CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 19 septembre 2025, n° 24/03582
TOULOUSE
Arrêt
Autre
19/09/2025
ARRÊT N° 25/250
N° RG 24/03582
N° Portalis DBVI-V-B7I-QSRF
CGG/ACP
Décision déférée du 12 Septembre 2024
Conseil de Prud'hommes
Formation paritaire de [Localité 7] (F21/01823)
P. DAVID
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
Me Jean FABRY
Me Paul Serge ESTIVAL
Me Ophélie BENOIT-DAIEF
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX NEUF SEPTEMBRE
DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTES
Société II. NOVA BETEILIGUNGSGESELLSCHAFT MBH
[Adresse 6]
[Localité 5]
ALLEMANGNE
Société III. NOVA BETEILIGUNGSGESELLSCHAFT MBH
[Adresse 6]
[Localité 5]
ALLEMANGNE
Représentées par Me Jean FABRY de la SELARL DUCO-FABRY, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM''S
Monsieur [D] [N]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Paul Serge ESTIVAL, avocat au barreau de Paris (plaidant), Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
S.A.R.L. UMLAUT
[Adresse 1]
[Localité 3]
Société UMLAUT SE.
[Adresse 6]
[Localité 5]
ALLEMANGNE
Représentées par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocate au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Avril 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme C.GILLOIS-GHERA, présidente, chargée de rapport, et M. DARIES, conseillère.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C.GILLOIS-GHERA, présidente
M. DARIES, conseillère
AF. RIBEYRON, conseillère
Greffière, lors des débats : C. DELVER et lors du délibéré : A.-C. PELLETIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier de chambre
FAITS - PROCÉDURE
M. [D] [N] a été embauché le 1er juillet 2008 par la SARL CeBeNetwork France en qualité d'ingénieur en gestion des exigences suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale Syntec.
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [N] exerçait les fonctions de directeur opération Excellence.
La SARL CeBeNetwork France ayant été rachetée par la société Umlaut SARL, le contrat de travail de M. [N] a été automatiquement transféré à cette dernière et un nouveau contrat de travail à durée indéterminée a été conclu le 28 mars 2018.
Le 28 mars 2018, M. [N] a été nommé cogérant de la société Umlaut SARL, ce mandat se cumulant à ses fonctions salariées.
La société Umlaut SARL est la filiale française de la société allemande Umlaut SE.
Les actions de la société Umlaut SE étaient détenues par les sociétés de droit allemand II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH, dites II. Nova et III. Nova.
Entre 2018 et 2019, M. [N] a procédé à l'achat d'actions aux seins des sociétés II. Nova et III. Nova.
Un accord de performance collective a été conclu entre la société Umlaut SARL et les partenaires sociaux en juillet 2020, suivi d'un plan de sauvegarde de l'emploi et d'un plan de départs volontaires en septembre 2020.
En décembre 2020, M. [N] a adhéré au CSP avec effet au 30 décembre 2020 emportant rupture de son contrat de travail pour motif économique. M. [N] a également démissionné de son mandat de gérant de la société Umlaut SARL avec effet immédiat.
Par résolution du 31 décembre 2020, l'ensemble des actionnaires de la société III. Nova ont décidé du rachat des 2 083 actions détenues par M. [N] au sein de III. Nova.
Par résolution du 2 janvier 2021, les actionnaires de la société II. Nova ont décidé du rachat des 178 actions détenues par M. [N] au sein de II. Nova.
M. [N] a signé un protocole d'accord transactionnel le 25 janvier 2021 prévoyant sa renonciation à toute action contre la société Umlaut SARL en contrepartie d'une indemnité transactionnelle globale et forfaitaire.
En juin 2021, la société Umlaut SE a été rachetée par la société Accenture Holding BV & Co à effet du 30 septembre 2021.
A compter de juillet 2021, la société Umlaut SARL a commencé à régler à M. [N] le solde du prix de ses actions.
M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 28 décembre 2021 pour contester la validité de la transaction intervenue le 25 janvier 2021, contester la rupture de son contrat de travail et demander le versement de diverses sommes, notamment au titre du préjudice causé par la cession forcée de ses actions.
Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section encadrement, par jugement du 12 septembre 2024, a :
- dit et jugé que le conseil de prud'hommes de Toulouse est compétent pour trancher le litige entre les parties,
- en conséquence,
- renvoyé l'affaire et les parties devant le bureau de jugement du 14 novembre 2024,
- dit que la notification de la présente décision tient lieu de convocation pour les parties et leurs conseils,
- réservé les dépens.
***
Par déclaration du 30 octobre 2024, les sociétés II Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH ont interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par requête du 31 octobre 2024, ces sociétés ont sollicité auprès du Premier Président de la cour d'appel de Toulouse la fixation de l'affaire à jour fixe.
Par ordonnance du 6 novembre 2024, la Présidente de la 4ème chambre section 1 à la cour d'appel de Toulouse spécialement déléguée à cet effet par ordonnance de la Première Présidente a fait droit à leur demande.
***
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par leurs dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 4 mars 2025et soutenues oralement à l'audience, les sociétés II Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH demandent à la cour de :
- dire recevable et bien fondé l'appel du jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 12 septembre 2024,
- l'infirmer dans toutes ses dispositions,
- rejeter toute évocation du litige,
Et statuant à nouveau,
A titre principal
- juger que les parties ont convenu d'une clause compromissoire,
- dire le conseil de prud'hommes de Toulouse incompétent pour connaître du litige,
- renvoyer M. [N] à mieux se pourvoir.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait écarter l'application de la clause d'arbitrage, il lui est demandé de :
- juger que M. [N] en qualité d'actionnaire des sociétés II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH doit agir, en application du Règlement Bruxelles Ibis, devant les juridictions allemandes,
- dire le conseil de prud'hommes de Toulouse incompétent pour connaître du litige,
- renvoyer M. [N] à mieux se pourvoir.
