CA Orléans, ch. des retentions, 19 septembre 2025, n° 25/02728
ORLÉANS
Ordonnance
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 19 SEPTEMBRE 2025
Minute N° 908/2025
N° RG 25/02728 - N° Portalis DBVN-V-B7J-HI52
(1 pages)
Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans en date du 17 septembre 2025 à 16h19
Nous, Fanny CHENOT, conseiller à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation de la première présidente de cette cour, assistée de Paul BARBIER, greffier placé, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,
APPELANTS :
1) Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans
ministère public présent à l'audience en la personne de Julien LE-GALLO, substitut général,
2) Madame LA PREFETE DU LOIRET
représenté par Me CAPUANO Diana, du cabinet ACTIS, avocat au barreau du Val-de-Marne
INTIMÉ :
1) Monsieur [B] [A] alias [B] [A] né le 10/04/1989 à [Localité 3] (LIBYE), alias [K] [L] né le 05/10/1995 à [Localité 3] (SYRIE), alias [Y] [P] né le 01/09/1995 (LIBYE), alias [H] [W] né le 05/10/1995
né le 10 Avril 1989 à [Localité 1] (MAROC), de nationalité marocaine
actuellement en rétention administrative dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire du centre de rétention administrative d'[Localité 2],
comparant par visioconférence, assisté de Maître SYLVIE CELERIER, avocat au barreau d'ORLEANS
assisté de Madame [T] [U], interprète en langue arabe, expert près la cour d'appel d'Orléans, qui a prêté son concours lors de l'audience et du prononcé ;
À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d'Orléans le 19 septembre 2025 à 14 H 00, conformément à l'article L. 743-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), aucune salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n'étant disponible pour l'audience de ce jour ;
Statuant publiquement et contradictoirement en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code,
Vu l'ordonnance rendue le 17 septembre 2025 à 16h19 par le tribunal judiciaire d'Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l'arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l'irrégularité du placement en rétention et disant n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de Monsieur [B] [A] ;
Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 17 septembre 2025 à 19h57 par Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans, avec demande d'effet suspensif ;
Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 17 septembre 2025 à 20h40 par Madame LA PREFETE DU LOIRET ;
Vu l'ordonnance du 18 septembre 2025 conférant un caractère suspensif au recours de Madame la procureure de la République ;
Après avoir entendu :
- le ministère public en ses réquisitions ;
- Maître Diana CAPUANO en sa plaidoirie ;
- Maître SYLVIE CELERIER en sa plaidoirie ;
- Monsieur [B] [A] en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;
AVONS RENDU ce jour l'ordonnance publique et contradictoire suivante :
MOTIFS
1- Sur la consultation du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED)
Le premier juge a constaté l'irrégularité de la procédure et mis fin à la rétention administrative de M. [B] [A] au motif qu'il n'était pas justifié de l'habilitation de l'agent ayant consulté le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (FAED).
La préfète du Loiret et le ministère public soutiennent qu'il est désormais justifié, en cause d'appel, de cette habilitation. La préfète ajoute que ce moyen n'est pas d'ordre public et que le premier juge aurait dû rechercher l'existence d'une atteinte portée aux droits de M. [B] [A], conformément aux dispositions de l'article L. 743-12 du CESEDA, avant de prononcer la mainlevée de la rétention.
M. [B] [A] demande la confirmation de la décision du premier juge.
L'article L.142-2 du CESEDA dispose qu'en vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, les données des traitements automatisés des empreintes digitales mis en 'uvre par le ministère de l'intérieur peuvent être consultées par les agents expressément habilités des services de ce ministère dans les conditions prévues par le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
L'article R. 40-38-1 du code de procédure pénale dispose que le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre en 'uvre un traitement de données à caractère personnel dénommé « fichier automatisé des empreintes digitales » (FAED), qui a notamment pour finalité de faciliter l'identification d'un étranger dans les conditions prévues à l'article L. 142-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Selon les dispositions de l'article R. 40-38-7 du même code, peuvent avoir accès à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître, à tout ou partie des données et informations mentionnées aux articles R. 40-38-2 et R. 40-38-3 les personnels de la police nationale et ceux de la gendarmerie nationale individuellement désignés et dûment habilités, affectés dans les services chargés d'une mission de police judiciaire et spécialement chargés de la mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.
