demeurant [Adresse 13]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON
S.A.R.L. [X] [18]
, demeurant [Adresse 11]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON
S.A.S. [15]
, demeurant [Adresse 16]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMES
Monsieur [Y] [X]
né le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 14] (13), demeurant [Adresse 7]
représenté par Me Géraldine PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d'AVIGNON
Madame [R] [X]
née le [Date naissance 6] 1957 à [Localité 10] (84), demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Géraldine PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d'AVIGNON
Madame [S] [X]
née le [Date naissance 5] 1988 à [Localité 10] (84), demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Géraldine PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d'AVIGNON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025,
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL [X] [18] ([X] TP), ayant pour activité les travaux publics et la démolition, a été constituée le 1er décembre 2006 à [Localité 12] par M. [D] [X] et ses deux fils, MM [Z] et [Y] [X], le père détenant 99,76 % du capital et chacun des deux fils 0,12%.
À la suite du décès de M. [D] [X], survenu le [Date décès 2] 2009, ses parts sociales sont entrées en indivision successorale entre ses quatre enfants M. [Y] [X], M. [Z] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X].
La gestion de la société a été assurée conjointement par MM [Y] et [Z] [X] jusqu'à la démission de M. [Y] [X], intervenue le 1er juillet 2013, date à laquelle M. [Z] [X] est devenu le seul gérant de la société.
Une convention d'indivision a été conclue le 20 décembre 2015 entre les héritiers de M. [D] [X], pour une durée de cinq ans, portant sur les biens dépendant de la succession, en ce compris les parts de la société [X] TP, M. [Y] [X] étant désigné en qualité gérant de l'indivision et de mandataire commun des coindivisaires de parts sociales pour l'exercice de tous les droits y afférents.
M. [Z] [X] a convoqué l'assemblée générale de la société [X] TP le 29 janvier 2016 pour l'approbation des comptes annuels des exercices 2009 à 2014 et de la rémunération de la gérance. Les associés ont refusé d'approuver les comptes et la rémunération du gérant.
Le 14 janvier 2017, M. [Z] [X] a constitué la SAS [15], avec Mme [B] [H] et Mme [G] [X], immatriculée le 14 février 2017, ayant pour activité le recyclage, le concassage et les travaux de démolition, M. [Z] [X] étant désigné aux fonctions de président.
Les relations entre M. [Z] [X] et les autres associés de la SARL [X] TP se sont détériorées, ces derniers reprochant au premier un manque de transparence dans la gestion de la société et la création de la SAS [15], perçue comme concurrente.
Par actes des 4 et 5 novembre 2019, Mme [R] [X], Mme [S] [X] et M. [Y] [X] ont fait assigner M. [Z] [X], la SARL [X] TP et la SAS [15] devant le tribunal de commerce de Tarascon.
Ils sollicitaient la condamnation de M. [Z] [X] à verser à la SARL [X] TP la somme de 1 024 000 euros, correspondant à la valorisation de ladite société à la date de la convention d'indivision, selon le rapport établi par M. [O] [M], sapiteur, en date du 24 juillet 2014 à [Localité 9], ainsi que la somme de 50 000 euros à chacune des parties demanderesses en réparation de leur préjudice personnel.
Ils demandaient également la condamnation de la société [15] (SAS), à verser à la société [X] TP (SARL) la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice matériel et financier résultant de ses agissements.
Par jugement du [Date décès 2] 2021, le tribunal de commerce de Tarascon a statué comme suit:
- Déclare M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] parties demanderesses, fondées en leurs prétentions principales ;
En conséquence,
- Condamne M. [Z] [X] à payer à la société [X] TP SARL (SARL) la somme de 599613 euros à titre de dommages et intérêts, au titre de l'action sociale engagée à son encontre,
- Condamne M. [Z] [X] à payer à chacune des parties demanderesses la somme de 50000 euros en réparation de leur préjudice personnel,
- Condamne la société [15] (SAS) à payer à la société [X] TP SARL la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice,
- Condamne solidairement M. [Z] [X] et la société [15] (SAS) à payer aux parties demanderesses la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Déboute M. [Z] [X] de ses demandes reconventionnelles,
- Déclare irrecevable la société [15] (SAS) en sa demande formée à l'encontre de la société [X] TP SARL,
- Écarte l'exécution provisoire de droit attachée au présent jugement,
- Laisse les dépens, dont les frais de greffe du présent jugement liquidés à la somme de 157,71 euros TTC, à la charge solidaire des parties défenderesses.
Pour écarter la prescription de l'action sociale ut singuli, le tribunal a estimé que les faits reprochés à M. [Z] [X] étaient postérieurs à la dernière assemblée générale du 29 janvier 2016 et concernaient principalement les exercices 2017 et 2018.
Sur le fond, le tribunal a retenu la responsabilité de M. [Z] [X] pour fautes de gestion, en raison de la création d'une société concurrente bénéficiaire au détriment de [X] TP, de la non-tenue d'assemblées générales, d'une liquidation unilatérale sans respecter la procédure légale ni informer les tiers, et du transfert non autorisé du matériel et des archives vers la société concurrente, à l'origine de la disparition de la société [X] TP.