A titre infiniment subsidiaire,
- juger que M. [N] en qualité d'actionnaire des sociétés II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH doit agir devant le tribunal judiciaire compétent,
- dire le conseil de prud'hommes de Toulouse incompétent pour connaître du litige,
- renvoyer M. [N] devant le tribunal judiciaire de Toulouse.
Si par extraordinaire, la Cour devait confirmer le jugement statuant exclusivement sur la compétence rendu par le conseil de prud'hommes le 12 septembre 2024 et faire droit à la demande d'évocation formulée par M. [N] :
' renvoyer l'affaire à une audience ultérieure, avec une date d'audience après la date du délibéré de son arrêt sur la question de la compétence, afin de permettre aux parties de conclure au fond.
En tout état de cause,
- condamner M. [N] à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 5 000 euros pour chacune des sociétés II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH, ainsi qu'aux entiers dépens.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 10 février 2025 et soutenues oralement à l'audience, M. [D] [N] demande à la cour de :
- recevant l'appel interjeté,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il dit que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de l'entier litige.
Evoquant le fond du litige,
- annuler la transaction déférée.
Au titre de la rupture du contrat de travail :
- juger que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
- condamner la SARL Umlaut à lui payer la somme de 114 701,47 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la SARL Umlaut à lui payer la somme de 32 771,86 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la SARL Umlaut à lui payer la somme de 3 277,18 euros au titre de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis.
Au titre de la vente forcée des actions :
- condamner solidairement les sociétés Umlaut SARL, III Nova, II Nova, Umlaut SE ou toute société se substituant à elles à lui payer au titre de la réparation intégrale du préjudice causé par la cession forcée et infondée de ses actions la somme de 2 696 418,57 euros à titre de dommages-intérêts,
- subsidiairement, condamner solidairement les sociétés Umlaut SARL, III Nova, II Nova, Umlaut SE ou toute société se substituant à elles à lui payer au titre du préjudice causé par la perte de chance de céder ses actions lors du rachat par la société Accenture la somme de 1 779 636,18 euros à titre (sic),
Au titre des rappels de salaires :
- condamner la société Umlaut SARL à lui payer la somme de 9 500 euros au titre du solde de rémunération variable pour l'année 2020,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 24 145 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 125 % effectuées durant l'année 2018, outre 2 414,50 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 28 023 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 150 % effectuées durant l'année 2018, outre 2 802,30 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 24 752 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 125 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 475,20 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 28 541,00 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 150 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 854,10 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut au paiement de 28 178 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 125 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 817,80 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 26 647 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 150 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 646,70 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 30 502 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire en repos compensateur durant l'année 2018,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 30 444 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire en repos compensateur durant l'année 2019,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 30 824,56 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire en repos compensateur durant l'année 2020.
En tout état de cause :
- condamner la société Umlaut SARL au remboursement des indemnités Pôle Emploi dans la limite de 3 mois,
- assortir les condamnations du taux d'intérêt légal à compter de la convocation des parties en BCO conformément à l'article 1231-7 du code civil,
- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société Umlaut SARL à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens.
En l'absence d'évocation :
- condamner solidairement les sociétés III Nova, II Nova ou toute société se substituant à elles à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 février 2025 et soutenues oralement à l'audience, la société Umlaut SARL demande à la cour de :
Sur la compétence,
- prendre acte qu'elle s'en rapporte à justice s'agissant de la compétence matérielle du conseil de prud'hommes de Toulouse pour connaître du litige,
Sur l'évocation,
- à titre principal, débouter Monsieur [N] de sa demande d'évocation du fond,
- à titre subsidiaire, ordonner la réouverture des débats sur le fond.
En tout état de cause,
- rejeter toutes demandes indemnitaires qui pourrait être formulées contre elle, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile, émanant d'une quelconque partie dans la cause.
***
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 février 2025 et soutenues oralement à l'audience, la société Umlaut SE demande à la cour de :
Sur la compétence,
- prendre acte qu'elle s'en rapporte à justice s'agissant de la compétence matérielle du conseil de prud'hommes de Toulouse pour connaître du litige,
Sur l'évocation,
- à titre principal, débouter Monsieur [N] de sa demande d'évocation du fond,
- à titre subsidiaire, ordonner la réouverture des débats sur le fond.
En tout état de cause,
- rejeter toutes demandes indemnitaires qui pourrait être formulées contre elle, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile, émanant d'une quelconque partie dans la cause.
***
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
Sur la compétence
A titre principal, les sociétés font valoir que le litige opposant les parties découle de la qualité d'actionnaire de M.[N] et qu'une clause compromissoire a été convenue dans les pactes d'actionnaires entre les sociétés II Nova et III Nova et M. [N] qui doit trouver application par priorité.
Aucun lien de subordination ou relatif à un quelconque contrat de travail ne les lie à l'intéressé, de sorte que le conseil de Prud'hommes ne peut être compétent pour connaître d'un litige entre actionnaires.
M.[N] n'est pas devenu actionnaire en raison de son statut de salarié mais du fait de son statut de mandataire social.
