CA Versailles, ch. civ. 1-3, 18 septembre 2025, n° 22/04840
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CSP (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseillers :
M. Maumont, Mme Girault
Avocats :
Me Chateauneuf, Me Bourdot de la SELARL MBD AVOCATS, Me Boffard, Me Moua
FAITS ET PROCEDURE
Le 28 avril 2019, M. [B] [X] et Mme [N] [H] épouse [X] ont signé avec la société CSP exerçant sous l'enseigne Cintral, sur un stand à la foire de [Localité 6], un bon de commande portant sur l'acquisition et l'installation d'un abri de terrasse sur mesure, modèle Terrasso, au prix de 38 000 euros TTC payable pour 16 000 euros au jour de la signature du bon et le solde au jour de la livraison et de la pose. Un acompte de 6 000 euros a été réglé par carte bancaire. La date de livraison du bien était fixée au 18 septembre 2019.
Par lettre recommandée du 29 avril 2019, libellée sous l'entête d'une société Garden Ice café, M. et Mme [X] ont notifié à la société CSP leur volonté de se rétracter, excipant de l'erreur commise dans les mesures de la véranda et leur volonté de disposer d'un délai de réflexion.
Par lettre recommandée du 4 mai 2019, le conseil de la société CSP a dénié à M. et Mme [X] agissant au nom d'une société commerciale le bénéfice des dispositions du droit de la consommation, en faisant état de la volonté de sa cliente de poursuivre l'exécution du contrat, proposant deux dates pour la visite préalable du chantier.
Aucune solution amiable n'a été trouvée entre les parties.
Par acte du 27 mai 2021, la société CSP a fait assigner M. et Mme [X] devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de voir prononcer la résolution du contrat conclu le 28 avril 2019 à leurs torts exclusifs et de les voir condamner à réparer le préjudice qu'elle a subi.
Par jugement du 23 juin 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :
- prononcé la nullité du bon de commande passé le 28 avril 2019 par M. et Mme [X] auprès de la société CSP,
En conséquence,
- condamné la société CSP à restituer à M. et Mme [X] ensemble l'acompte de 6 000 euros versé entre ses mains,
- condamné la société CSP aux dépens, dont distraction au profit de Mme Typhaine Bourdot, avocat,
- rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par acte du 21 juillet 2022, la société CSP a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 13 octobre 2022, de :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il :
* a prononcé la nullité du bon de commande passé le 28 avril 2019 par M. et Mme [X] auprès d'elle,
* l'a condamnée à restituer à M. et Mme [X] ensemble l'acompte de 6 000 euros versé entre ses mains,
* l'a condamnée aux dépens,
* a rejeté sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
* a rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
* l'a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,
Et statuant à nouveau,
Sur la rétraction,
- principalement, juger qu'elle a bien vendu un bien fabriqué sur les spécifications de l'acheteur et /ou nettement personnalisé qui exclut que l'acheteur puisse exercer un droit de rétractation,
subsidiairement, juger que M. et Mme [X] ont été parfaitement informés à la fois sur le stand de la foire et en signant le bon de commande du 28 avril 2019 de ce qu'ils n'avaient aucun droit à rétractation,
Sur le devoir d'information,
- juger que M. et Mme [X] n'apportent pas la preuve de ce que les dimensions de l'abri ne sont pas bonnes,
juger que M. et Mme [X] ont bien reçu de sa part toutes les informations requises,
Sur la rupture fautive de la convention,
- juger que M. et Mme [X] ont bien fautivement et de mauvaise foi rompu la convention du 28 avril 2019,
en conséquence, prononcer sa résolution aux torts exclusifs de M. et Mme [X],
Sur la réparation du préjudice,
- débouter M. et Mme [X] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- juger que M. et Mme [X] sont débiteurs d'une indemnité de réparation régie par l'article 1231-2 du code civil, égale au gain dont elle a été privée en raison de l'inexécution du contrat du 28 avril 2019,
- condamner M. et Mme [X] à lui payer à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial subi, la somme de 9 971 euros,
- condamner M. et Mme [X] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel directement au profit de Maître Philippe Châteauneuf, avocat, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 5 janvier 2023, M. et Mme [X] prient la cour de :
- les recevoir en leurs demandes, fins et prétentions,
A titre principal,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* prononcé la nullité du bon de commande passé le 28 avril 2019 auprès de la société CSP,
* condamné la société CSP à leur restituer l'acompte de 6 000 euros versé,
* condamné la société CSP aux dépens,
- rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société CSP aux fins et conclusions,
A titre subsidiaire, si la cour réformait le jugement déféré et jugeait le contrat valable,
- juger que les dommages-intérêts sollicités par la société CSP ne sont pas justifiés,
- rejeter la demande de dommages-intérêts de la société demanderesse,
à défaut, juger qu'il conviendra de revoir à de plus juste proportion les dommages et intérêts sollicités,
- juger qu'il sera fait application du principe de la compensation entre leurs sommes dues et leur acompte versé le 28 avril 2019 à hauteur de 6 000 euros,
- juger qu'il sera fait application de l'article 1343-5 du code civil, et leur octroyer des délais de 24 mois pour régler les sommes dues,
En tout état de cause,
- condamner la société CSP à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société CSP aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Typhanie Bourdot, avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 avril 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Pour prononcer la nullité du bon de commande passé le 28 avril 2019 par M. et Mme [X] auprès de la société CSP, le tribunal a considéré, d'une part, que la loyauté contractuelle aurait dû conduire le professionnel à ériger une visite des lieux en condition suspensive, à tout le moins, à en prévoir la réalisation avant la mise en 'uvre de la commande ; d'autre part, qu'il incombait au vendeur de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en était prévue, ce que la société CSP ne justifiait pas avoir fait, de sorte que M. et Mme [X] n'avaient pu consentir de manière éclairée à la vente.