Le tribunal a en outre jugé que la société [15] avait commis des actes de concurrence déloyale, en bénéficiant sans contrepartie du matériel et de la clientèle de la société [X] TP.
Le tribunal a déclaré irrecevable, au visa des articles 30, 31 et 125 du code de procédure civile, celle formée par la société [15] contre la SARL [X] TP, relevant que les deux sociétés étaient toutes deux défenderesses et représentées par le même dirigeant.
Par déclaration du 2 septembre 2021, M. [Z] [X], la SARL [X] TP et la SARL [15] ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 18 mai 2022, M. [Z] [X], la SARL [X] TP et la SARL [15] demandent à la cour de :
- Déclarer l'appel recevable et bien fondé,
- Réformer le jugement déféré et statuant à nouveau,
- Déclarer prescrite l'action intentée par M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X],
Sur le fond :
- Débouter les requérants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, présentées tant à l'égard de M. [Z] [X] que de la société [15],
Reconventionnellement :
- Juger leurs actions abusives,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X], conjointement et solidairement, à payer à M. [Z] [X] la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X], conjointement et solidairement, à payer à la société [15] la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
- Condamner M. [Y] [X] à payer à M. [Z] [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- Condamner Mme [S] [X] à payer à M. [Z] [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- Condamner Mme [R] [X] à payer à M. [Z] [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- Condamner la SARL [X] TP à payer la somme de 32 164,32 euros à la société [15] au titre des frais de gardiennage de ses matériels et archives,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] à payer chacun à M. [Z] [X] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] à payer chacun à la société [X] TP la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] à payer chacun à la société [15] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 1er août 2022, M. [Y] [X] et Mmes [R] et [S] [X] demandent à la cour de :
- Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,
- Au fond, déclarer l'appel mal fondé,
- Écarter la prescription,
- Juger que M. [Z] [X] a purement et simplement abandonné toute diligence dans le cadre de ses fonctions de gérant de la SARL [X] TP,
- Juger que le comportement de M. [Z] [X] est constitutif de fautes de gestion à l'égard de la société [X] TP et de ses associés,
- Juger que les intimés sont dès lors bien fondés à exercer l'action sociale dans l'intérêt de la société [X] TP, afin qu'elle soit indemnisée du préjudice découlant des fautes de M. [Z] [X],
- Déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la société [X] TP,
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 599 613 euros au profit de la société [X] TP, au titre de l'indemnisation de cette dernière,
- Juger que les fautes de M. [Z] [X] ont causé un préjudice personnel distinct à M. [Y] [X], ainsi qu'à Mmes [R] et [S] [X],
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par l'associé [Y] [X].
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par l'associée [R] [X],
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par l'associée [S] [X],
- Juger que la société [15] a détourné la clientèle de la société [X] TP et désorganisé cette dernière.
- Juger qu'il s'agit d'actes de concurrence déloyale de la société [15] à l'encontre de la société [X] TP,
- Juger le lien entre le préjudice matériel et financier subi par la société [X] TP et les fautes commises par la société [15],
En conséquence :
- Confirmer la condamnation de la société [15] au paiement de la somme de 50 000 euros au profit de la société [X] TP,
- Condamner la société [15] et M. [Z] [X] au paiement, au profit des intimés, de la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP Bernard Hughes Jeannin Petit Puchol, ainsi qu'aux frais relatifs au constat effectué par la SCP Tarbouriech Sibut Bourde, huissiers de justice.
L'instruction de ce dossier a été clôturée par une ordonnance du 13 mai 2025.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ut singuli :
M. [Z] [X] et la SARL [15] et soutiennent que l'action engagée à leur encontre est prescrite en application de l'article L.223-23 du code de commerce. Ils font valoir que les faits invoqués étaient connus des intimés dès l'assemblée générale 2016, qu'aucune action n'a été engagée avant janvier 2019, et que, par conséquent, l'action doit être déclarée irrecevable pour cause de prescription.
Aux termes du texte précité, l'action en responsabilité contre le dirigeant se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
Tels que développés dans les écritures des intimés, les manquements reprochés à M. [Z] [X] sont concomitants ou postérieurs à la création de la société [15] en février 2017 et concernent principalement les exercices 2017 et 2018 ainsi que l'ont relevé les premiers juges, de sorte que l'action engagée le 4 novembre 2019 n'est pas prescrite en ce qu'elle est fondée sur des faits postérieurs au 4 novembre 2016.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formées contre M. [Z] [X] :
Les intimés reprochent à M. [Z] [X] d'avoir abandonné la gestion de la société [X] TP au profit de la société concurrente qu'il avait créée, entraînant, sur les exercices 2017 et 2018, une perte importante de chiffre d'affaires et des résultats de plus en plus déficitaires, puis un arrêt de l'activité en 2019, de n'avoir communiqué aucune information aux associés ni convoqué aucune assemblée générale, d'avoir indûment prélevé et augmenté ses rémunérations alors que la situation de la société était mise à mal, d'avoir omis d'effectuer toute formalité légale en vue de la mise en sommeil, de la dissolution anticipée et de la liquidation amiable de la société, procédant au licenciement des salariés et à des cessions d'actifs en dehors de toute décision sociale de liquidation.
