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Décisions

TA Paris, sect. 2 2e ch., 9 juillet 2025, n° 2206656/2-2

PARIS

TA Paris n° 2206656/2-2

8 juillet 2025

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés le 18 mars 2022, le 26 juin 2023, le 25 septembre 2023 et le 27 juin 2024, la société Amazon EU SARL, venant aux droits de la société Amazon Services Europe SARL (ci-après la société ASE), représentée par Me Aubron et Me Aubert, du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, ainsi que par Me Utzschneider et Me Champy, du cabinet White and Case Paris LLP, demande au tribunal :

1°) à titre principal, d’annuler la décision en date du 15 décembre 2021 par laquelle la cheffe du service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) :

- lui a, sur le fondement de l’article L. 470-1 du code de commerce, enjoint de mettre en conformité plusieurs stipulations de ses documents contractuels à destination des vendeurs tiers avec les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce ainsi qu’avec le règlement (UE) n° 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (ci-après le règlement PtoB) dans un délai de trois mois à compter de sa notification ;

-a assorti cette injonction d’une astreinte journalière de 90 000 euros pour une durée de cent quatre-vingt-trois (183) jours si, passé le délai de trois mois imparti, elle ne s’est pas miseen conformité totale ou partielle avec la décision ;

- a ordonné la publication d’un communiqué, aux frais de la société et pendant une durée de trois mois, sur la page d’accueil du Seller central Amazon et la page des conditions du contrat Amazon Services Europe Business Solutions ainsi que, pendant une durée d’un jour, dans trois quotidiens majeurs et sur leurs sites internet dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle la DGCCRF considérerait, le cas échéant, que la société ASE ne s’est pas pleinement conformée à l’injonction ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en ramenant le montant de l’astreinte à de plus justes proportions, et en circonscrivant l’obligation de publication de la décision au seul site internet de la DGCCRF ;

3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 15 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise en méconnaissance des règles relatives à la compétence territoriale de la DGCCRF ;

- la DGCCRF s’est illégalement arrogé un pouvoir relevant de la compétence exclusive du juge de l’exécution ;

- le droit à un procès équitable, garanti par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a été méconnu, dans la mesure où :

- l’administration a méconnu l’obligation de loyauté à laquelle elle est tenue ;

- l’intégralité du dossier d’enquête ne lui a pas été communiqué ; de nombreuses pièces du dossier, et notamment de nombreuses déclarations des vendeurs tiers, ont fait l’objet d’occultations substantielles et ont été anonymisées ;

- la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit dès lors qu’elle confère à tort une portée extraterritoriale aux dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, alors que l’application de ces dispositions requiert que l’existence d’un lien de rattachement territorial avec la France soit établie ; en l’espèce, dans le cas des vendeurs tiers établis à l’étranger, il n’existe pas de lien de rattachement territorial avec la France ;

- elle est entachée d’une erreur de droit, dans la mesure où il est fait application des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce à des aspects régis exclusivement par le règlement PtoB ;

- elle est entachée d’erreurs dans l’appréciation des faits au titre de l’application du règlement PtoB et du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce ;

- elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne le montant de l’astreinte et l’obligation de publication ; les principes de personnalité et de proportionnalité des peines ont été méconnus.

Par des mémoires en défense enregistrés le 14 avril et le 28 juillet 2023, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.Par un courrier en date du 23 décembre 2024, le tribunal a informé les parties, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu’il était susceptible de soulever d’office le moyen tiré de la méconnaissance, par l’administration, du champ d’application territorial du règlement (UE) n° 2019/1150 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, dit « règlement PtoB ».

La société Amazon EU SARL a produit des observations en réponse à ce courrier le 10 février 2025 et le 13 février 2025.

L’administration a produit des observations en réponse à ce courrier le 10 février 2025et le 4 mars 2025, ce dernier mémoire n’ayant pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur l’Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ;

- le règlement (UE) n° 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne ;

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l’administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. E..., rapporteur public,

- et les observations :

- pour la société Amazon EU SARL, de Me Utzschneider et de Me Aubron, en présence de Me de Kersauson, de Me Patrimonio, de Me Flottes et de Me Baleisi ;

- pour l’administration, de M. C..., en présence de Mme V….

Considérant ce qui suit :

1. La société Amazon Services Europe SARL (ASE), aux droits de laquelle vient la société Amazon EU SARL, ces deux sociétés étant de droit luxembourgeois, fournit des services dits de « place de marché » (« marketplace ») en ligne. Cette activité de place de marché permetà des entreprises tierces, ci-après désignées sous le terme de « vendeurs tiers », de vendre leurs produits sur le site internet « amazon.fr », exploité par la société ASE. À cette fin, la société ASE conclut avec ces vendeurs tiers des contrats régissant les conditions dans lesquelles ils peuvent avoir accès à ce site internet et y proposer leurs produits aux consommateurs.

2. Le 18 juillet 2017, à la suite d’une enquête menée entre 2015 et 2016, le ministre de l’économie et des finances a assigné les sociétés ASE, Amazon France Services (AFS) et Amazon Payments Europe (APE) devant le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement des dispositions du 2° du I de l’ancien article L. 442-6 du code de commerce (désormais 2° du I de l’article L. 442-1 du même code), en vue notamment de faire constater que onze clauses figurant dans les contrats conclus avec les vendeurs tiers étaient caractérisées par un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et de faire condamner solidairement ces sociétés à payer une amende de 9,5 millions d’euros.

3. Par un jugement n° 2017070525 du 2 septembre 2019, devenu définitif, le tribunal de commerce de Paris a, notamment, constaté que sept des onze clauses soumises à son examen revêtaient un tel caractère de déséquilibre significatif, a enjoint à la société ASE de cesser de les mettre en œuvre, dans un délai de cent quatre-vingt (180) jours, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, et a infligé à la société ASE une amende d’un montant de 4 millions d’euros.

4. Dans le cadre d’investigations lancées à compter du 4 mai 2020, le service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a demandé aux sociétés ASE et AFS de fournir un certain nombre d’informations relatives aux relations contractuelles nouées par ces sociétés avec les vendeurs tiers actifs sur la place de marché « amazon.fr ».

5. À l’issue de ces investigations, estimant que certaines clauses des contrats ainsi conclus méconnaissaient les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce ainsi que celles du règlement (UE) n°2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’égalité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (le règlement PtoB), la cheffe du SNE a, par une décision du 15 décembre 2021 (« lettre d’injonction administrative »), enjoint à la société ASE, sur le fondement des dispositions de l’article L. 470-1 du code de commerce, de mettre en conformité plusieurs stipulations desdocuments contractuels à destination des vendeurs tiers avec les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, ainsi qu’avec le règlement PtoB, dans un délai de trois mois à compter de sa notification. La cheffe du SNE a assorti cette injonction d’une astreinte journalière de 90 000 euros pour une durée de cent quatre-vingt-trois jours (183), en cas de non-respect de l’injonction à l’expiration d’un délai de trois mois, et a également ordonné la publication d’un communiqué de presse à ce sujet, aux frais de la société ASE et pendant une durée de trois mois sur la page d’accueil du « Seller central » d’Amazon et sur la page des conditions du contrat Amazon Services Europe Business Solutions ainsi que pendant une durée d’un jour dans trois quotidiens majeurs, et leurs sites internet respectifs, dans un délai de trente jours à compter de la date où il serait considéré que la décision litigieuse n’aurait pas été exécutée, ou qu’elle ne l’aurait été que partiellement ou tardivement. Par la présente requête, la société ASE demande au tribunal d’annuler cette décision.

1) Moyen tiré de la méconnaissance des dispositions relatives à la compétence territoriale de la DGCCRF

6. Aux termes de l’article L. 450-1 du code de commerce : « (…) II. - Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l’application des dispositions du présent livre. / III. - Les agents mentionnés aux I et II peuvent exercer les pouvoirs qu’ils tiennent du présent article et des articles suivants sur l’ensemble du territoire national ». Aux termes du 4ème alinéa de l’article L. 450-3 du même code : « Les agents mentionnés à l’article L. 450-1 (…) peuvent exiger la communication et obtenir ou prendre copie, par tout moyen et sur tout support, des livres, factures et autres documents professionnels de toute nature, et, le cas échéant, de leurs moyens de déchiffrement, susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles, entre quelques mains qu’ils se trouvent, propres à faciliter l’accomplissement de leur mission. Ils peuvent exiger la mise à leur disposition des moyens indispensables pour effectuer leurs vérifications. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaire au contrôle ». Et aux termes du premier alinéa du I de l’article L. 470-1 du code de commerce : « Les agents habilités, dans les conditions prévues au II de l’article L. 450-1, à rechercher et à constater les infractions ou manquements aux obligations prévues au titre IV du présent livre peuvent, après une procédure contradictoire, enjoindre à tout professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite. Dans les mêmes conditions, ils peuvent enjoindre à tout professionnel de se conformer aux dispositions du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne ainsi que lui enjoindre de cesser tout agissement ou de supprimer toute clause contraire à ces dispositions (…) ».

7. La société requérante soutient que la décision attaquée a été prise en méconnaissance des règles relatives à la compétence territoriale de la DGCCRF. Elle fait valoir que les actes d’enquête diligentés à son encontre, alors que son siège social est situé au Luxembourg, ont été pris en méconnaissance des dispositions citées au point précédent, dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire n’autorise les agents de la DGCCRF à accomplir des actes d’enquête au-delà du territoire national, et ce quand bien même les faits sur lesquels porte l’enquête se seraient déroulés en France ou auraient eu des conséquences dommageables - ce que la société, en tout état de cause, conteste - sur le territoire français.

8. En premier lieu, il résulte de l’instruction que les demandes présentées aux sociétés ASE et AFS par les agents du SNE, sur le fondement des dispositions de l’article L. 450-3 du code de commerce, ont été formulées par des courriers électroniques envoyés aux conseils de ces sociétés, ainsi qu’à différents destinataires au sein des sociétés. Les réponses apportées par les sociétés ASE et AFS, ainsi que les échanges qui ont suivi, ont également été envoyées par courrier électronique, soit par la société ASE, soit par ses conseils. Il ressort également des pièces du dossier que les agents du SNE ne se sont pas transportés en dehors du territoire national, et n’ont pas accompli d’actes positifs d’enquête à l’extérieur de ce dernier. Ils n’ont donc pas méconnu, à ce titre, les dispositions de l’article L. 450-3 du code de commerce.

9. En second lieu, il résulte de l’instruction que la société ASE a noué des relations contractuelles avec des vendeurs tiers dont certains sont établis sur le territoire français. Comme il sera exposé ci-après dans le cadre de l’examen du moyen spécifiquement soulevé concernant ce point, dès lors que des vendeurs tiers sont établis en France, les relations contractuelles qu’ils nouent avec d’autres opérateurs économiques entrent dans le champ d’application matérielle du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce. De même, dès lors qu’une place de marché s’adresse essentiellement à une clientèle française, les relations contractuelles que noue le fournisseur de ce service d’intermédiation avec d’autres opérateurs économiques entrent également dans le champ d’application matérielle du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce. L’administration était donc fondée, à ces différents titres, à appréhender les relations contractuelles entre la société ASE et les vendeurs tiers, qu’ils soient établis en France ou non, au titre de ces dispositions, ainsi que sur le fondement des dispositions du règlement PtoB, dont le champ d’application inclut, ainsi qu’il sera également exposé ci-après, les vendeurs tiersétablis dans l’Union européenne. Dès lors que les agents de la DGCCRF sont, en application des dispositions précitées des articles L. 450-1, L. 450-3 et L. 470-1 du code de commerce, habilités à exercer leurs pouvoirs en vue de rechercher et de constater des infractions ou manquements aux dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce, ils étaient fondés à exercer ces pouvoirs vis-à-vis de la société ASE qui, si elle est de droit luxembourgeois, est néanmoins tenue de respecter les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce pour ce qui concerne les relations contractuelles qu’elles a nouées avec l’ensemble des vendeurs tiers, et de respecter les dispositions du règlement PtoB pour ce qui concerne les vendeurs tiers établis dans l’Union européenne et dont la clientèle est également établie dans l’Union européenne.

10. Dans ces conditions, la société ASE n’est pas fondée à soutenir que l’administration aurait, en l’espèce, méconnu l’étendue de sa compétence territoriale en diligentant à son encontre des mesures d’investigation sur le fondement des dispositions de l’article L. 450-3 du code de commerce. Le moyen doit donc être écarté.

2) Moyen tiré de ce que l’administration se serait arrogé des pouvoirs relevant de la compétence exclusive du juge de l’exécution

11. La société requérante soutient que la procédure diligentée à son encontre est irrégulière, dans la mesure où l’administration se serait arrogé des pouvoirs relevant de la compétence exclusive du juge de l’exécution.

12. Il résulte de l’instruction que l’administration a indiqué, dans le courrier électronique du 4 mai 2020 par lequel elle a demandé à la société requérante de lui fournir un certain nombre d’informations et de documents, ainsi que dans le courrier électronique du 31 juillet 2020, et par la suite à d’autres stades de la procédure, comme par exemple dans le procès-verbal en date du 26 avril 2021, agir dans le cadre du « suivi du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019 (RG, n° 2017070525) ». Toutefois, ces mentions, si elles peuvent effectivement susciter la confusion en première analyse, constituent en réalité une simple référence à un élément du contexte juridique dans lequel s’inscrit la procédure lancée par l’administration, et non un renvoi à la base légale de cette procédure. Comme le fait valoir, à juste titre, l’administration en défense, le SNE de la DGCCRF a, en l’espèce, agi dans le cadre de ses pouvoirs propres, et en particulier sur le fondement des dispositions des articles L. 450-1 et L. 450-3 du code de commerce, et du premier alinéa de l’article L. 470-1 du même code, afin de s’assurer du respect, par la société ASE et dans le cadre des relations contractuelles nouées par cette dernière, de la règlementation applicable, et en particulier des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce et de celles du règlement PtoB. L’administration a, dans ce cadre, mené une procédure autonome, distincte de celle qui s’est déroulée devant le tribunal de commerce, et ne présentant pas de lien procédural avec elle. En outre, le périmètre de la procédure menée par l’administration est distinct de celui de la procédure menée devant le tribunal de commerce, cette dernière n’ayant pas porté sur le respect, par la société ASE, des dispositions du règlement PtoB, qui n’est entré en vigueur que le 12 juillet 2020, postérieurement à la saisine du tribunal de commerce de Paris par le ministre de l’économie. Dans ces conditions, la référence répétée, bien que maladroite, au jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019, est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie, et la société requérante n’est donc pas fondée à soutenir que l’administration se serait arrogé des pouvoirs relevant de la compétence exclusive du juge de l’exécution. Pour les mêmes motifs, la société ASE n’est pas davantage fondée à soutenir que l’administration aurait méconnu les principes d’impartialité et de neutralité, la procédure menée devant le tribunal de commerce de Paris étant distincte de celle ayant conduit à l’édiction de la décision litigieuse. Le moyen doit donc être écarté.

3) Moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 6 § 1 de la 
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

a) Branche du moyen relative à la qualification de la décision attaquée

13. Aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) / 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. / Tout accusé a droit notamment à : / (…) b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; / (…) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (…) ».

14. Aux termes du III de l’article L. 470-1 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : « 1. Lorsque l’injonction est notifiée à raison d’un manquement passible d’une amende civile, les agents mentionnés au I du présent article peuvent assortir leur mesure d’une astreinte journalière ne pouvant excéder un montant de 0,1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos. (…) Dans ce cas, l’injonction précise les modalités d’application de l’astreinte encourue, notamment sa date d’applicabilité, sa durée et son montant. Le montant de l’astreinte est proportionné à la gravité des manquements constatés et tient compte notamment de l’importance du trouble causé. / L’astreinte journalière court à compter du jour suivant l’expiration du délai imparti au professionnel pour se mettre en conformité avec la mesure d’injonction notifiée. / En cas d’inexécution, totale ou partielle, ou d’exécution tardive, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation procède, dans les conditions prévues au IV de l’article L. 470-2, à la liquidation de l’astreinte (…) La décision prononçant la mesure d’injonction et celle prononçant la liquidation de l’astreinte journalière sont motivées. Elles sont susceptibles d’un recours de pleine juridiction et le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner leur suspension dans les conditions prévues à l’article L. 521-1 du code de justice administrative. / 2. L’injonction mentionnée au premier alinéa du 1 du présent III peut faire l’objet, en cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive, d’une mesure de publicité sur le site internet de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation ainsi que, aux frais de la personne sanctionnée, sur un support habilité à recevoir des annonces légales que cette dernière aura choisi dans le département où elle est domiciliée. La décision peut en outre être publiée, à ses frais, sur d’autres supports. / Dans ce cas, le professionnel est informé, lors de la procédure contradictoire préalable au prononcé de l’injonction, de la nature et des modalités de la mesure de publicité encourue ».

15. La société ASE soutient que la décision attaquée revêt le caractère d’une mesure de sanction, relevant de la matière pénale au sens des stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle fait notamment valoir, au soutien de son argumentation, que la décision attaquée dispose qu’en cas d’inexécution totale ou partielle de la mesure d’injonction à l’expiration du délai imparti de trois mois, il est prévu de lui infliger une astreinte journalière d’un montant de 90 000 euros, pour une durée de cent quatre-vingt-trois (183) jours. La société ASE souligne que le montant maximal de l’astreinte qu’elle encourt est ainsi de 16,47 millions d’euros, cette astreinte étant assortie de la publication, à ses frais, d’un communiqué de presse dans trois quotidiens nationaux de référence. En défense, l’administration fait valoir que la décision attaquée ne constitue pas une mesure de sanction, mais une mesure de police administrative visant à faire cesser le trouble à l’ordre public économique résultant des pratiques contractuellesde la société ASE.