En présence d'une clause compromissoire, le conseil de Prud'hommes de Toulouse devait nécessairement se dessaisir au profit du Tribunal arbitral à constituer en exécution de ladite clause et renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir, dès lors que la convention d'arbitrage n'est pas manifestement nulle, ni manifestement inapplicable.
Subsidiairement, elles arguent de la compétence des tribunaux allemands en se fondant sur les dispositions de l'article 4 alinéa 1 du Règlement de Bruxelles n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 , dès lors qu'elles ont toutes deux leur siège social en Allemagne, précisant par ailleurs qu'elles sont de nationalité allemande.
Elles font également valoir qu'en l'absence de contrat de travail, le conseil de Prud'hommes n'est pas matériellement compétent et que les différends pouvant naître des relations entre la société et le salarié devenu actionnaire relèvent de la juridiction commerciale.
Elles soutiennent qu'en l'espèce les demandes formulées par M.[N] ne se fondent pas sur son contrat de travail mais sur sa qualité d'actionnaire au sein des sociétés II Nova et III Nova.
Elles ajoutent que la qualité d'actionnaire n'était pas un accessoire au contrat de travail et que M.[N] s'est vu proposer l'acquisition d'actions au sein des deux sociétés du fait de sa seule qualité de co-gérant de la Umlaut Sarl.
Enfin, les sociétés appelantes font valoir que le premier juge ne s'est pas prononcé sur l'exception d'incompétence soulevée en se limitant à constater 'sans aucun doute' qu'il était compétent et que l'absence de motivation est sanctionnée par la nullité du jugement en vertu de l'article 458 du code de procédure civile .
M.[N] objecte que sa demande relève de la compétence du conseil de Prud'hommes, s'agissant de statuer sur les conséquences préjudiciable de la cession forcée d'actions, conditionnée par son départ comme salarié de l'effectif du Groupe Umlaut à l'occasion de la rupture de son contrat de travail.
Il prétend que:
- le salariat constitue la condition déterminante pour acheter des actions mais aussi pour les conserver, de sorte qu'elles deviennent un accessoire du contrat de travail,
- le lien entre la cessation prématurée du contrat de travail et la cession forcée des actions, qui lui a causé un préjudice financier certain, est établi.
Il soutient qu'en raison de son statut de salarié du Groupe Umlaut et en dépit de son autre qualité d'actionnaire, le conseil de Prud'hommes reste compétent pour trancher l'entier litige en dépit d'une clause d'arbitrage dans le pacte d'actionnaires qui lui est inopposable..
Il réfute enfin comme inefficients les arguments tirés de la personnalité distinte de la société holding et de sa nationalité.
La Sasu Umlaut et la SE Umlaut s'en remettent à l'appréciation de la cour sur la question de la compétence, sans développer aucun moyen à ce titre.
Sur ce,
Aux termes de l'article L 1411-1 du code du travail, le conseil de Prud'hommes règle les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs et les salariés.
Il est par ailleurs de jurisprudence établie que l'attribution d'actions au salarié en raison de sa qualité de salarié de l'entreprise constitue un accessoire au contrat de travail et qu'un litige y afférent relève de la compétence de la juridiction prud'homale.
Au cas présent, il est constant que M.[N] avait en dernier lieu pour employeur la Sarl Umlaut dont il a accepté de devenir l'un des co-gérants le 28 mars 2018.
La Sarl Umlaut est la filiale française du groupe d'ingénierie et de conseil allemand Umlaut SE, qui la détient à 100%.
Les actions de la SE Umlaut étaient elles-mêmes détenues par les sociétés de droit allemand II Nova et III Nova.
M.[N] avance, sans être contredit, qu'à compter du 10 avril 2019, son employeur lui a proposé, avec d'autres salariés du groupe Umlaut, de devenir actionnaire de l'entreprise, en achetant des actions des sociétés holdings financières II Nova et III Nova, détentrices du capital de la société mère Umlaut SE.
L'achat de ces actions a induit la souscription au pacte d'actionnaires réglant par avance les modalités de sortie de l'actionnariat .
Or, il ressort de l'examen du pacte d'actionnaires souscrit par M.[N] (pièce 28 salarié) dont la traduction libre n'est pas remise en cause par les intimées, que la société distingue plusieurs groupes d'actionnaires:
- le groupe des fondateurs,
- le groupe des 'actionnaires actifs',
- les tiers qui n'appartiennent pas aux 2 catégories précitées et qui feront partie du groupe des 'Partenaires de croissance et de financement'.
A l'évidence, ce dernier appartient au groupe des 'actionnaires actifs', dont il est spécifié en page 7 qu'il ' comprend les actionnaires qui n'appartiennent pas au groupe de 'Fondateurs' et qui sont en relation d'emploi avec la société ou une entreprise du groupe Umlaut' .
En effet, figurent en page 2 de ce document, le nom des trois 'fondateurs', dont M.[N] ne fait pas partie.
Il est expressément précisé en page 9, point 3.2 : ' un actionnaire est considéré comme un actionnaire actif tant qu'un contrat de travail ( à temps plein) est en vigueur entre lui et la Société ou une société du groupe umlaut et que cette relation de travail est effectivement exercée. Etant donné que le statut d'actionnaire dépend de la situation professionnelle, il sera garanti, au moyen de règles appropriées au sein de groupe umlaut , que la rupture de la relation de travail nécessitera l'accord du conseil de surveillance de la société, même si la relation de travail a été conclue avec une société du groupe umlaut'.