Il est constant que M. [Z] [X] a créé avec son épouse la société [15], immatriculée au RCS de [Localité 17] le 14 février 2017, au titre d'une activité de 'recyclage et concassage de tous matériaux, négoce de tous matériaux, tous travaux de démolition'.
Si cet objet social n'est pas identique à celui de la société [X] TP, mentionné aux statuts comme étant 'l'exploitation d'une entreprise de travaux publics et de démolition', il en est suffisamment proche pour correspondre à une activité, au moins en partie, similaire et possiblement concurrente.
Les premiers juges ont relevé à juste titre qu'il résultait des éléments comptables produits aux débats qu'alors que l'exercice de la société [X] TP clos le 30 juin 2017 faisait apparaître un chiffre d'affaires de 762973 euros pour une perte de 86413 euros, celui clos le 30 juin 2018 enregistrait une baisse du chiffre d'affaires de près de 38% pour ressortir à 473685 euros pour une perte de 124878 euros ; que la société [X] TP n'exerçait qu'une activité résiduelle au titre du second semestre 2018 alors que la société [15], créée parallèlement par M. [Z] [X], enregistrait au titre de son premier exercice un chiffre d'affaires de 80059 euros pour un bénéfice de 43959 euros, sans que ne figure d'actif mobilier à son bilan ou qu'elle ne justifie de dépenses de location ; que l'actif de la société [15] au titre de son premier exercice apparaissait constitué à hauteur de 57358 euros, soit plus que le bénéfice enregistré sur la même période, de disponibilités financières.
Il se déduit de ces circonstances de fait que M. [Z] [X] s'est consacré, à partir de l'année 2017, au développement de sa nouvelle société, concurrente de la société [X] TP, plutôt qu'au redressement de cette dernière, dont la situation était de plus en plus obérée et l'activité déclinante, un tel comportement constituant un manquement du dirigeant à ses obligations de diligence et de loyauté à l'égard de la société, préjudiciable aux intérêts de la société et des associés.
Il n'est par ailleurs pas contesté par les appelants que M. [Z] [X] n'a convoqué aucune assemblée générale ordinaire ou extraordinaire postérieurement au 29 janvier 2016 et qu'il s'est affranchi de toute formalité et publicité légale en vue de la mise en sommeil, de la dissolution anticipée et de la liquidation amiable de la société, procédant à l'arrêt de l'activité, au déménagement des matériels et archives, au licenciement des salariés et à des cessions d'actifs en dehors de toute décision collective.
M. [Z] [X] ne s'explique pas sur le grief invoqué concernant le fait qu'il ait prélevé pour la gérance une rémunération de 55000 euros sur l'exercice clos au 30 juin 2017 et de 60000 euros sur l'exercice clos au 30 juin 2018 en violation des statuts et de la décision collective du 29 janvier 2016, et alors que l'exercice clos le 30 juin 2018 enregistrait une baisse du chiffre d'affaires de près de 38% pour ressortir à 473685 euros pour une perte de 124878 euros.
Il est ainsi établi que M. [Z] [X] a commis différents manquements à ses obligations de dirigeant, engageant sa responsabilité tant à l'égard de la société qu'à l'égard des associés, l'appréciation des premiers juges étant confirmée sur ce point.
Cependant, il ne peut être considéré, comme le soutiennent les intimés et comme l'a retenu le tribunal, que la disparition de la société [X] TP serait la conséquence directe des fautes commises par M. [Z] [X].
Il ressort en premier lieu des éléments comptables versés aux débats que même avant la baisse de chiffre d'affaires amorcée en 2014, la société [X] TP a généré des pertes significatives depuis 2013, faisant apparaître l'activité comme structurellement déficitaire.
Il ressort également des échanges et projets d'actes produits qu'après résolution de contentieux successoraux et évaluation par expert des biens composant la succession, les héritiers de [D] [X] cherchaient depuis 2016 à céder les biens immobiliers et l'entreprise dépendant de l'indivision ; qu'un projet de cession des parts de la société [X] TP négocié en 2017 au prix 500000 euros n'a pu être mené à terme du fait de l'acquéreur, et que la vente des parcelles de terrain sur lesquelles se trouvaient les locaux de la SARL [X] TP est finalement intervenue en novembre 2018.
C'est dans cette optique liquidative, dans un contexte de mésentente successorale et après l'échec des démarches poursuivies en vue de la cession de l'entreprise, que M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] ont chacun signé les 21 et 22 mars 2018 une demande 'de cessation de la SARL [X] TP' au 30 juin 2018.
S'ils affirment aujourd'hui que cette demande était formulée pour permettre la vente des parcelles sur lesquelles était implantée la société, il n'en demeure pas moins qu'elle porte non pas sur un simple déménagement de l'entreprise mais sur une 'cessation' de la société, ce qui traduit manifestement le souhait d'une dissolution anticipée et d'une liquidation de la société.
D'autre part, il n'est pas démontré que les opérations réalisées par M. [Z] [X] en lien avec cette cessation d'activité, telles que le licenciement des salariés et la cession des matériels pour un prix total de 462000 euros, ont été financièrement plus préjudiciables pour la société que si elles avaient été réalisées dans le cadre légale de la liquidation amiable.