16. Il résulte de l’instruction, et notamment des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite loi DDADUE, que l’intention du législateur était de renforcer les pouvoirs de l’administration, notamment en intégrant les manquements au règlement PtoB dans le champ d’application du titre IV du livre IV du code de commerce, et de permettre à l’administration, grâce au renforcement du pouvoir d’injonction sous astreinte, d’infléchir les pratiques commerciales de certaines entreprises, de manière rapide et sans avoir à assigner ces dernières devant le tribunal de commerce. À cet égard, l’astreinte journalière, dont l’administration peut assortir l’injonction prononcée en cas de manquement aux obligations pesant sur l’entreprise faisant l’objet de la procédure, n’est appelée à être liquidée que si la société ne modifie pas son comportement. Cette astreinte ne constitue donc pas une sanction, mais un élément de ce dispositif permettant à l’administration de veiller au respect des textes précités. Ainsi, au regard de l’ensemble de ces éléments, et contrairement à ce que soutient la société ASE, la décision attaquée ne revêt pas le caractère d’une mesure de sanction, mais constitue une mesure de police administrative, ce dont il résulte que ni les stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni le principe général des droits de la défense, ne peuvent être utilement invoqués dans le cadre du présent litige.

b) Branche du moyen relative au respect du caractère contradictoire de la procédure

17. La société requérante soutient, par ailleurs, que la procédure dont elle a fait l’objet a méconnu le principe général de respect des droits de la défense. S’il résulte de ce qui a été dit plus haut que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peuvent être utilement invoquées dans le cadre du présent litige, les dispositions du I de l’article L. 470-1 du code de commerce prévoient cependant que la procédure menée dans ce cadre revêt un caractère contradictoire. La société requérante peut donc utilement soulever le moyen tiré de ce que le caractère contradictoire de la procédure n’aurait pas, en l’espèce, été respecté.

18. Il ressort expressément des termes du I de l’article L. 470-1 du code de commerce que si les agents habilités peuvent enjoindre à un professionnel de se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite, c’est à la condition de mener, préalablement, une procédure contradictoire, c’est-à-dire de mettre le professionnel mis en cause à même de présenter des observations écrites et, éventuellement, orales, au sujet des manquements qui lui sont reprochés, conformément aux dispositions de l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration. En l’espèce, il résulte de l’instruction que, par un courrier en date du 26 avril 2021 (« lettre avant injonction administrative »), auquel était joint un procès-verbal de constats daté du même jour, le SNE de la DGCCRF a pris, à l’encontre de la société ASE, une mesure sur le fondement des dispositions de l’article L. 470-1 du code de commerce. Ce courrier du 26 avril 2021 a constitué le point de départ de la procédure contradictoire, au sens et pour l’application du I de l’article L. 470-1 du code de commerce. Ce courrier faisait mention de la possibilité, pour la société ASE, de présenter ses éventuelles observations dans un délai de deux mois. En réponse à ce courrier, la société ASE a, par un courrier électronique du 28 mai 2021, sollicité un délai supplémentaire de deux mois, ainsi que la communication de l’intégralité du dossier d’enquête et ce, dans une version non anonymisée. Par un courrier électronique du 8 juin 2021, le SNE a, d’une part, accordé à la société ASE le délai supplémentaire sollicité et l’a, d’autre part, informée de ce que le procès-verbal de constats comportait tous les éléments servant à fonder la mesure envisagée, à l’exception des éléments permettant l’identification des vendeurs tiers ayant fourni des informations au SNE dans le cadre de l’enquête. La société ASE a présenté ses observations écrites le 27 août 2021. Une réunion a également été organisée le 24 septembre 2021 entre le SNE et la société ASE, afin que cette dernière puisse formuler des observations orales. La société ASE a, par conséquent, disposé d’un délai de quatre mois pour présenter ses observations écrites, et a également été en mesure de présenter ses observations orales. Dans ces conditions,au regard du nombre et de la teneur des échanges tant écrits qu’oraux, le caractère contradictoire de la procédure a été respecté.

19. La société requérante soutient également que la circonstance que de nombreuses pièces du dossier aient fait l’objet d’occultations très significatives et aient été anonymisées constitue une violation du caractère contradictoire de la procédure, et l’a privée de la possibilité de présenter utilement sa défense.

20. Dans le cas où, pour édicter une mesure de police administrative, l’administration se fonde sur des éléments recueillis auprès d’opérateurs économiques ayant noué des relations contractuelles avec l’entreprise faisant l’objet de la mesure prise, elle doit mettre cette entreprise à même de prendre connaissance des éléments relatifs aux faits qui lui sont reprochés, notamment ceux au regard desquels elle se détermine. Toutefois, lorsque résulterait de la communication d’une déclaration ou d’une contribution d’un opérateur économique un risque avéré de préjudice pour ce dernier, par exemple sous la forme de représailles de la part de l’entreprise mise en cause, il appartient à l’administration de procéder à une telle communication selon des modalités aménagées, afin de trouver un point d’équilibre entre, d’une part, la nécessité pour l’entreprise mise en cause d’assurer utilement sa défense et, d’autre part, la nécessité de préserver les autres opérateurs économiques d’éventuelles mesures de rétorsion. Ainsi, il appartient à l’administration, le cas échéant, de préserver l’anonymat de l’opérateur économique ayant apporté une contribution, et d’occulter les informations qui permettraient, directement ou indirectement, de l’identifier, en appréciant le risque de préjudice au regard de la situation particulière de l’opérateur économique vis-à-vis de l’entreprise mise en cause. La mesure de police administrative prise à l’encontre de l’entreprise ne peut toutefois être prononcée sur le seul fondement de contributions anonymisées et ayant fait l’objet d’occultations, qui ne peuvent être regardées comme suffisant à apporter la preuve de la réalité des faits contestés. Lorsque l’entreprise mise en cause se plaint de ne pas avoir été mise à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d’une pièce, d’une déclaration ou d’une contribution complète qu’elle juge utile à sa défense, il appartient au juge d’apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui ont été communiqués à l’entreprise, si celle-ci a été privée de la garantie d’assurer utilement sa défense.

21. En l’espèce, il résulte de l’instruction que le procès-verbal de constats établi par le SNE le 26 avril 2021 comprend quarante-sept cotes, parmi lesquelles onze sont des courriers électroniques émanant de vendeur tiers (cotes n°s 21, 22, 23, 24, 25, 30, 31, 32, 36, 37, 38) et ont fait l’objet d’une anonymisation et d’occultations, afin de prévenir d’éventuelles mesures de représailles de la part de la société ASE si l’identité des vendeurs tiers venait à être révélée. Si la société ASE soutient avoir été privée de la possibilité de présenter utilement sa défense du fait de ces anonymisations et occultations, elle était toutefois en mesure, au vu des éléments non occultés, d’identifier, au-delà des cas particuliers, la nature des griefs formulés à son encontre, et de présenter utilement sa défense en conséquence. Par ailleurs, l’anonymisation pratiquée par le SNE se justifie, dans les circonstances de l’espèce, au regard de l’asymétrie marquée existant entre la société ASE et les vendeurs tiers en termes de puissance économique, et de laperspective crédible de mesures de rétorsion de la première à l’encontre des seconds. Enfin, et en tout état de cause, si ces témoignages constituent une partie des éléments sur lesquels l’administration s’est appuyée pour aboutir aux conclusions qui ont été les siennes dans la décision attaquée, ils ne constituent, pour autant, ni les seuls éléments retenus, ni même des éléments décisifs, dans la mesure où les considérations développées par l’administration dans le procès-verbal de constats joint à la décision attaquée reposent avant tout sur l’analyse des clauses contractuelles. L’administration s’est ainsi essentiellement appuyée sur les constatations qu’elle a opérées après analyse de seize documents contractuels, disponibles sur les différents sites de la société ASE, à savoir les cotes n°s 2, 3, 18, 19, 20, 26, 27, 28, 29, 33, 34, 35, 42, 43, 44 et 46. Les témoignages des vendeurs tiers constituent, dans ce cadre, des illustrations des comportements reprochés à la société ASE par l’administration et résultant des clauses contractuelles en litige. Dans ces conditions, la société ASE n’est pas fondée à soutenir que les pratiques d’anonymisation et d’occultation de l’administration auraient substantiellement altéré le caractère contradictoire de la procédure.

22. La société ASE soutient également que l’administration aurait méconnu le principe de loyauté, dans la mesure où les demandes d’informations effectuées préalablement à l’édiction de la décision attaquée ont été présentées comme visant uniquement à vérifier le caractère approprié de l’exécution du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019. Il résulte de l’instruction que les premiers échanges entre le SNE et la société ASE, en date des 4 mai et 31 juillet 2020, faisaient référence à la vérification des modalités d’exécution du jugement du tribunal de commerce. Toutefois, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que l’administration tienne compte, dans le cadre de ses investigations, des modifications législatives et réglementaires intervenues jusqu’à la date d’édiction de la décision attaquée, et notamment de l’entrée en vigueur, le 12 juillet 2020, du règlement PtoB, ainsi que de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière dite loi « DDADUE ». À cet égard, le procès-verbal de constats en date du 26 avril 2021 indique expressément que l’objet du contrôle consistait à analyser, au sens large, les relations commerciales des sociétés ASE et ASF avec les vendeurs tiers, à la suite du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019, mais également de l’entrée en vigueur, le 12 juillet 2020, du règlement PtoB. Au regard de l’ensemble de ces éléments, s’il résulte de l’instruction que l’enquête a initialement eu pour objet de déterminer quelles avaient été les suites données au jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019, et s’il aurait été préférable que la société ASE fût clairement informée de la prise en compte du règlement PtoB dans le cadre d’analyse, rien ne faisait obstacle à ce que l’administration prît en compte, dans le cadre de son enquête, les modifications législatives et réglementaires, de droit interne ou de droit de l’Union, intervenues postérieurement à ce jugement, et que la société ASE était tenue de respecter. La société ASE n’est donc pas fondée à soutenir que l’administration aurait méconnu le principe de loyauté.

23. Il résulte de ce qui précède que le moyen doit être écarté dans ses différentesbranches.

4) Moyen tiré de ce que l’administration aurait conféré une portée extraterritoriale aux dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce

24. La société ASE fait grief à l’administration de n’avoir, dans la décision attaquée, fait aucune distinction entre les différents vendeurs tiers, selon qu’ils soient établis en France ou à l’étranger. Elle soutient que les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce ne lui sont opposables que si la preuve d’un lien de rattachement avec la France peut être apportée, et ce, qu’il soit fait application des règles de conflit permettant de déterminer la loi applicable en matière de responsabilité délictuelle, ou bien qu’il soit considéré que les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce revêtent le caractère d’une loi de police. En défense, l’administration fait valoir qu’un tel lien de rattachement territorial existe,dès lors, d’une part, qu’au moins une partie des vendeurs tiers sont établis en France et, d’autre part, que même si certains vendeurs tiers sont domiciliés à l’étranger, ils effectuent des ventes de produits au profit de clients domiciliés en France, dans le cadre de relations commerciales nouées avec la société ASE et régies par les clauses contractuelles litigieuses.

a) Les stipulations du contrat ASE relatives à la loi applicable et à la compétence juridictionnelle

25. Aux termes du premier alinéa de l’article 17 du contrat ASE, dans sa version anglaise qui fait foi, conformément aux stipulations du 3ème alinéa : « The laws of the Grand Duchy of Luxembourg govern this Agreement and all of its terms and conditions, without giving effect to any principles of conflicts of laws or the United Nations Convention on Contracts for the International Sale of Goods. Any dispute relating in any way to your use of the Services or this Agreement will be adjudicated in the courts of the district of Luxembourg City, Luxembourg non-exclusively ». Aux termes du premier alinéa du même article, dans sa version française : « Le droit du Grand-Duché du Luxembourg régit ce Contrat et tous ses termes et conditions, sans toutefois donner effet aux règles en matière de conflits de lois ou à la Convention des Nations Unies sur les Contrats de Vente Internationale de Marchandises. / Tout litige relatif, de quelques manières [sic] que ce soit, à votre utilisation des Services ou à ce Contrat relèvera de la compétence des tribunaux et cours du district de la ville de Luxembourg, au Luxembourg de façon non-exclusive ».

26. Il résulte de ces stipulations, qui contiennent, d’une part, une clause de choix de loi applicable, et, d’autre part, une clause attributive de compétence juridictionnelle, que la société ASE et les vendeurs tiers ayant souscrit au contrat ASE ont entendu choisir, comme loi applicable au contrat, le droit luxembourgeois. Ils ont également entendu attribuer aux juridictions luxembourgeoises, de manière toutefois non exclusive, la compétence pour connaître des litiges pouvant survenir au titre de la formation et de l’exécution du contrat. Le moyen soulevé par la société ASE se rapporte à la seule question de la détermination de la loi applicable, et ne concerne pas la question de la compétence juridictionnelle.

b) Le champ d’application du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit règlement « Rome II »

27. Aux termes de l’article 1er du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, règlement « Rome II » : « Le présent règlement s’applique, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale. Il ne s’applique pas, en particulier, aux matières fiscales, douanières et administratives, ni à la responsabilité encourue par l’État pour les actes et omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (« acta iure imperii ») ».

28. La société ASE envisage, pour la réfuter aux points 160 et suivants de son mémoire introductif d’instance, l’hypothèse selon laquelle l’administration pourrait éventuellement fonder la mise en œuvre des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce en faisant application des règles de conflit permettant de déterminer la loi applicable en matière de responsabilité délictuelle, et en se plaçant, à ce titre, sur le terrain du lieu où survient le dommage et déterminant la loi applicable. La société ASE cite, à cet effet, les dispositions de l’article 4.1 du règlement « Rome II ».

29. Toutefois, il ressort des dispositions de l’article 1er du règlement « Rome II » que ce règlement s’applique, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations non contractuelles relevant de la « matière civile et commerciale » au sens et pour l’application du règlement, et ne s’applique pas à la « matière administrative » telle qu’elle est définie par ce même règlement. Amenée à se prononcer sur la nature de l’action que le ministre de l’économie intente devant le juge judiciaire afin d’obtenir la constatation de la nullité de certaines clauses contractuelles au titre des dispositions du 2° du I de l’actuel article L. 442-1 du code de commerce, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans un arrêt du 22 décembre 2022, C-98/22, Eurelec Trading, rendu postérieurement à la date à laquelle la requête introductive d’instance de la société ASE a été enregistrée, que la notion de « matière civile et commerciale », au sens du paragraphe 1 de l’article 1er du règlement (UE) n° 1215/2012, et dont la portée est identique au sens et pour l’application des règlements « Rome I » et « Rome II », n’inclut pas l’action d’une autorité publique d’un État membre aux fins de faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence, lorsque cette autorité publique exerce des pouvoirs d’agir en justice ou des pouvoirs d’enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers. Dans le cadre du présent litige, il résulte de l’instruction que l’action mise en œuvre par l’administration, consistant notamment en une application des dispositions des articles L. 450-3 et L. 470-1 du code de commerce, grâce à l’exercice de pouvoirs d’enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun, et sans recourir à la saisine du juge judiciaire, est insusceptible de relever de la « matière civile et commerciale » au sens et pour l’application du règlement « Rome II ».

30. En l’espèce, une règle de droit public énoncée par le droit interne d’un État membre, comme la prohibition du déséquilibre significatif dans les relations contractuelles énoncée par les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, et mise en œuvre par l’administration dans le cadre de l’exercice de prérogatives de puissance publique, qui se caractérise notamment par le recours aux dispositions de l’article L. 450-3 du code de commerce, relève de la « matière administrative » au sens des dispositions de l’article 1er du règlement « Rome II ». Cette règle matérielle de droit public, du fait de sa nature même, ne relève ainsi pas de la « matière civile et commerciale » au sens des dispositions de l’article 1er du règlement « Rome II ». De même, l’application de cette règle matérielle de droit public, qui est l’expression du pouvoir souverain du législateur français, n’est pas susceptible de donner naissance à un conflit de lois, et n’est donc pas soumise à l’application d’une règle de conflit.

31. Cependant, l’application des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce aux clauses contractuelles litigieuses est subordonnée à la preuve de l’existence d’un lien de rattachement territorial pertinent avec le territoire français.

c) Le champ d’application territorial des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce

32. Les clauses contractuelles citées au point 25 (à savoir le choix de la loi applicable au contrat et la clause de compétence juridictionnelle) ne font pas obstacle à ce que les autorités françaises, agissant dans le cadre des dispositions de l’article L. 470-1 du code de commerce et constatant des infractions ou des manquements aux obligations prévues au titre IV du livre IV du même code, ou des clauses contraires aux dispositions du règlement PtoB, puissent appréhender, 
en vue de les sanctionner, certaines stipulations contractuelles au regard des dispositions de l’article L. 442-1 du code de commerce, sur le fondement du I ou du III de cet article. Cette appréhension ne peut toutefois être effectuée qu’à la condition qu’il existe un lien de rattachement territorial pertinent avec le territoire français, faute de quoi l’action de l’administration serait dépourvue de base légale. Les parties s’accordent pour affirmer que la démonstration d’un lien de rattachement avec le territoire français est en tout état de cause nécessaire, quel que soit le raisonnement retenu, et y compris dans l’hypothèse où le 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce serait qualifié de « loi de police ».