Il s'infère sans équivoque de ces dispositions que les actions ont été proposées à M.[N] du fait de sa qualité de salarié de l'une des entreprises du groupe et non du fait de son mandat social lié à son statut de co-gérant de la Sarl Umlaut, tel que soutenu par les sociétés II Nova et III Nova.
Par ailleurs, il est précisément prévu que la perte du statut d'actionnaire actif au sens de l'article 3.2 oblige l'actionnaire à se retirer de la société, celui-ci recevant alors un prix d'achat ou une indemnité dont les modalités de calcul sont prévues au point 5.3.
En décembre 2020, M. [N] a adhéré au CSP avec effet au 30 décembre 2020 emportant rupture de son contrat de travail pour motif économique.
Il a également démissionné de son mandat de gérant de la société Umlaut SARL avec effet immédiat.
Par résolution du 31 décembre 2020, l'ensemble des actionnaires de la société III. Nova ont décidé du rachat des 2 083 actions détenues par M. [N] au sein de III. Nova.
Par résolution du 2 janvier 2021, les actionnaires de la société II. Nova ont décidé du rachat des 178 actions détenues par M. [N] au sein de II. Nova.
M.[N] a signé un protocole d'accord transactionnel le 25 janvier 2021 prévoyant sa renonciation à toute action contre la société Umlaut SARL en contrepartie d'une indemnité transactionnelle globale et forfaitaire.
En juin 2021, la société Umlaut SE a été rachetée par la société Accenture Holding BV & Co à effet du 30 septembre 2021.
M.[N] soutient que la rupture de son contrat de travail qui n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse l'a empêché de céder ses actions au prix , bien plus avantageux, proposé par Accenture au moment de son acquisition de la société Umlaut en juin 2021 et par la même de réaliser une plus-value substantielle.
Ce faisant, il sollicite tout à la fois l'annulation de la transaction, la reconnaissance de l'absence de caractère réel et sérieux de son licenciement et la réparation intégrale du préjudice causé par la cession forcée de ses actions.
La demande visant à faire annuler une transaction relève bien de la compétence d'attribution de la juridiction prud'homale, en tant que différend né à l'occasion du contrat de travail, même si la signature du protocole d'accord transactionnel intervient après l'échéance ou l'expiration du contrat de travail.
Si la juridiction prud'homale demeure incompétente pour statuer sur la validité d'un pacte d'actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d'exception, d'une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de perte de sa qualité de salarié , la cession immédiate de ses actions.
La demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue donc un différend né à l'occasion du contrat de travail.
L'absence de contrat de travail liant M.[N] aux entités II Nova et III Nova et de lien de subordination en découlant est à cet égard indifférent.
Il s'ensuit que le conseil de Prud'hommes est matériellement compétent pour connaître des prétentions formulées par M.[N].
Pour le surplus, la compétence matérielle du conseil de Prud'hommes est d'ordre public et à ce titre toute convention dérogatoire est réputée non écrite par application des dispositions de l'article L 1411-4 du code précité.
De même, le lieu du siège social et la nationalité étrangère des sociétés appelantes est sans emport.
Enfin, pour aussi succincte que soit la motivation développée, le premier juge, qui n'était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentaire, a retenu pour justifier de sa décision rendue au visa des dispositions de l'article L 1411-1 et L 1411-4 du code du travail que le demandeur était salarié et que le différend était né à l'occasion de la cession des actions du demandeur, de sorte que la décision déférée n'encourt pas la nullité, au demeurant non sollicitée dans le dispositif des écritures des sociétés II Nova et III Nova .
Par voie de conséquence, il convient déclarer le conseil de Prud'hommes de Toulouse compétent pour connaître des demandes, par confirmation de la décision déférée.
Sur la demande d'évocation
Se prévalant des dispositions de l'article 83 du code de procédure civile, M.[N] demande à la cour d'évoquer le fond de l'affaire dans un souci de 'bonne et sereine justice', avançant qu'il ' est manifestement opportun qu'il soit fait exception en l'espèce au principe du double degré de juridiction afin de donner une solution définitive au litige'.
Les sociétés II Nova et III Nova s'opposent fermement à cette demande.
Sur ce,
L'article 88 du code de procédure civile dispose que lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné, elle-même le cas échéant, une mesure d'instruction.
Au cas présent, la prétendue 'défiance des sociétés appelantes envers la capacité du juge prud'homal à dire le droit' alléguée par M.[N] ne saurait constituer un motif suffisant au regard de la complexité du litige et des enjeux financiers conséquents qui en découlent , pour justifier, dans un souci de bonne administration de la justice, d' évoquer l'affaire en privant les parties d'un double degré de juridiction.
La demande présentée en ce sens sera rejetée et les parties renvoyées à s'expliquer au fond devant le premier degré de juridiction.
Sur les demandes annexes
Succombant en leurs prétentions, les sociétés II Nova et III Nova seront condamnées aux dépens d'appel et déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigée contre M.[N].