Il résulte de ces dispositions que la seule qualité de policier ou de gendarme ne permet pas d'accéder aux données du FAED, dès lors qu'il est exigé que l'agent soit pourvu d'une habilitation individuelle et spéciale aux fins de mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.
L'article 15-5 du code de procédure pénale dispose :
« Seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction.
La réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée. L'absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure ».
Le dernier alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale a donné lieu à un recours devant le Conseil constitutionnel qui a reconnu sa conformité à la Constitution pour les motifs suivants (décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023) :
« 100. Selon les députés requérants, ces dispositions instaureraient une présomption d'habilitation permettant à tout agent, sans encadrement suffisant, de consulter des traitements automatisés de données dans l'exercice de leurs fonctions. Elles seraient ainsi entachées d'incompétence négative et méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée.
101. Les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les agents de l'obligation de disposer d'une habilitation pour consulter des traitements de données, ou de faire obstacle à l'annulation d'un acte de procédure résultant d'une telle consultation par un agent dépourvu d'habilitation.
102. Par conséquent, la seconde phrase du second alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale et la seconde phrase du second alinéa de l'article 55 ter du code des douanes, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution ».
Ainsi, le dernier alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale n'est conforme à la Constitution qu'en ce qu'il préserve l'exigence d'une habilitation pour consulter les traitements données, et qu'à défaut d'habilitation, la procédure menée suite à la consultation illicite encourt la nullité.
En outre, il convient de rappeler qu'au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (1ère Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).
Il s'ensuit que la preuve de l'habilitation à consulter le FAED est une garantie du respect des libertés individuelles et que tout intéressé ayant fait l'objet d'une consultation de ses données est à même d'exiger qu'il lui soit justifié de l'habilitation de l'agent ayant eu accès à ces données.
S'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l' étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits (1re Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).
Le moyen du représentant de l'Etat selon lequel le premier juge n'aurait pas dû statuer comme il l'a fait sans établir l'existence d'un grief est donc sans emport.
Il reste que, en matière pénale, il est de jurisprudence constante qu'un supplément d'information peut être ordonné par le juge (Crim., 3 avril 2024, pourvoi n° 23-85.813) et que cette solution s'applique pareillement en matière civile de sorte que, en matière de rétention administrative d'étrangers, la production d'une preuve d'habilitation est permise jusqu'à la clôture des débats et que cette preuve peut encore être apportée à
hauteur d'appel lorsqu'elle ne ressort pas des pièces qui avaient été jointes à la requête en prolongation.
En l'espèce, selon le rapport de consultation décadactylaire du 12 septembre 2025, le FAED a été consulté ce même jour, pour accéder aux données de M. [B] [A], par Mme [D] [R].
Le diplôme du 5 juin 2024 ainsi que l'habilitation produits en cause d'appel établissent que l'intéressée a suivi avec succès la formation idoine pour utiliser ce fichier, auquel elle est individuellement et spécialement habilitée.
Au regard de ces éléments nouveaux, et dès lors qu'il ne résulte pas du procès-verbal dont se prévaut le retenu que le brigadier [I] [O] aurait lui-même consulté le FAED, alors que les identifiants du consultant de son pas les siens mais bien ceux de '7104702 [D] [R]', le moyen soulevé par le retenu sera écarté et l'ordonnance infirmée sur ce point.
***
2. Sur le placement en rétention administrative
L'article L.741-1 du CESEDA dispose que l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne
présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente.