33. En l’espèce, il résulte de l’instruction que l’activité de place de marché d’ASE est organisée dans le cadre d’une segmentation par pays, et qu’en l’espèce, le site « amazon.fr »s’adresse à une clientèle française. Les relations contractuelles nouées entre la société ASE et les vendeurs tiers actifs sur le site « amazon.fr » ont ainsi pour objet de permettre aux vendeurs tiers de s’adresser à cette clientèle française, la finalité des transactions étant de livrer des biens à desclients résidant sur le territoire français. S’il est exact que, comme le soutient la société ASE, ces relations contractuelles sont, dans le cas des vendeurs tiers établis hors de France, nouées entre deux opérateurs économiques établis hors du territoire français, cette circonstance n’est pas de nature à affecter l’existence du lien de rattachement pertinent avec le territoire français que constitue l’architecture globale de la relation économique nouée entre la société ASE et les vendeurs tiers, qui ne trouve sa raison d’être que dans le cadre de la destination territoriale des produits proposés sur le site internet, à savoir, en l’espèce, la France, sans qu’ait à cet égard d’incidence la circonstance selon laquelle 90 % des vendeurs tiers seraient établis hors de France. Le lieu de livraison des produits acquis par les clients sur le site « amazon.fr » et, plus largement, l’organisation économique bâtie autour du site « amazon.fr » et visant, dans son ensemble, à desservir une clientèle exclusivement française, sont par suite de nature à établir l’existence d’un lien de rattachement suffisant avec le territoire français dans les frontières duquel le ministre de l’économie peut mettre en œuvre les prérogatives de puissance publique évoquées au point 30. Il sera également relevé que, contrairement à ce que soutient la société ASE, plusieurs stipulations contractuelles la liant aux vendeurs tiers affectent directement le niveau de service proposé aux consommateurs français, et que ces derniers ne sauraient par suite être regardés comme totalement étrangers à cette relation contractuelle. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la société ASE, l’administration n’a pas, en l’espèce, méconnu le champ d’application territorial des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce.

5) Moyen, soulevé d’office par le tribunal, tiré de la méconnaissance du champ d’application territorial du règlement PtoB

34. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut dans les visas du présent jugement, le tribunal a, par un courrier en date du 23 décembre 2024, informé les parties, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu’il était susceptible de soulever d’office le moyen tiré de la méconnaissance, par l’administration, du champ d’application territorial du règlement PtoB.

35. Dans ce courrier, il était indiqué que le règlement PtoB est susceptible de s’appliquer aux relations contractuelles nouées par la société ASE avec les vendeurs tiers, à la double condition toutefois que ces derniers soient établis dans l’Union européenne et qu’ils proposent leurs biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union européenne. Il était également indiqué qu’en ce qui concerne les relations contractuelles nouées par la société ASE avec les entreprises utilisatrices du service d’intermédiation en ligne établies hors de l’Union européenne, l’administration ne pouvait se fonder sur les dispositions du règlement PtoB, les deux critères mentionnés plus haut étant cumulatifs.

36. Aux termes du considérant 9 du règlement PtoB : « Les services d’intermédiation en ligne et les moteurs de recherche ayant une dimension mondiale, le présent règlement devrait s’appliquer aux fournisseurs de tels services, qu’ils soient établis dans un État membre ou en dehors de l’Union, pour autant que deux conditions cumulatives soient remplies. La première est que les entreprises utilisatrices ou les utilisateurs de sites internet d’entreprise devraient être établis dans l’Union. La seconde est que les entreprises utilisatrices ou les utilisateurs de sites internet d’entreprise devraient proposer, grâce à la fourniture de ces services, leurs biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union au moins pour une partie de la transaction.Afin de déterminer si des entreprises utilisatrices ou des utilisateurs de sites internet d’entreprise proposent des biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union, il est nécessaire de déterminer s’il est patent que les entreprises utilisatrices ou les utilisateurs de sites internet d’entreprise orientent leurs activités vers des consommateurs situés dans un ou plusieurs États membres. Ce critère devrait être interprété en conformité avec la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne relative à l’article 17, paragraphe 1, point c), du règlement (CE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil (3) et à l’article 6, paragraphe 1, point b), du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil (4). Ces consommateurs devraient être situés dans l’Union, mais ne doivent pas nécessairement avoir leur résidence dans l’Union ni posséder la nationalité d’un État membre. Le présent règlement ne devrait de ce fait pas s’appliquer lorsque les entreprises utilisatrices ou les utilisateurs de sites internet d’entreprise ne sont pas établis dans l’Union ou lorsqu’ils sont établis dans l’Union mais qu’ils ont recours à des services d’intermédiation en ligne ou à des moteurs de recherche en ligne afin de proposer des biens ou services exclusivement à des consommateurs situés en dehors de l’Union ou à des personnes qui ne sont pas des consommateurs. De plus, le présent règlement devrait s’appliquer quelle que soit par ailleurs la loi applicable à un contrat ».

37. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 1er du même règlement : « Le présent règlement s’applique aux services d’intermédiation en ligne et aux moteurs de recherche en ligne fournis, ou proposés à la fourniture, aux entreprises utilisatrices et aux utilisateurs de sites internet d’entreprise dont le lieu d’établissement ou de résidence se situe dans l’Union et qui, au travers de ces services d’intermédiation en ligne ou de ces moteurs de recherche en ligne, proposent des biens ou services à des consommateurs situés dans l’Union, quel que soit le lieu d’établissement ou de résidence des fournisseurs de ces services et quel que soit par ailleurs le droit applicable ».

38. Il ressort des dispositions précitées que l’application du règlement PtoB est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives, la première étant que les entreprises utilisatrices du service d’intermédiation en ligne (en l’espèce, le site internet « amazon.fr ») soient établies dans l’Union européenne, et la seconde étant que ces entreprises proposent des biens ou des services, par le biais du service d’intermédiation en ligne, à des consommateurs situés dans l’Union européenne. Il appartient à l’administration d’établir, en particulier lorsqu’elle agit dans le cadre d’un pouvoir de police administrative, que la situation à laquelle la mesure de police a pour objet de remédier entre dans le champ d’application territorial des dispositions législatives ou réglementaires mises en œuvre.

39. En ce qui concerne la première condition, tenant à ce que les entreprises utilisatrices du service d’intermédiation en ligne soient établies dans l’Union européenne, il résulte de l’instruction que l’administration n’a pas, dans le cadre des opérations d’enquête auxquelles elle s’est livrée, cherché à déterminer la proportion, parmi les vendeurs tiers actifs sur le site internet « amazon.fr », de ceux qui sont établis dans l’Union européenne. En particulier, il résulte de l’instruction qu’alors que de nombreux échanges ont eu lieu au cours de la procédure entre la société ASE et l’administration, cette dernière n’a pas formulé de questions concernant les pays d’établissement des vendeurs tiers actifs sur le site internet « amazon.fr », et ce alors que, dans le cadre des pouvoirs d’enquête prévus par les dispositions de l’article L. 450-3 du code de commerce, l’administration peut demander la production de tous les éléments utiles à ses investigations.

40. La société ASE soutient, sans être utilement contredite à cet égard, que la proportion de vendeurs tiers établis à l’étranger parmi les vendeurs tiers actifs sur le site internet « amazon.fr » est de l’ordre de 90 %. Il résulte également de l’instruction que, selon une étude Xerfi datant du mois de juillet 2020, dont la synthèse est produite au dossier, le site internet « amazon.fr » comptait, en 2019, 211 859 vendeurs tiers actifs, dont 10 000 domiciliés en France, soit un taux de 5 %. Le procès-verbal de constats retient, quant à lui, en page 33, le chiffre de 233 978 vendeurs tiers. En outre, le résumé de la décision de l’autorité allemande de concurrence (Bundeskartellamt), B2 - 88/18, en date du 17 juillet 2019, mentionnée en page 54 de la requête introductive d’instance de la société ASE, fait état de ce qu’une proportion non négligeable, de l’ordre de 25 %, des vendeurs tiers actifs sur le site « amazon.de », c’est-à-dire le site à destination de la clientèle allemande, sont établis hors de l’Union européenne.

41. Ces données convergent avec celles qui sont publiquement disponibles et qui fontétat, parmi les vendeurs tiers étrangers actifs sur le site « amazon.fr », d’une proportion substantielle, de l’ordre de 45 %, de vendeurs tiers établis en dehors de l’Union européenne, et en particulier en République populaire de Chine.

42. L’administration, qui se borne à contester l’exactitude des taux avancés par la société ASE sans apporter d’élément précis à l’appui de sa position, n’établit pas, ainsi qu’il lui incombe, qu’elle était en mesure d’appréhender, sur le fondement des dispositions du règlement PtoB, les relations contractuelles entre la société ASE et l’ensemble des vendeurs tiers actifs sur la place de marché « amazon.fr ».

43. En revanche, la seconde condition énoncée au paragraphe 2 de l’article 1er du règlement est remplie en l’espèce, dès lors qu’il est constant que le site internet « amazon.fr »s’adresse essentiellement, voire exclusivement à une clientèle française.

44. Il résulte de ce qui précède que, dès lors que l’administration n’établit pas que les deux conditions cumulatives énoncées au paragraphe 2 de l’article 1er du règlement étaient remplies en l’espèce, et qu’il résulte de l’instruction qu’un taux non négligeable des vendeurs tiers actifs sur le site « amazon.fr » sont établis hors de l’Union européenne, la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle s’applique aux vendeurs tiers établis hors de l’Union européenne :

- au titre des griefs formulés concurremment sur le terrain du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce d’une part, et du règlement PtoB d’autre part :

- et au titre du grief formulé sur le seul terrain du règlement PtoB (clause relative à la médiation).

6) Moyen tiré de l’erreur de droit tenant à l’application cumulative, par l’administration, des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce et du règlement PtoB

45. Aux termes de l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis. / Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre (...) ».

46. Les dispositions du règlement PtoB sont, conformément à son article 19, entrées en vigueur le 12 juillet 2020. Aux termes du considérant 8 de ce règlement : « (…) le présent règlement ne devrait pas porter atteinte au droit civil national, en particulier au droit des contrats, notamment aux règles relatives à la validité, à la formation, aux effets ou à la résiliation d’un contrat, dans la mesure où les règles nationales de droit civil sont conformes au droit de l’Union et où les aspects pertinents ne sont pas régis par le présent règlement. Les États membres devraient conserver toute latitude pour appliquer les lois nationales qui interdisent ou sanctionnent les comportements unilatéraux ou les pratiques commerciales déloyales dans la mesure où les aspects pertinents ne sont pas couverts par le présent règlement ».

47. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 1er (« Objet et champ d’application ») du même règlement : « Le présent règlement est sans préjudice des règles nationales qui, conformément au droit de l’Union, interdisent ou sanctionnent les comportements unilatéraux ou les pratiques commerciales déloyales, dans la mesure où les aspects pertinents ne sont pas régis par le présent règlement. Le présent règlement ne porte pas atteinte au droit civil national, en particulier au droit des contrats, tel que les règles relatives à la validité, à la formation, aux effets ou à la résiliation d’un contrat, dans la mesure où les règles du droit civil national sont conformes au droit de l’Union et où les aspects pertinents ne sont pas régis par le présent règlement. »

48. La société ASE fait grief à l’administration d’avoir appliqué de manière cumulative à une partie des stipulations contractuelles visées par trois des griefs énoncés dans la décision attaquée, d’une part les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce et, d’autre part, les dispositions du règlement PtoB. Elle soutient qu’en application du principe de primauté du droit de l’Union, seules les dispositions du règlement pouvaient être appliquées, dès lors que, d’une part, les stipulations contractuelles en cause relevaient du champ d’application de ce règlement et que, d’autre part, le règlement PtoB énonce lui-même expressément qu’il a vocation à régir seul les aspects pertinents couverts par ses dispositions.

49. En l’espèce, il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal de constats en date du 26 avril 2021, qu’en ce qui concerne les clauses contractuelles figurant aux articles 3,12, 15 et 17 du contrat ASE, l’administration a relevé que ces clauses contrevenaient à la fois aux dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce et au règlement PtoB. Les mêmes griefs, en l’espèce au nombre de trois, ont ainsi été articulés par l’administration tant sur le fondement du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, sous l’angle du déséquilibre significatif, que sur le fondement du règlement PtoB, sous l’angle de la méconnaissance de différentes dispositions de ce dernier.

50. Il résulte des dispositions du considérant 8 et de l’article 1er du règlement PtoB que, contrairement à ce que soutient la société ASE, l’application cumulative, d’une part, de textes de droit interne portant sur des pratiques restrictives de concurrence, comme les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, et, d’autre part, du règlement PtoB, n’est pas prohibée par principe. En effet, il ressort des termes mêmes du paragraphe 4 de l’article 1er du règlement que ses dispositions peuvent être appliquées concomitamment aux textes de droit interne qui « interdisent ou sanctionnent les comportements unilatéraux ou les pratiques commerciales déloyales », sous une première réserve tenant à ce que ces textes de droit interne soient eux-mêmes conformes au droit de l’Union. La prohibition des pratiques restrictives de concurrence, énoncée par les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, appartient à cette catégorie de textes de droit interne.

51. En outre, et ainsi qu’il sera exposé ci-après dans la partie relative à l’examen du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, l’application de ces dispositions, qui proscrivent les clauses contractuelles constitutives d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, suppose la mise en œuvre d’un raisonnement en plusieurs temps. L’identification préalable d’une éventuelle soumission ou tentative de soumission du co-contractant par l’entreprise mise en cause doit tout d’abord être établie. Dans le temps suivant du raisonnement, il y a lieu de se livrer non seulement à une analyse des différentes clauses contractuelles, au regard notamment de leur teneur, et du contexte économique dans lequel elles s’inscrivent, mais également de porter une appréciation sur l’équilibre global du contrat. À ce titre, la grille d’analyse mise en œuvre au titre de l’application du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce suppose qu’au-delà d’une analyse article par article du contrat litigieux, une approche globale soit également déployée, afin de pouvoir apprécier l’équilibre du contrat pris dans son ensemble.

52. Ainsi, l’analyse visant à identifier un éventuel déséquilibre significatif, si elle s’appuie sur l’examen des différentes clauses du contrat, a pour objet de déterminer si, en définitive, l’ensemble des clauses contractuelles aboutit à créer une situation de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties.

53. En revanche, l’examen de la conformité de clauses contractuelles au règlement PtoB suppose uniquement de mener une analyse clause par clause, cet examen aboutissant, selon les cas, à un constat de conformité ou de non-conformité, sans qu’il n’y ait lieu de déployer un second niveau d’analyse visant à apprécier la portée des droits et obligations respectifs des parties au niveau du contrat pris dans son ensemble.

54. Par ailleurs, si l’article 1er du règlement énonce une seconde réserve mise à l’application du droit interne à une clause contractuelle donnée, tenant à ce que son contenu ne relève pas d’un sujet déjà régi par le règlement, ce à quoi renvoie la notion d’« aspects pertinents », cette réserve ne conduit pas, pour autant, à évincer mécaniquement l’application du droit interne dès lors qu’un sujet donné est abordé dans un article du règlement. En effet, dès lors que la mise en œuvre des différentes dispositions du règlement n’implique pas, comme il vient d’être dit, de déployer la même grille d’analyse que celle requise dans le cadre de la recherche d’un éventuel déséquilibre significatif, la constatation de la conformité d’une clause contractuelle donnée aux obligations énoncées par le règlement PtoB n’est pas exclusive de la constatation parallèle d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties relativement à cette même clause. En d’autres termes, si l’analyse d’une clause contractuelle donnée au regard du règlement PtoB aboutit à déterminer si cette clause est conforme au règlement ou si elle ne l’est pas, l’analyse au titre du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce a une portée différente et ne recoupe pas celle menée au titre de l’examen de la conformité des clauses au règlement PtoB. La référence aux « aspects pertinents » régis par le règlement PtoB a ainsi pour seul objet de rappeler le principe selon lequel le droit de l’Union européenne prime le droit national, qui ne saurait le méconnaître, mais n’exclut en aucun cas le déploiement de ce droit au titre de ces mêmes « aspects pertinents » qu’il viendrait compléter par des exigences non explicitement prohibées par ledit règlement.

55. Ainsi, sauf cas particulier, le texte de droit interne dont l’objet est la prohibition de clauses contractuelles manifestement déséquilibrées s’applique concurremment et concomitamment aux dispositions du règlement PtoB, sans qu’y fasse obstacle la circonstance selon laquelle le thème de la clause litigieuse serait également abordé dans une disposition du règlement dès lors, notamment, ainsi que le prévoit expressément ce règlement, que les États membres conservent « toute latitude » pour appliquer les lois nationales qui interdisent ou sanctionnent les comportements unilatéraux ou les pratiques commerciales déloyales.

7) Moyen tiré des erreurs d’appréciation dont serait entachée la décision attaquée concernant la conformité des clauses contractuelles litigieuses au 2° du I del’article L. 442-1 du code de commerce, au règlement PtoB, ou à ces dispositions appliquées concomitamment

56. À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, pour fonder la décision attaquée, l’administration s’est, à plusieurs reprises, fondée sur les énonciations du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019. Dans ce jugement, le tribunal a examiné les clauses contractuelles dans leur version en vigueur à la date de la première enquête menée par la DGCCRF, soit en 2015 et 2016. Or, de nombreuses stipulations du contrat ASE ont été modifiées, soit en exécution de ce jugement, soit pour d’autres motifs, dans l’intervalle de temps séparant la procédure suivie devant le tribunal de commerce et la seconde enquête diligentée en 2020 par la DGCCRF et ayant abouti à la décision attaquée. Il en résulte qu’ainsi qu’il sera exposé ci-après, plusieurs citations du jugement du tribunal de commerce figurant dans le procès-verbal de constats auquel se réfère la décision attaquée renvoient à des clauses contractuelles qui, soit ont été modifiées, soit n’existent plus en tant que telles dans la version du contrat faisant l’objet du présent litige.