En considération de ces éléments et en l'absence de toute information sur la situation actuelle de la SARL [X] TP, non liquidée, il y lieu de considérer que les fautes retenues à l'encontre de M. [Z] [X] ont seulement contribué à la dépréciation de la société au cours des années 2017 et 2018, à hauteur d'un montant pouvant justement être évalué à 100 000 euros.
M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X], privés de l'exercice de leurs droits de communication, d'information et de consultation, tant en ce qui concerne les comptes annuels que la mise en oeuvre de la liquidation de la société, ont subi, outre le préjudice moral en résultant, la conséquence sur la valeur de leurs parts, de la dépréciation de la société entre 2017et 2018, imputable au dirigeant, dans une proportion toutefois non démontrée, de sorte que l'indemnisation de leur préjudice sera limitée à la somme de 10 000 euros pour chacun d'entre eux.
Sur la demande formée contre la société [15] pour concurrence déloyale :
M. [Y] [X], Mmes [R] et [S] [X] font valoir que la société [15] a utilisé sans contrepartie, en 2017 et 2018, le matériel de la société [X] TP entreposé sur son site, notamment des camions, et qu'elle a détourné la clientèle de cette société, notamment le client Valérian.
La société [15], qui a opté pour la confidentialité des comptes de résultats, ne communique aucun compte ou bilan dans le cadre de la présente instance.
Les intimés ont obtenu une ordonnance du président du tribunal de commerce de Tarascon du 16 mai 2019 désignant un huissier de justice aux fins de se faire remettre divers documents et notamment des documents comptables de la société [15].
Ils produisent ainsi le bilan et compte de résultat de l'exercice 2017, dont il ressort que pour la période du 14 février au 31 décembre 2017, la société [15] a généré un chiffre d'affaires de 80059 euros et 36100 euros de charges, dégageant un résultat de 43959 euros, que l'actif n'est constitué que de créances, essentiellement comptes clients, à hauteur de 33600 euros et disponibilités à hauteur de 57358 euros sans aucune immobilisation.
Les appelants, qui prétendent que l'activité de la société [15] n'aurait commencé qu'en fin d'année 2018, n'expliquent pas comment cette société a pu générer un chiffre d'affaires de 80059 euros en 2017, sans matériel propre et sans justifier de charges de location, les factures et attestation de mise à disposition produites concernant principalement l'exercice 2019.
Les premiers juges ont pu justement déduire de ces circonstances que la société [15] avait utilisé le matériel de la société [X] TP.
Il ressort d'autre part de la comparaison des grands livres des comptes clients de la société [X] TP et de la société [15] que le client Valérian SA, qui avait généré pour la première un chiffre d'affaires de 31338 euros sur l'exercice clos au 30 juin 2017, n'apparaissait plus comme client sur l'exercice suivant et bénéficiait d'un avoir de 16184 euros, alors que sur le premier exercice de la société [15], la société [19] apparaissait comme le client le plus important, générant un chiffre d'affaires de 36046 euros représentant pratiquement la moitié du chiffre d'affaires total de la société.
Ces éléments établissent que la société [15] a récupéré dès sa création un important client de la société [X] TP.
Profitant de la volonté du dirigeant commun de développer sa nouvelle société au détriment de l'ancienne, la société [15] a utilisé pour ses propres besoins les efforts commerciaux et financiers ainsi que les biens de la société [X] TP.
C'est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont retenu que les actes de concurrence déloyale étaient caractérisés et ont évalué le préjudice en résultant à hauteur de 50000 euros, compte tenu à la fois de la perte du chiffre d'affaires apporté par le client Valérian et de l'utilisation des véhicules sans contrepartie.
Sur les demandes reconventionnelles :
L'action de M. [Y] [X], Mme [R] et Mme [S] [X] est reconnue comme recevable et bien fondée en son principe, de sorte qu'elle ne peut être qualifiée d'abusive et ouvrir droit à dommages et intérêts pour les parties adverses.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en dommages et intérêts formées par la société [15] et M. [Z] [X], y compris au titre du préjudice moral invoqué par ce dernier.
En l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société [X] TP, la demande formée par la société [15] contre la société [X] TP, représentée par le même dirigeant, au sein d'écritures communes prises par le même conseil, sera déclarée irrecevable en raison du conflit d'intérêts, le jugement étant confirmé sur ce point.
Parties succombantes, M. [Z] [X] et la société [15] seront condamnées aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles d'appel, comme il sera dit au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le quantum des condamnations prononcées à l'encontre de M. [Z] [X] au profit de la société [X] TP au titre de l'action sociale et au profit de M. [Y] [X], Mme [R] et Mme [S] [X] au titre de leur préjudice d'associé,
Statuant à nouveau sur ce point :
Condamne M. [Z] [X] à payer :
- à la société [X] TP la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts, au titre de l'action sociale engagée à son encontre,
- à M. [Y] [X], Mme [R] et Mme [S] [X] la somme de 10 000 euros chacun en réparation de leur préjudice personnel,
Y ajoutant,
Condamne solidairement M. [Z] [X] et la société [15] à payer aux parties intimées la somme globale de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 18 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 21/12936 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIBMR
[Z] [X]
S.A.R.L. [X] [18]
S.A.S. [15]
C/
[Y] [X]
[R] [X]
[S] [X]
Copie exécutoire délivrée
le : 18 Septembre 2025
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Géraldine PUCHOL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de TARASCON en date du 16 Août 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2020003311.