Aucune considération d'équité ne commande à ce stade de la procédure de faire application de l'article précitée au profit de M.[N] , de la SAS Umlaut et de la SE Umlaut.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu à évocation,
Condamne les sociétés II Nova et III Nova aux dépens du présent appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
A.-C. PELLETIER C. GILLOIS-GHERA
ARRÊT N° 25/250
N° RG 24/03582
N° Portalis DBVI-V-B7I-QSRF
CGG/ACP
Décision déférée du 12 Septembre 2024
Conseil de Prud'hommes
Formation paritaire de [Localité 7] (F21/01823)
P. DAVID
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
Me Jean FABRY
Me Paul Serge ESTIVAL
Me Ophélie BENOIT-DAIEF
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX NEUF SEPTEMBRE
DEUX MILLE VINGT CINQ
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APPELANTES
Société II. NOVA BETEILIGUNGSGESELLSCHAFT MBH
[Adresse 6]
[Localité 5]
ALLEMANGNE
Société III. NOVA BETEILIGUNGSGESELLSCHAFT MBH
[Adresse 6]
[Localité 5]
ALLEMANGNE
Représentées par Me Jean FABRY de la SELARL DUCO-FABRY, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM''S
Monsieur [D] [N]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Paul Serge ESTIVAL, avocat au barreau de Paris (plaidant), Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
S.A.R.L. UMLAUT
[Adresse 1]
[Localité 3]
Société UMLAUT SE.
[Adresse 6]
[Localité 5]
ALLEMANGNE
Représentées par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocate au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Avril 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme C.GILLOIS-GHERA, présidente, chargée de rapport, et M. DARIES, conseillère.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C.GILLOIS-GHERA, présidente
M. DARIES, conseillère
AF. RIBEYRON, conseillère
Greffière, lors des débats : C. DELVER et lors du délibéré : A.-C. PELLETIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier de chambre
FAITS - PROCÉDURE
M. [D] [N] a été embauché le 1er juillet 2008 par la SARL CeBeNetwork France en qualité d'ingénieur en gestion des exigences suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale Syntec.
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [N] exerçait les fonctions de directeur opération Excellence.
La SARL CeBeNetwork France ayant été rachetée par la société Umlaut SARL, le contrat de travail de M. [N] a été automatiquement transféré à cette dernière et un nouveau contrat de travail à durée indéterminée a été conclu le 28 mars 2018.
Le 28 mars 2018, M. [N] a été nommé cogérant de la société Umlaut SARL, ce mandat se cumulant à ses fonctions salariées.
La société Umlaut SARL est la filiale française de la société allemande Umlaut SE.
Les actions de la société Umlaut SE étaient détenues par les sociétés de droit allemand II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH, dites II. Nova et III. Nova.
Entre 2018 et 2019, M. [N] a procédé à l'achat d'actions aux seins des sociétés II. Nova et III. Nova.
Un accord de performance collective a été conclu entre la société Umlaut SARL et les partenaires sociaux en juillet 2020, suivi d'un plan de sauvegarde de l'emploi et d'un plan de départs volontaires en septembre 2020.
En décembre 2020, M. [N] a adhéré au CSP avec effet au 30 décembre 2020 emportant rupture de son contrat de travail pour motif économique. M. [N] a également démissionné de son mandat de gérant de la société Umlaut SARL avec effet immédiat.
Par résolution du 31 décembre 2020, l'ensemble des actionnaires de la société III. Nova ont décidé du rachat des 2 083 actions détenues par M. [N] au sein de III. Nova.
Par résolution du 2 janvier 2021, les actionnaires de la société II. Nova ont décidé du rachat des 178 actions détenues par M. [N] au sein de II. Nova.
M. [N] a signé un protocole d'accord transactionnel le 25 janvier 2021 prévoyant sa renonciation à toute action contre la société Umlaut SARL en contrepartie d'une indemnité transactionnelle globale et forfaitaire.
En juin 2021, la société Umlaut SE a été rachetée par la société Accenture Holding BV & Co à effet du 30 septembre 2021.
A compter de juillet 2021, la société Umlaut SARL a commencé à régler à M. [N] le solde du prix de ses actions.
M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 28 décembre 2021 pour contester la validité de la transaction intervenue le 25 janvier 2021, contester la rupture de son contrat de travail et demander le versement de diverses sommes, notamment au titre du préjudice causé par la cession forcée de ses actions.
Le conseil de prud'hommes de Toulouse, section encadrement, par jugement du 12 septembre 2024, a :
- dit et jugé que le conseil de prud'hommes de Toulouse est compétent pour trancher le litige entre les parties,
- en conséquence,
- renvoyé l'affaire et les parties devant le bureau de jugement du 14 novembre 2024,
- dit que la notification de la présente décision tient lieu de convocation pour les parties et leurs conseils,
- réservé les dépens.
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Par déclaration du 30 octobre 2024, les sociétés II Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH ont interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par requête du 31 octobre 2024, ces sociétés ont sollicité auprès du Premier Président de la cour d'appel de Toulouse la fixation de l'affaire à jour fixe.
Par ordonnance du 6 novembre 2024, la Présidente de la 4ème chambre section 1 à la cour d'appel de Toulouse spécialement déléguée à cet effet par ordonnance de la Première Présidente a fait droit à leur demande.
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PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par leurs dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 4 mars 2025et soutenues oralement à l'audience, les sociétés II Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH demandent à la cour de :
- dire recevable et bien fondé l'appel du jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse en date du 12 septembre 2024,
- l'infirmer dans toutes ses dispositions,
- rejeter toute évocation du litige,
Et statuant à nouveau,
A titre principal
- juger que les parties ont convenu d'une clause compromissoire,
- dire le conseil de prud'hommes de Toulouse incompétent pour connaître du litige,
- renvoyer M. [N] à mieux se pourvoir.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait écarter l'application de la clause d'arbitrage, il lui est demandé de :
- juger que M. [N] en qualité d'actionnaire des sociétés II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH doit agir, en application du Règlement Bruxelles Ibis, devant les juridictions allemandes,
- dire le conseil de prud'hommes de Toulouse incompétent pour connaître du litige,
- renvoyer M. [N] à mieux se pourvoir.