A) Méthode d’examen pour l’application des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce

a) Les critères d’analyse

57. Les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce prohibent la pratique restrictive de concurrence consistant à soumettre, ou à tenter de soumettre, un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Pour que la mise en œuvre d’une telle pratique soit établie, doit être constatée la réunion des deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence que sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l’existence d’obligations contractuelles créant un déséquilibre significatif.

58. Le recours à un contrat d’adhésion, dans le cadre duquel les clauses contractuelles n’ont donné lieu à aucune négociation effective, constitue un indice qui, associé à d’autres éléments, peut permettre de considérer comme remplie la condition de soumission, ou de tentative de soumission. La soumission peut également être constatée en se fondant sur des éléments tels que l’existence d’un rapport de force économiquement déséquilibré entre les parties, ou la puissance de négociation particulière de l’une des sociétés contractantes. L’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment, quant à elle, se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion marquée entre les obligations respectives des parties. Il convient d’apprécier les clauses contractuelles litigieuses dans leur contexte, au regard de l’économie globale du contrat,et in concreto. La preuve d’un éventuel rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à la société mise en cause, sans que l’on puisse considérer qu’il y ait, pour autant, inversion de la charge de la preuve. Enfin, les effets des pratiques litigieuses n’ont ni à être pris en compte, ni même déterminés.

59. En l’espèce, l’administration, se fondant largement sur les énonciations contenues dans le jugement du tribunal de commerce du 2 septembre 2019, a retenu comme éléments constitutifs de la soumission, aux pages 32 et suivantes du procès-verbal de constats, en premier lieu l’absence de négociation du contrat conclu entre la société ASE et les vendeurs tiers, en deuxième lieu la puissance de marché de la société ASE comparativement aux autres places de marché, et, en troisième lieu, la dimension irremplaçable de la société ASE en tant que plateforme d’intermédiation.

b) La soumission ou tentative de soumission

60. La soumission dépend notamment du pouvoir de négociation respectif des parties, tel qu’appréhendé par le juge au regard de l’analyse du contrat et du secteur économique dans lequel les parties évoluent. La soumission consiste à faire peser, ou à tenter de faire peser sur le co-contractant, grâce au déséquilibre entre les parties, la charge d’obligations injustifiées et non-réciproques. La soumission peut être regardée comme établie s’il est démontré, entre autres éléments, qu’aucune négociation effective des clauses contractuelles n’est possible. En l’espèce, il est constant que le contrat ASE est un contrat d’adhésion, dès lors qu’il est proposé tel quel aux vendeurs tiers, lesquels n’ont pas la possibilité d’en négocier les clauses. La souscription au contrat ASE est effectuée par les vendeurs tiers en ligne, sans pouvoir modifier les clauses ni émettre de réserve. Il résulte également de l’instruction que le recours à des contrats d’adhésion par les plateformes d’intermédiation en ligne est généralisé et systématique, le tribunal de commerce ayant d’ailleurs expressément relevé, en page 18 de son jugement du 2 septembre 2019, que cette situation n’est, en elle-même, pas contestable.

61. En effet, le recours au contrat d’adhésion est rendu nécessaire par le nombre de vendeurs tiers (233 978 vendeurs tiers actifs sur le site internet « amazon.fr »), par la large automatisation du fonctionnement de la place de marché que ce nombre considérable de vendeurs tiers implique, par la nécessité de garantir aux consommateurs des conditions de vente et des prestations identiques pour l’ensemble des produits vendus sur la place de marché, pourdes raisons de cohérence et de lisibilité de l’offre, ainsi que par la nécessité d’assurer une égalité de traitement à l’ensemble des vendeurs tiers. Toutefois, la circonstance que le recours à des contrats d’adhésion par les plateformes d’intermédiation en ligne soit généralisé et légitime n’est pas, en elle-même, de nature à faire obstacle à ce que le critère de soumission soit regardé comme établi, au titre de l’absence de négociation libre et effective des clauses contractuelles, et si cette soumission permet à la plateforme d’imposer au vendeur tiers des obligations injustifiées et non réciproques. En l’espèce, l’existence d’un contrat d’adhésion doit être regardée comme un premier indice de soumission.

62. En ce qui concerne le rapport de force entre les parties au contrat, il résulte de l’instruction que la société ASE opère la plus importante place de marché en ligne en France, avec, selon les données mentionnées dans le dossier, une audience de l’ordre de 33 millions de visiteurs uniques mensuels en 2019, un chiffre d’affaires annuel réalisé en France estimé à 4,6 milliards d’euros en 2019, et une notoriété et une image de marque sans équivalents. Aucune des places de marché concurrentes de la société ASE sur le marché français n’atteint les mêmes niveaux d’audience et de notoriété. Compte tenu de ces différents éléments, la société ASE est un opérateur dont il est difficile de se passer, pour un grand nombre de vendeurs tiers, auxquels la présence sur cette place de marché apporte une visibilité et un accès à la clientèle sans commune mesure avec ceux dont ils auraient joui autrement. À ce titre, le rapport de force entre la société ASE et les différents vendeurs tiers est structurellement déséquilibré, en faveur de la première.

63. Dans ces conditions, la condition de soumission doit en l’espèce être considérée comme remplie, du fait de l’effet conjugué du recours à un contrat d’adhésion d’une part, et de la puissance économique de la société ASE d’autre part. La première condition étant remplie, il y a lieu de déterminer, dans un second temps, si les clauses litigieuses du contrat ASE se caractérisent par un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

B) Analyse des clauses contractuelles litigieuses

64. La société ASE soutient que l’administration a entaché la décision attaquée d’erreurs d’appréciation dans son analyse de la conformité de différentes clauses au regard, d’une part, de l’article L. 442-1 du code de commerce et, d’autre part, du règlement PtoB.

a) L’article 15 du contrat ASE relatif aux modifications contractuelles

65. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 3 (« Conditions générales ») du règlement PtoB : « Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne notifient aux entreprises utilisatrices concernées, sur un support durable, tout changement proposé de leurs conditions générales. / Les changements proposés ne sont pas appliqués avant l’expiration d’un délai de préavis raisonnable et proportionné à la nature et à l’étendue des changements envisagés et à leurs conséquences pour l’entreprise utilisatrice concernée. Ce délai de préavis ne doit pas être inférieur à quinze jours à compter de la date à laquelle le fournisseur de services d’intermédiation en ligne notifie aux entreprises utilisatrices les changements proposés. Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne accordent un délai de préavis plus long lorsque celui-ci est nécessaire pour permettre aux entreprises utilisatrices d’effectuer les adaptations techniques ou commerciales nécessaires pour se conformer aux changements. (…) Pendant le délai de préavis, l’offre de nouveaux biens ou services aux services d’intermédiation en ligne est considérée comme un acte positif clair de renonciation au délai de préavis, sauf dans les cas où le délai de préavis raisonnable et proportionné est supérieur à quinze jours en raison des changements apportés aux conditions générales, qui imposent à l’entreprise utilisatrice d’apporter des modifications techniques importantes à ses biens ou services. En pareils cas, la renonciation au délai de préavis n’est pas considérée comme étant automatique lorsque l’entreprise utilisatrice offre de nouveaux biens et services ».

66. Aux termes du paragraphe 3 du même article : « Les conditions générales, ou certaines de leurs dispositions, qui ne sont pas conformes aux exigences du paragraphe 1, ainsi que les changements des conditions générales appliqués par un fournisseur de services d’intermédiation en ligne qui sont contraires aux dispositions du paragraphe 2 sont nuls et non avenus ».

67. Aux termes du paragraphe 4 du même article : « Le délai de préavis visé au paragraphe 2, deuxième alinéa, ne s’applique pas lorsqu’un fournisseur de services d’intermédiation en ligne :

a) est assujetti à une obligation légale ou réglementaire de changer ses conditions générales d’une manière qui ne lui permet pas de respecter le délai de préavis visé au paragraphe 2, deuxième alinéa ;

b) doit exceptionnellement changer ses conditions générales pour faire face à un danger imprévu et imminent afin de protéger les services d’intermédiation en ligne, les consommateurs ou d’autres entreprises utilisatrices contre la fraude, des logiciels malveillants, des spams, des violations de données ou d’autres risques en matière de cybersécurité ».

68. L’article 3 du règlement PtoB encadre les conditions générales que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne proposent aux entreprises utilisatrices. Les paragraphes 2 et 4 de cet article portent plus particulièrement sur l’encadrement des modalités selon lesquelles les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne peuvent apporter des modifications aux contrats les liant aux entreprises utilisatrices.

69. Aux termes des stipulations de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions, dans sa version mise à jour au 2 mars 2021 : « 15. Modification / Conformément à l’article 17, nous vous informerons au moins 15 jours à l’avance des modifications du Contrat. / Toutefois, nous pouvons modifier le Contrat à tout moment avec effet immédiat (a) pour des raisons légales, réglementaires, de prévention de fraudes et abus, ou de sécurité ; (b) pour modifier des fonctionnalités existantes ou ajouter des fonctionnalités supplémentaires aux Services (lorsque cela n'affecte pas négativement et matériellement votre utilisation des Services) ; (c) pour interdire les produits ou activités que nous jugeons dangereux, inappropriés ou insultants. Nous vous informerons de tout changement ou modification conformément à l'article 17 (…) ».

70. Aux termes du quatrième alinéa de l’article 17 du même contrat : « Amazon vous notifiera toute modification du présent Contrat en publiant les modifications sur Seller Central ou sur le site des Services Amazon concernés (telles que le site Developer accessible via votre compte), et en vous envoyant une notification par courrier électronique ou par tout autre moyen d’information individuel similaire (…) ».

71. Il résulte de l’instruction que l’administration a considéré que l’article 15 du contrat créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au motif que cet article permettrait à ASE de modifier le contrat « à tout moment avec effet immédiat » dans des situations définies de manière suffisamment large pour lui permettre d’agir de manière discrétionnaire et de déroger à l’obligation de respecter un délai de préavis avant d’apporter des modifications aux clauses contractuelles. L’administration en a conclu que l’article 15 du contrat ASE méconnaissait, à ce titre, les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce, et que l’article 15 était en outre contraire aux dispositions de l’article 3 du règlement PtoB.

i) Analyse au regard des dispositions du règlement PtoB

72. L’administration a fait grief à la société ASE d’avoir prévu, au b) et au c) de la clause 15 (« Modifications ») du contrat Amazon Services Europe Business Solutions, la possibilité d’apporter au contrat des modifications avec effet immédiat, alors que les cas de figure envisagés ne seraient pas au nombre de ceux pour lesquels le paragraphe 4 de l’article 3 du règlement permet de déroger à l’obligation de préavis.

73. En défense, la société ASE soutient que la nature même de l’activité d’une plateforme d’intermédiation en ligne requiert que soit effectué, en permanence, un travail de surveillance, de régulation et de coercition, dit de « police du site », afin de s’assurer que les activités et produits des vendeurs tiers soient conformes à la législation et ne portent pas préjudice aux consommateurs. La société ASE indique que ces risques sont extrêmement nombreux et variés et concernent notamment des contenus ou produits illicites ou inappropriés, des risques liés à la sécurité d’un bien ou d’un service, à la contrefaçon, à la fraude, aux logiciels malveillants, et au vol de données. Elle soutient que la prévention de ces risques peut nécessiter de modifier le contrat sans préavis, pour des raisons d’efficacité.

74. Il ressort effectivement des stipulations du c) de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions que la société ASE se réserve la possibilité de modifier le contrat sans préavis afin d’interdire les produits ou activités qu’elle considèrerait comme dangereux, inappropriés ou insultants. Si le paragraphe 4 de l’article 3 du règlement PtoB prévoit des exceptions au principe du préavis avant toute modification du contrat, cette dispense de préavis est toutefois subordonnée à la condition que le fournisseur de services d’intermédiation en ligne se trouve dans une des situations mentionnées au a) ou au b) du paragraphe 4 de l’article 3 du règlement.

75. Or, les stipulations du c) de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions ne font pas référence aux situations mentionnées au a) ou au b) du paragraphe 4 de l’article 3 du règlement PtoB et qui, en tant qu’exceptions à la règle, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. En particulier, il n’apparaît pas que cette clause correspondrait à la situation décrite au b) du paragraphe 4, laquelle renvoie à une situation de « danger imprévu et imminent ». Dès lors, l’administration établit que les stipulations du c) de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions sont, à ce titre, contraires aux dispositions du paragraphe 4 de l’article 3 du règlement PtoB.

76. Il ressort également des stipulations du b) de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions que la société ASE se réserve la possibilité de modifier le contrat sans préavis pour modifier des fonctionnalités existantes ou ajouter des fonctionnalités supplémentaires aux services, lorsque cela n’affecte pas négativement et matériellement l’utilisation des services par l’entreprise utilisatrice. À cet égard, il ressort du considérant 18 du règlement PtoB, qui décrit les conditions de transparence requises concernant les conditions générales et les éventuelles modifications apportées à ces dernières, que « les changements rédactionnels proposés ne devraient pas être couverts par le terme de « changement » dans la mesure où ils n’altèrent ni le contenu ni le sens des conditions générales ». Il s’en évince que ne constituent pas des « changements », au sens et pour l’application du règlement, des modifications apportées au contrat qui seraient dépourvues de tout impact concret sur le vendeur tiers. Comme le fait valoir la société ASE dans ses écritures en défense, il ressort des termes du b) de l’article 15 du contrat ASE que l’exception ménagée, dans ce cadre, à l’absence de préavis est limitée aux cas où les modifications ou les ajouts apportés aux fonctionnalités existantes des services d’ASE n’affectent pas négativement et matériellement le vendeur tiers. Par conséquent, les stipulations du b) de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions ne méconnaissent pas les dispositions du paragraphe 4 de l’article 3 du règlement PtoB.

ii) Analyse au regard des dispositions du 2° du II de l’article L. 442-1 du code de commerce

77. L’administration a également estimé, dans la décision attaquée, que l’imprécision des termes employés au c) de l’article 15 « Modifications » du contrat ASE, et permettant de justifier des modifications au contrat sans respecter de délai de préavis, créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, dans la mesure où cette imprécision permettrait à la société ASE de se livrer à une appréciation excessivement subjective de cette clause.

78. Eu égard aux termes très généraux dans lesquels elle est rédigée, cette clause permet à la société ASE d’exercer un pouvoir discrétionnaire lui permettant de déterminer, de manière arbitraire, les situations dans lesquelles elle s’estimerait en droit de déroger au principe du délai de préavis avant d’apporter des modifications au contrat. En effet, la société ASE s’arroge la possibilité d’interdire les produits ou activités qu’« [elle juge] dangereux, inappropriés ou insultants », sans définir précisément ces termes ni prévoir de procédure contradictoire. Au regard du caractère discrétionnaire de cette clause, l’administration établit l’existence, à ce titre, d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Il s’ensuit que les stipulations du c) de l’article 15 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions méconnaissent également les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce.

b) L’article 3 du contrat ASE relatif aux modalités de suspension et de résiliation du contrat

79. Aux termes du considérant 15 du règlement PtoB : « Pour garantir que les conditions générales d’une relation contractuelle permettent aux entreprises utilisatrices de déterminer les conditions commerciales régissant l’utilisation, la résiliation et la suspension des services d’intermédiation en ligne, et pour assurer la prévisibilité de leur relation commerciale, ces conditions générales devraient être formulées de façon claire et compréhensible. Les conditions générales qui comportent des passages vagues ou généraux ou qui sont insuffisamment détaillées sur des questions commerciales importantes, et n’assurent donc pas pour les entreprises utilisatrices un degré de prévisibilité raisonnable sur les aspects les plus importants de la relation contractuelle, ne devraient pas être considérées comme étant rédigées de façon claire et compréhensible. Par ailleurs, une formulation trompeuse ne devrait pas être considérée comme étant claire et compréhensible ».

80. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 3 du même règlement : « Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne veillent à ce que leurs conditions générales : (…) c) définissent les motifs des décisions de suspension, de résiliation ou d’imposition de toute autre restriction, en tout ou partie, de la fourniture de leurs services d’intermédiation en ligne à des entreprises utilisatrices (…) ».

81. Aux termes du considérant 23 du règlement : « (…) Les diverses exceptions prévues au délai de préavis de trente jours peuvent notamment s’appliquer en cas de contenu illicite ou inapproprié, de risques liés à la sécurité d’un bien ou d’un service, de contrefaçon, de fraude, de logiciels malveillants, de spams, de violation de données, d’autres risques en matière de cybersécurité ou de bien ou service non adapté aux mineurs (…) ».

82. Aux termes de l’article 4 du règlement : « Restriction, suspension et résiliation :

1. Lorsqu’un fournisseur de services d’intermédiation en ligne décide de restreindre ou de suspendre la fourniture de ses services d’intermédiation en ligne à une entreprise utilisatrice donnée en relation avec des biens ou services proposés par cette entreprise utilisatrice, il transmet à cette dernière l’exposé des motifs de cette décision sur un support durable avant que la restriction ou la suspension ne prenne effet ou au moment où elle prend effet.

2. Lorsqu’un fournisseur de services d’intermédiation en ligne décide de résilier la fourniture de la totalité de ses services d’intermédiation en ligne à une entreprise utilisatrice donnée, il transmet à cette dernière l’exposé des motifs de cette décision sur un support durable au moins trente jours avant que la résiliation ne prenne effet.