En l'espèce, la préfète du Loiret a motivé sa décision de placement en rétention administrative du 12 septembre 2025, qui repose sur l'exécution d'une obligation de quitter le territoire sans délai édictée le 6 janvier 2025 et notifiée le 8 janvier 2025, sur les éléments suivants :
M. [B] [A] ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et il n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
Il s'est soustrait à l'exécution de trois mesures d'éloignement ;
Il a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
Il ne peut justifier de document d'identité ou de voyage en cours de validité ;
Il n'a pas respecté les obligations liées à l'assignation à résidence notifiée le 3 avril 2025 ;
Il ne peut justifier ni de ressources ni d'un lieu de résidence personnel et stable ;
Il a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français puisqu'il a déclaré refuser de quitter le territoire lors de son audition du 4 octobre 2024 ;
Il représente une menace à l'ordre public.
Si dans l'arrêté discuté la représentante de l'Etat a affirmé sans offrir d'en justifier que M. [B] [A] présentait une menace pour l'ordre public et qu'il aurait contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou fait usage d'un tel titre ou document, reprenant en ces derniers termes les dispositions de l'article L. 612-3 7° du CESEDA sans rapporter la preuve de faits de cette nature, la décision de placement en rétention n'est cependant entâchée d'aucune erreur manifeste d'appréciation puisqu'elle relève avec exactitude la soustraction de l'intéressé à trois mesures d'éloignement, s'agissant des obligations de quitter le territoire notifiées le 23 juin 2022, le 11 juillet 2023 et le 27 mai 2024, ainsi que la soustraction de l'intéressé aux obligations de pointage relatives à une assignation lui ayant été notifiée le 3 avril 2025.
Dès lors qu'il est ainsi établi que M. [B] [A] ne présente pas de garanties de représentation effectives, la préfète du Loiret a suffisamment motivé sa décision et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en constatant l'insuffisance de mesures de surveillance moins coercitives que celle du placement en rétention.
3. Sur la requête en prolongation
Il appartient au juge, en application de l'article L.741-3 du CESEDA, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l'administration pour permettre que l'étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. Cette recherche requiert la production de pièces par l'administration qui établissent ces diligences, en fonction de la situation de l'étranger et, sauf circonstances insurmontables, figurant en procédure.
En l'espèce, M. [B] [A] été reconnu comme ressortissant marocain par les autorités consulaires de ce pays le 4 avril 2025.
L'intéressé, qui n'est pas en possession d'un document de voyage, a été placé en rétention administrative le 12 septembre 2025 à 17h30.
L'administration a contacté les autorités consulaires marocaines aux fins d'obtenir un laissez-passer le même jour à 19h02 et a adressé à 19h13 une demande de routing à la police aux frontières
A ce stade de la procédure, il apparaît que les diligences nécessaires ont été réalisées par l'administration et il ne peut être affirmé qu'il n'existerait aucune perspective sérieuse d'éloignement.
En l'absence d'irrégularité affectant la légalité de la rétention administrative, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et de faire droit à la demande de prolongation de la représentante de l'Etat.