A titre infiniment subsidiaire,
- juger que M. [N] en qualité d'actionnaire des sociétés II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH doit agir devant le tribunal judiciaire compétent,
- dire le conseil de prud'hommes de Toulouse incompétent pour connaître du litige,
- renvoyer M. [N] devant le tribunal judiciaire de Toulouse.
Si par extraordinaire, la Cour devait confirmer le jugement statuant exclusivement sur la compétence rendu par le conseil de prud'hommes le 12 septembre 2024 et faire droit à la demande d'évocation formulée par M. [N] :
' renvoyer l'affaire à une audience ultérieure, avec une date d'audience après la date du délibéré de son arrêt sur la question de la compétence, afin de permettre aux parties de conclure au fond.
En tout état de cause,
- condamner M. [N] à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 5 000 euros pour chacune des sociétés II. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH et III. Nova Beteiligungsgesellschaft MbH, ainsi qu'aux entiers dépens.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 10 février 2025 et soutenues oralement à l'audience, M. [D] [N] demande à la cour de :
- recevant l'appel interjeté,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il dit que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de l'entier litige.
Evoquant le fond du litige,
- annuler la transaction déférée.
Au titre de la rupture du contrat de travail :
- juger que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
- condamner la SARL Umlaut à lui payer la somme de 114 701,47 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la SARL Umlaut à lui payer la somme de 32 771,86 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner la SARL Umlaut à lui payer la somme de 3 277,18 euros au titre de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis.
Au titre de la vente forcée des actions :
- condamner solidairement les sociétés Umlaut SARL, III Nova, II Nova, Umlaut SE ou toute société se substituant à elles à lui payer au titre de la réparation intégrale du préjudice causé par la cession forcée et infondée de ses actions la somme de 2 696 418,57 euros à titre de dommages-intérêts,
- subsidiairement, condamner solidairement les sociétés Umlaut SARL, III Nova, II Nova, Umlaut SE ou toute société se substituant à elles à lui payer au titre du préjudice causé par la perte de chance de céder ses actions lors du rachat par la société Accenture la somme de 1 779 636,18 euros à titre (sic),
Au titre des rappels de salaires :
- condamner la société Umlaut SARL à lui payer la somme de 9 500 euros au titre du solde de rémunération variable pour l'année 2020,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 24 145 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 125 % effectuées durant l'année 2018, outre 2 414,50 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 28 023 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 150 % effectuées durant l'année 2018, outre 2 802,30 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 24 752 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 125 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 475,20 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 28 541,00 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 150 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 854,10 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut au paiement de 28 178 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 125 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 817,80 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 26 647 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires à 150 % effectuées durant l'année 2019, outre 2 646,70 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 30 502 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire en repos compensateur durant l'année 2018,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 30 444 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire en repos compensateur durant l'année 2019,
- condamner la société Umlaut SARL au paiement de 30 824,56 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour défaut de contrepartie obligatoire en repos compensateur durant l'année 2020.
En tout état de cause :
- condamner la société Umlaut SARL au remboursement des indemnités Pôle Emploi dans la limite de 3 mois,
- assortir les condamnations du taux d'intérêt légal à compter de la convocation des parties en BCO conformément à l'article 1231-7 du code civil,
- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société Umlaut SARL à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens.
En l'absence d'évocation :
- condamner solidairement les sociétés III Nova, II Nova ou toute société se substituant à elles à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 février 2025 et soutenues oralement à l'audience, la société Umlaut SARL demande à la cour de :
Sur la compétence,
- prendre acte qu'elle s'en rapporte à justice s'agissant de la compétence matérielle du conseil de prud'hommes de Toulouse pour connaître du litige,
Sur l'évocation,
- à titre principal, débouter Monsieur [N] de sa demande d'évocation du fond,
- à titre subsidiaire, ordonner la réouverture des débats sur le fond.
En tout état de cause,
- rejeter toutes demandes indemnitaires qui pourrait être formulées contre elle, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile, émanant d'une quelconque partie dans la cause.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 février 2025 et soutenues oralement à l'audience, la société Umlaut SE demande à la cour de :
Sur la compétence,
- prendre acte qu'elle s'en rapporte à justice s'agissant de la compétence matérielle du conseil de prud'hommes de Toulouse pour connaître du litige,
Sur l'évocation,
- à titre principal, débouter Monsieur [N] de sa demande d'évocation du fond,
- à titre subsidiaire, ordonner la réouverture des débats sur le fond.
En tout état de cause,
- rejeter toutes demandes indemnitaires qui pourrait être formulées contre elle, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile, émanant d'une quelconque partie dans la cause.
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Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
Sur la compétence
A titre principal, les sociétés font valoir que le litige opposant les parties découle de la qualité d'actionnaire de M.[N] et qu'une clause compromissoire a été convenue dans les pactes d'actionnaires entre les sociétés II Nova et III Nova et M. [N] qui doit trouver application par priorité.
Aucun lien de subordination ou relatif à un quelconque contrat de travail ne les lie à l'intéressé, de sorte que le conseil de Prud'hommes ne peut être compétent pour connaître d'un litige entre actionnaires.