3. En cas de restriction, de suspension ou de résiliation, le fournisseur de services d’intermédiation en ligne donne à l’entreprise utilisatrice la possibilité de clarifier les faits et les circonstances dans le cadre du processus interne de traitement des plaintes visé à l’article 11. Lorsque le fournisseur de services d’intermédiation en ligne révoque la restriction, la suspension ou la résiliation, il réintègre l’entreprise utilisatrice sans retard indu, y compris en lui rendant l’accès aux données à caractère personnel et/ou aux autres données qui découlait de l’utilisation des services d’intermédiation en ligne en question par cette entreprise avant que la restriction, la suspension ou la résiliation ne prenne effet.

4. Le délai de préavis visé au paragraphe 2 ne s’applique pas lorsqu’un fournisseur de services d’intermédiation en ligne :

a) est assujetti à une obligation légale ou réglementaire de résilier la fourniture de la totalité de ses services d’intermédiation en ligne à une entreprise utilisatrice donnée d’une manière qui ne lui permet pas de respecter ce délai de préavis ; ou

b) exerce un droit de résiliation pour une raison impérative prévue par le droit national en conformité avec le droit de l’Union ;

c) peut apporter la preuve que l’entreprise utilisatrice concernée a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales applicables, ce qui a entraîné la résiliation de la fourniture de la totalité des services d’intermédiation en ligne en question. /Dans les cas où le délai de préavis visé au paragraphe 2 ne s’applique pas, le fournisseur de services d’intermédiation en ligne transmet à l’entreprise utilisatrice concernée, sans retard indu, l’exposé des motifs de cette décision sur un support durable.

5. L’exposé des motifs visé aux paragraphes 1 et 2 et au paragraphe 4, deuxième alinéa, contient une référence aux faits ou aux circonstances spécifiques, y compris le contenu des signalements émanant de tiers, qui ont conduit à la décision du fournisseur de services d’intermédiation en ligne, ainsi qu’une référence aux motifs applicables à cette décision visés à l’article 3, paragraphe 1, point c).

Un fournisseur de services d’intermédiation en ligne n’est pas tenu de fournir d’exposé des motifs lorsqu’il est assujetti à une obligation légale ou réglementaire de ne pas fournir les faits ou les circonstances spécifiques ou la référence au motif ou aux motifs applicables ou lorsqu’il peut apporter la preuve que l’entreprise utilisatrice concernée a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales applicables, ce qui a entraîné la résiliation de la fourniture de la totalité des services d’intermédiation en ligne en question ».

83. Il ressort notamment de ces dispositions que l’article 4 du règlement a pour objet de définir le cadre procédural des mesures de suspension et de résiliation des comptes des entreprises utilisatrices. Il énonce, en particulier, au paragraphe 2 de l’article 4, une obligation, pour le fournisseur de services d’intermédiation en ligne, de motiver la décision de suspension ou de résiliation, afin de prévenir tout risque d’arbitraire. Le paragraphe 5 de l’article 4 renvoie au c) du 1) de l’article 3 pour ce qui concerne la mention, dans les conditions générales, des motifs prédéfinis de suspension ou de résiliation du contrat, de manière à ce que les entreprises utilisatrices sachent, par avance, quels sont les motifs susceptibles de conduire à une suspension ou à une résiliation du contrat. Cette double exigence de motivation et d’intelligibilité permet également d’objectiver les termes du débat et, le cas échéant, d’un éventuel échange contradictoire ultérieur entre le fournisseur de services d’intermédiation en ligne et l’entreprise utilisatrice.

84. Aux termes des stipulations de l’article 3 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions, dans sa version mise à jour au 2 mars 2021 : « Le présent Contrat débute à la date à laquelle vous compléterez votre inscription vous permettant d’utiliser un Service et se poursuivra jusqu'à ce que l’une des parties y mette un terme, dans les conditions prévues ci dessous. Vous pouvez à tout moment mettre fin à votre utilisation de tout Service ou mettre fin à ce Contrat, immédiatement après nous en avoir averti par le biais de Seller Central, par courrier électronique, par le biais du formulaire Contactez-nous ou par tout autre moyen similaire. Nous pouvons mettre fin à votre utilisation des Services sous réserve d’un préavis de 30 jours. Nous pouvons suspendre ou mettre un terme à votre utilisation de tout Service ou mettre un terme au présent Contrat, immédiatement si nous déterminons que :

(a) vous avez gravement enfreint le Contrat et n’avez pas remédié au problème dans les 7 jours suivant une notification pour correction, à moins que votre violation ne nous expose à une responsabilité envers un tiers auquel cas, nous serons en droit de réduire ou de renoncer à la période corrective susmentionnée à notre discrétion dans une mesure raisonnable ;

(b) votre compte a été utilisé ou notre système de contrôle identifie qu’il pourrait être utilisé pour une activité trompeuse, frauduleuse ou illégale ; ou

(c) votre utilisation des Services a porté préjudice ou notre système de contrôle identifie qu’il pourrait porter préjudice à d’autres vendeurs, des clients ou aux intérêts légitimes d’Amazon.

Nous vous informerons de toute résiliation ou suspension de ce type par e-mail, ou tout autre moyen d’information individuel similaire, et via Seller Central, en indiquant le motif et les possibilités de recours contre cette décision, sauf si nous avons des raisons de croire que vous fournir ces informations entraverait l'enquête ou la prévention d'activités trompeuses, frauduleuses ou illégales, ou vous permettrait de contourner nos mesures de protection. Toute suspension perdurera jusqu'à ce que vous fournissiez une preuve satisfaisante que vous avez remédié à sa cause et mis en œuvre les changements nécessaires, sauf dans le cas d'une suspension fondée sur les points (b) ou (c), pour lesquels nous résilions, ou ne pouvons pas rétablir votre compte au vu de l’activité ou le préjudice initialement trompeur, frauduleux ou illégal. En cas de résiliation, tous les droits et obligations liés au présent Contrat sont immédiatement résiliés, sauf que (d) vous continuerez d’être responsable de l'exécution de toutes vos obligations nées de transactions conclues avant la résiliation et de tous les passifs accumulés avant ou par suite de la résiliation et (e) les articles 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 15 et 17 des présentes Conditions générales continuent à s’appliquer ».

85. Aux termes des stipulations de l’article 17 du même contrat : « Amazon se réserve le droit d’interrompre immédiatement toute transaction, d'empêcher ou de restreindre l'accès aux Services ou de prendre toute mesure pour interdire l’accès à ou la mise à disposition d’offres de produits inexactes, de produits classés de façon inappropriée dans la mauvaise catégorie, de produits non conformes aux Lois ou de tout produit interdit par les Politiques de Programme applicables ».

86. Il résulte de l’instruction que l’administration a considéré que les stipulations précitées des articles 3 et 17 du contrat ASE étaient contraires aux dispositions de l’article 4 du règlement PtoB, en ce qu’elles ne prévoient pas de motifs pouvant justifier la résiliation dans le cadre d’un préavis de trente jours, ne mentionnent que les motifs relatifs à une résiliation sans préavis du contrat, prévoient des motifs très largement définis de suspension ou résiliation sans préavis, et ne prévoient pas de durée proportionnelle aux éventuels manquements pour justifier une résiliation du contrat avec un préavis. L’administration a également considéré que les stipulations précitées des articles 3 et 17 du contrat ASE créaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

i) Analyse au regard des dispositions du règlement PtoB

- L’absence de mention, dans le contrat, des motifs susceptibles d’être fournis au titre d’une résiliation effectuée dans le cadre du préavis de trente jours

87. Aux termes du préambule du contrat ASE : « La version du présent Contrat en anglais est la version définitive qui fait foi. Les traductions en allemand, en français, en italien, en espagnol en néerlandais en suédois, en polonais et en chinois sont disponibles par souci de commodité uniquement ». Aux termes du 3ème alinéa de l’article 17 du contrat : « Seule la version en langue anglaise du présent Contrat et des documents y afférents fait foi, les traductions n’ayant qu’une valeur indicative. Dans le cas d’un quelconque litige ou d’une divergence d’interprétation entre la version anglaise du présent Contrat ou les documents y afférents et sa traduction, seule la version et l'interprétation en langue anglaise fera foi ».

88. Aux termes de la clause 3 du contrat ASE du 2 mars 2021, dans sa version anglaise : « We may terminate your use of any Services or terminate this Agreement for convenience with 30 days’ advance notice ».

89. Il ressort de ces stipulations que la version anglaise du contrat, qui est celle faisant foi, permet à la société ASE de résilier le contrat de manière discrétionnaire, ce qui ressort de l’expression « for convenience ». L’administration a estimé que cette dimension discrétionnaire méconnaissait les dispositions des articles 3 et 4 du règlement PtoB, notamment en ce que les motifs de résiliation, lorsque la résiliation est effectuée dans le cadre de la résiliation avec préavis de trente jours, ne seraient pas préalablement définis dans le contrat ou dans les conditions générales.

90. Dans ses écritures en défense, la société ASE, si elle admet ce caractère discrétionnaire, soutient qu’il ne serait pas en lui-même prohibé par le règlement PtoB. Elle considère qu’il lui est loisible de résilier le contrat pour tout motif qui lui paraît invocable, à condition toutefois, d’une part, que ce motif soit indiqué au vendeur tiers et, d’autre part, que le délai de préavis soit respecté.

91. Il ressort des dispositions des articles 3 et 4 du règlement PtoB que la résiliation du contrat est soumise à une exigence de motivation, permettant au vendeur tiers de connaître les raisons pour lesquelles il est procédé à cette résiliation. Le motif retenu doit faire partie d’un ensemble prédéterminé de motifs de résiliation. Cette exigence ressort en particulier du c) du paragraphe 1 de l’article 3 du règlement, ainsi que des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 4 du règlement. Cet encadrement des modalités de résiliation vise à prévenir le recours, par la plateforme, à des décisions arbitraires privant le vendeur tiers de la possibilité de connaître le motif de résiliation et, le cas échéant, de le contester.

92. Il résulte de l’instruction que, comme l’a relevé l’administration, l’article 3 du contrat ASE, s’il stipule que les résiliations effectuées sans préavis sont motivées, ne prévoit en revanche pas expressément de motivation pour les résiliations effectuées avec préavis. Dès lors, l’administration établit que les stipulations litigieuses de l’article 3 du contrat Amazon Services Europe Business Solutions sont, à ce titre, contraires aux dispositions de l’article 4 du règlement PtoB.

- Les dérogations prévues à l’obligation de fournir un motif en cas de suspension ou 
de résiliation

93. Aux termes de l’article 3 du contrat ASE : « Nous vous informerons de toute résiliation ou suspension de ce type par e-mail, ou tout autre moyen d’information individuel similaire, et via Seller Central, en indiquant le motif et les possibilités de recours contre cette décision, sauf si nous avons des raisons de croire que vous fournir ces informations entraverait l'enquête ou la prévention d'activités trompeuses, frauduleuses ou illégales, ou vous permettrait de contourner nos mesures de protection ».

94. L’administration fait également grief à la société ASE de déroger de manière excessive, dans les stipulations citées au point précédent, à l’obligation de motiver une résiliation sans préavis, en prévoyant des exceptions dont le champ serait trop large.

95. Il ressort du considérant 22 et du deuxième alinéa du paragraphe 5 de l’article 4 du règlement PtoB que, dans certaines circonstances, la plateforme d’intermédiation en ligne est dispensée de fournir au vendeur tiers le motif de la résiliation du contrat. Ces cas de figure se rencontrent, notamment, lorsque la plateforme établit que le vendeur tiers a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales applicables.

96. Toutefois, les stipulations citées au point 93 ne correspondent pas à ce cas de figure, strictement défini, dès lors que l’article 4 du règlement PtoB ne permet de déroger à l’obligation de motivation que dans le cas où le vendeur tiers a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales applicables, hypothèse à laquelle ne correspondent pas les motifs énoncés à l’article 3 du contrat ASE relatifs aux « raisons de croire » que le vendeur tiers s’adonnerait à des « activités trompeuses, frauduleuses ou illégales ».

97. Par conséquent, l’administration établit que l’article 3 du contrat ASE méconnaît l’article 4 du règlement PtoB au titre de la faculté que se réserve la société ASE de déroger à l’obligation de motiver la suspension ou la résiliation du contrat.

- Les suspensions et résiliations sans préavis

98. L’administration a fait grief à la société ASE d’envisager, dans l’article 3 précité du contrat, des suspensions et résiliations sans préavis dans des cas de figure qui ne sont pas au nombre de ceux que le règlement PtoB énumère comme pouvant justifier de déroger à l’obligation de préavis. L’administration a considéré que les cas de figure énoncés aux a), b) et c) de l’article 3 du contrat ASE couvrent un spectre de situations excessivement large au regard de ce qui est permis.

99. Il ressort de la comparaison des hypothèses envisagées par l’article 3 du contrat d’une part, et de celles énumérées aux a), b) et c) du paragraphe 4 de l’article 4 du règlementPtoB d’autre part, que ces deux ensembles ne se recoupent pas et que les hypothèses envisagées par la société ASE ne sont pas au nombre de celles qui sont mentionnées dans le règlement. Ainsi, la violation grave du contrat à laquelle se réfère le a) de l’article 3 du contrat n’entre dans aucun des cas de figure envisagés au paragraphe 4 de l’article 4 du règlement, et, en particulier, ne correspond pas au cas de figure du c) du paragraphe 4 de l’article 4 du règlement, qui ne fait référence qu’au cas où le fournisseur de services d’intermédiation en ligne peut prouver que l’entreprise utilisatrice a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales. Dans ces conditions, l’administration établit que l’article 3 du contrat ASE méconnaît le paragraphe 4 de l’article 4 du règlement au titre de la définition excessivement large, au regard de ce que permet le règlement, des cas de figure dans lesquels il est dérogé à l’obligation de préavis avant toute suspension ou résiliation de compte.

ii) Analyse au regard des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce

100. Il résulte de l’ensemble de ce qui a été dit aux points 79 à 99 que les différentes clauses de l’article 3 du contrat ASE confèrent à la société ASE des possibilités extrêmement larges, et sur une base discrétionnaire, de procéder à la suspension ou à la résiliation des contrats qui la lient aux vendeurs tiers. Pour l’ensemble des motifs qui ont été développés au titre de l’analyse de la conformité aux dispositions du règlement PtoB, ces clauses créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. C’est donc à bon droit que l’administration a considéré qu’elles méconnaissaient les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce.

c) L’article S-5 du contrat ASE relatif aux conditions de maîtrise du site

101. Aux termes de l’article S-5 du contrat ASE : « Les Sites Amazon et les Services. Amazon a le droit de déterminer la conception, le contenu, les fonctionnalités, la disponibilité et 
la pertinence des Sites Amazon, l’assortiment, les produits ou les offres de produits disponibles sur les Sites Amazon, et tous les aspects de chaque Service, y compris votre utilisation de ceux-ci. Amazon peut céder l’un quelconque de ces droits ou déléguer l’une de ses responsabilités ». Aux termes de l’article 17 du contrat : « (…) Amazon se réserve le droit d’interrompre immédiatement toute transaction, d'empêcher ou de restreindre l'accès aux Services ou de prendre toute mesure pour interdire l'accès à ou la mise à disposition d’offres de produits inexactes, de produits classés de façon inappropriée dans la mauvaise catégorie, de produits non conformes aux Lois ou de tout produit interdit par les Politiques de Programme applicables ». Dans la rubrique « Restrictions de catégories, de produits et de contenu » figurant dans les politiques de programmes, il est indiqué : « En outre, nous vous conseillons de consulter régulièrement les politiques d’Amazon : en effet, elles sont susceptibles d’être modifiées occasionnellement et nous pouvons restreindre ou interdire des produits qui sont autorisés par la loi », et que « Nous pouvons interdire la vente de certains types de produits à des vendeurs pour diverses raisons, notamment la conformité réglementaire ou la sécurité des produits, et en travaillant avec des marques pour garantir la meilleure expérience pour les clients. Amazon se réserve le droit, à son unique et entière discrétion, de juger du caractère approprié ou non d’une offre ». Enfin, dans la rubrique « Problèmes liés à la mise en vente de produits » figurant dans les politiques de programmes, il est indiqué que « nous pouvons supprimer des produits à la demande expresse d'artistes ou de fabricants ».

102. L’administration fait grief à la société ASE de se ménager, par l’effet conjugué de l’article S-5 relative à la maîtrise du site, de l’article 17 et des mentions précitées de la politique des programmes, la possibilité d’intervenir de manière discrétionnaire dans l’activité des vendeurs tiers. L’administration soutient également que la société ASE est susceptible de recourir à ces clauses de manière dévoyée, dans la mesure où certains produits proposés par les vendeurs tiers sont en concurrence directe avec ceux qui sont proposés par la société ASE. L’administration a ainsi considéré que ces clauses créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

103. La société ASE soutient quant à elle que ces clauses, qui se retrouvent sous une forme quasi-identique dans les contrats des autres plateformes d’intermédiation en ligne, ont notamment pour objet de protéger les consommateurs des risques pouvant résulter de la mise en vente de certains produits (contrefaçons, violation de propriété intellectuelle, produits dangereux, non conformes, etc.). La société ASE rappelle qu’elle est assujettie à l’obligation légale de retirer sans délai de la vente les contenus illicites dès qu’elle a connaissance de ce caractère illicite. Enfin, la société ASE fait également valoir que la procédure en question est strictement encadrée, et que ces mesures de retrait de produits sont susceptibles de faire l’objet de voies de recours internes de la part des vendeurs tiers, permettant ainsi à la société ASE, le cas échéant, de revenir sur sa décision.