APPELANTS
Monsieur [Z] [X]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 10] (84), demeurant [Adresse 13]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON
S.A.R.L. [X] [18]
, demeurant [Adresse 11]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON
S.A.S. [15]
, demeurant [Adresse 16]
représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Serge BILLET, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMES
Monsieur [Y] [X]
né le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 14] (13), demeurant [Adresse 7]
représenté par Me Géraldine PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d'AVIGNON
Madame [R] [X]
née le [Date naissance 6] 1957 à [Localité 10] (84), demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Géraldine PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d'AVIGNON
Madame [S] [X]
née le [Date naissance 5] 1988 à [Localité 10] (84), demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Géraldine PUCHOL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d'AVIGNON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Juin 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Septembre 2025,
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL [X] [18] ([X] TP), ayant pour activité les travaux publics et la démolition, a été constituée le 1er décembre 2006 à [Localité 12] par M. [D] [X] et ses deux fils, MM [Z] et [Y] [X], le père détenant 99,76 % du capital et chacun des deux fils 0,12%.
À la suite du décès de M. [D] [X], survenu le [Date décès 2] 2009, ses parts sociales sont entrées en indivision successorale entre ses quatre enfants M. [Y] [X], M. [Z] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X].
La gestion de la société a été assurée conjointement par MM [Y] et [Z] [X] jusqu'à la démission de M. [Y] [X], intervenue le 1er juillet 2013, date à laquelle M. [Z] [X] est devenu le seul gérant de la société.
Une convention d'indivision a été conclue le 20 décembre 2015 entre les héritiers de M. [D] [X], pour une durée de cinq ans, portant sur les biens dépendant de la succession, en ce compris les parts de la société [X] TP, M. [Y] [X] étant désigné en qualité gérant de l'indivision et de mandataire commun des coindivisaires de parts sociales pour l'exercice de tous les droits y afférents.
M. [Z] [X] a convoqué l'assemblée générale de la société [X] TP le 29 janvier 2016 pour l'approbation des comptes annuels des exercices 2009 à 2014 et de la rémunération de la gérance. Les associés ont refusé d'approuver les comptes et la rémunération du gérant.
Le 14 janvier 2017, M. [Z] [X] a constitué la SAS [15], avec Mme [B] [H] et Mme [G] [X], immatriculée le 14 février 2017, ayant pour activité le recyclage, le concassage et les travaux de démolition, M. [Z] [X] étant désigné aux fonctions de président.
Les relations entre M. [Z] [X] et les autres associés de la SARL [X] TP se sont détériorées, ces derniers reprochant au premier un manque de transparence dans la gestion de la société et la création de la SAS [15], perçue comme concurrente.
Par actes des 4 et 5 novembre 2019, Mme [R] [X], Mme [S] [X] et M. [Y] [X] ont fait assigner M. [Z] [X], la SARL [X] TP et la SAS [15] devant le tribunal de commerce de Tarascon.
Ils sollicitaient la condamnation de M. [Z] [X] à verser à la SARL [X] TP la somme de 1 024 000 euros, correspondant à la valorisation de ladite société à la date de la convention d'indivision, selon le rapport établi par M. [O] [M], sapiteur, en date du 24 juillet 2014 à [Localité 9], ainsi que la somme de 50 000 euros à chacune des parties demanderesses en réparation de leur préjudice personnel.
Ils demandaient également la condamnation de la société [15] (SAS), à verser à la société [X] TP (SARL) la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice matériel et financier résultant de ses agissements.
Par jugement du [Date décès 2] 2021, le tribunal de commerce de Tarascon a statué comme suit:
- Déclare M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] parties demanderesses, fondées en leurs prétentions principales ;
En conséquence,
- Condamne M. [Z] [X] à payer à la société [X] TP SARL (SARL) la somme de 599613 euros à titre de dommages et intérêts, au titre de l'action sociale engagée à son encontre,
- Condamne M. [Z] [X] à payer à chacune des parties demanderesses la somme de 50000 euros en réparation de leur préjudice personnel,
- Condamne la société [15] (SAS) à payer à la société [X] TP SARL la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice,
- Condamne solidairement M. [Z] [X] et la société [15] (SAS) à payer aux parties demanderesses la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Déboute M. [Z] [X] de ses demandes reconventionnelles,
- Déclare irrecevable la société [15] (SAS) en sa demande formée à l'encontre de la société [X] TP SARL,
- Écarte l'exécution provisoire de droit attachée au présent jugement,
- Laisse les dépens, dont les frais de greffe du présent jugement liquidés à la somme de 157,71 euros TTC, à la charge solidaire des parties défenderesses.
Pour écarter la prescription de l'action sociale ut singuli, le tribunal a estimé que les faits reprochés à M. [Z] [X] étaient postérieurs à la dernière assemblée générale du 29 janvier 2016 et concernaient principalement les exercices 2017 et 2018.
Sur le fond, le tribunal a retenu la responsabilité de M. [Z] [X] pour fautes de gestion, en raison de la création d'une société concurrente bénéficiaire au détriment de [X] TP, de la non-tenue d'assemblées générales, d'une liquidation unilatérale sans respecter la procédure légale ni informer les tiers, et du transfert non autorisé du matériel et des archives vers la société concurrente, à l'origine de la disparition de la société [X] TP.