M.[N] n'est pas devenu actionnaire en raison de son statut de salarié mais du fait de son statut de mandataire social.
En présence d'une clause compromissoire, le conseil de Prud'hommes de Toulouse devait nécessairement se dessaisir au profit du Tribunal arbitral à constituer en exécution de ladite clause et renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir, dès lors que la convention d'arbitrage n'est pas manifestement nulle, ni manifestement inapplicable.
Subsidiairement, elles arguent de la compétence des tribunaux allemands en se fondant sur les dispositions de l'article 4 alinéa 1 du Règlement de Bruxelles n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 , dès lors qu'elles ont toutes deux leur siège social en Allemagne, précisant par ailleurs qu'elles sont de nationalité allemande.
Elles font également valoir qu'en l'absence de contrat de travail, le conseil de Prud'hommes n'est pas matériellement compétent et que les différends pouvant naître des relations entre la société et le salarié devenu actionnaire relèvent de la juridiction commerciale.
Elles soutiennent qu'en l'espèce les demandes formulées par M.[N] ne se fondent pas sur son contrat de travail mais sur sa qualité d'actionnaire au sein des sociétés II Nova et III Nova.
Elles ajoutent que la qualité d'actionnaire n'était pas un accessoire au contrat de travail et que M.[N] s'est vu proposer l'acquisition d'actions au sein des deux sociétés du fait de sa seule qualité de co-gérant de la Umlaut Sarl.
Enfin, les sociétés appelantes font valoir que le premier juge ne s'est pas prononcé sur l'exception d'incompétence soulevée en se limitant à constater 'sans aucun doute' qu'il était compétent et que l'absence de motivation est sanctionnée par la nullité du jugement en vertu de l'article 458 du code de procédure civile .
M.[N] objecte que sa demande relève de la compétence du conseil de Prud'hommes, s'agissant de statuer sur les conséquences préjudiciable de la cession forcée d'actions, conditionnée par son départ comme salarié de l'effectif du Groupe Umlaut à l'occasion de la rupture de son contrat de travail.
Il prétend que:
- le salariat constitue la condition déterminante pour acheter des actions mais aussi pour les conserver, de sorte qu'elles deviennent un accessoire du contrat de travail,
- le lien entre la cessation prématurée du contrat de travail et la cession forcée des actions, qui lui a causé un préjudice financier certain, est établi.
Il soutient qu'en raison de son statut de salarié du Groupe Umlaut et en dépit de son autre qualité d'actionnaire, le conseil de Prud'hommes reste compétent pour trancher l'entier litige en dépit d'une clause d'arbitrage dans le pacte d'actionnaires qui lui est inopposable..
Il réfute enfin comme inefficients les arguments tirés de la personnalité distinte de la société holding et de sa nationalité.
La Sasu Umlaut et la SE Umlaut s'en remettent à l'appréciation de la cour sur la question de la compétence, sans développer aucun moyen à ce titre.
Sur ce,
Aux termes de l'article L 1411-1 du code du travail, le conseil de Prud'hommes règle les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs et les salariés.
Il est par ailleurs de jurisprudence établie que l'attribution d'actions au salarié en raison de sa qualité de salarié de l'entreprise constitue un accessoire au contrat de travail et qu'un litige y afférent relève de la compétence de la juridiction prud'homale.
Au cas présent, il est constant que M.[N] avait en dernier lieu pour employeur la Sarl Umlaut dont il a accepté de devenir l'un des co-gérants le 28 mars 2018.
La Sarl Umlaut est la filiale française du groupe d'ingénierie et de conseil allemand Umlaut SE, qui la détient à 100%.
Les actions de la SE Umlaut étaient elles-mêmes détenues par les sociétés de droit allemand II Nova et III Nova.
M.[N] avance, sans être contredit, qu'à compter du 10 avril 2019, son employeur lui a proposé, avec d'autres salariés du groupe Umlaut, de devenir actionnaire de l'entreprise, en achetant des actions des sociétés holdings financières II Nova et III Nova, détentrices du capital de la société mère Umlaut SE.
L'achat de ces actions a induit la souscription au pacte d'actionnaires réglant par avance les modalités de sortie de l'actionnariat .
Or, il ressort de l'examen du pacte d'actionnaires souscrit par M.[N] (pièce 28 salarié) dont la traduction libre n'est pas remise en cause par les intimées, que la société distingue plusieurs groupes d'actionnaires:
- le groupe des fondateurs,
- le groupe des 'actionnaires actifs',
- les tiers qui n'appartiennent pas aux 2 catégories précitées et qui feront partie du groupe des 'Partenaires de croissance et de financement'.
A l'évidence, ce dernier appartient au groupe des 'actionnaires actifs', dont il est spécifié en page 7 qu'il ' comprend les actionnaires qui n'appartiennent pas au groupe de 'Fondateurs' et qui sont en relation d'emploi avec la société ou une entreprise du groupe Umlaut' .
En effet, figurent en page 2 de ce document, le nom des trois 'fondateurs', dont M.[N] ne fait pas partie.
Il est expressément précisé en page 9, point 3.2 : ' un actionnaire est considéré comme un actionnaire actif tant qu'un contrat de travail ( à temps plein) est en vigueur entre lui et la Société ou une société du groupe umlaut et que cette relation de travail est effectivement exercée. Etant donné que le statut d'actionnaire dépend de la situation professionnelle, il sera garanti, au moyen de règles appropriées au sein de groupe umlaut , que la rupture de la relation de travail nécessitera l'accord du conseil de surveillance de la société, même si la relation de travail a été conclue avec une société du groupe umlaut'.