104. En premier lieu, si l’administration cite, en page 19 du procès-verbal de constats, un extrait du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019, cet extrait porte sur l’ancien article S-6 du contrat ASE. L’ancien article S-6 mentionné dans ce jugement a depuis lors fait l’objet de modifications, et doit donc être distingué de l’article S-5 dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée. Toutefois, si la rédaction de cet article a été modifiée, sa teneur reste, en substance, identique.

105. En deuxième lieu, comme le fait valoir la société ASE, il est constant que pèsent sur les plateformes d’intermédiation en ligne des obligations légales concernant les produits et contenus illicites. À ce titre, ces obligations pesant sur les plateformes d’intermédiation expliquent la présence, dans les contrats qu’elles proposent aux vendeurs tiers ainsi que dans les conditions générales, de processus permettant à la plateforme d’intervenir afin d’empêcher la mise en vente de produits susceptibles d’engager leur responsabilité. En outre, il résulte de l’instruction que la société ASE a mis en place une procédure spécifique, détaillée dans la politique de programme « Restrictions de catégories, de produits et de contenus », et sur la page « Problèmes liés à la mise en vente de produits » permettant au vendeur tiers de contester, le cas échéant, une décision prise par la plateforme. À cet égard, il sera observé, s’agissant du retrait de produits pour méconnaissance des droits de propriété intellectuelle, d’une part, qu’un tel retrait n’est possible que sur demande expresse des artistes ou fabricants et, d’autre part, qu’un recours est possible auprès de la société ASE. Dans ces conditions, la clause de la politique de programme en cause n’emporte aucun déséquilibre significatif en faveur de la société ASE.

106. Toutefois, il ressort des mentions de la politique de programme intitulée « Restrictions de catégories, de produits et de contenu », citées au point 101, que la société ASE se réserve le droit d’interdire de la vente certains types de produits « pour diverses raisons » et de juger, de manière discrétionnaire, du « caractère approprié ou non d’une offre », sans définir cette notion ni mettre les vendeurs tiers en mesure de présenter leurs observations préalables. Dans ces conditions, si les stipulations combinées des articles S-5 et 17 du contrat ASE peuvent 

légalement permettre à la société ASE de déterminer la structure de son site et d’y empêcher la vente de produits non conformes, celles mentionnées de la politique de programme lui permettant d’interdire discrétionnairement la vente de certains produits créent un déséquilibre significatif en sa faveur. Dans ces conditions, l’administration établit que les stipulations relatives aux conditions de maîtrise du site créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

107. En revanche, si l’administration insinue que la société ASE serait susceptible d’utiliser de manière dévoyée les clauses litigieuses, afin d’entraver l’activité de vendeurs tiers proposant à la vente des produits qui sont en concurrence avec des produits proposés par la société ASE elle-même en tant que détaillant, les éléments du dossier ne permettent pas de regarder une telle pratique comme établie.

d) L’article S-3.2 du contrat ASE relatif à la garantie de A à Z

i) Les modalités de calcul du taux de commandes défectueuses des vendeurs tiers

108. Aux termes de l’article S-3.2, intégré dans la section « Conditions du service vendre sur Amazon » du contrat ASE : « Garantie A-à-Z - Si nous vous informons que nous avons reçu une réclamation au titre de la « Garantie A-à-Z », offerte sur un Site Amazon particulier, ou tout autre désaccord relatif à l’offre, la vente, ou l’expédition de Vos Produits (autre qu'une contestation de prélèvement) concernant l’une de Vos Transactions, vous aurez un délai de trente (30) jours pour contester notre décision relative à la réclamation considérée. Si, après enquête, nous constatons qu’une réclamation, une contestation de prélèvement ou un désaccord relève de votre responsabilité, (i) vous n’exercerez aucun recours contre le client, et (ii) vous serez tenu de rembourser APE ou APUK (selon le cas) du montant payé par le client (comprenant les taxes et les frais de traitement et d’expédition associés, mais ne comprenant pas les Frais de Vente que nous avons retenus conformément à l'Article S-4), tous les autres frais et dépenses liés à la transaction d’origine (tels que les frais de carte de crédit, les frais bancaires, les frais de traitement de paiement, les frais de nouvelle présentation ou les pénalités) et tout rejet de débit ou remboursement associés, dans la mesure où nous en serions redevables. Vous ne serez pas tenu de rembourser APE ou APUK (selon le cas) si le client ne vous a pas renvoyé Votre (Vos) Produit(s). Toutefois, les clients ne seront pas tenus de vous renvoyer vos Produits et vous devrez en supporter le coût en cas de risque lié à la sécurité ou aux matières dangereuses, en cas de violation de droit de propriété intellectuelle ou d’activité frauduleuse lié à Votre (Vos) Produit(s), ou si vous avez accepté de ne pas exiger le renvoi de Votre Produit. Si nous constatons qu’une réclamation, une rétro-facturation ou un litige relève de votre responsabilité et que le client a renvoyé Votre Produit, vous serez tenu de rembourser les frais de retour. Seules les réclamations au titre de la garantie A-à-Z que nous considérons comme relevant de votre responsabilité sont prises en considération pour calculer vos indicateurs de performance ».

109. L’administration fait grief à la société ASE d’avoir, à travers l’article cité au point précédent, introduit un élément de déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties au contrat dans la mesure où, d’une part, la société ASE tiendrait compte, dans le calcul du taux de commandes défectueuses, des réclamations formées par les clients au titre de la garantie de A à Z et pour lesquelles la question de la responsabilité du vendeur tiers n’a pas encore été tranchée et où, d’autre part, la société ASE appliquerait cette garantie lorsque le vendeur tiers refuse de rembourser un consommateur n’ayant pas retourné le produit faisant l’objet de la transaction litigieuse.

110. Il ressort des stipulations de la clause S-3.2 que la « garantie de A à Z » est un service fourni par la société ASE concernant les commandes expédiées directement par les vendeurs tiers (par opposition aux commandes expédiées par la société ASE) et visant à offrir au client une garantie couvrant tant les délais de livraison de la commande que l’état des articles au stade de leur réception par le client. Cette garantie, qui vise à assurer la protection des consommateurs, permet au client auquel la commande n’aurait pas donné satisfaction de former une réclamation.

111. Les critères d’éligibilité à la « garantie de A à Z » sont exposés dans la page d’aide « À propos des réclamations au titre de la Garantie A à Z d’Amazon » des politiques de programmes. Il résulte de ces stipulations qu’une réclamation auprès de la société ASE dans le cadre de la « garantie de A à Z » peut être formée lorsqu’à l’issue d’un échange avec le vendeur tiers, lequel dispose d’un délai de soixante-douze heures pour répondre, le client estime ne pas avoir obtenu satisfaction. Si le traitement par la société ASE d’une réclamation au titre de la garantie A à Z ne donne pas satisfaction au vendeur tiers concerné, celui-ci a la faculté de contester cette décision pendant une période de trente jours, comme indiqué dans la page d’aide « À propos des réclamations au titre de la Garantie A à Z d’Amazon ».

112. La société ASE soutient que les réclamations formées au titre de la « garantie de A à Z » et en cours d’examen ne sont pas comptabilisées dans le taux de commandes défectueuses des vendeurs tiers, contrairement à ce qu’a estimé l’administration.

113. La dernière phrase de l’article S-3.2 indique que « seules les réclamations au titre de la garantie A-à-Z que nous considérons comme relevant de votre responsabilité sont prises en considération pour calculer vos indicateurs de performance ». Par conséquent, il résulte effectivement de ces stipulations que le taux de commandes défectueuses du vendeur tiers n’est affecté négativement que si la réclamation, une fois traitée par la société ASE, a été considérée comme relevant de la responsabilité du vendeur tiers et a été tranchée en faveur du client.

114. Il résulte également de l’instruction qu’à compter du 28 avril 2022, la société ASE a modifié les clauses du Contrat Amazon Services Europe Business Solutions, pour ce qui concerne le site internet amazon.fr seulement. Parmi les modifications apportées, figurent les ajouts suivants, à la fin de l’article S-3.2 : 

« Vos indicateurs de performance ne sont pas affectés si une enquête est en cours et tant que la réclamation des clients n’a pas été validée. Si une réclamation est déposée et que vous décidez d’effectuer un remboursement intégral, vos indicateurs de performance seront affectés si, après examen de la réclamation, il est établi que vous étiez en tort. »

115. Ces ajouts, qui revêtent le caractère d’une clarification rédactionnelle, permettentde mieux appréhender les circonstances dans lesquelles les indicateurs de performance du vendeur tiers sont affectés. Ils sont de nature à confirmer l’interprétation énoncée au point 113.

116. Par ailleurs, il est possible à un vendeur tiers, après le dépôt d’une réclamation, de choisir de procéder au remboursement intégral du montant de la commande. Les stipulations contractuelles précitées ne permettent pas de déterminer clairement si ce remboursement intégral entraîne une clôture de la réclamation et une incidence sur le taux de commande défectueuses du vendeur tiers ou si, au contraire, le processus d’examen de la réclamation se poursuit, ce que suggèrerait la rédaction de l’article S. 3-2 postérieure au 28 avril 2022.

117. Toutefois, dans l’hypothèse où le remboursement intégral du client déclencherait une clôture de la réclamation et aurait une incidence sur le taux de commandes défectueuses du vendeur tiers, ces conséquences résultent d’un choix délibéré du vendeur tiers qui, plutôt qued’attendre l’issue de l’examen de la réclamation par la société ASE, décide de rembourser le client. En effet, la procédure normale comporte l’examen de la réclamation par la société ASE, dans les conditions décrites au point 111. Si le vendeur tiers décide, librement et en toute connaissance de cause, de ne pas attendre l’issue de cet examen et de procéder au remboursement du client, entraînant ainsi la clôture de la réclamation, il ne peut être soutenu que l’article S. 3-2 serait à ce titre constitutif d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations et parties, dès lors que ce remboursement avant tout traitement de la réclamation résulte d’un choix délibéré et discrétionnaire du vendeur tiers. Aucune des stipulations contractuelles litigieuses n’impose au vendeur tiers de procéder à un remboursement intégral du client sans attendre l’issue du traitement de la réclamation.

ii) Les remboursements sans retour du produit au vendeur tiers

118. L’administration cite, en page 22 du procès-verbal de constats, un extrait du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019. Toutefois, cet extrait porte sur l’ancien article S-2 du contrat ASE, dans sa version en vigueur le 21 mars 2016. Cet article a depuis lors fait l’objet de modifications, et doit donc être distingué de l’article S-3.2 dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée.

119. L’administration fait grief à la société ASE de prévoir des cas dans lesquels le client pourrait former une réclamation lorsque le vendeur tiers s’abstient de proposer un remboursement lorsque le client choisit de ne pas retourner le produit, ce qui serait constitutif d’une « double peine » pour le vendeur tiers, lequel ne rentre pas en possession du produit au titre duquel il a pourtant consenti un remboursement.

120. Toutefois, contrairement à ce qu’a estimé l’administration, la clause litigieusefigurant dans les politiques de programme ne permet pas à la société ASE d’imposer aux vendeurs tiers de rembourser les acheteurs sans pour autant exiger que ces derniers retournent les produits concernés. En effet, l’extrait cité en page 22 du procès-verbal de constats, qui prend comme exemple le cas du retour de produit en expédition vers l’international, indique qu’une réclamation ne peut être déposée que si aucune des trois options mentionnées n’a été proposée par le vendeur tiers à l’acheteur. Le refus d’un vendeur tiers de procéder à un remboursement lorsque le produit n’a pas été retourné n’ouvre pas droit, en lui-même, au bénéfice de la garantie A à Z. Le vendeur tiers est, en tout état de cause, en droit de ne pas exiger le renvoi de son produit, tout comme il est en droit de demander le retour du produit avant de procéder au remboursement.

121. Dans ces conditions, contrairement à ce qu’a estimé l’administration, les stipulations litigieuses de l’article S-3.2 et des politiques de programmes ne constituent pas un élément de déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs de la société ASE et des vendeurs tiers.

d) L’article S-3.1 du contrat ASE relatif aux erreurs de livraisons, non-conformités et rappels

122. L’administration a examiné les stipulations de l’article S-3.1 du contrat au titre de l’examen de la garantie de A à Z, alors que l’article S-3.1 porte sur des points différents et n’a pas trait à cette garantie, comme le relève à juste titre la société ASE dans ses écritures. Il y a donc lieu d’aborder ce grief de manière distincte.

123. La dernière phrase de l’article S-3.1 stipule que « Si nous estimons que l’exécution de vos obligations en vertu du présent Contrat risque d’entraîner des retours, réclamations, litiges, manquements à nos politiques ou conditions, ou engendrer tout autre risque pour Amazon ou des tiers, nous pourrons limiter ces conséquences, en déterminant si un client doit bénéficier d’un remboursement, ajustement ou remplacement pour l’un de Vos Produits aussi longtemps que nous considérons que les risques pour Amazon ou les tiers persistent ».

124. L’administration fait grief à la société ASE d’agir à ce titre de manière discrétionnaire, en se réservant la possibilité de déterminer si un client a droit à un remboursement. Toutefois, les stipulations litigieuses figurent dans un article portant sur les « erreurs de livraison, non-conformités et rappels de produits ». Cet article a pour objet de déterminer les responsabilités respectives de la société ASE d’une part, et des vendeurs tiers d’autre part, en particulier en cas de présence sur le site « amazon.fr » de produits non conformes, défectueux ou ayant fait l’objet de procédures de rappel de produits. La clause litigieuse vise les cas de figure dans lesquels la société ASE estime avoir des raisons de considérer que des risques existent au regard de ces produits non conformes, défectueux ou susceptibles de faire l’objet de procédures de rappel de produits. Elle est limitée à ces hypothèses et a pour objet de protéger les consommateurs en limitant les risques pour ces derniers, l’hypothèse d’un remboursement ou remplacement de produit étant précisément envisagée dans cette perspective.

125. Dans ces conditions, l’administration n’établit pas que les stipulations litigieuses de l’article S-3.1 introduiraient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs de la société ASE et des vendeurs tiers.

f) L’article 11 du contrat ASE relatif à la proscription faite aux vendeurs tiers de prospecter la clientèle

126. Aux termes du considérant 33 du règlement PtoB : « La capacité d’accéder aux données, y compris celles à caractère personnel, et de les utiliser, peut permettre une importante création de valeur dans l’économie des plateformes en ligne, tant de manière générale que pour les entreprises utilisatrices et les services d’intermédiation en ligne concernés. Il est par conséquent important que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne présentent aux entreprises utilisatrices une description claire de l’ampleur, de la nature et des conditions de leur accès à certaines catégories de données et de leur utilisation de ces données (…) ».

127. Aux termes de l’article 9 du même règlement : « Accès aux données :

1. Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne incluent dans leurs conditions générales une description de l’accès technique et contractuel, ou de l’absence d’un tel accès pour les entreprises utilisatrices, à toute donnée à caractère personnel ou à d’autres données, ou aux deux, que les entreprises utilisatrices ou les consommateurs transmettent pour l’utilisation des services d’intermédiation en ligne concernés ou qui sont produites dans le cadre de la fourniture de ces services.

2. Par la description visée au paragraphe 1, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne informent de manière appropriée les entreprises utilisatrices en particulier des éléments suivants :

a) la question de savoir si le fournisseur de services d’intermédiation en ligne a accès aux données à caractère personnel ou à d’autres données, ou aux deux, que les entreprises utilisatrices ou les consommateurs transmettent pour l’utilisation de ces services, ou qui sont produites dans le cadre de ces services, et dans l’affirmative, les catégories de ces données qui sont accessibles et les conditions applicables ;

b) la question de savoir si une entreprise utilisatrice a accès aux données à caractère personnel ou à d’autres données, ou aux deux, qu’elle transmet dans le cadre de son utilisation des services d’intermédiation en ligne concernés, ou qui sont produites dans le cadre de la fourniture de ces services à ladite entreprise utilisatrice et aux consommateurs de ses biens ou services, et dans l’affirmative, les catégories de ces données qui sont accessibles et les conditions applicables ;

c) outre le point b), la question de savoir si une entreprise utilisatrice a accès aux données à caractère personnel ou à d’autres données, ou aux deux, y compris sous forme agrégée, qui sont transmises ou produites dans le cadre de la fourniture des services d’intermédiation en ligne à toutes les entreprises utilisatrices et à leurs consommateurs, et dans l’affirmative, les catégories de ces données qui sont accessibles et les conditions applicables ;

et d) la question de savoir si des données visées au point a) sont transmises à des tiers, ainsi que, lorsque la transmission de telles données à des tiers n’est pas nécessaire au bon fonctionnement des services d’intermédiation en ligne, des informations précisant le but d’un tel partage de données, ainsi que les possibilités dont disposent les entreprises utilisatrices de ne pas participer à ce partage de données. /

3. Le présent article ne porte pas atteinte à l’application du règlement (UE) 2016/679, de la directive (UE) 2016/680 et de la directive 2002/58/CE ».

128. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 11 du contrat ASE : « Nous agissons en tant que responsable de traitement de toutes les données personnelles de clients collectées via les Services. Vous êtes le responsable de traitement des données personnelles de clients qui sont strictement nécessaires à l’exécution des commandes et vous ne pouvez utiliser aucune de ces données personnelles (y compris les coordonnées) à des fins autres que l’exécution des commandes ou la fourniture d’un service client en relation avec un Service ».