PAR CES MOTIFS,
INFIRMONS l'ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans du 17 septembre 2025 ayant constaté l'irrégularité de la procédure et mis fin à la rétention administrative de M. [B] [A] ;
Statuant à nouveau :
REJETONS le recours formé à l'encontre de l'arrêté de placement en rétention administrative ;
ORDONNONS la prolongation de la rétention administrative de M. [B] [A] pour une durée de vingt-six jours ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à Madame LA PREFETE DU LOIRET et son conseil, à Monsieur [B] [A] et son conseil, et à Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Fanny CHENOT, conseiller, et Paul BARBIER, greffier placé présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ, à heures
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Paul BARBIER Fanny CHENOT
Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 19 septembre 2025 :
Madame LA PREFETE DU LOIRET, par courriel
Maître Diana CAPUANO, par PLEX
Monsieur [B] [A], copie remise par transmission au greffe du CRA d'[Localité 2]
Maître SYLVIE CELERIER, avocat au barreau d'ORLEANS, par PLEX
Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel
L'interprète
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL D'ORLÉANS
Rétention Administrative
des Ressortissants Étrangers
ORDONNANCE du 19 SEPTEMBRE 2025
Minute N° 908/2025
N° RG 25/02728 - N° Portalis DBVN-V-B7J-HI52
(1 pages)
Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans en date du 17 septembre 2025 à 16h19
Nous, Fanny CHENOT, conseiller à la cour d'appel d'Orléans, agissant par délégation de la première présidente de cette cour, assistée de Paul BARBIER, greffier placé, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,
APPELANTS :
1) Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans
ministère public présent à l'audience en la personne de Julien LE-GALLO, substitut général,
2) Madame LA PREFETE DU LOIRET
représenté par Me CAPUANO Diana, du cabinet ACTIS, avocat au barreau du Val-de-Marne
INTIMÉ :
1) Monsieur [B] [A] alias [B] [A] né le 10/04/1989 à [Localité 3] (LIBYE), alias [K] [L] né le 05/10/1995 à [Localité 3] (SYRIE), alias [Y] [P] né le 01/09/1995 (LIBYE), alias [H] [W] né le 05/10/1995
né le 10 Avril 1989 à [Localité 1] (MAROC), de nationalité marocaine
actuellement en rétention administrative dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire du centre de rétention administrative d'[Localité 2],
comparant par visioconférence, assisté de Maître SYLVIE CELERIER, avocat au barreau d'ORLEANS
assisté de Madame [T] [U], interprète en langue arabe, expert près la cour d'appel d'Orléans, qui a prêté son concours lors de l'audience et du prononcé ;
À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d'Orléans le 19 septembre 2025 à 14 H 00, conformément à l'article L. 743-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), aucune salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n'étant disponible pour l'audience de ce jour ;
Statuant publiquement et contradictoirement en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code,
Vu l'ordonnance rendue le 17 septembre 2025 à 16h19 par le tribunal judiciaire d'Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l'arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l'irrégularité du placement en rétention et disant n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de Monsieur [B] [A] ;
Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 17 septembre 2025 à 19h57 par Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans, avec demande d'effet suspensif ;
Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 17 septembre 2025 à 20h40 par Madame LA PREFETE DU LOIRET ;
Vu l'ordonnance du 18 septembre 2025 conférant un caractère suspensif au recours de Madame la procureure de la République ;
Après avoir entendu :
- le ministère public en ses réquisitions ;
- Maître Diana CAPUANO en sa plaidoirie ;
- Maître SYLVIE CELERIER en sa plaidoirie ;
- Monsieur [B] [A] en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;
AVONS RENDU ce jour l'ordonnance publique et contradictoire suivante :
MOTIFS
1- Sur la consultation du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED)
Le premier juge a constaté l'irrégularité de la procédure et mis fin à la rétention administrative de M. [B] [A] au motif qu'il n'était pas justifié de l'habilitation de l'agent ayant consulté le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (FAED).
La préfète du Loiret et le ministère public soutiennent qu'il est désormais justifié, en cause d'appel, de cette habilitation. La préfète ajoute que ce moyen n'est pas d'ordre public et que le premier juge aurait dû rechercher l'existence d'une atteinte portée aux droits de M. [B] [A], conformément aux dispositions de l'article L. 743-12 du CESEDA, avant de prononcer la mainlevée de la rétention.
M. [B] [A] demande la confirmation de la décision du premier juge.
L'article L.142-2 du CESEDA dispose qu'en vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, les données des traitements automatisés des empreintes digitales mis en 'uvre par le ministère de l'intérieur peuvent être consultées par les agents expressément habilités des services de ce ministère dans les conditions prévues par le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
L'article R. 40-38-1 du code de procédure pénale dispose que le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre en 'uvre un traitement de données à caractère personnel dénommé « fichier automatisé des empreintes digitales » (FAED), qui a notamment pour finalité de faciliter l'identification d'un étranger dans les conditions prévues à l'article L. 142-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Selon les dispositions de l'article R. 40-38-7 du même code, peuvent avoir accès à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître, à tout ou partie des données et informations mentionnées aux articles R. 40-38-2 et R. 40-38-3 les personnels de la police nationale et ceux de la gendarmerie nationale individuellement désignés et dûment habilités, affectés dans les services chargés d'une mission de police judiciaire et spécialement chargés de la mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.