Il s'infère sans équivoque de ces dispositions que les actions ont été proposées à M.[N] du fait de sa qualité de salarié de l'une des entreprises du groupe et non du fait de son mandat social lié à son statut de co-gérant de la Sarl Umlaut, tel que soutenu par les sociétés II Nova et III Nova.
Par ailleurs, il est précisément prévu que la perte du statut d'actionnaire actif au sens de l'article 3.2 oblige l'actionnaire à se retirer de la société, celui-ci recevant alors un prix d'achat ou une indemnité dont les modalités de calcul sont prévues au point 5.3.
En décembre 2020, M. [N] a adhéré au CSP avec effet au 30 décembre 2020 emportant rupture de son contrat de travail pour motif économique.
Il a également démissionné de son mandat de gérant de la société Umlaut SARL avec effet immédiat.
Par résolution du 31 décembre 2020, l'ensemble des actionnaires de la société III. Nova ont décidé du rachat des 2 083 actions détenues par M. [N] au sein de III. Nova.
Par résolution du 2 janvier 2021, les actionnaires de la société II. Nova ont décidé du rachat des 178 actions détenues par M. [N] au sein de II. Nova.
M.[N] a signé un protocole d'accord transactionnel le 25 janvier 2021 prévoyant sa renonciation à toute action contre la société Umlaut SARL en contrepartie d'une indemnité transactionnelle globale et forfaitaire.
En juin 2021, la société Umlaut SE a été rachetée par la société Accenture Holding BV & Co à effet du 30 septembre 2021.
M.[N] soutient que la rupture de son contrat de travail qui n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse l'a empêché de céder ses actions au prix , bien plus avantageux, proposé par Accenture au moment de son acquisition de la société Umlaut en juin 2021 et par la même de réaliser une plus-value substantielle.
Ce faisant, il sollicite tout à la fois l'annulation de la transaction, la reconnaissance de l'absence de caractère réel et sérieux de son licenciement et la réparation intégrale du préjudice causé par la cession forcée de ses actions.
La demande visant à faire annuler une transaction relève bien de la compétence d'attribution de la juridiction prud'homale, en tant que différend né à l'occasion du contrat de travail, même si la signature du protocole d'accord transactionnel intervient après l'échéance ou l'expiration du contrat de travail.
Si la juridiction prud'homale demeure incompétente pour statuer sur la validité d'un pacte d'actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d'exception, d'une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires prévoyant en cas de perte de sa qualité de salarié , la cession immédiate de ses actions.
La demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue donc un différend né à l'occasion du contrat de travail.
L'absence de contrat de travail liant M.[N] aux entités II Nova et III Nova et de lien de subordination en découlant est à cet égard indifférent.
Il s'ensuit que le conseil de Prud'hommes est matériellement compétent pour connaître des prétentions formulées par M.[N].
Pour le surplus, la compétence matérielle du conseil de Prud'hommes est d'ordre public et à ce titre toute convention dérogatoire est réputée non écrite par application des dispositions de l'article L 1411-4 du code précité.
De même, le lieu du siège social et la nationalité étrangère des sociétés appelantes est sans emport.
Enfin, pour aussi succincte que soit la motivation développée, le premier juge, qui n'était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentaire, a retenu pour justifier de sa décision rendue au visa des dispositions de l'article L 1411-1 et L 1411-4 du code du travail que le demandeur était salarié et que le différend était né à l'occasion de la cession des actions du demandeur, de sorte que la décision déférée n'encourt pas la nullité, au demeurant non sollicitée dans le dispositif des écritures des sociétés II Nova et III Nova .
Par voie de conséquence, il convient déclarer le conseil de Prud'hommes de Toulouse compétent pour connaître des demandes, par confirmation de la décision déférée.
Sur la demande d'évocation
Se prévalant des dispositions de l'article 83 du code de procédure civile, M.[N] demande à la cour d'évoquer le fond de l'affaire dans un souci de 'bonne et sereine justice', avançant qu'il ' est manifestement opportun qu'il soit fait exception en l'espèce au principe du double degré de juridiction afin de donner une solution définitive au litige'.
Les sociétés II Nova et III Nova s'opposent fermement à cette demande.
Sur ce,
L'article 88 du code de procédure civile dispose que lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné, elle-même le cas échéant, une mesure d'instruction.
Au cas présent, la prétendue 'défiance des sociétés appelantes envers la capacité du juge prud'homal à dire le droit' alléguée par M.[N] ne saurait constituer un motif suffisant au regard de la complexité du litige et des enjeux financiers conséquents qui en découlent , pour justifier, dans un souci de bonne administration de la justice, d' évoquer l'affaire en privant les parties d'un double degré de juridiction.
La demande présentée en ce sens sera rejetée et les parties renvoyées à s'expliquer au fond devant le premier degré de juridiction.
Sur les demandes annexes
Succombant en leurs prétentions, les sociétés II Nova et III Nova seront condamnées aux dépens d'appel et déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigée contre M.[N].
Aucune considération d'équité ne commande à ce stade de la procédure de faire application de l'article précitée au profit de M.[N] , de la SAS Umlaut et de la SE Umlaut.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu à évocation,
Condamne les sociétés II Nova et III Nova aux dépens du présent appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par C. GILLOIS-GHERA, présidente, et par A.-C. PELLETIER, greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
A.-C. PELLETIER C. GILLOIS-GHERA