La société CSP rappelle que sur les foires et salons, a fortiori en ce qui concerne un bien personnalisé, le consommateur ne bénéficie pas d'un droit de rétractation. Elle conteste l'analyse du tribunal concernant l'information sur les caractéristiques essentielles du bien commandé, en faisant valoir que les dimensions de l'abri destiné à être installé sur la terrasse ont été données par les époux [X], qu'il n'est nullement démontré que les dimensions ne seraient pas les bonnes et que la société CSP n'a aucunement manqué à son obligation de loyauté en ne faisant pas figurer sur le bon de commande une condition suspensive tenant à la visite des lieux, le contrat étant la chose des parties.
Au soutien de leur demande visant à voir prononcer la nullité du contrat, M. et Mme [X] excipent tout d'abord de l'absence d'information précise sur le contenu du contrat, qu'il s'agisse des caractéristiques essentielles du bien commandé, des dimensions de la terrasse ou du prix TTC. Ils indiquent avoir signé à la hâte sans avoir fait précéder leur signature de la mention « lu et approuvé » et soutiennent que la société CSP aurait dû se renseigner sur leurs besoins afin d'être en mesure de les informer sur l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation prévue, ce qui aurait dû justifier de conditionner la vente à une visite technique sur les métrés. Ils en concluent que la société CSP a manqué à son obligation légale d'information et que ce manquement a vicié leur consentement.
Ils ajoutent, à la suite du tribunal, que la société CSP a manqué à ses obligations en matière d'information des consommateurs relativement à l'absence de droit de rétractation pour les ventes passées sur les foires et salons, en commettant ainsi une faute civile.
Sur ce,
Il résulte de la combinaison de l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui n'assortit pas expressément de la nullité du contrat le manquement aux obligations d'information précontractuelles qu'il énonce, et de l'article 1112-1 du code civil, qu'un tel manquement du professionnel à l'égard du consommateur entraîne néanmoins l'annulation du contrat, dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du code civil, si le défaut d'information porte sur des éléments essentiels du contrat.
En l'espèce, alors qu'il est constant que la qualité de consommateur de M. et Mme [X] n'est pas remise en cause et que ceux-ci ont signé un bon de commande portant sur l'acquisition et l'installation d'un abri de terrasse, il était attendu du professionnel qu'il renseigne exactement les acquéreurs sur les conditions dans lesquelles allaient pouvoir être vérifiées et éventuellement adaptées les dimensions de l'aménagement, telles qu'indiquées sur le bon de commande, dès lors que la société CSP se proposait de livrer et d'installer un abri de terrasse sur mesure sans visite préalable des lieux.
En outre, tout vendeur professionnel de meubles destinés à être posés et installés dans un lieu spécifiquement défini et auquel ils doivent être adaptés, doit se renseigner sur les besoins de l'acquéreur non professionnel et informer ensuite celui-ci des contraintes techniques de la chose qu'il se propose d'acquérir et de son aptitude à atteindre le but recherché, afin que ce dernier puisse s'engager en toute connaissance de cause. Or, il n'est pas établi qu'une information de cet ordre aurait été délivrée à M. et Mme [X], au moment de signer le bon de commande.
M. et Mme [X] exposent que les mesures indiquées sur le bon de commande ont été prises à la hâte par le commercial, en se rendant sur « Google Map », ce qui ressort du courrier envoyé par ces derniers le 29 avril 2019 dans lequel, se prévalant à tort d'un droit de rétractation, ils ont néanmoins indiqué avoir vérifié les « mesures prises sur Google Oort » (sic) et constaté qu'en réalité les dimensions n'étaient pas les bonnes. En réponse, la société CSP a proposé deux dates pour une « visite préalable du chantier », faisant ainsi état d'une étape nécessaire à la réalisation du projet, dont M. et Mme [X] n'avaient jusqu'alors pas été informés. En effet, cette visite de chantier ne pouvait avoir d'autre utilité que de permettre à la société CSP d'ajuster les dimensions jusque-là provisoires ou théoriques, et de contrôler la compatibilité de l'installation avec l'espace que comptaient lui dédier les acquéreurs.
En concluant une vente ferme et définitive alors qu'à la date de la signature la configuration des lieux était inconnue, sans avoir mis ses clients en position de comprendre les conditions dans lesquelles serait appréciée la faisabilité de leur projet d'aménagement, la société CSP a manqué à son obligation d'information sur les caractéristiques essentielles du bien et du service, ce qui a nécessairement vicié le consentement de M. et Mme [X] et partant le contrat conclu.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé, en ce qu'il a prononcé la nullité du bon de commande et en ce qu'il en a tiré toutes les conséquences en rejetant les demandes de la société CSP et en condamnant cette dernière à restituer à M. et Mme [X] l'acompte de 6 000 euros versé entre ses mains.
***
Eu égard au sens de la présente décision, celle-ci sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société CSP succombant, supportera les dépens de la procédure d'appel, dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, l'équité commandant en outre d'indemniser M. et Mme [X] des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer pour assurer leur défense; l'appelante sera en conséquence condamnée à leur régler la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la société CSP aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Typhanie Bourdot, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société CSP à régler à M. [B] [X] et Mme [N] [X], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Florence PERRET, Présidente et par Madame FOULON, Greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.