129. Aux termes de la rubrique « Actions et activités interdites pour les vendeurs » de la politique de programmes : « Échanges d’e-mails inappropriés : Les e-mails envoyés aux clients Amazon sans leur accord (à l’exception de ceux nécessaires au traitement des commandes et au service client) ou se rapportant à des communications commerciales de quelque type que ce soit sont interdits ». Aux termes de la rubrique « Communiquer avec les acheteurs via le service de messagerie Acheteurs – Vendeurs » de la politique des programmes : « De manière générale, vous pouvez contacter vos acheteurs uniquement pour finaliser des commandes ou répondre à des questions de type service clientèle. Vous n'êtes pas autorisé à contacter des acheteurs dans un but publicitaire ou promotionnel (que ce soit par e-mail, courrier, téléphone ou tout autre moyen) ».

i) La question de savoir si l’accès aux données personnelles des clients relève des « aspects pertinents » régis par le règlement PtoB

130. La société ASE soutient que dès lors que les dispositions de l’article 9 du règlement PtoB régissent les conditions d’utilisation et, éventuellement, de partage des données personnelles des clients, les dispositions de droit interne ne peuvent s’appliquer de manière cumulative. En défense, l’administration soutient que la constatation de manquements à l’article 9 du règlement n’exclut pas la possibilité de constater, parallèlement, l’existence d’un déséquilibre significatif au titre de la limitation de l’usage, par les vendeurs tiers, des données personnelles des clients.

131. L’administration fait grief à la société ASE d’interdire aux vendeurs tiers, par les stipulations de l’article 11 du contrat ASE citées au point 128, d’utiliser les données personnelles des clients dans un cadre autre que celui, strictement entendu, de l’exécution des commandes passées sur le site « amazon.fr ». Cette interdiction empêche notamment les vendeurs tiers d’utiliser ces données à des fins de prospection et de publicité qui seraient menées par eux indépendamment de leur activité sur le site « amamzon.fr ». L’administration considère que l’article 9 du règlement porte uniquement sur les obligations des plateformes en termes de transparence concernant la collecte et le partage de ces données, et non sur les conditions de l’utilisation de ces données.

132. Contrairement à ce que soutient la société ASE, la circonstance que les dispositions de l’article 9 du règlement aient pour objet d’énoncer les obligations pesant sur les plateformes d’intermédiation en matière de transparence dans les conditions contractuelles relatives aux données personnelles, ainsi que les conditions dans lesquelles ces données peuvent être, le cas échéant, utilisées, ne fait pas obstacle à ce que l’existence d’un éventuel déséquilibre significatif soit identifié à ce titre sur le fondement des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce.

ii) L’appréciation d’un éventuel déséquilibre significatif au titre de l’article 11 du 
contrat ASE

133. L’administration a considéré que l’article 11 du contrat ASE créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en ce qu’elle interdit aux vendeurs tiers de prospecter leur clientèle.

134. Toutefois, la société ASE soutient, en défense, et sans être utilement contredite à cet égard, que ces règles, qui existent par ailleurs sous une forme identique chez les principales places de marché concurrentes, ont été édictées dans le seul but de protéger les consommateurs des sollicitations commerciales indésirables qu’ils sont susceptibles de recevoir de la part des vendeurs tiers. En effet, la société ASE indique qu’en l’absence de telles règles, les consommateurs seraient, sans l’avoir souhaité, destinataires de très nombreuses sollicitations commerciales non sollicitées, par courrier électronique, par voie téléphonique ou par voie postale, de la part des différents vendeurs tiers auxquels ils ont pu acheter des produits via le site « amazon.fr ». La société ASE observe également que l’article 9 du règlement PtoB autorise expressément les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne à prévoir s’ils le souhaitent, dans leurs conditions générales, que les vendeurs tiers n’ont pas accès aux données à caractère personnel recueillies dans le cadre des opérations commerciales se déroulant sur la plateforme. Les clauses mentionnées aux points 128 et 129 poursuivent ainsi un objectif légitime et sont justifiées et proportionnées, dès lors que le fonctionnement d’une plateforme d’intermédiation en ligne vise à permettre la mise en relation du vendeur tiers avec un acheteur potentiel pour l’exécution d’une transaction précise, mais n’a pas, pour autant, vocation à permettre au vendeur tiers de nouer une relation commerciale directe avec cet acheteur une fois la transaction achevée. De telles pratiques revêtiraient en outre le caractère d’un comportement de « passager clandestin », les vendeurs tiers profitant ainsi indûment des investissements et de l’image de marque d’Amazon pour développer des relations commerciales à partir d’une mise en relation avec le client permise par le site « amazon.fr ». Enfin, comme le relève également la société ASE, l’administration ne fait état d’aucune plainte de vendeur tiers à propos de cette clause. Dans ces conditions, c’est à tort que l’administration a considéré que les clauses litigieuses étaient constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

g) L’article 17 du contrat ASE et la politique de programme relatifs à l’ingérence dans la politique tarifaire des vendeurs tiers

135. Aux termes de la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 17 du contrat ASE : « Amazon se réserve le droit d’interrompre immédiatement toute transaction, d’empêcher ou de restreindre l’accès aux Services ou de prendre toute mesure pour interdire l’accès à ou la mise à disposition d’offres de produits inexactes, de produits classés de façon inappropriée dans la mauvaise catégorie, de produits non conformes aux Lois ou de tout produit interdit par les Politiques de Programme applicables ».

136. Aux termes du document dénommé « Politique de tarification équitable Amazon Marketplace », explicitant la politique d’ASE en matière de suivi des prix : « Amazon contrôle régulièrement le prix des articles sur ses sites de vente, notamment les frais d'expédition, et les compare avec les autres prix disponibles pour nos clients. Si nous constatons des pratiques tarifaires qui portent atteinte à la confiance des clients sur une offre sur un site de vente, Amazon se réserve le droit de supprimer la boîte d’achat, de supprimer l’offre ou, dans des cas graves ou répétés, de suspendre ou résilier vos droits de vente. / Les pratiques tarifaires qui portent atteinte à la confiance des clients incluent, sans toutefois s’y limiter :

- la définition d’un prix de référence qui induit les clients en erreur pour un produit ou un service ;

- la définition pour un produit ou un service d’un prix bien plus élevé que les prix récemment proposés sur Amazon ou ailleurs ;

- la vente de plusieurs unités d’un produit à un prix unitaire plus élevé que celui d’une seule unité du même article ;

- la définition de frais de livraison excessifs pour un produit. Amazon prend en compte les tarifs publics en vigueur du transporteur, les frais de traitement raisonnables, ainsi que le point de vue de l’acheteur pour déterminer si oui ou non un prix d’expédition enfreint notre politique de tarification équitable ».

137. L’administration fait grief à la société ASE d’avoir, dans le cadre de la politique de tarification équitable Amazon Marketplace mentionnée au point précédent, introduit un élément de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. L’administration considère que la société ASE aurait, par ce biais, mis en place une pratique de contrôle des prix, permettant à la société ASE d’intervenir de manière discrétionnaire en matière de prix, et que cette pratique s’apparenterait également à une pratique d’alignement tarifaire sur les prix pratiqués par les vendeurs tiers via leurs canaux de vente propres ou d’autres canaux de vente.

138. En premier lieu, la société ASE indique en défense, sans être utilement contredite à cet égard, que l’objectif premier de cette politique est de protéger les clients de pratiques tarifaires trompeuses des vendeurs tiers, tels que des prix abusivement élevés, des frais de livraison excessifs, ou des prix unitaires supérieurs dans le cadre d’un conditionnement multiple. La société ASE produit au dossier différentes pièces, et notamment des articles de presse, établissant la réalité de ce type de pratiques tarifaires ainsi que l’écho négatif très large qu’elles ont suscité, y compris en dehors de la période de crise sanitaire liée au Covid-19. La société ASE établit ainsi la nécessité, pour elle, d’intervenir en cas de pratiques tarifaires déloyales ou frauduleuses de la part de vendeurs tiers, au bénéfice des consommateurs ainsi que, plus généralement, de l’ensemble des vendeurs tiers qui ont intérêt à ce que la réputation de fiabilité de la place de marché soit préservée.

139. En deuxième lieu, en ce qui concerne la politique relative aux erreurs de prix, dont l’administration a estimé qu’elle conférait un pouvoir discrétionnaire à la société ASE, il résulte de l’instruction que ce mécanisme très ciblé permet de retirer des produits de la vente sur le site « amazon.fr » lorsque le prix apparait erroné ou excessif. Ce mécanisme, qui a prioritairement vocation à s’appliquer en cas d’erreurs matérielles dans l’affichage de prix, est destiné à protéger tant les consommateurs que les vendeurs tiers, exposés de ce fait à des risques de pertes de chiffre d’affaires en cas d’affichage d’un prix erroné. Il résulte de l’instruction que les vendeurs tiers dont une offre est supprimée au titre de ce mécanisme se voient notifier les informations pertinentes, leur permettant de réagir, et que ces vendeurs tiers peuvent, s’ils s’y croient fondés, former un recours auprès de la société ASE à l’encontre de telles décisions. Le déclenchement du mécanisme résulte de l’application de règles objectives, appliquées de manière automatique et non discrétionnaire, de manière à ce que seules soient concernées des situations exceptionnelles, c’est-à-dire des prix significativement plus élevés ou anormaux, et tenant compte de marges de sécurité additionnelles, que certains points de comparaison. L’administration n’apporte pas d’éléments tangibles permettant de conclure à un recours inapproprié ou discrétionnaire à ce mécanisme dans des cas de figure qui ne le justifieraient pas.

140. En troisième lieu, l’administration suggère que la vocation cachée de ce mécanisme consisterait à permettre à la société ASE de se livrer à une « police des prix », susceptible de s’apparenter à un mécanisme d’alignement tarifaire permettant à la société ASE de contraindre les vendeurs tiers à pratiquer les mêmes prix sur le site « amazon.fr » et en dehors de ceux-ci. Toutefois, aucun élément précis ne permet d’accréditer une telle hypothèse, et la mention, en page 28 du procès-verbal de constats, du cas d’un unique vendeur tiers se plaignant du recours abusif à ce mécanisme ne revêt pas de caractère probant, en l’absence de tout élément circonstancié sur cet épisode isolé. En outre, et comme le fait valoir la société ASE en défense, le mécanisme de protection contre les erreurs de prix ne peut, en lui-même, entraîner un alignement des prix, dans la mesure où il ne se déclenche que si le surprix est d’un niveau tel qu’il ne peut être qu’anormal, avec un différentiel substantiel par rapport au prix considéré comme normal.

141. Dans ces conditions, au regard de ces différents éléments, c’est à tort que l’administration a considéré que l’ingérence alléguée de la société ASE dans la politique tarifaire des vendeurs tiers serait constitutive d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

h) L’article F-4 du contrat ASE relatif au service « Expédié par Amazon »

142. Aux termes de la clause F-4 du contrat ASE, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : « Nous fournirons les services de stockage décrits dans les présentes Conditions du Service EPA, après avoir confirmé la réception de la livraison. Nous conserverons des fichiers électroniques pour répertorier les Unités en identifiant le nombre d’unités stockées dans un Centre d’Expédition. Nous ne serons pas tenus de marquer ou de séparer physiquement les Unités pour les distinguer d’autres unités en stock (par exemple, des produits portant le même numéro d’identification standard Amazon) détenus par nous, nos Affiliés ou des tiers dans le(s) centre(s) de distribution concerné(s). Si nous choisissons de mélanger les Unités avec de telles autres unités en stock, les parties conviennent que nos fichiers seront suffisants pour identifier les produits qui sont des Unités. Nous pourrons librement déplacer les Unités entre différentes installations. En cas de perte ou de dommage causés à l'une quelconque des Unités durant leur stockage, nous vous dédommagerons conformément aux directives EPA applicables pour le Site concerné. Si nous vous dédommageons pour une Unité, nous aurons le droit de disposer de l'Unité en question dans les conditions de l'Article F-7. Dans tous les autres cas, vous restez seul responsable de toutes pertes ou endommagements des Unités. Notre confirmation de réception de livraison :

(a) ne vaut en aucun cas confirmation du fait que l’Unité a été reçue en bon état et sans défauts, ni que toute perte ou dommage découverts ultérieurement sur les Unités seraient intervenus après réception de la livraison ;

(b) ne vaut en aucun cas confirmation que nous avons réellement reçu les Unités de Votre Produit spécifiées pour cette expédition ;

ou (c) ne limite, ne réduit ni n’annule nos droits aux termes de ce Contrat Business Solutions. Nous nous réservons le droit de modifier les restrictions de programmation et les limites de volume sur la livraison et le stockage de votre inventaire dans les centres de distribution selon l’Article 15, et vous vous engagez à respecter ces restrictions ou limitations ».

143. Aux termes de la politique de programmes « Service client pour les commandes ventes multi-Sites » : « (…) Commande perdue / Si votre commande n’a pas été livrée dans les sept jours suivant la date de livraison estimée, vous pouvez demander un remboursement pour commande perdue. Les commandes pour lesquelles le transporteur indique qu’elles ont été livrées ne peuvent pas faire l’objet d’un remboursement (…) ».

144. L’administration a considéré, aux pages 28 à 30 du procès-verbal de constats, que les stipulations de la clause F-4, combinées à celles figurant dans la rubrique « Service client pour les commandes Ventes Multi-Sites », ménagent à la société ASE la possibilité de s’exonérer de toute responsabilité en cas de perte ou de dommages causés pendant le stockage des produits, limitant ainsi les potentiels cas d’engagement de sa responsabilité pour tout dommage qui viendrait à être découvert même après la réception du produit par la société ASE. L’administration fait également valoir que cette exonération est définie de manière tellement large que lorsque la commande est considérée comme perdue, mais que le transporteur indique que celle-ci a été effectivement livrée, aucun remboursement ne peut être effectué au profit du vendeur tiers. Au regard de ces stipulations, l’administration a considéré la clause F-4 du contrat ASE comme constitutive d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

145. La société ASE soutient, à l’appui de la contestation de ce grief, que la clause F-4 n’exclut, ni même ne limite l’engagement de sa responsabilité au titre de dommages causés aux produits intervenant pendant l’expédition des produits aux consommateurs, dès lors que cette clause ne concerne que la période durant laquelle les produits sont stockés. La société ASE fait également valoir que le grief repose sur une analyse erronée, dès lors que la clause ne prévoit ni d’exonération de responsabilité, ni même de limitation de cette dernière, mais porte simplement sur les conséquences, sur le plan probatoire, attachées à la confirmation de la réception de la livraison des produits expédiés par le vendeur tiers à la société ASE. Enfin, la société fait également valoir que l’appréciation de l’administration sur la politique « Service client pour les commandes Ventes Multi-Sites » est erronée, dès lors qu’il s’agit d’un service distinct de celui visé par la clause F-4.

146. Il résulte de l’instruction que, dans le cadre du service optionnel « Expédié par Amazon » qui est proposé aux vendeurs tiers, ces derniers se voient offrir la possibilité de confier à la société ASE le stockage et l’expédition aux clients des produits qu’ils mettent en vente sur la place de marché. Ce service a vocation à faire bénéficier les vendeurs tiers de l’expertise de la société ASE dans le domaine de la logistique. Dans le cadre de ce service optionnel, il appartient aux vendeurs tiers d’expédier les produits concernés à la société ASE, cette dernière les stockant alors dans ses entrepôts afin de disposer en permanence d’un stock permettant de traiter rapidement les commandes des clients.

147. En premier lieu, le grief formulé par l’administration repose sur une confusion entre des étapes opérationnelles distinctes, régies par des clauses différentes du contrat ASE. Le procès-verbal de constats cite, à l’appui du grief relatif à la clause F-4, un extrait du jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019, portant sur les anciennes clauses F-12, F-13 et F-10.3 du contrat ASE dans sa version alors en vigueur. L’ancienne clause F-12 avait pour objet d’exonérer la société ASE en cas d’expédition de produits à l’étranger. Elle n’existe toutefois plus dans le contrat ASE en vigueur à la date de la décision attaquée, et n’a en outre pas de lien avec la clause F-4 litigieuse, qui porte exclusivement, comme il a été dit, sur les aspects liés au stockage. Par ailleurs, l’ancienne clause F-13 du contrat ASE, par laquelle la société ASE déclinait toute responsabilité « en tant que dépositaire ou manutentionnaire », a également été supprimée. Les références faites par l’administration au jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019 portent ainsi sur des clauses qui ne figuraient plus dans le contrat ASE à la date de la décision attaquée, et qui sont dépourvues de pertinence en ce qu’elles invoquent des éléments qui sont sans lien avec le grief tel que formulé.

148. En deuxième lieu, comme le relève la société ASE, la clause F-4 a pour objet de définir les responsabilités respectives des différents acteurs durant le stockage des marchandises expédiées à la société ASE par les vendeurs tiers au titre du service « Expédié par Amazon ». Cette clause stipule clairement que la société ASE assume seule la responsabilité des dommages causés aux produits, par exemple lors d’opérations de manutention, lorsqu’ils sont stockés dans ses entrepôts, sous sa responsabilité. En cela, la société ASE a donc correctement exécuté le jugement du tribunal de commerce en ce qu’il lui enjoignait de modifier ou de supprimer l’ancienne clause F-13, par laquelle la société ASE déclinait toute responsabilité « en tant que dépositaire ou manutentionnaire ». La clause F-4 a, précisément, pour objet d’énoncer le principe selon lequel la société ASE assume la responsabilité de dommages causés aux produitspar les activités de manutention effectuées sous sa responsabilité dans l’enceinte des entrepôts.