Il résulte de ces dispositions que la seule qualité de policier ou de gendarme ne permet pas d'accéder aux données du FAED, dès lors qu'il est exigé que l'agent soit pourvu d'une habilitation individuelle et spéciale aux fins de mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.
L'article 15-5 du code de procédure pénale dispose :
« Seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction.
La réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée. L'absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure ».
Le dernier alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale a donné lieu à un recours devant le Conseil constitutionnel qui a reconnu sa conformité à la Constitution pour les motifs suivants (décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023) :
« 100. Selon les députés requérants, ces dispositions instaureraient une présomption d'habilitation permettant à tout agent, sans encadrement suffisant, de consulter des traitements automatisés de données dans l'exercice de leurs fonctions. Elles seraient ainsi entachées d'incompétence négative et méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée.
101. Les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les agents de l'obligation de disposer d'une habilitation pour consulter des traitements de données, ou de faire obstacle à l'annulation d'un acte de procédure résultant d'une telle consultation par un agent dépourvu d'habilitation.
102. Par conséquent, la seconde phrase du second alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale et la seconde phrase du second alinéa de l'article 55 ter du code des douanes, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution ».
Ainsi, le dernier alinéa de l'article 15-5 du code de procédure pénale n'est conforme à la Constitution qu'en ce qu'il préserve l'exigence d'une habilitation pour consulter les traitements données, et qu'à défaut d'habilitation, la procédure menée suite à la consultation illicite encourt la nullité.
En outre, il convient de rappeler qu'au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (1ère Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).
Il s'ensuit que la preuve de l'habilitation à consulter le FAED est une garantie du respect des libertés individuelles et que tout intéressé ayant fait l'objet d'une consultation de ses données est à même d'exiger qu'il lui soit justifié de l'habilitation de l'agent ayant eu accès à ces données.
S'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'agent ayant consulté les fichiers d'empreintes était expressément habilité à cet effet, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l' étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits (1re Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).
Le moyen du représentant de l'Etat selon lequel le premier juge n'aurait pas dû statuer comme il l'a fait sans établir l'existence d'un grief est donc sans emport.
Il reste que, en matière pénale, il est de jurisprudence constante qu'un supplément d'information peut être ordonné par le juge (Crim., 3 avril 2024, pourvoi n° 23-85.813) et que cette solution s'applique pareillement en matière civile de sorte que, en matière de rétention administrative d'étrangers, la production d'une preuve d'habilitation est permise jusqu'à la clôture des débats et que cette preuve peut encore être apportée à
hauteur d'appel lorsqu'elle ne ressort pas des pièces qui avaient été jointes à la requête en prolongation.
En l'espèce, selon le rapport de consultation décadactylaire du 12 septembre 2025, le FAED a été consulté ce même jour, pour accéder aux données de M. [B] [A], par Mme [D] [R].
Le diplôme du 5 juin 2024 ainsi que l'habilitation produits en cause d'appel établissent que l'intéressée a suivi avec succès la formation idoine pour utiliser ce fichier, auquel elle est individuellement et spécialement habilitée.
Au regard de ces éléments nouveaux, et dès lors qu'il ne résulte pas du procès-verbal dont se prévaut le retenu que le brigadier [I] [O] aurait lui-même consulté le FAED, alors que les identifiants du consultant de son pas les siens mais bien ceux de '7104702 [D] [R]', le moyen soulevé par le retenu sera écarté et l'ordonnance infirmée sur ce point.
***
2. Sur le placement en rétention administrative
L'article L.741-1 du CESEDA dispose que l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne
présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente.