Le tribunal a en outre jugé que la société [15] avait commis des actes de concurrence déloyale, en bénéficiant sans contrepartie du matériel et de la clientèle de la société [X] TP.
Le tribunal a déclaré irrecevable, au visa des articles 30, 31 et 125 du code de procédure civile, celle formée par la société [15] contre la SARL [X] TP, relevant que les deux sociétés étaient toutes deux défenderesses et représentées par le même dirigeant.
Par déclaration du 2 septembre 2021, M. [Z] [X], la SARL [X] TP et la SARL [15] ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 18 mai 2022, M. [Z] [X], la SARL [X] TP et la SARL [15] demandent à la cour de :
- Déclarer l'appel recevable et bien fondé,
- Réformer le jugement déféré et statuant à nouveau,
- Déclarer prescrite l'action intentée par M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X],
Sur le fond :
- Débouter les requérants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, présentées tant à l'égard de M. [Z] [X] que de la société [15],
Reconventionnellement :
- Juger leurs actions abusives,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X], conjointement et solidairement, à payer à M. [Z] [X] la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X], conjointement et solidairement, à payer à la société [15] la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
- Condamner M. [Y] [X] à payer à M. [Z] [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- Condamner Mme [S] [X] à payer à M. [Z] [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- Condamner Mme [R] [X] à payer à M. [Z] [X] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- Condamner la SARL [X] TP à payer la somme de 32 164,32 euros à la société [15] au titre des frais de gardiennage de ses matériels et archives,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] à payer chacun à M. [Z] [X] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] à payer chacun à la société [X] TP la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] à payer chacun à la société [15] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 1er août 2022, M. [Y] [X] et Mmes [R] et [S] [X] demandent à la cour de :
- Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,
- Au fond, déclarer l'appel mal fondé,
- Écarter la prescription,
- Juger que M. [Z] [X] a purement et simplement abandonné toute diligence dans le cadre de ses fonctions de gérant de la SARL [X] TP,
- Juger que le comportement de M. [Z] [X] est constitutif de fautes de gestion à l'égard de la société [X] TP et de ses associés,
- Juger que les intimés sont dès lors bien fondés à exercer l'action sociale dans l'intérêt de la société [X] TP, afin qu'elle soit indemnisée du préjudice découlant des fautes de M. [Z] [X],
- Déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la société [X] TP,
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 599 613 euros au profit de la société [X] TP, au titre de l'indemnisation de cette dernière,
- Juger que les fautes de M. [Z] [X] ont causé un préjudice personnel distinct à M. [Y] [X], ainsi qu'à Mmes [R] et [S] [X],
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par l'associé [Y] [X].
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par l'associée [R] [X],
- Confirmer la condamnation de M. [Z] [X] au paiement de la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par l'associée [S] [X],
- Juger que la société [15] a détourné la clientèle de la société [X] TP et désorganisé cette dernière.
- Juger qu'il s'agit d'actes de concurrence déloyale de la société [15] à l'encontre de la société [X] TP,
- Juger le lien entre le préjudice matériel et financier subi par la société [X] TP et les fautes commises par la société [15],
En conséquence :
- Confirmer la condamnation de la société [15] au paiement de la somme de 50 000 euros au profit de la société [X] TP,
- Condamner la société [15] et M. [Z] [X] au paiement, au profit des intimés, de la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP Bernard Hughes Jeannin Petit Puchol, ainsi qu'aux frais relatifs au constat effectué par la SCP Tarbouriech Sibut Bourde, huissiers de justice.
L'instruction de ce dossier a été clôturée par une ordonnance du 13 mai 2025.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ut singuli :
M. [Z] [X] et la SARL [15] et soutiennent que l'action engagée à leur encontre est prescrite en application de l'article L.223-23 du code de commerce. Ils font valoir que les faits invoqués étaient connus des intimés dès l'assemblée générale 2016, qu'aucune action n'a été engagée avant janvier 2019, et que, par conséquent, l'action doit être déclarée irrecevable pour cause de prescription.
Aux termes du texte précité, l'action en responsabilité contre le dirigeant se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
Tels que développés dans les écritures des intimés, les manquements reprochés à M. [Z] [X] sont concomitants ou postérieurs à la création de la société [15] en février 2017 et concernent principalement les exercices 2017 et 2018 ainsi que l'ont relevé les premiers juges, de sorte que l'action engagée le 4 novembre 2019 n'est pas prescrite en ce qu'elle est fondée sur des faits postérieurs au 4 novembre 2016.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formées contre M. [Z] [X] :
Les intimés reprochent à M. [Z] [X] d'avoir abandonné la gestion de la société [X] TP au profit de la société concurrente qu'il avait créée, entraînant, sur les exercices 2017 et 2018, une perte importante de chiffre d'affaires et des résultats de plus en plus déficitaires, puis un arrêt de l'activité en 2019, de n'avoir communiqué aucune information aux associés ni convoqué aucune assemblée générale, d'avoir indûment prélevé et augmenté ses rémunérations alors que la situation de la société était mise à mal, d'avoir omis d'effectuer toute formalité légale en vue de la mise en sommeil, de la dissolution anticipée et de la liquidation amiable de la société, procédant au licenciement des salariés et à des cessions d'actifs en dehors de toute décision sociale de liquidation.