149. En troisième lieu, la société ASE fait valoir que la clause F-4, dans ses stipulations portant sur l’engagement de la responsabilité en cas de dommages provenant de causes autres que les opérations de manutention, a uniquement pour objet de préciser la portée, sur le plan probatoire, de la constatation de la réception des marchandises expédiées par les vendeurs tiers à la société ASE. La société ASE fait ainsi valoir que ce type de clause est courant en matière de réception de marchandises et d’attribution de la charge de la preuve. À ce titre, comme l’expose la société ASE, la clause F-4 n’a ni pour objet, ni pour effet de l’exonérer de toute forme de responsabilité à compter de la réception dans ses entrepôts de la marchandise expédiée par les vendeurs tiers, mais vise uniquement à préciser que la seule confirmation de réception ne revient pas à reconnaître que les produits ont été reçus en bon état, dès lors que les colis ne sont pas ouverts lors de leur réception et qu’il n’est donc pas possible de déterminer l’état de leur contenu. La société ASE entend ainsi ne pas voir sa responsabilité engagée au titre de produits défectueux ou endommagés mais dont la dégradation serait imputable à des facteurs autres que les opérations de manutention effectuées par les équipes de la société ASE au sein des entrepôts de stockage. L’administration n’établit pas, par les éléments qu’elle invoque, que de telles clauses seraient inhabituelles, ou caractérisées par un déséquilibre significatif, dans le secteur de la logistique et du transport de marchandises.

150. En quatrième lieu, l’administration a fait grief à la société ASE de ne pas prévoir,dans le cadre du programme de ventes multi-sites, de remboursement au vendeur tiers au cas où une commande a été perdue, mais dont le transporteur indique qu’elle a bien été livrée. Il résulte de l’instruction que, comme le fait valoir la société ASE, cette politique de programme ne concerne pas le service « Expédié par Amazon », c’est-à-dire l’expédition par Amazon des ventes réalisées par les vendeurs tiers sur la place de marché « amazon.fr », mais un service distinct intitulé « Ventes Multi-Sites », qui permet à des vendeurs de confier à la société ASE l’expédition de produits vendus par eux sur d’autres canaux de vente. La société ASE fait également valoir que le vendeur tiers peut bien être dédommagé en cas de dommages intervenus pendant l’expédition à destination des clients, et que, pour ce qui est des commandes dites « perdues » mais dont le transporteur a indiqué que la livraison a bien été effectuée, il est usuel que, dans le cadre des relations contractuelles entre prestataires de services de livraison et leurs clients expéditeurs, la confirmation de livraison par le transporteur soit considérée comme une preuve de la livraison. L’administration n’établit pas, par les éléments qu’elle invoque, qu’une telle clause serait inhabituelle dans le secteur de la logistique et du transport de marchandises.

151. Par conséquent, la société ASE est fondée à soutenir que c’est à tort que l’administration a estimé que les stipulations citées aux points 135 et 136 et relatives à la responsabilité de la société ASE constituaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

i) La médiation

152. Aux termes du considérant 40 du règlement PtoB : « La médiation peut constituer pour les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices un moyen de résoudre des litiges de manière satisfaisante sans devoir passer par des procédures judiciaires qui peuvent être longues et coûteuses. Il convient par conséquent que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne facilitent la médiation, notamment en indiquant aux moins deux médiateurs publics ou privés avec lesquels ils sont prêts à prendre contact. L’objectif de demander l’indication d’un nombre minimal de médiateurs est de préserver la neutralité de ceux-ci. Les médiateurs qui fournissent leurs services depuis un lieu situé en dehors de l’Union ne devraient être indiqués que s’il est garanti que le recours à ces services ne prive en aucune façon les entreprises utilisatrices concernées des éventuelles protections juridiques que leur assurent le droit de l’Union ou des États membres, y compris les exigences du présent règlement et la législation applicable concernant la protection des données à caractère personnel et les secrets d’affaires. Afin d’être accessibles, équitables et aussi rapides, efficaces et efficients que possible, ces médiateurs devraient respecter certains critères. Néanmoins, les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices devraient demeurer libres d’indiquer conjointement tout médiateur de leur choix après la survenance d’un litige entre eux. (…) ».

153. Aux termes du premier paragraphe de l’article 12 du même règlement : « Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne indiquent dans leurs conditions générales deux ou plusieurs médiateurs avec lesquels ils sont prêts à prendre contact en vue de parvenir à un accord avec les entreprises utilisatrices sur le règlement extrajudiciaire de tout litige entre le fournisseur et une entreprise utilisatrice en relation avec la fourniture des services d’intermédiation en ligne concernés, y compris les plaintes qui n’ont pu être résolues dans le cadre du système interne de traitement des plaintes visé à l’article 11. / Les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne ne peuvent indiquer des médiateurs proposant leurs services de médiation depuis un lieu situé en dehors de l’Union que s’il est garanti que les entreprises utilisatrices concernées ne sont pas exclues du bénéfice de toute garantie juridique prévue dans le droit de l’Union ou le droit des États membres en raison du fait que les médiateurs fournissent ces services depuis un lieu situé en dehors de l’Union ».

154. Aux termes du point 3 de la rubrique « Politique de médiation » des politiques des programmes : « Choix du médiateur. La Médiation est assurée par le Center for Effective Dispute Resolution (CEDR), qui désignera un médiateur parmi le Comité pour la médiation de vendeurs Amazon à sa discrétion pour chaque Litige Eligible. En soumettant votre litige à la Médiation, vous acceptez le choix de ce médiateur ».

155. L’administration fait grief à la société ASE d’avoir méconnu les dispositions précitées du règlement PtoB en ne désignant qu’un seul organisme de médiation. L’administration fait valoir que, dès lors que les vendeurs tiers ne se voient proposer aucun choix entre différents organismes de médiation, et qu’ils ne peuvent pas choisir de médiateur au sein de l’unique organisme de médiation désigné, la stipulation litigieuse est contraire au règlement PtoB.

156. La société ASE soutient, quant à elle, qu’elle permet aux vendeurs tiers de s’adresser à une société spécialisée, le Center for Effective Dispute Resolution (CEDR). Elle soutient que cette société, spécialisée dans le domaine de la résolution de litiges par la médiation, regroupe soixante-quatre médiateurs, aptes à travailler dans plus de vingt langues différentes, et que les dispositions de l’article 12 du règlement sont donc respectées.

157. Il ressort des dispositions du règlement PtoB citées au point 153 que les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne doivent indiquer, dans leurs conditions générales, deux ou plusieurs médiateurs, avec lesquels les entreprises utilisatrices de leurs services peuvent prendre attache en cas de litige survenant dans le cadre de l’exécution du contrat ASE. Ces dispositions doivent être interprétées comme faisant obligation à la plateformed’intermédiation de désigner au moins deux organismes de médiation. La circonstance qu’un organisme de médiation emploie plusieurs médiateurs est sans incidence à cet égard. En l’espèce, la clause litigieuse ne renvoie qu’à un seul organisme de médiation. Dans ces conditions, c’est à bon droit que l’administration a relevé que la stipulation litigieuse était contraire aux dispositions du premier paragraphe de l’article 12 du règlement PtoB.

158. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles évoquées par la société ASE dans ses écritures, que la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle est entachée d’une méconnaissance du champ d’application territorial du règlement PtoB, dès lors que l’administration a indifféremment appliqué ce règlement aux relations contractuelles entre la société ASE et des vendeurs tiers domiciliés dans l’Union européenne et aux relations contractuelles entre la société ASE et des vendeurs tiers domiciliés en-dehors de l’Union européenne. La décision attaquée doit également être annulée en tant que l’administration a identifié l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au titre des clauses contractuelles portant sur :

- la garantie de A à Z ;

- l’article S.3-1 ;

- la prospection de clientèle par les vendeurs tiers ;

- l’ingérence alléguée dans la politique tarifaire des vendeurs tiers ;

- le service « expédié par Amazon ».

8) Moyen tiré des erreurs d’appréciation dont serait entachée la décision attaquée concernant le montant de l’astreinte et l’obligation de publication

a) Le montant de l’astreinte

159. Aux termes de l’article L. 470-1 du code de commerce, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : « I. – Les agents habilités, dans les conditions prévues au II de l’article L. 450-1, à rechercher et à constater les infractions ou manquements aux obligations prévues au titre IV du présent livre peuvent, après une procédure contradictoire, enjoindre à tout professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite. Dans les mêmes conditions, ils peuvent enjoindre à tout professionnel de se conformer aux dispositions du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne ainsi que lui enjoindre de cesser tout agissement ou de supprimer toute clause contraire à ces dispositions. (…) III. - 1. Lorsque l’injonction est notifiée à raison d’un manquement passible d’une amende civile, les agents mentionnés au I du présent article peuvent assortir leur mesure d’une astreinte journalière ne pouvant excéder un montant de 0,1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante. / Dans ce cas, l’injonction précise les modalités d’application de l’astreinte encourue, notamment sa date d’applicabilité, sa durée et son montant. Le montant de l’astreinte est proportionné à la gravité des manquements constatés et tient compte notamment de l’importance du trouble causé (…) ». Aux termes du cinquième alinéa du III du même article : « La décision prononçant la mesure d’injonction et celle prononçant la liquidation de l’astreinte journalière sont motivées. Elles sont susceptibles d’un recours de pleine juridiction (…) ».

160. Aux termes de l’article 15 du règlement PtoB : « Contrôle de l’application / 1. Chaque État membre veille à l’application adéquate et effective du présent règlement. 2. Les États membres déterminent les règles établissant les mesures applicables aux infractions au présent règlement et en assurent la mise en œuvre. Les mesures prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives ».

161. Ainsi qu’il a été dit au point 1, l’administration a assorti l’injonction prononcée à l’encontre de la société ASE d’une astreinte journalière de 90 000 euros pour une durée de cent quatre-vingt-trois (183) jours, en cas de non-respect de l’injonction à l’expiration d’un délai de trois mois. La société ASE soutient que le montant de cette astreinte méconnaît le principe de proportionnalité. Elle fait valoir, à l’appui de cette assertion, les circonstances suivantes :

- 90 % des vendeurs tiers étant établis à l’étranger, les dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce n’étaient pas applicables aux relations contractuelles nouées avec eux ;

- l’administration n’a pas pris en compte la circonstance qu’au regard du troublé allégué causé, les manquements énumérés dans la décision attaquée concernent uniquement les relations contractuelles entre la société ASE et les vendeurs tiers ;

- le comportement coopératif de la société ASE au cours de la procédure n’a pas été pris en compte.

En défense, l’administration fait quant à elle valoir que le montant de l’astreinte prend en compte :

- la non-conformité de vingt points des clauses contractuelles avec les dispositions 
applicables ;

- la circonstance que ces clauses portent sur des éléments importants de la relation 
contractuelle ;

- le caractère incontournable d’Amazon en tant que place de marché ;

- le fait que le montant de l’astreinte ne représente qu’une fraction minime du chiffre 
d’affaires de la société ASE.

162. Il résulte des dispositions visées aux points 159 et 160 que les mesures prises doivent respecter le principe de proportionnalité. Cette exigence est identique, que le manquement identifié le soit au titre des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce seules, au titre du règlement PtoB seul, ou dans le cadre d’une application cumulative de ces deux textes.

163. En l’espèce, il ressort de la décision attaquée que, pour fixer à 90 000 euros par jour le montant de l’astreinte prononcée, l’administration a notamment tenu compte de l’ampleur des manquements constatés au regard du nombre de clauses non-conformes relevées, et de la gravité de ces manquements au regard de la nature des clauses concernées.

164. Toutefois, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la décision attaquée est entachée d’une méconnaissance du champ d’application territorial du règlement PtoB, dès lors que l’administration a indifféremment appliqué ce règlement aux relations contractuelles entre la société ASE et des vendeurs tiers domiciliés dans l’Union européenne et aux relations contractuelles entre la société ASE et des vendeurs tiers domiciliés en-dehors de l’Union européenne. La décision attaquée est également entachée d’erreurs d’appréciation en ce qu’elle a identifié des manquements au titre des clauses portant sur :

- la garantie de A à Z ;

- l’article S.3-1 ;

- la prospection de clientèle par les vendeurs tiers ;

- l’ingérence alléguée dans la politique tarifaire des vendeurs tiers ;

- le service « expédié par Amazon ».

165. Le présent jugement annule la décision attaquée en tant qu’elle retient que lesclauses ou ensemble de clauses précitées constituent des manquements au titre des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce. Dans ces conditions, et sans qu’il soit davantage besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, il y a également lieu de fixer le montant de l’astreinte journalière prononcée à l’encontre de la société ASE à un montant de 50 000 euros, et de réformer en ce sens la décision attaquée.

b) L’obligation de publication

166. La décision attaquée énonce également qu’en application du 2 du III de l’article L. 470-1 du code de commerce, dans l’hypothèse où la société ASE n’exécuterait pas la mesure d’injonction prononcée à l’issue du délai imparti, ou ne l’exécuterait que tardivement, la société ASE se verra imposer une obligation de publication de cette mesure d’injonction, sur deux sites internet de la société ASE ainsi que dans trois quotidiens nationaux et sur les sites internet de ces derniers. Cette publication doit prendre la forme d’un communiqué rédigé par l’administration.

167. La société ASE soutient également que la mesure de publication méconnaît les principes de personnalité des peines et de proportionnalité. Au regard du principe de personnalité des peines, elle fait valoir que le projet de communiqué contenu dans la décision attaquée vise indifféremment, dans une forme d’amalgame, la société ASE ou « Amazon » comme société ayant été condamnée par le tribunal de commerce de Paris par le jugement du 2 septembre 2019. Toutefois, le projet de communiqué mentionne bien la société ASE comme étant visée par la décision attaquée. Si, par un raccourci regrettable, il est fait mention d’« Amazon », cette référence doit se comprendre au regard de la finalité poursuivie par un communiqué de presse, qui a vocation à être intelligible pour le plus grand nombre. En tout état de cause, ce communiqué précise bien que la société qui fait l’objet de la mesure d’injonction est la société Amazon Services Europe. La société ASE soutient également que la décision attaquée lui fait obligation de publier le communiqué sur le site internet « amazon.fr », qui appartient à une société distincte, la société Amazon Core Europe, et qu’en cela, l’obligation de publication sanctionne une personne morale distincte, en méconnaissance du principe de personnalité des peines. Toutefois, dès lors qu’il est constant que l’activité de place de marché de la société ASE est opérée sur le site internet « amazon.fr », la circonstance que ce site internet appartienne à une société distincte, mais appartenant néanmoins au groupe Amazon, est sans incidence.

168. En ce qui concerne le principe de proportionnalité, ainsi qu’il a été dit plus haut, l’exigence tenant au respect de ce principe est identique, que le manquement identifié le soit au titre des dispositions du 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce seules, au titre du règlement PtoB seul, ou dans le cadre d’une application cumulative de ces deux textes. Il résulte de l’instruction que l’obligation de publication contenue dans la décision attaquée, dans sa composante relative à la publication dans trois quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro et Les Échos), permet de toucher un public large, ce qui n’est pas disproportionné au regard de la notoriété du site internet « amazon.fr », de la place prépondérante occupée par la société ASEdans le secteur de la vente en ligne, et du nombre de clients achetant des produits sur ce site. Par ailleurs, la publication sur les sites internet servant de support à l’activité de la société ASE dans ses relations avec les vendeurs tiers, à savoir la page d’accueil de l’interface vendeur et la page faisant figurer le contrat litigieux, est également légitime au regard de la portée de la décision et de son objet, qui concerne les relations contractuelles entre la société ASE et les vendeurs tiers.

169. En revanche, la durée de la publication envisagée sur le site internet de la DGCCRF ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter, soit une durée de six mois, apparait excessivement longue et n’est pas justifiée par des éléments objectifs. Dans ces conditions, la société ASE est fondée à soutenir que l’obligation de publication revêt un caractère disproportionné au titre de sa composante relative à la publication sur le site internet de la DGCCRF et les comptes Facebook et Twitter de cette administration. La décision attaquée doit donc également être annulée dans cette mesure. La durée de cette publication est ramenée à un mois.

9) Les frais liés à l’instance

170. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante pour l’essentiel dans le cadre de la présente instance, la somme que demande la société ASE au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision en date du 15 décembre 2021 est annulée :
a - en tant qu’elle fait application des dispositions du règlement PtoB aux relations contractuelles nouées par la société ASE avec des vendeurs tiers établis hors de l’Union européenne ;
b - en tant qu’elle identifie des manquements au titre des clauses suivantes :
o la garantie de A à Z (article S.3-2 du contrat ASE et politique de programmes) ;
o l’article S.3-1 du contrat ASE ;
o l’ingérence alléguée dans la politique tarifaire des vendeurs tiers (politique de programmes) ;
o le service « expédié par Amazon » (clause F-4 du contrat ASE) ;
o la prospection de la clientèle par les vendeurs tiers (article 11 du contrat ASE).

Article 2 : La décision en date du 15 décembre 2021 est également annulée en tant qu’elle enjoint à la société ASE de mettre en conformité les stipulations énumérées au b- de l’article 1erci-dessus avec les dispositions de l’article L. 442-1 du code de commerce, dans un délai de trois mois à compter de sa notification.

Article 3 : La décision en date du 15 décembre 2021 est également annulée en tant qu’elle assortit l’injonction qu’elle prononce d’une astreinte journalière de 90 000 euros pour une durée de cent quatre-vingt-trois jours, en cas de non-respect de l’injonction à l’expiration d’un délai de trois mois. Le montant de l’astreinte prononcée à l’encontre de la société ASE est fixé à un montant de 50 000 euros

Article 4 : La décision en date du 15 décembre 2021 est également annulée en tant qu’elle ordonne la publication, pour une durée de six mois, d’un communiqué de presse, aux frais de la société ASE sur le site internet de la DGCCRF ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter. La durée de cette publication est fixée à un mois.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société ASE est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la société Amazon EU SARL, venant aux droits de la société Amazon Services Europe SARL, et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)).

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