En l'espèce, la préfète du Loiret a motivé sa décision de placement en rétention administrative du 12 septembre 2025, qui repose sur l'exécution d'une obligation de quitter le territoire sans délai édictée le 6 janvier 2025 et notifiée le 8 janvier 2025, sur les éléments suivants :
M. [B] [A] ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et il n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
Il s'est soustrait à l'exécution de trois mesures d'éloignement ;
Il a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ;
Il ne peut justifier de document d'identité ou de voyage en cours de validité ;
Il n'a pas respecté les obligations liées à l'assignation à résidence notifiée le 3 avril 2025 ;
Il ne peut justifier ni de ressources ni d'un lieu de résidence personnel et stable ;
Il a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français puisqu'il a déclaré refuser de quitter le territoire lors de son audition du 4 octobre 2024 ;
Il représente une menace à l'ordre public.
Si dans l'arrêté discuté la représentante de l'Etat a affirmé sans offrir d'en justifier que M. [B] [A] présentait une menace pour l'ordre public et qu'il aurait contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou fait usage d'un tel titre ou document, reprenant en ces derniers termes les dispositions de l'article L. 612-3 7° du CESEDA sans rapporter la preuve de faits de cette nature, la décision de placement en rétention n'est cependant entâchée d'aucune erreur manifeste d'appréciation puisqu'elle relève avec exactitude la soustraction de l'intéressé à trois mesures d'éloignement, s'agissant des obligations de quitter le territoire notifiées le 23 juin 2022, le 11 juillet 2023 et le 27 mai 2024, ainsi que la soustraction de l'intéressé aux obligations de pointage relatives à une assignation lui ayant été notifiée le 3 avril 2025.
Dès lors qu'il est ainsi établi que M. [B] [A] ne présente pas de garanties de représentation effectives, la préfète du Loiret a suffisamment motivé sa décision et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en constatant l'insuffisance de mesures de surveillance moins coercitives que celle du placement en rétention.
3. Sur la requête en prolongation
Il appartient au juge, en application de l'article L.741-3 du CESEDA, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l'administration pour permettre que l'étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. Cette recherche requiert la production de pièces par l'administration qui établissent ces diligences, en fonction de la situation de l'étranger et, sauf circonstances insurmontables, figurant en procédure.
En l'espèce, M. [B] [A] été reconnu comme ressortissant marocain par les autorités consulaires de ce pays le 4 avril 2025.
L'intéressé, qui n'est pas en possession d'un document de voyage, a été placé en rétention administrative le 12 septembre 2025 à 17h30.
L'administration a contacté les autorités consulaires marocaines aux fins d'obtenir un laissez-passer le même jour à 19h02 et a adressé à 19h13 une demande de routing à la police aux frontières
A ce stade de la procédure, il apparaît que les diligences nécessaires ont été réalisées par l'administration et il ne peut être affirmé qu'il n'existerait aucune perspective sérieuse d'éloignement.
En l'absence d'irrégularité affectant la légalité de la rétention administrative, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et de faire droit à la demande de prolongation de la représentante de l'Etat.
PAR CES MOTIFS,
INFIRMONS l'ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans du 17 septembre 2025 ayant constaté l'irrégularité de la procédure et mis fin à la rétention administrative de M. [B] [A] ;
Statuant à nouveau :
REJETONS le recours formé à l'encontre de l'arrêté de placement en rétention administrative ;
ORDONNONS la prolongation de la rétention administrative de M. [B] [A] pour une durée de vingt-six jours ;
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;
ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à Madame LA PREFETE DU LOIRET et son conseil, à Monsieur [B] [A] et son conseil, et à Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;
Et la présente ordonnance a été signée par Fanny CHENOT, conseiller, et Paul BARBIER, greffier placé présent lors du prononcé.
Fait à Orléans le DIX NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ, à heures
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Paul BARBIER Fanny CHENOT
Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
NOTIFICATIONS, le 19 septembre 2025 :
Madame LA PREFETE DU LOIRET, par courriel
Maître Diana CAPUANO, par PLEX
Monsieur [B] [A], copie remise par transmission au greffe du CRA d'[Localité 2]
Maître SYLVIE CELERIER, avocat au barreau d'ORLEANS, par PLEX
Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel
L'interprète