Il est constant que M. [Z] [X] a créé avec son épouse la société [15], immatriculée au RCS de [Localité 17] le 14 février 2017, au titre d'une activité de 'recyclage et concassage de tous matériaux, négoce de tous matériaux, tous travaux de démolition'.
Si cet objet social n'est pas identique à celui de la société [X] TP, mentionné aux statuts comme étant 'l'exploitation d'une entreprise de travaux publics et de démolition', il en est suffisamment proche pour correspondre à une activité, au moins en partie, similaire et possiblement concurrente.
Les premiers juges ont relevé à juste titre qu'il résultait des éléments comptables produits aux débats qu'alors que l'exercice de la société [X] TP clos le 30 juin 2017 faisait apparaître un chiffre d'affaires de 762973 euros pour une perte de 86413 euros, celui clos le 30 juin 2018 enregistrait une baisse du chiffre d'affaires de près de 38% pour ressortir à 473685 euros pour une perte de 124878 euros ; que la société [X] TP n'exerçait qu'une activité résiduelle au titre du second semestre 2018 alors que la société [15], créée parallèlement par M. [Z] [X], enregistrait au titre de son premier exercice un chiffre d'affaires de 80059 euros pour un bénéfice de 43959 euros, sans que ne figure d'actif mobilier à son bilan ou qu'elle ne justifie de dépenses de location ; que l'actif de la société [15] au titre de son premier exercice apparaissait constitué à hauteur de 57358 euros, soit plus que le bénéfice enregistré sur la même période, de disponibilités financières.
Il se déduit de ces circonstances de fait que M. [Z] [X] s'est consacré, à partir de l'année 2017, au développement de sa nouvelle société, concurrente de la société [X] TP, plutôt qu'au redressement de cette dernière, dont la situation était de plus en plus obérée et l'activité déclinante, un tel comportement constituant un manquement du dirigeant à ses obligations de diligence et de loyauté à l'égard de la société, préjudiciable aux intérêts de la société et des associés.
Il n'est par ailleurs pas contesté par les appelants que M. [Z] [X] n'a convoqué aucune assemblée générale ordinaire ou extraordinaire postérieurement au 29 janvier 2016 et qu'il s'est affranchi de toute formalité et publicité légale en vue de la mise en sommeil, de la dissolution anticipée et de la liquidation amiable de la société, procédant à l'arrêt de l'activité, au déménagement des matériels et archives, au licenciement des salariés et à des cessions d'actifs en dehors de toute décision collective.
M. [Z] [X] ne s'explique pas sur le grief invoqué concernant le fait qu'il ait prélevé pour la gérance une rémunération de 55000 euros sur l'exercice clos au 30 juin 2017 et de 60000 euros sur l'exercice clos au 30 juin 2018 en violation des statuts et de la décision collective du 29 janvier 2016, et alors que l'exercice clos le 30 juin 2018 enregistrait une baisse du chiffre d'affaires de près de 38% pour ressortir à 473685 euros pour une perte de 124878 euros.
Il est ainsi établi que M. [Z] [X] a commis différents manquements à ses obligations de dirigeant, engageant sa responsabilité tant à l'égard de la société qu'à l'égard des associés, l'appréciation des premiers juges étant confirmée sur ce point.
Cependant, il ne peut être considéré, comme le soutiennent les intimés et comme l'a retenu le tribunal, que la disparition de la société [X] TP serait la conséquence directe des fautes commises par M. [Z] [X].
Il ressort en premier lieu des éléments comptables versés aux débats que même avant la baisse de chiffre d'affaires amorcée en 2014, la société [X] TP a généré des pertes significatives depuis 2013, faisant apparaître l'activité comme structurellement déficitaire.
Il ressort également des échanges et projets d'actes produits qu'après résolution de contentieux successoraux et évaluation par expert des biens composant la succession, les héritiers de [D] [X] cherchaient depuis 2016 à céder les biens immobiliers et l'entreprise dépendant de l'indivision ; qu'un projet de cession des parts de la société [X] TP négocié en 2017 au prix 500000 euros n'a pu être mené à terme du fait de l'acquéreur, et que la vente des parcelles de terrain sur lesquelles se trouvaient les locaux de la SARL [X] TP est finalement intervenue en novembre 2018.
C'est dans cette optique liquidative, dans un contexte de mésentente successorale et après l'échec des démarches poursuivies en vue de la cession de l'entreprise, que M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X] ont chacun signé les 21 et 22 mars 2018 une demande 'de cessation de la SARL [X] TP' au 30 juin 2018.
S'ils affirment aujourd'hui que cette demande était formulée pour permettre la vente des parcelles sur lesquelles était implantée la société, il n'en demeure pas moins qu'elle porte non pas sur un simple déménagement de l'entreprise mais sur une 'cessation' de la société, ce qui traduit manifestement le souhait d'une dissolution anticipée et d'une liquidation de la société.
D'autre part, il n'est pas démontré que les opérations réalisées par M. [Z] [X] en lien avec cette cessation d'activité, telles que le licenciement des salariés et la cession des matériels pour un prix total de 462000 euros, ont été financièrement plus préjudiciables pour la société que si elles avaient été réalisées dans le cadre légale de la liquidation amiable.
En considération de ces éléments et en l'absence de toute information sur la situation actuelle de la SARL [X] TP, non liquidée, il y lieu de considérer que les fautes retenues à l'encontre de M. [Z] [X] ont seulement contribué à la dépréciation de la société au cours des années 2017 et 2018, à hauteur d'un montant pouvant justement être évalué à 100 000 euros.
M. [Y] [X], Mme [R] [X] et Mme [S] [X], privés de l'exercice de leurs droits de communication, d'information et de consultation, tant en ce qui concerne les comptes annuels que la mise en oeuvre de la liquidation de la société, ont subi, outre le préjudice moral en résultant, la conséquence sur la valeur de leurs parts, de la dépréciation de la société entre 2017et 2018, imputable au dirigeant, dans une proportion toutefois non démontrée, de sorte que l'indemnisation de leur préjudice sera limitée à la somme de 10 000 euros pour chacun d'entre eux.
Sur la demande formée contre la société [15] pour concurrence déloyale :
M. [Y] [X], Mmes [R] et [S] [X] font valoir que la société [15] a utilisé sans contrepartie, en 2017 et 2018, le matériel de la société [X] TP entreposé sur son site, notamment des camions, et qu'elle a détourné la clientèle de cette société, notamment le client Valérian.
La société [15], qui a opté pour la confidentialité des comptes de résultats, ne communique aucun compte ou bilan dans le cadre de la présente instance.
Les intimés ont obtenu une ordonnance du président du tribunal de commerce de Tarascon du 16 mai 2019 désignant un huissier de justice aux fins de se faire remettre divers documents et notamment des documents comptables de la société [15].
Ils produisent ainsi le bilan et compte de résultat de l'exercice 2017, dont il ressort que pour la période du 14 février au 31 décembre 2017, la société [15] a généré un chiffre d'affaires de 80059 euros et 36100 euros de charges, dégageant un résultat de 43959 euros, que l'actif n'est constitué que de créances, essentiellement comptes clients, à hauteur de 33600 euros et disponibilités à hauteur de 57358 euros sans aucune immobilisation.
Les appelants, qui prétendent que l'activité de la société [15] n'aurait commencé qu'en fin d'année 2018, n'expliquent pas comment cette société a pu générer un chiffre d'affaires de 80059 euros en 2017, sans matériel propre et sans justifier de charges de location, les factures et attestation de mise à disposition produites concernant principalement l'exercice 2019.
Les premiers juges ont pu justement déduire de ces circonstances que la société [15] avait utilisé le matériel de la société [X] TP.
Il ressort d'autre part de la comparaison des grands livres des comptes clients de la société [X] TP et de la société [15] que le client Valérian SA, qui avait généré pour la première un chiffre d'affaires de 31338 euros sur l'exercice clos au 30 juin 2017, n'apparaissait plus comme client sur l'exercice suivant et bénéficiait d'un avoir de 16184 euros, alors que sur le premier exercice de la société [15], la société [19] apparaissait comme le client le plus important, générant un chiffre d'affaires de 36046 euros représentant pratiquement la moitié du chiffre d'affaires total de la société.
Ces éléments établissent que la société [15] a récupéré dès sa création un important client de la société [X] TP.
Profitant de la volonté du dirigeant commun de développer sa nouvelle société au détriment de l'ancienne, la société [15] a utilisé pour ses propres besoins les efforts commerciaux et financiers ainsi que les biens de la société [X] TP.
C'est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont retenu que les actes de concurrence déloyale étaient caractérisés et ont évalué le préjudice en résultant à hauteur de 50000 euros, compte tenu à la fois de la perte du chiffre d'affaires apporté par le client Valérian et de l'utilisation des véhicules sans contrepartie.
Sur les demandes reconventionnelles :
L'action de M. [Y] [X], Mme [R] et Mme [S] [X] est reconnue comme recevable et bien fondée en son principe, de sorte qu'elle ne peut être qualifiée d'abusive et ouvrir droit à dommages et intérêts pour les parties adverses.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en dommages et intérêts formées par la société [15] et M. [Z] [X], y compris au titre du préjudice moral invoqué par ce dernier.
En l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société [X] TP, la demande formée par la société [15] contre la société [X] TP, représentée par le même dirigeant, au sein d'écritures communes prises par le même conseil, sera déclarée irrecevable en raison du conflit d'intérêts, le jugement étant confirmé sur ce point.
Parties succombantes, M. [Z] [X] et la société [15] seront condamnées aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles d'appel, comme il sera dit au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le quantum des condamnations prononcées à l'encontre de M. [Z] [X] au profit de la société [X] TP au titre de l'action sociale et au profit de M. [Y] [X], Mme [R] et Mme [S] [X] au titre de leur préjudice d'associé,
Statuant à nouveau sur ce point :
Condamne M. [Z] [X] à payer :
- à la société [X] TP la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts, au titre de l'action sociale engagée à son encontre,
- à M. [Y] [X], Mme [R] et Mme [S] [X] la somme de 10 000 euros chacun en réparation de leur préjudice personnel,
Y ajoutant,
Condamne solidairement M. [Z] [X] et la société [15] à payer aux parties intimées la somme globale de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,